1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénovation

En marge de la « plate-forme » (Berneri)

Messagede Phébus » 29 Sep 2009, 01:44

Un texte critique de l'anarchocommuniste italien Berneri que j'ai trouvé sur le site de la CNT-AIT. Il me semble que s'il est légèrement à côté sur certains aspects, il est en plein dedans sur d'autres. À méditer.

« L'anarchisme est une idéologie de masses ». La plate-forme dit : « La lutte de classes, créée par l'esclavage des travailleurs et par leurs aspirations à la liberté, fit naître dans le milieu des opprimés l'idée de l'anarchisme : l'idée de la complète négation du système de communauté basé sur le principe des classes et de l'Etat, l'idée de la substitution de ce système par une société libre et non étatiste de travailleurs s'administrant eux-mêmes. » Les penseurs éminents de l'anarchisme ont trouvé — selon la plate-forme — cette idée dans l'action populaire, et n'ont fait que l'élaborer et la propager.

Je ne suis absolument pas d'accord avec la plate-forme. Que l'anarchisme soit, en grande partie, représenté et réalisé dans l'action insurrectionnelle des masses, qui détruisent l'Etat et renversent la domination bourgeoise ; que l'action populaire soit pour nous la meilleure, parce que capable des plus grands développements et plus féconde que toute autre expérience collective ; que dans certaines formes politiques populaires (mir, corporation, commune) il faille voir un ensemble d'éléments polarisateurs et des signes d'aménagement d'un nouvel ordre autodémocratique, j'en suis fortement persuadé, mais dans l'action populaire insurrectionnelle je vois plus d'effets anarchistes que d'intentions anarchistes ; je ne crois pas que le rôle des anarchistes dans la révolution doive se limiter à « supprimer les obstacles » qui s'opposent à la manifestation de la volonté des masses ; je vois de graves dangers et nombre de difficultés dans les égoïsmes municipaux et corporatifs.

Kropotkine, historiographe, a vu clair, en valorisant l'action des masses en relation et contre les partis autoritaires et l'Etat centralisateur. Il était, à l'égard du passé, préparé à se placer sur le terrain relativiste, et à observer sous l'angle des approximations. Le mir avec ses anachronismes, la commune médiévale, autoritaire dans sa structure intime, l'anarchisme communaliste des masses populaires de la Révolution française, lui parurent, justement, des forces novatrices, libertaires, modernes, par leur fonction historique anti-étatique. Mais quand il se transporta sur le terrain politique et regarda l'avenir, Kropotkine sublima les masses. L'Etat abattu, nous voulons une puissance reconstructive qui en reprenne et en perfectionne les fonctions vitales, publiques. Kropotkine lui substitue l'initiative populaire. Ce génie collectif, cette volonté protéiforme à la fois harmonieuse n'a ni trêve ni recours. Elle est saturée d'anarchisme. Les anarchistes peuvent se fondre sur elle, qui ne fait que multiplier leurs efforts et que réaliser leurs idées. Il n'y a tout au plus qu’à lever un drapeau, à désigner quelque obstacle ou à lancer une idée. Il n'y a tout au plus qu'à repousser la tentative des jacobins de diriger l'action populaire.

Kropotkine, historiographe et ethnologue, vit en puissance, l'anarchisme intégral dans l'anarchisme relatif des masses en révolte ou dans les masses vivant en dehors de l'orbite étatiste. Avec un optimisme naïf, il projeta le second dans la révolution sociale de l'avenir et crut que tout devrait se développer non par une série d'expériences plus ou moins heureuses, mais par un acte de volonté. Et il ne vit pas que si le mir était un élément représentatif, dans le domaine sociologique, d'une communauté extra-étatique, il était un élément de bien peu d'importance face à un processus qui embrasse toute la vie sociale d'une nation, laquelle trouve dans l'Etat une grande partie de ses fonctions vitales. Le problème de la substitution du charbon par l'électricité doit être posé et considéré en relation avec une économie où il y a du charbon, des hauts-fourneaux, et des cours d'eau qui permettent d'implanter des centrales. Kropotkine, le plus souvent, nous renvoie à la navigation fluviale, à l'éclairage au pétrole et aux moulins à vent.

La valeur des associations ? Très grande. Mais certaines associations touristiques, culturelles, etc., chères à Kropotkine, sont bien peu de chose, ne recelant pas de contrastes et ayant un champ très particulier d'activité ; elles sont bien différentes des associations ouvrières, sociétés dans la société plus qu'associations. Maçons et locataires, cheminots et voyageurs, producteurs et consommateurs ne se trouvent pas en opposition dans un club d'alpinistes, mais ils se trouveraient difficilement en accord s'ils devaient demain résoudre des problèmes où l'intérêt commun peut s'opposer à celui des corporations, des catégories. Par exemple, les mineurs de lignite ne sont pas en opposition aujourd'hui avec les paysans parce que l'Etat fait payer aux contribuables le protectionnisme dont bénéficient les patrons de ces mines.

Mais lorsque la commune de S. Giovanni Valdarno devra décider si elle continue ou non l'exploitation de la lignite, les associations de paysans et de mineurs seront probablement en désaccord. Ainsi en va-t-il pour les communes. La commune riche en eau paie ses impôts à l'Etat, qui en prendra une partie, même minime, et construira un aqueduc qui amènera cette eau à la commune voisine. La fédération des communes fera de même. Et ne devra-t-on pas lutter contre l'égoïsme des communes riches en eau ?

Une infinité d'égoïsmes particuliers et collectifs s'opposent, freinent, dévient l'initiative populaire. Et puisque, surtout dans les campagnes, après l'intérêt commun (union contre le patron pour arracher des améliorations) vont apparaître des intérêts particuliers et opposés, la vie de certaines associations sera mise en danger ou anéantie.
On souligne que l'initiative populaire ne conserve pas toujours son élan après la période révolutionnaire et qu'on
peut craindre le laisser-faire sur le plan politico-administratif. Si le mouvement anarchiste ne trouve pas le courage de considérer son isolement, spirituellement, il n'apprendra pas à agir comme initiateur et comme propulseur. S'il n'acquiert pas l'intelligence politique, qui naît d'un pessimisme serein et rationnel (ce qui est, en fait, le sens de la réalité) et de l'examen attentif et clair des problèmes, il ne saura pas multiplier ses forces en trouvant l'appui et la coopération des masses.

Il faut sortir du romantisme. Voir les masses, je dirai, de façon sceptique: Il n'y a pas de peuple homogène, mais des foules variées, des catégories. Il n'y a pas de volonté révolutionnaire des masses, mais des moments révolutionnaires, où les masses sont de formidables leviers. Il est facile d'être avec le peuple tant qu'il s'agit de crier : « Vive ! A bas ! En avant ! Vive la révolution ! » ou simplement de se battre. Mais vient ensuite le moment où l'on se demande : « Que faisons-nous ? Il faut avoir une réponse, non pour jouer le rôle de chefs, mais pour éviter que la foule ne s'en donne de nouveaux.

« Tactique unique » veut dire tactique uniforme et continue. Au nom de la « tactique unique », la plate-forme est conduite à simplifier le problème de l'action anarchiste au sein de la révolution. Si nous voulons arriver à une révision puissante de notre force révolutionnaire non négligeable, il faut que nous nous débarrassions des apriorismes idéologiques et des faciles remises au lendemain des problèmes tactiques et de reconstruction. J'écris « de reconstruction » car le plus grand danger qui freine et détourne la révolution réside dans les tendances conservatrices des masses.

Camillo Berneri (1927)

D’autres textes en téléchargement sur : http://cnt.ait.caen.free.fr
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1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénovation

Messagede Pïérô » 22 Nov 2009, 19:57

Page importante dans l'histoire du mouvement anarchiste, article paru dans "Alternative libertaire" de dècembre 2007. (Je ne le "quote" pas pour une meilleure lisibilité à mon gout )
Dans la mesure où une partie importante du mouvement anarchiste organisé, et au niveau international aussi, se réfère au plateformisme, en terme général et pas forcément dans les termes de la plateforme de 27, il me parraissait important que figure une présentation historique en même temps qu'un regard actuel dans cette rubrique du forum.

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1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénovation


Le traumatisme de la Première Guerre mondiale, l’expérience de la révolution russe et l’échec de la vague révolutionnaire de 1919-1920 en Europe ont entraîné de profondes remises en question pour le mouvement ouvrier.

L’anarchisme n’y a pas échappé, et plusieurs tentatives de rénovation théorico-pratique ont existé à partir de 1919, que ce soit avec le « premier Parti communiste » de Raymond Péricat ou avec la Fédération communiste libertaire du Nord (FCL) de Georges Bastien [1]. En Italie, c’est la revue Pensiero e Volontà animée par le vieux Malatesta, Fabbri et Camillo Berneri, qui s’est attaquée à la doxa kropotkinienne. La dernière de ces tentatives, la Plate-forme des anarchistes russes en exil, publiée en juin 1926, est la plus aboutie et la plus ambitieuse. C’est également celle qui va déchaîner le plus de polémiques.

Dans les années 1920, la France est une terre d’asile pour les révolutionnaires persécutés de toute l’Europe et, parmi elles et eux, ce sont incontestablement les anarchistes russes et ukrainiens, auréolés de leur participation à la plus grande révolution des temps modernes, qui polarisent les discussions. Il s’agit entre autres de Voline, Piotr Archinov, Ida Mett, et Nestor Makhno, l’ex-commandant de l’armée insurgée d’Ukraine, la « Makhnovstchina ». Ils et elles forment le « Groupe des anarchistes russes à l’étranger » et animent la revue Diélo Trouda (« La Cause du Travail »).

Le Diélo Trouda dresse un bilan sans concession du mouvement anarchiste, stigmatisant l’éparpillement et la désorganisation qui, en Russie, l’ont mené à sa perte. S’attachant à y remédier, le groupe édite en juin 1926 une brochure de 16 pages intitulée Plate-forme organisationnelle de l’union générale des anarchistes, sous-titrée « projet ». Son édition en français – Voline en est le traducteur – témoigne de la volonté de porter d’emblée le débat hors du milieu russe en exil et de percuter le mouvement libertaire international. Cet opuscule est le point de départ de la polémique.

Un texte dans l’air du temps

La Plate-forme est bien accueillie dans l’Union anarchiste communiste, l’organisation française à laquelle Makhno et Archinov vont bientôt adhérer. L’organisation est elle-même en pleine évolution. De façon presque concomitante à la publication de la Plate-forme, elle a adopté, en congrès à Orléans, un manifeste à forte dominante communiste libertaire. Encore un an, et l’UAC va adopter officiellement les thèses de la Plate-forme, lors de son congrès de Paris, fin octobre 1927. Elle se rebaptise à cette occasion Union anarchiste communiste révolutionnaire (UACR).

Cela faisait plusieurs années que l’UAC mûrissait en ce sens, la majorité se lassant de voir certains groupes adhérer « en touristes », venir dans les congrès comme au spectacle, et en repartir sans volonté de mettre en application les orientations débattues [2]. Désormais, il est précisé que l’UACR « n’accepte pas en son sein les anarchistes individualistes même partisans de l’organisation » [3]. L’organisation réaffirme son caractère fédéraliste ; les cotisations régulières deviennent la règle ; une commission administrative est mandatée, chargée de veiller à la mise en œuvre des décisions décidées en congrès.

Cette transformation va toutefois se faire au prix d’une scission. Il faut dire que, sept mois avant le congrès, une violente polémique avait éclaté au sujet de la Plate-forme.

En avril 1927 a paru un pamphlet de 40 pages couramment appelé Réponse à la Plate-forme et signé de plusieurs Russes dont, au premier plan, Voline [4]. Le ton de la brochure est particulièrement violent puisqu’il y est asséné que les plate-formistes veulent rien moins que « bolcheviser » l’anarchisme ! Chaque point de la Plate-forme y est décortiqué et réfuté. Le caractère de classe de l’anarchisme ? Il est nié, l’anarchisme étant également une conception « humanitaire et individuelle ». La partie constructive de la Plate-forme ? C’est un déguisement de la « période de transition » étatique à la sauce léniniste. Les principes organisationnels sont, eux, assimilés à de la discipline de caserne. Même la défense de la révolution, inspirée de la Makhnovstchina, est réprouvée. Les auteurs de la Réponse y voient la « création d’un centre politique dirigeant, d’une armée et d’une police se trouvant à la disposition de ce centre, ce qui signifie, au fond, l’inauguration d’une autorité politique transitoire de caractère étatique » [5].

La Réponse, enfin, développe une idée, déjà exprimée par Voline depuis quelques années, mais qui va faire florès. L’anarchisme serait divisé en trois courants : communiste libertaire, anarcho-syndicaliste et individualiste. L’objectif devrait être de les réconcilier pour accoucher d’une « synthèse » qui serait la base de l’anarchisme moderne [6]. Mais tant que ce travail de synthèse théorique n’aurait pas été effectué, il ne faudrait surtout pas d’organisation anarchiste.

Après la publication de ce fascicule, la controverse s’emballe. S’étalant largement dans la presse anarchiste, elle va faire rage jusqu’en 1931.

« Bolchevistes » contre « dilettantes »

Si Makhno et Archinov balaient sans trop de peine les accusations de bolchevisme – n’oublions pas le prestige qui entoure l’épopée de la Makhnovstchina – ils vont plus loin et s’attaquent au postulat fondamental de Voline, à savoir l’existence des trois courants d’une même famille anarchiste. Pour eux, si les anarchistes appartiennent à une famille, c’est exclusivement à celle du mouvement ouvrier, à ses valeurs, à ses luttes, à ses organisations de classe. Les individualistes se situent en-dehors du mouvement ouvrier, donc en-dehors de l’anarchisme. Les passages de la Réponse sur la nécessaire synthèse théorique ne sont que palabres dilatoires : « Au lieu de nous menacer pour la cent et unième fois de produire un travail théorique approfondi, les auteurs de la Réponse ne feraient-ils pas mieux d’entamer cette besogne, la mettre au point et l’opposer à la Plate-forme ? » s’agace Archinov.

Au bout du compte, les plate-formistes dénoncent dans la Réponse une opposition factice, uniquement motivée par une résistance paresseuse à « l’esprit d’organisation ». Ainsi, à l’accusation de « bolchevisme » des uns, répond celle de « dilettantisme » des autres. Les termes essentiels du débat sont dès lors installés, et ils ne vont plus guère varier.

Après la scission de l’UACR, les opposantes et les opposants à la Plate-forme se regroupent dans une relativement ectoplasmique Association des fédéralistes anarchistes (AFA). Leur chef de file, Sébastien Faure, s’efforce de lui donner un contenu doctrinal en publiant en 1928 un texte fondateur : La Synthèse anarchiste. Dans cette brochure de 16 pages, Sébastien Faure compare l’anarchisme à « ce que, en chimie, on appelle un corps composé […] : l’anarcho-syndicalisme, le communisme libertaire et l’individualisme anarchiste. Sa formule chimique pourrait être S2, C2, I2. Selon les événements, les milieux […], le dosage des trois éléments est appelé à varier. […] S3, C2, I1 ; ou bien S2, C3, I1 ; ou encore S1, C2, I3 […]. Mais toujours est-il que ces trois éléments […] sont faits pour se combiner et pour constituer, en s’amalgamant, ce que j’appelle : “la Synthèse anarchiste”. » [7]

Cette conception quelque peu puérile est une déformation de la pensée de Voline. Alors que le Russe reconnaissait qu’une clarification de l’anarchisme était nécessaire (mais pas avec la méthode plate-formiste), Faure estime que cette clarification n’est pas souhaitable. Non sans un certain sentimentalisme, il porte au pinacle l’éclectisme que son modèle semble figer définitivement en l’état.

Voline avait inventé le terme de « synthèse ». Avec Sébastien Faure, le « synthésisme » est né.

L’UACR, de son côté, ne restera pas longtemps plate-formiste. L’habit était séduisant, mais à l’usage il se révèle trop rigide pour une petite organisation qui traverse alors la plus sévère période de vache maigre depuis sa fondation. Elle abandonne la Plate-forme dès le congrès de 1930. La controverse, elle, s’éteint aux alentours de 1931. Elle sera ensuite escamotée par d’autres préoccupations : la montée du fascisme, le Front populaire, la Révolution espagnole, la guerre.

Dépassement et persistance du débat

En 1931, le débat sur la Plate-forme semble donc enterré. Définitivement ? Pas exactement. Car la controverse ne s’est pas réduite pas aux passes d’armes entre Makhno, Archinov et Voline. Pour en saisir les ressorts profonds, il faut considérer le théâtre principal de l’affrontement : l’UAC et son hebdomadaire, Le Libertaire. Le contexte des années 1925 à 1930, qui est celui d’une forte régression des luttes et du mouvement ouvrier, était propice aux déchirements internes. Toutes les militantes et les militants les plus en vue de l’UAC se sont jetés dans la bataille. Les articles vengeurs ont succédé aux réponses cinglantes. La polémique a largement dépassé l’exégèse de la Plate-forme : elle a révélé un clivage bien plus profond, qui touchait à la nature même de l’anarchisme.

Il faut comprendre que la controverse de l’époque – qui aujourd’hui encore, dans certains pays, n’est pas épuisée – était due moins au contenu du texte lui-même, qu’à une question cyclique qui se pose à l’anarchisme : savoir s’il doit être un mouvement politique ou un milieu culturel. Ce litige était bien antérieur à la Plate-forme, mais celle-ci lui a donné son aspect définitif.

C’est sans doute la raison pour laquelle elle va connaître une longue postérité. Cette Plate-forme, qu’en 1931 tout le monde pensait enterrée, sera régulièrement exhumée par la suite. Et à chaque fois, ce sera moins pour son contenu que pour se démarquer du magma communautaire et marginaliste où l’anarchisme s’est parfois enlisé. Les jeunes communistes libertaires des FA française et italienne la redécouvriront avec ferveur en 1949-1950. Les fondateurs de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA) en 1965-67. Ceux et celles de l’ORA britannique attendront 1973 pour la lire [8]. Elle sera de nouveau brandie par les jeunes organisations libertaires qui se créeront dans les deux Amériques au cours des années 1990. « Nous sommes plate-formistes ! » annonçait ainsi fièrement Rupture, le périodique francophone de la Nefac canadienne en octobre 2001.

En France le débat ne s’est apaisé que dans les années 1990. René Berthier ou Gaetano Manfredonia ont proposé des approches dépassionnées de la question [9]. La très synthésiste Fédération anarchiste (FA) s’est en réalité éloignée du catéchisme de Sébastien Faure. L’Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL), constituée en 1976, avait pour sa part rapidement évoluée vers un dépassement de la Plate-forme dont elle retenait davantage l’esprit que la lettre – Alternative libertaire se situe dans cette continuité.

Guillaume Davranche (AL Paris-Sud)


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La Plate-forme : un but, une méthode

La Plate-forme est composée de trois parties : une « partie générale », sur le capitalisme et la stratégie pour le renverser ; une « partie constructive », sur le projet communiste libertaire ; une « partie organisationnelle », sur le mouvement anarchiste lui-même.

I. La « partie générale » affirme que l’anarchisme n’est pas une « belle fantaisie ni une idée abstraite de philosophie », mais un mouvement révolutionnaire ouvrier. Elle propose une grille d’analyse reposant sur le matérialisme et la lutte des classes comme moteur de l’histoire. Dans une situation révolutionnaire, l’organisation anarchiste doit proposer une orientation « dans tous les domaines de la révolution sociale : [celui de] la nouvelle production, celui de la guerre civile et de la défense de la révolution, de la consommation, de la question agraire, etc. Sur toutes ces questions et sur nombre d’autres, la masse exige des anarchistes une réponse claire et précise. » L’enjeu étant de « relier la solution de ces problèmes à la conception générale du communisme libertaire ».

II. La « partie constructive » propose justement un projet société transitoire. La production industrielle devra suivre le modèle des soviets fédérés. Pour ce qui est de la consommation et de la question agraire, la Plate-forme se démarque du « communisme de guerre » de Lénine, qui consistait à spolier les campagnes pour nourrir les villes : « ce seront les paysans révolutionnaires qui établiront eux-mêmes la forme définitive de l’exploitation et de l’usufruit de la terre. Aucune pression du dehors n’est possible dans cette question. » La Révolution espagnole, dix ans plus tard, apportera des réponses pratiques à cette question sur laquelle la Plate-forme reste prudente. Quant à la défense de la révolution, le modèle est – sans qu’elle soit citée – celui de la Makhnovstchina : « caractère de classe de l’armée », « volontariat », « libre discipline », « soumission complète de l’armée révolutionnaire aux masses ouvrières et paysannes ». Ce que l’on retrouvera également dans les milices libertaires de l’été 1936.

III. Pour finir, la « partie organisationnelle » décline quatre « principes fondamentaux » pour une organisation anarchiste : 1. L’unité théorique ; 2. L’unité tactique ; 3. La responsabilité collective ; 4. Le fédéralisme.
1) L’« unité théorique » : pour une rupture avec le côté « puzzle » de l’UAC, qui doit se définir clairement communiste libertaire.
2) L’« unité tactique » : que les militantes et les militants agissent de concert, pas de façon dispersée ni contradictoire.
3) La « responsabilité collective » est un appel à l’autodiscipline et à une rupture avec le consumérisme militant.
4) Avec le « fédéralisme », une instance fédérale, soumise au mandat impératif, doit veiller à l’application des décisions de congrès.



notes :

[1] David Berry, A History of the French Anarchist Movement 1917-1945.

[2] Jean Maîtron, Le Mouvement anarchiste en France, tome II.

[3] Le Libertaire, 19 novembre 1927.

[4] Le fait que Voline soit le traducteur de la Plate-forme en même temps que son principal détracteur n’a pas manqué de soulever l’indignation à l’époque. Il fut notamment accusé de traduction déloyale, pour donner au texte une tournure assez autoritaire. Dans son étude de 1987, Alexandre Skirda, russophone, atteste que la traduction de Voline était effectivement tendancieuse.

[5] Cité dans Alexandre Skirda, Autonomie individuelle et force collective, 1987.

[6] Gaetano Manfredonia, « Le Débat Plate-forme/Synthèse » in Itinéraire n°13.

[7] Sébastien Faure, La Synthèse anarchiste.

[8] « Anarchist communism in Britain, 1870-1991 », in Organise ! n°42 (printemps 1996).

[9] René Berthier, « À propos des 80 ans de la Révolution russe », Le Monde libertaire, 18 décembre 1997.
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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénovation

Messagede sebiseb » 22 Nov 2009, 21:28

Et qu'est-ce qui a selon toi "évoluer" dans les grandes lignes de l'organisation plate-formiste d'hier à aujourd'hui ?
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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénovation

Messagede Phébus » 23 Nov 2009, 03:05

C'était il y a 80 ans! Beaucoup de chose on changé depuis 1927.

Au niveau de l'analyse sociale, je crois que le mouvement communiste libertaire a intégré d'autres dimensions que la simple lutte de classe traditionnelle. D'ailleurs, la plate-forme était en retrait par rapport à ce que le mouvement communiste libertaire contemporain avait développé comme analyse (je pense à la question du patriarcat notamment... totalement absente de la plate-forme).

Au niveau politique, je pense que les communistes libertaires «antidémocratiques» sont maintenant en minorité. Peu de gens réduisent aujourd'hui la démocratie à la démocratie représentative libérale. La plupart des anarchistes se réclamant de la plate-forme sont pour la démocratie directe.

Au niveau de la pratique, je pense que les communistes libertaires se sont réconciliés avec le syndicalisme révolutionnaire et sont aujourd'hui partisans de l'autonomie des mouvements sociaux. Dans la foulée, de nombreuses organisations plate-formistes ont abandonnées l'unité tactique au profit de l'unité stratégique (c'est le cas, en tout cas, des plus vieilles comme AL et la FdCA). Dans le même ordre d'idée, les mêmes organisations ont également considérablement assoupli la responsabilité collective et n'obligent plus leurs militants dans les organisations de masse à tenir coûte que coûte la ligne de l'organisation en toutes circonstances. Dorénavant, la ligne de masse est définie dans les organisations de masse et l'organisation politique se contente de commenter / alimenter les débats sans volonté substitionniste.

C'est ce que je vois en gros. [Ceci dit, ce n'est pas vrai partout et pour tout le monde. Certains sont encore orthodoxes hard-core.]
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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénovation

Messagede Pïérô » 23 Nov 2009, 12:02

On parle d'avantage de plateformisme plus que plateforme de 27, c'est l'idée qui a fait du chemin, et des pratiques qui ont évolué. Comme le souligne Phébus le rapport au syndicalisme, et aux mouvements sociaux à évolué aussi. En France AL par exemple fait référence à la fois au communisme libertaire, au syndicalisme révolutionnaire... On y trouve une synthèse de l’ensemble des composantes libertaires « lutte de classe » et dans ce sens celà constitue un courant de l'anarchisme qui a évolué.

Autre évolution générale dans le mouvement anarchiste, c'est qu'il n'y a plus de tentative "synthésiste" qui engloderait toute la sphère de l'anarchisme, comme celà était avancé avant, et jusqu'il y a peu à la FA. S'il doit se construire de l'unité çà ne passera pas plus sous la forme d'une organisation unique, je pense qu'il y a un divorce consommé. C'est aussi pourquoi j'ai quitté la FA et rejoint AL après la fin de non recevoir par rapport à la question de l'unité des libertaires en 2001 dans la FA. C'est à dire que dans une organisation qui se targait de réunir tous les courants, il y en avait qui tout en défendant çà s'opposaient à l'unité, va comprendre...et justement et en tant qu'anarchiste communiste j'ai bien compris qu'il valait mieux rejoindre un courant organisé spécifiquement que de continuer à brasser de l'air dans une organisation qui ne faisait que démontrer comment ce type d'organisation pêchait sur tous les plans, à part dans le côté propagandiste. Du coup l'unité ne peut s'envisager que dans un cadre fédéraliste dans lequel les sensibilités, et les organisations collectives, ne disparaîtraient pas et maintiendraient leur existence propre.

Il y a plusieurs planètes dans le mouvement libertaire donc, avec certaines planètes qui ne se retrouvent pas dans les organisations traditionnelles, et comme le rappelle JPD dans un article récent "anarchistes, sommes-nous du même monde ? " que l'on trouve ici : viewtopic.php?f=69&t=2872#p46301, il est impossible de concevoir une organisation unique rassemblant ces différentes voire divergentes planètes. C'est pourquoi la question de la plateforme politique en général, envisagée comme base de référence collective, tant au niveau des contenus, de la stratègie, et aussi des fonctionnements collectifs, est un élément qui permet à l'organisation de se construire, et d'être on va dire existante, non pas que sur le papier, mais aussi en terme d'efficacité collective. Et l'on retrouve là des éléments qui avaient été à l'origine de la démarche portée par des anarchistes-communistes de l'époque, mais sans certains travers liés à l'époque et aux circonstances, et je dirais aussi au manque d'expérimentation dans le domaine de l'organisation collective que rencontrait le mouvement anarchiste.
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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénovation

Messagede Phébus » 23 Nov 2009, 15:59

Ouai, bien Pïérô soulève par la bande une différence de taille entre l'ambition plateformiste initiale et la pratique réelle des plateformistes d'aujourd'hui. Avant, on pensait organiser tous les anarchistes (on parlait de «plate-forme de l'union générale des anarchistes») alors qu'aujourd'hui on se contente des communistes libertaires (on parle de «plate-forme d'organisation des communistes libertaires» dans les versions repopularisées par nos camarades anglais et irlandais) voir carrément de certains communistes libertaires (c'est-à-dire ceux et celles qui sont d'accord avec nous!).
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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénova

Messagede digger » 09 Jan 2013, 18:57

Textes inédits traduits

La Plate-forme d'organisation d’une Union Générale des Anarchistes est un mode d'organisation anarchiste proposé par le groupe des anarchistes russes à l'étranger, paru le 20 juin 1926 dans la revue Dielo Trouda. http://www.nestormakhno.info/french/platform/org_plat.htm
En octobre 1927, Errico Malatesta publie dans Le Réveil Anarchiste une réponse à la plate-forme intitulée Un projet d'organisation anarchique.http://www.nestormakhno.info/french/mal_rep1.htm Suite à la publication de cet article, Makhno écrivit une lettre à Malatesta À propos de la Plate-forme, 1928 [Texte traduit ci-dessous] dans laquelle il défend le principe de responsabilité collective comme étant une preuve que l'anarchisme peut être un guide pour les travailleurs en période révolutionnaire.
Et la réponse de Malatesta, qui suit.
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Extrait de Errico Malatesta THE ANARCHIST REVOLUTION Polemical Articles 1924-1931
Edité et préfacé par Vernon Richards
Freedom Press London 1995

À propos de la Plate-forme,
Lettre à Errico Malatesta de Nestor Makhno. 1928


Cher camarade Malatesta,
J’ai lu ta réponse au projet de plateforme d'organisation d’une Union Générale des Anarchistes, un projet publié par le groupe des anarchistes russes à l’étranger.

Mon impression est que soit tu as mal compris le projet de "plateforme", sois que ton refus de reconnaître la responsabilité collective dans l’action révolutionnaire et le rôle d’orientation que les forces anarchistes doivent jouer, découlent d’une profonde conception de l’anarchisme qui te conduit à ne pas prendre en compte ce principe de responsabilité .

C’est, cependant, un principe fondamental, qui guide chacun d’entre nous dans notre façon de comprendre l’idée anarchiste, dans notre détermination à ce qu’elle pénètre les masses, dans son esprit de sacrifice. C’est grâce à lui qu’un homme peut choisir la voie révolutionnaire et ignorer les autres. Sans lui, aucun révolutionnaire n’aurait la force nécessaire, la volonté ou l’intelligence de supporter le spectacle de la misère sociale, et encore moins de la combattre. C’est à travers l’inspiration de la responsabilité collective que les révolutionnaires de tous bords et de toutes tendances ont uni leurs forces; c’est sur cela qu’ils ont fondé leurs espoirs que leurs révoltes fragmentaires - révoltes qui ont ouvert la voie aux opprimés – ne l’ont pas été en vain, que les opprimés comprendraient leurs aspirations, en tireraient les enseignements appropriés à leur époque et les utiliseraient pour trouver de nouvelles voies vers leur émancipation.

Toi-même, cher Malatesta, reconnaît la responsabilité individuelle de l’anarchiste révolutionnaire. Et, qui plus est, tu y as prêté ton concours à travers ta vie de militant. Du moins, c’est comme cela que j’ai compris tes écrits sur l’anarchisme. Mais tu nies la nécessité et l’utilité de la responsabilité en ce qui concerne les tendances et les actions du mouvement anarchiste dans son ensemble. La responsabilité collective t’inquiète; alors tu la rejettes.

Pour ma part, ayant l’habitude d’être exposé pleinement aux réalités de notre mouvement, ton déni de la responsabilité collective me frappe, non seulement parce qu’il est sans fondement, mais qu’il est aussi dangereux pour la révolution sociale, dont tu serais bien avisé de prendre en compte l’ expérience quand arrive le moment de mener une bataille décisive contre tous nos ennemis en même temps. Aujourd’hui, mon expérience des luttes révolutionnaires du passé me conduit à penser que, quelque soit l’ordre du déroulement des évènements révolutionnaires, on a besoin de donner d’importantes directives, à la fois idéologiques et tactiques. Cela signifie que, seul, un esprit collectif, intelligent et dévoué à l’anarchisme, peut satisfaire aux besoins de ce moment-là, à travers une volonté responsable collective. Aucun d’entre nous n’a le droit d’esquiver cette part de responsabilité. Au contraire, si cela a été jusqu’à maintenant ignoré parmi les rangs des anarchistes, cela doit devenir aujourd’hui, pour nous anarchistes communistes, un article de notre programme théorique et pratique.
Seuls, l’esprit collectif de ses militants et leur responsabilité collective permettront à l’anarchisme moderne d’éliminer de ses milieux l’idée, historiquement fausse, que l’anarchisme ne peut pas être un guide, ni en terme d’idéologie, ni en pratique - pour la masse des travailleurs dans une période révolutionnaire et, par conséquent, ne pourrait pas inclure une responsabilité globale .

Je ne m’attarderai pas, dans cette lettre, sur les autres points de ton article contre le projet de "plateforme", comme celui où tu vois une "église et une autorité sans police". J’exprimerai seulement ma surprise de te voir utiliser un tel argument dans ta critique. J’y ai réfléchi longuement et je ne peux pas accepter ton opinion.

Non, tu as tort. Et parce que je ne suis pas d’accord avec ta réfutation, en utilisant des arguments trop faciles, je pense que je suis en droit de te demander:

I. L’anarchisme devrait-il prendre quelques responsabilités dans la lutte des travailleurs contre leurs oppresseurs, le capitalisme et son serviteur, l’Etat?
Si non, peux-tu me dire pourquoi? Si oui, les anarchistes doivent-ils travailler à permettre à leur mouvement d’exercer une influence sur la même base que l’ordre social ?
2. L’anarchisme peut-il, dans l’état de désorganisation actuel, exercer une quelconque influence, idéologique ou pratique, sur la situation sociale et la lutte de la classe ouvrière?
3. Quels sont les moyens que devraient adopter l’ anarchisme, en dehors de la révolution, et quels sont les moyens dont il peut disposer pour prouver et affirmer ses concepts constructifs ?
4. Est-ce que l’anarchisme a besoin de ses propres organisations permanentes, liées étroitement entre elles par l’unité d’objectifs et d’actions pour atteindre ses buts?
5. Qu’est-ce que les anarchistes entendent par établir des institutions en vue de garantir le libre développement de la société?
6. Est-ce que l’anarchisme , dans une société communiste qu’il conçoit, peut se passer d’institutions sociales? Si oui, par quels moyens? Si non, If no, lesquelles devrait-il reconnaitre et sous quels noms les créerait-il? Les anarchistes y joueraient-ils un rôle déterminant, donc de responsables, ou se contenteraient-ils d’être des auxiliaires sans responsabilité?

Ta réponse, cher Malatesta, revêtira une grande importance pour moi pour deux raisons. Elle me permettra de mieux comprendre ta façon de voir les choses en ce qui concerne les questions d’organisation des forces anarchistes et du mouvement en général. Et, soyons francs, ton opinion est immédiatement acceptée par la plupart des anarchistes et sympathisants sans aucune discussion, comme celle d’un militant expérimenté qui est resté fidèle,sa vie durant, à son idéal libertaire. Par conséquent, de ton attitude dépend, dans une certaine mesure, si une étude complète des questions urgentes que pose cette époque à notre mouvement sera entreprise, et donc, si son cours sera ralenti ou fera un nouveau bond en avant. En stagnant dans le passé et le présent, notre mouvement n’ y gagnera rien. Au contraire, il est essentiel que, compte tenu des événements qui se profilent devant nous, il se donne toutes les chances de remplir son rôle.

J’attache beaucoup d’importance à ta réponse.
Salutations révolutionnaires

Nestor Makhno
Modifié en dernier par digger le 10 Jan 2013, 13:16, modifié 1 fois.
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Réponse de Malatesta à Nestor Makhno

Messagede digger » 10 Jan 2013, 13:13

Extrait de Errico Malatesta THE ANARCHIST REVOLUTION Polemical Articles 1924-1931
Edité et préfacé par Vernon Richards
Freedom Press London 1995

Réponse de Malatesta à Nestor Makhno


Cher camarade,

J’ai finalement eu la lettre que tu m’as envoyé il y a plus d’un an, au sujet de ma critique du projet d’organisation d’une Union Générale des anarchistes, publié par un groupe d’anarchistes russes à l’étranger et connu dans notre mouvement sous le nom de "Plateforme" .

En sachant ma situation comme c’est le cas, tu as certainement compris pourquoi je n’ai pas répondu.

Je ne peux pas participer comme je le voudrais aux discussions sur les questions qui nous intéressent le plus, parce que la censure m’empêche de recevoir à la fois les publications qui sont considérées comme subversives ou les lettres qui traitent de sujets politiques ou sociaux, et seulement après de longs délais, ai-je la chance hasardeuse d’entendre les lointains échos de ce que disent et font les camarades
Par conséquent, je sais que la "Plateforme" et mes critiques de celle-ci ont été largement débattues, mais je ne sais rien ou très peu de ce qui a été dit; et ta lettre est le premier document écrit sur le sujet que j’ai réussi à avoir.

Si nous pouvions correspondre librement, je t’aurais demandé avant que d’entamer la discussion, de clarifier tes vues, qui, peut-être à cause d’une traduction imparfaite du russe vers le français, me semblent quelque peu obscures. Mais les choses étant ce qu’elles sont, je répondrai à ce que j’ai compris et j’espère que je pourrai ensuite avoir ta réponse.
Tu es surpris que je n’accepte pas le principe de responsabilité collective, que tu crois être un principe fondamental qui guide, et doit guider, les révolutionnaires du passé, du présent et du futur.
Pour ma part, je m’étonne que la notion de responsabilité collective puisse même franchir les lèvres d’un anarchiste.
Je sais que les militaires ont l’habitude de décimer les régiments de soldats rebelles ou de soldats qui se sont mal comportés face à l’ennemi, en les fusillant sans distinction. Je sais que les chefs des armées n’ont aucun scrupule à détruire des villages ou des villes et à massacrer leur population entière, y compris les enfants, parce que quelqu’un a essayé de résister à l’ invasion. Je sais que, à travers les âges, les gouvernements ont, de plusieurs façons, menacé de, et appliqué, le système de responsabilité collective, pour mettre un frein aux rebellions, imposer des impôts, etc. Et je comprends que cela pourrait être des moyens efficaces d’intimidation et d’oppression.

Mais comment des personnes qui combattent pour la liberté et la justice peuvent parler de responsabilité collective alors qu’elle ne peuvent être concernées que par la responsabilité morale, que des sanctions matérielles s’ensuivent ou non?! ! !

Si, par exemple, dans un conflit avec une force armée, l’homme à côté de moi agit comme un lâche, cela peut me nuire comme nuire à tout le monde, mais le déshonneur ne peut être que le sien pour son manque de courage à remplir la tâche qu’il s’était attribué. Si, dans un complot, un comploteut trahit et envoie ses compagnons en prison, les personnes trahies sont-elles responsables de la trahison?
La 'Plateforme' dit : ' l'Union toute entière sera responsable de l'activité révolutionnaire et politique de chaque membre; de même, chaque membre sera responsable de l'activité révolutionnaire et politique de toute l'Union'

Cela peut-il être conciliable avec les principes d’autonomie et de libre initiative professées par les anarchistes? J’ai répondu alors "Mais si l'Union est responsable de ce que fait chacun de ses membres, comment laisser à chaque membre en particulier et aux différents groupes la liberté d'appliquer le programme commun de la façon qu'ils jugent la meilleure? Comment peut-on être responsable d'un acte si l'on a pas la faculté de l'empêcher? Donc l'Union, et pour elle le Comité exécutif, devrait surveiller l'action de tous les membres en particulier, et leur prescrire ce qu'ils ont à faire ou à ne pas faire, et comme le désaveu du fait accompli n'atténue pas une responsabilité formellement acceptée d'avance, personne ne pourrait faire quoi que ce soit avant d'en avoir obtenu l'approbation, la permission du Comité. Et, d'autre part, un individu peut-il accepter la responsabilité des actes d'une collectivité avant de savoir ce qu'elle fera, et comment peut-il l'empêcher de faire ce qu'il désapprouve ? (2)

Bien sûr, j’accepte et soutient l’idée que quiconque s’associe et coopère avec d’autres dans un but commun doit être conscient de la nécessité de coordonner : ses actions avec celles de ses camarades, et ne rien faire qui nuise au travail des autres et à la cause commune, par conséquence; et respecter l’accord qui a été conclu – excepté en cas de souhait sincère de quitter l’association lorsque émergent des différences d’opinion ou des changements de circonstances , ou encore un conflit sur les méthodes privilégiées qui rend toute coopération impossible ou inadéquate. Tout comme je maintiens que ceux qui ne sont pas d’accord ou ne pratiquent pas ces devoirs doivent être exclus de l’association.

Peut-être qu’en parlant de responsabilité collective, tu entendais précisément l’accord et la solidarité qui doivent exister au sein des membres d’une association. Si cela est le cas, ton expression équivaut à un usage incorrect de la langue, mais ne serait qu’en réalité, une question secondaire de terme et nous tomberions rapidement d’accord.

La question réellement importante que tu soulèves dans ta lettre concerne la fonction (le rôle) des anarchistes dans le mouvement social et les moyens de le mettre en oeuvre C’est la question des fondements, de la raison d’être de l’anarchisme et nous devons d’être clairs sur ce que nos voulons dire.

Tu demandes si les anarchistes (dans le mouvement révolutionnaire et dans l’organisation communiste de a société) assumeraient un rôle de direction et donc de responsabilité ou se contenteraient d’être des auxiliaires sans responsabilité.

Ta question me laisse perplexe, du fait de son manque de précision. Il est possible de diriger à travers des avis et des exemples, en laissant les gens – ayant les opportunités et les moyens de satisfaire leurs propres besoins par eux-mêmes – de choisir leurs méthodes et leurs solutions si elles sont, ou semblent être, meilleures que celles suggérées et expérimentées par d’autres.
Mais il est aussi possible de diriger en saisissant les commandes, c’est à dire en devenant un gouvernement et d’imposer ses propres idées et intérêts par le biais de méthodes policières.
Vers quelle voie veux tu te diriger?

Nous sommes anarchistes parce que nous pensons que un gouvernement (tout gouvernement) est mauvais, et qu’il n’est pas possible d’obtenir la liberté, la solidarité et la justice sans liberté. Nous ne pouvons donc pas aspirer à un gouvernement et nous devons faire tout notre possible pour empêcher d’autres -classes, partis o individus - de prendre le pouvoir et de devenir des gouvernements.
La responsabilité des dirigeants, une notion à travers laquelle il me semble, tu veux t’assurer que les masses soient protégées de leurs propres abus et erreurs, ne signifie rien pour moi. Ceux qui sont au pouvoir ne sont pas vraiment responsables, excepté lorsqu’ils sont confrontés à une révolution, et nous ne pouvons pas faire une révolution tous les jours, et généralement cela n’arrive qu’après que le gouvernement a fait tout le mal qu’il pouvait.

Tu comprendras que je suis loin de penser que les anarchistes devraient se contenter d’être les simples auxiliaires d’autres révolutionnaires, qui, n’étant pas anarchistes, aspirent naturellement à devenir le gouvernement.

Au contraire, je crois que nous, anarchistes, convaincus de la validité de notre programme, devons faire tout notre possible pour acquérir une influence prépondérante afin de tirer le mouvement vers la réalisation de nos idéaux. Mais une telle influence doit être gagnée en faisant plus et mieux que les autres, et ne sera utile que si elle est gagnée de cette façon. .
Aujourd’hui, nous devons approfondir, développer et propager nos idées et coordonner nos forces dans une action commune. Nous devons agir au sein du mouvement ouvrier pour éviter qu’il soit bridé et corrompu par la recherche exclusive de petites améliorations compatibles avec le système capitaliste ; et nous devons agir d’une manière qui contribue à préparer à une transformation sociale complète. Nous devons travailler avec les masses inorganisées, et peut-être inorganisables, pour éveiller l’esprit de révolte, le désir et l’espoir d’une vie libre et heureuse. Nous devons initier et soutenir tous les mouvements qui visent à affaiblir les forces de l’Etat et du capitalisme et à élever le niveau intellectuel et matériel des conditions de vie des travailleurs. Nous devons, en résumé, préparer et nous préparer, moralement et matériellement, à l’acte révolutionnaire qui ouvrira la voie du futur.

Et puis, pendant la révolution, nous devons prendre une part énergique (si possible avant et plus efficacement que les autres) dans la lutte matérielle essentielle et la conduire vers la limite ultime en détruisant toutes les forces répressives de l’Etat. Nous devons encourager les ouvriers à prendre le contrôle des moyens de production (terres, mines, usines, ateliers, moyens de transport, etc) et des stocks de biens manufacturés; organiser immédiatement,une distribution équitable des biens de consommation et, en même temps, fournir les produits nécessaires au commerce entre communes et régions pour la continuité et l’intensification de la production et de tous les services utiles à la population.

Nous devons, de toutes les manières possibles et selon les circonstances locales et opportunités, promouvoir l’actions des associations de travailleurs, les coopératives, les groupes – pour empêcher l’émergence de nouveaux pouvoirs autoritaires, de nouveaux gouvernements, en nous y opposant par la violence si nécessaire,mais par dessus tout, en les rendant inutiles . Et là où nous ne trouverons pas de consensus suffisant parmi la population et ne pourrons pas éviter le rétablissement de l’Etat avec ses institutions autoritaires et ses corps coercitifs, nous devons refuser d’y participer et de le reconnaitre , en nous rebellant contre son imposition et demander une pleine autonomie pour nous-mêmes et pour toutes les minorités dissidentes. En d’autres termes, nous devons rester dans notre état de rébellion actuel ou potentiel, dans l’impossibilité de gagner dans le présent, nous devons au moins nous préparer pour l’avenir .

Est-ce cela que tu veux dire part le rôle que les anarchiste devraient jouer dans la préparation et le déroulement de la révolution?
De ce que je connais de toi et de ton travail, je serais enclin à le croire.

Mais, lorsque je vois que dans l’Union que tu soutiens, il existe un Comité Exécutif pour donner une orientation idéologique et organisationnelle à l’association, je suis assailli par le doute que tu aimerais voir aussi, au sein du mouvement général, un corps central qui dicterait, de manière autoritaire, le programme théorique et pratique de la révolution.

Si il en est ainsi, nous sommes aux antipodes l’un de l’autre.

Ton organisation, ou tes organes de direction, peuvent bien être composées d’anarchistes, mais elles ne deviendraient rien d’autre qu’un gouvernement. En croyant, en toute bonne foi, qu’ils sont nécessaires au triomphe de la révolution,il s’assureraient, en priorité, d’être suffisamment bien placé et assez forts pour imposer leur volonté. Ils créeraient par conséquent des corps armés pour la défense matérielle et une bureaucratie pour relayer leurs consignes, et, ce faisant, ils paralyseraient le mouvement populaire et tueraient la révolution.
C’est ce qui, je pense, est arrivé aux bolchéviques.

C’est pourquoi je pense que le principal n’est pas la victoire de nos plans, nos projets, nos utopies, qui de toute façon ont besoin de la confirmation de l’expérience et peuvent être modifiés par celle-ci, développés et adaptés selon les conditions morales et matérielles réelle selon les lieux et les époques. Ce qui importe le plus, c’est que la population, hommes et femmes, perdent leurs habitudes et instincts moutonniers que des milliers d’années d’esclavage leur ont instillé et qu’elle apprenne à penser et à agir librement.

Et c’est à cette grande tâche de libération morale que les anarchistes doivent se consacrer spécialement. .

Je te remercie de l’attention que tu as accordé à ma lettre et, dans l’espoir d’avoir à nouveau de tes nouvelles, je t’envoie mes cordiales salutations.

Errico Malatesta
Risveglio (Geneva), Décembre 1929

---------------------------
NDT
1. Pendant les premières années du gouvernement fasciste en Italie, de 1924 à 1926, Malatesta continue à publier le journal clandestin Pensiero e Volontà. ,malgré la censure. Puis il sera surveillé en permanence et condamné à s’isoler des mouvements anarchistes.
2. Un projet d'organisation anarchique Errico Malatesta
http://www.nestormakhno.info/french/mal_rep1.htm

J'ignore si il y a eu une suite à la correspondance entre Makhno et Mlatesta. Je n'en ai pas trouvé trace.

No copyright. Ce texte peut être reproduit librement sous quelle que forme que ce soit.
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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénova

Messagede bipbip » 30 Juil 2017, 16:04

La plate-forme organisationnelle du groupe Diélo trouda

Le groupe d'anarchiste autour de Makhno et Archinov fondent la revue "Dièlo trouda". Il développe leur projet de plateforme anarchiste pour donner une organisation efficace aux anarchistes. Ces écrits feront grand bruit et susciteront de nombreuses critiques, notamment la contre proposition théorique de Voline qu'on nommera "la synthèse".

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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénova

Messagede bipbip » 28 Oct 2017, 15:58

La plate-forme d’organisation des communistes libertaires

Préface (Alan MacSimon du Workers Solidarity Movement)

En 1926 un groupe d’anarchistes russes en exil en France, le groupe Dielo Trouda (Cause Ouvrière), a publié cette brochure. Elle émergeait non d’une étude académique mais de leur expérience de la Révolution russe de 1917. Les membres de ce groupe avaient pris part au renversement de la vieille classe dirigeante, faisaient partie de la floraison d’autogestion paysanne et ouvrière, avaient partagé l’optimisme largement répandu quant à un monde nouveau de socialisme et de liberté… et avaient vu son remplacement sanglant par le capitalisme d’État et la dictature du Parti bolchevique.

Le mouvement anarchiste russe avait joué un rôle loin d’être négligeable dans la révolution. À l’époque il y avait environ 10 000 militantEs anarchistes en Russie, sans compter le mouvement en Ukraine dont le chef de file était Nestor Makhno. Il y avait au moins quatre anarchistes sur l’organisation qui a organisée la prise du pouvoir en octobre, le Comité militaire révolutionnaire dominé par les bolcheviques. De façon plus importante, les anarchistes étaient impliqués dans les comités d’usine qui s’étaient multipliés après la révolution de février. Ces derniers étaient basés dans les lieux de travail, étaient élus par des assemblées ouvrières de masse et avaient pour rôle de voir à la bonne marche de l’usine et à la coordination avec d’autres lieux de travail de la même industrie ou de la même région.

Les anarchistes étaient particulièrement influentEs dans les mines, sur les docks, dans les postes, dans les boulangeries et ont joués un rôle important lors du Congrès pan-russe des conseils ouvriers qui s’est réunit à la veille de la révolution. C’était ces comités que les anarchistes voyaient comme base de la nouvelle autogestion qui serait mise en place après la révolution.

Cependant, l’esprit et l’unité révolutionnaire d’Octobre 1917 n’ont pas duré longtemps. Le Parti bolchevique était impatient de supprimer toutes les autres forces de gauche qu’il voyait comme autant d’obstacles bloquant la voie au pouvoir « à parti unique ». Les anarchistes et quelques autres à gauche croyaient que la classe ouvrière était capable d’exercer le pouvoir par ses propre comités et soviets (conseils de déléguéEs éluEs). Le Parti bolchevique ne le croyait pas. Il défendait la position voulant que la classe ouvrière n’était pas encore capable de prendre le contrôle de sa destiné et que donc il allait prendre lui-même le pouvoir par « interim » pendant la « période transitoire ». Ce manque de confiance dans les capacités des gens ordinaires et la prise autoritaire du pouvoir allait mener à la trahison des intérêts de la classe ouvrière et de tous ses espoirs et ses rêves.

En avril 1918 les centres anarchistes de Moscou furent attaqués, 600 anarchistes furent emprisonnéEs et des douzaines tuées. L’excuse était que les anarchistes étaient « incontrôlables », peut importe ce que cela pouvait bien vouloir dire à moins que ce ne soit simplement qu’ils et elles refusaient d’obéir aux ordres des dirigeants bolcheviques. La vrai raison était la formation des Gardes Noires qui avaient été mis sur pied pour combattre les provocations brutales et les abus de la Cheka (l’ancêtre du KGB).

Les anarchistes durent choisir un côté. Une section du mouvement a travaillé avec les bolcheviques, et a fini par se joindre à eux, sur la base de l’efficacité et de l’unité contre la réaction. Une autre section s’est battue durement pour défendre les gains de la révolution contre ce qu’elle voyait correctement comme une nouvelle classe dirigeante en formation. Le mouvement makhnoviste en Ukraine et l’insurrection de Kronstadt furent les dernières grandes batailles. Dès 1921, la révolution antiautoritaire était morte. Cette défaite eut des effets profonds et durables sur le mouvement ouvrier international.

Les auteurs avaient l’espoir qu’un tel désastre n’arrive pas de nouveau. Leur contribution fut ce qu’on a fini par appeler la « Plate-forme ». Cette brochure examine les leçons du mouvement anarchiste russe, son échec à construire une présence assez importance et efficace dans le mouvement ouvrier pour contrer la tendance des bolcheviques et de d’autres groupes politiques à se substituer à la classe ouvrière. Elle expose une ébauche de guide suggérant comment les anarchistes devraient s’organiser, Bref comment nous pouvons être efficace.

Elle disait des vérités toutes simples comme qu’il est ridicule d’avoir une organisation qui contient des groupes qui ont des définitions mutuellement antagonistes et contradictoires de l’anarchisme. Elle soulignait le besoin de structures formelles sur lesquelles on s’entend et couvrant des politiques écrites, le rôle des exécutants, la nécessité de cotisations des membres et ainsi de suite; le type de structure qui permettent des organisations démocratique larges et efficaces.

Lors de sa première publication, la « Plate-forme » fut attaquée par certaines des personnalités anarchistes les plus connues de l’époque, comme Errico Malatesta et Alexander Berkman. Ils l’ont accusés d’être « à un cheveu du bolchevisme » et d’être une tentative de « bolchéviser l’anarchisme ». Cette réaction était exagérée mais était peut-être partiellement le résultat de la proposition d’une Union générale des anarchistes. Les auteurs n’avaient pas clairement définis quelle serait la relation entre cette Union et les autres groupes anarchistes qui lui seraient extérieurs. Il va sans dire qu’il ne devrait pas y avoir de problèmes avec des organisations anarchistes séparés travaillant de concert sur des problèmes sur lesquels ils s’entendent.

Pas plus, comme cela fut dis par les détracteurs du projet et certains de ses supporters plus récents, que ce n’est un programme pour « passer de l’anarchisme au communisme libertaire ». Les deux termes sont complètement interchangeables. Ce texte fut écris pour souligner l’échec des anarchistes russes, leur confusion théorique et, ce qui en découle, leur manque de coordination nationale, leur désorganisation et leur incertitude politique. En d’autre mots leur inefficacité. Ce texte fut écris pour ouvrir un débat à l’intérieur du mouvement anarchiste. Ce texte pointe non pas vers un compromis avec des politiques autoritaires, mais vers la nécessité vitale de combiner une activité révolutionnaire efficace avec des principes anarchistes fondamentaux.

Ce n’est pas un programme parfait maintenant, pas plus que ce ne l’était en 1926. La « Plate-forme » a ses faiblesses. Elle n’explique pas certaines de ces idées avec assez de profondeur, on pourrait argumenter qu’elle ne couvre pas du tout certains points importants. Mais gardons à l’esprit que c’est une petite brochure, pas une encyclopédie en 26 volumes. Les auteurs ont d’ailleurs clairement dis dans leur introduction qu’il ne s’agit pas d’une sorte de « bible ». Ce n’est pas une analyse ou un programme complet, c’est une contribution à un débat nécessaire – un bon point de départ.

Au cas ou qui que ce soit douterait de son à propos aujourd’hui, il faut dire que les idées de bases de la « Plate-forme » sont encore en avance sur les idées dominantes dans le mouvement anarchiste international. Les anarchistes veulent changer le monde pour le mieux, cette brochure nous pointe la direction de certains des outils dont nous avons besoin pour cette tache.

Introduction historique (Nick Heath de l’Anarchist Federation, 1989)

Nestor Makhno et Piotr Arshinov avec d’autres anarchistes russes et ukrainiens en exil à Paris ont lancés en 1925 l’excellent bimensuel Dielo Trouda (Cause Ouvrière). C’était une revue théorique anarcho-communiste de grande qualité. Des années plutôt, quand ils étaient tout deux emprisonnés à la prison de Butirky à Moscou, ils avaient couvé l’idée d’une telle revue. Maintenant il s’agissait de mettre l’idée en pratique. Makhno a écris un article dans pratiquement chaque numéro pendant une période de trois ans. En 1926 le groupe fut rejoint par Ida Mett (l’auteur de la dénonciation du bolchevisme, « La Commune de Kronstadt« ), qui avait récemment fuit la Russie. Cette année là fut aussi l’année de la publication de la « Plate-forme Organisationnelle ».

La publication de la « Plate-forme » fut accueillie avec férocité et indignation par plusieurs dans le mouvement anarchiste international. Le premier à l’attaquer fut l’anarchiste russe Voline (1), qui était maintenant aussi en France, fondateur, avec Sébastien Faure, de la « Synthèse« , une méthode organisationnelle cherchant à justifier un mélange d’anarcho-communisme, d’anarcho-syndicalisme et d’anarcho-individualisme. Avec Molly Steimer, Fleshin, et d’autres, il a écris une réplique affirmant que « maintenir que l’anarchisme n’est qu’une théorie de classe c’est le limiter à un seul point de vue ».

Cela n’a pas empêché le groupe Dielo Trouda de lancer, le 5 février 1927, une invitation à un « congrès international » ainsi qu’une rencontre préliminaire qui devait se tenir le 12 du même mois. Était présents à cette rencontre, en dehors du groupe Dielo Trouda: un délégué des Jeunesses Anarchistes Françaises, Odeon; un bulgare, Pavel, à titre individuel; un délégué du groupe d’anarchiste polonais, Ranko, et un autre polonais à titre individuel; plusieurs militants espagnols parmi lesquels Orobon Fernandez, Carbo et Gibanel; un italien, Ugo Fedeli; un chinois, Chen; et un français, Dauphin-Mercier, tous à titre individuel. Cette première rencontre eu lieu dans la petite arrière boutique d’un café parisien.

Une commission provisoire, composée de Makhno, Chen et Ranko, fut mise sur pied. Un circulaire fut envoyé à tout les groupes anarchistes le 22 février. Un congrès international fut convoqué et se tint le 20 avril 1927, à Hay-les-Roses, près de Paris, dans le cinéma Les Roses.

En plus de ceux qui avait assisté à la première rencontre, il y avait un délégué italien favorable à la « Plate-forme », Bifolchi, et une autre délégation italienne du magazine « Pensiero e Volontà » composée de Luigi Fabbri, Camillo Berneri et Ugo Fedeli. Les français avaient deux délégations, une organisée autour d’Odeon, favorable à la « Plate-forme », et l’autre autour de Severin Fernandel. Une proposition fut déposée visant à:

1. Reconnaître la lutte de classe comme la facette la plus importante de l’idée anarchiste;

2. Reconnaître l’anarcho-communisme comme la base du mouvement;

3. Reconnaître le syndicalisme révolutionnaire comme la méthode principale de lutte;

4. Reconnaître la nécessité d’une « Union générale des anarchistes » basée sur l’unité théorique, l’unité tactique et la responsabilité collective;

5. Reconnaître la nécessité d’un programme positif pour réaliser la révolution sociale.

Après une longue discussion certaines modifications à la proposition originale furent proposées. Cependant rien ne fut adopté parce que la police à interrompue la rencontre et arrêté toute l’assistance. Makhno fut menacé de déportation et seule une campagne menée par les anarchistes français a put l’empêcher. Mais la proposition de mettre sur pied une « Fédération Internationale d’Anarchistes Communistes Révolutionnaires » avait été mise en échec et certains de ceux qui avaient participé au congrès refusaient de la supporter plus longtemps.

D’autre attaque contre la « Plate-forme » venant de Fabbri, de Berneri, de l’historien de l’anarchisme, Max Nettlau, et du célèbre anarchiste italien Malatesta ont suivi. Le groupe Dielo Trouda a répliqué dans une « Réplique au confusioniste de l’anarchisme » et ensuite dans une nouvelle déclaration d’Arshinov sur la « Plate-forme » en 1929. Arshinov fut aigri par la réaction à la « Plate-forme » et est retourné en URSS en 1933. Il fut accusé de « tentative de restaurer l’anarchisme en Russie » et exécuté en 1937, durant les purges de Staline.

La « Plate-forme » a échoué à s’établir au niveau international, mais elle a quand même eu un effet sur plusieurs mouvements. En France, la situation fut marqué par une série de scissions et de fusions, les « plate-formistes » contrôlaient parfois les principales organisations anarchistes et d’autres fois étaient forcés de les quitter pour mettre sur pied leur propres groupes. En Italie, les supporters de la « Plate-forme » ont mis sur pied une petite « Union Anarco-Comunista Italiana » qui s’est rapidement écroulée. En Bulgarie, la discussion sur l’organisation a causé la reconstitution de la Fédération anarchiste communiste de Bulgarie (F.A.C.B.) sur une « plate-forme concrète » « pour un organisation anarchiste spécifique permanente et structurée » « bâtie sur les principes et les tactiques du communisme libertaire ». Cependant, les « plate-formistes » purs et durs ont refusé de reconnaître la nouvelle organisation et l’ont dénoncé dans leur hebdomadaire « Prouboujdane », avant de s’effondrer peu de temps après.

De façon similaire, en Pologne, la Fédération anarchiste de Pologne (FAP) a reconnu le renversement du capitalisme et de l’état par la lutte classe et la révolution sociale; la création d’une nouvelle société basée sur des conseils ouvriers et paysans; une organisation spécifique construite sur l’unité théorique mais a rejeté la Plate-forme en disant qu’elle avait des tendances autoritaires.

En Espagne, comme Juan Gomez Casas le dit dans son livre Anarchist Organisation, The history of the FAI (2): « l’anarchisme espagnol se préoccupait de savoir comment garder et augmenter l’influence qu’il avait depuis l’arrivé de l’Internationale (3) en Espagne« . Les anarchistes espagnols n’avaient pas à s’inquiéter à ce moment là de sortir de l’isolation et de compétionner avec les bolcheviks. En Espagne, l’influence des bolcheviks était encore minime. La Plate-forme n’a pas vraiment affecté le mouvement espagnol. Quand l’organisation anarchiste, la Fédération anarchiste ibérique (FAI), fut mise sur pied en 1927, la Plate-forme ne put pas y être débattue, bien qu’elle fut à l’ordre du jour, parce qu’elle n’avait pas encore été traduite. Comme J. Manuel Molinas, secrétaire à l’époque des groupes anarchistes espagnols en France, l’a plus tard écris à Casas: « la Plate-forme d’Arshinov et d’autres anarchistes russes a eu très peu d’influence sur le mouvement en exil ou au pays… La Plate-forme était une tentative de renouveler, de donner plus de caractère et de capacité au mouvement anarchiste international en lumière avec la révolution russe… Aujourd’hui, après notre propre expérience, il me semble que cet effort ne fut pas pleinement apprécié« .

La guerre mondiale a interrompu le développement des organisations anarchistes, mais la controverse autour de la Plate-forme a réémergée avec la fondation de la Fédération communiste libertaire (FCL) en France et les Groupes anarchistes d’action prolétarienne en Italie au début des années 1950. Tout deux utilisait la Plate-forme comme point de référence (il y eu aussi une petite Fédération communiste libertaire composée d’exilés espagnols). Cela fut suivi, à la fin des années 1960 et au début des années 1970 par la fondations de groupes tels que l’Organisation révolutionnaire anarchiste en France et son homologue en Angleterre.

La plate-forme continue d’être une référence historique de valeur quand les anarchistes luttes-de-classistes, recherchant une meilleure efficacité et une issue à l’isolation politique, à la stagnation et à la confusion, regardent autour d’eux cherchant des réponses aux problèmes auxquels ils font faces.


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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénova

Messagede bipbip » 28 Oct 2017, 16:00

La plate-forme d’organisation des communistes libertaires

Introduction


Il est très significatif qu’en dépit de la force et du caractère incontestablement positif des idées libertaires, de la netteté et de l’intégrité des positions anarchistes face à la révolution sociale, et enfin de l’héroïsme et des sacrifices innombrables apportés par les anarchistes dans la lutte pour le communisme libertaire, le mouvement anarchiste est resté toujours faible malgré tout cela, et a figuré, le plus souvent, dans l’histoire des luttes de la classe ouvrière comme un petit fait, un épisode, et non pas comme un facteur important.

Cette contradiction entre le fond positif et incontestable des idées libertaires et l’état misérable où végète le mouvement anarchiste, trouve son explication dans un ensemble de causes dont la plus importante, la principale, est l’absence de principes et de pratiques organisationnels dans le monde anarchiste.

Dans tous les pays le mouvement anarchiste est représenté par quelques organisations locales préconisant une théorie et une tactique contradictoires n’ayant point de perspectives d’avenir ni de continuité dans le travail militant, et disparaissant habituellement presque sans laisser la moindre trace derrière eux.

Un tel état de l’anarchisme révolutionnaire, si nous le prenons dans son ensemble ne peut être qualifié autrement que comme une « désorganisation générale chronique ».

Telle la fièvre jaune, cette maladie de la désorganisation s’est introduite dans l’organisme du mouvement et le secoue depuis des dizaine d’années.

Il n’est pas douteux toutefois que cette désorganisation a sa source dans quelques défectuosités d’ordre théorique: notamment dans une fausse interprétation du principe d’individualité dans l’anarchisme; ce principe étant trop souvent confondu avec l’absence de toute responsabilité. Les amateurs de l’affirmation de leur « Moi », uniquement en vue d’une jouissance personnelle, s’en tiennent obstinément à l’état chaotique du mouvement anarchiste et se réfèrent, pour le défendre, aux principes immuables de l’anarchisme et de ses maîtres.

Or, les principes immuables et les maîtres démontent justement le contraire.

La dispersion et l’éparpillement, c’est la ruine. L’union étroite, c’est le gage de la vie et du développement. Cette loi de la lutte sociale s’applique aussi bien aux classes qu’aux partis.

L’anarchisme n’est pas une belle fantaisie, ni une idée abstraite de philosophie: c’est le mouvement social des masses laborieuses. Pour cette raison déjà, il doit rallier ses forces en une organisation générale constamment agissante, comme l’exigent la réalité et la stratégie de la lutte des classes.

« Nous sommes persuadés, dit Kropotkine, que la formation d’un parti anarchiste en Russie, loin d’être préjudiciable à l’oeuvre révolutionnaire est au contraire souhaitable et utile au plus haut degré » (préface à la « Commune de Paris » par Bakounine éditions de 1892).

Bakounine ne s’opposait jamais non plus à l’idée d’organisation anarchiste générale. Au contraire, ses aspirations concernant l’organisation ainsi que son activité dans la première internationale ouvrière nous donne tous les droits de voir en lui un partisan actif, précisément, d’une telle organisation.

En général, tous les militants actifs, ou presque, de l’anarchisme combattirent toute action éparpillée et songèrent à un mouvement anarchiste soudé par l’unité du but et des moyens.

C’est pendant la révolution russe de 1917 que la nécessité d’une organisation générale se fit sentir le plus nettement et le plus impérieusement. Ce fut au cours de cette révolution que le mouvement libertaire manifesta le plus haut degré de démembrement et de confusion. L’absence d’une organisation générale amena beaucoup de militants actifs de l’anarchisme dans le rangs des bolchéviks. Elle est la cause de ce que beaucoup de militants restent actuellement dans un état de passivité, empêchant toute application de leurs forces qui sont souvent d’une grande importance.

Nous avons un besoin vital d’une organisation qui, ayant rallié la majorité des participants au mouvement anarchiste, établirait dans l’anarchisme une ligne générale tactique et politique, qui servirait de guide à tout le mouvement.

Il est temps pour l’anarchisme de sortir du marais de la désorganisation, de mettre fin aux vacillations interminables dans les questions théoriques et tactiques les plus importantes, de prendre résolument le chemin du but clairement conçu, et de mener une pratique collective organisée.

Il ne suffit pas, cependant, de constater la nécessité vitale d’une telle organisation, il est nécessaire encore d’établir la méthode de sa création.

Nous rejetons comme théoriquement et pratiquement inapte l’idée de créer une organisation d’après la recette de la « synthèse », c’est à dire réunissant des représentants des différentes tendances de l’anarchisme. Une telle organisation ayant incorporé des éléments théoriquement et pratiquement hétérogène ne serait qu’un assemblage mécanique d’individus concevant d’une façon différente toutes les questions du mouvement anarchiste, assemblage qui se désagrégerait infailliblement à la première épreuve de la vie.

La méthode anarcho-syndicaliste ne résoud pas le problème d’organisation de l’anarchisme, car elle ne donne pas la priorité à ce problème, s’intéressant uniquement à sa pénétration et à son renforcement dans les milieux ouvriers.

On ne peux cependant pas faire grand chose dans ces milieux, même en y prenant pied dans une certaine mesure, si l’on ne possède pas une organisation anarchiste générale.

L’unique méthode menant à la solution du problème d’organisation générale est, à notre avis, le ralliement des militants actifs de l’anarchisme sur la base de positions précises: théoriques, tactiques et organisationnelles, c’est à dire sur base plus ou moins achevée d’un programme homogène.

L’élaboration d’un tel programme est l’une des tâches principales que la lutte sociale des dernières années impose aux anarchistes. C’est à cette tâche que le groupe d’anarchistes russes à l’étranger consacre une part importante de ses efforts.

La « Plate-forme d’organisation » publiée ci-dessous représente les grandes lignes, l’armature d’un tel programme. Elle doit servir de premier pas vers le ralliement des forces libertaires en une seule collectivité révolutionnaire active, capable d’agir: l’Union générale des Anarchistes.

Nous ne nous faisons pas d’illusions sur telle ou telle lacune de la présente Plate-forme. Sans aucun doute, en a-t-elle, comme du reste toute démarche pratique nouvelle d’une certaine importance. Il se peut que certaines positions essentielles y soient omises, ou que certaines autres y soient insuffisamment traitées, ou que d’autres encore y soient, au contraire, trop détaillées ou trop répétées. Tout cela est possible. Mais ce n’est pas le plus important. Ce qui importe, c’est de jeter les fondements d’une organisation générale. Et c’est ce but qui est atteint, à un degré nécessaire par la présente Plate-forme.

C’est à la collectivité entière – l’union des anarchistes – de l’élargir, de l’approfondir, plus tard d’en faire un programme définitif pour tout le mouvement anarchiste.

Sur un autre plan aussi, nous ne nous faisons pas d’illusions. Nous prévoyons que plusieurs représentants du soit-disant individualisme et de l’anarchisme chaotique nous attaqueront la bave aux lèvres, et nous accuseront d’avoir enfreint les principes anarchistes.

Nous savons cependant que les éléments individualistes et chaotiques comprennent sous le titre de « principes libertaires » et « je m’en foutisme », la négligence et l’absence de toute responsabilité, qui portèrent à notre mouvement des blessures presque inguérissables et contre lesquelles nous luttons avec toute notre énergie, toute notre passion. C’est pourquoi nous pouvons en toute tranquillité négliger les attaques venant de ce camp.

Nous fondons nos espoirs sur d’autres militants: sur ceux qui restés fidèles à l’anarchisme, ayant vécu et souffert la tragédie du mouvement anarchiste, cherchent douloureusement une issue.

Et puis nous fondons de grandes espérances sur la jeunesse libertaire qui, née sous le souffle de la révolution russe et prise, dès le début, dans le cercle des réalités concrètes exigera certainement la réalisation de principes organisationnels et constructifs de l’anarchisme.

Nous invitons toutes les organisations anarchistes russes dispersées dans les divers pays du monde et aussi les militants isolés de l’anarchisme à s’unir en une seule collectivité révolutionnaire, sur la base d’une Plate-forme commune d’organisation.

Puisse cette plateforme servir de mot d’ordre révolutionnaire et de point de ralliement à tous les militants du mouvement anarchiste russe!

Puisse-t-elle poser les fondements de l’Union Générale des Anarchistes!

VIVE LA RÉVOLUTION SOCIALE DES TRAVAILLEURS DU MONDE.

Groupe DIELO TROUDA

Paris, 20 juin1926


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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénova

Messagede bipbip » 28 Oct 2017, 16:07

Partie générale

1. La lutte des classes, son rôle et son sens.

Il n’y a pas d’humanité UNE. Il y a une humanité des classes: esclaves et maîtres.

De même que toutes celles qui l’on précédée, la société capitaliste et bourgeoise de nos temps n’est pas une. Elle est divisée en deux camps très distincts, se différenciant socialement par leur situation et leur fonction: le prolétariat (dans le sens étendu du mot) et la bourgeoisie.

Le sort du prolétariat est, depuis des siècles, celui de porter le fardeau d’un labeur physique pénible, dont les fruits reviennent cependant, non pas à lui mais à une autre classe privilégiée, détentrice de la propriété, de l’autorité et des produits de la culture (science, instruction, etc..): la bourgeoisie. L’asservissement social et l’exploitation des masses laborieuses forment la base sur laquelle repose la société moderne, sans laquelle cette société ne pourrait pas exister.

Ce fait engendra une lutte des classes séculaire, prenant tantôt un caractère ouvert et violent, tantôt une allure insensible et lente, mais dirigée toujours, quand au fond, vers la transformation de la société actuelle en une société qui répondrait aux besoins, aux nécessités et à la conception de la justice des travailleurs.

Toute l’histoire humaine représente dans le domaine social une chaîne ininterrompue de luttes que les masses laborieuses menèrent pour leurs droits, leur liberté et une vie meilleure. Cette lutte des classes fut toujours dans l’histoire des sociétés humaines le principal facteur qui détermina la forme et les structures de ces sociétés.

Le régime social et politique de tout pays est avant tout le produit de la lutte des classes. La structure donnée d’une société quelconque nous montre l’état où s’est arrêtée et où se trouve la lutte des classes. Le moindre changement dans la situation mutuelle des forces de classe en lutte produit incessamment des modifications dans les tissus et les structures de la société.

Telle est la portée générale, universelle et le sens de la lutte des classes dans la vie des sociétés de classes.


2. Nécessité d’une révolution sociale violente

Le principe d’asservissement des masses par la violence constitue la base de la société moderne. Toutes les manifestations de son existence – l’économie, la politique, les relations sociales – reposent sur la violence de classe dont les organes de service sont, l’autorité, la police, l’armée, le tribunal. Tout dans cette société chaque entreprise prise isolément, de même de tout le système d’état, n’est que le rempart du capitalisme où l’on a constamment l’oeil sur les travailleurs, où l’on tient toujours prêtes les forces destinées à réprimer les travailleurs menaçant les fondements ou même la tranquillité de la société actuelle.

En même temps, le système de cette société maintient délibérément les masses laborieuses dans un état d’ignorance et de stagnation mentale: il empêche par la force le relèvement de leur niveau moral et intellectuel, afin d’en avoir plus facilement raison.

Les progrès de la société moderne, l’évolution technique du capital et le perfectionnement de son système politique, fortifient la puissance des classes dominantes et rendent de plus en plus difficile la lutte contre elles, faisant, ainsi, reculer le moment décisif de l’émancipation du travail.

L’analyse de la société moderne nous amène à la conclusion qu’il n’y a que la voie de la révolution sociale violente pour transformer la société capitaliste en une société de travailleurs libres.


3. L’anarchisme et le communisme libertaire

La lutte des classes créée par l’esclavage des travailleurs et leurs aspirations à la liberté fit naître dans les milieux des opprimés l’idée de l’anarchisme: l’idée de la négation du système social fondé sur les principes de classes et de l’État, et de son remplacement par une société libre et non-étatiste des travailleurs s’administrant eux-mêmes.

L’Anarchisme naquit donc, non pas des réflexions abstraites d’un savant ou d’un philosophe, mais de la lutte directe menée par les travailleurs contre le capital, des besoins et des nécessités des travailleurs, de leurs applications vers la liberté et l’égalité, aspirations qui deviennent particulièrement vives aux meilleures époques héroïques de la vie et de la lutte des masses laborieuses.

Les penseurs éminents de l’anarchisme, Bakounine, Kropotkine et d’autres n’ont pas créé l’idée d’anarchisme mais, l’ayant trouvée dans les masses, ont simplement aidé par la puissance de leur pensée et de leurs connaissances, à la préciser et à la répandre.

L’anarchisme n’est pas le résultat d’oeuvres personnelles ni l’objet de recherches individuelles.

De la même façon, l’anarchisme n’est nullement le produit d’aspirations humanitaires. L’humanité « une » n’existe pas. Toute tentative de faire de l’anarchisme l’attribut de toute l’humanité telle qu’elle est actuellement, de lui attribuer un caractère généralement humanitaire, serait un mensonge historique et social qui aboutirait infailliblement à la justification de l’ordre actuel et d’une nouvelle exploitation.

L’anarchisme est généralement humanitaire uniquement dans le sens que les idéaux des classes laborieuses tendent à rendre saines la vie de tous les hommes, et que le sort de l’humanité d’aujourd’hui ou de demain est lié à celui du travail asservi. Si les masses laborieuses sont victorieuses, l’humanité toute entière renaîtra. Si elles ne vainquent pas, la violence, l’exploitation, l’esclavage, l’oppression régneront comme auparavant dans le monde…

La naissance, l’épanouissement la réalisation des idéaux anarchistes ont leurs racines dans la vie et la lutte des masses laborieuses et sont inséparablement liés au sort de ces dernières.

L’anarchisme aspire à transformer la société bourgeoise et capitaliste en une société qui assurerait aux travailleurs les produits de leurs travail, la liberté, l’indépendance, l’égalité sociale et politique. Cette autre société sera le communisme libertaire. C’est dans le communisme libertaire que trouvent leur pleine expansion la solidarité sociale et la libre individualité, et que ces deux idées se développent en parfaite harmonie.

Le communisme libertaire estime que l’unique créateur des valeurs sociales est le travail, physique et intellectuel, et pas conséquent que seul le travail a le droit de gérer toute la vie économique et sociale. C’est pourquoi il ne justifie ni n’admet en aucune mesure l’existence des classes non laborieuses.

Tant que ces classes subsisteront en même temps que le communisme libertaire, ce dernier ne reconnaîtra pas de devoir envers elles. Ce ne sera que lorsque les classes non laborieuses se décideront à devenir productives et voudrons vivre dans la société communiste aux même conditions que tous les autres qu’elles y prendront une place analogue à celles de tout le monde, c’est-à-dire celle des membres libres de la société jouissant des même devoirs que tous les autres membres laborieux.

Le communisme libertaire aspire à la suppression de toute exploitation et de toute violence, aussi bien contre l’individu que contre les masses. Dans ce but, il établit une base économique et sociale qui unifie en un ensemble harmonieux toute la vie économique et sociale du pays, assure à tout individu une situation égale à celle des autres, et apporte à chacun le maximum de bien-être. Cette base est la mise en commun sous forme de socialisation, de tous les moyens et instruments de production (industrie, transports, terre, matières premières, …) et l’édification d’organismes économiques sur le principe de l’égalité d’auto-administration des classes laborieuses.

Dans les limites de cette société autogérée des travailleurs, le communisme libertaire établit le principe d’égalité de la valeur et des droits de tout individu (non pas de l’individualité « en général », ni non plus de « l’individualité mystique ou du concept de l’individualité, mais de l’individu concret).

C’est de ce principe d’égalité, et aussi de ce que la valeur du travail fourni par chaque individu ne peut être mesurée ni estimée que découle le principe fondamental économique, social et juridique du communisme libertaire: « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ».


4. La négation de la démocratie

La démocratie est une des formes de la société capitaliste et bourgeoise.

La base de la démocratie est le maintien de deux classes antagonistes de la société moderne: celle du travail et celle du capital, et leur collaboration sur le fondement de la propriété capitaliste privée. L’expression de cette collaboration est le parlement et le gouvernement national représentatif.

Formellement, la démocratie proclame la liberté de la parole, de la presse, des associations, tant qu’elles ne contestent pas les intérêts de la classe dominante, c’est-à-dire, la bourgeoisie.

La démocratie maintient intact le principe de la propriété capitaliste privée. Par là-même, elle laisse à la bourgeoisie le droit de tenir entre ses mains toute l’économie du pays, toute la presse, l’enseignement, la science, l’art, ce qui en fait, rend la bourgeoisie maîtresse absolue du pays. Ayant le monopole dans le domaine de la vie économique, la bourgeoisie peut établir son pouvoir illimité aussi dans le domaine politique. En effet le gouvernement représentatif, le parlement, ne sont, dans les démocraties, que des organes exécutifs de la bourgeoisie.

Par conséquent, la démocratie n’est que l’un des aspects de la dictature bourgeoise, voilée sous des formules trompeuses de libertés politiques et de garanties fictives.


5. La négation de l’autorité

Les idéologues de la bourgeoisie définissent l’État comme l’organe régularisant les relations complexes politiques civiles et sociales entre les hommes au sein de la société moderne, protégeant l’ordre et les lois de cette dernière. Les anarchistes sont parfaitement d’accord avec cette définition, mais ils la complètent en affirmant qu’à la base de cet ordre et de ces lois se trouve l’asservissement de l’énorme majorité du peuple par une minorité insignifiante, et que c’est à cela précisément que sert l’État.

L’État est, simultanément, la violence organisée de la bourgeoisie envers les travailleurs et le système de ses organes exécutifs.

Les socialistes de gauche et, en particulier, les bolcheviks considèrent eux aussi l’autorité et l’État bourgeois comme des serviteurs du capital. Mais ils estiment que l’autorité et l’État peuvent devenir, entre les mains de partis socialistes, un moyen puissant dans la lutte pour l’émancipation du prolétariat. Pour cette raison ces partis sont pour une autorité socialiste et un État prolétarien. Les uns veulent la conquête du pouvoir par des moyens pacifiques, parlementaires (les sociaux démocrates); les autres par la voie révolutionnaire (les bolcheviks, les socialistes, révolutionnaires de gauche).

L’anarchisme considère ces deux thèses comme foncièrement erronées, néfastes pour l’oeuvre d’émancipation du travail.

L’autorité est toujours liée à l’exploitation et à l’asservissement des masses populaires. Elle naît de cette exploitation, où elle est créée dans les intérêts de cette dernière. L’autorité sans violence et sans exploitation perd toute raison d’être.

L’État et l’Autorité enlèvent aux masses l’initiative, tuent l’esprit de création et d’activités libres, cultivent en elles la psychologie servile de soumission, d’attente, d’espoir de gravir les échelons sociaux, de confiance aveugle et des guildes, l’illusion de partager l’Autorité. Or l’émancipation des travailleurs n’est possible que dans le processus de la lutte révolutionnaire directe des vastes masses laborieuses et de leurs organisations de classes contre le système capitaliste.

La conquête du pouvoir par les partis sociaux-démocrates, par les moyens parlementaires, dans les conditions de l’ordre actuel, ne fera pas avancer un seul pas l’oeuvre d’émancipation du travail, pour la simple raison que la bourgeoisie qui tiendra dans les mains toute l’économie et toute la politique du pays. Le rôle de l’autorité socialiste se réduira, dans ce cas aux réformes, à l’amélioration de ce même régime bourgeois. (Exemples: Mac Donald, les partis sociaux démocrates de l’Allemagne, de la Suède, de la Belgique, parvenus au pouvoir dans la société capitaliste).

La prise de pouvoir à l’aide d’un bouleversement social et de l’organisation d’un soi-disant « État prolétarien » ne peut pas d’avantage servir la cause de l’authentique émancipation du travail.

L’État construit tout d’abord soit-disant pour la défense de la révolution, finit infailliblement par être gonflé des besoins et des caractéristiques propres à lui seul, devenant lui-même le but, produit des castes spécifiques privilégiées sur lesquelles il s’appuie: il soumet les masses par la force à ses besoins et à ceux des castes privilégiées et rétablit par conséquent le fondement de l’autorité et de l’État capitalistes: l’asservissement et l’exploitation habituelles des masses par la violence (exemple: l’ « état ouvrier et paysan » des bolcheviks).


6. Le rôle des masses et le rôle des anarchistes dans la lutte sociale et dans la révolution sociale.

Les forces principales de la révolution sociale sont la classe ouvrière des villes, les masses paysannes et une partie de l’intelligentsia laborieuse.

Remarque: tout en étant, de même que le prolétariat des villes et des campagnes une classe opprimée et exploitée, l’intelligentsia laborieuse est relativement plus désunie que les ouvrier et les paysans grâce aux privilèges économiques octroyés par la bourgeoisie à certains de ses éléments. C’est pourquoi, les premiers jours de la révolution sociale, les couches les moins aisées de l’intelligentsia seulement y prendront une part active.

La conception anarchiste de rôle des masses dans la révolution sociale et dans la construction du socialisme diffère d’une façon typique de celle des partis étatistes. Tandis que le bolchevisme et les courants qui lui sont apparentés estiment que la masse laborieuse ne possède que des instincts révolutionnaires destructifs, étant incapable d’une activité révolutionnaire créatrice et constructive – raison principale pour laquelle cette dernière doit se concentrer entre les mains de hommes formant le gouvernement de l’État ou le Comité Central du Parti – les anarchistes pensent au contraire que la masse laborieuse porte en elle d’énormes possibilités créatrices et constructives, et ils aspirent à supprimer les obstacles empêchant leur manifestation.

Les anarchistes considèrent l’État précisément comme obstacle principal, usurpant les droits des masses et leur enlevant toutes les fonctions de la vie économique et sociale. L’État doit périr, non pas d’un jour dans la société future, mais tout suite. Il doit être détruit par les travailleurs le premier jour de leur victoire, et ne doit pas être rétabli sous quelque forme que ce soit. Il sera remplacé par un système fédéraliste des organisations de production et de consommation des travailleurs unifiées fédéralement et s’auto-administrant. Ce système exclut aussi bien l’organisation de l’Autorité que la dictature d’un parti que qu’il soit.

La révolution russe montre précisément cette orientation du processus d’émancipation sociale dans la création du système des soviets des ouvriers et des paysans et des comités d’usines. Sa triste erreur fut de ne pas avoir liquidé en temps opportun l’organisation du pouvoir d’État du gouvernement provisoire d’abord, du pouvoir bolchevik ensuite. Les bolcheviks mettant à profit la confiance des ouvriers et des paysans, réorganisèrent l’État bourgeois conformément aux circonstances du moment et tuèrent ensuite à l’aide de cet État l’activité créatrice des masses en étouffant le régime libre des soviets et des comités d’usines qui représentaient les premiers pas vers l’édification d’une société non-étatiques, socialiste.

L’action des anarchistes peut être divisée en deux périodes: celle d’avant la révolution, et celle pendant la révolution. Dans l’un et dans l’autre cas, les anarchistes ne pourront remplir leur rôle seulement en tant que force organisée ayant une conception nette des objectifs de leur lutte et des voies menant vers la réalisation de ces objectifs.

La tâche fondamentale de l’Union Anarchiste Générale, en période révolutionnaire, doit être la préparation des ouvriers et des paysans à la révolution sociale.

En niant la démocratie formelle (bourgeoise), l’Autorité de l’État, en proclamant l’émancipation complète du travail, l’anarchisme accentue au maximum les principes rigoureux de la lutte des classes: il éveille et développe dans les masses la conscience de classe et l’intransigeance révolutionnaire de classe.

C’est précisément dans le sens de l’intransigeance de classe, de l’anti-démocratisme, des idéaux du communisme anarchiste, que l’éducation libertaire des masses doit se faire. Mais l’éducation seule ne suffit pas. Ce qui est nécessaire aussi, c’est une certaine organisation anarchiste des masses. Pour la réaliser, il faut oeuvrer dans deux sens: d’une part, dans celui de la sélection et du groupement des forces révolutionnaires ouvrières et paysannes sur une base théorique communiste libertaire (organisations spécifiques communistes libertaires); d’autre part, dans le sens du regroupement des ouvriers et paysans révolutionnaires sur une base économique de production et de consommation (organisation de production des ouvriers et paysans révolutionnaires, coopératives ouvrières et paysannes libres, etc…).

La classe ouvrière et paysanne, organisée sur une base de production et de consommation et pénétrée des positions de l’anarchisme révolutionnaire, sera le premier point d’appui de la révolution sociale. Plus ces milieux deviendront conscients et organisés d’une façon anarchiste, dès à présent, plus ils manifesteront une volonté d’intransigeance et de création libertaires au moment de la révolution.

Quant à la classe ouvrière en Russie, il est clair qu’après huit ans de dictature bolcheviste, qui enchaîne les besoins naturels des masses, l’activité libre, démontre, mieux que quiconque, la véritable nature de tout pouvoir; cette classe recèle en elle des possibilités énormes pour la formation d’un mouvement anarchiste de masse. Les militants anarchistes organisés doivent aller immédiatement, avec toutes leurs forces disponibles, à la rencontre de ces besoins et possibilités, afin de ne pas leur permettre de dégénérer en réformisme (menchevisme). Avec la même urgence, les anarchistes doivent s’appliquer de toutes leurs forces à organiser la paysannerie pauvre, écrasée par le pouvoir étatique, recherchant une issue et recelant des possibilités révolutionnaires énormes en elle.

Le rôle des anarchistes en période révolutionnaire ne peut se borner à la seule propagande de mots d’ordre et des idées libertaires.

La vie apparaît comme l’arène non seulement de la propagande de telle ou telle conception, mais aussi au même degré comme l’arène de la lutte, de la stratégie et des aspirations de ces conceptions à la direction de la vie sociale et économique.

Plus que toute autre conception, l’anarchisme doit devenir la conception directrice de la révolution sociale car ce ne sera que sur la base théorique de l’anarchisme que la révolution sociale pourra aboutir à l’émancipation complète du travail.

La position directrice des idées anarchistes dans la révolution signifie une orientation anarchiste des événements. Il ne faut pas confondre, toutefois, cette force théorique motrice avec la direction politique des partis étatistes qui aboutit finalement au Pouvoir d’État.

L’anarchisme n’aspire ni à la conquête du pouvoir politique, ni à la dictature. Son aspiration principale est d’aider les masses à prendre la voie authentique de la révolution sociale et de la construction socialiste. Mais il ne suffit pas que les masses prennent la voie de la révolution sociale. Il est nécessaire aussi de maintenir cette orientation de la révolution et de ces objectifs: la suppression de la société capitaliste, au nom de celle des travailleurs libres. Comme l’expérience de la révolution russe de 1917 nous l’a montré, cette dernière tâche est loin d’être facile, à cause surtout des nombreux partis qui cherchent à orienter le mouvement dans une direction opposée à la révolution sociale.

Bien que les masses s’expriment profondément dans les mouvements sociaux par des tendances et des mots d’ordre anarchistes, ces tendances et mots d’ordres restent cependant éparpillés, n’étant pas coordonnés, et par conséquent n’amènent pas à organiser la puissance motrice des idées libertaires qui est nécessaire pour garder dans la révolution sociale l’orientation et les objectifs anarchistes. Cette force théorique motrice ne peut s’exprimer que par un collectif spécialement créé par les masses à cet effet. Les éléments anarchistes organisés constituent précisément ce collectif. Les devoirs théoriques et pratiques de ce collectif, au moment de la révolution sont considérables.

Il doit manifester son initiative et déployer une participation totale dans tous les domaine de la révolution sociale: celui de l’orientation et du caractère général de la révolution, celui des tâches positives de la révolution dans la nouvelle production, celui de la guerre civile et de la défense de la révolution, de la consommation, de la question agraire, etc…

Sur toutes ces questions et sur nombres d’autres, la masse exige des anarchistes une réponse claire et précise. Et du moment que les anarchistes prônent une conception de la révolution et de la structure de la société, ils sont obligés de donner à toutes ces questions une réponse nette, de relier la solution de ces problèmes à la conception générale du communisme libertaire et de consacrer toutes leurs forces à leur réalisation effective.

Dans ce cas seulement, l’Union Anarchiste Générale et le mouvement anarchiste assurent complètement leur fonction théorique motrice dans la révolution sociale.


7. La période transitoire

Les partis politiques socialistes entendent par l’expression « période de transition », une phase déterminée dans la vie d’un peuple, dont les traits caractéristique sont: la rupture avec l’ancien ordre des choses et l’instauration d’un nouveau système économique et politique, système qui, toutefois, ne représente pas encore l’émancipation complète des travailleurs.

Dans ce sens, tous les programmes minimum des partis politiques socialistes, par exemple le programme démocratique des socialistes opportunistes où le programme de la « dictature du prolétariat » des communistes, sont des programmes de la période transitoire.

Le trait essentiel de ces programmes-minimum est que, tous, ils estiment impossible, pour le moment, la réalisation complètes des idéaux des travailleurs: leur indépendance, leur liberté, leur égalité, et par conséquent, conservent toute une série d’institutions du système capitaliste: le principe de la contrainte étatiste, la propriété privée des moyens et instruments de production, le salariat, et plusieurs autres, selon les buts auxquels tel ou tel autre programme des partis se réfère.

Les anarchistes ont toujours été les adversaires de principe des programmes semblables, estimant que la construction de systèmes transitoires qui maintiennent les principes d’exploitation et de contrainte des masses mène inévitablement à une nouvelle croissance de l’esclavage.

Au lieu d’établir des programmes-minimum politiques, les anarchistes ont toujours défendu l’idée de la révolution sociale immédiate qui priverait la classe capitaliste des privilèges économiques et politiques et remettrait les moyens et instruments de production, ainsi que toutes les fonctions de la vie économique et sociale dans les mains des travailleurs.

Cette position, les anarchistes la gardent jusqu’à présent.

L’idée de la période transitoire, selon laquelle la révolution sociale doit aboutir, non pas à la société communiste, mais à un système X, conservant les éléments et les survivances du vieux système capitaliste est antisociale par essence. Elle menace de faire aboutir au renforcement et au développement de ces éléments jusqu’à leurs dimensions d’autrefois, et fait rétrograder les événements.

Un exemple éclatant en est le régime de la « dictature du prolétariat » établi par les bolcheviks en Russie.

Selon eux, ce régime ne devait être qu’une étape transitoire vers le communisme total. en réalité, cette étape a abouti de fait à la restauration de la société de classes, au fond de laquelle se trouvent, comme auparavant, les ouvriers et les paysans pauvres.

Le centre de gravité dans la construction de la société communiste ne consiste pas en la possibilité d’assurer à chaque individu dès le premier jour de la révolution la liberté illimitée de pouvoir satisfaire ses besoins, mais s’affirme dans le fait de conquérir la base sociale de cette société et d’établir les principes de rapports égalitaires entre les individus. Quand à la question d’une abondance de biens plus ou moins grande, elle ne se situe pas au niveau du principe mais se pose comme un problème technique.

Le principe fondamental sur lequel sera érigé la société nouvelle, principe sur lequel reposera, pour ainsi dire, cette société et qui ne devra être restreint en aucune mesure, est celui de l’égalité des rapports, de la liberté et de l’indépendance des travailleurs. Or, ce principe représente justement l’exigence première fondamentale des masses au nom de laquelle elles se soulèveront seulement pour la révolution sociale.

De deux choses l’une: ou bien la révolution sociale se terminera par la défaite des travailleurs, et dans ce cas: il faudra recommencer à se préparer à la lutte, à une nouvelle offensive contre le système capitaliste; ou bien elle amènera une victoire des travailleurs et dans ce cas, ces derniers s’étant emparés des moyens leur permettant de s’auto-administrer – de la terre, de la production et des fonctions sociales – entameront la construction de la société libre.

C’est ce qui caractérisera le début de l’édification de la société communiste qui, une fois commencée, suivra alors sans interruption le cours de son développement, en se fortifiant et en se perfectionnant sans cesse.

De cette façon, la prise en main des fonctions productives et sociales pour les travailleurs tracera une ligne de démarcation nette entre l’époque étatiste et celle du non-étatisme.

S’il veut devenir le porte-parole des masses en lutte, le drapeau de toute une époque sociale révolutionnaire, l’anarchisme ne doit pas assimiler son programme aux survivances du monde périmé, aux tendances opportunistes des systèmes et périodes de transition, ni cacher ses principes fondamentaux, mais , au contraire, les développer et les appliquer au maximum.


8. Anarchisme et syndicalisme

Nous considérons comme artificielle, privée de tout fondement et de tout sens, la tendance d’opposer le communisme libertaire au syndicalisme et vice-versa.

Les notions de l’anarchisme et du syndicaliste appartiennent à deux plans différents. Tandis que le communisme, c’est-à-dire, la société libre des travailleurs égaux, est le but de la lutte anarchiste, le syndicalisme, c’est-à-dire le mouvement ouvrier révolutionnaire par profession, n’est que l’une des formes de la lutte révolutionnaire de classe. En unissant les ouvriers sur la base de la production, le syndicalisme révolutionnaire, comme du reste tout groupement professionnel, n’a pas de théorie déterminée; il n’a pas une conception du monde répondant à toutes les questions compliquées sociales et politiques de la réalité contemporaine. Il reflète toujours l’idéologie de divers groupements politique, de ceux notamment qui oeuvrent le plus intensément dans ses rangs.

Notre attitude vis-à-vis du syndicalisme révolutionnaire découle de ce qui vient d’être dit. Sans nous préoccuper ici de résoudre à l’avance la question du rôle des syndicats révolutionnaires au lendemain de la révolution, c’est à dire de savoir s’ils seront les organisateurs de toute production nouvelle, ou s’il céderont ce rôle aux soviets ouvriers, ou encore aux comités d’usine, nous estimons que les anarchistes doivent participer au syndicalisme révolutionnaire comme l’une des formes du mouvement ouvrier révolutionnaire.

Cependant, la question telle qu’elle se pose aujourd’hui n’est pas de savoir si les anarchistes doivent ou non participer au syndicalisme révolutionnaire mais plutôt comment et dans quel but ils doivent y prendre part.

Nous considérons toute la période précédente, jusqu’à nos jours, lorsque les anarchistes entraient dans le mouvement syndicaliste révolutionnaire en qualité de militants et de propagandistes individuels – comme une période de relations artisanales vis-à-vis du mouvement ouvrier professionnel.

L’anarcho-syndicalisme, cherchant à introduire avec force les idées libertaires dans l’aile gauche du syndicalisme révolutionnaire, au moyen de la création de syndicats de type anarchiste, représente, sous ce rapport, un pas en avant; mais il ne dépasse pas encore tout à fait la méthode empirique. Car l’anarcho-syndicalisme ne lie pas obligatoirement l’oeuvre d' »anarchisation » du mouvement syndicaliste avec celle de l’organisation des forces anarchistes en dehors de ce mouvement. Or, ce n’est qu’à la condition d’une telle liaison qu’il est possible « d’anarchiser » le syndicalisme révolutionnaire et de l’empêcher de dévier vers l’opportunisme et le réformisme.

Considérant le syndicalisme révolutionnaire uniquement comme un mouvement professionnel des travailleurs n’ayant pas une théorie sociale et politique déterminée, et par conséquent, étant impuissant à résoudre par lui-même la question sociale, nous estimons que la tâche des anarchistes dans les rangs de ce mouvement consiste à y développer les idées libertaires, à l’orienter dans un sens libertaire, afin de le transformer en une armée active de la révolution sociale. Il importe de ne jamais oublier que le syndicalisme ne trouve pas l’appui en temps opportun de la théorie anarchiste, il s’appuie alors, bon gré mal gré, sur l’idéologie d’un parti politique étatique quelconque.

Le syndicalisme français, qui a brillé jadis de mots d’ordre et de tactiques anarchistes, est tombé ensuite sous l’influence des bolcheviks d’une part , et surtout d’autre part des socialistes opportunistes de droite, en est un exemple frappant.

Mais la tâche des anarchistes dans les rangs du mouvement ouvrier révolutionnaire ne pourra être rempli qu’à condition que leur oeuvre y soit étroitement liée et conciliée avec l’activité de l’organisation anarchiste se trouvant en dehors du syndicat. Autrement dit, nous devons entrer dans le mouvement professionnel révolutionnaire comme une force organisée, responsable du travail accompli dans les syndicats devant l’organisation anarchiste générale, et orienté par cette dernière.

Sans nous borner à la création de syndicats anarchistes, nous devons chercher à exercer notre influence théorique sur le syndicalisme révolutionnaire tout entier, et dans toutes ses formes (les IWW, les Unions Professionnelles russes, etc…). Ce but, nous ne pourrons l’atteindre autrement qu’en nous mettant à l’oeuvre en tant que collectif anarchiste rigoureusement organisé, mais en aucun cas en petits groupes empiriques, n’ayant entre eux ni liaison organisationnelle, ni convergence théorique.

Des groupements anarchistes dans les entreprises et les usines, préoccupés par la création de syndicats anarchistes, menant la lutte dans les syndicats révolutionnaires pour la prépondérance des idées libertaires dans le syndicalisme, groupements orienté dans leur action par une organisation anarchiste générale: tels sont le sens et les formes de l’attitude des anarchistes vis-à-vis du syndicalisme révolutionnaire qui s’y rattachent.


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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénova

Messagede bipbip » 28 Oct 2017, 16:11

Partie constructive

1. Le problème du premier jour de la révolution sociale

Le but fondamental du monde du travail en lutte est la fondation, au moyen de la révolution, d’une société communiste libre, égalitaire, fondée sur le principe: « De chacun selon ses forces, à chacun selon ses besoins ».

Cependant, cette société ne se réalisera pas d’elle même, uniquement par la force du bouleversement social. Sa réalisation se présentera comme un processus social-révolutionnaire plus ou moins prolongé, orienté par les forces organisées du travail victorieux sur une voie déterminée.

Notre tâche est d’indiquer d’ores et déjà cette voie, de formuler les problèmes positifs et concrets qui se poseront aux travailleurs dès le premier jour de la révolution sociale. Le sort même de cette dernière dépendra de leur juste solution.

Il va de soi que la construction de la nouvelle société ne sera possible qu’après la victoire des travailleurs sur le système actuel capitaliste et bourgeois et sur ses représentants. Il est impossible de commencer la construction d’une nouvelle économie et de nouveaux rapport sociaux tant que la puissance de l’État défendant le régime d’esclavage n’a pas été brisée, tant que les ouvriers et paysans n’auront pas pris entre leurs mains, dans le régime révolutionnaire, l’économie industrielle et agraire du pays.

Par conséquent, la toute première tâche de la révolution sociale est de détruire l’édifice étatiste de la société capitaliste, de priver la bourgeoisie et, en général, tous les éléments socialement privilégiés, des moyens du pouvoir, et d’établir partout la volonté du prolétariat révolté, exprimée dans les principes fondamentaux de la révolution sociale. Cet aspect destructif et combatif de la révolution ne fera que déblayer la route en vue des tâches positives formant le sens et l’essence de la révolution sociale.

Les tâches sont les suivantes:

1.La solution, dans le sens communiste libertaire, du problème de la production industrielle du pays.

2.La solution dans le même sens, du problème agraire.

3.La solution du problème de la consommation (l’approvisionnement).


2. La production

Tenant compte du fait que l’industrie du pays est le résultat des effort de plusieurs générations de travailleurs, et que les diverses branches de l’industrie sont étroitement liées entre elles, nous considérons toute la production actuelle comme un seul atelier de producteurs, appartenant à tous les travailleurs dans leur ensemble, et à personne en particulier.

Le mécanisme productif du pays est global et il appartient à toute la classe ouvrière. Cette thèse détermine le caractère et la forme de la production nouvelle. Elle sera aussi globale, commune dans le sens que les produits réalisés par les travailleurs appartiendront à tous. Ces produits, de quelque catégorie qu’ils soient, constitueront le fond général d’approvisionnement des travailleurs, où tout participant à la nouvelle production recevra tout ce dont il a besoin, sur une base égale pour tous.

Le nouveau système de production supprimera totalement le salariat et l’exploitation sous toutes leurs formes, et établira à leur place le principe de collaboration fraternelle et solidaire des travailleurs.

La classe moyenne qui, dans la société capitaliste moderne, exerce des fonctions intermédiaires et improductives – le commerce et autres – de même que la bourgeoisie, devront prendre part à la nouvelle production, dans les mêmes conditions que tous les autres travailleurs. Dans le cas contraire, ces classes se mettront elles-mêmes hors de la société laborieuse.

Il n’y aura pas de patrons, que ce soit l’entrepreneur, le propriétaire ou l’État-propriétaire (comme c’est le cas aujourd’hui dans l’État des bolcheviks). Les fonctions organisatrices passeront, dans la nouvelle production à des organes administratifs créés spécialement à cet effet par les masses ouvrières: soviets ouvriers, comités d’usine ou administration ouvrières des entreprises et des usines. Ces organes, reliés entre eux sur le plan d’une commune, d’un district, et ensuite de tout le pays, formeront des institutions de communes, de districts, et enfin générales et fédérales de gestion de la production. Désignés par la masse et se trouvant constamment sous son contrôle et son influence, tout ces organes seront constamment renouvelés et réaliseront ainsi l’idée de l’autogestion authentique des masses.

La production unifiée, dont les moyens et les produits appartiennent à tous, ayant remplacé le salariat par le principe de la collaboration fraternelle et ayant établit l’égalité des droits pour tous les producteurs la production menée par des organes de gestion ouvrière, élus par les masses; tel est le premier pas pratiqué sur la voie de la réalisation du communisme libertaire.


3. La consommation

Ce problème surgira dans la révolution sous un double aspect:

1.le principe de la recherche des produits de consommation

2.le principe de leur répartition

En ce qui concerne la répartition des produits de la consommation, les solutions dépendront surtout de la quantité des produits disponibles, du principe de la conformité au but, etc…

La révolution sociale, se chargeant de la reconstruction de tout l’ordre social actuel, prend sur elle même l’obligation de s’occuper des besoins vitaux de tous. La seule exception est le groupe des non-travailleurs – ceux qui refusent de prendre part à la nouvelle production pour des motifs d’ordre contre-révolutionnaire. Mais, en général, et à l’exception de cette dernière catégorie de gens, la satisfaction des besoins de toute la population du territoire de la révolution sociale est assurée par la réserve de consommation générale. Dans le cas où la quantité de produits est insuffisante, elle est répartie selon le principe de la plus grande urgence: c’est à dire en premier lieux aux enfants, aux malades et aux familles ouvrières.

Un problème beaucoup plus difficile sera celui de l’organisation du fonds de consommation même.

Sans aucun doute, aux premiers jours de la révolution, les villes ne disposeront pas de tous les produits indispensables à la vie de toute la population. En même temps, les paysans auront en abondance les produits dont les villes manqueront.

Les communistes libertaires ne peuvent avoir aucun doute sur le caractère mutuel des relations entre la ville et la campagne laborieuse. Ils estiment que la révolution sociale ne peut être réalisée autrement que par les efforts communs des ouvriers et des paysans. Par conséquent, la solution du problème de la consommation dans la révolution sociale ne sera possible qu’au moyen d’une collaboration révolutionnaire étroite de ses deux catégories de travailleurs.

Pour établir cette collaboration, la classe ouvrière des villes, ayant pris la production entre ses mains, devra immédiatement songer aux besoins vitaux de la campagne et tâcher de fournir les produits de la consommation de tous les jours, les moyens et les instruments pour la culture agricole collective. Les mesures de solidarité manifestées par les ouvriers à l’égard des besoins des paysans provoqueront le même geste chez ceux-ci qui, en retour, fourniront collectivement aux villes les produits du travail rural, dont en premier lieu ceux d’alimentation.

Des coopératives ouvrières et paysannes seront les premiers organes assurant les besoins d’alimentation et d’approvisionnements économiques des villes et des campagnes. Chargées plus tard de fonctions plus importantes et plus constantes, notamment de fournir tout ce qui est nécessaire pour assurer et développer la vie économique et sociale des ouvriers et paysans, ces coopératives seront par cela même transformées en organes permanents d’approvisionnement des villes et de la campagne.

Cette solution du problème d’approvisionnement permanent permettra au prolétariat de créer un fonds d’approvisionnement permanent, ce qui se répercutera d’une façon favorable et décisive sur le sort de toute la nouvelle production.


4. La terre

Nous considérons comme principales forces révolutionnaires et créatrices dans la solution de la question agraire les paysans travailleurs – ceux qui n’exploitent pas le labeur d’autrui – et le prolétariat salarié de la campagne . Leur tâche sera d’accomplir le nouveau remaniement des terres, afin d’établir l’utilisation et l’exploitation de la terre sur des principes communistes.

De même que l’industrie, la terre, exploitée et cultivée par des générations successives de travailleurs, est le produit de leurs efforts communs. Elle appartient aussi à tout le peuple laborieux dans son ensemble et à personne en particulier. En tant que propriété commune et inaliénable des travailleurs, la terre ne peut pas être, non plus, l’objet d’achat ou de vente, ni de fermage; elle ne peut donc servir de moyen d’exploitation d’autrui.

La terre est aussi une sorte d’atelier populaire commun où le monde des travailleurs produit des moyens de vivre. Mais c’est un genre d’atelier où chaque travailleur (paysan) a pris l’habitude, grâce à certaines conditions historiques, d’accomplir son travail lui-même, de le réaliser indépendamment des autres producteurs. Tandis que dans l’industrie, la méthode collective du travail est essentiellement nécessaire et la seule possible, dans l’agriculture, elle n’est pas la seule à notre époque. La plupart des paysans cultivent la terre par leurs propres moyens.

Par conséquent, lorsque les terres et les moyens de leur exploitation passeront aux paysans, sans possibilité de vente ni de fermage, la question des formes de leur usufruit et des moyens de leur exploitation (communalement ou en famille) n’aura pas tout de suite une solution complète et définitive, ainsi qu’il en sera dans le domaine de l’industrie. Les premiers temps on aura recours, très probablement, à l’un et à l’autre de ces moyens.

Ce seront les paysans révolutionnaires qui établiront eux-mêmes la forme définitive de l’exploitation et de l’usufruit de la terre. Aucune pression du dehors n’est possible dans cette question.

Toutefois, puisque nous estimons que seule la société communiste au nom de laquelle sera, du reste, faite la révolution sociale, délivre les travailleurs de leur situation d’esclaves et d’exploités, et leur donne une liberté complète et l’égalité; puisque les paysans constituent la majorité écrasante de la population (environ 85% en Russie) et que, par conséquent, le régime agraire établi par les paysans sera le facteur décisif dans les destinées de la révolution, puisqu’enfin l’économie privée dans l’agriculture amène de même que l’industrie privée, le commerce, l’accumulation, la propriété privée et la restauration du capital, notre devoir sera de faire, dès à présent, tout le nécessaire, afin de faciliter la solution de la question agraire dans un sens collectif.

Dans ce but nous devons dès maintenant, mener parmi les paysans une forte propagande en faveur de l’économie agraire collective.

La fondation d’une Union Paysanne spécifique de tendance libertaire facilitera considérablement cette tâche.

Dans ce sens, le progrès technique va avoir une importance énorme, facilitant l’évolution de l’agriculture, et aussi la réalisation du communisme dans les villes, surtout dans l’industrie. Si, dans leurs rapports avec les paysans, les ouvriers vont agir, non pas individuellement ou par groupes séparés, mais en tant que collectif communiste immense, embrassant des branches entières de l’industrie; s’ils songent au surplus aux besoins vitaux de la campagne et s’il fournissent à chaque village en même temps que des objets d’usage quotidien des outils et machines pour l’exploitation collective de la terre, cela donnera certainement aux paysans une impulsion vers le communisme dans l’agriculture.


5. La défense de la révolution

La question de la défense de la révolution se rapporte aussi au problème du « premier jour ». Au fond, le moyen le plus puissant de la défense de la révolution est la solution heureuse de ses problèmes positifs: celui de la production, de la consommation et de la terre. Une fois ces problèmes résolus d’une façon juste, aucune force contre-révolutionnaire ne pourra faire changer ou vaciller le régime libre des travailleurs. Néanmoins, les travailleurs auront à subir, malgré tout, une lutte sévère contre les ennemis de la révolution, afin de défendre et de maintenir son existence concrète.

La révolution sociale, qui menace les privilèges et l’existence même des classes non-travailleuses de la société actuelle, provoquera inéluctablement, de la part de ces classes, une résistance désespérée qui prendra l’allure d’une guerre civile acharnée.

Comme l’expérience russe l’a démontré, une telle guerre civile sera l’affaire, non pas de quelques mois, mais de plusieurs années.

Aussi heureux que soient les premiers pas des travailleurs au début de la révolution, les classes dominantes conserveront néanmoins longtemps encore une énorme capacité de résistance. Pendant plusieurs années, elle déclencheront des offensives contre la révolution, essayant de reconquérir le pouvoir et les privilèges dont elles furent privées.

Une armée nombreuse, la technique et la stratégie militaire, – le capital – tout sera lancé contre les travailleurs victorieux.

Afin de conserver les conquêtes de la révolution, ces derniers devront créer des organes de défense de la révolution, afin d’opposer à l’offensive de la réaction une force combattante, correspondant à la hauteur de la tâche. Les premiers jours de la révolution, cette force combattante sera formée par tous les ouvriers et paysans armés. Mais, cette force armée spontanée ne sera valable que les premiers jours lorsque la guerre civile n’aura pas encore atteint son point culminant et que les deux parties en lutte n’auront pas encore créé des organisations militaires régulièrement constituées.

Dans la révolution sociale, le moment le plus critique est, non pas celui de la suppression de l’autorité, mais celui qui suit, c’est-à-dire celui où les forces du régime abattu déclenchent une offensive générale contre les travailleurs et où il s’agit de sauvegarder les conquêtes atteintes.

Le caractère de cette même offensive, ainsi que la technique et le développement de la guerre civile, obligeront les travailleurs à créer des contingents révolutionnaires militaires déterminées. L’essence et les principes fondamentaux de ces formations doivent être déterminés à l’avance. En niant les méthodes étatistes et autoritaires de gouvernement des masses, nous nions par cela le moyen étatiste d’organiser la force militaire des travailleurs, autrement dit, le principe d’une armée étatiste fondée sur le service militaire obligatoire. C’est le principe du volontariat, en accord avec les positions fondamentales du communisme libertaire, qui doit être mis à la base des formations militaires des travailleurs. Les détachements de partisans insurgés, ouvriers et paysans, qui menèrent l’action dans la révolution russe, peuvent être cités comme exemples de telles formations.

Toutefois, il ne faut pas comprendre le volontariat et l’action de partisan dans le sens étroit de ces mots, c’est à dire comme une lutte des détachements ouvriers et paysans contre l’ennemi local non coordonnés entre eux par un plan d’opération général et agissant chacun sous sa propre responsabilité, à ses propres risques et périls. L’action et la tactique des paysans devront être orientées, dans la période de leur développement complet, par une stratégie révolutionnaire commune.

Semblable à toute guerre, la guerre civile ne pourrait être menée avec succès par les travailleurs qu’en appliquant les deux principes fondamentaux de toute action militaire: l’unité du plan d’opérations et l’unité de commandement commun. Le moment le plus critique de la révolution sera celui où la bourgeoisie marchera contre la révolution en forces organisées. Ce moment critique obligera les travailleurs à recourir à ces principes de la stratégie militaire.

De cette façon, vu les nécessités, de la stratégie militaire, et aussi de la stratégie de la contre révolution, les forces armées de la révolution devront se fondre inévitablement en une armée révolutionnaire générale ayant un commandement commun et un plan commun d’opérations.

Les principes suivants seront mis à la base de cette armée:

1.le caractère de classe de l’armée.

2.le volontariat (toute contrainte sera absolument exclue de l’oeuvre de la défense de la révolution).

3.la libre discipline (l’autodiscipline) révolutionnaire: le volontariat et l’autodiscipline révolutionnaire s’harmoniseront complètement ensemble, et rendront l’armée de la révolution moralement plus forte que n’importe quelle armée d’État.

4.la soumission complète de l’armée révolutionnaire aux masses ouvrières et paysannes, en la période des organismes ouvriers et paysans communs pour tout le pays, placés par les masses aux postes dirigeants de la vie économique et sociale.

Autrement dit: l’organe de la défense de la révolution chargé de combattre la contre révolution, aussi bien sur les fronts militaires ouverts que sur ceux de la guerre civile interne (les complots de la bourgeoisie, les préparatifs des actions contre-révolutionnaires, etc…), sera entièrement du ressort des organisations productrices ouvrières et paysannes, auxquelles il sera soumis, et par lesquelles il sera orienté politiquement.

Remarque. Tout en devant être construite conformément à des principes communistes libertaires déterminés, l’armée elle-même ne doit pas être considérée comme un élément de principe. Elle n’est que la conséquence de la stratégie militaire dans la révolution, une mesure stratégique à laquelle les travailleurs seront fatalement amenés par le processus même de la guerre civile. Mais cette mesure doit attirer l’attention dès à présent. Elle doit être soigneusement étudiée, afin d’éviter, dans l’oeuvre de la protection et de la défense de la révolution, tout regard irréparable, car des retards pendant les jours de la guerre civile pourront s’avérer néfastes pour l’issue de toute la révolution sociale.

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Messagede bipbip » 28 Oct 2017, 16:14

Partie organisationnelle

Les principes de l’organisation anarchiste


Les positions générales constructives exposées plus haut constituent la plateforme d’organisation des forces révolutionnaires de l’anarchisme.

Cette plateforme contenant une orientation théorique et tactique déterminée apparaît comme le minimum auquel il est nécessaire de se rallier d’urgence à tous les militants du mouvement anarchiste organisé.

Sa tâche est de grouper autour d’elle tous les éléments sains du mouvement anarchiste en une seule organisation générale, active et agissante de façon permanente: l’Union Générale des Anarchistes. Les forces de tous les militants actifs de l’anarchisme devront être orientées vers la création de cette organisation.

Les principes fondamentaux d’organisation d’une Union Générale des Anarchistes devront être les suivants:

1) L’unité théorique

La théorie représente la force qui dirige l’activité des personnes et des organisations par une voie définie et dans un but déterminé. Naturellement, elle doit être commune pour toutes les personnes et toutes les organisations adhérant à l’Union Générale. Toute l’activité de l’Union Générale Anarchiste, aussi bien dans son caractère général que particulier, doit être en concordance parfaite et constante avec les principes théoriques professés par l’Union.

2) L’unité tactique ou méthode collective d’action

Les méthodes tactiques employées par les membres séparés ou les groupes de l’Union doivent être également unitaires, c’est à dire se trouver en concordance rigoureuse aussi bien entre elles qu’avec la théorie et la tactique générale de l’Union.

Une ligne tactique commune dans le mouvement a une importance décisive pour l’existence de l’organisation et de tout le mouvement: elle le débarrasse de l’effet néfaste de plusieurs tactiques se neutralisant mutuellement, elle concentre toutes les forces du mouvement , leur fait prendre une direction commune aboutissant à un objectif déterminé.

3) La responsabilité collective.

La pratique consistant à agir sous sa responsabilité personnelle doit être fermement condamnée et rejetée dans les rangs du mouvement anarchiste.

Les domaines de la vie révolutionnaire, sociale et politique sont avant tout profondément collectifs par leur nature. L’activité sociale révolutionnaire ne peut pas se fonder dans ces domaines sur la responsabilité personnelle des militants isolés.

L’organisme exécutif du mouvement anarchiste général – l’Union Anarchiste – se dressant de manière décisive contre la tactique de l’individualisme irresponsable, introduit dans ses rangs le principe de la responsabilité collective: l’Union toute entière sera responsable de l’activité révolutionnaire et politique de chaque membre; de même, chaque membre sera responsable de l’activité révolutionnaire et politique de toute l’Union.

4) Le fédéralisme

L’anarchisme à toujours nié l’organisation centralisée, aussi bien dans le domaine de la vie sociale des masses que dans celui de son action politique. Le système de centralisation tient sur l’amoindrissement de l’esprit de critique, de l’initiative et l’indépendance de chaque individu et sur la soumission aveugle de vastes masses au « centre ». Les conséquences naturelles inévitables de ce système sont l’asservissement et la mécanisation de la vie sociale et de la vie des partis.

À l’encontre du centralisme, l’anarchisme a toujours professé et défendu le principe du fédéralisme, qui concilie l’indépendance et l’initiative de l’individu ou de l’organisation, avec le service de la cause commune.

En conciliant l’idée de l’indépendance et de la plénitude des droits de chaque individu avec le service des nécessités et des besoins sociaux, le fédéralisme ouvre, par cela même, les portes à toute manifestation saine des facultés de chaque individualité.

Mais assez souvent le principe fédéraliste fut déformé dans les rangs anarchistes: on le comprenait trop souvent comme le droit de manifester surtout son « ego », sans l’obligation de tenir compte des devoir vis-à-vis de l’organisation.

Cette fausse interprétation désorganisa notre mouvement dans le passé. Il est temps d’y mettre fin d’une manière forte et irréversible.

Le fédéralisme signifie la libre entente des individus et d’organisations pour un travail collectif orienté vers un objectif commun.

Or une telle entente et l’union fédérative basée sur celle-ci ne deviennent des réalités, au lieu d’être des fictions et des illusions, qu’à la condition sin equa non que tout les participants à l’entente et à l’Union remplissent de la façon la plus complète les devoirs acceptés et se conforment aux décisions prises en commun.

Dans une oeuvre sociale, aussi vaste que soit la base fédéraliste sur laquelle elle est bâtie, il ne peut y avoir de droits sans obligations, comme il ne peut y avoir de décisions sans leur exécution. C’est d’autant moins admissible dans une organisation anarchiste, qui prend sur elle exclusivement des obligations vis-à-vis des travailleurs et de leur révolution sociale.

Par conséquent, le type fédéraliste de l’organisation anarchiste, tout en reconnaissant à chaque membre le droit à l’indépendance, à l’opinion libre, à l’initiative et à la liberté individuelle, charge chaque membre de devoirs organisationnels déterminés, exigeant leur exécution rigoureuse, ainsi que l’exécution des décisions prises en commun.

A cette condition seulement le principe fédéraliste sera vivant, et l’organisation anarchiste fonctionnera correctement, et se dirigera vers l’objectif défini.

L’idée de l’Union Générale des Anarchistes pose le problème de la coordination et de l’accord des activités de toutes les forces du mouvement anarchiste.

Chaque organisation adhérente à l’Union représente une cellule vitale faisant partie de l’organisme commun. Chaque cellule aura son secrétariat, exécutant et orientant théoriquement son propre travail politique et technique.

En vue de la coordination de l’activité de toutes les organisations adhérentes à l’Union, un organe spécial sera créé: le Comité Exécutif de l’Union. Les fonctions suivantes seront à la charge de ce comité: exécution des décisions prises par l’Union dont celle-ci l’aura chargé; l’orientation théorique et organisationnelle de l’activité des organisations isolées, conformément aux opinions théoriques et à la ligne tactique générale de l’Union; mise en lumière de l’état général du mouvement; maintien des liens de travail et organisationnels entre toutes les organisations de l’Union, et avec les autres organisations.

Les droits et obligations et les tâches pratiques du Comité exécutif sont fixés par le Congrès de l’Union.

L’Union générale des Anarchistes a un but déterminé et concret. Au nom du succès de la révolution sociale, elle doit avant tout reposer sur les éléments les plus révolutionnaires et les plus radicaux parmi les ouvriers et les paysans et les absorber.

Prenant la révolution sociale et, en plus, étant une organisation antiautoritaire qui aspire à l’abolition de la société de classe dès à présent, l’Union Générale des Anarchistes s’appuie de façon égale sur les deux classes fondamentales de la société actuelle: les ouvriers et les paysans. Elle servira de façon égale l’oeuvre d’émancipation de ces deux classes.

En ce qui concerne les organisations professionnelles et ouvrières et révolutionnaires des villes, l’union Générale des Anarchistes devra accentuer tous ses efforts afin de devenir leur pionnier et leur guide théorique.

Elle se trace les même tâches vis-à-vis de la masse paysanne exploitée. Comme points d’appui jouant le rôle que les unions professionnelles révolutionnaires des ouvriers. L’Union s’efforcera de réaliser un réseau d’organisations économiques paysannes révolutionnaires, et de plus, une union paysanne spécifique, fondée sur des principes antiautoritaires.

Issue du coeur de la masse des travailleurs, l’Union Générale des Anarchistes doit prendre part à toutes les manifestations de leur vie apportant partout et toujours l’esprit d’organisation, de persévérance, d’activité et d’offensive.

Dans ce cas seulement, elle pourra remplir sa tâche, sa mission théorique et historique dans la révolution sociale des travailleurs, et devenir l’initiative organisée de leur processus émancipateur.

Nestor Makhno, Ida Mett, Piotr Arshinov, Valevsky, Linsky
1926



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Re: 1927 : Avec la Plate-forme, l’anarchisme tente la rénova

Messagede bipbip » 18 Déc 2017, 11:53

« La question de l'organisation »
Le groupe anarchiste russe à l'étranger, « La plateforme anarchiste », 1926

Alès (30) jeudi 21 décembre 2017
Groupe de lecture à 19h30, Bibliothèque La Rétive, 42 rue du faubourg d'Auvergne

« la plateforme » proposée par Archinov et le groupe anarchiste russe à l'ensemble des courants anarchistes en 1926. A la suite de l'échec de la Révolution en Ukraine en 1921, ce groupe cherche à fonder une organisation révolutionnaire basée sur la lutte de classes.

https://gard.demosphere.eu/rv/4259
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