Blum a écrit:--> Bagatelle pour un massacre est une horreur ! Je defends ici Voyage au bout de la nuit (et pas celine dans son ensemble)
Mais oui, nature ! Le
Voyage, d'accord, mais
Bagatelles, faut pas trop déconner non plus. Et tant pis pour le nom qui couronne les deux bouquins, le premier réédité en masse, le second quasiment introuvable. Et pour cause. On peut se permettre d'en dire n'importe quoi, quand bien trop peu l'ont lu en intégralité, et qu'ils font semblant d'ignorer le contexte historique qu'il vise.
Des lustres qu'ils jouissent des
Bagatelles comme exutoire à la haine des antisémites, cette haine blanche des masses, consensuelle et consciencieuse. Cette haine qui s'agrippe au sarrau du Docteur Destouches, d'abord pour foutre la paix à Vichy et à ses suppôts, gisant en père-peinards au Panthéon, ensuite par pose mondaine, le temps d'un débat chez Taddeï, et pourquoi pas chez Ruquier. Pour la mare aux animateurs branchouilles et la populace qui s'y mire, ce qui compte, c'est d'en faire un fétiche, un peu à la manière de ce Satan empaillé qu'on caillasse à la Mecque aux grandes bouffes de la vermine. Pour les collectionneurs, ce qui compte, c'est la valeur de cette pourriture en or, la rareté de la chose, le papier glacé, la reliure or. Entre temps, le propos s'est volatilisé, foutu aux poubelles de l'Histoire. On n'en a rien à foutre du style ? Mais le style, c'est l'homme, mon vieux ! La dissociation du fond et de la forme, ce moratoire vieux comme la littérature de salon, il vous en fait du foin pour les ânes. La forme superbe, le fond antisémite ? Il n'en avait rien à secouer de l'antisémitisme et des Juifs cet égoïste, cet Unique, qui se pliait en quatre pour trouver un moyen d'éviter la guerre qu'il sentait venir du fin fond de son taudis de Clichy. Lui qui se prétendait infirme à 75 % et qui ne voulait plus revoir de boucherie. Lui qui a à peine touché quelques centimes de ce bouquin, pendant que l'usine Peugeot et le costumier Hugo Boss brassaient des millions en fricotant avec l'Allemagne, et ce avant même le début de la guerre.
Et qu'est-ce qu'on fait pour éviter la guerre quand on n'a qu'un stylo, du papier, des journaux et des yeux qui ont vu le massacre de 14 ? On dénonce. On dénonce ces grands groupes industriels et intellectuels dont on flaire le bellicisme à des kilomètres. On dénonce l'hystérie collective soulevée par le Front Populaire qui poussait la France à la guerre avec l'Allemagne. Et on prend parti pour l'Europe. C'était l'Allemagne de Hitler ou la Russie de Staline : il a choisi le mauvais camp. Qui le lui a bien rendu, par ailleurs, quand on sait que la Gestapo lui a fait quelques misères durant l'Occupe parce qu'elle le prenait pour un « dangereux anarchiste » (livres interdits en Allemagne, ostracisme, pendant que Sartre se plaignait des coupures d'électricité provoqués par les bombardements qui interrompaient ses
Mouches). Et ça lui a collé au derche, depuis; comme aux Juifs la crucifixion du Christ. Et de la même manière que les Juifs ont fait la connerie de parier sur les mauvais prophètes, et qu'ils ont payé pour ça 2000 ans de sermons moralisants, les coups de bâtons et les progroms allant avec, cette sale caboche de Céline a dû aussi payer d'avoir entrevé ça. Comme si l'antisémitisme était une affaire de choix moral, alors qu'il s'est vicieusement enraciné dans la culture chrétienne. On n'a pas attendu la Shoah pour crever les Juifs en masse. Le Juif de Céline n'est pas un adversaire dangereux, mais un catalyseur de haine susceptible de déclencher la guerre en Europe. Une bagatelle parmi d'autres, pour un massacre d'une toujours plus grande envergure. Et c'est ce qu'il s'agissait de pointer en 1937 : que le Juif n'est qu'un être insignifiant, qui ne mériterait vraiment pas qu'on remette le couvert. Mais que les hommes ayant la passion de s'entretuer pour des clous, il s'agit moins du Juif que de chercher un prétexte à faire couler le sang. Voilà pour son antisémitisme supposé lorsqu'on prend la peine de lire son pavé et non quelques phrases pillées par-ci par-là. Voilà l'homme, resté le même du
Voyage aux
Bagatelles, croupissant maintenant dans une paix qu'il a toujours voulu.