Contre la vision binaire Rebelles / Régime de la résistance
Contre une intervention militaire occidentale en Syrie mais aussi contre le régime sanguinaire d’Assad tout autant que contre une grande partie de l’opposition armée dominée largement par les différents courants réactionnaires de l’Islam politique, il existe des voix qui tentent de dessiner une alternative, tant politiquement qu’au niveau social, dans les quartiers, dans les territoires, à Alep, dans la banlieue de Damas comme dans le Kurdistan de Syrie, c’est-à-dire dans les capacités d’auto-organisation de la population — au-delà des diverses appartenances et identités — et la volonté de transformer en profondeur la réalité existante, d’en faire émerger une nouvelle, d’"en bas", partout où c’est possible.
Ce sont ces tentatives qu’il nous semble prioritaire de donner à connaître à la mesure de nos capacités.
Par Joshua Stephens (*)
Le 5 septembre 2013
Alors que les États-Unis intensifient leur pression pour une intervention militaire en Syrie, le seul récit pratiquement disponible oscille entre le régime brutal de Bachar al-Assad et les agissements des éléments islamistes au sein de la Résistance. En outre, lorsqu’un point de vue dissident avec la position étatsunienne apparaît, il semble en grande partie s’articuler avec la contradiction de fournir un soutien aux groupes liés à Al Qaïda qui cherchent à renverser le régime, comme s’ils représentaient la seule force opposée à la dictature existante. Mais comme Jay Cassano l’a récemment écrit pour le magazine de technologie Fast Company, le réseau non-armé de la résistance démocratique au régime d’Assad est riche et varié, représentant un vaste réseau d’initiatives politiques locales, des collectifs artistiques, des organisations de défense des droits de l’homme, des groupes non-violents et plus encore. (Le Mouvement de la Non-Violence en Syrie a créé une carte interactive en ligne pour démontrer ce réseau complexe de connexions[1]).
En attendant, les écrits et les informations diffusées par les anarchistes syriens ont eu énormément d’influence dans les autres luttes arabes, avec par exemple les anarchistes torturés à mort dans les prisons d’Assad qui ont été commémorés dans des écrits palestiniens et lors des manifestations pour les prisonniers politiques palestiniens détenus en Israël. Deux caractéristiques principales de ce qui se déroule justifient une attention particulière : la manière dont les anarchistes dans le monde arabe mènent de plus en plus de critiques et d’interventions qui bousculent les contradictions présentées comme des justifications de la politique étrangère étatsunienne, et les conversations en cours entre les mouvements anti- autoritaires dans le monde arabe qui contournent et demeurent en dehors de la médiation des points de référence occidentaux.
Savoir si l’insistance des anarchistes syriens sur l’autodétermination en tant que principe organisateur central peut résister à la réalité immédiate de la violence ou s’il n’est qu’un levier au service d’intérêts étrangers reste une question ouverte.
Nader Atassi est un chercheur en politique et un écrivain syrien originaire de Homs, qui vit actuellement entre les États-Unis et Beyrouth. Il anime le blog Darth Nader[2] qui réfléchit sur les événements survenus dans la révolution syrienne. Je lui ai parlé en discutant des traces de l’anarchisme dans le mouvement et de la perspective d’une intervention étatsunienne.
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Joshua Stephens pour Truthout : les anarchistes ont été actifs à la fois dans la révolution syrienne et en écrivant dessus depuis le début. As-tu une idée du genre d’activité qui se faisait avant ? Y a-t-il des éléments influents qui ont généré une articulation syrienne de l’anarchisme ?
Nader Atassi : En raison de la nature autoritaire du régime syrien, il y a toujours eu très peu d’espace pour fonctionner avant le début de la révolution. Cependant, en matière d’anarchisme dans le monde arabe, la plupart des voix les plus importantes étaient syriennes. Malgré qu’ils ne soient pas organisés de manière explicitement « anarchiste », les blogueurs et écrivains syriens avec des influences anarchistes sont devenus de plus en plus importants sur la « scène » au cours de la dernière décennie. Mazen Kamalmaz[3] est un anarchiste syrien qui a beaucoup écrit au cours des dernières années. Ses écrits contiennent beaucoup de théorie anarchiste appliquée à des situations contemporaines, et il était une voix importante dans l’anarchisme arabe bien avant le début du soulèvement. Il a beaucoup écrit en arabe, et a récemment donné une conférence dans un café au Caire intitulé « Qu’est-ce que l’anarchisme ? »
En termes d’organisation, la situation était cependant très différente. Dans l’environnement politique très dur d’un régime autoritaire, beaucoup ont dû faire preuve de créativité et exploiter les ouvertures qu’ils voyaient dans le but d’organiser toute sorte de mouvement, et cela a conduit de facto à un mode d’organisation décentralisée. Par exemple, des mouvements étudiants ont éclaté dans les universités syriennes pendant la deuxième Intifada palestinienne et la guerre en Irak. C’était un type de mécontentement populaire que le régime a toléré. Des marches ont été organisées pour protester contre la guerre en Irak, ou en solidarité avec l’Intifada palestinienne. Bien que de de nombreux membres des Mukhabarat [police secrète] aient infiltré ces mouvements et les surveillaient de près, ce fut une éruption purement spontanée de la part des étudiants. Et même si les étudiants étaient bien conscients à quel point ils étaient surveillés de près (apparemment, pour suivre les marches, les Mukhabarat utilisaient un bloc-notes pour écrire quels slogans avaient été lancés et écrits sur les panneaux), ils ont utilisé ce petit espace politique qui leur a été donné pour agir afin d’aborder progressivement des questions nationales au sein des manifestations approuvées par le régime sur les questions internationales.
Un des épisodes les plus audacieux qui m’a été rapporté, c’est quand des étudiants de l’Université d’Alep, lors d’une manifestation contre la guerre en Irak, ont porté des pancartes avec le slogan ‟Non à la loi d’urgence” (la Syrie est sous état d’urgence depuis 1963). Ces actions étaient sans précédents à l’époque. Beaucoup d’étudiants qui ont émergé spontanément comme organisateurs charismatiques au sein de ces manifestations avant le début du soulèvement, ont disparu très tôt lors du soulèvement actuel. Le régime se méfie de ces réseaux militants qui ont été créés à la suite des mouvements précédents et ont donc immédiatement commencé à sévir contre les militants pacifiques dont ils savaient qu’ils pouvaient représenter une menace pour eux (alors qu’en même temps, ils sont devenus plus indulgents avec les réseaux djihadiste, libérant des centaines de prisonniers à la fin de 2011). L’Université d’Alep est bien connue pour son mouvement étudiant en faveur du soulèvement, tant et si bien qu’elle a été surnommé « l’Université de la Révolution ». Ensuite, le régime ciblera l’université, en tuant de nombreux étudiants dans l’École d’Architecture.
Tu as récemment écrit sur ton blog sur une éventuelle intervention des États-Unis comme une sorte de corollaire à l’intervention iranienne et russe en faveur d’Assad, et de l’intervention islamiste dans les mouvements révolutionnaires. Tout comme avec l’Égypte récemment, les anarchistes apparaissent comme une voix distincte, contre les deux pôles d’insatisfaction qui prévalent dans la couverture médiatique mainstream – une voix préoccupée par l’autodétermination. Est-ce que c’est là une interprétation juste ?
N.A. : Oui, je le crois, mais je voudrais clarifier quelques petites choses. Dans le cas de la Syrie, nombreux sont ceux qui correspondent à cette description ; non seulement les anarchistes, mais aussi les trotskistes, marxistes, gauchistes, et même certains libéraux. En outre, cette itération de l’auto-détermination est fondée sur l’autonomie et la décentralisation, non pas sur la notion wilsonienne d’« un peuple » avec une sorte d’autodétermination nationaliste centralisée. Il s’agit que les Syriens soient capables de déterminer leur propre destin, pas dans le sens nationaliste, mais dans le sens micro-politique. Ainsi, par exemple, l’autodétermination syrienne ne signifie pas une voie unique que tous les Syriens doivent suivre, mais que chaque personne détermine sa propre voie, sans les interférences des autres. Ainsi, dans cette conception, les Kurdes syriens, par exemple, ont aussi le droit à la pleine autodétermination, plutôt que de les forcer à une identité syrienne arbitraire et d’affirmer que toutes les personnes qui sont rassemblées sous cette identité ont un seul et même destin.
Et quand nous parlons de partis, comme le régime, mais aussi ses alliés étrangers, et les djihadistes qui sont contre l’autodétermination syrienne – ce n’est pas parce qu’il y a un récit de l’autodétermination syrienne et que les djihadistes sont contre. Au contraire, ils veulent imposer leur propre récit à tout le monde. Le régime fonctionne et a toujours travaillé contre l’autodétermination syrienne car il détient la totalité du pouvoir politique et refuse de le partager. Les islamistes agissent contre l’autodétermination syrienne, non pas en vertu du fait qu’ils sont islamistes (raison pour laquelle beaucoup de libéraux s’opposent à eux), mais parce qu’ils ont une vision de la façon dont la société devrait fonctionner, et qu’ils veulent l’imposer aux autres, avec leur consentement ou pas. C’est aussi bien contre l’autodétermination.
Les alliés du régime d’Assad, l’Iran, la Russie et les diverses milices étrangères, sont contre l’autodétermination syrienne parce qu’ils sont déterminés à soutenir ce régime en raison du fait qu’ils ont décidé que leurs intérêts géopolitiques devaient supplanter la décision des Syriens de choisir leur destin par eux-mêmes.
Alors oui, la couverture médiatique mainstream essaie toujours de dépeindre les gens comme s’ils appartenaient à un genre binaire. Mais la révolution syrienne a éclaté parce que les gens ont demandé l’autodétermination à un parti qui le leur a refusé : le régime de Bachar al-Assad. Au fil du temps, d’autres acteurs sont montés sur la scène, qui refusent également aux Syriens leur autodétermination, même de la part de certains qui ont lutté contre le régime. Mais la position n’a jamais été simplement d’être contre le régime pour être contre le régime , tout comme je présume qu’en Égypte, la position de nos camarades n’est pas d’être contre l’Ikhwan [Frères musulmans] pour le plaisir d’être contre l’Ikhwan. Le régime a rejeté l’autodétermination, et toute chute du régime qui aboutirait à son remplacement par quelqu’un d’autre pour dominer les Syriens ne doit pas être considéré comme un succès. Comme en Égypte, lorsque l’Ikhwan est arrivé au pouvoir, ceux qui les ont considérés comme un affront à la révolution, même s’ils n’étaient pas des felool [loyalistes de Moubarak], ne cessaient de répéter le slogan « al Thawra mustamera » [‟La révolution continue”]. Il en sera de même en Syrie si, une fois le régime disparu, un parti arrive au pouvoir en niant également aux Syriens leur droit de déterminer leur propre destin.
Lorsque j’ai interviewé Mohammed Bamyeh cette année, il m’a parlé de la Syrie comme un exemple vraiment intéressant de l’anarchisme comme une méthodologie de conduite sur le terrain. Il soulignait que quand on entendait parler d’organisation au sein de la révolution syrienne, on entend parler de comités et de formes qui sont tout à fait horizontale et autonome. Sa suggestion semble corroborée par ce que des gens comme Budour Hassan ont mis en lumière en documentant la vie et l’œuvre d’Omar Aziz. Vois-tu cette influence dans ce que vos camarades sont en train de faire et de décrire ?
N.A. : Oui, cela revient à faire de l’anarchisme quelque chose qui doit être considéré comme un ensemble de pratiques plutôt qu’une idéologie. Une grande partie de l’organisation au sein du soulèvement syrien a eu une approche anarchiste, même si ce n’est pas explicite. Il y a le travail du martyr Omar Aziz[4] qui a contribué à l’émergence des conseils locaux, que Tahrir-ICN et Budour Hassan ont très bien documenté. Pour l’essentiel, ces conseils étaient conçus par Aziz comme des organisations où l’auto-gouvernance et l’aide mutuelle pourrait s’épanouir. Je pense que la vision d’Omar a donné un souffle de vie dans la façon dont les conseils locaux peuvent fonctionner, bien qu’il faille noter que les conseils ont cessé rapidement de se concevoir en termes d’auto-gouvernance, choisissant plutôt de se concentrer sur le travail en direction des médias et les efforts pour organiser les secours. Mais ils fonctionnent encore sur la base des principes de l’entraide, de la coopération et du consensus.
La ville de Yabroud, à mi-chemin entre Damas et Homs, est la commune du soulèvement syrien. Elle est également un modèle de coexistence confessionnelle, avec une importante population chrétienne vivant dans la ville et Yabroud est devenu un modèle d’autonomie et d’auto-gouvernance en Syrie. Après que les forces de sécurité du régime se soient retirées de Yabroud pour qu’Assad puisse les concentrer ailleurs, les habitants se sont empressés de combler le vide, en déclarant « maintenant, nous sommes en train d’organiser tous les aspects de la vie de la ville par nous-mêmes [sic] ». De la décoration de la ville jusqu’à l’école rebaptisée « École de la liberté », Yabroud est certainement ce à quoi beaucoup de Syriens, y compris moi-même, espèrent que la vie après Assad ressemblera. Les autres zones, contrôlées par les djihadistes réactionnaires, brossent un tableau potentiellement plus sombre de l’avenir, mais néanmoins, il est important de reconnaître qu’il existe des alternatives. Il y a aussi un réseau très dur de militants répartis partout dans le pays, mais principalement à Damas, appelé la ‟Jeunesse révolutionnaire syrienne” C’est une organisation secrète, et ils organisent des manifestations extrêmement audacieuses , souvent dans le centre de Damas qui est contrôlé par le régime, en utilisant des masques et en portant des pancartes et les drapeaux de la révolution syrienne – souvent accompagnés de drapeaux kurdes (un autre tabou en Syrie) .
Dans la ville de Darayya, dans la banlieue de Damas, où le régime a mené une féroce bataille depuis qu’elle est tombée aux mains des rebelles en novembre 2012, certains habitants ont décidé de se réunir et de créer un journal au milieu de tous les combats, appelé Enab Baladi (ce qui signifie ‟cépages locaux”, du fait que Darayya est célèbre pour ses raisins). Leur journal met l’accent à la fois sur ce qui se passe localement à Darayya et ce qui se passe dans le reste de la Syrie. Il est imprimé et distribué gratuitement dans toute la ville. Les principes de l’auto-gouvernance, de l’autonomie, de l’entraide et de la coopération sont présents dans un grand nombre des organisations nées au sein de l’insurrection. Les organisations qui opèrent selon certains de ces principes évidemment ne comprennent pas la totalité de l’insurrection. Il y a des éléments réactionnaires, des éléments sectaires, des éléments impérialistes. Mais nous en avons entendu parler beaucoup, n’est-ce pas ? Il y a des gens qui font un excellent travail basé sur des principes solides qui méritent notre soutien.
Comment pense-tu que l’intervention étatsunienne pourrait finalement affecter la composition ou la dynamique de la révolution ?
N.A. : Je pense que, d’une manière générale, les interventions ont une incidence très négative sur les insurrections, et je pense que l’intervention des États-Unis ne sera pas différente. Mais je pense que la façon dont cette intervention spécifique finira par affecter la composition ou la dynamique de la révolution dépend de la portée spécifique des frappes américaines. Si les Etats-Unis frappent de la façon dont ils l’ont dit, c’est-à-dire de manière « punitive », « limitée », « chirurgicale » et « symbolique », alors cela ne produira pas de changements importants sur le champ de bataille. Ils peuvent, cependant, donner au régime d’Assad une victoire sur le plan de la propagande, car il pourra prétendre qu’il a été « inébranlable face à l’impérialisme des États-Unis ». Les dictateurs qui survivent aux guerres menées contre eux ont tendance à se déclarer victorieux simplement par le fait de survivre, même si dans la réalité, ils sont du côté des perdants. Après tout, Saddam Hussein a été chassé du Koweït par les États-Unis, l’Arabie saoudite et d’autres pays, mais il est resté au pouvoir pendant 12 ans de plus, 12 ans qui ont été remplis de propagande sur la façon dont Saddam est resté ferme pendant « la mère de toutes les batailles ».
Si les frappes finissent par être plus dures que ce qui est actuellement en cours de discussion, pour une raison ou une autre, et qu’elles provoquent un changement significatif sur le champ de bataille, ou affaiblissent considérablement le régime d’Assad, alors je pense que les effets négatifs potentiels seront différents. Je pense que cela mènera les futurs Syriens à ne pas pouvoir déterminer leur propre destin.
Les États-Unis peuvent ne pas aimer Assad, mais ils ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils pensent que les institutions du régime devraient rester intactes afin d’assurer la stabilité dans la future Syrie. Bref, comme beaucoup l’ont noté, les États-Unis veulent de l’‟Assadisme sans Assad.” Ils veulent le régime sans la figure d’Assad, tout comme ce qu’ils ont eu en Egypte, où Moubarak a démissionné mais où ‟l’État profond” de l’armée est resté ; et de la même manière qu’au Yémen, où les Etats-Unis ont négocié pour obtenir que le président démissionne, mais pour que tout, en grande partie, reste en place à l’identique. Le problème avec ça, c’est que les Syriens ont scandé : « Le peuple exige la chute du régime », pas seulement celle d’Assad.
Il y a consensus autour de la table, des États-Unis à la Russie et à l’Iran, disant que peu importe ce qui se passe en Syrie, les institutions du régime doivent rester intactes. Les mêmes institutions qui ont été construites par la dictature. Les mêmes institutions qui ont pillé la Syrie et provoqué le mécontentement populaire à l’origine du soulèvement. Les mêmes institutions qui ne sont que les vestiges du colonialisme français. Tout le monde en Syrie sait que les candidats préférés par les États-Unis pour des rôles de direction dans la future Syrie sont ceux des Syriens qui faisaient partie du régime, puis ont fait défection : les bureaucrates baasistes devenus des technocrates néolibéraux ‟transfuges”. Ce sont là les gens que les États-Unis veulent voir gouverner la Syrie.
Les Syriens ont déjà fait tant de sacrifices. Ils ont payé le prix fort pour leurs revendications. Je ne veux pas tout cela aille à la poubelle. Dans la hâte de se débarrasser d’Assad, le symbole du régime, j’espère que le régime ne sera pas préservé. La Syrie mérite mieux qu’un tas d’institutions faites de bric et de broc et une bureaucratie construite par des dictateurs qui souhaitaient garder le peuple syrien sous contrôle et pacifié. Il ne devrait y avoir aucune raison de préserver les institutions qui ont participé au pillage du pays et au massacre du peuple. Et sachant que c’est ce que les États-Unis désirent pour la Syrie, je rejette toute implication directe des États-Unis. Si les États-Unis veulent aider, ils peuvent commencer par utiliser la diplomatie pour parler à la Russie et à l’Iran et les convaincre d’arrêter la guerre afin que les Syriens puissent eux-mêmes déterminer quel est le prochain plan d’action. Mais une intervention directe des États-Unis revient à déterminer en outsiders quelle sera la prochaine étape pour les Syriens, quelque chose qui, je pense, doit être rejeté.
Que peuvent faire les gens en dehors de la Syrie pour vous apporter un soutien ?
N.A. : Pour les gens de l’extérieur, c’est difficile. En termes de soutien matériel, il y a très peu qui peut être fait. La seule chose que je peux penser comme possible sur une grande échelle est le soutien discursif/intellectuel. La gauche a été très hostile à l’insurrection syrienne, traitant les pires éléments de l’activité anti-régime comme s’ils en étaient les seuls éléments, et en acceptant les récits du régime au pied de la lettre. Ce que je pourrais demander aux gens de faire, c’est d’aider à mettre les pendules à l’heure et de montrer qu’il existe des éléments de l’insurrection syrienne qui méritent d’être soutenus. Aider à briser cette binarité nocive selon laquelle la décision se joue entre Assad ou Al-Qaïda, ou Assad et l’impérialisme américain. Être juste envers l’histoire et les sacrifices du peuple syrien en donnant un compte rendu précis des évènements. Il est peut-être trop tard, et les récits hégémoniques sont trop puissants dans le présent pour les vaincre. Mais si les gens commencent maintenant, peut-être que les livres d’histoire pourront au moins être plus justes.
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(*) Joshua Stephens est membre du conseil de l’Institut d’études anarchistes (Institute for Anarchist Studies), et a été actif au cours des dernières décennies dans les mouvements anti-capitalistes et de solidarité internationale. Il écrit dans divers médias sur les mouvements sociaux antiautoritaires et partage son temps entre la Méditerranée et Brooklyn, NYC.
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Original : c’est là : http://tahriricn.wordpress.com/2013/09/ ... esistance/
Traduction : XYZ pour OCLibertaire
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Note de la traduction
[1] Carte interactive de la résistance par le Syrian Nonviolent Movement : http://www.fastcolabs.com/3016532/this- ... resistance
[2] Blog Darth Nader : http://darthnader.net/
[3] De Mazen Kamalmaz http://www.anarkismo.net/article/19500 et http://libcom.org/tags/mazen-kamalmaz
[4] Sur Omar Aziz : http://www.lemonde.fr/disparitions/arti ... _3382.html et http://juralib.noblogs.org/2013/08/28/r ... -syrienne/
Nouvelles d'un anarchiste syrien
Nouvelles d'un anarchiste syrien
Traduit du site depuis Solidarity Federation par l'UCL (camarades québécois d'Anarkismo)
Je m’appelle Mazen ******, un anarchiste syrien. Je veux vous informer de la situation humanitaire dans mon pays, la Syrie; en raison de l’oppression brutale du régime actuel contre les masses en révolte. Un groupe de jeunes anarchistes syrien-ne-s et d’antiautoritaires d’Alep, en Syrie, m’a contacté puisqu’il avait un urgent besoin d’aide. Leur communauté a un besoin urgent pour à peu près tout : médicaments, tentes, lait pour enfant, etc. ; presque tout. Nous espérons que vous pourrez les aider à alléger leurs souffrances en ces temps difficiles.
À propos de la situation actuelle en Syrie, ça se détériore rapidement. Après les meurtres de quelques généraux haut placés dans le régime (ministre de la défense et son député, également le beau-frère du président lui-même) par une force inconnue, même si l’armée libre syrienne s’est déclarée responsable des attaques; les groupes armés de l’opposition ont attaqué les deux villes principales qui étaient réticentes à joindre la révolution auparavant : Damas et Alep. Une bataille sans merci a dès lors commencé, après les gains de l’opposition tôt dans le conflit, l’armée d’Assad a réuni ses forces restantes et a contre-attaqué à sa manière conventionnelle, incluant des jets de combat, sans oublier les canons et les tanks qu’elle utilisait déjà depuis des mois. Plusieurs civil-e-s ont dû fuir dans des conditions difficiles, des centaines ont été massacré-e-s.
En fait, maintenant la révolution syrienne est un combat ouvert. Les manifestations pacifiques ont perdu leur signification maintenant, et personne ne porte d’importance à les mentionner ou pense qu’elles peuvent avoir un impact réel sur l’issue du conflit. Ce qui a commencé par une révolution de masse est devenu un conflit armé entre l’armée du régime et leurs opposant-e-s. Ceci est arrivé principalement en raison de l’oppression brutale du régime actuel, utilisant son armée, ses tanks et ses fusils contre le voisinage civil, mais également en raison de l’intervention de certains tyrans comme la monarchie Qatarienne et Saoudienne.
En raison du positionnement stratégique de la Syrie, la révolution a été prise dans la rivalité Iranienne-Saoudienne pour la domination de la région, et même entre la Russie et les États-Unis, chacun supportant son parti dans la rivalité pour leurs propres intérêts; nous ne pouvons pas croire que la monarchie saoudienne ait à cœur la liberté des syriens et syriennes, ils ne veulent qu’affaiblir davantage leur adversaire : le régime oppressif islamiste iranien. L’Arabie Saoudite et le Qatar ont tout fait pour détourner la révolution syrienne vers le conflit entre les sectes chiites et sunnites de l’islam; et cyniquement, le régime syrien a fait de même.
Récemment, un journaliste saoudien influent a décrit le printemps arabe (terme utilisé pour décrire la succession de révolutions arabes) comme un groupe sunnite menaçant l’Iran chiite. Les autres camps de l’opposition aux régimes oppressants ont également utilisé les termes « sectaires ». Le régime syrien tente de faire la même chose en se proclamant le « protecteur des minorités religieuses » en Syrie.
Nous l’avons vu de façon très différente, nous avons vu comment cela a commencé, une révolution de masse spontanée contre la dictature et ses politiques néolibérales et ses « réformes » et dans ce moment difficile pour les masses, nous comptons sur les masses, sur les oppressé-e-s, de peu importe la religion, la secte ou l’ethnie, de s’unir avec nous contre leurs oppresseurs, peu importe leur religion. Nous comptons sur des organisations comme celles de nos camarades d’Alep et d’autres initiatives faites par des jeunes étudiants et étudiantes ou des travailleurs et travailleuses. C’est un conflit difficile qui pourrait devenir une guerre civile sectaire, il n’y a aucune garantie sauf celle de la détermination des masses de continuer le conflit jusqu’à l’obtention de la vraie liberté, de la justice et de autogestion des opprimé-e-s.
En fait, il y a toujours de très grandes divisions entre la gauche syrienne et arabe : les staliniens conservent des liens avec le régime actuel en tant qu’anti-impérialistes; comme à l’habitude, ils négligent la nature oppressive du régime, c’est tellement naturel pour eux. Il y a trois partis communistes syriens supportant le régime actuel sans remords. D’autres partis staliniens d’Arabie supportent le régime également. De l’autre côté, les trotskystes se tiennent contre ces régimes, mais ils voient les islamistes comme des possibles alliés, ce qui crée un autre conflit, car ils oublient la nature réactionnaire, autoritariste et capitaliste, voir même néolibérale du projet islamiste. On se rappelle de l’Égypte où les trotskystes avaient une très forte organisation : les socialistes révolutionnaires.
Une autre chose, chers frères et sœurs, je retourne en Syrie au mois d’août, pour joindre le conflit de nos camarades. Certain-e-s activistes syrien-ne-s ont organisé une campagne appelée « WE ARE COMING BACK ». On entrera en Syrie en août de *******. Nous prévoyons que le régime nous arrête, il pourrait torturer quelques-un-e-s d’entre nous et même en tuer. J’ai besoin de votre solidarité. Certain-e-s camarades vous feront parvenir des mises à jour à mesure que ces évènements arriveront. Pour l’instant, je suis toujours à *****, Égypte. Si vous pouvez arranger n’importe quel type de support pour nos camarades en Syrie vous pouvez me contacter jusqu’à ce moment, et avant de quitter pour la Syrie; je peux vous donner des contacts de certains camarades en Syrie ou en Égypte ici pour donner vos contributions. Merci à tous et toutes pour votre solidarité.
Pour la révolution, la liberté, pour l’anarchie !!
Pierre Kropotkine – La Morale Anarchiste 3/10 – Vidéo Dailymotion, La CNT après Franco 1939-1984
un monde en crise :
Europe : l’insurrection qui vient ? Tous rebelles?, Les raisons de la colère : citoyen actif , Les raisons de la colère - Un film de Samuel Luret & Damien - Arte , communiqué Association Espoir Chiapas
les sarkofiottes….le triomphe de l’anarchie
Mazen
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Certains détails ont été masqués pour ne pas mettre en péril la sécurité du camarade concerné.
http://www.anarkismo.net/article/26164Etats, forces réactionnaires : Bas les pattes sur la révolution syrienne !
Depuis mars 2011, un processus révolutionnaire est en cours en Syrie. La population s'est soulevée contre le régime fasciste sanguinaire de Bachar El Assad et du parti Bath. Ni « complot impérialiste », ni « complot islamiste » ou « complot sioniste », cette révolution populaire s'est inscrite dans le mouvement de révolte mondial contre le capitalisme, pour la justice et la liberté, qui a soulevé les exploitéEs et les oppriméEs de l'Egypte à la Chine, de la Russie à la Turquie, de l'Europe au Brésil, de la Tunisie à la Syrie.
Répression brutale du régime fasciste « laïque »
Ce mouvement de révolte a fait face à la répression brutale d'un régime, qui a joué la carte du sectarisme religieux tout en se présentant frauduleusement comme « protecteur des minorités », et qui a massacré, torturé ses opposantEs, adultes comme enfants. Le régime a reçu le soutien du régime fasciste religieux iranien, ainsi que de l'impérialisme russe.
Cette répression a abouti à la militarisation d'une révolte au départ pacifique, dans une perspective d'autodéfense.
Instrumentalisation par des impérialismes concurrents
Comme dans le cadre de tout processus révolutionnaire, des forces étrangères à ses objectifs ont cherché à l'instrumentaliser afin de défendre un agenda qui n'a rien à voir avec la volonté de liberté et d'égalité du peuple syrien en révolte.
Le processus révolutionnaire a ainsi été confronté, à la faveur de cette militarisation, à une contre-révolution interne : des mouvements réactionnaires et fascistes religieux, financés, armés et soutenus par l'Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie mais aussi des milliardaires saoudiens, n'ont cessé de chercher à détourner le processus révolutionnaire pour en faire le cadre d'une guerre régionale politico-religieuse entre fascisme religieux chiite et fascisme religieux sunnite.
Ces mouvements disposent d'une supériorité militaire sur les révolutionnaires syriens laïques grâce à leur rôle de pions et de clients de régimes fascistes religieux et impérialistes occidentaux, supériorité militaire qu'ils utilisent pour confisquer la dynamique révolutionnaire. Se comportant en véritables seigneurs de guerre féodaux contrôlant des zones par la terreur, ils n'hésitent pas à laisser le passage aux forces du régime contre espèces sonnantes et trébuchantes. Ils jouent aussi le rôle de bras armé de l'Etat turc contre le mouvement kurde, massacrant et violant sur commande, dans le cadre d'une guerre régionale contre les kurdes.
Contre-révolution externe et interne : Etats et fascistes religieux unis contre le peuple, arabe et kurde !
La zone kurde de syrie, quant à elle, est marquée par une processus révolutionnaire spécifique qui s'inscrit dans la volonté d'autonomie régionale du mouvement populaire kurde, opposé au régime, mais refusant de sacrifier la cause kurde à l'idéologie nationaliste arabe ou syrienne. Cette volonté d'autonomie lui vaut d'être confronté à la fois au régime, aux réactionnaires islamistes et nationalistes, qui refusent chacun cette troisième voie pour des raisons différentes.
La France a pendant longtemps a entretenu des relations privilégiées avec le régime syrien. Avec les Etats Unis et leurs alliés dans la région, l'Arabie saoudite, le Qatar et Israel, elle a fini par soutenir ouvertement la contre-révolution fasciste religieuse. Le mouvement populaire et révolutionnaire syrien, laïque dans son essence, est quant à lui volontairement isolé par l'ensemble de ces forces : son objectif, l'autodétermination du peuple syrien, est en effet totalement étrangers aux intérêts impérialistes concurrents qui s'affrontent dans ce terrain.
Fascistes religieux et régime surarmé, peuple désarmé
Les armes affluent par le biais des Etats occidentaux, turcs, saoudiens et Qataris du côté des réactionnaires religieux, des clients de leurs pantins du CNS, comme elles affluent du côté du régime, soutenu par l'Iran, la Chine et la Russie.
Seul le peuple syrien, quant à lui, et les révolutionnaires laiques, sont privés d'armes : car le pire cauchemar des deux camps impérialistes en présence, c'est que celles et ceux-ci aient les moyens de se défendre, à la fois face au régime, et aux prédateurs fascistes religieux et impérialistes qui tentent de lui confisquer leur révolution.
Une intervention contre-révolutionnaire
Les récents succès militaires du régime, favorisés par cette politique de sape menée par les réactionnaires et fascistes religieux takfiristes clients du Qatar et de l'Arabie saoudite, par les clients des Etats occidentaux, mais aussi par le soutien russo-iranien, ont amené les Etats Occidentaux et leurs alliés du Golfe a envisager d'intervenir militairement : leur objectif n'a rien à voir avec la « protection du peuple syrien » qu'ils proclament, mais tout à voir avec leur instrumentalisation du conflit dans le cadre d'une guerre régionale.
Cette intervention serait une étape de plus dans la volonté de reprise en main du processus révolutionnaire, et dans son instrumentalisation pour des enjeux de géopolitique régionale.
Le peuple syrien aspirant à la liberté, est quant à lui pris entre le marteau et l'enclume. Depuis le début du processus révolutionnaire, il a refusé dans sa grande majorité toute intervention extérieure, demandant simplement les moyens de son autodéfense.
Ces moyens lui ont toujours été refusé sous le prétexte qu'on « ne sait pas dans quel mains vont tomber les armes ». Pourtant, les mains des fascistes religieux en sont pleines, tout comme celles du régime. On voit ici toute l'hypocrisie des régimes occidentaux, dont le sort du peuple syrien est le dernier de leur soucis.
Notre camp, le camp populaire, celui de la liberté contre tous les Etats !
Soutenir le mouvement populaire syrien, refuser toutes les interventions et la contre-révolution fasciste religieuse : c'est la tâche immense qui incombe aux travailleuses et aux travailleurs, en particuliers dans les Etats qui mènent la contre-révolution, soit en soutenant le régime, soit en soutenant des forces réactionnaires qui visent à installer une nouvelle domination au détriment du peuple.
En France, En Russie, en Iran, aux Etats-Unis, en Turquie, en Israel, notre voix doit s'élever :
Bas les pattes sanglantes des Etats sur la révolution syrienne.
Ni fascisme « laïque », ni fascisme religieux :
Soutien aux révolutionnaires laiques, kurdes et arabes !
Non aux bombardements, des armes pour l'autodéfense populaire des syrienNEs !
Le 10 septembre 2013
Relations Internationales
de la Coordination des Groupes Anarchistes
Yasser Munif : J’ai passé, cet été, deux mois en Syrie, dans le nord du pays, soit la zone libérée. Cela a été une leçon d’humilité. J’ai beaucoup appris et j’ai vu une révolution populaire, une révolution populaire en cours. Les gens sont en train de rebâtir les institutions, ils gèrent leurs villes après la chute de l’Etat et du régime. Et c’est une tâche très difficile parce qu’il n’y a pas de ressources, il n’y a pas de fonds et que les attaques des forces du régime sont permanentes. Les zones dans le nord du pays, celles dont je parle, sont libérées: il n’y a pas affrontements au sol. Il y a cependant des frappes aériennes constantes et des missiles tombent sur ces villes.
Les gens arrivent donc avec des solutions créatives: ils créent des institutions politiques. Il y a des conseils locaux dans chacune de ces villes. Ils se rencontrent à un rythme hebdomadaire. Ils discutent de tout ce qui regarde la «vie» de la ville et ils tentent de trouver de résoudre leurs problèmes.
Il y a dans ces villes des centaines de milliers de personnes qui entendent les médias d’occident et d’ailleurs parlant de guerre civile et autres type de conflit. La plupart de ces personnes rejettent ces appellations. Ils sont convaincus qu’il y a une révolution populaire en Syrie. Il est vrai que cela se déroule dans une période critique et qu’il y a en face d’eux de nombreuses tâches difficiles et il y a des djihadistes qui tentent de saper leur œuvre ainsi que, évidemment, le régime.
Jeff Napolitano : Et les djihadistes sont souvent en quelque sorte mis dans un seul sac ou considérés comme faisant partie des «rebelles», mais ils sont, ainsi que vous le dites, assez distinct de la révolution elle-même.
YM : C’est juste. Cela fait maintenant environ trois ou quatre mois. Les révolutionnaires se battent en fait sur deux fronts. Il y a, d’un côté, le régime et, de l’autre, les groupes Al-Nousra et Al-Qaida, les djihadistes. Et les djihadistes, en réalité, arrêtent, torturent et tuent de nombreux activistes – des gens qui ont résisté depuis le premier jour.
La plupart des groupes créés par Al-Qaida ne combattent pas réellement le régime. Ils stationnent dans les parties nord du pays. Ils laissent l’Armée syrienne libre (ASL) et d’autres factions combattre le régime et ils viennent à leur suite, prenant possession de n’importe quelle ville ou d’un village libéré. Ils sont donc très violents. Ainsi que je l’ai dit, ils arrêtent des militants. Quiconque les critiques est arrêté, torturé et quelque fois tué. En ce moment, ils ont plus de 1500 activistes dans leurs prisons.
Ainsi que vous pouvez le voir, il y a actuellement deux fronts en Syrie: les djihadistes d’un côté, le régime de l’autre. C’est la raison pour laquelle de nombreuses personnes pensent que les djihadistes sont d’une façon ou d’une autre alliés au régime syrien. Al-Qaida vend, en fait, du pétrole au régime. Le pipeline doit traverser la région contrôlée [inaudible] entre les groupes créés par Al-Qaida, et le régime obtient que le pétrole atteigne la côte.
Les choses sont donc bien plus compliquées qu’elles apparaissent ici aux Etats-Unis où, la plupart du temps, vous pouvez des articles à propos de «Al-Qaida» et «Al-Qaida». En réalité, Al-Qaida ne fait pas partie de la révolution. C’est un groupe anti-révolutionnaire.
JN : En effet. Le débat qui domine au Congrès semble être: «bien, si nous bombardons la Syrie (et la crainte ne porte pas en réalité sur bombarder la Syrie), la crainte est: qui arrivera au pouvoir si nous bombardons la Syrie?» C’est en quelque sorte la teneur de la discussion. Il semble qu’il y ait de nombreuses personnes au Congrès, des républicains en particulier, qui semblent penser que le problème à propos du bombardement dit sélectif la Syrie est simplement qu’Al-Qaida va se saisir du pays. Dès lors, l’opposition au bombardement ne relève pas simplement pas une bonne idée.
L’un des mythes populaires (ou je ne sais pas s’il s’agit d’un mythe, dites-le moi), ou les impressions sont que les rebelles ou les révolutionnaires (on ne fait pas allusion à des «révolutionnaires», on fait référence à des «rebelles»), que les gens opposés à Assad et à son régime sont en faveur d’une frappe sur la Syrie. Est-ce le cas ?
YM : Vous savez, de loin je ne peux pas vraiment vous répondre. Je pense que la population est divisée, que de nombreuses personnes y sont opposées. Je pense que certaines personnes, en raison des destructions, de la violence et des tueries, voient la frappent comme une «voie de sortie», mais je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse forcément de la majorité.
Les gens ont appris au cours des 30 derniers mois que personne n’est vraiment allié à leur cause, et ne se préoccupe pas de la population syrienne. Le peuple syrien ne dispose pas réellement d’amis (parce que certains parlent des «amis de la Syrie», etc.) et ils ont compris que l’occident – l’Europe et les Etats-Unis – n’est pas forcément en faveur d’une victoire de la révolution.
En réalité, les gens – vous savez, lorsque vous parlez à une personne quelconque dans ces zones libérées de Syrie – vous disent que lorsqu’ils perdent des territoires ou des régions dans leur combat contre le régime, ils reçoivent des armes; alors que lorsqu’ils gagnent, les armes cessent d’arriver.
La raison à l’origine de cela est que parce que l’occident et les Etats-Unis veulent que cette guerre aboutisse à une situation d’impasse car c’est dans leurs intérêts. Ils ne sont pas forcément en faveur du régime, et ils ne sont pas forcément très favorable à ce que les révolutionnaires, ou ce qu’ils nomment «Al-Qaida», gagnent. La meilleure chose pour les Etats-Unis jusqu’ici a été de laisser le conflit se poursuivre. Et c’est aussi dans l’intérêt d’Israël, ils ne souhaitent pas véritablement voir les révolutionnaires gagner. En réalité, pour de nombreux politiciens israéliens ou des Etats-Unis, ils sont en faveur d’un Bashar affaibli au pouvoir.
JN : Je suis vraiment curieux parce que personne ne parle jamais de cela, ou, au moins, dans les médias à large diffusion aux Etats-Unis. En fait, la plupart des trucs que j’ai lus provenant de la gauche porte sur pourquoi c’est une mauvaise idée de bombarder la Syrie. Ils ne parlent pas, en réalité, de ce à quoi ressemble la révolution.
Et vous parlez d’institutions en reconstitution. Cela me fait en quelque sorte penser à la révolution espagnole que j’étudiais lorsque j’étais à l’université – la révolution républicaine alimentée par les anarchistes et les socialistes de divers courants dans la seconde partie des années 1930 – et, eux aussi, luttaient dans une espèce de guerre sur deux fronts: l’un contre les fascistes, le second contre les staliniens. Mais c’est une histoire différente. Mais ce qui m’avait frappé étaient les descriptions de ce à quoi ressemblait en fait la révolution en Espagne, et l’espèce de société égalitaire qui a en quelque sorte émergé là-bas. A quoi ressemble la révolution sur le terrain en Syrie?
YM : La révolution est très complexe, elle a de nombreuses facettes et il y a différentes choses qui se passent et sont en cours. La partie qui domine le plus, disons le ainsi, est la révolution populaire, mais il y a aussi une demi-Guerre froide» en cours entre les Etats-Unis et leurs alliés d’un côté, la Russie et ses alliés de l’autre. Il y a aussi un conflit entre l’Iran et ses alliés, d’une part, et Israël et le Golfe, de l’autre. Il y a donc toutes ces différentes facettes de ce conflit, mais la plus importante – et c’est ce dont sont convaincus beaucoup de Syriens – est la révolution populaire. Et je pense que c’est une chose très importante à comprendre.
Une autre raison de comparer la révolution syrienne avec la guerre espagnole, ainsi que vous le disiez tient dans le fait que tous les gens de gauche, tous les progressistes ont une opinion sur ce qui se déroule en Syrie, ainsi que c’était le cas avec la révolution espagnole, il y a de nombreuses années. Malheureusement, la majorité de la gauche adopte une fausse position. Ils comprennent la révolution syrienne d’une manière très binaire et réductrice…
JN : Est-ce le cas de la gauche des Etats-Unis ou même de la gauche en Syrie ?
YM : Même la gauche en Syrie, la gauche arabe et la gauche des Etats-Unis et d’Europe est divisée. Pour la plus grande partie, ils ne comprennent ce conflit que comme étant une guerre entre, d’un côté, les Etats-Unis et, de l’autre, les gens contre les Etats-Unis: les «anti-impérialistes» selon certains, de telle sorte que cela aboutit à inclure le Hezbollah, l’Iran, la Syrie; ils pensent que la Syrie a aidé les Palestiniens, etc. Ils ont une compréhension très ignorante de l’histoire syrienne et à quel point le régime syrien a été violent au cours des dernières 40 années ainsi que du nombre de fois où il a trahi la lutte palestinienne, etc. D’une certaine façon, donc, ces personnes de gauche ou progressistes embrassent, en fait, la doctrine Bush: le ou/ou, cette approche qui exclut toute complexité dans votre position…
JN : Le «soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ?»
YM : Oui, une manière de penser la révolution binaire et réductrice. Et je pense que cela est très nuisible. Cela envoie le mauvais message au peuple syrien. De nombreux Syriens pensent que la gauche, par défaut, est en faveur du régime. Nous avons vu récemment des manifestations à New York et dans d’autres villes avec des gens manifestant contre la guerre, mais portant aussi des images d’Assad.
JN : A Boston, par exemple, j’ai vu l’autre jour des images. Il y avait une image remarquable dans le Boston Globe dans un article contre les protestations. Elle se concentrait sur un groupe de gens dans la foule qui agitaient des drapeaux syriens arborant un visage de Assad au milieu, dépeignant toute la manifestation comme n’étant pas uniquement contre les frappes contre la Syrie, mais comme étant en faveur d’Assad. Mais je sais de source interne, venant de certaines organisations qui ont soutenu cette manifestation, que cela était contraire au message qu’ils tentaient de faire passer.
YM : C’est juste, c’est juste. Et la gauche est – «cette» gauche (je ne veux pas généraliser) – cette partie de la gauche perd sa crédibilité. Les gens, que cela soit aux Etats-Unis ou dans le monde arabe ou en Syrie, ne vont pas forcément comprendre le message, qu’il s’agit vraiment d’un message contre la guerre. Ils verront les photos d’Assad et comprendront que c’est réellement de la propagande, que ce n’est pas vraiment contre la guerre.
Je pense que la gauche a une tâche réelle devant elle. Elle doit vraiment élaborer une nouvelle position, une position plus cohérente. Une position par laquelle on peut être en même temps contre la guerre impérialiste, mais aussi contre la dictature. Et tant que vous n’aurez pas cela, je suis convaincu qu’elle n’aura aucune crédibilité. Les gens en Syrie verront cela presque comme une autorisation de tuer parce que le régime syrien a en fait diffusé ces manifestations sur les chaînes télévisées d’Etat, montrant à quel point cela est populaire en occident et que les gens qui manifestent dans les rues de New York et d’autres villes montrant ces images d’Assad.
En réalité, le régime syrien n’est pas même en mesure d’organiser de telles manifestations ou défilés en Syrie. Il est donc très content de voir qu’elles apparaissent en de nombreux endroits. Et la plupart des gens qui manifestent ne savent, en fait, rien sur la réalité que vivent les Syriens ainsi que leurs luttes, leurs combats et leur résistance de tous les jours, ce qu’ils tentent de bâtir, la créativité qu’ils mettent dans ce qu’ils font.
Je pense que l’on reçoit une leçon des choses lorsque l’on va en Syrie et que l’on voit ce que les gens font. Je suis convaincu qu’il y a aussi du racisme, une façon de juste dénier aux Syriens toute capacité d’agir et de dire: «tout cela n’est qu’un complot, les Etats-Unis ont planifié cela depuis le commencement, c’est comploter contre Assad», etc.
Cela signifie que les Syriens n’ont aucune capacité d’agir, qu’ils ne peuvent vraiment penser par eux-mêmes, qu’ils ne peuvent véritablement faire une révolution, etc. Je suis convaincu que c’est une grande erreur que la gauche est en train de commettre.
JN : J’ai la prescription que la secrétaire générale de l’Amercian Friends Services Committee [AFSC, société affiliée aux Quakers, la «société des amis», fondée en 1917 et œuvrant pour la paix et la justice sociale; la secrétaire générale en est Shan Cretin] exprime dans une lettre au Président Obama et au Congrès – et dites moi ce que vous pensez de cela – et elle appelle à un embargo total sur les armes de toutes les parties dans le conflit, que la seule solution en Syrie est une solution politique et que nous insistons («nous» étant l’AFSC, «nous» étant la population des Etats-Unis) pour fournir un soutien complet aux efforts de Lakhdar Brahimi, l’envoyé conjoint des Nations Unies et de la Ligue arabe, pour faire pression à une rencontre rapide d’une conférence de Genève II. Dès lors, les Etats-Unis devraient chercher une transition qui repose sur les institutions existantes plutôt que de les remplacer, et qu’ils ne doivent pas se mettre à dos ces gens qui ont servi le gouvernement ou l’armée. C’est donc ce qui se trouve en tête de ce que prescrit mon organisation au sujet de ce que nous devrions faire depuis ici. Que penseriez-vous de cela, et que pensez-vous que nous devrions faire? «Nous» étant la population des Etats-Unis, la gauche aux Etats-Unis.
YM : Je pense que la chose la plus importante à faire (pour le mouvement progressiste et pour les gens qui se préoccupent vraiment des révolutions arabes et qui souhaitent les voir aller quelque part, de les soutenir et de leur faire part de leur solidarité) est fondamentalement de se distancier des alliances avec différents Etats, de construire un mouvement social qui soutienne la population syrienne.
Ce soutien de solidarité peut prendre de nombreuses formes différentes. Cela peut être au travers des reportages: en réalité, un journaliste responsable qui va en Syrie et qui voit ce qui se passe sur le terrain et tente de prendre son travail au sérieux. Et pas uniquement les reportages sur les aspects militaires et sur les querelles internes de la révolution parce que je pense que ce n’est que le sommet de l’iceberg et que c’est la partie la plus visible, mais ce n’en est pas la plus importante.
Un conseil local à Alep contesté pour sa gestion: «A bas le Conseil local, voleur de pain et de farine»
Un conseil local à Alep contesté pour sa gestion:
«A bas le Conseil local, voleur de pain et de farine»
Je crois que ce qui se passe en Syrie est bien plus que cela. Il y a de nombreuses révolutions en cours sur de nombreux terrains: politique, culturel, social, économique. Les gens créent vraiment de nouvelles institutions avec de nouvelles idées, ils tentent de s’attaquer aux problèmes les plus difficiles et ils tentent de les résoudre. Je pense donc que cela fait partie de choses qui pourraient être faites.
Les gens ont besoin de médecins, ils ont besoin d’ingénieurs, ils ont besoin de tous les activistes qui peuvent les aider. Tout ce genre de solidarité, fondamentalement il s’agit d’essayer de reproduire ce que les gens ont fait en Palestine: tenter de bâtir un mouvement de solidarité global qui transcende le type de politiques centrées sur l’Etat qui s’est déroulé au cours des trente derniers mois, tournant uniquement autour des gouvernements, des Etats, des armées, etc. Je pense que c’est le message le plus puissant que nous pouvons envoyer à la population syrienne: construire un mouvement social alternatif qui est global, qui comprend véritablement la complexité de la révolution syrienne et qui ne la réduit pas aux «djihadistes» et à «Al-Qaida»; qui comprend qu’il y a de nombreuses facettes. Les progressistes et les gens de gauche devraient vraiment pousser en faveur de la dimension révolutionnaire et non se contenter de répéter ce récit de la «conspiration» qui la réduit uniquement à ce que l’on voit dans les médias. (7 septembre 2013)
http://paris.indymedia.org/spip.php?article14305Bachar Al-Assad dégage ! Non aux interventions étrangères !
La révolution du peuple syrien contre le régime de Bachar Al-Assad a commencé il y a près de 32 mois avec des manifestations pacifiques pour la démocratie dans la foulée des révolutions en Tunisie et en Egypte. La répression atroce menée par le régime d‘Assad a poussé le peuple à se défendre par les armes. L’insurrection de masse a réussi à libérer des territoires importants et résiste dans d’autres.
Le régime d’Assad s’appuie non seulement sur ses tanks, son aviation, ses milices et ses armes chimiques pour soumettre les Syriens, mais aussi sur l’aide massive de la Russie et de l’Iran et sur l’intervention armée du Hezbollah libanais. Le bilan est terrible : probablement plus de 120 000 morts, des centaines de milliers d’emprisonnés, torturés, 2 millions de réfugiés à l’étranger, plus de 4 millions de déplacés dans le pays.
Dans cette tourmente, la Syrie est par ailleurs devenue la proie de multiples appétits régionaux et internationaux. D’un côté, les monarchies du golfe et la Turquie soutiennent financièrement ou logistiquement des milices djihadistes, tandis que d’un autre coté, les puissances occidentales, sous la menace de bombardements, tentent d’imposer des solutions de façade qui préservent leurs intérêts stratégiques. Ces interventions se font aux dépens des populations.
Plus que jamais, le peuple syrien a besoin de notre solidarité. Nous soutenons son droit inaliénable à l’autodéfense contre la dictature, par les moyens qu’il juge nécessaire. Nous pensons que, partout, les mouvements sociaux et progressistes peuvent faire beaucoup, avant tout en direction des conseils locaux en Syrie, et des déplacés et réfugiés syriens : populariser leur action pour la liberté, contribuer au soutien humanitaire et en moyens matériels mais aussi, dénoncer les ingérences des Etats et des miliciens étrangers, les menaces d’interventions militaires des grandes puissances, et celles que font peser sans cesse leurs bases militaires dans la région. En Europe, la manifestation concrète de notre solidarité aux Syriens est de leur garantir les droits d’installation et d’asile.
Pour manifester votre solidarité, entendre des témoignages de militants syriens qui se battent pour la liberté, la justice sociale et la dignité nationale, dans le respect de toutes les composantes de ce pays, venez nombreux !
Meeting vendredi 18 octobre à 19h Bourse du Travail de Paris- salle GRANDE CROISAT – 3 rue du Chateau d’eau -Paris 3ème - M° République
avec la participation de :
- Gilbert Achcar, chercheur
- Michel Kilo, militant des droits de l’homme, animateur de l’Union démocratique syrienne, membre de la Coalition nationale des forces de l’opposition et de la révolution
- Khalil Haj Saleh, membre du Parti démocratique du peuple syrien
- Mariah Alabdeh, membre du Mouvement non violent syrien (El Hirak el Silmy)
- Bernard Dreano, président du CEDETIM
Premiers signataires : les Alternatifs, Alternative Libertaire, ATTAC, CEDETIM , FASE , FTCR, Gauche Anticapitaliste , Gauche Unitaire, Nouveau Parti Anticapitaliste.
http://www.anarkismo.net/article/26625Syrie : la lutte continue - « Journée de colère contre Al-Qaeda & Assad »
Depuis maintenant bientôt trois années qu’un soulèvement a éclaté en Syrie (en tant que manifestation locale des boule-versements qui secouent les régions du Maghreb et du Machrek), la plupart des réactions, commentaires et critiques provenant de structures militantes qui se réclament de la révolution, de l’internationalisme, du communisme, de l’anarchie,… vont dans le même sens : le doute par rapport à ce qui se passe, le doute par rapport aux déterminations maté-rielles essentielles qui donnent vie aux mouvements qui se développent devant nos yeux, le doute par rapport à la nature de classe de ces événements, le doute par rapport au contenu potentiellement subversif des luttes de notre classe lorsque celle-ci ne porte pas les « bons » drapeaux, etc.
Ce doute s’est renforcé depuis que le conflit s’est transformé en « militarisation de la révolution » (comme beaucoup le prétendent) et que notre mouvement a été récupéré par « les forces de l’opposition démocratique » et divers tendances djihadistes, salafistes et autres islamistes. Mais comme une militante de Palestine l’exprime :
« Donc oui, la Révolution syrienne est en effet récupérée, et nous savons qu’il y a beaucoup de salafistes, de djihadistes et d’autres groupes, et beaucoup de groupes proaméricains et pro-impérialistes qui essayent de détourner la Révolution syrienne. Mais cela ne ternit nullement la Révolution syrienne, et çà ne veut pas dire non plus que juste parce qu’un mouvement révolutionnaire est récupéré nous ne devrions pas prendre position et arrêter de le soutenir. Bien sûr, il y a encore tant de révolutionnaires qui agissent sur le terrain […] et il y a même beaucoup de brigades armées non-confessionnelles que nous ne pouvons ignorer. Si la révolution est récupérée, nous n’allons pas commencer à mettre cette récupération sur le dos des gens. Nous faisons tout en fait pour prendre parti pour les gens afin de remettre la révolution sur la bonne voie. Et c’est ce que beaucoup de gauchistes ne peuvent pas comprendre. » (1)
Jamais aucune révolution dans l’histoire tourmentée et violente des luttes de classe n’a démarré avec « le bon drapeau », avec « les consignes correctes », avec une « conscience » préétablie et claire des buts et perspectives. Toutes les avancées pratiques et programmatiques se sont forgées dans le douloureux affrontement d’avec la contre-révolution organisée en force compacte.
Comme nous l’évoquions déjà dans nos précédents tracts au sujet des luttes en Syrie (2), dès lors que les forces gouverne-mentales sont chassées d’une ville ou d’une région, le capita-lisme ayant horreur du vide, de nouvelles forces, de nouveaux partis et syndicats s’installent pour gérer la situation et éviter qu’elle ne déborde d’un cadre strictement réformiste. Parmi ces organismes, on retrouve en force les divers groupes isla-mistes qui prennent en charge la répression des structures militantes mise en place par le mouvement de lutte. Contrôles dans les rues, arrestations, emprisonnements, tortures et exécutions sommaires de militants, condamnations sévères par des « tribunaux islamiques », application de la charia, répression des manifestations quotidiennes contre ces « nou-veaux maîtres » ; depuis le printemps 2013, les prolétaires vivant dans les « zones libérées » pointent du doigt et dénon-cent ces ennemis islamistes qui n’ont rien à envier aux sbires du régime baasiste. Parmi ces groupes djihadistes, l’un des plus virulents et des plus haïs par l’ensemble de la population, c’est le groupe qui se proclame « État Islamique d’Irak et du Sham » (EIIS), affilié au réseau international Al-Qaeda.
Suite à une série de coups très durs portés à des structures du mouvement (comme l’attaque du 28 décembre 2013 contre des militants dans la ville de Kafranbel – généralement considérée comme la « conscience de la révolution » au vu de l’importante activité propagandiste menée sur place), de nombreux prolétaires sont massivement descendus dans les rues ce vendredi 3 janvier 2014 dans les provinces d’Alep, Idlib, Raqqa (au nord et nord-est du pays), pour marquer leur mépris envers l’EIIS. Le mouvement s’est même étendu à d’autres régions (comme dans les banlieues de Damas et à Deraa au sud du pays) où l’EIIS est plus faiblement implanté. La répression a évidemment été féroce : les miliciens de l’EIIS ont riposté aux assauts des prolétaires contre leurs divers quartier-généraux en tirant sur la foule en colère. Le mouvement de protestation s’est amplifié durant toute la semaine suivante et des militants ont appelé à une « Journée de colère » pour le vendredi 10 janvier contre la présence d’Al-Qaeda en Syrie ainsi que contre le régime.
Dans la foulée des protestations dans les rues, diverses « bri-gades rebelles » se sont aussi positionnées, certaines en dé-fendant probablement les intérêts du mouvement, d’autres en essayant de l’instrumentaliser une fois de plus afin de défendre et de promotionner leurs propres intérêts dans la conquête du pouvoir étatique sur les ruines du régime baasiste.
« Sur le front militaire, il y a aussi une guerre à grande échelle contre l’EIIS. Le 3 janvier, des groupes affiliés à l’Armée Syrienne Libre ainsi qu’au Front Islamique et Jaysh Al-Mujahidiin (récemment formés) prennent part à de féroces batailles contre l’EIIS, chassant ce groupe de plusieurs de ses bastions dans le nord, et capturant un grand nombre de combattants de l’EIIS. À partir du 7 janvier, des messages Twitter de militants suggèrent que l’EIIS a été chassé de 10 localités dans la province d’Alep, de 6 localités dans celle d’Idlib, de 3 dans celle de Deir Al Zour et 1 dans celle de Hama. Quelques régions libérées de l’EIIS, telles que Manbej et Binnish ont été soumises à de féroces bombardements par le régime d’Assad suite à la prise de pou-voir par les rebelles, avec comme conséquence dans le cas de Binnish que l’EIIS est capable de reprendre la ville et alimentant la spéculation croissante d’une coordination militaire entre l’EIIS et le régime. L’EIIS a montré qu’il ne quitte pas le terrain sans combattre, tout en commettant un massacre contre des troupes de l’ASL à Rastan. Le 6 janvier, l’EIIS avait exécuté 50 prisonniers qu’il détenait à Alep, dont des femmes et des mili-tants, il a aussi exécuté des détenus à Harem, Idlib avant de se retirer de la région. On craint aussi que le retrait de l’EIIS de quelques régions, en ramenant des renforts d’ailleurs, puisse être révélateur de la préparation imminente d’une contre-offensive. » (3)
Le fait que l’aviation gouvernementale ait bombardé des zones libérées de l’emprise de l’EIIS ne fait effectivement que renforcer et confirmer des rumeurs circulant depuis des mois selon lesquelles le régime baasiste aurait partie liée avec cet « État Islamique » et d’autres groupes islamistes :
« (…) lorsque le régime a procédé à des attaques contre Raqqa et Alep, celles-ci ont visé des quartiers civils (principalement de la classe ouvrière) et non pas des positions ou les quartiers généraux de l’EIIS. Le quartier général de l’EIIS à Al Raqqa est installé dans le plus grand bâtiment de la ville, il n’est donc pas difficile de le rater, mais au contraire les frappes aériennes du régime ont visé des écoles et tué des étudiants. L’EIIS a servi de bouc émissaire pendant les attaques du régime contre le soulè-vement populaire. Les prisons d’Assad sont pleines de militants laïcs, civils, non-violents alors que les prisonniers affiliés à Al Qaeda ont été libérés au début de la révolution. » (Idem)
La tâche des révolutionnaires, des communistes, qui n’ont absolument aucun intérêt différent des autres prolétaires, c’est de toujours mettre en avant les activités en rupture avec l’état des choses actuel, d’œuvrer à ce que le mouvement de lutte de notre classe pousse à toujours plus clarifier ses objectifs et ses perspectives. Nous n’avons rien à attendre d’une alliance avec une quelconque fraction qui défend les intérêts globaux du capitalisme organisé en État. Et dans ce sens, nous ne pouvons qu’encore une fois citer cette militante syrienne à propos de la question de l’armement du mouvement et des illusions que des prolétaires peuvent avoir :
« Il est probable que la plupart des combattants soient attirés par le Front Islamique parce qu’il a accès à l’assistance militaire et au soutien étranger qui ont été refusés à l’Armée Syrienne Libre plutôt que parce qu’ils partageraient leur idéologie. Indu-bitablement, la formation du Front Islamique et l’unification de grandes et puissantes brigades militaires peuvent amener un avantage militaire dans le combat contre Assad. Mais gagner la bataille contre le régime (et Al Qaeda), ce n’est pas le même chose que d’accomplir les buts de la révolution. » (Idem)
L’une des grandes leçons que notre mouvement de subversion de ce monde a pu tirer de l’affrontement entre la révolution-naire et la contre-révolutionnaire en Espagne dans les années 1936-37, c’est précisément qu’en s’alliant avec un « moindre mal » (une fraction plus progressiste de la bourgeoisie, un « front populaire »), on ne fait pas avancer la défense de nos intérêts de classe mais au contraire on participe à la défaite de la révolution et à son écrasement.
Bref, nous ne pouvons une fois de plus que saluer les prolétaires en lutte qui, loin de se soumettre aux diktats de leurs nouveaux maîtres, continuent la lutte malgré l’ignorance quasi-généralisée du reste du monde. Ce nouveau développement dans la dynamique de lutte, c’est ce que cette militante sy-rienne qualifie sur son blog de « révolution dans la révolution ». (Idem)
Třídní Válka
Janvier 2014
1. Palestine and the Syrian Revolution https://budourhassan.wordpress.com/2013 ... evolution/
2. Encore et toujours plus de massacres en Syrie https://autistici.org/tridnivalka/encor ... -en-syrie/
Menaces de frappes aériennes en Syrie ! Troisième guerre mondiale ? Une seule guerre, la guerre de classe !
https://www.autistici.org/tridnivalka/m ... -mondiale/
3. ‘Revolution within the revolution’: The battle against ISIS
https://leilashrooms.wordpress.com/2014 ... inst-isis/
http://www.autistici.org/tridnivalka/sy ... eda-assad/
http://www.autistici.org/tridnivalka/wp ... -assad.pdf
Related Link: https://www.autistici.org/tridnivalka/
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article32199Election présidentielle en Syrie : « une comédie dans une mer de sang »
L’« élection » présidentielle en Syrie a eu lieu le 3 juin. Pour cette élection, deux autres candidats, « inconnus » à côté du dictateur, n’ont pas osé mettre sur les panneaux électoraux qu’ils étaient candidats à la présidence...
Pire, cette élection était restreinte à la zone de contrôle de l’armée régulière, une élection qui a tout d’un plébiscite et qui a donné au dictateur en place 88,7 % des voix. Pendant cette période électorale, les barils n’ont pas cessé de tomber sur les zones « libérées », le régime ne se gêne plus pour gazer sa population, cette fois par le gaz chlore CL2. La dernière frappe a eu lieu le 4 juin contre la localité de Arbine, dans la campagne de Damas.
Les grandes puissances se comportent comme si le dictateur faisait partie de toute solution « politique »... tout en disant qu’il n’aura pas de place dans l’« avenir » de la Syrie ! Ainsi , l’ex-ambassadeur étatsunien à Damas, responsable du dossier de l’opposition, a déclaré le 4 juin que son administration n’a pas apporté de soutien « ayant un effet sur les terrains », soulignant qu’aujourd’hui l’enjeu n’est plus le départ d’Assad mais « les menaces grandissantes des extrémistes ».
Et l’arène diplomatique internationale et régionale s’active : USA-Iran, Arabie saoudite-Iran etc. Le but est d’arriver à un arrangement entre les grandes puissances internationales et régionales, pour juguler l’élan révolutionnaire dans la région et conserver les régimes en place, y compris le régime syrien, demandant seulement que le tyran constitue un gouvernement élargi comprenant des « opposants ».
Révolution, contre-révolution et résistances
La contre-révolution est multiple : en plus du régime et ses milices diverses, il y a les multiples groupes djihadistes qui répriment les masses populaires et révolutionnaires dans leurs zones de contrôle, et s’opposent entre eux pour les richesses, en particulier le contrôle des puits pétroliers.
Qu’il soit pacifique ou armé, le mouvement populaire connaît un recul évident depuis la fin de l’année dernière. Ce mouvement révolutionnaire fait face à de multiples ennemis, seul, sans mouvement de solidarité réel et efficace. Nous sommes dans une phase d’avancée des contre-révolutions, pas seulement en Syrie, et dans un reflux de mouvement révolutionnaire. Pour autant, il serait prématuré de parler de défaite, car les masses syriennes reprennent à nouveau les slogans originels de la révolution populaire, toutes illusions sur les mouvements « islamistes » étant largement dissipées : pour une Syrie libre et démocratique pour tous les Syriens, l’égalité et la justice sociale !
Les manifestations et autres actes de contestation continuent : dans la ville de Airaqa contre la présence de mouvements islamistes en avril, ou la grève générale dans la ville de Minbij au mois de mai. Les contestations populaires n’ont pas cessé dans les zones contrôlées par le régime : des comités de coordination ont réalisé une élection parallèle le 3 juin dans plusieurs villes du pays, élection où les candidats étaient les martyrs de la révolution populaire, en particulier Ghaiath Matar, activiste pacifiste de la ville de Darya arrêté le 6 septembre 2011 et mort sous la torture. Cette élection parallèle a eu beaucoup de succès mais les médias dominants l’ont ignorée. Plusieurs manifestations ont aussi eu lieu le 6 juin dénonçant le simulacre d’élection présidentielle sous le mot d’ordre : « ce n’est pas une élection, c’est une comédie dans une mer de sang ».
La gauche révolutionnaire syrienne est activement impliquée, dans des conditions les plus difficiles et face à des ennemis nombreux, dans toutes les formes des luttes populaires, qu’elles soient dans les zones « libérées » ou sous contrôle du régime. La contre-révolution avance, la révolution résiste et continue !
Ghayath Naisse
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