Que reste-t-il du FHAR, quarante ans après ? in Le Monde libertaire # 1639 du 9 au 15 juin 2011
De jeunes camarades demandent régulièrement aux quelques anciens militants du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) s’ils ne veulent pas intervenir dans la presse militante ou dans des conférences. En effet, ce mouvement né, comme le Mouvement de libération des femmes (MLF), en 1971 est directement issu de la lutte des femmes. Il a laissé une image très positive, même quarante ans après 68. Cela vient-il du subtil mélange qu’a su entretenir le FHAR entre humour, sens de la dérision et militantisme, ou bien de son organisation sur des bases libertaires ? Nous avons essayé de répondre à ces interrogations durant le Festival des résistances et des alternatives à Paris, qui a rassemblé beaucoup de militants des jeunes générations.
Avant le FHAR, il n’y avait rien ou presque ! Avant 68, l’homosexualité était encore taboue en France, et Arcadie et son mensuel étaient la seule et unique voix d’expression des gays en France. La revue, qui permettait de faire partie de l’association avait été créée par André Baudry, avec le soutien de Roger Peyrefitte et de Jean Cocteau. Elle fut interdite aux mineurs dès 1954, et censurée. En 1960, à la promulgation de l’amendement Paul Mirguet comptant l’homosexualité parmi les « fléaux sociaux », les petites annonces et les photographies furent supprimées. Autant dire qu’à cette époque, la devise des homos était plutôt : pour vivre heureux, vivons cachés ! Il fallu attendre Mai 1968 pour que deux militants rédigent un texte-affiche signé « Comité d’action pédérastique révolutionnaire », dont huit furent collés sur les murs de la Sorbonne. Le lendemain, elles avaient disparu. Cependant, un millier de tracts en reproduisant le texte furent distribués à l’Odéon et dans les tasses, de Paris (à l’époque, les tasses ou vespasiennes, étaient les seuls lieux de drague accessibles avec quelques parcs et jardins). Pendant quelques années, il ne se passa plus rien en France.
La revanche de Stonewall
En revanche, c’est de l’autre côté de l’Atlantique qu’en 1969 éclatent les fameuses émeutes de Stonewall. Dans la nuit du 27 au 28 juin, la police new-yorkaise opère des descentes musclées dans les bars gays de Greenwich Village. Quand elle investit le Stonewall Inn, établissement installé à Christopher Street, les clients se rebellent. Des passants se joignent à eux, la foule grossit et les forces de l’ordre sont obligées de se barricader dans l’établissement en attendant les renforts. Suivront une série de manifestations spontanées et violentes qui durèrent cinq jours et cinq nuits, comme si toutes les brimades endurées par les homosexuels durant des siècles ressurgissaient subitement. Ces événements sont souvent considérés comme le premier exemple de résistance des gays et des lesbiennes contre l’homophobie aux États-Unis et partout dans le monde. Un an plus tard, les militants gays de New York organisent une marche pour commémorer l’événement: la première Gay Pride.
Femmes et « pédales » mêmes ennemis, même combat !
Retour en France : le 26 août 1970, les militantes féministes « rendent les honneurs à la femme du soldat inconnu ». En septembre de la même année, à la suite d’un numéro de la revue Partisans consacré à la libération des femmes, un certain nombre de lesbiennes militantes rejoignent ce petit groupe qui n’a pas encore de nom officiel et sont bientôt suivies par un certain nombre d’homosexuels hommes. Le groupe devenu mixte participe activement au sabotage du meeting organisé par le professeur Lejeune, le « conseiller scientifique» de l’association anti-IVG Laissez-les-vivre. Un mois plus tard, le 10 mars 1971, salle Pleyel, a lieu une intervention du tout jeune MLF et de militants homosexuels des deux sexes, contre l’émission publique de Ménie Grégoire « L’homosexualité ce douloureux problème » sur Radio Luxembourg. L’estrade est envahie et les orateurs s’enfuient sous les cris de « À bas les hétéroflics » et « Les travelos avec nous ». En mai 1971 paraît le premier des six numéros du journal Le Torchon brûle, édité par le MLF jusqu’en 1973.
Création du FHAR sur un mode libertaire
Malgré la présence de quelques homosexuels masculins tolérés dans certaines AG, le MLF est non mixte et la question du désir lesbien et de l’homosexualité a du mal à émerger. De ce fait, plusieurs militantes du MLF participent avec les militants gays à l’émergence du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) en mars 1971, rejoints par des militantes des Gouines rouges, un groupe qui constitue la liaison entre le MLF et le FHAR. Le FHAR est donc issu d’un rapprochement entre des féministes lesbiennes et des activistes gays et marque la naissance de l’image de « la folle – ou la goudou – revendicative » (en opposition à « la folle – ou la goudou – honteuse », versus Arcadie), à la fois aux plans de la sexualité et du genre. Les militants du FHAR portent leur critique sur toutes les formes de contraintes sociales (la normalité, la famille, la domination masculine, les « hétéro-flics » et les « homo-flics »). Le fonctionnement du groupe s’appuie sur une pratique politique anti-autoritaire, la « fierté communautaire » et l’action de rue. Au FHAR, il n’y a pas de chef, pas de comité directeur, pas de porte-parole. Les principales activités du groupe consistent en des distributions de tracts dans les boîtes homosexuelles et les réunions hebdomadaires dans un amphithéâtre des Beaux-Arts, ou des interventions à la faculté libre de Vincennes. Au plan théorique, des groupes de travail et de réflexion sont constitués autour de plusieurs thématiques.
Un mouvement trop voyant
Sans se revendiquer comme leaders, l’écrivain et coauteur avec Félix Guattari de Trois milliards de pervers, Guy Hocquenghem et l’écrivaine et cofondatrice du MLF, Françoise d’Eaubonne sont les deux principales figures qui animent le mouvement. Lors des réunions aux Beaux-Arts, on croise également la chercheuse du CNRS, Christine Delphy, spécialisée dans le féminisme et les questions de genre, l’écrivain communiste-libertaire Daniel Guérin ou encore René Schérer, le philosophe fouriériste proche de Gilles Deleuze et de Michel Foucault (habitué aujourd’hui du Monde libertaire et de Radio libertaire), etc. Fort de cette « petite armée » intellectuelle mais pacifique, en avril 1971, le FHAR participe à la rédaction du journal Tout – ce que nous voulons : la révolution, et obtient un quatre pages où le mouvement a la possibilité de s’exprimer librement (c’est à la suite de ce numéro que je militerai au FHAR). Le groupe décide, entre autre, de publier un manifeste inspiré de celui des 343 salopes avorteuses, avec un préambule choc : « Nous sommes plus de 343 salopes. Nous nous sommes fait enculer par des Arabes. Nous en sommes fiers et nous recommencerons. »
Les pouvoirs publics s’émeuvent de sa large diffusion… le numéro est saisi et Jean-Paul Sartre est poursuivi pour y avoir publié une déclaration. Finalement, un arrêt du Conseil d’État déclare inconstitutionnelles les atteintes à la liberté d’expression et fait cesser les poursuites.
1er mai 1971 : le FHAR au milieu des syndicats
Le 1er mai 1971, pour la première fois de l’histoire, des hommes, des femmes et des transsexuelles défilent fièrement et joyeusement, sans service d’ordre, avec à leur tête une simple banderole en toile blanche bombée du nom du FHAR, tandis que les militants massés derrière scandent : « Les pédés dans la rue », « Nous sommes tous un fléau social », « Nous ne sommes pas des poupées, phallocratie : à bas ! ».
Les réactions sont mitigées, plutôt récalcitrantes du côté des syndicats et, selon mes propres souvenirs, plutôt amusées du côté des libertaires, à l’époque la Fédération anarchiste (FA) – dont je faisais également partie, tout en ne cachant pas mon appartenance au FHAR – et l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA). Des gros bras de la CGT essayent de nous interdire la manif, mais, instinctivement, suivis par les comités de lycéens, nous emboîtons le pas à la FA, qui entre également en force (comme chaque année) dans le cortège syndical, et nous collons derrière… Un scénario qui se reproduira tous les ans (peut-être explique-t-il les liens avec des associations comme Act Up-Paris, qui préfèrent encore aujourd’hui défiler avec les libertaires le 1er mai avant de se glisser dans le cortège purement syndical de l’après-midi ?).
Qui trop embrasse mal étreint !
À la suite aux quatre pages parues dans le journal Tout et à la manifestation du 1er mai, le FHAR prend rapidement de l’ampleur et de l’importance. Une dizaine de comités de quartier sont créés et fonctionnent, ainsi que dans différentes villes de l’Hexagone, notamment à Marseille, où des militants organisent plusieurs actions. Le courrier afflue, surtout de province. Le 27 juin 1971, les militants du FHAR se joignent aux féministes pour fêter l’anniversaire de la fondation du Groupe de libération des femmes, au jardin des Tuileries. Mais la fête militante est interrompue par l’arrivée massive des flics qui interpellent et embarquent quatre participants. Cependant, les réunions hebdomadaires continuent aux Beaux-Arts, mais la prédominance numéraire des hommes commence à agacer les féministes et les lesbiennes qui ont l’impression que leurs spécificités sont occultées, et finit par amener à la scission. Les lesbiennes et des femmes du FHAR constituent formellement le groupe des Gouines rouges, qui a pour objectif d’orienter plus spécifiquement leur lutte contre le sexisme et la phallocratie. C’est une époque où d’autres fractions se singularisent, comme les Gazolines, et où naissent la revue théorique situationniste Le Fléau social et la revue L’Antinorme, qui explique dans son premier numéro: « Être militant au FHAR, c’est revendiquer notre liberté physique et morale par la destruction des lois de la société en place et des tabous de la religion judéo-chrétienne. » C’est dans cette optique qu’il faut interpréter le défi lancé aux moeurs par certains camarades qui se sont mis à poil dans l’amphi de Beaux-Arts au cours d’une assemblée générale. Ce geste était un acte libérateur visant à une égalisation des rapports. La nudité estompe les critères apparents de richesse déduits de l’habillement, une tentative de destruction des notions bourgeoises selon lesquelles il y a d’un côté une belle jeunesse qui doit se taire, et de l’autre des vieux, compensant leur « laideur » par l’exercice du droit à la parole et du pouvoir et enfin, une pratique révolutionnaire attaquant sur un mode radical les lois antisexuelles de notre société qui se fondent uniquement sur des critères idéalistes : la pudeur, ou les bonnes moeurs. Pour leur part, les militants du FHAR publient en 1971 un Rapport contre la normalité et se collent à l’écriture d’un épais numéro spécial de la revue Recherches dirigée par Félix Guattari, qui ne paraît qu’en 1973.
L’heure des scissions
Bien que tous ces groupes se reconnaissent dans les slogans du FHAR : « Prolétaires de tous les pays, caressez-vous ! », « Lesbiennes et pédés, arrêtons de raser les murs ! » et la lutte contre les « hétéro-flics », ils finissent par prendre leurs distances les uns par rapport aux autres. D’autres conflits s’amorcent, notamment celui concernant les positions (non majoritaires) du FHAR sur le droit à la libre sexualité pour les mineurs. Les Gazolines sont un autre point de discorde. En effet, leur groupe situationniste pousse la logique de la provocation à l’extrême et interroge la structuration du pouvoir à l’intérieur du FHAR, selon elles, détenu par quelques intellectuel(le)s, tout en pointant du doigt la rigidité morale des militants d’extrême gauche. Ainsi, apparaissent-elles voilées de noir à l’enterrement de Pierre Overney, militant maoïste tué par un vigile en 1972, en scandant « Liz Taylor, Overney, même combat ! ». Cette performance suscite la colère des organisations d’extrême gauche qui reprochent au FHAR son manque de tenue et son manque de sérieux. Si les Gazolines ont atteint leur but, c’est-à-dire rendre visibles les limites de l’extrême gauche en matière de sexualité, elles provoquent la démission de Daniel Guérin qui quitte le FHAR, à cause de leurs outrances durant l’enterrement de Pierre Overney. Pour sa part, Françoise d’Eaubonne quitte également le Front, n’y voyant plus qu’un « vulgaire lieu de drague ». Après trois ans d’existence et de militance, c’est en février 1974 que la police interdit les réunions à l’école des Beaux-Arts, et que le FHAR, après avoir fait bouger bien des choses, abandonne ses actions spectaculaires.
Quel héritage pour le FHAR ?
Cependant, le FHAR a fait des petits ! Ses héritiers sont les Groupes de libération homosexuels (GLH), la plupart situés en province, le GLH-PQ (politique et quotidien) et les groupes Sexpol (sexe et politique), qui ont autant d’histoires propres. Leurs objectifs et revendications, issus du FHAR, perdureront à travers les associations homosexuelles des années 1980, comme les Universités d’été euro-méditerranéennes des homosexualités et le CUARH ou la création de la revue Gai Pied. Malgré les ravages causés par les années sida, les côtés radicaux et politisés du FHAR seront repris par les mouvements lesbiens, gay, bi et trans, inspirant en partie le courant queer, aux États-Unis et en France. Sur un autre registre, Act Up-Paris sera créé en 1989 et se démarquera en proposant une nouvelle forme militante : « le pédé séropositif », qui marquera une rupture générationnelle. Pour autant, si le premier objectif d’Act Up est la lutte contre l’épidémie, l’association ne reniera jamais, mais au contraire continuera à s’appuyer sur la « figure de la folle » fortement revendicative sur le plan de la sexualité et, en quelque sorte par extension, sur l’identité des personnes séropositives. Au fur et à mesure de son existence, l’association deviendra mixte et radicalisera son discours politique, avec des actions toujours non violentes, gardant en son sein une poignée de militants libertaires. Ces derniers seront les garants d’une pratique issue du FHAR : les décisions sont prises en assemblée générale, qui a lieu tous les jeudis dans un amphithéâtre des Beaux-Arts, en souvenir des plus belles années du FHAR. Et à quand la remise au goût du jour d’une convergence de toutes les luttes pour la Sociale, le libre choix et l’autodétermination des individus dans le respect mutuel ?
Patrick Schindler
Rôle des lesbiennes dans les combats féministes
Pour nous, lesbiennes féministes, membres du Coordination Lesbienne en France, nos luttes sont indissociables de l’ensemble des luttes des mouvements de femmes. Elles en font partie et se fondent dans un mouvement unique, celui du combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes, pour l’égalité entre toutes les femmes, quelle que soit l’orientation sexuelle de chacune.
Souvent invisibles, dès les premières heures du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), certaines d’entre nous étaient là et ont soutenu des luttes qui ne les concernaient qu’indirectement mais qui étaient le moteur d’une libération collective. Pensons par exemple à la lutte pour l’accès à la contraception et à l’avortement. Pour les autres, qui militons aujourd’hui, nous sommes héritières de ce foisonnement des années MLF parfois nommées « années mouvement ».
Si l’histoire entre féministes et homosexuelles est plutôt tourmentée, il n’en reste pas moins que les lesbiennes ont été un « aiguillon » dans l’histoire du MLF en le colorant d’un surplus subversif.
Il n’a pas été facile de concilier les mémoires collectives ; les femmes hétérosexuelles écrivaient la suite d’une histoire, c’était une continuité, elles s’inscrivaient dans une nouvelle vague de féminisme. Pour les lesbiennes, rebelles parmi les rebelles, qui se fondaient dans ce grand mouvement, il manquait tout un pan, un pan de la reconnaissance de leur vécu, des discriminations, des humiliations, des violences qu’elles vivaient, contraintes pour certaines à se nier ou à vivre avec honte leur attirance pour d’autres femmes. Il manquait, dans le livre d’effervescence sociale et politique de l’époque, la page témoignant de leur existence.
Par leurs écrits théoriques, leurs analyses politiques parfois plus radicales, plus virulentes que pouvaient le faire leurs paires hétérosexuelles, les lesbiennes ont contribué très puissamment à dénoncer l’oppression subie par toutes les femmes. Elles ont apporté arguments et armes idéologiques au mouvement, renforçant ainsi les luttes anti patriarcales. Elles dénonçaient la place qui était imposée aux femmes dans la famille, les rôles qui leur étaient attribués : « Femmes qui refusons les rôles d’épouses et de mères, l’heure est venue, du fond du silence, il nous faut parler » déclaraient les Gouines Rouges dans un tract distribué en 1972 à la Mutualité lors d’une journée qui dénonçait les crimes contre les femmes.
Enfin, la présence des lesbiennes dans le MLF a sans doute permis un « brouillage » voire un dé-tricotage de la norme hétérosexuelle, une remise en question de l’hétérocentrisme et de l’hétérosocialité. Plus tard, dans les années 1980, les lesbiennes radicales ont analysé l’hétérosexualité comme un système politique devant lequel pouvait se dresser le lesbianisme comme outil de résistance, outil de résistance à « l’hétéro-oppression ».
Construire un mouvement autonome dans la non mixité
Les années 1980 et 1990 sont l’époque de l’autonomisation du mouvement lesbien, cultivant une non mixité semblable à celle construite avec les militantes du MLF lorsque les lesbiennes avaient quitté le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) en raison de la misogynie latente qui y régnait.
C’est dans ce foisonnement que s’organisent des collectifs, des coordinations d’associations, des lieux lesbiens comme les maisons de vacances, des journaux, des maisons d’édition…. Citons le magazine Lesbia né en 1981 et le festival Quand les lesbiennes se font du cinéma , créé en 1989 et qui rassemble chaque année plus d’un millier de lesbiennes pour quatre jours de projections, partages et débats.
Les années 1990 ouvrent la voie aux actions de visibilité. En effet, au sein du milieu lesbien, la pensée se structure, on s’y organise pour aller vers le « coming out » collectif, pour aller vers l’extérieur et toujours dans ce souci d’autonomie face au mouvement féministe et aussi au mouvement LGBT (Lesbiennes, gay, bi et trans). Des stratégies d’alliance sont menées sur certaines revendications avec ces mouvements mais le mouvement des lesbiennes féministes s’en détache également puisque la place des lesbiennes et des gays dans nos sociétés d’essence patriarcale n’est pas similaire. Le processus de discrimination est très différent : les lesbiennes, en tant que femmes, vivent également les mêmes mécanismes d’oppression que les femmes hétérosexuelles, ce qui n’est pas le cas des gays.
Les apparitions en tant que lesbiennes se multiplient dans les manifestions publiques, politiques, féministes comme la manifestation organisée en novembre 1995 par le Collectif des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception (la CADAC) qui donnera naissance au Collectif National pour les Droits des femmes. En 1995 toujours, naît le projet « Fierté Lesbienne » qui portera pendant 10 ans des actions de visibilité pour rassembler et marquer la place des lesbiennes à l’occasion des événements LGBT et pour combattre la lesbophobie.
Renouer des liens solides avec le mouvement féministe
Les années 2000 sont celles d’une véritable réconciliation avec le mouvement féministe dans laquelle vont se jouer des solidarités.
Tandis que des lesbiennes choisissent de militer au sein du mouvement LGBT, les organisations lesbiennes féministes s’investissent dans le mouvement des femmes. C’est le cas de la Coordination Lesbienne en France (CLF), créée en 1997 pour être une force représentative des lesbiennes et s’inscrire dans les mouvements féministes, sociaux et politiques, leurs alliés logiques. Néanmoins, elles participent au mouvement LGBT tout en préservant le principe de la non mixité qui leur permet d’élaborer une réflexion autonome pour la porter ensuite dans la mixité.
Elles sont actives au sein de mouvements féministes nationaux comme le Collectif National pour les Droits des Femmes (CNDF) ou internationaux tels que La Marche Mondiale des Femmes ou le CLEF (la Coordination française du LEF - Lobby Européen des Femmes). Les lesbiennes féministes s’inscrivent dans toutes les luttes initiées par ces collectifs : luttes contre les violences faites aux femmes, luttes contre la précarisation des femmes, contre les inégalités au travail, contre le système prostitutionnel (clients, réseaux, proxénètes, qui tirent des profits élevés en exploitant des personnes démunies), contre la prégnance de l’extrême-droite etc.
Dans cette collaboration contre les violences faites aux femmes, la CLF rend visibles les violences et discriminations spécifiques que subissent les lesbiennes, à savoir la lesbophobie.
Ces dernières décennies, le mouvement des femmes a accompli de grandes avancées pour la visibilité des lesbiennes et la reconnaissance de leurs vécus parfois très difficiles. C’est le temps des complicités, des actions conjuguées, des révoltes partagées pour préserver et détourner de nouvelles attaques d’un patriarcat toujours aussi insolent et vivace.
Susciter de nouveaux combats féministes
Travailler à l’abolition universelle de la GPA
En 2011, la révision de la loi bioéthique sonne comme un coup de tonnerre. Des individu-e-s, des associations hétérosexuelles mais surtout homosexuelles revendiquent, tout d’abord dans une sorte de semi clandestinité, puis haut et fort, la légalisation de la maternité de substitution ou G.P.A (gestation pour autrui) à la faveur de cette révision. Qui plus est, cette revendication est parfois portée abusivement au nom de « la libre disposition du corps », en masquant le fait qu’il s’agit plutôt de la libre disposition du corps d’autrui, des femmes en l’occurrence, mais aussi en détournant scandaleusement les idées féministes des années 1970. Rappelez-vous : l’une des plus grandes luttes des féministes des années 1970 a été, bien évidemment, celle de l’accès à l’avortement. « Notre corps nous appartient » scandaient les combattantes de l’époque. Au nom de la libre disposition du corps, il s’agissait de libérer chaque femme de la contrainte reproductive qui pesait sur elle ; se libérer de cette contrainte était alors un levier pour libérer l’ensemble des femmes de la mainmise du patriarcat.
Des organisations lesbiennes féministes sont aussi confrontées à l’évolution du mouvement LGBT qui, de combattant de l’ordre moral dans les années 1980, tend à adopter des revendications qu’on ne saurait qualifier de progressistes, que ce soit pour la légalisation de la prostitution ou du recours à la GPA. La CLF s’y oppose fermement et marquera sa désapprobation en se séparant officiellement du mouvement LGBT.
Homosexuelles, nous étions plus libres que nos amies féministes pour dénoncer cette régression sociale pour expliquer que, commerciale ou éthique, la GPA ne peut être acceptable, elle instrumentalise le corps des femmes, elle les renvoie à un rôle traditionnel patriarcal, elle inscrit, à côté de la prostitution, un service procréatif qui s’appuie sur la glorification de soi-disant vertus féminines telles que l’altruisme et la générosité. Nous ne pouvions accepter que reviennent le fantôme de la domination du système patriarcal qui justifie l’existence sociale des femmes par leurs capacités procréatives. Nous avons alors lancé un mouvement de résistance entraînant des associations de défense des droits des femmes et des droits humains. En 2011, nous étions un collectif de trois associations à nous battre sur le terrain : la Cadac, le CoRP et la CLF. Aujourd’hui, nous sommes 54 associations françaises, italiennes, suisses, québécoises, portugaises, monégasques… à revendiquer l’abolition universelle de la maternité de substitution.
Repenser l’individualisation des droits
En 2013, la loi Taubira ouvre le mariage à tous les couples, hétérosexuels ou homosexuels, et s’accompagne de débats enflammés. Pour les lesbiennes féministes, cette réforme, présentée abusivement comme un grand pas vers l’égalité, amène tout au plus une égalité entre couples hétérosexuels et couples homosexuels, mais ne fait pas réellement avancer l’égalité entre individu-e-s .
En effet, l’ouverture au mariage donne accès à des avantages jusque-là réservés aux couples hétérosexuels (transmission patrimoniale, protection sociale, pension de réversion, etc.). La dissymétrie des droits entre couples et personnes vivant de façon autonome (célibataire) s’en est trouvée renforcée. Ce constat conduisait naturellement à repenser l’égalité en interrogeant nos systèmes de droits civils, sociaux et fiscaux, encore largement entachés de familialisme, considérant non pas l’individu, mais son statut familial ou conjugal et rejetant les personnes, et surtout les femmes, dans la dépendance. La CLF a ainsi relancé la question des « droits propres », question débattue par les mouvements féministes dans les années 1970, mais quelque peu oubliée, en portant cette réflexion dans les cercles et colloques féministes. Revendiquer des « droits propres », c’est-à-dire non liés à un statut comme le sont les « droits dérivés », c’est en effet revendiquer des droits universels pour tout individu-e.
Construire une réflexion féministe sur le sujet devient d’autant plus impératif que des organisations de droite comme de gauche évoquent le revenu universel d’existence, une forme de droit propre, comme l’une des avancées possibles de nos sociétés. Or, à l’examen, cette préconisation s’avère davantage une fausse bonne idée qu’un réel progrès social. Sur ce sujet très complexe, la vigilance s’impose. Nous savons que toute avancée vers les droits propres ne peut que s’inscrire dans le cadre d’une société solidaire, et non dans une société libérale, en ré-évaluant l’ensemble de nos systèmes sociaux et fiscaux.
Mars 2017
Pour la Coordination Lesbienne en France, Jocelyne Fildard, Catherine Morin Lesech, Marie Josèphe Devillers
N.B. L’article ci-dessus a été publié dans la revue Passerelle dans le N° 17 de la collection Passerelle édité par RITOMI : Féminismes ! Maillons forts du changement social. Ce numéro est en téléchargement sur http://www.coredem.info/rubrique76.html
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