Aube Dorée, une mafia fasciste au coeur du pouvoir grecAprès le meutre d'une jeune rappeur par un membre d'Aube dorée, l'omerta se fissure en Grèce. La police, la justice, les politiques et les médias commencent à réagir face à la montée de la violence fasciste. L'emprise mafieuse de ce parti néonazi est mise à jour.
L'assassinat du jeune rappeur Pavlos Fyssas, la semaine dernière, par un membre du parti néonazi Aube Dorée a créé un électrochoc dans la société grecque. Pour la première fois, un large front antifasciste s'est formé. Syndicats, associations antiracistes et antifascistes, partis de gauche, groupes d'extrême gauche ont défilé hier.
"Le fascisme ne mourra pas tout seul"
Même le PASOK, parti socialiste participant au gouvernement avec les conservateurs, était là pour affirmer sa foi en la démocratie. Même s'il n'y a pas eu le raz-de-marée populaire attendu, la mobilisation a été importante dans tout le pays, à Athènes face au Parlement, et dans toutes les villes de province, jusqu'aux plus petites.
Une banderole, illustrée par une basket écrasant le serpent noir du nazisme sortant de l'oeuf, ouvrait tous les cortèges:
Le fascisme, comprends le bien, ne mourra pas tout seul. Il faut tout faire pour l’exterminer".
Autre allusion brechtienne, le cri des étudiants en art, théâtre et danse:
Le fascisme, c’est le capitalisme le plus cru, le plus oppressif, le plus effronté et le plus sournois".
La fin de l'omerta sur la violence raciste
Mais le plus spectaculaire est la brèche ouverte dans l'omerta qui régnait jusqu'à maintenant sur l'action délétère d'Aube dorée. Le gouvernement, la police, la justice et les médias semblent tous s'être réveillés d'un coup de baguette magique.
Est-ce parce que c'est le meurtre d'"un enfant de chez nous"?, s'étonne Petros Constantinou, conseiller municipal d'extrême-gauche d'Athènes.
Où etaient-ils quand nous protestions dans les quartiers pauvres du Pirée et d'ailleurs contre les ratonnades contre les émigrés? C'est nous qu'on accusait alors",
dénonce-t-il.
Un soutien inespéré lui a été apporté par le rapport sur "la violence raciste en Grèce" du médiateur du citoyen, l'équivalent de notre médiateur de la République, publié ces jours-ci. Il corrobore les dires du conseiller: en un an et demi, 281 incidents racistes ont eu lieu, au moins 4 meurtres, plus de 400 blessés, tous en lien direct avec l'Aube dorée.
L'action violente du parti néonazi a explosé avec sa légitimation parlementaire. En juin 2012, il entrait à l’Assemblée nationale avec 7% des voix et 18 députés.
Le rapport parle d'un ''crime invisible'', encouragé par l'''attitude négligente et décevante" d'institutions comme la police, l’armée, la justice, montrées du doigt pour avoir minimisé -si ce n’est aidé- la violence raciste à se multiplier.
Un passé compromettant
Le gouvernement de coalition est en pleine crise politique. Le premier ministre multiplie les professions de foi démocratiques, mais refuse la discussion au Parlement. Pas très à l'aise, sans doute, avec son passé récent: nombre des députés du parti conservateur, la Nouvelle Démocratie, proposaient il y a peu une collaboration avec l'Aube dorée.
Sur ordre du ministre de l'Intérieur, la police grecque multiplie les descentes aux sièges du parti Aube dorée qui se sont multipliés ces derniers mois. Elle a aussi remis à la justice une cinquantaine de plaintes restées dans un tiroir depuis des mois. Une dizaine de responsables policiers et militaires ont par ailleurs été suspendus.
Tout cela est d'une hypocrisie folle"
dénonce Giorgos Delastik, éditorialiste du journal centriste Ethnos.
ll n'est pas sûr que le gouvernement aille jusqu'au bout de ses annonces et lève l'impunité d'Aube dorée, parce qu'il réagit bien trop tard".
Ratonnades, eugénisme, racket, camps paramilitaires
La presse, longtemps silencieuse, va désormais plus loin, témoignages et vidéos à l'appui. Des interviews publiées d'anciens membres d'Aube dorée dévoilent tous les jours un peu plus le comportement mafieux de cette organisation et les connivences à tous les niveaux dont elle bénéficiait:
entraînements dans des camps paramilitaires par des membres des forces armees spéciales
ratonnades de mêche avec les policiers
rackets auprès de commerçants
trafic de cigarettes illégales
pressions contre des artistes avec la faction fondamentaliste de l'Eglise et contre les marins avec la composante ultralibérale des armateurs...
Les exemples ne manquent pas: on citera ce psychiatre, chef de département de l'hôpital psychiatrique de Dafni, prônant ouvertement des thèses eugénistes nazies et distribuait des certificats de bonne santé mentale pour le permis de port d'armes à tous les membres de l'organisation.
Ou encore cette directrice du centre de transfusion sanguine, qui mettait à disposition du parti tous les locaux et l'équipement pour leur distribution de sang aux "Grecs seulement".
Infiltration dans les écoles
On apprend aussi que l'action sociale qu'Aube dorée se vantait de mettre en oeuvre (soutien aux personnes agées, victimes de vol, de braquage ou de cambriolage) était mise en scène avec des parents proches des membres du groupe néonazi.
Plus inquiétant encore, Aube dorée dispose aussi de hackers chargés de pirater les comptes Facebook d'anciens membres ou d'opposants à son action. Surtout, elle s'est infiltrée dans les écoles pour former des collégiens et lycéens à leur cause. De jeunes recrues potentielles baptisées "centaures", ces créatures mythologiques mi-hommes mi-chevaux.
Est-ce la fin de l'immunité pour le parti néonazi?",
s'interrogent les quotidiens ce matin, en publiant de nouveaux aveux sur l'emprise tentaculaire d'Aube dorée dans tous les secteurs de la société grecque.
C'est loin d'être certain. De nombreux observateurs projettent que le gouvernement annoncera bientôt des élections anticipées en se présentant comme "le seul garant de la stabilité du pays", face au danger venant des deux extrêmes, à droite et à gauche.