Jacques Rancière

Jacques Rancière

Messagede L . Chopo » 11 Oct 2012, 17:45

De tous les philosophes en vue dans le mouvement social, Jacques Rancière est probablement le plus radical dans ses analyses politiques, le plus proche de l’idée libertaire, le plus sensible au projet communiste. Certes le philosophe de l’émancipation est un auteur difficile mais le lecteur gagnera à persévérer. Pour l’en convaincre, cette citation extraite d’un entretien qu’il vient de donner à La Revue des livres :

« Il y a de la politique lorsqu’il y a un peuple, lorsque ce peuple ne se confond pas avec sa représentation étatique, mais se déclare et se manifeste lui-même en choisissant ses lieux et ses temps. On oppose toujours spontanéité et organisation. Mais le premier problème est de savoir ce qu’on organise. C’est une chose de faire une machine pour prendre le pouvoir ou, à tout le moins, quelques ministères. C’est tout autre chose d’organiser des formes d’expression autonome du peuple qui fassent droit à la capacité de tous et qui se fixent d’autres agendas que les agendas officiels ».

Jacques Rancière, sans écarter toute prétention théorique, se maintient sur le terrain de la philosophie, au bord du politique ; il entend ouvrir des pistes de réflexion pour la transformation sociale et se maintenir dans ce champ. C’est au fond l’attitude de la plupart des philosophes allaités au marxisme scientifique que l’histoire a fait passer de l’arrogance des certitudes à la prudence des inquiétudes. Rancière rétorque sur le fond :
« Au bord du politique ne veut pas dire “à côté du politiqueˮ, mais sur les frontières où on la voit naître et mourir […]. Ce que je veux apporter à la politique, c’est une certaine reconfiguration des données et des problèmes ». « Par rapport à la faillite des projets révolutionnaires, je me sépare aussi bien de ceux qui pensent qu’ils ont la bonne formule pour les révolutions de l’avenir que de ceux qui disent que tout projet de transformation égalitaire du monde est voué à la terreur totalitaire. Je ne propose aucune formule de l’avenir mais je m’attache à décrire un monde ouvert aux possibles et aux capacités de tous ».

Il précise la méthode :

« Il n’y a pas la théorie d’un côté et, de l’autre côté, la pratique chargée de l’appliquer. Il n’y a pas non plus d’opposition entre la transformation du monde et son interprétation. Toute transformation interprète et toute interprétation transforme. Il y a des textes, des pratiques, des interprétations, des savoirs qui s’articulent les uns sur les autres et définissent le champ polémique dans lequel la politique construit ses mondes possibles » et, s’agissant de ses écrits, il considère qu’« ils sont une contribution individuelle au travail par lequel individus et collectifs sans légitimité s’appliquent à redessiner la carte du possible » .

Cette carte du possible n’est pas celle d’un modèle de démocratie parlementaire radicale, encore moins d’une approche communautariste de la politique. Philosophe de la rupture de la démocratie entendue comme support de la domination, sa critique du pouvoir conduit à la primauté de l’émancipation collective sur l’hédonisme affinitaire.

Avant d’en arriver là, pour comprendre la philosophie de Jacques Rancière, il faut remonter au temps où il était élève à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm. Son professeur, Louis Althusser, trublion intellectuel au sein du Parti communiste français, entreprend une relecture de Marx à laquelle il associe ses élèves. Elle donnera lieu à une publication remarquée en 1965 : Lire le Capital. Dans cette œuvre collective, Jacques Rancière écrira sur le jeune Marx. Trente-cinq ans plus tard, il résume ainsi le fil conducteur de l’ouvrage :

« Finalement, notre “scienceˮ sophistiquée revenait toujours à poser qu’il appartient à l’intellectuel ou au savant d’apporter aux malheureux dominés les explications véritables sur les raisons de leur domination ».

Cette lecture militante montre que Rancière se résoudrait à « un anarchisme démocratique » avec « un “gouvernementˮ anarchique, fondé sur rien d’autre que l’absence de tout titre à gouverner ». …… /……


• Lire l’étude de Pierre Bance sur le site un Autre futur : http://www.autrefutur.net/Jacques-Ranciere-l-anarchique

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Re: Jacques Rancière, l’anarchique

Messagede Nyark nyark » 12 Oct 2012, 19:20

Image Image Image
Image et beaucoup d'autres dans les bonnes bibliothèques...

Et bientôt une réédition de :
La nuit des prolétaires : archives du rêve ouvrier.
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La religion est la forme la plus achevée du mépris (Raoul Vaneigem)
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Jacques Rancière. "Une société de l’affiche"

Messagede L . Chopo » 28 Déc 2012, 18:17

Une société de l’affiche ou de l’avatar ?

Dans un texte intitulé "Une société de l’affiche" (paru le 29 septembre 1996 dans le journal brésilien La Folha de Sâo Paulo, repris dans Moments Politiques, La fabrique, 2009.), Jacques Rancière revient sur une image parue dans l’lllustrated London News de juin 1848, qui "nous montre une haute barricade au sommet de laquelle parade un groupe d’insurgés. Un petit écriteau porte la mention Complet ".

Image
(The Entrance of the Rue du Faubourg St. Antoine, From the Place de la Bastille).

Rancière se demande si l’auteur de la gravure "a voulu amuser son public avec ces ouvriers parisiens qui allaient à la barricade comme on va au spectacle ? ". Il nous propose alors sa réflexion sur le lien existant entre politique et théâtre et diverge de Guy Debord, sur le fétichisme du spectacle.

The entrance of the rue du Faubourg St. Antoine…

La gravure "nous indique que l’insurrection elle-même, ce n’est pas la foule affamée ou furieuse qui se déverse dans la rue comme un torrent. C’est une manière d’occuper la rue, de détourner un espace normalement voué à la circulation des individus et des marchandises, espace de manifestation d’un personnage oublié dans les comptes du gouvernement : le peuple, les ouvriers ou quelque autre personnage collectif."
Quant au cri des insurgés de juin 1848, "Du pain ou du plomb", elle ne serait pas inventée par la faim, mais par l’habitude du théâtre et de son langage emprunté. Il rappelle que quelques années avant cette insurrection, les chroniqueurs littéraires de la bonne société s’étaient émus d’une maladie inédite qui sévissait dans le monde ouvrier : on y faisait maintenant de la littérature et les poètes ouvriers choisissaient les grands mots et les rythmes nobles. "La politique, au sens fort du terme commence avec la capacité de troquer son langage ordinaire et ses petites douleurs pour s’approprier le langage et les douleurs des autres". Elle commence avec la fiction, cette manière de creuser la réalité, d’y ajouter des noms et des personnages, des scènes et des histoires qui la multiplient et lui ôtent son évidence univoque. "C’est ainsi que la collection des individus travailleurs devient le peuple ou les prolétaires, que l’entrelacement des rues devient la cité ou l’espace public."
"Le peuple lui-même est une apparence de théâtre, un être fait de mots, qui vient en surnombre imposer sa scène d’apparence et de trouble à la place de la bonne répartition des fonctions sociales."

Théâtre vs Spectacle

Il avoue repenser à cette barricade théâtrale quand il entend décrire notre monde comme celui de la société du spectacle ou de la politique-spectacle.
Jacques Rancière marque sa différence avec les analyses de Guy Debord. Selon lui, "nous ne vivons pas dans une société du spectacle où la réalité se perdrait, mais bien plutôt dans une société de l’affiche où l’apparence se voit congédiée".
… /…

Lire la suite sur : http://www.autrefutur.net/Une-societe-d ... he-ou-de-l

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Re: Jacques Rancière

Messagede Pïérô » 01 Juin 2017, 14:48

Paris, jeudi 1er juin 2017

Jacques Rancière en conversation avec Laurent Jeanpierre

« En quel temps vivons-nous ? »

à partir de son dernier ouvrage "En quel temps vivons-nous?", Jacques Rancière évoquera ses réflexions sur les diverses formes d'oppression, de dissidence subjective et d'organisation pour trouver comment sortir d'une logique défaitiste et aller vers une redéfinition des rapports sociaux.

Image

à 20h, L’Atelier, 2bis rue du Jourdain, Paris 20e

https://www.librest.com/nos-rendez-vous ... jeanpierre
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