de Grouni.G » 24 Fév 2016, 16:37
Salut
Vivant actuellement en Corse, à Bastia, depuis 1 an et demi, je vais tenter de rajouter quelques observations sur la situation insulaire.
La première question que je me pose en lisant ce texte est d’où sortent les chiffres avancés ?
Corte ne rassemble pas tous les étudiant-es effectuant des études supérieures. Les écoles, les facultés sont toutes très dispatchées sur l’ensemble du territoire.
La langue corse est obligatoire dans toutes les maternelles. Elle est également utilisée au sein des crèches. Plusieurs collèges et primaires sont bilingues (français/corse).
Pour autant, très peu de corses parlent couramment le corse. Elle est essentiellement utilisée par les anciens. La ré-introduction de cette langue dans les écoles est récente. Néanmoins, il y a de plus en plus de supports en langue corse, principalement tournée vers les enfants (le livre pour enfant, Loup, par exemple, est écrit en corse pour une histoire, le dessin animé Yakari est vendu en langue corse (DVD), des chansons, des pièces de théâtre, etc…) Il y a une radio corse qui est bilingue.
Il ne faut pas omettre que la langue corse n’est pas la même en haute corse (très proche du génois) et en corse du sud (très proche du sarde).
En ce qui concerne la vie chère….
C’est un peu plus complexe.
Les bistrots (alcool, café, jus etc…) sont beaucoup moins chers que sur le continent.
Le tabac également puisqu’il n’y a pas de taxe (les corses fument pas mal)
Les restos sont plus ou moins aux mêmes prix.
L’essence y est très chère. Les corses y sont très dépendants (ils ont tous et toutes au minimum une voiture, en moyenne 2).
Les transports en commun sont très peu couteux mais rares (1 seul train, de Bastia à Ajaccio : 6heures !! alors qu’en voiture 2h30 environ), quelques bus et navettes gratuites… mais cela reste très concentré sur les plus grosses villes.
Les corses sont très attachés aux productions locales (fromages, vin, charcuterie, pèche locale, viande issue de la chasse). Par ailleurs beaucoup sont chasseur-es et/ou pécheur-es. Dans les bistrots, nous ne pouvons consommer que de la bière locale.
Mais ils favorisent le local y compris dans les grandes surfaces. Les industries corses, bien que petites, produisent, par exemple, de la charcuterie corse avec des cochons non corses.
En ce qui concerne le bétonnage du littoral… c’est tout de même relatif !
C’est d’ailleurs, par les diverses actions des nationalistes que ce littoral est préservé. Malgré tout, ces actions ont laissé des bouts de baraques à moitié détruites ou construites…
Il faut savoir qu’ici, il y a des tombes partout. Jusqu’à pas si longtemps, les morts étaient enterrés sur la propriété. Lorsqu’ils construisent, ils ne peuvent déterrer un mort sans l’accord de la famille, anciennement propriétaire. Je vous laisse imaginer le bordel que ça crée quand un continental achète un terrain et qu’au moment où il construit sa maison, il tombe sur un mort, que la famille ne veut pas déterrer…
Les deux grands projets des nationalistes : officialiser la langue corse et mettre en place un statut de résident (il faut y avoir résidé 5 ans pour acheter en corse), ce qui pose un problème pour la diaspora corse.
Il y a plus de corses sur le continent que sur l’ile. Comment peuvent-ils acheter s’ils n’y vivent pas ?!
La charte de la langue corse a été signé par toutes les administrations locales (l’entête du département, CTC, écoles, crèches, etc… sont bilingues).
En ce qui concerne la situation économique, il faut bien différencier la corse du sud, où le taux de chômage et de personnes en situation de précarité équivaut plus ou moins à celui du continent, et la haute corse où il y a une forte précarité.
Tout est une question de densité. En corse du sud, les individus sont en grande majorité concentrés à Ajaccio. En haute corse, la densité est plus faible et est très éparse.
C’est une des raisons pour lesquelles, le bastion nationaliste a toujours été en haute corse, le sud étant beaucoup plus à droite. En gagnant bastia, ils ont remporté le reste ! (A bastia, les corses disent: "bastia, la ville du peuple, Ajaccio, la ville balnéaire")
La politique de la ville s’étend aux zones rurales et montagneuses. Néanmoins, pour que politique de la ville y ait, il faut une densité suffisamment forte. Ce qui n’est pas le cas en haute corse, mise à part quelques villes concernées (Bastia, Calvi, ile rousse, Corte).
Il y a une forte précarité en haute corse, y compris masquée (aides très développées intrafamiliales).
Il y a beaucoup de logements insalubres où se sont les propriétaires qui y vivent et cela n’apparait pas dans les chiffres.
De plus, la façade est très importante (manière d’être, belles bagnoles etc…)
Il y a ici une entraide et une pression sociales très fortes, qui se mêlent afin de se verrouiller sur elle-même.
Il existe de nombreux services médico-sociaux y compris une prévention spécialisée à bastia !
Mais il faut savoir que les corses, en situation de précarité, ne vont pas aller, par exemple, dans les épiceries solidaires, centre sociale, PMI, maison familial, planning familial, etc…. il n’y a que des personnes issues de l’immigration qui y vont. Ce qui entretien les propos racistes (« c’est pour les marocains »).
Il faudrait lire le livre de Marie Peretti-Ndiaye, Le racisme en Corse, Quotidienneté, spécificité, exemplarité. J’ai le livre, mais je n’ai pas encore trouvé le temps de m’y plonger…
Il faut également préciser que la société corse est profondément traditionnelle, en opposition aux sociétés modernes. Malgré le fait qu’il y ait des divergences avec la typographie établit des sociétés traditionnelles tel que, par exemple, le taux de natalité qui est ici assez bas, en comparaison avec la moyenne nationale. Cependant, tel que l’affirme Durkheim, lorsqu’il compare les sociétés traditionnelles aux sociétés modernes, nous retrouvons, en Corse, une cohésion centrale fondée sur une communauté de croyances, voire religieuse. Les pouvoirs publics se portent garants de la stabilité des fondements de cette cohésion par la promulgation de traditions en mettant en place, par exemple, des institutions qui portent cette légitimité symboliques traditionnalistes.
Il n’est pas souhaitable, en Corse, d’occasionner des comportements « déviants ». Non pas que dans une société moderne ça le soit. Pour autant, les individus qui vont à l’encontre, sur le continent, de l’état par exemple, devront faire face aux jugements médiatiques, dans le pire des cas à la police, à la justice. En Corse, c’est le peuple directement qui va s’affairer à cette tâche. Il va faire bloc et sévèrement réprimer les personnes qui s’aventurent sur le chemin de la déviance. Tout le monde se connait. Tout se sait.
Il en va de la stabilité de la société Corse.
Il est encore possible de trouver une multitude de comportements, d’opinions au sein d’une société moderne, ce qui est difficilement le cas en Corse.
Un corse en Corse prendrait de très gros risque à désobéir vis-à-vis des règles instituées par ici. Par contre au vu de l’Etat français, il semblerait, dans un imaginaire plus ou moins collectif, que le corse désobéit aux règles et aux lois imposées par l’Etat. Le corse et le français aiment y croire. Mais est-ce vraiment le cas… j’ai des doutes. A voir. Je vais me renseigner.
Néanmoins, les corses sont particulièrement accueillants et bienveillants. Ils sont prêts à tout partager si on intègre la norme. Il y a ici une solidarité visible, réelle, qui peut s’avérer, par moment, destructrice dans le sens où il y a un repli, sur ce peuple, flagrant et conservateur.
Juste, pour finir, il est un peu tôt, à mon sens, pour établir un bilan sur la politique nationaliste. Ils viennent d’arriver au pouvoir même si, en même temps, nous parlons d’enjeux de pouvoir et, finalement, ne suivent-ils pas toujours plus ou moins le même schéma ?!
A bientôt!
Grouni