Lille, vendredi 9 février 2018
Projection le fond de l'air est bleu
à 20h, L'Univers, 16 rue Georges Danton, Lille
https://www.facebook.com/events/708864479317171/
Cette manifestation pour le climat était prévue de longue date. Mais les attentats du 13 novembre sont passés par là : deux semaines après le carnage du Bataclan, la France a basculé dans l’état d’urgence. Ce 29 novembre 2015, le rassemblement est interdit. Quelques milliers de personnes se retrouvent quand même à Paris, place de la République, pour rappeler notamment que « le véritable état d’urgence est climatique ». Mais elles sont nassées par les CRS. Grenades lacrymogènes : « D’un coup, ça brûle très fort les yeux, la gorge, ça arrache », se rappelle une militante. « Je n’ai rien vu venir ; je n’ai pas compris que même dans l’immobilité cela pouvait surgir », confesse un autre.
« Ce sont de petits groupes violents qui s’en sont pris aux forces de l’ordre avec des projectiles », dira le préfet de police de Paris, photos à l’appui. Chez les manifestants qui témoignent dans le film, soit directement, soit par le truchement de comédiens, on se souvient surtout de violences policières gratuites. Une férocité dans les gestes – « Un vieux bonhomme de plus de 70 ans, maigre, les cheveux blancs, se fait tabasser par les CRS parce qu’il ne reculait pas assez vite ; plus tard, il se retrouvera dans ma cellule, incapable de marcher. » Un déchaînement dans les mots – « Il n’y a plus de caméras, ferme ta gueule parce que sinon je vais te saigner comme un cochon » ; « Mongols » ; « Connards de gauchistes »...
317 personnes se retrouvent en garde à vue. L’expérience, inédite pour beaucoup, est brutale. Une personne est menottée, rapporte une manifestante, et les policiers « s’amusent » à lui tordre les poignets. Dans un panier à salade, se rappelle un autre protestataire, « un camarade » se retrouve braqué avec un fusil mitrailleur à dix centimètres de sa bouche : « Alors, t’as peur ? », rigole le policier. « C’est quoi, ton problème avec la COP21 ? Je suis sûr que tu ne sais même pas pourquoi t’es là... », balance un autre agent. Au bout de quelques heures de garde à vue, une militante veut contacter un proche et un avocat : trop tard, lui répond-on. « Ça a été d’une violence que je n’avais jamais vue et que je n’ai pas envie de revoir […]. Ça a été tellement fort qu’on a franchement cette peur de se dire qu’ils peuvent nous arrêter à tout moment… Que tout est autorisé. »
Réalisé par un collectif issu de la manifestation, le film, d’une durée d’une heure, ne s’arrête pas à ces récits poignants. Il propose aussi une analyse de la répression en période d’état d’urgence et de grands raouts diplomatiques, ces « moments de pouvoir très importants » où « on applique à des militants l’arsenal antiterroriste », comme l’explique la politologue Vanessa Codaccioni. Et puis, il y a Samir Baaloudj, militant des quartiers populaires, pour rappeler salutairement que dans les coins où il a grandi, la brutalité policière s’applique depuis longtemps : « Moi, je vis l’état d’urgence depuis l’âge de treize ans. »
317, c’est le nombre de personnes mises en garde à vue le 29 novembre 2015, à la suite d’une manifestation pour le climat à Paris, en pleine COP 21. Ce sera aussi le nom d’un collectif, et du documentaire autoproduit pour témoigner de ce qui s’est passé ce jour-là, par une mosaïque de récits à la première personne, de textes lus ou de scènes rejouées.
Le film accorde une large place au vécu des gardé.es à vue, aux conséquences, mêmes longtemps après les événements, de la répression brutale du cortège mais surtout des violences subies loin des caméras. Si le nuage de lacrymo qui a étouffé le cortège à l’arrivée, place de la République, est évoqué, c’est le face-à-face avec les policiers qui a laissé le plus de traces : des insultes, des menaces de mort, des insinuations graveleuses à l’adresse des femmes interpelées, et même le canon de ce fusil mitrailleur pointé au visage d’un des manifestants, à l’abri des regards, dans l’intimité d’un fourgon.
Le choc d’abord, puis la peur qui reste, la conscience de la vulnérabilité face à un pouvoir de répression considérable, sont aussi analysés dans le cadre d’une réflexion sur les stratégies de « maintien de l’ordre » de l’État. Le contexte était celui de la frénésie antiterroriste, deux semaines après des attentats meurtriers, dont les morts ont été très vite instrumentalisés pour viser des opposants et opposantes politiques. Un sociologue, une politologue, une avocate, un historien et des activistes se relaient pour analyser l’évolution des politiques pénales et des violences d’État. Ainsi, l’usage dans le droit de la catégorie de « terrorisme » depuis les années 1980, élargie au point d’inclure toute remise en cause des structures sociales, est mise en parallèle avec la gestion des sommets internationaux par l’État, entre besoin de visibilité médiatique et nécessité de faire taire la contestation. Éric Fassin donne aussi des éclairages intéressants sur le jeu de la police et de l’État, celui-ci accordant d’autant plus d’autonomie à celle-là qu’il a besoin d’elle. Le documentaire réussit parfaitement à faire le lien entre cet événement particulier qu’était la répression de la marche pour le climat et le glissement dans un état d’exception permanent.
On notera l’ouverture politique de Samir Baaloudj, ancien militant du Mouvement de l’immigration et des banlieues, qui rappelle que cette violence scandaleuse au cœur de Paris est subie au quotidien depuis des décennies par les habitants et habitantes des banlieues.
Marco (92)
• Collectif 317, 317, 60 min, en libre accès sur https://les317.wordpress.com/
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