Anarchisme et non-violence

Re: Anarchisme et non-violence

Messagede digger » 15 Oct 2011, 19:51

Après l’avoir lu rapidement , j’ai une réserve sur la définition de la violence
"Sont ainsi exclus de cette définition les dommages corporels dus au hasard, à la fatalité ou aux phénomènes naturels, de même que les atteintes à l’intégrité morale ou psychologique "

Certaines méthodes coercitives d’ordre psychologique s"apparentent très clairement à de la torture.
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede digger » 16 Oct 2011, 07:34

L’article signalé par Armonia est très intéressant. Et j’y reviendrai par petit bout. C’est un bon point de départ. (Et çà faisait un bail que je n’avais pas visité le site de Mille Babords, merci de l’avoir mentionné)

Il convient de commencer par un inventaire des arguments qui, de tout temps, ont été mobilisés pour défendre la légitimité éthico-politique de la violence révolutionnaire. Cinq axes de justification se font jour. Les révolutionnaires de tout poil les ont bien sûr sélectionnés, combinés et adaptés en fonction des circonstances historiques, des contextes politiques et de leurs idéologies spécifiques.

La violence révélatrice : en précipitant la répression policière et militaire, la violence a pour but de révéler la véritable nature intrinsèquement «  fasciste » de l’État. Il s’agit de provoquer ce dernier pour l’amener à dévoiler aux yeux de tous que – derrière les fallacieuses idéologies du bien commun et de la souveraineté populaire – la force constitue en dernière analyse son seul et unique fondement.


La véritable nature de l’Etat – et au delà de celui-ci, du système dominant, le capitalisme – peut se révéler d’autres manières. Et cette "nécessité de révélation" est en elle-même discutable. Elle sous- entend que les masses inconscientes doivent être éduquées par une avant-garde éclairée.
Or, le problème est davantage de transformer le sentiment d’impuissance de la grande majorité devant un système qui paraît invincible que de lui en prouver la nature.
L’article cite les Brigades Rouges italiennes et la RAF allemande. Outre ces deux cas extrêmes, d’autres groupes armés ont montré les limites de cet argument. ETA au Pays Basque, par exemple.
L’histoire d’ETA est complexe. Sous la dictature de Franco, ETA a bénéficié d’un large soutien populaire. A sa mort, l’organisation n’a pas su prendre le compte le contexte nouveau, notamment la possibilité de poursuivre l’objectif par d’autres moyens. Elle s’est coupé de sa base populaire, poursuivant obstinément sur sa stratégie militariste au détriment de la lutte politique. Le résultat aujourd’hui est de permettre à l’Etat central espagnol de faire l’amalgame entre les partis abertzale et ETA et de poursuivre la répression.
Plus que de révéler la vraie nature de l’Etat, la violence révolutionnaire ainsi conçue permet à celui-ci de la légitimer. Si nous employons la répression, c’est parce que nous y sommes obligés. L’argument est ainsi renversé et est accepté la plupart du temps par une grande majorité.
Maintenant, prenons une résistance non-violente face à cette même véritable nature de l’Etat, pareillement dénoncée.
Le mouvement pour les droits civiques américains a suscité à travers tout le pays des reportages où des manifestants, y compris des enfants, étaient attaqués par des chiens policiers et matraqués, parfois tués. L’opinion publique n’a pas eu besoin d’une avant-garde pour lui montrer la véritable nature du conflit ni pour savoir qui employait la force brutale.

En 1966, le Black Panther Party – BPP – s’est constitué en groupe d’auto-défense (Black Panther Party for Self-Defense) qui était son intitulé premier. Il n’a pas été le premier à le faire et son objectif dans le contexte d’alors était parfaitement justifié. Tous ceux de ma génération se souviennent de ces photos de Panthers vêtus de noir, l’arme au poing.
Le FBI saisit le prétexte pour déclencher une vaste opération d’extermination, (COINTELPRO), entrainant dissensions internes, intrigues, paranoïa, poussant sans cesse les BP à se radicaliser et à perdre de vue leurs objectifs premiers - l’organisation sociale et politique des ghettos.
Sur le terrain de la violence, ils avaient à faire avec plus forts qu’eux.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce sujet de dénonciation de la vraie nature de l’Etat comme justification de la violence révolutionnaire.
J’ajouterai que la violence révolutionnaire, dans mon esprit, n’a pas à se justifier. Elle est nécessaire ou pas. La seule chose qui puisse déterminer son utilisation est qu’aucun autre moyen ne peut être utilisé ou que tous les autres ont échoué.
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede bipbip » 30 Oct 2014, 15:31

À propos de violence et de non-violence

« La fin justifie les moyens ? Cela est possible, mais qui justifiera la fin ? À cette question que la pensée historique laisse pendante, la révolte répond : les moyens. »

Cette réflexion d’Albert Camus dans L’Homme révolté ne devrait jamais quitter notre esprit et nous servir de garde-fou, car l’Histoire nous a donné moult exemples de « dérapages incontrôlés » pendant les insurrections populaires, ainsi que dans la pratique de certains groupes ou individus se réclamant de la révolution sociale. Je ne traiterai pas ici de certains aspects de la mouvance marxiste (comme la Bande à Baader, les Brigades rouges et d’autres organisations, notamment en Amérique latine…), mais je m’attarderai un peu sur le mouvement anarchiste à partir de l’article intitulé « Le futur est à venir 1 », qui commence par citer Emilienne Morin : « Ce qui est passé est passé. On ne fait pas deux fois la même révolution ». Certes. Souvenons nous qu’il était également de bon ton de prétendre, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que la révolution espagnole était sans doute la dernière expérience de ce type, et que le cycle des insurrections populaires issues des théories du socialisme du XIXe siècle était définitivement clos. Soit dit en passant, les insurrections de Berlin (1953) et de Budapest (1956) mettent à mal cette affirmation. Cela étant, il est évidemment vrai qu’on ne fait pas deux fois la même révolution, y compris dans le même pays, et nous sommes bien placés en France pour le savoir.

« Le futur est à venir » propose un éclairage original et argumenté sur un aspect de notre mouvement, mais (il y a toujours un mais…) il amène aussi certaines remarques sur cette option. Qu’il me soit permis de reprendre les auteurs de l’article en question lorsqu’ils écrivent : « à notre connaissance, l’ensemble de ces mouvements [dans les pays arabes – Ndlr] n’a pas attiré beaucoup de commentaires du côté de la presse libertaire. » Je ne peux que les inviter à lire le Monde libertaire et notamment les n° 1619, 1620, 1621, 1625 et, plus récemment, le n° 1643, il pourront vérifier que ces événements y ont été largement commentés. Les mouvements populaires qui ont eu lieu en Tunisie et en Égypte se sont développés – je ne dirais pas sans violence – mais sans lutte armée, et ont permis de chasser les dictateurs en place, mais nous sommes loin d’une remise en cause du système capitaliste ; en Tunisie, 110 partis politiques sont candidats à gérer ce système, et la liste des prétendants au pouvoir s’allonge. Pour instaurer une démocratie ? bien sûr ! Bourgeoise ? Assurément. L’armée a observé une certaine neutralité, c’est vrai et ça ne m’a pas échappé, mais au risque de passer pour un anarchiste « traditionnel », il ne me semble pas inutile de rappeler qu’en juillet 1936, nos camarades espagnols de la CNT se sont opposés au putsch des militaires rebelles à la République, en les combattant (avec violence), parfois aidés par certains corps de police et d’armée restés fidèles à cette République. Bien avant le 19 juillet 1936 d’ailleurs, des contacts réguliers s’étaient noués avec des militaires (y compris des officiers) qui fournirent des renseignements et même des armes aux militants de la CNT (relire, entre autres, les mémoires de Garcia Oliver). Comme quoi il n’a pas fallu attendre 2011 pour que des libertaires profitent des divisions de l’armée et/ou de la police.

En ce qui concerne la Libye, le problème s’est posé en d’autres termes : la révolte et la répression ont été violentes. Le problème de l’armement s’est tout de suite posé aux manifestants qui ont reçu (au bout de quelques semaines) une aide militaire de l’Otan (principalement de la France et de l’Angleterre), en armes mais aussi en opérations aériennes pour bombarder les forces de Kadhafi. Imaginons ce qu’aurait pu donner en 1936 ce même genre d’aide à la République espagnole de la part de l’Angleterre de Winston Churchill et de la France de Léon Blum… Évidemment, là il n’était pas envisageable pour ces démocraties d’obtenir des marchés de la part d’une révolution en cours, mais il était plutôt question d’éviter une socialisation de leurs multinationales implantées en Espagne. Quant à la Syrie, à partir de combien de milliers de morts le peuple a-t-il le droit de se montrer violent ?

Je ne suis absolument pas un partisan invétéré du « poignard et de la bombe » (moyens trop individualistes et contre-productifs à mon goût), mais l’Histoire nous apprend (l’Histoire, pas la tradition) qu’en Espagne toujours, dans les années vingt, le patronat envoyait ses pistoleros pour dessouder à tour de bras les responsables anarcho-syndicalistes de la CNT. Méthode efficace qui commença même à faire chuter les adhésions à cette organisation. La parade ? La création de groupes d’autodéfense (armés et violents nous vous le concédons) chargés de liquider physiquement ces pistoleros et leurs commanditaires 2. Méthode radicale et efficace là aussi ; à propos du groupe Los Solidarios, Garcia Oliver devait déclarer plus tard dans un discours officiel pour le moins musclé (après avoir été un temps ministre de la Justice !) : « Nous étions les meilleurs terroristes de la classe ouvrière, ceux qui pouvaient rendre coup pour coup au terrorisme blanc dirigé contre le prolétariat jusqu’au triomphe de ce dernier. » La CNT vit de nouveau ses effectifs se renforcer, seulement stoppée par la dictature de Primo de Rivera et avant de reprendre sa marche en avant dans les années trente.


Psalmodie d’un catéchisme anarchiste ?

Changeons d’époque et de lieu : étonnant qu’en ce qui concerne la désobéissance civile, le Mexique ne soit pas évoqué dans l’article d’André Bernard et Pierre Sommermeyer. Ce pays a connu, lors des deux dernières décennies, moult exemples de désobéissance civile où ont été employées, au gré des situations, des méthodes violentes ou non-violentes. Les indigènes des Chiapas ont développé des contre-pouvoirs visant à instaurer des structures autonomes. Là-bas aussi l’état central a cherché à briser cette aspiration à l’autonomie en envoyant l’armée et des forces paramilitaires. Les indigènes se réclamant de l’esprit du révolutionnaire Zapata ont créé l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) qui, comme son nom l’indique, ne prône pas vraiment la non-violence et résiste toujours aux forces étatiques. Autre région du Mexique : la commune d’Oaxaca. Là, pas d’armée de libération nationale, mais des fonctionnements communalistes issus de la culture indienne, adaptés à l’époque actuelle et très proches des systèmes préconisés par nos « valeureux ancêtres ». Là, pas de théorisation de la violence révolutionnaire, mais pas non plus de politique « christo-non violente » de la joue tendue. Bien sûr, le Mexique n’est pas la France. Le climat politique et social baigne dans une violence que l’on ne connaît pas ici : chaque jour voit s’allonger la liste des morts, résultat soi-disant de la guerre contre les narcotrafiquants, alors qu’une grande partie des victimes de meurtres et d’enlèvements sont des opposants divers au régime en place. La désobéissance civile est largement pratiquée sans violence (oui) et parfois avec violence (encore oui) ; il ne s’agit pas de théoriser à tout crin la violence ou la non-violence, mais d’avoir la faculté de pouvoir s’adapter à des situations différentes ici et maintenant.

Dans cette perspective, je n’oppose pas non plus révolution et réformisme, et je suis d’accord avec André Bernard et Pierre Sommermeyer quand ils écrivent : « Nous n’opposerons pas pour autant la révolte globale – la révolution – au réformisme. Et comme nous l’avions noté pour d’autres combats : “La lutte ouvrière pour de meilleures conditions de travail ne débouche que rarement sur… l’abolition du salariat ! Est-ce une raison pour ne pas y participer ?” 3 »

D’une manière générale dans le monde entier, les forces en présence (étatiques et révolutionnaires) révèlent une supériorité de l’État. Un simple examen (d’un point de vue militaire) dans les pays occidentaux, nous oblige à constater (comme le soulignent fort bien André Bernard et Pierre Sommermeyer) que l’armée, si elle a diminué ses effectifs, est devenue entièrement professionnelle. La stratégie de la « crosse en l’air » a donc fait long feu dans ce secteur. Ce qui n’empêchera pas dans un avenir plus ou moins lointain (non, je n’ai pas la date…) qu’un mouvement social de grande ampleur n’éclate, paralysant les institutions de l’État. Mouvement non-violent ? Ça sera difficile tant le pouvoir s’accroche jusqu’au bout, surtout qu’en ce qui nous concerne, il ne s’agit pas de remplacer un dirigeant par un autre, mais de changer un système capitaliste en système tendant vers le communisme libertaire.

Force est de constater que le monde a changé, la classe « ouvrière » ne se trouve plus seulement dans les usines. Mieux vaudrait parler de prolétaires ou d’exploités qui ne sont pas forcément en bleus de chauffe, mais qui sont obligés de vendre leur force de travail pour vivre (quand travail il y a…). Ce sont ces prolétaires là que l’on retrouve dans tous les campements d’« indignés » (Grèce, Portugal, Espagne, Israël) Indignés se réclamant en majorité de la non-violence, mais pas seulement (Grèce et parfois Espagne). Indignés avec des revendications mêlant réformisme et révolution (le programme des Indignés de Madrid en est un bon exemple 4). Reste que ces mouvements numériquement importants ne font pas encore fléchir leurs gouvernements respectifs, et qu’on ne peut s’empêcher d’espérer que ces indignés deviennent des révoltés exigeant non seulement des comptes, mais aussi le départ de ceux qui les trompent et les exploitent ; exigeant également autre chose qu’une démocratie « réelle » bourgeoise améliorée. En Inde, Gandhi et ses partisans ont peut-être fini par vaincre le colonialisme anglais, mais ce fut pour le remplacer par un système nationaliste tout aussi capitaliste, toujours en place soixante-cinq ans après l’indépendance.

Une dernière remarque : il est vrai qu’à une époque, une frange du mouvement anarchiste (certains individus plus exactement) s’est lancée dans l’illégalisme allant du braquage de banque pour son compte (Bande à Bonnot) au terrorisme (Ravachol, Henry…) Encore une fois, ça a concerné une infime minorité, qui plus est il s’agissait toujours d’attentats visant rois, tsars, présidents de la République et hauts dignitaires de l’État. Rien à voir avec le massacre récent d’une centaine de Norvégiens, perpétré par un de leur concitoyen chrétien et d’extrême droite. Les anarchistes illégalistes ayant versé dans le terrorisme ne déposaient pas de bombes dans des endroits publics (à ma connaissance, une « bavure » : l’attentat au Café de la Paix, censé n’être fréquenté que par des « bourgeois »). On sait le tort considérable que ces actions nous ont causé en France : discrédit dans le mouvement ouvrier, énorme perte d’influence au sein de la CGT d’avant 1914. Rejet de nos idées chez les travailleurs qui ne nous voient souvent que comme une bande de comploteurs et d’excités. Mais André Bernard et Pierre Sommermeyer sont bien placés pour savoir que ce n’est pas le cas, que l’illégalisme de certains individus a peu à voir avec une organisation libertaire, mais ils savent aussi – du moins je le suppose – que dans certaines luttes, la violence ne peut-être exclue même si on n’en fait pas une stratégie incontournable, et qu’il ne faut se bercer d’aucune illusion : le pouvoir, quand il est acculé et menacé de disparaître, n’hésite pas à employer les moyens les plus extrêmes pour garantir sa survie. Si nous voulons en finir avec ce système capitaliste, nous devons envisager les méthodes de l’ennemi de classe, non pour les copier, mais afin de pouvoir les contrer, sans exclure aucune stratégie qu’elle soit violente ou non-violente.

Pour conclure je me permettrai de redonner la parole à Camus dans son Homme révolté : « La non-violence absolue fonde négativement la servitude et ses violences ; la violence systématique détruit positivement la communauté vivante et l’être que nous en recevons. Pour être fécondes, ces deux notions doivent trouver leurs limites. »


Ramón Pino

Groupe Salvador-Seguí de la Fédération anarchiste


1. Voir Le Monde libertaire n° 1644 : « Le futur est à venir », article d’André Bernard et Pierre Sommermeyer.

2. Voir Le Monde libertaire n° 1623 : « Barcelone sous les balles ; les années du pistolérisme (1919-1923) », article de Guillaume Goutte.

3. Comme précisé par A. Bernard et P. Sommermeyer, cette dernière citation est tirée d’un numéro commun à deux publications : Courant alternatif (HS n° 17) et Offensive libertaire et sociale (n° 30).

4. Voir Le Monde libertaire n° 1639 : « Réchauffement politique », article de Ramón Pino.

http://salvador-segui.blogspot.fr/2014/ ... a-est.html
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede Boehme » 30 Oct 2014, 22:38

Ce fil de discussion est intéressant. Les idées fusent dans la perspective de problèmes. Je n'ai pour l'instant que lu en diagonale les interventions de chacun, j'y reviendrais plus en détail.

Ce qui ressort des échanges, cependant, c'est qu'on parle trop abstraitement de la notion de violence. Et on ne dit pas vraiment ce que signifie la violence dans le contexte d'une histoire générale des mouvements anarchistes. Le terme ne signifie pas la même chose selon que c'est Babeuf ou Proudhon qui parle. Comme il ne signifie pas la même chose selon que c'est un journaliste au Nouvel Observateur ou un militant du NPA, si on se place du point de vue d'une analyse des rapports de force actuels. La remarque de Béatrice peut servir de filon :

Depuis environ une trentaine d'années , écrivains et artistes se complaisent " sciemment " , relayés par les professionnels de la politique , à entretenir le :
" Qui dit révolution , dit irruption de la violence " comme l'explique Max Gallo , l'historien " adulé " du microcosme bourgeois et aussi du pouvoir . Et un autre du même " crû " :
Furet , qui estimait quant à lui que toute tentative de transformation radicale de la société ne pouvait être que totalitaire ou terroriste et c' est ainsi qu'il en concluait en disant :
que " l'idée d'une autre société est devenue presque impossible à penser "

Et bien entendu , tout ce joli petit monde a pour habitude de se congratuler autour de dîners-débats dans des salons feutrés !


C'est très général, mais ce genre de discours, énoncé par les récepteur du langage de l'idéologie de la communication, engendre déjà de la violence symbolique. Les rapports de force de la société sont occultés par les effets de plumeau mondain de ceux qui parlent l'idéologie — au sens linguistique que lui prêtait Bakhtine. Il est de bon ton de parler de la violence révolutionnaire quand elle ne menace plus les officines, mais il est de mauvais de goût de s'étendre sur celle qui aliène le lecteur ou le spectateur au nom d'un insignifiant idéal de transparence et d'objectivité de l'information.
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede Boehme » 01 Nov 2014, 14:46

Il s'agit donc non seulement d'une signification historique et sociale de la violence, mais également de son usage stratégique. Ces dimensions sont toutes liées entre elles, mais l'usage de la violence ou l'usage du terme de violence revient au même dans un contexte où il est nécessaire d'énoncer des mots d'ordre. La stratégie politique révolutionnaire a au moins cet avantage qu'il met particulièrement bien en lumière la manière dont fonctionne le pouvoir dans le langage. C'est du point de vue d'une stratégie visant à liquider les rapports de force en présence que la violence ou la non-violence, et par-là les termes de violence et de non-violence, prennent tout leur sens. Il n'y avait pas, et il n'y aurait pas de sens aujourd'hui à parler de non-violence en octobre 17; mais il y en avait certainement dans le cadre de la stratégie politique de Gandhi qui visait à acquérir l'indépendance pour les Indes.

Pour ce dernier cas, c'est un peu plus complexe en réalité, parce qu'il y intervient des éléments historiques, culturels et biographiques, que je résumerai rapidement. Gandhi, durant la première guerre mondiale, encourageait les Indiens à participer à l'effort de guerre britannique, il exhortait ses compatriotes à rejoindre un événement qui fortifierait leur coeur, les viriliserait un peu plus. Et effectivement, la conception raciste et hiérarchique des races tenait les races inférieures pour "féminines", lâches, peu combattives — ce qui expliquerait qu'elles se soient faites colonisées par les Blancs, forcément supérieurs, et qu'elles subissent continuellement toutes sortes d'humiliations sans broncher. Ce qu'il s'agissait, pour Gandhi, de remettre en cause; et il croyait par-là remettre en cause la légitimité de la colonisation des Blancs de Blancolande en intervenant dans leur propre terrain idéologique et géographique. La suite des événements lui prouva que ça n'a pas été efficace. Et c'est dans cette situation des colonies que sa conception de "non-violence" intervient. En quoi consiste-t-elle, concrètement ? A refuser de faire usage d'une violence dont le colonisateur a usé, une violence impliquant l'exploitation massive des autochtones et son rabattement sous une idéologie raciste. On a souvent pris cette non-violence chez Gandhi pour un sommet d'apolitisme : or, c'est tout le contraire. Une idéologie raciste, concrètement, c'est une mentalité et des actes de langage qui, indépendamment des affects qu'il suscitent souvent, ont pour fonction principale de rappeler, dans le quotidien des rapports sociaux, la véritable place des colonisés, des barbares, littéralement de ceux qui n'ont pas de langage. La "non-violence", terme qui était d'abord utilisé en anglais dans ses premiers articles avant de trouver sa traduction en sanscrit (a-hâmsa), ne propose pas seulement un concept, il agit en tant que mot d'ordre dans le cadre d'une action qui se refuse à utiliser la langue majeure, celle de l'idéologie. Elle tient aussi à une certaine conception que se faisait Gandhi de la force, héritée de Nietzsche. La vraie violence n'est pas celle qui s'exerce au grand jour, celle qui engendre des réflexes de réactifs, et qui ne pourra rien donner de vraiment affirmateur. Elle est plus insidieuse, plus souterraine, de l'ordre du microscopique. Elle parcoure chacune des relations sociales, chaque acte de langage, chaque discours. La véritable force consiste à faire face à cet antagonisme général dans les rapports entre les hommes. Elle n'est pas si facile à imaginer pour les impuissants parce qu'ils sont incapables de penser une quelconque maîtrise sans fantasmer un pouvoir qui serait toujours à sa traîne.

La question de la violence de nos jours se résume à cette sempiternelle antienne qui a de beaux jours devant elle : on ne fait pas d'omelettes sans casser des oeufs. Quand il s'agit de casser, les oeufs, ce sont des abribus, des voies ferrées, des vitrines de magasins. Quand il s'agit de tuer, les oeufs, ce seront des hommes. Et dans tous les cas, l'omelette, c'est la "réalité politique" qu'on ramasse après et qu'on assaisonne éventuellement d'un peu de gloriole médiatico-mondaine avant de la foutre aux poubelles de l'Histoire. Qu'est-ce que ça donne pratiquement ? Ca donne le très visible comité invisible et son Insurrection qui vient (on l'attend toujours) aux Editions La Fabrique, 8 euros chez le marchand de soupe culturel — je regrette bien de ne pas l'avoir fauché, celui-là. L'idée, ou plutôt ce qu'il reste d'une idée quand la bêtise ambiante et anonyme l'énonce, c'est qu'il y a de la violence, et qu'on doit répondre à notre tour par la violence parce qu'il faut être visible, sinon on est rien qu'un salaud justificateur de l'ordre établi. Outre la fausse alternative en mousse qui ne convainc que ceux qui voudraient bien un jour vendre leur lutte, elle nous révèle un autre genre de violence que secrète le spectacle. Elle a un rapport avec une autre "idée", c'est que le cassage, le sabotage, le meurtre, bref, la violence d'ici aide à résoudre la violence de là-bas. Et quel rapport entre la violence à Bangkok ou à Bombay et celle de nos régions tempérées ? Quel rapport entre la violence de celui qui cherche à survivre dans une ville-poubelle et celle de l'européen moyen qui rédige parfois, pour tromper son profond emmerdement, un opuscule anonyme vendu à 7 euros ? Plus consistant m'apparaît le rapport une fois considéré d'un point de vue stratégique. Pragmatiquement, les feux de la scène médiatique et éditoriale, dont a bénéficié et bénéficie encore ce livre, renforce le spectacle en présentant le spectacle d'une contestation soit-disant totale et prétendument anarchique. Cela engendre des capitaux qui viennent éventuellement financer la guerre contre l'intégrisme religieux, ou dans sa traduction stratégique : l'impérialisme occidental, qui engendre de l'autre côté de la Méditerranée ou juste au-dessus de la Mer Noire encore plus de violence. Pendant qu'on s'amuse à casser toutes sortes de choses devant la caméra, c'est encore plus de violence engendrée ailleurs. La violence n'est certainement pas quelque chose de diffus, de flottant, d'anhistorique et d'a-langagier, c'est un certain fonctionnement du pouvoir qui traverse tous les individus d'une société au travers du langage, et dont la médiatisation est un vecteur essentiel : il est même fondamental à l'heure où les ouailles de la com' d'ambiance chantent en choeur la neutralité du langage, de son caractère d'outil neutre. Relativement à cette circulation géopolitique de la violence, liée à la circulation homogène et toujours plus rentable des flux de capitaux, une "non-violence" reste encore à être énoncée. Je pense qu'elle devra faire l'économie de tout dispositif médiatique, quitte à être inaudible et illisible.
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede digger » 02 Nov 2014, 09:31

Je ne sais pas de quoi tu parles. Je n'ai rien compris
La question de la violence, de sa définition jusqu'à son usage, en passant par sa légitimité, traverse l'histoire des mouvements radicaux en général et anarchistes en particulier. De la "propagande par le fait" aux black blocs, la réflexion et la pratique n'ont jamais cessé. Nos ancêtres ne disaient pas ACAB mais la chanson populaire a été parfois encore plus virulente que cela. Quant à la violence de l'autre bord....
L'idée, ou plutôt ce qu'il reste d'une idée quand la bêtise ambiante et anonyme l'énonce, c'est qu'il y a de la violence, et qu'on doit répondre à notre tour par la violence parce qu'il faut être visible, sinon on est rien qu'un salaud justificateur de l'ordre établi.

Tu reprends le discours obscène de ceux qui ont dit que le mouvement avait besoin d'un martyr. Tu méconnais absolument les réalités de terrain. Personne ne veut être "visible". Il y a mille choses d'invisibles réalisées pour 30 secondes d'images télé de manifs "violentes". Je reviens d'une autre ZAD, anonyme et invisible, 22 hectares qui seront une propriété collective, un autre point d'appui comme il en existe des centaines, sous différentes formes.
une "non-violence" reste encore à être énoncée. Je pense qu'elle devra faire l'économie de tout dispositif médiatique, quitte à être inaudible et illisible.

La seule chose inaudible et illisible ici, c'est ton discours. Alors si tu peux être un peu plus clair, et parler de réalités concrètes, vues de tes petits yeux et pas lues dans les journaux et les bouquins, je suis preneur. Ou alors, hurle avec les loups, mais sans te cacher et clairement.
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede Boehme » 02 Nov 2014, 21:30

digger a écrit:Tu reprends le discours obscène de ceux qui ont dit que le mouvement avait besoin d'un martyr. Tu méconnais absolument les réalités de terrain. Personne ne veut être "visible". Il y a mille choses d'invisibles réalisées pour 30 secondes d'images télé de manifs "violentes". Je reviens d'une autre ZAD, anonyme et invisible, 22 hectares qui seront une propriété collective, un autre point d'appui comme il en existe des centaines, sous différentes formes.


Je n'ai jamais dit que tout le monde veut être visible. Le grand caché de la contestation en librairie dit en revanche qu'il faut faire usage de la violence pour être visible, qu'il faut casser pour se faire entendre, parce que ça fait bouger les choses. Et il est bien là le problème. Pas besoin de connaître les réalités du terrain pour saisir que les discours dominants masquent, par des effets langagiers, la violence qu'ils instillent : celle qui consiste à décréter anonymement qu'il y a des violences "utiles" (celles qui sont médiatisées), et les violences inutiles (celles qui ne le sont pas). C'est ça, un mot d'ordre. Et concrètement, et selon eux, il est parfaitement inutile d'occuper une ZAD si il n'y en a pas des échos médiatiques. De là, on pourrait très bien continuer à faire ce qu'on fait et ne déranger personne, et surtout pas ceux qui vendent leur lutte. Ou bien on prend la parole publiquement, sur un forum ou ailleurs, et on critique ces conneries. On fait de la politique, quoi.

D'ailleurs, elles sont plutôt visibles et nommées, les ZAD anonymes et invisibles, en ce moment. Ne parle pas trop vite, laisse un peu de temps à un journaliste de Paris Match ou du Monde de rédiger un article. Et ainsi, on pourra parler à loisir de la ZAD "insère le titre de l'article" sur ce forum, en parlant, pourquoi pas, de sortir de la "répression/violence/répression" entre amis.

digger a écrit:
La seule chose inaudible et illisible ici, c'est ton discours. Alors si tu peux être un peu plus clair, et parler de réalités concrètes, vues de tes petits yeux et pas lues dans les journaux et les bouquins, je suis preneur. Ou alors, hurle avec les loups, mais sans te cacher et clairement.


Des réalités concrètes, tu en as juste sur ton écran. Un discours, un texte, un message, ce sont des réalités concrètes. N'essaie pas de le nier, cela reviendrait à nier que tu viens d'écrire ce que tu viens d'écrire. Je vois donc de mes petits yeux un texte qui m'invite à désigner des "réalités concrètes". Un commentaire qui s'oublie lui-même en tant que texte, c'est ça aussi, l'Insurrection qui vient. Ainsi que les centaines d'articles de journaux que vous publiez, pardon, relayez sur ce site. Quand on est sur un forum et qu'on veut causer avec conséquence, on reprend les propos d'un tel, on réfléchit. Le reste, ce sont des histoires à dormir debout. C'est le support qui veut ça dans ses effets, pas moi. Si nous discutions de vive voix tous les deux, je t'aurais fait tâter la réalité d'une chaise, d'une poubelle qui flambe, ou de la chaleur humaine provoquée par l'agrégat de quelques centaines de militants surexcités. Ici, je ne peux te faire tâter que de mon style, et encore, le mot est fort. Alors si tu pouvais te relire et me relire avant de me demander de causer "réalité concrètes", je suis preneur. Ou alors laisse les loups te hurler dessus, mais sans revenir me parler de "réalités concrètes".
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede digger » 03 Nov 2014, 09:26

Le livre dont tu parles n’est absolument pas une référence pour moi.
D'ailleurs, elles sont plutôt visibles et nommées, les ZAD anonymes et invisibles, en ce moment

Tu parles de deux ZAD, NDDL et Sivens. L’histoire de NDDL est, en grande partie, anonyme. Elle a été médiatisée des années plus tard, par l’action violente c’est exact, mais policière, au moment des tentatives d’expulsion. Il n’y a jamais eu d’usage de la violence pour être "visible".
Même le terme de ZAD reste à définir, et il est probable que chaque situation lui donnera un contenu différent. Mais il me semble que l’on se dirige vers une conception caractérisée par des moyens : l’occupation d’un espace, sa défense – d’où, si besoin, l’utilisation de la "violence" – et des finalités : l’instauration de nouveaux modèles (sociaux, économiques…) et la construction d’un réseau solidaire. Pour moi, un embryon d’une idée fédéraliste, autour de la notion d’entraide. Ce que les médias et les politicien-es traduisent par des "éléments extérieurs", voire "étrangers".
La violence n’a donc que peu de choses à voir avec le concept de ZAD. A moins bien sûr d’écouter le discours médiatique, politique, économique et policier, qui ne sont que les quatre têtes du même monstre.
L’occupation de l’espace peut être "légal" ou "illégal". Il peut se faire en opposition à un projet, comme dans le cas des ZAD médiatisées, ou pas. Le concept rompt avec celui de "communautés" des années post-soixante huitardes dans le sens où elle n’ont pas pour seuls objectifs un mode de vie individuel, mais une insertion dans un tissu de luttes, locales, nationales et/ou internationales. Même si une partie de la population d’une ZAD peut être attirée avant tout par l’aspect "style de vie". Personne ne viendra te demander tes motivations.
Tout cela se construit dans 99 % des cas, sans médiatisation et sans violence.
Ta conception de la réalité, de l’écrit, et de leur rapport t’appartient. Je pense seulement que si l’on veut peser sur une réalité, agir sur sa transformation, l’écrit atteint vite ses limites.
Le reste, ce sont des histoires à dormir debout. C'est le support qui veut ça dans ses effets, pas moi.

Ce forum est ancré dans un vaste mouvement de luttes sociales où je ne vois pas trop "d’histoires à dormir debout". Le support n’a rien à voir là-dedans. Tes écrits sont de toute évidence, en décalage avec la manière d’aborder les sujets et de les discuter. Je n’y vois personnellement aucun inconvénient, si ils ne viennent pas y introduire des idées réactionnaires enveloppées dans un style chaloupé. Je lis ainsi tes tirades sur la violence, "ceux qui vendent leur lutte", "les centaines de militants surexcités", etc. et les interprète de la même manière qu’un article de Ouest-France sur Notre Dame des Landes, ou de Valls & co faisant le tri entre "bons" et "mauvais" opposants.
Encore une fois, le support n’a rien à voir dans le fait que j’ai l’impression que tu fantasmes sur un sujet dont tu ne connais que ce que tu as lu à droite et à gauche, en n’en reprenant que les traits les plus caricaturaux.
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede Boehme » 03 Nov 2014, 14:24

digger a écrit:Le livre dont tu parles n’est absolument pas une référence pour moi.


Tu sais quoi ? moi non plus. Est-ce le problème ? Non. Ne te crispe pas, t'es pas à la planche à pain ici, et je ne suis pas ton lustre. Est-ce qu'il faut que tu te sentes concerné par ce que dit ce livre ? C'est sur quoi je travaille.

digger a écrit:Tu parles de deux ZAD, NDDL et Sivens. L’histoire de NDDL est, en grande partie, anonyme. Elle a été médiatisée des années plus tard, par l’action violente c’est exact, mais policière, au moment des tentatives d’expulsion. Il n’y a jamais eu d’usage de la violence pour être "visible".


En jouant sur l'intention des agents en présence, on pourrait aller jusqu'à dire que la ZAD a définitivement pris le pouvoir. Ce qui n'est pas le cas. Pourquoi ? Parce que les effets d'une manifestation, d'une action politique ou d'un discours public dépassent toujours les prévisions des agents en présence; elles débordent toujours les volontés individuelles. Ils n'ont pas voulu être "visibles" ? Ils l'ont été pourtant. Le fait que la NDDL ait été médiatisée à un certain moment en dit moins sur l'intention des manifestants, ou même sur celle des forces policières, que sur les transformations de la société qui ont commencé à opérer à ce moment là.

digger a écrit:Même le terme de ZAD reste à définir, et il est probable que chaque situation lui donnera un contenu différent. Mais il me semble que l’on se dirige vers une conception caractérisée par des moyens : l’occupation d’un espace, sa défense – d’où, si besoin, l’utilisation de la "violence" – et des finalités : l’instauration de nouveaux modèles (sociaux, économiques…) et la construction d’un réseau solidaire. Pour moi, un embryon d’une idée fédéraliste, autour de la notion d’entraide. Ce que les médias et les politicien-es traduisent par des "éléments extérieurs", voire "étrangers".


Le sens du terme diffère effectivement selon la situation. Mais quelle est la nôtre ? Celle d'un situation hypermédiatique où les identités sociales et politiques se construisent par différenciation irréelle. Le discours dominant parle de "positions établies", d'une droite et d'une gauche, des luttes manichéennes entre deux grands ensembles flous car vidés de toute substance, des histoires montés de toute pièce pour désigner les effets indécidables d'une action publique particulière. Toute mythologie a son envers et son endroit, ses gentils et ses méchants (je te renvoie au fil sur l'anti-intellectualisme chez les idiots dans la section Discussion Générale), même celle qui concerne la ZAD. J'en donnerais un exemple plus tard, si tu continues à me lire.

Quant à la notion d'entraide, elle a sans doute quelque réalité, mais du point de vue des pleureuses publiques, ça donne une espèce de mélasse visqueuse de pathétique, variation du discours dominant sur le thème sur la mort d'une victime des forces répressives — certains atténuent et disent : les circonstances. Et rien sur la réalité de l'action à laquelle participait Rémi Fraisse; sa mort finit même par l'occulter, le temps de servir de toile de fond à la petite historiette. Voilà typiquement ce à quoi conduit l'entraide et la solidarité lorsqu'elle est portée aux néons des médias. Et je pense que tu devrais te sentir interpellé par ça, par cette manière qu'ils ont de neutraliser les effets d'une action politique par le spectacle de la solidarité et de l'entraide — c'est là tout mon propos. Non pas parce que c'est moralement dégueulasse, mais parce que tu prends cette affaire très au sérieux.


digger a écrit:
La violence n’a donc que peu de choses à voir avec le concept de ZAD. A moins bien sûr d’écouter le discours médiatique, politique, économique et policier, qui ne sont que les quatre têtes du même monstre.


Discours qui est une forme de violence que doivent donc prendre en compte les éléments révolutionnaires, qu'ils soient anarchistes ou communistes.

digger a écrit:
L’occupation de l’espace peut être "légal" ou "illégal". Il peut se faire en opposition à un projet, comme dans le cas des ZAD médiatisées, ou pas. Le concept rompt avec celui de "communautés" des années post-soixante huitardes dans le sens où elle n’ont pas pour seuls objectifs un mode de vie individuel, mais une insertion dans un tissu de luttes, locales, nationales et/ou internationales. Même si une partie de la population d’une ZAD peut être attirée avant tout par l’aspect "style de vie". Personne ne viendra te demander tes motivations.


Ce qui nuit fortement à l'efficacité de la chose. Un mode d'existence un tant soit peu réel ne vient pas au jour parce que les gens le veulent bien ou qu'ils s'en disent les représentants ("moi, je suis zadiste, je suis solidaire, etc."). Encore une fois, les volontés et les intentions individuelles comme les volontés "collectives" des entreprises de transformations de la société ne valent rien si elles ne prennent pas en compte les conséquences des structures de la société qu'elles cherchent à transformer. Les individus qui prennent l'action révolutionnaire au sérieux sont mus par une nécessité objective qui les dépasse, en cela, nous sommes d'accord. Mais on ne peut pas dire en même temps ce que tu dis. Des gens qui participeraient à ta ZAD avant tout pour leur éthique personnelle, et aussi vaguement pour transformer machin, j'appellerais ça des idiots, et ta ZAD une cour de récré qui fera les titres d'un nouvel article au Nouvel Obscène.

digger a écrit:
Tout cela se construit dans 99 % des cas, sans médiatisation et sans violence.
Ta conception de la réalité, de l’écrit, et de leur rapport t’appartient. Je pense seulement que si l’on veut peser sur une réalité, agir sur sa transformation, l’écrit atteint vite ses limites.


Mais oui, elle m'appartient à moi seul, bien sûr. Ce n'est pas le fonctionnement objectif de cette forme de communication qu'est l'écriture et le message sur forum, non, c'est un petit caprice individuel. Ce que je trouve limite pour ma part, c'est ce genre de déni.

digger a écrit:
Ce forum est ancré dans un vaste mouvement de luttes sociales où je ne vois pas trop "d’histoires à dormir debout". Le support n’a rien à voir là-dedans. Tes écrits sont de toute évidence, en décalage avec la manière d’aborder les sujets et de les discuter.


Et celles de qui, je te prie ?

digger a écrit:
Je n’y vois personnellement aucun inconvénient, si ils ne viennent pas y introduire des idées réactionnaires enveloppées dans un style chaloupé. Je lis ainsi tes tirades sur la violence, "ceux qui vendent leur lutte", "les centaines de militants surexcités", etc. et les interprète de la même manière qu’un article de Ouest-France sur Notre Dame des Landes, ou de Valls & co faisant le tri entre "bons" et "mauvais" opposants.


Il parle de "bons" et de "mauvais" opposants alors que je tire des constats objectifs. Avant de me faire emballer, dans mon "style chaloupé" (ce qui ne veut rien dire, mais ce n'est pas grave), les idées réactionnaires dont tu parles, je voudrais bien que tu les détailles. A moins que tu ne désignes par-là tout ce qui résiste à une compréhension rapide et superficielle de la situation.

digger a écrit:
Encore une fois, le support n’a rien à voir dans le fait que j’ai l’impression que tu fantasmes sur un sujet dont tu ne connais que ce que tu as lu à droite et à gauche, en n’en reprenant que les traits les plus caricaturaux.


Aucun inconvénient dans mon mode d'intervention ? On verra bien. En attendant, ce sera ma chaloupe contre tes vagues, mes caricatures contre tes images d'Epinal, mes lectures contre tes "réalités concrètes". Sur ces impressions qui ne me concernent pas, je te laisse; pour le reste, je t'attend.
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede Pïérô » 05 Nov 2014, 11:30

Boehme, cela fait essai de philo, avec un fond réac d’un “penseur” individualiste aristocratique qui se pense au dessus de la mêlée, et une mise en scène qui passe par le type qui vient faire la leçon en fouettant tout le monde, pour ensuite se faire passer pour une pauvre victime à la moindre réponse. Si l’on reste sur le terrain de la philo, ce qui peut s’entendre dans cette partie “Théorie” du forum, il semble que tu tiennes à condamner toute forme de résistance collective, et avec le culot tout méprisant de renvoyer dos à dos oppresseurs et oppressés, et sur le terrain de la pratique ou de la réflexion d’un pratiquant c’est complètement vide rapporté à ce qui fait aussi l’intérêt de ce forum. Bref, que viens tu faire ici si ce n’est pour rien partager ?
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede jipé64 » 07 Nov 2014, 11:34

Pour ceux que le sujet intéresse, voici un travail à ce propos d'un auteur que je ne connais pas (Xavier Bekaert) qui le dédicace à Hem Day... Il s'agit d'une anthologie qui peut permettre d'orienter ses lectures.

http://futurenoir.free.fr/index_htm_files/anthologie_de_la_revolution_nonviolente%20bekeart.pdf
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede niouze » 08 Nov 2014, 12:47

je poste ce lien interressant ici car il pose a mon sens une question interressante au debat c'est a dire qu'est ce que la violence ?
Un barrage contre le pacifisme, par Aurélien Berlan

http://lignesdeforce.wordpress.com/2014 ... en-berlan/
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Re: Anarchisme et non-violence

Messagede bipbip » 02 Oct 2017, 11:09

L’Anarchisme est-il synonyme de violence

L’Anarchisme est-il synonyme de violence ? par Alexandre Berkman.

Extrait de Now and After : The ABC of Communist Anarchism, New York, Vanguard Press, 1929, chapitre XIX. Traduit de l’anglais par Ni Patrie Ni Frontières.

L’Anarchisme est-il synonyme de violence

" Ami lecteur, tu as entendu dire que les anarchistes jettent des bombes, qu’ils croient en la violence, et que l’anarchie équivaut au désordre et au chaos.

Il n’est pas étonnant que tu aies ce genre d’idées. La presse, le clergé et tous ceux qui détiennent une parcelle d’autorité te serinent constamment ce mensonge. Mais la plupart d’entre eux savent parfaitement que c’est faux, même s’ils ont une bonne raison pour ne pas te le dire. Il est temps que tu entendes la vérité.

J’ai l’intention de te parler honnêtement et franchement. Tu peux me faire confiance, parce que je suis justement l’un de ces anarchistes que l’on accuse d’être partisans de la violence et de la destruction. Je sais de quoi je parle et je n’ai rien à cacher.

« L’anarchisme est-il vraiment synonyme de désordre et de violence ? » te demandes-tu.

Non, cher lecteur, c’est le capitalisme et l’État qui en sont les meilleurs agents. L’anarchisme incarne exactement l’idéal inverse parce que ce mouvement souhaite un ordre sans État, une paix sans violence.

« Mais une telle situation est-elle possible ? »

C’est ce dont nous allons discuter maintenant. Mais tu veux sans doute savoir d’abord si les anarchistes ont déjà jeté des bombes ou utilisé la violence.

Oui, cela leur est arrivé.

« C’est bien ce que je pensais ! t’exclames-tu. J’avais raison. »

Ne nous précipitons pas. Si les anarchistes ont parfois eu recours à la violence, cela veut-il forcément dire que violence et anarchisme vont toujours de pair ?

Pose-toi cette question et essaie d’y répondre honnêtement.

Quand un brave citoyen revêt l’uniforme de son pays, il peut être amené à lancer des bombes et à utiliser la violence. Diras-tu alors que tout citoyen est partisan des bombes et de la violence ?

Tu te récrierais avec indignation devant une telle affirmation.

« Cela signifie simplement, répondrais-tu face à une telle accusation, que, dans certaines circonstances, un homme peut être amené à utiliser la violence. Et ce qu’il soit démocrate, monarchiste, socialiste, bolchevik ou anarchiste. »

Tu découvriras que cela s’applique à tous les êtres humains et à toutes les époques.

Brutus tua César car il craignait que son ami trahisse la République et devienne roi. Il n’a pas commis cet acte parce qu’il « aimait moins César mais qu’il aimait davantage Rome ». Brutus n’était pas un anarchiste, mais un républicain loyal.

Selon la légende, Guillaume Tell tua un tyran pour débarrasser son pays de l’oppression. L’archer suisse n’avait jamais entendu parler de l’anarchie.

Depuis des temps immémoriaux, des despotes ont été abattus par des hommes indignés qui éprouvaient une véhémente passion pour la liberté. On les considère comme des rebelles qui ont lutté contre la tyrannie. C’étaient généralement des patriotes, des démocrates ou des républicains, parfois des socialistes ou des anarchistes. Leurs actes exprimaient la révolte individuelle contre l’injustice. L’anarchisme n’avait rien à voir avec tout cela.

A une époque, dans la Grèce antique, assassiner un despote était faire preuve de la plus haute vertu. La loi moderne condamne de tels actes, mais le sentiment général n’a guère varié sur ce plan-là. Le tyrannicide ne suscite toujours pas l’indignation. Même si on ne l’approuve pas publiquement, on excuse de tels actes et souvent on s’en réjouit secrètement. Des milliers de jeunes patriotes américains n’ont-ils pas exprimé ouvertement le désir d’assassiner le Kaiser [l’empereur d’Allemagne] qu’ils tenaient pour responsable du déclenchement de la guerre mondiale ? Un tribunal français n’a-t-il pas récemment acquitté l’homme qui avait tué Petlioura pour venger les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants assassinés au cours des pogromes organisés par ce sinistre individu contre les Juifs de la Russie méridionale ?

Dans chaque pays, à toutes les époques, il y a eu des tyrannicides : des hommes et des femmes qui aimaient leur pays suffisamment pour sacrifier leur propre vie pour lui. Généralement ils n’appartenaient à aucun parti politique et ne défendaient aucune idéologie politique, ils haïssaient tout simplement la tyrannie. Parfois, c’étaient des fanatiques religieux comme le catholique Kullman, qui essaya d’assassiner Bismarck, ou Charlotte Corday qui tua Marat durant la Révolution française.

Aux États-Unis, trois présidents ont été victimes d’assassinats individuels. Lincoln a été abattu en 1865, par John Wilkes Booth, un démocrate du Sud ; Garfield, en 1881, par Charles-Jules Guiteau, un républicain ; et McKinley, en 1901, par Leon Czolgosz. Sur les trois un seul était anarchiste.

Les pays qui vivent sous le joug des pires oppresseurs sont ceux qui produisent le plus de tyrannicides, ce qui est normal. Prenez, par exemple, la Russie. Dans la mesure où la liberté de parole et la liberté de la presse avaient été complètement supprimées sous les tsars, il n’existait pas d’autre moyen d’intimider un régime aussi despotique que d’« instiller la peur de Dieu » dans le cœur du tyran.

Ces jeunes vengeurs étaient le plus souvent issus de la plus haute noblesse, ils aimaient la liberté et le peuple. Dans la mesure où toutes les autres issues politiques étaient bouchées, ils se sentaient obligés d’employer le pistolet et la dynamite dans l’espoir d’adoucir un peu la condition misérable de leur compatriotes. On les appelait des nihilistes et des terroristes. Ce n’étaient pas des anarchistes.

A l’époque actuelle, les actes individuels de violence politique se produisent plus fréquemment que dans le passé. Les suffragettes anglaises, par exemple, ont fréquemment employé la violence pour faire connaître et imposer leurs revendications d’égalité des droits. En Allemagne, depuis la guerre, les hommes les plus réactionnaires ont utilisé de telles méthodes dans l’espoir de restaurer la monarchie. C’est un royaliste qui a tué Karl Erzberger, le ministre prussien des Finances ; et Walter Rathenau, ministre des Affaires étrangères, a aussi été abattu par un militant du même courant politique.

La cause originelle, ou en tout cas le prétexte, de la [première] guerre mondiale a été l’assassinat de l’héritier du trône d’Autriche par un patriote serbe qui n’avait jamais entendu parler de l’anarchisme. En Allemagne, en Hongrie, en France, en Italie, en Espagne, au Portugal et dans chacun des autres pays d’Europe, des hommes ayant des opinions politiques très diverses ont eu recours à la violence, pour ne pas parler de la terreur politique, que pratiquent des organisations structurées comme les fascistes en Italie, le Ku-Klux-Klan en Amérique ou l’Église catholique au Mexique.

Tu vois donc, ami lecteur, que les anarchistes n’ont pas le monopole de la violence politique. Le nombre d’actes de violence commis par des anarchistes est infime, si on le compare à ceux commis par des individus partageant d’autres idéaux.

En vérité, dans chaque pays, dans chaque mouvement social, la violence fait partie des méthodes de lutte depuis des temps immémoriaux. Même Jésus le Nazaréen, qui prônait l’évangile de la paix, a eu recours à la violence pour expulser les marchands du temple.

Comme je te l’ai dit, les anarchistes n’ont pas le monopole de la violence. Au contraire, l’anarchisme prône la paix et l’harmonie, respecte l’intégrité personnelle, et défend le caractère sacré de la vie et de la liberté. Mais les anarchistes sont des êtres humains comme les autres, et peut-être encore davantage. Ils sont plus sensibles à l’injustice, ils réagissent plus rapidement face à l’oppression et sont donc enclins à exprimer parfois leur protestation sous une forme violente. Mais de tels actes sont l’expression de leur tempérament individuel, pas d’une théorie particulière.

Tu te demandes peut-être, ami lecteur, si les idées révolutionnaires n’encouragent pas la violence chez certains individus. Je ne le pense pas, parce que nous avons vu, au cours de l’Histoire, des individus parfaitement réactionnaires employer des méthodes violentes. Si des êtres humains aux positions politiques opposées commettent des actes semblables, il n’est guère sensé d’affirmer que leurs idées sont responsables de leurs actes.

Des résultats semblables découlent de la même cause, mais celle-ci n’est pas liée à des convictions politiques communes, mais plutôt à des tempéraments individuels et à une attitude générale de la société face à la violence.

« Tu as peut-être raison lorsque tu évoques le rôle de la personnalité individuelle, m’objecteras-tu. En effet, je me rends bien compte que les idées révolutionnaires ne sont pas la cause de tous les actes de violence politique qui se produisent sur terre, sinon ils seraient tous commis par des militants révolutionnaires. Mais tes conceptions ne justifient-elles pas en partie de tels actes ? »

A première vue, ami lecteur, tu sembles avoir raison. Mais si tu réfléchis à la question tu découvriras ton erreur. La meilleure preuve en est que les anarchistes, s’ils défendent exactement les mêmes positions sur la nature de l’État et la nécessité de l’abolir, sont souvent en désaccord total à propos de la violence. Ainsi les anarchistes influencés par les idées de Tolstoï et la plupart des anarchistes individualistes condamnent la violence politique, tandis que d’autres anarchistes l’approuvent, ou au moins la justifient.

Est-il raisonnable alors d’affirmer que les conceptions anarchistes sont responsables de la violence ou influencent, d’une façon ou d’une autre de tels actes ?

De plus, de nombreux anarchistes qui ont cru à une époque à la violence comme moyen de propagande ont changé d’opinion à ce sujet et ne soutiennent plus l’utilité de ces méthodes. A une époque, par exemple, les anarchistes prônaient des actes de violence individuelle, ce que l’on a appelé la « propagande par le fait ». Ils ne pensaient pas que ces actes allaient permettre de remplacer l’État et le capitalisme par l’anarchie, et ils ne croyaient pas non plus que l’exécution d’un despote abolirait le despotisme. Non, le terrorisme était pour eux un moyen de venger un crime commis contre le peuple, d’inspirer de la peur à l’ennemi, et aussi d’attirer l’attention sur le mal contre lequel l’acte terroriste était dirigé. Mais la plupart des anarchistes aujourd’hui ne croient plus à la « propagande par le fait » et ne soutiennent pas des actes de ce type.

L’expérience leur a appris que, si de telles méthodes ont pu être justifiées et utiles par le passé, les conditions de la vie moderne les rendent inutiles et même nuisibles à la diffusion de leurs idées. Mais leur idéal n’a pas changé ; par conséquent ce n’est pas l’anarchisme qui a façonné autrefois leur attitude vis-à-vis de la violence. Il n’est pas donc pas du tout sûr que ce soient certaines idées ou doctrines en « isme » qui conduisent à la violence. Les causes de la violence sont à mon avis d’une origine différente.

Quelle est donc la bonne explication ?

Comme nous l’avons vu, des actes de violence politique sont commis non seulement par des anarchistes, des socialistes et des révolutionnaires de toute tendance, mais aussi par des patriotes et des nationalistes, des démocrates et des républicains, des suffragettes, des conservateurs et des réactionnaires, des monarchistes et des royalistes, et même des religieux et de fervents chrétiens.

Nous savons maintenant que ce n’est sans doute pas une idée ou une idéologie particulière qui a influencé leurs actes, parce que les idées et les « ismes » les plus différents ont provoqué des actes semblables. Ceux-ci s’expliquent, à mon avis, par leur tempérament individuel et par un sentiment général à propos de la violence.

Tel est le cœur du problème. Que pensent la majorité des êtres humains à propos de la violence ? Si nous pouvons répondre correctement à cette question, la solution nous apparaîtra clairement.

Si nous sommes honnêtes, il nous faut admettre que chacun de nous croit en la violence et la pratique, même s’il la condamne parfois chez les autres. En fait, toutes les institutions humaines et la vie de la société actuelle sont fondées sur la violence.

Qu’appelons-nous l’État ? S’agit-il de quelque chose d’autre que de la violence organisée ? La loi t’oblige à faire ceci ou t’interdit de faire cela, et si tu n’obéis pas, elle t’y oblige par la force. A cette étape de notre raisonnement, nous ne cherchons pas à déterminer si une telle situation est juste ou injuste, si cela devrait ou ne devrait pas être ainsi. Nous nous contentons d’établir un constat : tout État, toute loi et toute autorité reposent en dernière analyse sur la force et la violence, sur la punition ou la peur de la punition.

Demande-toi donc, ami lecteur, pourquoi même l’autorité spirituelle, l’autorité de l’Église et de Dieu, repose sur la force et la violence. Parce que la peur de la colère et de la vengeance divines exerce son pouvoir sur toi, qu’elle t’oblige à obéir et même à croire contre ta propre raison.

Quelle que soit la direction que prendra ton regard, tu découvriras que toute notre vie est construite sur la violence ou la peur de la violence. Depuis la plus tendre enfance, tu es soumis à la violence de tes parents ou des adultes. A l’école, à la maison, au bureau, à l’usine, à la boutique ou dans les champs, tu as toujours affaire à l’autorité d’un individu qui réclame ton obéissance et t’oblige à exécuter sa volonté.

Le droit de t’obliger à faire quelque chose s’appelle l’autorité. On a transformé la peur de la punition en une obligation : l’obéissance.

Nous grandissons tous dans cette atmosphère de force et de violence, d’autorité et d’obéissance, de devoir, de peur et de punition. Elle imprègne chaque jour de notre vie. Nous baignons tellement dans l’esprit de la violence que nous ne nous demandons même pas si elle est juste ou erronée, mais seulement si elle est légale, si la loi l’autorise.

Tu ne remets pas en question le droit de l’État de tuer, de confisquer des biens ou de jeter en prison des individus. Si une personne privée était coupable des choses que l’État fait tout le temps, tu la dénoncerais comme un assassin, un voleur et un escroc. Mais tant que la violence est « légale », tu l’approuves et tu t’y soumets. Tu n’es donc pas fondamentalement opposé à la violence, mais seulement à ceux qui l’utilisent « illégalement ».

La violence légale et la peur qu’elle engendre dominent toute notre existence, individuelle et collective. L’autorité contrôle notre vie du berceau jusqu’à la tombe : autorité parentale, ecclésiastique, divine, politique, économique, sociale et morale.

Mais quel que soit le niveau de cette autorité, elle se résume toujours à une puissance supérieure qui t’impose son pouvoir par la peur du châtiment. Tu as peur de Dieu et du diable, des prêtres et de tes voisins, de ton patron et de ton employeur, du député et du policier, du juge et du gardien de prison, de la loi et de l’État. Toute ta vie est une longue chaîne de peurs qui blessent ton corps et lacèrent ton âme. C’est sur ces peurs que se construit l’autorité de Dieu, de l’Église, des parents, des capitalistes et des dirigeants.

Prends un moment pour réfléchir et demande-toi si mes propos ne sont pas fondés. Pourquoi donc un enfant de dix ans maltraite-t-il son frère ou sa sœur plus jeunes en se servant de sa force physique ? Pour la même raison que le patron de leur père harcèle son employé en se servant de sa position de force et parce que la survie de l’enfant dépend du travail de son père. Tu supportes l’autorité du prêtre ou du pasteur parce que tu penses qu’ils peuvent « appeler la colère de Dieu » sur ta tête. Tu te soumets à la domination des patrons, des juges et de l’État, parce qu’ils ont le pouvoir de te priver de ton travail, de ruiner ton commerce, de te jeter en prison — un pouvoir que tu leur as d’ailleurs toi-même octroyé.

L’autorité régit donc ta vie, l’autorité du passé et du présent, des morts et des vivants, et ta vie personnelle est constamment l’objet d’intrusions, d’agressions, elle est assujettie aux pensées et à la volonté d’autres personnes.

Et puisque ton intégrité personnelle est envahie et violée, tu te venges inconsciemment en envahissant et violant l’intégrité d’autres personnes sur lesquelles tu exerces ton autorité ou ton pouvoir de contrainte, physique ou morale. C’est ainsi que la vie devient un univers où dominent l’autorité, la contrainte et la soumission, l’ordre et l’obéissance, la coercition et la sujétion, les rapports entre dirigeants et dirigés, la violence et la force, sous mille formes différentes.

Comment s’étonner alors du fait que même les idéalistes sont prisonniers des filets de l’autorité et de la violence ? Qu’ils sont souvent poussés par leurs sentiments et leur milieu à des actes intrusifs aux antipodes de leurs idées ?

Nous sommes encore tous des barbares qui ont recours à la force et à la violence pour régler nos doutes, nos difficultés et nos soucis. La violence est l’arme des ignorants et des faibles. Ceux qui ont un cœur et un esprit solides n’ont nul besoin de la violence car la conscience d’avoir raison leur procure une volonté irrésistible. Plus nous nous éloignons de l’homme primitif et de l’âge de pierre, moins nous aurons besoin d’avoir recours à la force et à la violence. Plus l’esprit de l’homme sera éclairé, moins il emploiera la contrainte et la coercition. L’être humain véritablement civilisé se débarrassera de toute peur et de toute autorité. Il se relèvera et se tiendra fièrement debout ; il ne courbera la tête devant aucun tsar, sur terre comme au ciel. Il deviendra totalement humain lorsqu’il refusera de diriger et d’être dirigé. Il ne sera vraiment libre que le jour où il n’y aura plus de maîtres sur cette terre.

L’anarchisme prône une société sans force et sans oppression, où tous les hommes seront égaux et vivront dans la liberté, la paix et l’harmonie.

Le mot anarchie vient du grec, et signifie un ordre sans force, sans violence, sans État, parce que L’état est la source de la violence, de la contrainte et de la coercition.

L’anarchie n’est donc pas synonyme de désordre et de chaos, comme tu le pensais, ami lecteur. Au contraire, l’anarchie est même l’inverse, elle signifie la disparition de l’État, c’est-à-dire la liberté. Le désordre est l’enfant de l’autorité et de la contrainte. La liberté est la mère de l’ordre.

« C’est en effet une belle idée, me diras-tu, mais elle ne convient qu’à des anges. »

Tu as raison. C’est pourquoi nous devons nous demander comment acquérir les ailes nécessaires pour créer une société idéale. "

Alexandre Berkman


http://www.socialisme-libertaire.fr/201 ... lence.html
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