Chroniques et présentations livres

Chroniques et présentations livres

Messagede sèmm » 08 Fév 2009, 15:45

L'ennemi intérieur

http://www.editionsladecouverte.fr/cata ... 2707153968


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La France des années 2000, comme de nombreux pays, a vu se confirmer un modèle de contrôle censé protéger la population contre la prolifération, en son sein, de « nouvelles menaces » : islamisme, terrorisme, immigration clandestine, incivilités, violences urbaines… Et pour justifier cet arsenal sécuritaire, un principe s’est imposé : désigner l’« ennemi intérieur ». Cette notion évoque la guerre froide, quand cet ennemi était le communisme. Et surtout les guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, quand l’armée française a conçu la « doctrine de la guerre révolutionnaire », afin d’éradiquer au prix des pires méthodes la « gangrène subversive pourrissant le corps national ».

Si cette doctrine a été évacuée officiellement depuis lors par l’État, certains de ses éléments clés auraient-ils contribué à façonner cette grille de lecture sécuritaire qui présente les populations immigrées issues de la colonisation comme les vecteurs intérieurs d’une menace globale ? C’est ce que montre Mathieu Rigouste dans ce livre rigoureusement documenté, en s’appuyant notamment sur un corpus d’archives conservées à l’École militaire.
Retraçant l’évolution des représentations de l’ennemi intérieur dans la pensée d’État depuis les années 1960, il explique comment, des territoires colonisés d’hier aux quartiers populaires d’aujourd’hui, la Ve République a régénéré un modèle d’encadrement fondé sur la désignation d’un bouc émissaire socio-ethnique. À travers l’étude minutieuse des étapes de la lutte antimigratoire et de la structuration de l’antiterrorisme, il révèle l’effrayante évolution du contrôle intérieur, de ses dimensions médiatiques et économiques, ainsi que la fonction de l’idéologie identitaire dans la mise en œuvre du nouvel ordre sécuritaire.

Collection : Cahiers libres
Parution : février 2009
Nb de pages : 348
Prix : 22 €
ISBN : 9782707153968
Dimensions : 155 * 240 mm
Façonnage : Broché

Mathieu Rigouste, chercheur en sciences sociales à l’université Paris-VIII-Saint-Denis, est notamment l’auteur de plusieurs articles sur la construction médiatique de l’« immigré » et des quartiers populaires.


A propos de l'Ennemi intérieur

30 jan 2009Par Benjamin Stora

La thèse de Mathieu Rigouste soutenue en 2008 à l’université Paris 8, l’Ennemi intérieur, vient d’être publiée aux Editions La Découverte. Mathieu Rigouste a réalisé un travail de recherche sur lesreprésentations de l’immigration en France à partir d’une problématique audacieuse, originale, différente.

La figure de l’immigré qui se dégage de cette étude est celle d’un « ennemi intérieur », sorte de « cinquième colonne »comme greffée sur le corps de la société française. L’auteur, pour sa démonstration, pour sa thèse (car il s’agit là d’une vraie thèse, d’un engagement sur un point de vue, et pas d’une simple compilation prudente et savante d’archives) valorise la pensée politico-militaire à l’œuvre dans le champ intellectuel et médiatique. Dans la construction d’un système de représentations, à base militaire donc, la séquence guerre d’Algérie joue un rôle essentiel. La guerre d’Algérie, mais on pourrait ajouter aussi, la guerre d’Indochine, dont les références relativement faibles dans ce travail, auraient du être davantage exploitées.

Avec finesse, Mathieu Rigouste cherche dans les discours (« la production de contrôle ») et trouve des liens entre les imaginaires de la menace, et les théories militaires. Il se situe résolument dans le registre de l’histoire des idées, si difficile à manier, pour comprendre, situer les niveaux d’encadrement des populations étrangères sur le territoire français. Accompagnant cette pensée politico-militaire, il tente de dresser une sociologie des réseaux dominant la justification du contrôle des immigrés dans ce qu’il appelle « l’institution médiatico-sécuritaire ». Et il aboutit à la conclusion que « la guerre coloniale a constitué une matrice institutionnelle » de la cinquième République », elle est l’un des principaux « répertoires techniques » du contrôle sécuritaire.

Pour construire patiemment son argumentation, Mathieu Rigouste s’est appuyé sur un fond inédit, d’archives inédites, celui de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale, une structure « civilo-militaire chargée de promouvoir l’esprit de défense ». Puis il a croisé ces archives avec un sous-corpus de presse militaire, les articles parus dans Défense Nationale, dans Défense, la revue de l’IHEDN depuis son premier numéro en 1974. Cette thèse nous permet ainsi de découvrir L’IHEDN, institut chargé de la mise en œuvre de la « pensée de défense ». Mathieu Rigouste rapproche cette visée de diffusion à de « l’action psychologique » qui connu un essor sans précédent durant la guerre d’Algérie. Il analyse le « public » de l’IHEDN (dirigeants d’entreprise, patrons de presse et de publicité, journalistes, industriels de l’armement, dirigeants d’ONG, préfets, magistrats, universitaires, syndicalistes…). Un tiers de ce public appartient la haute fonction militaire (officiers généraux ou supérieurs).

« Immigration comme menace », « administration de la peur », « ennemi intérieur » : des liens s’établissent ainsi avec la doctrine de la « guerre révolutionnaire » des théoriciens de la guerre d’Algérie….. Est ce à dire pour autant que la France d’aujourd’hui se trouve en état de guerre ? Ou est-ce simplement l’utilisation d’un vocabulaire héritée des périodes antérieures ? D’autre part, peut-il exister une continuité, simple et évidente, entre un contexte d’une guerre coloniale située en un moment de guerre froide, et la situation présente ? La France vit-elle en situation de pratiques de lois d’exceptions généralisées (camps d’internement, expulsions massives quotidiennes), de pratiques terribles d’arbitraires (tortures systématiques, massives, corvées de bois, disparitions de personnes….) ? Non, bien sûr, et je ne crois pas que Mathieu Rigouste soit un adepte de cette thèse. Son travail, plus subtil, nous aide à comprendre la transmission de représentations négatives, leurs transmissions d’une génération à l’autre, dévoile l’installation d’une pensée dominante dans le champ intellectuel français.
sèmm
 

Re: L'ennemi intérieur

Messagede M.J.A » 08 Fév 2009, 16:33

Je ne sais pas, je me méfie souvent des bouquins , qui en partant d'épi-phénomènes de croyance ou de fait non-avérés, cherchent a démontrer de grandes choses. J'en ai vu quelques uns comme ça dans le genre syndrome de la théorie du complot.
Mais il est peut être bien foutu, tu la lu ?
Que veut il dire par ces désignations de boucs-émissaires sociaux-ethniques? Dans les années 60 ça ce discute mais aujourd'hui est ce que la république se sers vraiment de ces boucs émissaires ? (Les "racailles" de notre ex-ministre de l'intérieur me direz vous, mais dans ce cas on exagère le phénomène.) Je ne pense pas qu'elle en ai encore besoin, le peuple n'a plus besoin de se défouler sur des pauvres diables, il a la télé, le foot et internet pour cela.
M.J.A
 

Re: L'ennemi intérieur

Messagede Olé » 08 Fév 2009, 16:40

Ça a l'air intéressant mais le prix du livre va en freiner plus d'un, moi le premier. :confus:
Olé
 

Chroniques et présentations livres

Messagede Nico37 » 01 Jan 2010, 22:55

Deux livres sur l'école

Philippe Geneste Le travail à l’école Contribution à une critique prolétarienne de l’éducation
Editions Acratie 188 p., 15 euros port compris (commandes à Acratie, L’Essart, 86310 La Bussière (Chèque à l’ordre d’Acratie))
ou editions.acratie@orange.fr

Résumé :

L’école est source de débats multiples. Les experts se bousculent aux portes d’entrée des commissions en tout genre, ils diagnostiquent et prescrivent ; les politiques pérorent, flattent les préjugés réactionnaires ou « modernistes » de leur clientèle électorale ; les syndicats en place proposent et négocient dans le cadre d’une cogestion du système. Bref, l’école ressemble à un chantier permanent sans cesse en réfection. Les médias, qui mettent en scène ces voix, s’efforcent de faire croire que les enjeux s’expriment à travers des oppositions aussi spectaculaires que factices : républicains contre pédagogues, libéraux contre étatistes, partisans de l’enfant au centre, adeptes des programmes d’abord…. Ainsi, sous le bric-à-brac de paroles et d’informations hétéroclites et partielles, l’école devient une réalité virtuelle. Cet ouvrage propose d’écarter ce rideau de fumée. Plutôt que de partir d’idéologies, l’auteur s’appuie sur une expérience professionnelle, militante donc réflexive de l’école. Il met à nu le mécanisme moteur des politiques éducatives des gouvernements successifs, sans s’interdire, si besoin, des coups d’œil rétrospectifs. Il sonde des pratiques pour y trouver le fil conducteur de la conception dominante de l’éducation. Dérangeant, car pointant les faux semblants, l’ouvrage vise à une lucidité afin d’y ancrer un syndicalisme qui reste à construire.



Sommaire :


De la mise en cohérence de la formation continue et de la formation initiale La loi Fillon, loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école

I. Une loi en continuité des politiques éducatives des gouvernements précédents, de droite et de gauche

II. De quelques points d’ancrages de la loi

A. Un pilotage par l’aval de l’enseignement professionnel

B. Autres points d’ancrage

III. La loi pour l’avenir de l’école et la naturalisation des inégalités sociales

A. Les Principales occurrences du terme d’aptitude dans le texte de loi

B. Commentaires…

C. Fondements

IV. La Pré-Affectation Multicritère (PAM) : Mythe techno-scientifique, psychologie obsolète ; ou comment un outil pédagogique révèle la logique de la formation professionnelle au sein de la formation initiale

A. La Pré-Affectation Multicritère, qu’est-ce que c’est ?

B. Du dossier d’orientation scolaire au livret individuel de travail

C. Productivisme éducatif, PAM et soumission volontaire

D. Un peu d’Histoire tue : au cœur de la sélection sociale, l’orientation professionnelle

E. Combattre la PAM est un devoir d’objection de conscience

F. Le refus de leur ordre nouveau

G. L’imposture individualiste des promoteurs de la PAM

H. Tri scolaire : et P.A.M. sur le bec

I. PAM, diplôme et compétences

J. La logique de la PAM réclame à terme l’évaluation des élèves par l’entreprise

V. De la continuité de la politique de l’enseignement professionnel en France

A. Chronologie B. Le déclencheur vichyste de l’enseignement professionnel

C. Politique de la jeunesse et politique d’enseignement professionnel envers la jeunesse

D. De quelques tenants et aboutissants

E. Les centres de formation professionnelle F. De la continuité de l’Etat à travers la politique en matière d’enseignement professionnel

G. éléments de continuité ou de la psycho-plastie institutionnelle


Individu et société : Formation professionnelle et formation continue

I. Validation des Acquis de l’expérience

A. Repères critiques

B. Le capitalisme s’engouffre dans la VAE pour assujettir l’éducation

II. Outils et modalités de l’éducation dans les enjeux territoriaux

A. Droit Individuel à la Formation et e-learning, la formation soumise au processus de l’aliénation

B. L’Europe de la formation continue

C. La question de la décentralisation au prisme du marché de la formation dans le cadre du marché de l’emploi

III. De la formation continue au lycée des métiers ou du triomphe extensif de la logique économique en éducation

A. Les enjeux du lycée des métiers

B. Grenaison d’intérêts patronaux (GIP)

C. Les lycées des métiers qui font école

D. Du positionnement syndical

IV. De la notion de compétence au savoir être en société A. pour un fondement rationnel de la critique de la notion de compétence

B. le savoir-être : Petite enquête avec essai d’interprétation

V. Conclusions : penser l’éducation prolétarienne en perspective de lutte

A. syndicalisme, division syndicale et formation

B. Au cœur des conceptions syndicales, l’adhésion à l’idéologie de la croissance et à celle du progrès

C. Point de vue syndicaliste pour une éducation à visée égalitaire

Annexes

Formation continue : petit historique critique

Bibliographie succinte illustrée


Inévitablement (après l’école), Julie Roux, enseignante, chômeur, philosophe et chauffeur-livreur
Refusant le décret réformant le statut des enseignants-chercheurs, la protestation universitaire a progressivement dû intégrer le mot d’ordre d’abrogation de la LRU (loi d’autonomie des universités), porté par les étudiants en lutte.

Les banalités de la "défense du savoir désintéressé" n’ont pas été pour autant remisées au musée. L’école produit du capital humain et ses professeurs le produisent en l’évaluant. Or l’évaluation reste pour l’essentiel non critiquée.

Paru en 2007 aux éditions La fabrique, Inévitablement (après l’école), de Julie Roux, enseignante, chômeur, philosophe et chauffeur-livreur, aborde quelques questions restées impensées par ce lent conflit :

1. L’enseignant et sa lutte
2. « Notre métier : évaluer »
3. Le savoir et ses « contenus »
4. La transparence des acquis
5. Toujours plus
6. Abolition de l’enfance
Pour finir

Inévitablement (après l’école), 40p. (PDF, 381.8 ko)
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Chroniques et présentations livres

Messagede Nico37 » 11 Jan 2010, 00:05

Brochure Sur L'infanticide

Une brochure a été écrite par huit femmes. Elles abordent diverses questions, de la contraception au déni de grossesse, de la maternité à la
place des hommes. Elles rappellent que dans nos sociétés occidentales modernes, des femmes de tous les âges et tous les milieux sont
emprisonnées sous l'accusation d'infanticide et qu'elles sont toujours maltraitées par l'opinion publique et les médias

Réflexions autour d'un tabou : l'infanticide. 90 p. 8 euros port compris.

Adresse : BBORNOT, 12 rue Pouzonville, 31000 Toulouse (bbornot@gmail.com ) (chèque à l'ordre de MIZ).
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Re: Brochure Sur L'infanticide

Messagede raspoutine » 11 Jan 2010, 14:34

j'aimerai bien trouver un extrait conséquent avant de tomber sur "achetez le 8 euros" car je me méfie énormément de se genre d'habillage idéologique a posteriori !
les extrait entendu sur forum nanard me font craindre le pire !
c'est bien beau les savant coupages de cheveux en 4, pour t'expliquer que la femme est toujours une victime oppressée quelque soi ses actes, mais ce genre de lecture ne vas pas a mon avis dans le sens d'une émancipation de la femme !
je sais bien que derrière l'infanticide, il peut y avoir plein de chose très différentes, et beaucoup d'aspect qui sont bien plus sociale que morale !
j'aimerais cependant en savoir un peu plus !
les forums : c'est vraiment de la merde !
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Re: Deux livres sur l'école

Messagede skum » 07 Mar 2010, 11:26

Du reniement de soi à la ruine du monde, une tragédie moderne. Fable critique et bouffonne : COUPABLE SERVITUDE par Eric Melgueil.

Quatre personnages dans deux lieux : le Héros, le Patron, la Femme et la Psycoach, au domicile et au bureau. Fable critique et bouffonne attachant le devenir inhumain du monde (empoisonnement de la Terre, son réchauffement, disparition des espèces animales et végétales qui la peuplent, prolifération de la laideur industrielle, etc.) à la volonté de fuite de soi, laquelle se manifeste tant par des conduites de servitude volontaire que par l'extension illimitée du principe scientifique, la visée objective de toute chose, qui est identiquement la négation de la subjectivité humaine. Que fait, en définitive, le travailleur moderne ? Il travaille à la ruine de l'homme.

Eric Melgueil, 42 ans, vit à Montpellier. Une seule pièce écrite, " Coupable Servitude ", en 2005, et publiée en 2008. Rien de notoire avant. Autour, quelques textes critiques " Liberté " ; " La vie perdue " ; " Que faire de sa propre vie ? ", une communication rédigée pour un colloque de phénoménologie " Travail contre la vie et travail pour la vie " et un texte programmatique d'une nouvelle théâtralité : " La voix théâtrale ".

COUPABLE SERVITUDE, extrait :

LE PATRON : Incapable de m'employer moi-même, je me fais employer... je travaille.

LE HEROS : Moi aussi. Ne sachant que faire de ma vie, je la donne... Je me donne au travail.

LE PATRON : Vendu. Pas donné, vendu. Et le plus cher possible.

LE HEROS : Si vous voulez... Et ce travail, donc, donne un sens à ma vie.

La PSYCOACH : C'est important que votre vie est un sens ?

LE HEROS : Bien sûr. Sinon, pourquoi se lever le matin ? Mais ce sens, je n'ai su le trouver ni en moi-même, ni pour moi-même ; il a fallu que je le vois posé hors de moi, plus vrai que moi, par une instance extérieure - le spectacle économique.


Si vous aimez du moins le théâtre critique, vous pouvez sans hésiter commander la pièce (magnifiquement éditée en plus par ses soins) en envoyant un mail à : ericmelgueil@yahoo.fr (c'est d'ailleurs le seul moyen de se la procurer).
skum
 

Chroniques et présentations livres

Messagede skum » 20 Mar 2010, 16:47

Toujours contre le travail (Philippe GODARD)

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Toujours contre le travail
Philippe GODARD
(Parution: mars 2010)

Toujours contre le travail est un pamphlet radical dont la remise en cause du travail est, avant tout, une remise en cause du « sens de la vie ». Le postulat du livre est que si l’homme ne peut se passer de travailler, il ne peut se passer non plus de critiquer le travail car loin d’être supérieur aux autres activités humaines, le travail en est au contraire la lie puisqu’il empêche, par la place qu’il occupe dans la vie et dans les rapports sociaux, la création et l’invention d’autres rapports. Ainsi le travail nuit-il à chaque travailleur. Si cette découverte était toute récente, ce serait un argument pour continuer à vivre dans l’espérance d’un changement en continuant à utiliser les mêmes méthodes de critique que nos ancêtres. Malheureusement, il ne s’agit pas d’une découverte… Et il y a des siècles que nous cultivons beaucoup mieux l’espérance que la critique. Ce livre tend à y remédier.

Philippe Godard dirige plusieurs collections pour la jeunesse, dont "J'accuse !" et "Documents" chez Syros. Il est l'auteur de La Vie des enfants travailleurs pendant la révolution industrielle (De La Martinière Jeunesse) et de Au travail les enfants ! (Homnisphères). Il a également participé à l'ouvrage collectif Le Siècle rebelle. Dictionnaire de la contestation au XXe siècle (Larousse).

http://www.aden.be/index.php?aden=toujo ... le-travail


Autour de Contre le travail (texte de 2005) : http://www.diogene.ch/article.php3?id_article=1464 et http://homnispheres.info/article.php3?id_article=77

-----

Forme valeur, travail abstrait, fétichisme de la marchandise par Antoine Artous
http://arbeitmachtnichtfrei.skynetblogs ... hisme-de-l

L'invention du travail dans l'imaginaire social par Serge Latouche
http://arbeitmachtnichtfrei.skynetblogs ... ire-social[/quote]
skum
 

L'ennemi Intérieur

Messagede Peks » 31 Jan 2011, 18:21

Salut à tous.
C'est en découvrant cette rubrique que j'ai voulu partager mon avis sur un livre que j'ai lu récemment, j'espère qu'il n'y a pas eu de messages similaires auparavant!

"L'ENNEMI INTERIEUR" de Mathieu Rigouste.
La généalogie coloniale et militaire de l'ordre sécuritaire dans la France contemporaine.

Certains d'entre vous l'ont peut-être déjà lu, pour ceux qui ne l'ont pas fait, c'est une lecture que je conseille vivement.
Comme l'indique le "sous-titre" du livre, l'auteur établit à partir d'un corpus important de documents militaire la naissance d'un courant de pensée lors des guerres coloniales (Algérie en particulier), la DGR. Il montre comment cette doctrine militaire de surveillance et de contrôle généralisé des peuples colonisés à trouvé un écho au sein des classes politiques et comment le contrôle sécuritaire s'inspire en grande partie de ces techniques de surveillance.
L'auteur nous montre aussi comment la figure de cet "ennemi intérieur" développé lors des guerres coloniales a été supplanté par les descendants de l'immigration en France et comment à la suite de certains événements, la DGR bien qu'évacuée du discours officiel a retrouvé une place dans les méthodes de contrôle des populations, cette fois ci en métropole: le 17 octobre 1961, après mai 68, avec les premières émeutes urbaines (Vaux-en-Velin...), avec les attentats de 95...
Comment en fait, l'ordre sécuritaire qui fait de tous des suspects potentiels s'appuie sur une construction idéologique militaire et coloniale.

Je vous mets aussi le résumé et espère que vous apprécierez le livre si vous avez l'occasion de le lire un jour!

La France des années 2000, comme de nombreux pays, a vu se confirmer un modèle de contrôle censé protéger la population contre la prolifération, en son sein, de « nouvelles menaces » : islamisme, terrorisme, immigration clandestine, incivilités, violences urbaines… Et pour justifier cet arsenal sécuritaire, un principe s’est imposé : désigner l’« ennemi intérieur ». Cette notion évoque la guerre froide, quand cet ennemi était le communisme. Et surtout les guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, quand l’armée française a conçu la « doctrine de la guerre révolutionnaire », afin d’éradiquer au prix des pires méthodes la « gangrène subversive pourrissant le corps national ».
Si cette doctrine a été évacuée officiellement depuis lors par l’État, certains de ses éléments clés auraient-ils contribué à façonner cette grille de lecture sécuritaire qui présente les populations immigrées issues de la colonisation comme les vecteurs intérieurs d’une menace globale ? C’est ce que montre Mathieu Rigouste dans ce livre rigoureusement documenté, en s’appuyant notamment sur un corpus d’archives conservées à l’École militaire.
Retraçant l’évolution des représentations de l’ennemi intérieur dans la pensée d’État depuis les années 1960, il explique comment, des territoires colonisés d’hier aux quartiers populaires d’aujourd’hui, la Ve République a régénéré un modèle d’encadrement fondé sur la désignation d’un bouc émissaire socio-ethnique. À travers l’étude minutieuse des étapes de la lutte antimigratoire et de la structuration de l’antiterrorisme, il révèle l’effrayante évolution du contrôle intérieur, de ses dimensions médiatiques et économiques, ainsi que la fonction de l’idéologie identitaire dans la mise en œuvre du nouvel ordre sécuritaire.
Peks
 
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Iparretarrak

Messagede digger » 17 Sep 2011, 07:14

Acheté lors d’une de mes dernières virées annuelles au Pays Basque
"Iparretarrak Histoire d’une organisation politique armée"
Eneko Bidegain Ed Gatuzain 2010
Une page d’histoire, mais aussi un ouvrage de réflexion sur les moyens d’actions directes
Et une petite maison d’édition, comme tant d’autres, qui mérite d’être connue.
http://www.gatuzain.com/
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Réédition : les chiffres "tronqués" du chômage !

Messagede Béatrice » 29 Jan 2012, 18:08

De tout l'art de tromper " son monde " :

S'il était tenu compte : des allocataires du RSA non inscrits à Pôle Emploi , des chômeurs arrivés en fin de droits ( et exclus du régime du RSA , etc..; ) , des handicapés ,
des salariés au chômage partiel : le chiffre de 7 millions de chômeurs serait dépassé !

( Le président " Sarko-Berlusconien" français , qui s'est arrogé les pleins pouvoirs sur la plus grande partie des chaînes de télévision française et en très bon "autocrate"
investit ce soir la plus plupart d'entre elles , afin d'y porter son discours " encore plus de rigueur ! " nous révélera-t-il le vrai chiffre ? ( la question reste posée , mais
d'ores et déjà , il est aisé d'en connaître la réponse ! ) :


Actu-chômage
Chômage : ses "invisibles" et son "halo"
Officiellement, ils sont 3 millions (seule catégorie A). Officieusement, plus de 5 millions si l’on englobe tous les inscrits à Pôle Emploi. En rajoutant une bonne partie des sans emploi qui ne sont pas comptabilisés (RSA, AAH…), on dépasse 7 millions.

A lire avec tous les liens :

Samedi, 28 Janvier 2012

Fin décembre, il y avait 2.874.500 inscrits dans la catégorie A (chômeurs officiels, sans activité aucune) en métropole, 3.111.400 avec les DOM. Toutes catégories confondues (ABCDE), chômeurs âgés "dispensés de recherche d’emploi" et DOM compris, ils était 5.327.500.

Et les RSAstes ?

On sait qu’à fin décembre, Pôle Emploi comptait 694.800 inscrits percevant le Revenu de solidarité active. Mais, sur un total de 1,55 million d’allocataires du RSA "socle" ou "socle+activité", il en reste environ 860.000 qui sont suivis par des référents RSA désignés par les Conseils généraux : ils ne sont pas inscrits à Pôle Emploi, donc pas comptabilisés.

Certes, on pourrait contester le niveau d’"aptitude à l’emploi" de la plupart, certains ayant de lourds problèmes de santé, de logement, de famille… mais cela n’a pas semblé déranger le gouvernement qui a créé à leur intention des mini-contrats visant à favoriser leur « réapprentissage de la vie »... La majorité des allocataires du RSA qui bénéficient d’un accompagnement social plutôt que professionnel entrent dans la définition du "halo" du chômage [1] : inactifs de 15 à 64 ans qui souhaitent travailler mais ne sont pas comptés comme chômeurs au sens du BIT, soit parce qu’ils ne sont pas disponibles rapidement pour travailler, soit parce qu’ils ne recherchent pas d’emploi.

Les sans droits

Inscrits nulle part non plus mais en recherche active d’un travail, signalons une nébuleuse de chômeurs arrivés en fin de droits qui, n’ayant accès à aucun revenu de remplacement — ASS, RSA… — parce que leur conjoint(e) travaille et "gagne trop", ne voit pas l’intérêt de faire partie d’une liste. Obligé(e)s de vivre aux crochets de leur époux/se, ces personnes, dont on ne connaît pas le nombre, ne font pas partie du "halo" du chômage.

Les chômeurs en fin de droits étaient 850.000 en 2009 et 1 million en 2010. Le gouvernement, alors en train de concocter son "plan rebond" foireux, estima à 325.000 le nombre de ceux qui n’auraient droit à rien.

Les handicapés

Il y a aussi le cas des bénéficiaires de l’AAH, l’allocation adulte handicapé — près de 900.000, selon les derniers chiffres de la Dares — dont une grande partie est suffisamment valide [2] pour prétendre à l’emploi et, d’ailleurs, extrêmement désireuse de travailler (les salons de l’emploi réservés aux handicapés sont toujours pleins à craquer). Certains réussissent parfois à décrocher un petit job, cumulant leur AAH avec un revenu d’activité. Mais le taux de chômage de ces personnes, particulièrement discriminées à l’embauche, demeure le double de la moyenne nationale : il est régulièrement évoqué dans la presse.

Les bénéficiaires de l’AAH, comme les allocataires du RSA, sont payés par la CAF. Suivis par diverses associations spécialisées, ils ne sont pas comptabilisés dans les chiffres officiels.

Et le chômage partiel ?

Il a eu ses heures de gloire au début de la crise, entre octobre 2008 et septembre 2009. De 12.300 salariés par mois en moyenne entre janvier 2007 et septembre 2008, ils étaient 103.000 au dernier trimestre 2008, 220.000 au 1er trimestre 2009, pour atteindre un pic à 270.000 personnes au 2e trimestre 2009. Le nombre de salariés en chômage partiel est ensuite redescendu à 78.000 fin 2010.

La crise ayant entamé sa deuxième phase de dévastation et la réactivation des dispositifs de chômage partiel faisant l’unanimité, il est à attendre une nouvelle poussée de ce côté-ci du chômage caché.

SH

[1] La dernière étude de l’Insee sur le "halo" du chômage date de 2009 et portait sur l’année 2007. Elle chiffrait alors à 770.000 le nombre d’actifs le composant.

[2] Au Royaume-Uni, où il est plus facile de décrocher le statut d’invalide, il y a environ 2,5 millions de personnes qui échappent ainsi aux statistiques officielles...


http://www.actuchomage.org/20120128...
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Chroniques livres

Messagede Ulfo25 » 01 Aoû 2012, 12:00

Livre : "Médias : L'échec d'un contre-pouvoir"

Article d'Acrimed sur le livre de Philippe Merlant et Luc Chatel.

Lire : Médias : la faillite d’un contre-pouvoir, de Philippe Merlant et Luc Chatel

par Henri Maler, le 1er août 2012



Paru en septembre 2009, Médias : la faillite d’un contre-pouvoir, de Philippe Merlant et Luc Chatel [1], est passé relativement inaperçu, y compris de nous-mêmes. Pourtant l’ambition de cet ouvrage, notamment parce qu’il a été rédigé par deux journalistes, aurait dû nous alerter. Que peut-on lire en effet, dès l’introduction ? « En France, la critique des médias se divise grosso modo en deux grandes écoles assez profondément opposées : la critique politique (ou idéologique) dont ils analysent « les point aveugles », et la critique professionnelle (ou éthique) dont ils relèvent l’impuissance. Acrimed appartiendrait « incontestablement » à la « première école ». Mais plutôt que de répondre ici à la critique, à nos yeux abusivement simplificatrice, de notre travail (que les auteurs saluent par ailleurs), nous nous bornerons à présenter ce qui dans ce livre écrit à quatre mains mérite qu’on lui prête attention : ce qu’ils disent les « chaînons manquants » qui feraient défaut aux critiques attribuées aux dites « écoles ».




(1) Le premier de ces « chaînons manquants » serait constitué par les conditions de fabrication de l’information que les auteurs abordent sous trois angles.

– D’abord, la « production de dysfonctionnements » (Chapitre 1 : « Dérives et mensonges »). Parmi eux, outre les cas fort connus des affaires du RER D, du « bagagiste de Roissy » et du procès d’Outreau [2], le rappel d’autres « dérapages » et, en particulier, des « petites trahisons locales » de la PQR dans lesquelles « germe et s’enracine la crise de la presse ».

– Ensuite, les « conditions de travail des journalistes » (Chapitre 2 : « Souffrance en France médiatique »). À ce titre, sont passés en revue, témoignages à l’appui, les situations des pigistes, des journalistes en CDD et des correspondants de presse, mais aussi les effets des « grilles » de programme et de la taylorisation du travail journalistique.

– Enfin les « phénomènes d’imitation en chaîne » (Chapitre 3 : « La rivalité mimétique »). Il s’agit ici d’exposer les raisons d’une certaine uniformisation de l’information : une rivalité d’autant plus grande que les ressemblances sont fortes, stimulées par « la révolution marketing » et l’ « objectif vente » qui imprègnent les rédactions ; uniformisation accentuée, entre autres causes examinées par les auteurs, par celle des sources.

(2) Le deuxième « chaînon manquant », selon Philippe Merlant et Luc Chatel, concerne la vision du monde par le journalisme et ses rapports avec les différents pouvoirs.

– Cette vision se nourrit de divers « ingrédients »(Chapitre 4 : « Une vision du monde »). Parmi eux, on retiendra ici le mythe de l’observateur extérieur, ainsi que « quatre autres croyances : le mythe d’un individu tout puissant, placé au centre de l’univers ; une conception mécaniste du rapport au temps ; l’impératif de transparence comme valeur ultime ; un vision utilitariste de la vie en société. » (p. 165)Les auteurs concluent alors : « Le journalisme constitue donc une vision du monde parmi d’autres, qui s’assimile à une idéologie dans la mesure où elle refuse de s’assumer comme telle. » (p. 188)

– Et d’ajouter : « Comme toute idéologie, elle renforce des mécanismes de domination et de soumission, et structure fortement les rapports du pouvoir médiatique avec les autres pouvoirs, économique et politique notamment. » (p. 188) Ce sont ces rapports qui font l’objet du chapitre suivant (Chapitre 5 : « Toujours du côté du manche ? ») : les rapports au pouvoir économique (et, en particulier les « glissements progressifs vers le marché ») et les rapports au pouvoir politique (et notamment « les mécanismes d’inféodation des journalistes aux politiques »).

(3) Le troisième maillon est celui des réponses possibles. Après avoir décrit les critères, vertus et limites d’une information citoyenne (Chapitre 6 : une information citoyenne est-elle possible ?) et tracé les conditions de rencontre d’acteurs aujourd’hui dispersés (Chapitre 7 : « La désunion fait la faiblesse »), Philippe Merlant et Luc Chatel soutiennent que « la lutte contre les frontières intérieures du système médiatique représente la meilleur des voies vers l’émancipation » (p. 277). Et d’identifier sept frontières ou murs qu’il s’agirait de contourner ou d’ébrécher, et parmi elles les frontières qui séparent les journalistes et leurs publics, les postés et les précaires, les experts et les profanes, les hommes et les femmes (Chapitre 8 : « Les frontières intérieures »), Aux lecteurs de découvrir les remèdes proposés, dont on se bornera à dire ici qu’ils nous semblent très partiels.

Un tel résumé ne rend pas justice à l’abondance des observations concrètes et à la finesse de nombre d’entre elles qui suffiraient à justifier la lecture de ce livre, même s’il ne propose pas une vision d’ensemble suffisamment radicale et cohérente pour être à la hauteur de ses ambitions. Mais, tel qu’il est, il offre amplement matière à discussion.

Henri Maler
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Extraits du livre de Vincent Quivy.

Messagede Ulfo25 » 01 Aoû 2012, 12:04

Voici quelques extraits du livre de Vincent Quivy intitulé Profession : Elkabbach sur Acrimed.




Nous publions ci-dessous, avec l’accord de son auteur des extraits du premier chapitre de son livre, Profession : Elkabbach [1] dont nous avons rendu compte par ailleurs.



Pour comprendre ce qui suit, un rappel de quelques épisodes d’une longue carrière, commencée avant 1968, peut être utile. PDG de France Télévisions de 1993 à 1996, contraint de démissionner en raison des contrats faramineux qu’il avait consentis à des animateurs-producteurs, Jean-Pierre Elkabbach revient alors à Europe 1 (où il avait déjà trôné de 1981 à 1988). Il en deviendra animateur d’antenne puis président, alors qu’il est administrateur au sein du groupe du propriétaire, Arnaud Lagardère, président de Lagardère Media. L’annonce, par erreur, de la mort de Pascal Sevran lui vaudra de perdre son poste de président d’Europe 1, en juin 2008, mais il est nommé à la direction de Lagardère News et maintenu à l’antenne de la radio pour son interview matinale. Cumulard, de 2000 à 2009, il est président de La Chaîne Parlementaire Public Sénat. (Acrimed)


« Portrait du journaliste en sarkozyste » (extraits)



Cet animateur télé qui bouge encore

Avril 2008 : Jean-Pierre Elkabbach est à son apogée, pilier incontournable de l’univers audiovisuel, commandeur voué par le temps à imposer sa morgue et son la au petit univers politico-médiatique français. Soutien et ami d’un président de la République, Nicolas Sarkozy, aux allures de Roi soleil, exécuteur de confiance d’un baron d’industrie, Arnaud Lagardère, devenu maître d’un empire médiatique sans équivalent dans l’Hexagone, homme lige des parlementaires français qui l’ont choisi, dans une belle unanimité, pour diriger leur chaîne télévisée, Public Sénat, il est aussi un animateur écouté, un intervieweur recherché, un patron de radio, Europe 1, craint et donc respecté.

Respecté ? Hum, le mot paraît fort. Car la radio privée qu’il dirige alors, « fleuron du groupe Lagardère », devient en 2007 dans la bouche de beaucoup « Radio Sarko ». Un surnom qui n’a rien de gratifiant pour une vieille maison qui s’est longtemps voulu « reine de l’info », réactive et « objective », indépendante. Un surnom qui doit justement beaucoup à Jean-Pierre Elkabbach dont les liens et le soutien au ministre de l’Intérieur devenu président de la République sont anciens et connus et dont les saillies verbales et les interventions maladroites font jaser.

Car Jean-Pierre Elkabbach n’est pas un patron ordinaire, pas du genre à s’investir dans la gestion et la direction des affaires, dans l’administration silencieuse et prenante d’une grande entreprise. Non, son truc à lui, c’est « l’antenne » et plus précisément l’interview politique qu’il anime chaque matin sur Europe 1 depuis des années. Rares sont en effet les patrons de l’audiovisuel qui sont à la fois président et journaliste, ont leur « case » et leurs émissions. Comment concilier les obligations prenantes que suppose la direction d’une grande entreprise de plus de 250 employés et une activité d’intervieweur toujours sur la brèche, posé derrière un micro chaque matin de semaine ? « Ce qui le fait se lever le matin, c’est l’antenne, c’est ça son truc, confirme un ancien d’Europe 1. Honnêtement, on sentait bien que le boulot de pdg ne l’intéressait pas. Ce qui l’intéressait c’étaient les attributs du pouvoir, l’apparence, le titre. »

Une double casquette un brin encombrante. Car les remarques et les questions de l’éditorialiste-intervieweur qui d’ordinaire n’engagent que lui ont un autre écho quand elles émanent du big boss. Elles donnent le ton et la ligne de la station, définissent son identité et sa couleur.

« Vous n’êtes pas de l’UMP, Jean-Pierre Elkabbach ! »

Or en ces temps très sarkozystes, le pdg d’Europe 1 n’est pas des plus neutres et laisse percer un attachement très fort au plus puissant, témoin ce dialogue entendu en pleine campagne électorale. Nous sommes le 28 janvier 2007, à quelques semaines de l’élection présidentielle, Jean-Pierre Elkabbach reçoit au micro d’Europe 1 un des proches de la candidate Ségolène Royal, Jean-Louis Bianco. Le socialiste, très énervé par un discours de Nicolas Sarkozy dans lequel l’homme de droite s’est emparé de Jean Jaurès, figure historique de la gauche, fait part de son indignation. Une indignation que notre patron de radio ne partage pas et qui le pousse, comme souvent, à passer du rôle d’intervieweur à celui de juge très affirmatif : « Mais par exemple, intervient-il agacé, Mitterrand pouvait parler de Maurras, de Chardonne… De la gauche, de Blum… » Jusque là rien de grave mais la partie de ping-pong connaît une étrange tournure quand Jean-Louis Bianco s’en prend à « l’inspirateur » supposé du discours, « Franck Tapiro, vous le savez, le conseiller en communication, l’un des nombreux conseillers en communication de Monsieur Sarkozy. » Suite du dialogue :

Jean-Pierre Elkabbach : « Oui, mais enfin, notre inspirateur, ce n’est pas monsieur »
Jean-Louis Bianco : « C’est l’inspirateur... »
Jean-Pierre Elkabbach : « Comment il s’appelle ? »
Jean-Louis Bianco : « Tapiro ! »
Jean-Pierre Elkabbach : « Non, ce n’est pas notre inspirateur. »
Jean-Louis Bianco : « Mais pourquoi vous dites “notre” inspirateur ? »
Jean-Pierre Elkabbach : « Ce n’est pas nos... nos... On n’a pas besoin... »
Jean-Louis Bianco : « Vous n’êtes pas de l’UMP, Jean-Pierre Elkabbach ! »
Jean-Pierre Elkabbach : « Non, non, ni à l’UMP, ni... »
Jean-Louis Bianco : « “Notre” inspirateur »…


Un « lapsus » parmi d’autres qui a laissé des traces dans les mémoires des journalistes de la station et dans le petit monde des médias parisiens. Difficile en effet après ce « notre » très UMP de ne pas assimiler Europe 1 à Nicolas Sarkozy.

C’est qu’en plus des lapsus, il y eut le ton et la manière d’interroger les uns ou les autres. Cette façon de faire la leçon aux syndicalistes qui ne comprennent pas l’importance que lui, baron d’Empire lucide et progressiste, sait accorder aux réformes du gouvernement ; cet art d’interroger Nicolas Sarkozy en intégrant dans ses questions les lignes force de la pensée du président comme s’il les faisait siennes ; ce « Bravo ! » lancé avec naturel au socialiste Éric Besson après son ralliement en pleine campagne présidentielle au panache du candidat de l’UMP [2].

Au delà, il y a ces relations entretenues avec assiduité avec un ministre puis un candidat puis un Président. Ainsi prend-on l’habitude de le voir dans l’ombre de Nicolas Sarkozy au cours de multiples voyages, non pas, comme le note l’éditorialiste Jean-Michel Aphatie qui en a pourtant vu d’autres, du côté des journalistes mais parmi la « délégation officielle », au milieu des ministres et des « invités personnels » de l’homme d’État. « N’était-il pas, géographiquement et donc professionnellement, passé de l’autre côté de la barrière, c’est-à-dire exactement à l’endroit où les journalistes ne devraient pas être ? » se demande le confrère avant d’avouer que poser la question c’est déjà y répondre [3]. Ainsi le patron d’Europe 1 apparaît-il sur nombre de photos juste derrière le président, ombre fidèle parmi les fidèles, « officiel » perdu parmi les personnalités, loin de la « meute » des journalistes repoussée en périphérie. […]

Un fils (pas très) spirituel

« Ce qui a profondément changé avec Sarkozy, estime un journaliste politique, c’est que Elkabbach a participé à son ascension, à son éclosion, il l’a repéré et aidé. De sorte que les rapports ne sont plus du tout les mêmes qu’avec Chirac ou Mitterrand. » Les relations avec les deux prédécesseurs de M. Sarkozy, si elles étaient amicales et suivies, n’en étaient pas moins marquées par une certaine distance qui sépare le journaliste du politique. Avec eux, même s’il en fut proche, Elkabbach est resté de l’autre côté de cette « barrière » qu’évoquait Jean-Michel Aphatie. Avec Sarkozy, ce ne sont plus réellement des relations de journaliste à politique. Une question d’âge peut-être : Mitterrand et Chirac étaient plus vieux que Jean-Pierre Elkabbach, Nicolas Sarkozy est presque de vingt ans son cadet. Quand les deux premiers se sont lancés dans la « carrière », notre baron n’était pas encore journaliste ou si jeune, dans le cas de Chirac, qu’il ne pouvait qu’être spectateur. Quand Nicolas Sarkozy entre dans l’arène, Elkabbach est un personnage important du petit univers médiatico-politique, il en a l’assurance et les certitudes, l’entregent et le bagout, il est en position de pouvoir conseiller et valoriser quelques jeunes ambitieux dont il sait repérer le talent.

« Il est très content d’avoir connu Sarko quand il avait dix-huit ans, raconte un journaliste d’Europe 1. Très jeune en effet, Sarko le harcèle pour être son invité. Et Elkabbach sent le mec qui a du potentiel. »

De cette rencontre ancienne, entre celui qui n’est encore personne mais cherche à devenir quelqu’un et celui qui est déjà quelqu’un mais aspire à être encore plus, naissent les prémices d’une complicité qui s’appuie sur les intérêts bien compris de l’un et de l’autre et qui va prendre forme à mesure que le jeune Sarkozy va se faire un nom.

« Elkabbach a toujours été à l’affût des “nouveaux talents” de la politique, analyse un journaliste, les gens dont il perçoit qu’ils ont un avenir et, plus prosaïquement, des personnes qui aient le talent et la carrure pour être des “bons clients” de ses émissions politiques. » C’est que, comme l’explique un ex-journaliste d’Europe 1, « il sait qu’un bon interview repose bien sûr sur le talent de l’intervieweur mais aussi sur le charisme de l’interviewé. » […]

« Télé Sarko »

[…] Sous la présidence de Jean-Pierre Elkabbach, Nicolas Sarkozy est l’invité à de nombreuses reprises du journal de 20 heures de France 2, une place enviée qui lui permet de se faire connaître et d’imposer son personnage à une large partie des Français. Une présence qui répond, certes, au fait que le jeune Sarkozy est aussi porte-parole du gouvernement mais pas seulement. Ainsi quand, en février 1994, il fait paraître une biographie du personnage un peu oublié qu’est Georges Mandel, il a droit aux honneurs de la « grande messe du 20 heures » qui assure à son ouvrage une publicité des plus sympathiques. Peu d’écrivains ont bénéficié d’un tel traitement. […]

Dans l’optique d’Elkabbach, il y a donc aussi la conscience d’avoir affaire à une « bête médiatique », un brillant interlocuteur, accrocheur, séducteur, comme il les aime et avec lesquels il peut mener des entretiens vifs et remarqués. « Sarkozy, explique un journaliste d’Europe 1, a tout compris de l’art de la communication. Il sait ce qu’attend un type comme Elkabbach : un interview rapide, enlevé, avec du rythme et surtout des infos. Il faut toujours réserver une annonce, un petit scoop qui permettra à l’interview d’Elkabbach d’être reprise ou évoquée par les autres médias dans la journée. Tout le monde vous le dira : Elkabbach fonctionne “à la dépêche” ». Autrement dit, si un ministre ou une personnalité a la bonne idée de réserver l’exclusivité d’une information ou d’un projet au micro de Jean-Pierre Elkabbach, les agences de presse se feront un devoir de rédiger une ou plusieurs dépêches dans lesquelles elles rappelleront le nom de l’intervieweur et de son émission. Dépêches qui elles-mêmes seront reprises par la presse, les radios et les télés. De quoi flatter son ego et s’assurer une bonne publicité.

Car l’intérêt pour le journaliste dans ce jeu de relations avec le politique ne se limite pas à l’espoir de facilités de carrière ou de privilèges divers. Être l’ami de Nicolas Sarkozy, c’est être au cœur du pouvoir, être informé en permanence, bénéficier avant les confrères de la teneur des décisions et des projets. Et pouvoir, dans la guerre sans répit qu’est la course aux infos, « griller » les concurrents. Ainsi se noue un rapport dont chacune des deux parties profite à tous niveaux, en terme d’information comme en terme de carrière. […]

« Radio Sarko »

[…] « Clairement, dit une journaliste politique d’une radio concurrente, pour Sarkozy, Europe 1 était un enjeu considérable. Autant il était peu concerné par une radio comme France Inter qui traditionnellement est écoutée par un public plutôt à gauche, autant il était à fond sur Europe, attentif au moindre commentaire, mettant une “pression” incroyable sur les journalistes [politiques] de la station. »

« C’est vrai que les choses ont changé avec le départ de [Jérôme] Bellay, analyse un ancien d’Europe, pas parce que Sarkozy intervenait davantage ou plus directement, moi personnellement je ne l’ai pas vu et je n’ai rien entendu dans ce sens, mais parce que Bellay était dans la rédaction, tout le temps, à préparer les éditions, les journaux. Ça avait des inconvénients mais ça avait un avantage : il servait de paravent, il était solidaire et s’il y avait des retours, c’est par lui que ça passait. Avec Elkabbach, c’était différent. Il était rarement là, et quand il y était c’était surtout pour son interview du matin, le reste du temps, il déléguait. Parfois, simplement, il donnait des infos, en disant : “tiens, j’ai dîné avec tel ministre, il paraît que…” Parfois on le croisait à des réceptions ou des conférences de presse. On ne savait pas trop au nom de quoi il était là. C’était bizarre. »

« Quand j’étais rédac chef, se souvient un autre ancien, jamais il ne m’a donné une instruction, jamais. Alors c’est vrai, maintenant que j’y réfléchis, je pense qu’il y avait beaucoup d’autocensure, de ma part et de la part des autres. Par peur du groupe Lagardère, de lui, des retombées. Tout un contexte qui faisait que j’étais moins libre qu’aujourd’hui, qu’on n’avait pas les c… de balancer des trucs sur Sarko. Sans doute qu’il n’y avait pas ce même rapport qu’avec Bellay, ce côté patron solidaire et uni dont on savait qu’il serait là pour nous défendre. Avec Elkabbach, franchement, ce n’était pas le cas. On se demandait en cas de clash avec Sarko, dans quel camp il se mettrait… »

Autocensure, peur, retombées, autant d’éléments qui ne poussent pas à trop enquêter ou critiquer le futur président ? Jean-Pierre Elkabbach affirme qu’il n’est jamais intervenu. Le « contexte » se suffisait à lui-même. […]

« Comme jadis à Versailles »

C’est que Jean-Pierre Elkabbach n’a pas pour ami, on l’aura compris, que Nicolas Sarkozy. Ses relations avec le chef de l’État ne sont pas un accident de parcours, un hasard ou une nécessité due à un quelconque « coup de foudre de l’amitié », non, elles sont, au contraire, la partie immergée de l’iceberg, de toute une vie professionnelle passée dans l’antichambre du pouvoir.

« Le salon des Ambassadeurs est la pièce centrale, côté jardin, du Château [de l’Élysée], écrit Saïd Mahrane. Y accèdent uniquement ceux qui ont un petit point rouge sur leur carton d’invitation. Soit une centaine de personnes sur les 8 000 conviées ce jour-là. C’était le 14 juillet 2008. Dans le salon des Ambassadeurs, les “choses de la cour” se jouaient à huis clos. Comme jadis à Versailles, entre les pilastres du salon d’Hercule, quand Louis XIV recevait. Étienne Mougeotte, Jean-Pierre Elkabbach et Catherine Nay se disent maintes choses à voix basse. [4] » Là au milieu des gens qui comptent, dans les salons dorés de la République, il est à son aise, chez lui, allant de l’un à l’autre, personnage familier de la cour, baron bien connu ayant survécu à nombre de souverains, maréchal émérite des médias ayant servi tous les régimes. De droite ou de gauche, du centre ou de la périphérie.

« Au fond, analyse Christian Guy, ex-journaliste télé qui a travaillé avec Jean-Pierre Elkabbach, il a toujours eu une relation bizarre avec le politique. Ça a dû à un moment se mélanger dans sa tête. Bien sûr, quand on est journaliste politique, on est amené à avoir des relations avec les dirigeants mais il y a une limite, une barrière que l’on perçoit très vite. Lui cherchait à aller au-delà, entretenait des relations qui n’étaient plus professionnelles, ça nourrissait une ambition, la volonté d’appartenir à leur monde, d’être admis parmi eux. Je me suis demandé s’il n’allait pas franchir le pas et finir par abandonner le journalisme pour la politique. » […]

Il fréquente l’Élysée et les ministères, il est de ces « clubs » très parisiens où se côtoie la fine fleur des décideurs français. Il fut de la « Fondation Saint-Simon », créée par François Furet puis dissoute en 1999, regroupant intellectuels, grands patrons, hommes de médias et hauts responsables politiques. Il est du « Siècle », le « club des clubs », le « réseau des réseaux », « la quintessence du pouvoir politique, économique et médiatique » où se retrouvent des gens comme Patrick Poivre d’Arvor, Dominique Strauss-Kahn, Thierry Breton, Claude Bébéar ou Nicole Notat. « Tous sont membres du Siècle, le plus prestigieux des cercles de décideurs hexagonaux. [5] ».Un cercle qui comptait en 2007, selon son secrétaire général Etienne Lacour, outre Nicolas Sarkozy et François Fillon, quinze membres du gouvernement [6].

[…] Une fréquentation assidue qui ne semble pas lui peser pourtant et qu’il assume avec entrain à soixante-dix ans passés. Du petit monde de la politique française, il connaît tous les rouages, les visages et les usages. Il s’y est fait des amis de longues dates, des complices et des intimes : Jacques Attali, Julien Dray, Thierry Breton, Dominique Strauss-Kahn… Il petit-déjeune, déjeune et dîne avec tout ce monde important.

Part-il en vacances ? Il y retrouve Jacques Chirac, adepte comme lui d’un luxueux hôtel de l’île Maurice : « Les promenades [avec Chirac] à travers l’île, les dîners, les conversations, assis à la même table, légère ou graves, souvent personnelles, sont d’ordre privé et le resteront », écrit Jean-Pierre Elkabbach dans un des ses livres. Rentre-t-il de ses vacances ? Il court retrouver le président de l’époque : « François Mitterrand à qui rien ne pouvait rester caché avait aussi appris ces rencontres de vacances. Il m’accueillait parfois à mon retour, d’un souriant : “Comment va votre ami mauricien ?” [7] »

A-t-il besoin de prendre une décision importante ? Il dîne avec un ancien ministre de ses amis : « Je connaissais depuis longtemps cet homme politique [Charles Millon] sincère et réaliste [il sera un des rares présidents de région à accepter de s’allier au Front National], doté de fortes convictions qu’il met en œuvre depuis longtemps dans sa région. […] Ambitieux, il n’était ni candide, ni cynique. Je lui exposai toutes les hypothèses, j’avais confiance en son exigence et son pragmatisme. » L’ex-ministre lui dit alors : « Il faut […] tenter l’aventure. C’est probablement le sens de ton destin, saisis-le ! » Et notre journaliste indépendant de conclure : « Ce soir-là, je décidai de présenter ma candidature au poste de président de France Télévision. [8] »

L’homme qui murmurait à l’oreille des politiques

[…] Dans le microcosme, on sait l’intérêt stratégique de faire entendre sa voix à une heure de grande écoute et à une époque où les émissions politiques se font de plus en plus rares. On sait aussi les retombées positives d’une émission où, de l’avis général, on « ne se sent jamais piégé », on n’est « jamais pris au dépourvu ».

Un « travail à l’ancienne », selon l’expression d’un journaliste : les interviews sont préparées et les questions font l’objet de « négociations ». Il ne s’agit pas de passer à côté du sujet brûlant, l’info polémique que tout le monde attend, mais il ne s’agit pas non plus de coincer l’invité. Un jeu d’équilibriste dans lequel Jean-Pierre Elkabbach se montre toujours brillant, quitte à, avant de passer à l’antenne, convaincre avec insistance l’interviewé d’aborder des thèmes dont il ne veut pas entendre parler. « Il y a toujours un deal, explique un ancien d’Europe 1, poser une seule question sur le sujet qui fâche et promettre ensuite de passer à autre chose. “Jean-François Copé, on est obligés de parler de votre appartement de fonction, je ne vous pose qu’une question mais on ne peut pas passer à côté”. Il va lui poser la question qui dérange mais l’autre sait qu’Elkabbach n’ira pas trop loin, qu’il va pouvoir répondre, qu’il va même être briefé pour répondre : “Répondez court, n’en faites pas des tonnes, 30 secondes pas plus, sinon on ne comprend rien.” Il est étonnant. »

« C’est quelqu’un, confie un autre ancien, qui va toujours discuter avec son invité avant de l’interroger et se place à la limite de l’intervieweur et du conseiller : “tu devrais faire ça, tu devrais dire ceci… Est-ce que tu as quelque chose à dire ? Qu’est-ce que tu me donnes ?” Et qui ensuite met en scène son interview par rapport à ces éléments. C’est un metteur en scène. » […]

Du haut de son trône médiatique, l’homme sélectionne en fonction de ses propres critères. Il a des inimitiés, tel le socialiste Arnaud Montebourg qu’il trouve bien trop « jusqu’au-boutiste » ou Ségolène Royal, une des rares à avoir refusé son invitation, il a des idées fixes : avoir la carrure et les compétences, ne pas dépasser les lignes du politiquement acceptable. « Il m’a invité un jour à déjeuner, confie un député de premier plan, et il m’a posé toute une série de questions. J’avais l’impression de passer un examen. C’était d’autant plus étrange qu’il rétorquait à mes points de vue, comme si nous étions deux hommes politiques face à face. Il m’a exposé ses idées. À la suite de quoi, j’ai été invité à son émission. » L’homme conçoit son interview comme une émission importante de la vie politique, pas question donc d’y convier des sans-grade ou des médiocres. Certains ministres attendent toujours d’y être invités, sans résultat. Pas question non plus de procéder à l’interview sans un peu de cérémonial. Quand Jean-Pierre Elkabbach reçoit, il est bon de montrer qu’il ne s’agit pas d’un rendez-vous banal ou d’une interview comme on en fait sur les chaînes concurrentes. […]

Une visite « historique »

Plus que la double casquette de « journaliste indépendant » et de faire-valoir des sénateurs, c’est avant tout le cumul privé-public dont use Jean-Pierre Elkabbach qui suscite la critique. « Comment trouver normal, interroge par exemple l’ancien homme fort du Monde, Edwy Plenel, que le responsable d’une radio privée, propriété d’un groupe médiatique dominant, Lagardère, soit en même temps celui d’une télévision publique, celle du Sénat ? Que nos sénateurs, droite et gauche confondues, assurent en la personne de Jean-Pierre Elkabbach la présence à demeure auprès de l’une des deux assemblées parlementaires d’un représentant dévoué des intérêts d’un industriel est un évident mélange des genres. [9] »

Quand en 2000, il prend la présidence de Public Sénat, notre « baron d’Empire » n’est pas encore patron d’Europe 1 mais déjà « conseiller spécial pour la stratégie médias du Groupe Lagardère ». « J’ai l’assentiment de Jean-Luc et Arnaud Lagardère », se justifie notre journaliste. On les comprend. À l’heure où se discute à l’Assemblée et au Sénat une nouvelle loi sur l’audiovisuel et au moment où le groupe privé se réoriente justement pour devenir un poids lourds du paysage médiatique français, les deux hommes d’affaire ne peuvent pas voir d’un mauvais œil leur « conseiller » en « stratégie médias » pénétrer le cœur de la République. Combien de grandes sociétés rêveraient en effet de bénéficier d’un tel appui et s’économiseraient ainsi les frais d’une coûteuse politique de lobbying ?

« Il est dans une confusion des rôles, estime un ancien d’Europe 1. C’est clairement quelqu’un qui travaille pour Lagardère, qui en est le lobbyiste. Il a un bureau rue de Presbourg [siège de la société Lagardère], un rue François Ier [siège d’Europe 1], un à Public Sénat. Il est relation avec les cercles médiatiques, politiques, économiques, dans la confusion permanente. C’est un homme qui est capable de se transformer en promoteur de l’Airbus A380 parce qu’il est fabriqué par EADS dont Lagardère est actionnaire ou d’accompagner Nicolas Sarkozy à Alger en tant qu’ami parce qu’il a des liens particuliers avec Bouteflika [président algérien]. »

Une critique que l’on balaie du côté du Sénat arguant que les parlementaires se félicitent du travail fait par ce « grand professionnel » de l’audiovisuel qui a su donner une visibilité, une cohérence et une certaine notoriété à la chaîne. Ses liens avec le groupe Lagardère ? Faut-il vraiment se plaindre d’avoir avec soi un homme haut placé dans un groupe qui possède des radios, des journaux, des magazines dans lesquels il est si important d’apparaître quand on fait de la politique ?

Seuls les journalistes d’Europe 1 trouvent à redire à cet étrange mélange de fonction. En 2008, ils ont jugé un peu saumâtre qu’à quelques mois du renouvellement de son mandat à la tête de Public Sénat, le double président impose en plein journal une interview du… président du Sénat justement. Et de s’interroger sur l’actualité et l’acuité de ce brave Christian Poncelet que d’ordinaire les médias ne se disputent pas. C’est que, répond Jean-Pierre Elkabbach, l’homme est le « deuxième personnage de l’État » et effectuait, avec toute une délégation de sénateurs, une visite capitale en Chine qui, à n’en pas douter, restera dans l’histoire. Ce qui est sûr c’est qu’Elkabbach lui-même faisait partie de cette délégation en tant que président de Public Sénat et que le président d’Europe 1 était donc aux premières loges pour juger de l’intérêt du voyage de… son patron.

Vincent Quivy

Voir aussi sur ce site, l’épisode glorieux rappelé par Vincent Quivy, d’une demande de conseil à Nicolas Sarkozy - « Sarkozy, conseiller en recrutement d’Elkabbach : de quoi enflammer les rédactions ? », février 2006) -, ainsi que l’analyse dune très complaisante interview : « Jean-Pierre « Elkabbach sert la soupe à Nicolas Sarkozy sur Europe 1 », novembre 2006. (Acrimed)


Notes

[1] Vincent Quivy, Profession : Elkabbach, Paris, éditions du Moment, février 2009, 219 p.

[2] Europe 1, 24 avril 2007.

[3] « Une place pour chacun, chacun à sa place », par Jean-Michel Aphatie, blogs.rtl.fr, janvier 2008.

[4] « La monarchie sous Sarkozy », par Saïd Mahrane, Le Point, 21 août 2008.

[5] « Le pouvoir à la table du Siècle », par Frédéric Saliba, Stratégies, 14 avril 2005.

[6] « Le Siècle », Challenges, 29 novembre 2007.

[7] Jean-Pierre Elkabbach : 29 mois et quelques jours, Grasset, 1997 p. 147.

[8] idem, p. 24.

[9] « Au pays du journalisme de gouvernement », par Edwy Plenel, Mediapart, 25 avril 2008.
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La double absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances

Messagede yoh » 05 Aoû 2012, 20:05

Source inter-med.over-blog.com, Lola Gazounaud, Lundi 28 mars 2011


La sociologie d'Abdelmalek Sayad


La double absence

Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré


De Abdelmlek Sayad

Préface de Pierre Bourdieu

Editions du. Seuil



Quelques notes biographiques…

Né en 1933 en Kabylie, Abdelmalek Sayad est le troisième enfant et unique garçon d'une famille de cinq enfants. Il quitte son village natale pour commencer une formation d'instituteur à l'Ecole Normale de Bouzareah à Alger. Il est ensuite nommé instituteur d’école dans la casbah d'Alger. Il poursuit enfin ses études à l'Université d'Alger où il rencontre Pierre Bourdieu. En 1963, il s'installe en France. D'abord vacataire au Centre de sociologie européenne de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, il intègre, en 1977, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), nommé Directeur de recherches en sociologie. Il décède le 13 mars 1998, prématurément.


La sociologie d’Abdelmalek Sayad

Abdelmalek Sayad était un analyste remarquable des sociétés, celles qui se font écho de part et d’autre de la Méditerranée, prises dans un rapport à la fois de proximité et de distance, de connivences et de rapports de force.

Il réalise ainsi avec Pierre Bourdieu une enquête de terrain dans l’Algérie en guerre et publie en 1977, Le Déracinement, la crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie, où il présente les conséquences tant sociologiques que psychologiques des regroupements des populations rurales algériennes dans des ‘‘centres’’ opérés par l’armée française durant la guerre d’indépendance.

Ce n’est qu’après, une fois arrivé en France, qu’il commence à analyser, dans le cadre du Centre de sociologie européenne, les phénomènes migratoires. il renouvèle ainsi les problématiques de l'immigration à l’époque où cette question, très politisée, commence à émerger. Tout au long de ces années il a suivi, accompagné le processus de vieillissement des immigrés kabyles et a analysé les contradictions de l’immigration avec une méthodologie minutieuse et intégrale. Il publie à ce titre L’immigration algérienne en France en 1984, L’immigration ou le paradoxe de l’altérité en 1991, puis Un Nanterre algérien Terres des bidonvilles en 1995.

Les analyses d'Abdelmalek Sayad ont une portée originale et inestimable dans le champ de recherche sur les migrations avec une place primordiale données aux témoignages d’émigrés( le sociologue a une totale maîtrise de la langue française, arabe et berbère). Abdelmalek Sayad est considéré, pour cela, comme le père fondateur de la question de l’immigration.

La double absence, œuvre posthume , publiée sous la responsabilité de Pierre Bourdieu, bouleverse un regard de l’immigration figé à travers une double analyse qui permet une totale compréhension de l’émigré-immigré.


I. Les trajectoires migratoires : « les deux faces indissociables d’une même réalité »

1. Une rupture avec la « pensée d’Etat »

2. Une rupture avec l’ ethnocentrisme

3. Une rupture avec la conception de l’immigration homogène

4. Une rupture avec une une sociologie de l’immigration déshumanisante


II. Une « série d’illusions, simulations, dissimulations » collectivement entretenues

1. Le « mensonge collectif » : entre idéal et réalité

2. La dissimulation des contradictions inhérentes à la condition d’émigré-immigré

3. Un « accord tacite » entre les trois partenaires du phénomène migratoire


III. Les rapports de force inhérents au processus de migration

1. « Colonisation exemplaire » et « émigration exemplaire »

2. L’intégration, l’assimilation la naturalisation

3. Le choc en retour sur la société d’origine

4. Science de l’immigration et « science de l’absence »


Les trajectoires migratoires : « les deux faces indissociables d’une même réalité »

Le sociologue Abdelmalek Sayad commence son analyse par un principe simple et valable pour l’ensemble des migrations dans le monde : l’étude d’un phénomène migratoire doit nécessairement considérer les deux dimensions complémentaires que sont l’émigration et l’immigration afin de comprendre le processus dans son intégralité. Deux aspects d’une même réalité, séparés volontairement à cause des intérêts sociaux et politiques qui en découlent, et qu’Abdelmalek Sayad s’efforce de réunifier. Il consacre ainsi une triple rupture .


Une rupture avec la « Pensée d’Etat »

« La migration est toujours pensée dans le cadre de l’unité locale, et, en ce qui nous concerne dans le cadre de l’Etat-nation » . Notre vision de l’immigration dans toute ses dimensions (économique, sociale, culturelle, politique …) est empreinte de cette culture nationale comme en témoigne la séparation radicale qui existe dans nos sociétés entre les « nationaux » et les « non-nationaux » . En effet, l’existence même de l’Etat-nation sous-tend une discrimination naturelle, dans la mesure où il élabore les critères, les normes qui modélisent le statut de « national » ( et en creux celui de « non-national »).

De plus, l’Etat-nation prétend à une « homogénéité nationale » sur tous les plans . Pas de doute alors que l’immigration soit perçue comme un élément perturbateur qui ébranle l’ordre établi et trouble cette séparation fondamentale inhérente à l’Etat-nation . L’immigration fait alors surgir des questionnements sur les bases de l’Etat et ses mécanismes.

La prise en compte du phénomène migratoire dans son intégralité nécessite une conception de l’immigration qui ne passe pas à travers le filtre de la « pensée d’Etat » . Mais, une telle démarche impose une remise en cause de l’Etat-nation difficile et l’acceptation du phénomène migratoire comme processus qui participe à remodeler l’identité des Nations d’origine et d’accueil et de leurs populations.


Une rupture avec « l’ethnocentrisme inconscient »

« Immigrer, c’est immigrer avec son histoire », et l’ensemble de son système culturel. L’auteur précise que le processus migratoire, et en particulier les conditions d’origines, sont parties intégrantes de l’histoire de l’émigré-immigré. De ce fait, il est indispensable d’étudier ces conditions afin d’éviter une vision partielle et ethnocentrique du phénomène. Le sociologue se refuse aussi à interpréter les comportements des émigrés-immigrés qu’en fonction de la société d’accueil qui enregistre ces conduites différentes comme déviantes par rapport à des normes sociales établies.

Il rompt ainsi « l’image « éternisée » de l’immigration », qui n’est en réalité qu’un idéal abstrait. Une vision figée et uniforme qui dissimule les nombreuses spécificités qui caractérisent chaque immigration et qui fait qu’un immigré reste un immigré quelque soit les circonstances. Le processus migratoire est en constante évolution, et engendre des bouleversements dans le pays d’origine et le pays d’accueil qui modifient la nature, les objectifs et les obstacles de ces migrations. De plus, Il ne faut pas non plus négliger les évolutions des rapport entre les deux pays qui forment le couple migratoire. Dans le cas de la France et de l’Algérie, le sociologue prend soin de détailler les liens directs qui existent entre la colonisation et le processus migratoire.


Une rupture avec la conception de l’immigration homogène

Abdelmalek Sayad distingue « trois âges de l’émigration »algérienne en France, une genèse du processus d’émigration qui permet de mettre en relief les caractéristiques de l’immigration. « Trois mode de générations » qui traduisent « le processus de transformations internes aux communautés rurales qui produisent les émigrés ».Tout d’abord, l’émigration algérienne nous dit-il est le produit direct d’une « colonisation totale », qui a engendré le sous-développement et par la suite l’émigration et l’immigration. De là commence un processus qui peut être découpé en trois phases :

Dans le premier âge, la communauté paysanne kabyle choisissait au sein de chaque famille un « délégué à l’émigration » répondant aux critères de l’excellence paysanne pour assurer la survie de leur communauté, dans la mesure où celle-ci n’était plus auto-suffisante. C’est une mission collectif, « une émigration ordonnée ». Le temps de l’exil est limité puisque les objectifs sont limités. Ainsi la communauté est en mesure de contrôler le mandaté afin qu’il conserve les valeurs de l’habitus paysan et qu’il ne soit pas influencé par les valeurs urbaines françaises. Si le séjour de l’émigré venait à s’allonger, il y avait réprobation de la communauté aussi bien envers l’émigré qui se désolidarisait du groupe qu’envers la famille qui n’avait pas su contrôler son « mandaté » . L’émigré partait en « paysan authentique » et devait revenir en tant que tel. Le retour s’accompagne ainsi d’un véritable processus de « réintégration » que le sociologue définit comme quasi-rituel. L’émigration est provisoire et est considérée par la communauté paysanne comme une parenthèse fâcheuse mais nécessaire pour perpétuer les valeurs du groupe et le groupe en lui-même.

Dés le deuxième âge, la communauté paysanne commence à perdre le contrôle de son émigration. Conséquence du déracinement et de la désintégration de la communauté, la dépaysannisation qui a détourné les hommes de la terre crée une nouvelle génération, en rupture avec la communauté. L’émigration est devenue une mission individuelle dénuée d’objectif collectif. La durée de l’émigration s’allonge, c’est le « provisoire qui dure », contradiction fondamentale qui est au centre de l’analyse du sociologue. Les liens s’épuisent et l’idée du sacrifice qui existait alors disparait. L’émigré, qui se « serrait la ceinture » pour envoyer le plus d’argent possible à sa famille très présente moralement à céder le pas à l’émigré qui « se voue à n’apporter qu’une simple assistance alimentaire » à la famille laissée au pays. C’est toute la hiérarchie sociale qui est renversée. Ce n’est plus le chef de famille traditionnel qui contrôle l’ensemble de ses membres , mais l’émigré, qui, parce qu’il est la principale voire l’unique source de revenu dans la famille, s’accapare l’autorité de chef de famille. L’introduction de l’esprit de calcul dans l’habitus paysan et l’émancipation des jeunes de la tutelle familiale provoque une séparation inévitable.

Quant au troisième âge, il consacre cette séparation : la communauté algérienne en France devient complètement autonome. L’auteur parle de « colonie algérienne en France » . Cette phase est marquée par le regroupement familiale, qui commence dés la fin de la seconde guerre mondiale mais qui devient massif après l’indépendance de l’Algérie . Le séjour devient permanent, les devoirs envers la famille sont toujours plus limités, l’auteur parle de « quasi-professionnalisation de l’état d’émigré » . Cette émigration, qui se limitait aux zones rurales, surtout kabyles, s’est généralisée à toutes les régions d’Algérie avec la forte conviction de ne pouvoir trouver une solution à la pauvreté qu’en quittant le pays natal. Malgré cela, l’émigré-immigré entretient le sentiment du provisoire : « c’est toute une communauté qui vit comme en transit », qui ne cesse de se référer à deux sociétés, deux systèmes de normes créant ainsi toute sorte de contradictions.


Une rupture avec une une sociologie de l’immigration déshumanisante

Cette triple rupture témoigne de l’inadéquation de certains instruments de mesure de l’immigration, ou de typologies négligeant l’ensemble des variables en jeu dans le processus migratoire.

Abdelmalek Sayad révèle la « subordination objective de la science au politique » qui amène à refuser la complexité du processus migratoire et ce même dans le domaine de la science. C’est ce qu’il appelle la « cécité conventionnellement entretenue » pour maintenir une vision du phénomène migratoire réduite. De cette façon, l’immigration est considérée comme « simple déplacement de force de travail », vision très technique qui occulte tout le contexte de départ et d’arrivée. De même, la séparation plus que courante entre immigration de travail et immigration familiale est une opposition simpliste dans la mesure où la seconde découle de la première .

De plus, il fait apparaître clairement la « rationalisation dans le langage de l’économie d’un problème qui n’est pas (ou pas seulement) économique mais politique ». Ainsi, l’unique problématique qui est posée en matière d’immigration est « ce qu’elle coûte » et « ce qu’elle rapporte ». Cette problématique connue sous le nom de « théorie des coûts et profits de l’immigration » exclut tout argument politique ou éthique. L’émigré est complètement réduit à un simple rapport de qualité-prix, dénaturé, désocialisé. Aucune considération pour les dommages moraux et psychologiques des émigrés-immigrés, ou aucune prise en compte des évolutions du pays d’origine et pourtant une immigration qui persiste signifie bien une situation économique qui empire dans le pays d’origine.

Abdelmalek Sayad opère un bouleversement radical dans la façon de penser le phénomène migratoire comme un système complexe de « variables d’origine » et de « variables d’aboutissement ». Une vision globale qui intègre toutes les caractéristiques du processus de migration propre à des types d’émigration qu’il définit clairement. L’auteur, à travers une approche pluridisciplinaire exhaustive, dénonce une vision déshumanisante de l’immigration : des termes comme « non-nationaux », « immigré », « force de travail » donne une image collective qui est une véritable négation de l’individu en tant que tel. Comme si l’histoire des immigrés ne commençait qu’aux portes de la France . Il opère un renversement de perspective et replace l’histoire des émigrés-immigrés au cœur des préoccupations. La connaissance des conditions d’origines qui ont poussé les individus hors de leur pays natal est indispensable. Cette analyse chronologique et donc objectivement plus logique permet de mieux distinguer les différents modes d’émigration ainsi que les comportements des émigrés-immigrés en pays d’accueil. Enfin, il ne manque pas de pointer les intérêts politiques, économiques et sociaux qui entrent en jeu quand il est question d’immigration et qui laissent s’opérer cette déshumanisation pour autant que l’immigration ne soulève pas d’interrogations et de réflexions plus profondes.


Illusions, dissimulations et simulations collectivement entretenus

Une fois, la rupture accomplie avec un système de pensée « statocentrique », Abdelmalek Sayad nous dévoile un tout autre système, celui des illusions, des, dissimulations, des mensonges collectivement entretenus , par les populations algériennes productrices d’émigrés, la France et l’Algérie. Cette nécessité de masquer une réalité trop difficile, trop complexe, indispensable pour perpétrer le processus migratoire.


La « médiation nécessaire » au départ initial

L’auteur définit les conditions d’origine qui produisent l’émigration comme « un processus qui, d’abandon en abandon, amène à envisager l’émigration comme seul recours, solution ultime pour rompre la prolétarisation des ruraux » . Cependant cette nécessité économique qui pousse à l’absence provisoire d’un des membres de la communauté passe à travers une médiation morale qui prépare l’émigré, le pousse à envisager puis à réaliser cette migration .

A l’appui de témoignages recueillis, Abdelmalek Sayad révèle un « mensonge collectif » qui vise à nier les conditions réelles de l’émigration, à ne mettre en valeur que le résultat et non le sacrifice enduré. Cette dissimulation alimente une idéalisation de la France . La confrontation avec la réalité de l’émigration et de l’immigration est donc souvent brutale. En guise d’introduction au premier chapitre, le témoignage d’un émigré kabyle recueilli en France en 1975. Retraçons, à travers quelques citation de ce précieux témoignage, les étapes qui poussent ce paysan algérien kabyle à quitter le pays pour venir en France :


- Le rejet de la condition de fellah qui n’est plus propriétaire et qui ne cesse de se paupériser :

« j’ai pris des terres en métayage […]Me voila devenu, en l’espace de quelques années, un vrai fellah. »

« Pourquoi me démener tant ![…]Pendant que tu t’éreintes, lui [le propriétaire] est au large, bien à l’aise[…] Je suis devenu un fellah d’occasion, […] par contrainte.»


- La France, comme solution ultime face à la paupérisation des ruraux :

« J’ai continué à travailler, mais autrement […]Malgré notre acharnement, ma mère et moi, à courir derrière l’argent, on en manquait toujours »

« En un rien de temps, sans savoir comment, je me suis retrouvé avec 450 000 de dettes.[…]D’où sortir cet argent pour rembourser ? […]Plus aucune sortie, la seul « porte » qui reste, c’est la France. »


- L’idéalisation de la France et le « rejet » de l’Algérie : « les émigrés sur place » :

« C’est ainsi que la France nous pénètre tous jusqu’aux os […], on ne voit plus d’autre solution que de partir »

« Dés que l’un d’eux commence à « refuser » […]tu peux être sûr, c’est qu’il manigance de partir »

« Le jour où je sortirai d’ici, jamais plus je ne dirai ton nom ; je ne regarderai vers toi ; je ne reviendrai à toi »

« On dit…on dit qu’elle [la France] est « le pays du bonheur », c’est tout »

« Il paraît que là-bas il suffit de se baisser pour ramasser des « feuilles » de dix mille . »


- La confrontation brutale avec une réalité à laquelle on ne peut plus échapper :

« Ou bien je franchis la mer, […]ou bien je suis renvoyé d’Alger ou de France et là je ne remettais plus les pieds au village, advienne que pourra ![…]D’où me viendra ce visage qui osera affronter le monde quand, à peine parti, il faudra déjà être de retour »

« Ici on entend dire les choses qu’on ne nous dit jamais là-bas […] Ce n’est pas une vie d’humains »

« Dans notre France à nous, il n’y a que des ténèbres. »


- Le mensonge collectif mis à nu :

« On les voit revenir, ils sont bien habillés, ils ramènent des valises pleines, de l’argent dans les poches »

« Quand ils disent : « Je fais un travail difficile », cela veut dire qu’ils gagnent beaucoup d’argent. Voilà ce que l’on comprend »

« C’est de notre faute à nous, les émigrés, comme on nous appelle :quand nous retournons de France, tout ce que nous faisons, tout ce que nous disons, c’est du mensonge »


Ce témoignage émouvant montre l’élaboration d’un mensonge qui dissimule la réalité de l’exil puisque la hiérarchie sociale du groupe se fait désormais par rapport à l’émigration ; et incite comme cela les nouveaux candidats à l’émigration à travers une image idéalisée bien loin de la réalité. « La méconnaissance collective de la vérité objective de l’émigration est entretenue par tout le groupe » et est « une médiation nécessaire à travers laquelle peut s’exercer la nécessité économique. »


La dissimulation des contradictions inhérentes aux conditions de l’émigré-immigré

Le départ des émigrés, une fois qu’il n’est plus décidé collectivement, mais individuellement, est considéré comme une trahison, une « ruse sociale ». Ce déracinement entraîne donc une série de contradictions dissimulées chez les émigrés-immigrés.

La première de ces contradictions est d’abord spatiale. La double absence, ou la double présence met en lumière l’ « ubiquité impossible » : « être présent en dépit de l’absence » et à l’inverse être absent en dépit de la présence . C’est le « paradoxe de l’immigré » . Comme le souligne le sociologue, la présence physique finit par s’accompagner d’une présence morale et l’absence matérielle se traduit finalement par une absence « morale ». Présence-absence provisoire, « population en transit » que Pierre Bourdieu, dans la préface qualifie de « atopos, sans lieu, déplacé, inclassable […] Ni citoyen, ni étranger, ni vraiment du côté du Même, ni vraiment du côté de l’Autre, il se situe dans ce lieu « bâtard » du non-être social »

La seconde contradiction est d’ordre temporelle : c’est le « provisoire qui dure ». Le caractère provisoire de l’immigration algérienne s’est vite estomper, pourtant, les émigrés-immigrés entretiennent l’illusions du « provisoire qui se fait définitif », même après le regroupement familial, qui est pourtant une démonstration de stabilisation.

La troisième contradiction repose, quant à elle sur « l’alibi du travail » . L’émigration est tout d’abord une émigration de travail puisqu’il constitue le seul objectif de cet exil, subvenir aux besoins de sa famille. Au fil du temps, malgré la désagrégation du groupe, le travail reste l’alibi moral qui justifie la « trahison »initiale. Cette contradiction est parfaitement illustrée à l’occasion de la maladie, où l’immigré perd momentanément son seul alibi moral qui atténue sa culpabilité dévorante. La violence de la crise identitaire qui en découle est insaisissable par l’institution de la Sécurité sociale qui ne considère que le mal physique et sa guérison sans tenir compte de la souffrance morale qui l’accompagne. Abdelmalek Sayad y consacre d’ailleurs un chapitre entier, La maladie, la souffrance et le corps, pour éclairer sur cette condition de travailleur qui permet de créer un équilibre avec les sentiments de culpabilité enfouis. Cet équilibre est cependant fragile puisque la maladie, et l’arrêt de travail sont éprouvés comme la négation de l’immigré.

Enfin, plus qu’une contradiction, un tiraillement entre deux sociétés, deux systèmes de normes sociales : l’habitus paysan et ses valeurs communautaires, et les valeurs individualistes de la ville en France. Entre devoir envers la famille, et volonté d’émancipation, l’émigré-immigré se trouve confronté à un choix impossible. Abdelmalek Sayad affirme à ce titre que « pendant longtemps, alors même qu’elle été voulue individuellement par l’émigré et son épouse , l’émigration familiale était accomplie, et surtout elle était ressentie comme un acte honteux ». C’est la raison pour laquelle, ajoute-il ce n’est qu’après un demi siècle d’émigration que le regroupement familial a pu s’opérer, une fois la désagrégation des liens entre l’émigré et sa famille déjà en cours.

Ainsi, l’autonomisation de la communauté algérienne en France par rapport au pays d’accueil et la condition d’immigré comme étranger vivant en France font que l’émigré-immigré n’est ni totalement français, ni totalement algérien, et se prend le pays d’accueil et parfois le pays d’origine. La désagrégation des liens entre émigrés-immigrés et leur pays d’origine fait de leur départ un acte de « traîtrise ». La rupture est faite : les séjours en France ne cesse de s’allonger, et l’histoire sépare les Algériens et les Algériens-émigrés. De l’autre côté de la Méditerranée, Les Algériens émigrés deviennent des immigrés non-nationaux. Toujours entre deux monde, entre deux sociétés, la communauté algérienne en France va s’autonomiser des deux, idéalisant parfois l’un, parfois l’autre. Dans ces deux mondes, ils doivent légitimer leur présence ou leur absence. L’alibi du travail est ainsi nécessaire et souhaitée puisqu’en France l’identité des immigrés est avant tout celle d’un « OS à vie » (ouvrier spécialisé).


Un « accord tacite » pour perpétuer le processus migratoire

Abdelmalek Sayad s’attache à montrer la complicité des trois partenaires du processus migratoire ( pays d’accueil et d’origine et les migrants) qui entretiennent les illusions nécessaires à la perpétuation du processus. Une véritable « entreprise de dissimulation », et ce pour voir le processus migratoire comme figé, inchangé ou mieux, comme une vision idéale et abstraite. Ainsi, « l’émigré reste toujours un émigré », même s’il est né en France de parents immigrés, et « l’immigré reste toujours un immigré » malgré sa présence permanente et sa naturalisation.

Il est donc implicitement entendu que le pays d’origine perd des membres de sa population et que le pays d’accueil en gagne, cependant, les deux pays du couple migratoire se refusent à « contracter » et à « régler » un nouveau statut de cette population émigrée-immigrée, ou à signer un « contrat de transfert définitif » qui est pourtant une réalité de fait. L’absence de statut des émigrés-immigrés algériens est souhaitée et souhaitable : pour les Algériens en France ce serait se confronter à leur propre contradiction de « provisoire qui dure », pour les deux pays, ces non-dits servent à masquer le rapport de force violent entre les deux Etats.


Un véritable rapport de force masqué

Ce rapport de force est historique et imprègne encore vivement les esprits. Le processus de colonisation et de décolonisation est la cause directe du phénomène migratoire qui lie la France et l’Algérie. La décolonisation devait signer la fin d’un rapport de force « de colons à colonisés ». L’immigration en France des Algériens émigrés réinstalle un rapport de force nouveau qui, en vue du contexte historique, est chargé de multiples symboles douloureux.


« colonisation exemplaire » et « émigration exemplaire »

Abdelmalek Sayad insiste sur le fait que l’émigration soit « fille directe » de la colonisation. Cette colonisation est exemplaire car « totale, systématique, intensive, de peuplement, de biens, de richesses du sol et du sous-sol, des hommes, corps et âmes ».La colonisation a donc été un instrument de sous-développement créant un rapport de force inégal entre les deux pays. Ce rapport est loin de se limiter à l’Algérie et la France mais se généralise. Ainsi la colonisation et l’émigration engendrée par le sous-développement ont consacrée une ligne de séparation du monde Nord-Sud.

Dans le cas précis de l’Algérie et de la France, le sociologue rétablit une vérité : la colonisation a provoqué un bouleversement total de l’ordre ancien à bout de souffle, en grande partie à cause des dépossessions foncières massives qui ont ruiné les fondements économiques traditionnels, et désintégré « l’armature social originelle ». L’émigration étant en même temps produit et producteur de sous-développement, le pays d’origine semble coincer dans ce rapport de dominant à dominé. Cette « parenthèse de l’histoire », que l’on oublie volontairement en France, mais encore très vive dans l’ esprit des Algériens, semble alors se perpétuer à travers la « colonie algérienne en France » avec des « colonisés volontaires », qui prolonge un séjour provisoire et font du pays d’accueil leur pays : « toute ma vie est là » dit l’émigré kabyle tout en montrant son portefeuille rempli de bulletins de salaire, certificats de travail, états des services et autres papiers administratifs.

Ce processus migratoire est dans sa nature même un avantage pour le pays d’accueil et une terrible tare pour le pays d’origine puisqu’il se traduit par l’avantage pour la France d’avoir sur son territoire et donc sous son autorité des immigrés d’une autre nation et une faiblesse pour l’Algérie qui perd sa souveraineté sur ses nationaux en dehors du pays. Cette perte de souveraineté de l’Algérie sur ses propres ressortissants rappelle encore douloureusement l’histoire d’une colonisation qui n’a cessé depuis à peine plus de 50 ans.

Enfin, L’auteur pose une réflexion sur le statut d’ « OS à vie » de l’émigré-immigré qui marque une fois de plus le rapport de force en donnant au terme d’OS une définition sociale statique. Ainsi nous dit le sociologue, c’est quand « la réalité technique et strictement professionnelle de l’OS se constitue en pivot central de toute l’existence de l’immigré, qu’elle est le plus discréditée, le plus dépréciée . »


L’intégration , l’assimilation et la naturalisation

Il s’agit ici de trois notions lourdes de sens et de symbole qui renforcent les anciens rapports de force entre l’ancienne colonie et la France.

La première d’entre elles, l’intégration est, comme l’expose Abdelmalek Sayad en proie à de forts symboles et de sous-entendus admis implicitement qui ne reconnaît à l’émigré-immigré qu’un statut passif dans la société d’accueil. Ainsi, « le discours sur l’intégration est un discours fondé sur la croyance (et le préjugé) ». L’intégration à en France en goût d’assimilation puisqu’une « caractéristique spécifiquement française consiste à consommer et à tout assimiler, individus, groupes, ethnies, cultures, langues, nations, etc » . Ce terme d’assimilation suppose que se soit une action, un effort du pays d’accueil, rappelant une France assimilationniste et coloniale, et n’attribue qu’un rôle totalement passif aux émigrés-immigrés. Cependant, le manque d’intégration ou le manque d’assimilation est un reproche que l’on ne fait qu’aux émigrés-immigrés, encore comme indicateur de la passivité de cette population.

La naturalisation est un concept que l’auteur qualifie de « douce violence ». Alors même que les Algériens tentent d’accéder à leur indépendance, ou bien ont réussi à redevenir algériens, les immigrés, du moins certains d’entre eux , sont naturalisés français. Cette naturalisation, afin de profiter des commodités du statut de citoyen français est loin d’être considérée comme un acte purement juridique, un règlement administratif. En effet, la charge symbolique qu’elle contient est lourde : « rite d’initiation », véritable « cérémonie d’intronisation » à travers laquelle l’immigré fait son acte d’allégeance à la France. Ainsi « la naturalisation ne manque pas de prendre la forme d’une allégeance au dominant dont on recherche la protection ». Le sociologue ajoute que « le cumul des effets d’une double domination, l’ancienne et l’actuelle, confère à la naturalisation et au rapport de force qui est à son principe, une surdétermination de sens qui semble atteindre, ici son paroxysme ». La naturalisation, du fait de son histoire, représente un acte difficile à accomplir. Cette naturalisation est d’autant plus violente quand la France confère sa nationalité de façon systématique aux enfants nés sur son territoire. Le droit du sol dérobe à l’Algérie les nouvelles générations issues de son émigration. La naturalisation, cet acte « suspect et blâmable » est avant tout vue comme un choix d’une nationalité au détriment de l’autre, rapport de force entre deux « amours-propres nationaux » où le vocabulaire est d’avantage moral que politique. C’est d’abord une question d’ « honneur, ( dignité, privilège, mérite, obligation, etc) ».


Le choc en retour sur la société d’origine

Ces rapport de force se retrouvent dans les relations entre émigrés-immigrés et le pays d’origine, et génèrent une fissure entre les deux parties. C’est le « paradoxe du tas de sable » puisque l’émigration crée un gouffre car elle dépossède progressivement l’Algérie de ses nationaux. Comme l’émigration est voulue, cet acte est vite énoncé en terme de « dénonciation, d’accusation » dans la mesure où cette émigration a cessé de subvenir, comme dans le passé, aux besoins des populations restées en Algérie.

Abdelmalek Sayad expose ici un nouveau rapport de force où les émigrés seraient devenus de « sordides usuriers », et les Algériens du pays « de vulgaires profiteurs ». Le sociologue met en lumière des rapports sociaux essentiellement basés sur la compétition entre groupes que l’histoire commence à séparer. La « promotion illégitime » des émigrés est illégitime puisqu’elle s’accomplit en dehors de l’ordre national. C’est cette « promotion » qui instaure un rapport de force destructeur au sein du pays d’accueil. Et rappelle encore une fois ce rapport de force, qui semble s’être intégré dans les rapports entre l’Algérie et les émigrés algériens en France. Rapport d’autant plus violent si les émigrés sont naturalisés puisqu’ils passent alors dans le camps du dominant.


Une science de l’émigration dépendante de la science de l’immigration ?

Le sociologue déplore enfin une vision inversée du phénomène migratoire où l’émigration semble être devenue le produit de l’immigration. L’immigration, qui est en soi marquée par une présence, est beaucoup plus facile à appréhender, à mesurer et à contrôler. L’émigration, quant à elle, reste une absence qui, comme le précise l’auteur « se masque, se comble, se nie ». Ainsi, l’observation de l’émigration ne peut s’effectuer qu’en creux, c'est-à-dire à travers l’observation de l’immigration. Ce privilège que dévoile Abdelmalek Sayad, est également visible dans la littérature. Il pointe alors l’abondance de la littérature sur l’immigration et la défaillance de la littérature d’émigration.

L’auteur transpose cette problématique sur le champs politique : c’est un grand avantage de pouvoir accumuler des informations et des données statistiques afin de rendre compte de l’ampleur du phénomène. Le pays d’origine est, pour sa part, contraint d’« interroger l’immigration » pour connaître sa propre émigration. Avantage politique et économique qui peut s’avérer très utile dans les négociations avec le pays d’origine. Le sociologue affirme que l’Algérie est sans doute le pays d’émigration le plus dépendant dans ce domaine. Cette réflexion nouvelle l’amène à définir une « science de l’absence » ou « science de l’émigration » nécessaire pour restreindre la dépendance de l’Algérie face à la France et pour que l’émigration soit d’avantage prise en compte en France.

« Il faut que l’émigration cesse d’être cette « chose » honteuse dont on ne peut parler » pour que puisse se créer une « science de l’absence ». Tant que le sujet restera tabou, les conditions ne seront pas favorables à la réalisation d’une telle science. Abdelmalek Sayad pose alors le questionnement suivant : L’émigré-immigré doit-il nécessairement subir cette double condition productrice de tant de douleurs ? N’est-il pas possible pour ces « déplacés » de conjuguer, comme il le souhaitent, les deux conditions propres à leur situation, pour qu’elles deviennent des avantages cumulés et non des souffrances enfouies ? Une coexistence pacifique de ces deux identités semble désormais possible et propice à la création d’une science de l’émigration.

La double absence doit être considéré comme le bilan de plusieurs dizaines d’années de recherche sur les migrations. Alliant parfaitement connaissance du terrain et maîtrise sans faille de l’outillage théorique des sciences sociales, Abdelmalek Sayad y propose une analyse minutieuse de ce que fut ( et de ce qu’est à l’heure actuelle ) la condition de l’immigré algérien en France. Son double regard diachronique (historique) et synchronique (actuel) restitue aux émigrés-immigrés leur « dignité sociale ». Toutes les dimensions de cette condition sont passées en revue : la dimension économique bien sûr, mais aussi politique, culturelle et psychologique. L’oeuvre de Sayad est, tout entièrement tendue vers la volonté de porter à la conscience de ceux qui les subissent les mécanismes économiques, politiques et sociaux qui sont à l’origine des déplacements de population. Elle s’adresse ainsi avant tout aux immigrés eux-mêmes, ce qui fait d’elle, selon le mot de Pierre Bourdieu, une science « de service public ». Le sociologue Abdelmalek Sayad a produit "une pensée à rayonnement mondial", a indiqué, à ce propos, l'historien français Gérard Noiriel, soulignant que l'œuvre de ce penseur algérien "intéresse de nombreux chercheurs à travers le monde et il est utile de la rappeler aux jeunes générations ».
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“La classe politique méprise le monde ouvrier”

Messagede Béatrice » 16 Oct 2012, 00:07

Entretien des Inrocks avec l’historien Xavier Vigna :

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"Nous ouvriers sacrifiés"
“La classe politique méprise le monde ouvrier”
Entretien des Inrocks avec l’historien Xavier Vigna

Avec les liens :

http://www.lesinrocks.com/2012/10/10/ac ... -11313013/

10/10/2012

Alors que les plans sociaux s’accumulent sur le bureau du ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, l’historien Xavier Vigna revient sur le rapport contrarié qu’entretient le monde ouvrier avec la gauche au pouvoir.
Retrouvez notre dossier “Nous ouvriers sacrifiés” dans les Inrocks n°880.

Les plans sociaux se multiplient chez Sanofi, Doux, Fralib, Arcelor Mittal ou bien encore Petroplus. L’Etat et les syndicats ont-ils encore les moyens de forcer la main des entreprises qui souhaitent délocaliser ?

En regard de la législation actuelle, l’État et les syndicats n’ont pas toute latitude pour interdire les délocalisations. Mais ce qui me frappe, c’est la volonté toute relative du gouvernement de s’y opposer, et de déployer un certain nombre de pressions sur telle ou telle entreprise pour empêcher cette logique. Je formulerais une remarque similaire au niveau des confédérations syndicales qui ne relaient que très inégalement les mobilisations des salariés de base et de leurs sections syndicales. En outre, si la législation actuelle n’est pas assez dissuasive, qu’est-ce que le gouvernement attend pour la modifier ? Je croyais que le Parti socialiste était resté suffisamment longtemps dans l’opposition pour avoir préparé un train de mesures rapidement applicables sur ces questions d’importance majeure. Manifestement, ce n’est pas le cas.

De nouveaux concepts de mobilisations sociales ont-ils émergé ces dernières années ?

Oui, en partie. Depuis une grosse quinzaine d’années, se sont développés les mouvements dits “des sans” : sans-papiers, sans-travail (les chômeurs), sans-logis, etc. De telles mobilisations sont parfois apparues il y a bien longtemps, comme les marches de chômeurs dans les années 1930, ou des grèves de la faim pour l’obtention de papiers de la part d’immigrés, ouvriers ou pas, dans les années 1970. Mais, la singularité de la période est que ces mouvements de “sans” opèrent dans une large mesure à l’extérieur de l’espace de travail, et sans que les salariés en situation normale (avec un contrat de travail stable, etc.) se mobilisent soit sur des questions propres, soit pour relayer ces mouvements des sans. Les grèves menées par les salariés sans-papiers pour obtenir leur régularisation ont tenté – avec un succès inégal, mais peu importe ici – de briser cet isolement. Ce sont les rares grèves offensives dont on a entendu parler dans les médias, d’ailleurs.

Que manque-t-il au monde ouvrier pour rééditer l’exploit des ouvriers de Lip en 1973 ?

L’histoire ne se répète pas, et il est vain d’attendre un nouveau Lip (http://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Lip). Ce qui est extraordinaire dans ce conflit – une longue mobilisation des salariés d’une usine de montres contre un plan de démantèlement en reprenant en partie la production – est leur inventivité, leur audace, et les appuis qu’ils ont su trouver dans la population, bien au-delà de Besançon, par-delà des organisations syndicales parfois assez rétives. Cela tient en partie à leurs convictions de la profonde nocivité du capitalisme, et à sa fragilité. Dans les années 1970, quand on était de gauche, il allait de soi que le capitalisme ne devait pas être aménagé mais aboli, et que cela allait se faire. On était dans la construction d’une alternative radicale. Aujourd’hui, cette croyance en un futur autre, différent, meilleur s’est largement évanouie, dans le monde ouvrier et au-delà. C’est cette conviction politique, au meilleur sens du terme, qui manque sans doute dans une très large partie de la population.

Quelles sont les conséquences humaines des plans sociaux pour les ouvriers qui les acceptent ?

Les conséquences des plans sociaux sont toujours très lourdes. Même quand un plan social est généreux, il produit inévitablement une déstructuration et une déstabilisation très brutale des ouvrier(e)s licencié(e)s. Car, le monde ouvrier a construit sa fierté et sa légitimité sur le travail, et la capacité à produire, à tenir un travail dur. Quand survient le chômage, cette fierté s’en va. Tous les collectifs de travail se dissolvent, et donc une ambiance, des relations, un tissu social (sans imaginer que tout était facile et commode avant). Pour certains, et notamment des ouvrières d’à peine 45 ans, c’est le renoncement à toute carrière professionnelle ; pour beaucoup, le licenciement est vécu comme un échec personnel qui brise l’estime de soi, et entraîne parfois des dépressions. A lire les récits ouvriers, on sait – sans pouvoir le mesurer – que des suppressions d’emploi conduisent à des suicides. Dans les années 90 par exemple, suite au plan social chez Chausson à Creil, une collègue sociologue, Danièle Linhart, a évoqué l’éventualité de quatorze suicides. Évidemment, il est difficile de dire qu’un plan social provoque directement tel ou tel suicide, mais il ruine toujours la santé des ouvrier(e)s licencié(e)s.

La classe ouvrière a-t-elle encore une influence sur le pouvoir ?

D’abord, elle en a rarement eu, même quand la gauche, dans sa diversité, était au pouvoir. Mais la classe politique redoutait le monde ouvrier, et avait besoin de ses suffrages, de sorte qu’une attention et une considération existaient, qui ont largement disparu. Il règne aujourd’hui une forme de mépris de classe de la part d’une bonne partie de la classe politique vis-à-vis du monde ouvrier. Sitôt qu’on s’intéresse à eux, on est suspecté d’ouvriérisme ou de populisme. Et d’ailleurs, Terra Nova, le “Think tank” du PS, a théorisé la possibilité pour le parti socialiste de se passer des voix des classes populaires lors des dernières élections présidentielles. Allez sur leur site : vous y verrez des thématiques et des groupes de réflexion sur tout ou presque, y compris sur le football ! Mais vous y chercherez en vain une lecture sociale des réalités, et des inégalités contemporaines. Pas un texte sur les classes populaires ou le monde ouvrier ; rien non plus sur les paysans, les classes moyennes, etc. C’est invraisemblable – et inquiétant – mais c’est ainsi, et ça en dit long sur la déformation des élites supposées, ou se pensant ainsi. En face, le monde ouvrier a largement perdu une forme de “conscience de soi” et donc aussi de confiance en soi. Les ouvriers ne se pensent, ne se disent, voire ne se revendiquent plus beaucoup comme tels. Ce faisant, le vote de classe s’estompe, et par là toute possibilité d’influence sur les représentants politiques.

Recueilli par David Doucet

Histoire des ouvriers en France au XXe siècle de Xavier Vigna (Perrin, février 2012)

A lire : notre dossier “Nous ouvriers sacrifiés” dans le numéro 880 des Inrockuptibles disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne


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Histoire des ouvriers en France au XXe siècle de Xavier Vigna (Perrin, février 2012)

Présentation de l’éditeur

L’histoire sociale et politique de la « classe ouvrière ». Une synthèse neuve appelée à devenir une référence.

C’est lorsqu’un cycle se termine qu’il faut le raconter. Or, depuis la fin des années 1970, au rythme de la désindustrialisation, le nombre d’ouvriers décline inexorablement. Spécialiste de l’histoire sociale de la France contemporaine, Xavier Vigna a donc décidé de retracer la vie et l’évolution de ces hommes et de ces femmes qui ont profondément marqué la France du XXe siècle. Faisant la part belle aux témoignages, il nous décrit leur quotidien : leur travail, leurs engagements, leurs combats, mais aussi leur vie de famille, leurs logements, leurs loisirs. Enfin, il se penche sur les grands moments qui ont scandé leur histoire, du Front populaire à Mai 1968, en passant par les deux guerres mondiales et la crise des années 1930.

Balayant bien des clichés ? comme les liens indéfectibles entre partis de gauche et classe ouvrière ? et investissant d’autres thèmes ? les femmes, les immigrés, la « centralité » ouvrière ?, cette synthèse novatrice nous livre les clés pour saisir la force et la complexité d’un monde qui incarne le XXe siècle français dans son aspiration à la solidarité comme dans sa récente déstabilisation.

Maître de conférences à l’université de Bourgogne et membre de l’Institut universitaire de France, Xavier Vigna a notamment publiéL’Insubordination ouvrière dans les années 68.

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Présentation de l’éditeur

La mémoire de 68 a largement valorisé le mouvement étudiant. Pourtant, 68 constitue également le plus puissant mouvement de grèves ouvrières que la France a connu, et qui ouvre ensuite une phase décennale de contestation dans les usines. C’est cette séquence d’insubordination ouvrière que Xavier Vigna retrace dans une étude historique pionnière qui s’appuie sur des archives inédites. En croisant tracts, rapports de police et films militants, ce livre analyse d’abord l’événement que constituent les grèves de mai-juin 1968, bien au-delà de la seule scène parisienne souvent réduite à la " forteresse de Billancourt ", et en montre le caractère inaugural. Dès lors, l’insubordination perdure et se traduit par de multiples illégalités. La parole ouvrière qui la nourrit conteste l’ensemble de l’organisation du travail. Relayée selon des modalités complexes par les organisations syndicales et les groupes d’extrême-gauche, cette insubordination échoue pourtant face à la crise économique. Ainsi, ces années 68 constituent également une séquence ouvrière, dont cet essai d’histoire politique des usines entend restituer l’ampleur. Livre d’histoire par conséquent à rebours des discours convenus sur " Mai 68 ", et d’une histoire ouvrière qui se confronte à la sociologie du travail d’alors, il renouvelle largement notre connaissance d’une période ardente et cruciale, celle des années 68.

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Présentation de l’éditeur

Contre la réduction du printemps 1968 à un monôme étudiant, ce livre entend restituer l’épaisseur conflictuelle de ce qui fut un des événements majeurs de l’histoire du siècle dernier. Pendant huit semaines en effet, la société française connut un ébranlement considérable : dans les universités évidemment, mais également dans les usines et sur tous les lieux de travail, dans les campagnes enfin. Il fallait par conséquent décentrer l’analyse au-delà des rives de la Seine vers d’autres régions et envisager la multiplicité des acteurs de ces épisodes : les étudiants comme les ouvriers et tous les salariés, mais aussi les paysans, et bien évidemment l’Etat, qui n’est pas resté impavide ; les organisations politiques et syndicales, au-delà du seul mouvement ouvrier ; les répertoires d’action (les manifestations, les grèves) comme les stratégies pour réprimer et/ou désamorcer la conflictualité (élections et amnisties). Mais comprendre 68 suppose aussi d’opérer une double mise en perspective : en situant ce printemps dans une conflictualité séculaire d’une part, en regard des mouvements de contestation qui secouent le monde d’autre part. Si ce livre n’offre pas un récit du printemps, il permet en revanche de mesurer combien ces huit semaines ébranlèrent la France.


http://www.millebabords.org/spip.php?article21733
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