Chroniques et présentations livres

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 02 Avr 2017, 16:02

Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique
Pierre Bance (éditions Noir et rouge)

Image

La défiance à l’égard des politicien.nes est aujourd’hui quasi-générale. Certes les masques tombent rapidement ces derniers temps et les « affaires » se multipliant, la défiance se renforce. Cependant, aussi étonnant que cela puisse paraître, cette défiance n’engendre pas de remise en question de l’État et du capitalisme ni ne suscite de prise de conscience générale sur le fait qu’ils génèrent hiérarchie et privilèges, d’où la domination d’une minorité sur la majorité. Il est vrai que la menace d’absence d’État est constamment brandie par les autorités politiques, médiatiques et autres qui répètent à l’envi que sans le sacro-saint État, c’est le chaos, c’est l’anarchie…

Pourtant l’ordre sans le pouvoir, l’organisation ensemble et sans la domination… Un système sans hiérarchie, donc sans patriarcat, sans caste, ni privilèges et autres injustices, c’est quand même plus logique et pragmatique que l’arrivée d’un chevalier blanc (ou d’une chevalière) nous prenant pour des imbéciles, ou bien d’une avant-garde garantissant la justice et le bien être du peuple ! Il faudrait « distinguer l’ordre de la bureaucratie et voir cette société pour ce qu’elle est : non pas ordonnée mais bureaucratique, non pas tournée vers la pratique, mais obsédée par les symboles hallucinatoires du pouvoir et de la richesse, non pas réelle et rationnelle […], mais fétichiste et paranoïaque. »

Pour en finir avec toutes les dominations, pourquoi ne pas reconsidérer l’idée du municipalisme libertaire de Murray Bookchin, qui préconisait de « remplacer le capitalisme par une société écologique fondée sur des relations non hiérarchiques, des communautés décentralisées, des technologies écologiques comme l’énergie solaire et l’agriculture biologique, et des industries à l’échelle humaine — bref des formes démocratiques d’établissement, économiquement et structurellement adaptées à l’écosystème où elles se trouvent. » Irréaliste ? Peut-être. Mais attendre que le système se délite de lui-même, quand l’on sait ses capacités à se recycler, et adopter un anticapitalisme qui se borne à critiquer ses dérives et ses aberrations, cela paraît tout aussi irréaliste.

Dans la première partie de son ouvrage, Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, Pierre Bance revient sur l’œuvre de Murray Bookchin, notamment sur « la théorie du municipalisme libertaire [tombée] aux oubliettes [lorsque] des Kurdes, en Turquie et en Syrie, lui donnèrent une nouvelle actualité. Sous le nom de confédéralisme démocratique, ils tentent [en effet] une expérience concrète d’un municipalisme libertaire adapté par Abdullah Öcalan à une situation géopolitique compliquée. »

Dans ce texte, Un autre futur pour le Kurdistan ? Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique, il s’agit ni de rejeter, ni d’adhérer sans restriction à cette tentative, mais plutôt de l’analyser. D’ailleurs, précise Pierre Bance dans le paragraphe intitulé « L’État dans la tête », « les Kurdes ne nous demandent pas de les aider, mais de les accompagner. Considérer leurs idées et leurs réalisations dans un esprit d’ouverture et un soutien critique, c’est un moyen de sortir de la situation décourageante dans laquelle le mouvement social s’enlise, de régénérer la pensée révolutionnaire, de cesser de croire que nous sommes dans l’action et la revendication alors que nous sommes dans la plainte, d’aller chercher ailleurs, non pour projeter notre incapacité sur des mouvements fantasmés, mais pour construire ici. »

Dans l’immédiat, la question n’est pas d’abolir le pouvoir, mais plutôt de définir qui a le pouvoir : une minorité dans sa bulle ou le peuple ? On peut estimer vaine l’expérience émancipatrice menée par la population du Rojava, au Kurdistan, n’empêche que c’est une bonne base pour commencer à remettre en question l’État et le capitalisme que de dire : « la liberté et l’égalité ne peuvent voir le jour sans égalités entre les sexes ».

« Sous l’effet de l’industrialisation culturelle capitaliste, les moyens étatiques de domination [que les Kurdes] dénoncent (nationalisme, sexisme, pouvoir religieux […]) sont confortés au point que “la société consent à sa propre captivité”, mieux, qu’elle finit par considérer les facteurs d’oppression “comme un souffle de liberté”. Si la société résout ses problèmes sans l’État, si elle s’émancipe de sa culture aliénante, elle le marginalise. C’est le projet du confédéralisme démocratique ».

Et si le projet échoue ? Ce n’est pas pour autant qu’il faut se résoudre à l’impuissance.
La Commune n’est pas morte.

http://chroniques-rebelles.info/spip.php?article1042

UN AUTRE FUTUR POUR LE KURDISTAN ?
Municipalisme libertaire et confédéralisme démocratique
Pierre Bance
402 pages – 20 euros
Éditions Noir & Rouge – Paris – février 2017
https://editionsnoiretrouge.com/
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede Lila » 02 Avr 2017, 19:46

« Toutes à y gagner. Vingt ans de féminisme intersyndical »

Image

Vingt ans déjà… En mars 1997, à l’initiative de quelques dizaines de femmes syndicalistes qui se rencontraient dans le mouvement féministe, se sont tenues les premières Journées féministes intersyndicales, à la Bourse du travail à Paris. Cette rencontre a bien existé et n’est pas le fruit de mon imagination… mais il n’en reste pas de traces écrites (du moins, je n’en ai pas retrouvées). Nous appartenions à différentes organisations : CGT, FSU, Solidaires (à l’époque, le Groupe des Dix), et quelques syndicats de la CFDT. Nous n’imaginions pas alors que nous pourrions faire vivre ce projet dans la durée : les contradictions et les différences entre nos organisations pouvaient à tout moment y mettre fin. Mais nous étions convaincues, qu’au-delà de nos différentes appartenances, il y avait des choses à creuser ensemble sur ces enjeux féministes et que les expériences des unes et des autres pouvaient nourrir un débat et des perspectives communes. C’est cela que nous avons réussi à faire vivre ensemble, CGT, FSU et Solidaires.

Alors oui, cela fait bien vingt ans que chaque année nous nous retrouvons à plusieurs centaines de femmes (quelques hommes aussi) pour ces deux journées… À chaque fois, j’ai le sentiment d’une grande bouffée d’air frais, d’un moment d’intelligence et de force collectives.

L’idée de départ était bien de penser le rapport entre syndicalisme et féminisme, de voir ce qui était commun dans nos organisations syndicales respectives, les difficultés que nous y rencontrions et de voir aussi comment il était possible d’être plus fortes ensemble, pour faire changer les choses sur nos lieux de travail et aussi dans nos organisations.

Pour cela, il nous fallait des temps de réflexion déconnectés de notre militantisme quotidien. Notre parti pris a été de partir des inégalités vécues par les femmes sur les lieux de travail, en les reliant aux inégalités existantes dans tous les domaines de la vie sociale et personnelle des femmes. Bref, il s’agit bien de voir comment la domination patriarcale s’exerce sur nos vies entières et comment notre engagement syndical peut relier inégalités sociales et inégalités de genre.

Il nous fallait aussi comprendre comment notre vécu quotidien, au travail mais aussi dans le syndicat, reproduisait ces inégalités. L’apport des chercheuses (et de quelques chercheurs) a été déterminant. En nous permettant de « lever le nez du guidon », en nous faisant partager leurs analyses, en nous interrogeant sur nos expériences, elles (et ils) nous ont permis de mieux comprendre la « fabrique » et la persistance des discriminations, mais aussi des évolutions et des changements dans la société, parfois positifs, mais pas toujours… Les regards historiques ont permis de mesurer le chemin parcouru, et surtout de rappeler que les avancées des droits des femmes sont toujours le fruit des mobilisations et des luttes des premières concernées.

Nous avons toujours eu le souci de croiser ces analyses « universitaires » avec les témoignages et réflexions de syndicalistes, d’ici ou d’ailleurs. C’est sans doute l’originalité de ces journées et la raison de leur succès.

Année après année, c’est devenu un rendez-vous incontournable pour certaines d’entre nous. Comme une « petite escapade », qui nous permet de repenser notre vécu !

Durant ces années, une question m’a taraudé : comment « transmettre » et faire partager ces enjeux à de nouvelles syndicalistes, plus jeunes, qui ne se reconnaissaient pas nécessairement dans les luttes féministes qui nous avaient portées. Il faut dire que le discours dominant (à la fin du 20e siècle) était que, dans notre pays, l’égalité était acquise pour les femmes… Les plus jeunes se sont pourtant heurtées à la réalité, faite de discriminations et de violences persistantes à l’école, dans la rue, dans la famille, au travail, dans les médias… De nouvelles syndicalistes, plus jeunes, sont venues et revenues dans ces journées. De nouvelles générations de chercheuses également, qui ont soulevé de nouvelles questions, de nouvelles réflexions.

Alors, vingt ans après, mission accomplie ? Bien sûr que non si l’on regarde la place des femmes dans nos organisations ou les inégalités persistantes… La domination patriarcale n’a pas disparu. Mais des pas en avant ont été faits, les discriminations et les attitudes sexistes apparaissent comme intolérables. L’exigence d’égalité persiste. De la pensée et de l’énergie collective se dégagent toujours de nos rencontres et nous rendent plus fortes pour mener les batailles, petites ou grandes, pour que « les luttes des femmes changent la vie entière » pour reprendre un slogan féministe des années 1970.

Je voudrais associer quelques noms à ce texte : Frédérique Barrot, Marie-France Boutroue, Anne Leclerc, Sophie Zafari, Mathilde Sally-Bounde… Ces copines avec qui nous avons porté ces journées, parfois dans l’urgence et sur le fil du rasoir (dans la préparation et l’organisation), dans l’agacement partagé que nos organisations ne se mobilisaient pas toujours à la hauteur des enjeux. Ensemble, nous avons aussi vécu de bons moments, notamment à la fin de ces journées quand une fois encore, les participantes nous disaient leur satisfaction…

Je voudrais aussi témoigner de l’accueil toujours bienveillant des chercheuses et chercheurs que nous avons invités. Elles ont toujours été intéressées par ces journées et certaines nous ont souvent dit le grand intérêt que représentait cet espace à leurs yeux, et sa capacité à durer. En particulier, remercier Rachel Silvera que nous avons souvent sollicitée et qui nous a toujours soutenue très chaleureusement.

Vous avez entre les mains ce livre qui reprend une grande partie des interventions faites dans ces journées. Pas toutes les interventions, certaines n’ont jamais été retranscrites. Et nous avons dû faire des choix. Nous avons gardé celles qui nous semblaient les plus explicites dans leur thématique, celles qui, plus anciennes, montraient les évolutions, et celles qui donnent à voir la diversité des thèmes traités. Ce livre n’aurait pas existé sans le travail que nous avons fait, avec Nina Charrier et Élodie De Coster, pour rechercher les textes, les relire et les sélectionner. Et sans Annick Legue qui a dû retaper une partie des textes que nous n’avions qu’en archives papier… Merci à Évelyne Bechtold-Rognon qui a coordonné ce livre avec l’Institut de recherches de la FSU, et aux éditions Syllepse.

Un dernier remerciement pour Mirabelle Cruells-Thouvenot, notre traiteuse de l’association Milleplateaux (http://lemilleplateaux.blogspot.fr), qui nous a souvent nourries avec de très bonnes choses lors de ces journées, et aux militants (souvent des hommes…) qui ont assuré le café du matin et l’apéro féministe…

Vous avez ce livre entre les mains, vous pouvez le feuilleter, y retrouver des réflexions qui nourriront votre pensée et vos actions. Il témoigne en tout cas de ce qui a été pour moi sans doute parmi les meilleurs moments de mon engagement syndical !

Alors, longue vie aux Journées intersyndicales Femmes !

Annick Coupé1


Table des matières

Avant-propos. Le temps de la lutte, Annick Coupé

Femmes et travail
◾Le cas du travail à temps partiel (1999), Tania Angeloff
◾Pauvreté et précarisation : l’état des lieux en France (2000), Claire Villiers
◾L’état des inégalités en Europe depuis dix ans (2003), Rachel Silvera
◾Quelle égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les fonctions publiques ? (2012), Françoise Milewski
◾Un siècle de travail des femmes : 1901-2011 (2014), Margaret Maruani et Monique Méron
◾L’enjeu des classifications (2015), Sophie Binet

Domesticité et services à la personne
◾Un si long chemin vers l’égalité (2015), Ana Azaria
◾Les aides à domicile, un autre monde populaire (2015), Christelle Avril
◾les emplois domestiques en Italie et en France (2015), Francesca Scrinzi
◾Le travail domestique : des logiques prégnantes pour les femmes (1999), Annie Dussuet

Le temps des femmes
◾Le temps des femmes : un enjeu social (1999), Annette Langevin
◾L’engagement syndical (2005), Yannick Le Quentrec
◾Les 35 heures, effets sur les temps des hommes et des femmes (2005), Isabelle Puech

Politiques familiales et politiques publiques
◾Politiques familiales et politiques publiques : historique, état des lieux et évolution (2003), Christine Castelin-Meunier
◾La politique de la famille (2003), Jacques Commaille
◾Politiques publiques : l’exemple allemand (2014), Jeanne Fagnani

Les enjeux de la mixité
◾Rapport aux savoirs et égalité des sexes (2001), Nicole Mosconi
◾L’informatique a-t-elle un sexe ? (2007), Isabelle Collet

Femmes et santé
◾Chausser les lunettes du genre pour comprendre les conditions de travail (2006), Laurent Vogel
◾L’engagement syndical pour la santé des femmes au travail (2016), Michèle Rault
◾La santé au travail des femmes dans la fonction publique (2016), Sigrid Gérardin

Femmes dans la crise
◾Les dessous de la crise économique et des politiques publiques : de nouveaux risques pour les femmes (2010), Rachel Silvera
◾Les conséquences des politiques d’austérité pour les femmes en Grèce (2013), Sia Anagnostopolou

Les femmes et les enjeux européens
◾L’Europe, un espace d’égalité pour les femmes ? (2004), Monique Dental
◾Les différentes conceptions de l’égalité en Europe (2004), Marie Thérèse Letablier
◾Egalité hommes-femmes dans la constitution européenne : un affichage mensonger (2005), Christiane Marty

Mondialisation et enjeux pour les femmes
◾Les femmes dans les printemps arabes (2012), Marguerite Rollinde
◾Femmes dans les printemps arabes (2012), Nawla Darwiche, Egypte, Wassila Ayachi, Tunisie
◾Ce que le genre fait à l’analyse de la mondialisation néolibérale (2016), Jules Falquet
◾La lutte des femmes de ménage du ministère des finances en Grèce (2016), Anna Poulaki Kioutsokiozoglou et Despoina Kostopoulou
◾Genre et conflits (2010), Marguerite Rollinde
◾Femmes et migration dans la mondialisation (2009), Christine Catarino

Femmes et syndicalisme
◾Les femmes dans les luttes et les mouvements sociaux (1998), Josette Trat
◾Mouvement ouvrier et mouvement féministe (1998), Françoise Picq
◾Flora Tristan et l’Union ouvrière (1998), Eléni Varikas
◾Mixité : les leçons du syndicalisme anglais (2015), Cécile Guillaume
◾Syndicats et genre en Allemagne (2015), Ingrid Artus

Les enjeux d’un langage égalitaire
◾De la féminisation des noms de métier à l’égalité femmes-hommes : réflexion sur l’enjeu politique d’un usage linguistique (2011), Claudie Baudino
◾Des mots pour exister (2011), Chantal Santerre
◾Une brochure utile, Sabine Reynosa

Femmes et création
◾La féminisation de la création artistique professionnelle : obstacles et ressorts (2015), Marie Buscatto

Femmes et extrême droite
◾Le front national et la cause des femmes françaises (2013), Sylvain Crépon

Lesbophobie et féminisme
◾Lesbianisme et féminisme : une histoire tourmentée (2012), Natacha Chetcuti
◾Sos homophobie (2011)
◾Libération sexuelle et liberté des femmes : quarante ans après (2007), Françoise Collin


Le corps des femmes et ses enjeux
◾Les nouvelles lois bioéthiques (2009), Marie Jacek
◾Bioéthique et féminisme (2009), Danièle Gaudry
◾Brèves considérations autour des représentations contemporaines du corps (2008), Michela Marzano
◾Le sport au crible du genre (2012), Cécile Ottogalli-Mazzacavallo et Anne Roger
◾L’impact du genre sur le vêtement des femmes (2013), Christine Bard

La question des violences
◾La violence conjugale (2000), Viviane Monnier
◾Contre les violences faites aux femmes (2011), Suzy Rotjman
◾Les enjeux de la lutte contre les violences faites aux femmes (2011), Manu Pie
◾Violences au travail (2011), Marilyne Baldeck
◾La prostitution, un droit de l’homme ? (2007), Claudine Legardinier
◾Le système prostitutionnel, pourquoi notre organisation syndicale doit-elle se préoccuper de ce sujet ? (2006), Elisabeth Claude

Les enjeux féministes
◾Qu’est-ce que la division sexuelle du travail, Danièle Kergoat
◾L’oppression spécifique des femmes : une construction sociale (1998), Jacqueline Heinen
◾Trente ans de mouvement des femmes (1998), Maya Surduts
◾L’égalité hommes-femmes : une utopie ? (2006), Michèle Riot-Sarcey
◾Le féminisme, quels enjeux aujourd’hui ? (2006), Françoise Collin
◾Le bel après mai des femmes (2008), Françoise Picq
◾Le loup a changé de camp (2014), Elsa Dorlin

La CGT, F.S.U, Union syndicale Solidaires

Coordination : Évelyne Bechtold-Rognon, Nina Charlier, Annick Coupé, Élodie De Coster, Sigrid Gérardin, Cécile Gondard-Lalanne, Clémence Helfer : Toutes à y gagner. Vingt ans de féminisme intersyndical

Editions Syllepse,
https://www.syllepse.net/lng_FR_srub_22 ... agner.html
Paris 2017, 544 pages, 20 euros

1 Annick Coupé est cofondatrice de SUD-PTT, porte parole de l’Union syndicale Solidaires jusqu’en 2014

Avatar de l’utilisateur-trice
Lila
 
Messages: 2322
Enregistré le: 07 Mar 2014, 11:13

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 09 Avr 2017, 16:37

Le Papier Mâché, un restaurant-librairie autogéré (1978-1985) – Christian Vaillant – Editions Repas (2016)

Image

Dans ce petit livre très vivant, l’auteur – qui fut l’un des principaux animateurs du Papier mâché dans le Vieux-Nice de 1978 à 1985 et le seul à y avoir été salarié de manière continue tout au long de cette expérience – insiste à juste titre sur le contexte local et national, et le lien entre le projet du Papier mâché avec les aspirations radicales de l’après-68 à vivre autrement, à mettre en pratique les principes d’autogestion, y compris dans la vie quotidienne avec le phénomène communautaire, élément-clé de la contre-culture des années 1960 et 1970 mais très largement ignoré dans le discours habituel de la gauche radicale elle-même sur l’après-68.

Le projet du Papier mâché – dont l’auteur est l’un des concepteurs – se veut « lieu d’animation et d’échanges, de réflexion et de convivialité de toute la mouvance d’extrême-gauche mais aussi de la population en général ».

L’articulation entre ce contexte et l’expérience du Papier mâché est présente dans la conception du fonctionnement de cette expérience : l’autogestion, les principes d’égalité salariale et de décisions collectives qualifiées de démocratie directe par l’auteur, la rotation des tâches même si celle-ci est compliquée dans sa mise en œuvre. Ces décisions sont prises par un collectif au fonctionnement régulier, associant les salarié-e-s du Papier mâché et plus largement celles et ceux qui se veulent partie prenante du projet. Les femmes y sont aussi nombreuses que les hommes – « le collectif est strictement paritaire sans que cela ait été recherché » – et une forte sensibilité féministe constitue l’un des éléments moteurs du projet puis du collectif du Papier mâché. L’auteur ne dissimule aucunement les difficultés de ce type de fonctionnement collectif et autogéré, les tensions et les crises, mais sa conclusion est claire : globalement, ces tensions sont vivables et ces crises surmontables précisément parce qu’il existe un espace permanent d’expression et d’échanges qui seul permet de les limiter.

L’essentiel du livre, au-delà de l’évocation pertinente du contexte, est consacré au récit de l’expérience elle-même, et en évoque les différents aspects. On peut en retenir par exemple l’articulation entre l’activité de la restauration et ses succès, le caractère ouvert des embauches et de la participation sans condition de qualification, au contraire de la librairie centrée sur l’activité spécifique d’un salarié nécessairement qualifié, même si d’autres le relaient de temps à autre.

Concernant la librairie, l’auteur rappelle qu’avant sa mise en place, de vifs débats ont partagé le collectif du Papier mâché sur l’optique à prendre : librairie générale ou librairie militante ? Librairie populaire ou librairie élitiste ? Sur fond idéologique alors de « remise en cause des catégories académiques », c’est pourtant le pragmatisme qui prévaudra et une optique intermédiaire entre ces options de ces deux questionnements.

On peut encore en retenir les raisons du choix du statut juridique, celui d’une coopérative de consommation, cadre considéré comme le plus approprié au projet initial du Papier mâché. Le récit évoque aussi l’ouverture du projet à la projection de films, aux expositions avec les artistes locaux – et sous la bienveillance de Ben, présent à tous les vernissages – à la mise en route d’ateliers avec les enfants du quartier du Vieux-Nice où est situé le Papier mâché, à l’ouverture de salles de réunion parfois utilisées par la gauche alternative de ce temps.

L’auteur épingle en introduction les forces politiques de la gauche radicale et les travaux sur l’autogestion qui n’accordent qu’une faible place au « grand nombre de lieux de vie ou de lieux travail autogérés qui se sont créés à cette époque », à l’image du Papier mâché. Une critique qui sonne juste et qui appelle à faire toute la place qui leur revient à ces expériences riches et foisonnantes, largement oubliées ou passées sous silence alors qu’elles sont directement liées aux aspirations à l’autogestion, aux exigences d’un autre mode de vie et d’autres relations humaines et sociales qu’on peut commencer à construire et à pratiquer sans attendre le changement de société, même quand celui-ci apparaît nécessaire.

Une réflexion politique est nécessaire sur les traces laissées par de telles expériences et le lien, dans le sens d’une continuité et sous des formes différentes, qu’on peut établir entre elles et la diffusion continue depuis plusieurs années des expériences coopératives, de l’économie sociale et solidaire – en dépit de toutes ses ambiguïtés – et des aspirations toujours vivaces à vivre, à produire et consommer autrement, notamment dans les jeunes générations, que ce soit en milieu urbain ou en milieu rural. Ces aspirations ne sont pas totalement ignorées dans le champ politique actuel, comme le montre dans une sorte de reflet déformé la prise en compte cependant bien réelle à gauche de la thématique écologiste.

Favoriser ces pratiques du passé, les faire connaître et les raccorder aux réalités du présent, n’est-ce pas aussi contribuer à faire la démonstration qu’une autre société est toujours possible, et préparer ainsi les ruptures nécessaires pour la société autogérée de demain ?

http://www.autogestion.asso.fr/?p=6665#more-6665
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede Lila » 09 Avr 2017, 21:49

Presses Universitaires de Rennes

Parution : Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ?

[ Nouvelle publication]

Image

Les PUR ont le plaisir de vous annoncer la parution de l'ouvrage

« Prolétaires de tous les pays, qui lave vos chaussettes ? »

Le genre de l’engagement dans les années 1968
2017
Ludivine Bantigny, Fanny Bugnon et Fanny Gallot (dir.)
Les « années 1968 » ont-elles été une époque de contestation des rôles de genre, des stéréotypes sexués ou des clichés virilistes ? Pour le savoir, ce livre veut saisir l’influence du genre dans les multiples formes de positionnement et de conflictualité politique, dans les organisations syndicales comme les groupes et partis politiques, les mouvements associatifs et les collectifs militants, dans cette période marquée par de nouvell! es dynamiques féministes. Avec le soutien d’EFiGiES, de l’Institut de recherche interdisciplinaire homme société (IRIHS) et le groupe de recherche d’Histoire de l’université de Rouen.

ISBN : 978-2-7535-5231-9
Prix : 20 €

Auteur(s) :
Cet ouvrage est dirigé par les historiennesLudivine Bantigny (université de Rouen), Fanny Bugnon (université Rennes 2) et Fanny Gallot (université de Paris-Est-Créteil). Il recueille les contributions de Claire Blandin, Andrea Cavazzini, Maritza Felices-Luna, Anna Frisone, Vincent Gay, Dominique Grisard, Manus McGrogan, Ève Meuret-Campfort, Myriam Paris, Bibia Pavard, Vincent Porhel, Massimo Prearo, Ophélie Rillon, Caroline Rolland-Diamond, Cristina Scheibe-Wolff, Frédéric Thomas, Lorraine Wiss etMichelle Zancarini-Fournel.
Avatar de l’utilisateur-trice
Lila
 
Messages: 2322
Enregistré le: 07 Mar 2014, 11:13

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 13 Avr 2017, 12:00

¡ DURO COMPAÑER@S ! - Oaxaca 2006 : Récits d’une insurrection mexicaine

Image

Le 15 mai 2006, le Syndicat National des Travailleurs de l’Éducation (S.N.T.E.) décide, comme chaque année, d’occuper la place principale de la capitale de l’État d’Oaxaca afin de faire pression sur le gouvernement et obtenir un budget plus important pour acheter des livres et du matériel mais aussi des chaussures pour les élèves, pour financer les transports et des petits-déjeuners.
Le 14 juin, à quatre heures trente du matin, 2 000 policiers envahissent la place pour l’évacuer. Rejoints par la population prévenue par la radio, après six heures d’affrontements, les enseignants repoussent l’assaut.

Ce même jour, Pauline Rosen-Cros, jeune photographe lyonnaise, arrive à Oaxaca et va se trouver brusquement immergée dans ces évènements qu’elle va chercher à comprendre.

Le 17 juin, l’Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca (A.P.P.O.) est constituée par plus de 360 organisations sociales (et jusqu’à 600 par la suite). Désormais, les insurgés veulent faire constater l’ingobernabilidad de l’État d’Oaxaca par le Sénat et destituer le gouverneur Ulises Ruiz Ortiz dont l’élection est entachée de nombreuses irrégularités et qui ne peut justifier, avec son prédécesseur, de l’utilisation de 4 719 300 000 euros pendant les 8 années précédentes. L’A.P.P.O. promeut « dans la pratique les valeurs de solidarité, de fraternité, de confiance, d’esprit d’entraide, de réciprocité, la valeur de la parole donnée et l’amour révolutionnaire ». Elle ne recherche « ni le progrès, ni le développement, mais seulement le bonheur pour tous les Oaxaqueños. » Le but du principe de comunalidad est la production pour le bien commun. Des assemblées verront le jour dans tout l’État et au-delà.

Pauline Rosen-Cros alterne les récits personnels, à la manière d’un journal, avec les témoignages directs, extraits d’entretiens et d’articles. Elle revient à Oaxaca d’octobre 2007 à juin 2008, participe alors à des manifestations, aux Assemblées Populaires et aux Premières Rencontres Intergalactiques des femmes zapatistes avec les femmes du monde au Chiapas, à une "caravane des jeunes" qui va parcourir l’État, étendu sur 94 000 km2, divisé en huit régions et peuplé de 3,5 millions d’habitants, pour chercher à relier les luttes. Elle interviewe des militants, dont certains ont subi la répression, l’emprisonnement arbitraire et la torture.
Forte de cette important documentation, elle cherche à comprendre les situations et les enjeux. Elle décrit un système de corruption institutionnalisé. Le Gouvernement fédéral, avec le soutien des élus locaux, au nom des traités économiques libéraux internationaux, prive les habitants de leurs villages, de leur eau, dépouille les paysans analphabètes de leurs terres communales pour en extraire les ressources à des fins privées. Elle cite les cours de David Garibay, son professeur en Sciences politiques à l’Université de Lyon, pour expliquer la doctrine de la lutte anti-insurrectionnelle, mise au point par l’armée française en Algérie puis en Indochine, enseignée, avec l’aide des États-Unis, dès 1957 à des officiers argentins puis, à la plupart des polices et armées d’Amérique Latine. Un accord de « coopération technique en matière de sécurité publique entre le gouvernement de la République Française et le gouvernement des États Unis du Mexique » a été signé en 1998. En 2009, Nicolas Sarkozy offrait « une police scientifique » au président Calderón.
Les 25 et 26 novembre, l’armée écrase l’insurrection qui a duré plus de six mois : 26 morts recensés, des centaines d’arrestations, des dizaines de disparus.

Si ce livre s’adresse avant tout à ceux qui veulent en savoir plus, il est nécessaire au vu du faible nombre de publications en français sur l’insurrection d’Oaxaca. Un travail remarquable qui joint le témoignage personnel à un important matériel documentaire, pour rendre compte et permettre de comprendre.

¡ DURO COMPAÑER@S !
Oaxaca 2006 : Récits d’une insurrection mexicaine
Pauline Rosen-Cros
368 pages – 7 euros
Éditions Tahin Party – Lyon – octobre 2010
http://tahin-party.org/
L’éditeur a mis cet ouvrage à disposition intégralement en ligne :
http://tahin-party.org/textes/Oaxaca-2006.pdf

http://bibliothequefahrenheit.blogspot. ... .html#more
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede Lila » 17 Avr 2017, 18:55

Faire resurgir l’histoire des dominé-e-s, des oublié-es, des marginalisé-e-s

Image

« En juin 1970, un scandale éclate à l’île de La Réunion : des milliers d’avortements sans consentement auraient été pratiqués par des médecins, qui auraient prétexté des opérations bénignes pour se faire ensuite rembourser par la Sécurité sociale ».

Avortement interdit en un lieu, pratiqué dans un autre lieu, un même contrôle du corps des femmes mais par des pratiques différenciées, « les politiques de reproduction sont adaptées aux besoins de la ligne de couleur dans l’organisation de la main-d’oeuvre : le ventre des femmes a été racialisé »

Dans son introduction, Françoise Vergès parle des départements d’outre-mer (DOM), de contrôle des naissances, de la notion de « surpopulation », de cartographie mutilée de la République française, d’« invention de la décolonisation »…

L’auteure propose d’analyser les « politiques de la reproduction » dans le long temps colonial, de « questionner la structure du récit » de l’histoire dite de France, de regarder du coté de la colonialité du pouvoir, d’étudier la dimension racisée de l’assignation des femmes à la reproduction, de questionner « un universalisme qui masque un particularisme », d’observer « ce qui se joue dans les processus d’inégalité de genre, de classe, de racisation sur les territoires de la République issus de son empire colonial esclavagiste ».

Un livre de réparation historique envers des femmes des outre-mer racisées, méprisées et exploitées. Un livre sur les processus d’oubli en politique, sur l’existence de multiples temporalités et spatialités de la « postcolonialité républicaine », sur la prolifération de formes et de politiques qui assurent la colonialité du pouvoir, sur celles et ceux qui ne seraient pas « modernes » en regard d’une Europe agissant « comme un référent silencieux »

L’auteure insiste sur la chaine qui relie « la racialisation du travail servile, le droit à la propriété, le Blanc et la citoyenneté », le « postcolonial » qui n’indique pas « une temporalité, mais une politique » (sur ces notions et vocabulaires et leur critique, je rappelle l’avant-propos de Thierry Labica à Vasant Kaiwar : L’Orient postcolonial. Sur la « provincialisation » de l’Europe et la théorie postcoloniale, avant-propos-a-vasant-kaiwar-lorient-postcolonial-sur-la-provincialisation-de-leurope-et-la-theorie-postcoloniale/ https://entreleslignesentrelesmots.word ... coloniale/).

Il ne s’agit pas d’un livre sur la condition des femmes dans les DOM, « …mon propos est bien plutôt de comprendre pourquoi le scandale des avortements forcés en outre-mer n’a pas été au centre des luttes du Mouvement de libération des femmes (MLF) autour de la contraception et de l’avortement ; pourquoi ce mouvement si radical, qui a mené des luttes antiracistes, anticapitalistes et anti-impérialistes, n’a pas perçu ce que ce scandale révélait de l’existence d’un patriarcat d’Etat racial dans la République ; pourquoi il n’a pas pu analyser les avortements forcés dans les DOM comme une gestion racialisée du ventre des femmes »

La dénonciation des avortements forcés ne pouvait être « au centre des luttes » pour l’IVG en France (les DOM TOM n’étaient et ne sauraient être acceptés comme « françaises » – ce qui n’interdisait pas de souligner les doubles langages et pratiques des institutions). Par contre, la lutte internationale pour le droit à l’avortement pour toutes aurait certainement du être accompagnée de la dénonciation des politiques d’avortement ou de stérilisation forcées, et pas seulement dans les DOM (cf, entre autres, la critique des Africaines-Américaines aux féministes blanches étasuniennes).

Aujourd’hui certains courants féministes parlent de « défense des droits sexuels et reproductifs des femmes », pour mieux prendre en compte les différentes assignations, les interdits ou les pratiques concernant le sexe des femmes, les gestions politiques racisés ou non « du ventre des femmes ». Au delà des diverses politiques, institutionnelles ou non – et de leurs histoires spécifiques -, c’est bien à chaque fois, les droits et l’autodétermination des femmes qui sont en cause. Dois-je ajouter que ces combats se renforcent mutuellement. Ils concourent, dans le respect de l’auto-organisation de « chacune », des agendas choisis et des revendications spécifiques mises en avant, à l’universalisation politique et concrète des combats des femmes pour leurs droits.

Françoise Vergès analyse, entre autres, les pratiques de contrôle des naissances, les abus de pouvoirs et l’impunité des médecins, le mépris « de classe et de race », la « racisation des pratiques de l’Etat », le « honteux » et le « caché », la propagande antinataliste dans les territoires d’outre-mer et la propagande nataliste en métropole… « Un monde masculin et blanc défend la nécessité d’intervenir sur leur corps, il dispose du soutien de l’appareil d’Etat,de l’Ordre des médecins, de médias, de la hiérarchie de l’Eglise, de la police et de la justice ».

L’auteure revient sur la traite et la période esclavagiste, la période du travail forcé, les luttes des colonisé-e-s, le viol des femmes ou la gestion de leurs ventres. Elle aborde aussi la « théorie coloniale et raciste des climats » ou les liens entre « natalité et grandeur de la nation française », la « longue histoire des inégalités de genre, de classe et de race », les discours sur les relations avec les populations colonisées, le maintien d’un « espace postcolonial régi par la France », la répression des insurrections et des manifestations pour l’égalité et la liberté…

Dans les espaces colonisés rebaptisés départements, le développement est pensé comme un rattrapage, les aides le sont surtout pour les entreprises du BTP, les salaires sont significativement moindres que sur le territoire métropolitain alors que le coût de la vie y est plus élevé, la fraude électorale particulièrement importante, le peuplement alimenté par l’immigration blanche, la qualification de surpopulation pour les personnes racisées, les DOM et une « équation à trois termes : la surpopulation, l’impossible développement et la nécessité d’organiser l’émigration », la création du Bureau des migrations des départements d’outre-mer (BUMIDOM) « la forclusion de l’avenir, la persistance du message « L’avenir est ailleurs » », la personnalisation des problèmes sociaux et économiques, le vocabulaire de l’expertise soit-disant neutre, « Les avortements forcés n’étaient pas simplement la trace d’un passé qui tardait à mourir, un abus de pouvoir isolé »…

Je souligne les passages sur l’oubli du « racial » (je préfère les formules parlant de rapport de racisation), l’instrumentalisation du droit des femmes, la nécessaire prise en compte de l’histoire, la critique de l’homogénéisation et de l’uniformisation de la domination des femmes, le refoulement du colonial dans l’imaginaire républicain, la conception universalisante abstraite…

« Au cœur de la nuit de l’esclavage, des utopies émancipatrices, dans lesquelles les femmes jouèrent un rôle, produisirent une rupture : il existait des alternatives »

J’ai laissé de coté certains points qui me paraissent discutables, les critiques non historicisées de courants ou de féministes, l’absence de critiques envers d’autres courants dont le Parti Communiste Réunionnais (PCR) ou le Front de Libération National (FLN) algérien, le gommage des contradictions internes aux rapports sociaux et aux luttes d’émancipation, la focalisation parfois sur une fantasmatique classe moyenne ou un mode de vie bourgeois, l’utilisation du mot « peuple » sans prendre en compte les divisions sociales.

Il me semble important de revenir sur ces « avortements sans consentement », l’oubli des relations coloniales – d’hier et d’aujourd’hui – et pas seulement dans les « poussières de l’empire », ces mal-nommés Départements ou Territoires d’Outre-Mer, l’« histoire mutilée » et la « cartographie mutilée », les processus de racisation, les passés et leurs marques présentes des systèmes esclavagistes et colonialistes, la « colonialité du pouvoir », les imbrications des rapports sociaux (intersectionnalité) et leurs histoires spécifiques suivant les lieux et les temps…

« Les bonnes manières de l’ordre social exigent de mettre de coté les sujets qui fâchent, esclavage, exil des enfants réunionnais, avortements forcés… ».

.

De l’auteure :

Interview : Françoise Vergès, « Le ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme » : http://www.cetri.be/Interview-Francoise-Verges-Le

L’homme prédateur. Ce que nous enseigne l’esclavage sur notre temps, une-experience-humaine/ https://entreleslignesentrelesmots.word ... e-humaine/

Entretien dans Comment s’en sortir ? #1, les-murs-renverses-deviennent-des-ponts/ https://entreleslignesentrelesmots.word ... des-ponts/


Françoise Vergès : Le ventre des femmes
Capitalisme, racialisation, féminisme
Albin Michel – Bibliothèque Idées, Paris 2017, 232 pages, 20 euros

Didier Epsztajn

https://entreleslignesentrelesmots.word ... more-28831
Avatar de l’utilisateur-trice
Lila
 
Messages: 2322
Enregistré le: 07 Mar 2014, 11:13

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 29 Avr 2017, 16:35

Préface de Michael Löwy « Le Kurdistan libertaire nous concerne ! » à l’ouvrage collectif : La commune de Rojava. L’alternative kurde à l’Etat-nation

Image

L’opinion occidentale a pris connaissance de l’existence du Rojava en 2014 lors de la bataille de Kobané, quand les combattantes et combattants des YPG-YPJ ont réussi ce que l’armée du régime dictatorial d’Assad ou celle du gouvernement iraquien, avec leurs soutiens russes et américains, n’ont pas pu : infliger une défaite militaire et politique à Daech. Les photos des miliciennes kurdes fusil au poing, dans la première ligne du combat contre le fascisme « islamiste », ont fait le tour du monde, révélant à des lecteurs surpris et étonnés une expérience singulière : le Rojava libertaire.

Ce que tentent d’accomplir ces révolutionnaires des cantons du nord de la Syrie est sans précédent : rassembler, par une auto-organisation communautaire d’en bas, les populations kurdes, arabes, assyriennes, yézidies, dans une confédération laïque, au-delà du sectarisme religieux et des haines nationalistes ; mettre l’écologie et le féminisme au cœur d’un projet anticapitaliste, antipatriarcal et anti-étatiste ; impulser l’égalité entre hommes et femmes par la coprésidence de toutes les instances, et la création d’une force armée composée de femmes ; inventer une forme de pouvoir politique démocratique décentralisé, basé sur les assemblées communales, au-delà de l’État : le confédéralisme démocratique. Cette expérience inouïe s’accomplit dans des circonstances dramatiques, dans un affrontement permanent avec des forces régressives puissantes et implacables. Dans une région du monde déchirée par l’intolérance religieuse, les combats exterminateurs entre nationalismes, la violence aveugle, les guerres entre clans plus réactionnaires les uns que les autres, les interventions de puissances impérialistes, et l’hégémonie du capitalisme sous sa forme la plus brutale, le Kurdistan libertaire apparaît comme une petite flamme d’utopie, une lumière d’espoir, un havre de démocratie.

Le Kurdistan libertaire n’a pas d’équivalent dans le monde. La seule initiative comparable est celle des communautés zapatistes du Chiapas, fondées, elles aussi, sur la démocratie directe, l’auto-organisation à la base, le refus des logiques capitalistes et étatiques, la lutte pour l’égalité entre hommes et femmes. Une alliance entre ces deux expériences porteuses d’avenir est en train de se construire, dans le respect des différences : la plus évidente est le choix des zapatistes de ne pas utiliser, pour le moment, les armes  n choix qui n’est pas possible pour les révolutionnaires kurdes, condamnés à prendre en main leur autodéfense armée s’ils veulent survivre.

Le combat du Rojava nous concerne. Il concerne les écologistes, les féministes, les marxistes, les libertaires, les antisystémiques, les antifascistes du monde entier. Il a besoin, pour survivre, de notre solidarité, de notre soutien, de notre sympathie. Ce n’est pas une affaire humanitaire, c’est un enjeu politique de toute première importance, et non seulement pour l’avenir de la Syrie ou du Moyen-Orient.

Certes, comme toute expérience réelle – et pas purement littéraire -, celle-ci est traversée de problèmes et contradictions. Comment concilier l’anti-autoritarisme avec le culte de la personnalité d’Öcalan ? C’est une vraie question, même s’il faut reconnaître que le fondateur du PKK, embastillé depuis presque vingt années, n’exerce qu’une autorité morale et intellectuelle : les décisions sont prises par les instances démocratiques du mouvement. Comment mener une guerre contre des adversaires impitoyables en respectant les droits de l’homme et les populations civiles ? Amnesty International accuse les YPG-YPJ d’avoir pratiqué des formes d’épuration ethnique dans certains villages arabes ; dans un interview publié dans ce recueil, Salih Muslim, le coprésident du Parti de l’union démocratique (PYD) de Syrie, le nie et invite des journalistes étrangers à venir vérifier ces accusations sur place. Ceci pour dire que notre soutien doit être solidaire, mais pas acritique…

Le Kurdistan libertaire est une expérience fragile, en grand danger. Le Rojava est entouré d’ennemis puissants qui rêvent d’écraser ce foyer subversif : les fascistes de Daech, l’adversaire le plus immédiat, le plus violent et le plus inhumain ; le régime autoritaire fascisant d’Erdogan en Turquie, qui a fait des Kurdes son ennemi principal ; le régime autoritaire d’Assad, qui pour le moment respecte une trêve provisoire, mais qui n’a aucune intention de tolérer un Rojava autonome et démocratique. L’opposition au régime d’Assad pourrait être un allié, mais pour le moment celui-ci refuse de reconnaître les droits de la minorité kurde en Syrie.

La culture révolutionnaire du mouvement kurde, après le « changement de paradigme » du PKK, est étonnante. Le féminisme occupe une place centrale et décisive, plus que dans aucun mouvement de libération du passé. Comme le rappelle Dilar Dirik, dans un des textes les plus émouvants de ce recueil, le féminisme pour le PKK n’est pas seulement un objectif mais une méthode dans le processus de libération. Cette option politique est fondée sur une réflexion anthropologique qui situe dans un passé lointain des formes de vie égalitaires, antérieures au patriarcat (Friedrich Engels avait formulé la même hypothèse dans L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État). La contribution de Fadile Yildirim dans ce volume documente cette vision féministe de l’histoire. Il ne s’agit pas de revenir à ce passé primitif, à l’époque de la déesse-mère, mais de s’en inspirer pour critiquer le présent – patriarcal et capitaliste – et pour viser un avenir émancipé. Comme chez William Morris ou Ernst Bloch, nous avons ici affaire à une culture romantique révolutionnaire, dans le sens le plus élevé de ce terme.

La découverte par Öcalan des écrits du libertaire nord-américain Murray Bookchin, partisan d’un socialisme municipaliste et écologique, a été un moment essentiel du tournant. Les témoignages de Janet Biehl, la compagne de Bookchin lors des vingt dernières années de sa vie, font état du dialogue entre les deux révolutionnaires. Certes, tout n’est pas évident dans cette démarche fondée sur les communautés locales, aussi bien chez Bookchin que dans le confédéralisme démocratique du PKK : comment passer de cet échelon local à la gestion démocratique d’une région ou d’un pays (qui ne peut pas être une simple « coordination » entre localités) ? C’est sans doute dans la pratique sur le terrain que ces problèmes trouveront une solution. En tout cas, nous sommes ici aux antipodes du culte de l’État tout-puissant, promu, tout au long du 20e siècle, par le stalinisme, avec les conséquences catastrophiques qu’on connaît.

Le présent livre rassemble des témoignages et analyses de militants kurdes liés au PKK, au HDP ou au PYD, des commentaires de journalistes sympathisants, ainsi que des analyses et commentaires de penseurs proches du courant libertaire, comme l’anthropologue David Graeber ou John Holloway. Le choix, respectable, est de donner la parole aux protagonistes de cette expérience, et de mettre en évidence la contribution positive du mouvement de libération kurde au renouveau de la pensée et de l’action émancipatrices, sans s’appesantir sur ses problèmes ou limites. On aimerait en savoir plus sur la place de l’écologie dans le projet du Rojava, ou sur le rôle du pluralisme politique dans le confédéralisme démocratique. Sans aucune prétention à être exhaustif, ce livre n’est pas moins une précieuse introduction à la connaissance du Kurdistan libertaire.

Michael Löwy

Michael Löwy, né en 1938 à São Paulo au Brésil, est un sociologue, philosophe marxiste et écosocialiste franco-brésilien. Il a été nommé en 2003 directeur de recherche émérite au CNRS et enseigne à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Auteur d’ouvrages sur Marx, Lukács, Walter Benjamin et Franz Kafka, il a reçu en 1994 la médaille d’argent du CNRS.


Ouvrage coordonné par Stephen Bouquin, Mireille Court et Chris Den Hond : La commune de Rojava. L’alternative kurde à l’Etat-nation
Coédition Critica (Bruxelles) / Syllepse (Paris)
Bruxelles et Paris, mars 2017, 208 pages, 18 euros


https://entreleslignesentrelesmots.word ... more-29169

L'alternative kurde à l'État-nation
Collection : « Utopie Critique »
Auteur-e : Collectif
Parution : Avril 2017
Pages : 208
Format : 150 x 210
ISBN : 978-2-84950-561-8

https://www.syllepse.net/lng_FR_srub_76 ... ojava.html
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 30 Avr 2017, 15:56

« SERHILDAN » : LE SOULÈVEMENT AU KURDISTAN

Image

Alors que les habitants du Kurdistan de Turquie organisent leur émancipation collective et proposent la paix à l’État turc, celui-ci répond par une répression sanglante. Les auteurs, du printemps 2015 au printemps 2016, ont recueilli les témoignages de celles et ceux qui luttent. Ces paroles permettent de comprendre une guerre coloniale à laquelle les États européens sont directement liés.

Un rappel historique permet tout d’abord de comprendre l’origine du conflit. Lors du démantèlement de l’Empire ottoman à la fin de la première guerre mondiale, les États occidentaux vainqueurs ont répartis les zones de population kurde entre quatre pays nouvellement créés. Ce modèle d’État-nation va reproduire ce qui s’est passé en Europe : l’imposition par la force d’une seule identité nationale niant l’existence de cultures variées. Le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) est, à partir des années 70, le principal acteur de la résistance kurde en Turquie, marxiste-léniniste et inspiré des mouvements de libération nationale d'Amérique latine. Après le coup d’État de 1980, le régime militaire arrête et exécute de nombreux militants. Le soulèvement de 1984 provoque une longue répression : 4 000 villages sont brûlés. Le leader du PKK, Abdullah Öcalan, est emprisonné depuis 1999. Il comprend alors que s’il veut libérer sa communauté et instaurer une véritable démocratie, il doit renoncer à revendiquer un État et défend le confédéralisme démocratique.
En février 2015, après deux années de négociations entre l’État turc et le PKK, les accords de paix sont signés à Dolmabahçe. En mars, des lois ultra-sécuritaires sont votées, notamment pour interdire les rassemblements et autoriser la police à faire usage de ses armes quand elle le veut. La trêve est rompue. À partir d’avril, la campagne pour les élections législatives de juin est le théâtre de nombreuses agressions contre les locaux, les militants, les réunions du HDP, parti d’extrême-gauche pro-kurde qui va obtenir 80 députés au parlement. Le président Erdogan dénonce les accords de paix.
Le 20 juillet, un kamikaze se fait exploser devant un centre culturel où se trouvaient des jeunes venus de toute la Turquie avec des jouets pour les enfants de Kobanê. La police turque empêche les ambulances d’approcher, gaze les blessés et ceux qui leur portent secours.
Le 12 août 2015, l’Union des communautés du Kurdistan (KCK) annonce que le peuple kurde n’a d’autre choix que de déclarer son autonomie. Dès lors, des villes sont tour à tour soumises au couvre-feu. Les forces spéciales attaquent, avec des tanks et des obus, les quartiers défendus par les jeunes kurdes des Unités de protection civile (YPS).
Le 10 octobre 2015, un rassemblement pour la paix à Ankara est attaqué par des kamikazes liés à l’armée islamique : 102 personnes sont tuées. La police attaque ceux qui secourent les blessés et bloque les accès aux ambulance.
Le 8 février 2016, L’Union européenne offre trois milliards d’euros à la Turquie pour qu’elle garde les migrants sur son territoire puis trois autres milliards supplémentaires en avril.

Baran, un habitant de Diyarbabir éclaire la géostratégie de l’État turc. C’est lorsque le Rojava (Kurdistan syrien) et le canton de Cizîrê (Kurdistan turc) ont été reliés par la reprise à Daech de la ville frontière, coupant ainsi le passage qu’empruntaient l’État Islamique et l’État turc, que ce dernier leur a déclaré la guerre. Il explique aussi le principe de l’autodéfense, un des « neuf pieds » de l’autonomie.

Amet, un jeune rencontré dans une manifestation à Sur, raconte comment sont organisés les YPS-H et leur pendant féminin, les YPS-jin, guérilleros urbains formés dans les montagnes et chargés de défendre leurs quartiers.

Une série de discussions décrypte le jeu du président turc Erdogan. En ouvrant les vannes des réfugiés irakiens et syriens vers l’Europe, il a fait pression sur cette dernière pour qu’elle s’en tienne au silence sur les pratiques du régime turc et lui confie l’externalisation de sa politique migratoire contre six milliards d’euros. Cette impunité concerne les massacres et la terreur mais aussi les livraisons d’armes aux islamistes en Syrie. Est expliquée également l’infiltration tolérée de cellules de Daech jusque dans les services de la police, de l’armée et des services secrets turcs.

Haydar Darici, chercheur en histoire et en anthropologie expose les grands principes de l’autonomie démocratique : système judiciaire propre pour résoudre les problèmes au sein de la communauté, coopératives mises en place dans le cadre d’une économie alternative,… Avec le système de co-présidence, les femmes sont aussi actives que les hommes dans tous les processus.

D’autres acteurs et témoins encore, rendent compte de la violence de la répression, de la colère et de la détermination du peuple kurde.

Ces témoignages permettent de comprendre un conflit dont les médias occidentaux parlent peu et que la complexité territoriale, les doubles jeux de certains, empêchent d’appréhender clairement. Le choix des textes et leur contextualisation nécessaire sont impeccables.

« SERHILDAN » : LE SOULÈVEMENT AU KURDISTAN
Paroles de celles et ceux qui luttent pour l’autonomie
Collectif Ne var ne yok
146 pages – 7 euros
Niet!Éditions – Le Mas d’Azil – août 2016
http://www.niet-editions.fr/

D’autres informations sur le blog des auteurs :
nevarneyok.noblogs.org

http://bibliothequefahrenheit.blogspot. ... .html#more
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 12 Mai 2017, 16:53

RENDEZ-LES-NOUS VIVANTS !

Image

Vers 21 heures, le 26 septembre 2014, des centaines d’agents de police et un certain nombre de civils armés ont attaqué cinq bus d’étudiants de l’école rurale normale Raul Isidro Burgos d’Ayotzinapa, un autre transportant une équipe de foot, à Iguala, dans l’État du Guerrero, au Mexique. Bilan : 6 morts, 40 blessés et 43 étudiants disparus.
Consciencieusement, John Gibler, journaliste américain indépendant vivant au Mexique depuis plus de dix ans, a interrogé l’ensemble des témoins de ces événements pour découvrir une toute autre version que la vérité officielle. Ainsi, il démontre la collusion des forces d’État et du crime organisé pour bâtir une impunité administrative juridique. Inspiré par le principe zapatiste « diriger en obéissant » (mandar obedeciendo), il cherche à « écrire en écoutant » (escribir escuchando).

Revenant chronologiquement sur le déroulement de cette journée et de celles qui ont suivi, il nous livre, brutes, des bribes de récits qui forment une polyphonie de points de vue, comme si plusieurs caméras avaient filmé chaque scène depuis différents angles. Seule le prologue et la postface précisent le contexte, notamment l’étendu de la mobilisation internationale et la complicité française dans la formation des forces de répression.

La parole des étudiants permet de comprendre d’où ils viennent et ce qu’ils sont venus apprendre dans cette école avec son programme d’émancipation culturelle et sociale. Heures par heures, leurs descriptions des attaques qu’ils ont vécues, contredisent les versions successives du gouvernement. Les récits des joueurs et des entraineurs de foot qui ont survécu, sont accablants, tout comme ceux des employés de la décharge de Cocula où des « narcos » auraient incinéré les 43 corps, selon les conclusions de l’enquête. Enfin, les parents des disparus font part de leur colère, de leurs espoirs et de leur détermination à exiger justice et vérité.

Cette tragédie a été l’occasion de mobiliser partout dans le monde et de dénoncer la politique répressive du gouvernement mexicain, responsable de la disparition de dizaine de milliers de personnes. Ce livre, en donnant la parole aux rescapés avec beaucoup de pudeur et d'intelligence, permet de porter un peu plus loin leurs voix, de rompre le silence et l’isolement.

RENDEZ-LES-NOUS VIVANTS !
Histoire orale des attaques contre les étudiants d’Ayotzinapa
John Gibler
Traduit de l’espagnol par Anna Touati
210 pages – 18 euros
Éditions CMDE - Collection « Les réviseurs de la nuit » – Toulouse – avril 2017
http://editionscmde.org/

http://bibliothequefahrenheit.blogspot. ... .html#more
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 03 Juin 2017, 16:11

LE MEXIQUE INSURGÉ

Image

Récit pour le moins pittoresque d’un journaliste indépendant américain dans le Mexique révolutionnaire. John Reed suit les guérilleros et raconte leur quotidien haut en couleurs dans des tableaux expressifs et plein de saveurs, avec force passion et lyrisme.

Il accompagne l’armée constitutionnaliste dans ses déplacements et décrit un à un ses compañeros avec leurs cartouchières croisées, leur équipement hétéroclite et leurs femmes qui suivent le convoi pour les nourrir. Les affrontements ne font pas quartiers et pourtant ce n’est pas l’horreur que l’on retient mais une espèce de folie presque joyeuse, une rage de vie, d’une autre vie, plus forte que la mort.

Il traverse le pays en train, entre un général qui rejoint le front avec ses cages d’alouettes des prairies et des combats de coqs improvisés.
La musique et les chansons sont omniprésentes Les bals s’improvisent à tout moment. Les pistolets ne sont jamais loin et surgissent en permanence, à la moindre contrariété. On ne compte plus les morts, même en dehors des combats. Au Mexique la vie d’un homme ne vaut pas grand chose.

Le portrait qu’il brosse de Francisco Villa est celui d’un mythe vivant dont le nom seul fait fuir les troupes fédérales et l’apparition galvanise les hommes. Il lui confiera que lorsque la nouvelle République sera établie, il n’y aura plus d’armée au Mexique, qu’il la mettra au travail. Sans armée, plus de dictateur. Si aux États-Unis la liberté est le droit de faire ce que commande la justice, ici c’est pouvoir faire ce que l’on veut. La paix est le respect du droit des autres. Refusant de devenir gouverneur ou président car jugent son analphabétisme comme un handicap pour ces fonctions, il promulgua cependant un décret concédant 25 hectares de terres confisquées à chaque citoyen mâle de l’État du Chihuahua, inaliénables pendant dix ans. Ignorant des lois de la guerre, il fut reconnu comme un stratège remarquable.

Sa rencontre, unique, avec Carranza, cloitré, mutique et soudainement loquace et colérique, est tout simplement hallucinante, improbable.

Ce recueil d’articles donne chairs à la réalité historique de la Révolution mexicaine. John Reed se contente de décrire ce qu’il voit, ce qu’il vit. Les balles et les obus sifflent. On ira chercher ailleurs chronologies et analyses.


LE MEXIQUE INSURGÉ
John Reed
Traduit de l’américain par François Maspero
322 pages – 5 euros.
Éditions du Seuil – Paris – octobre 1996
Première édition française 1975

http://bibliothequefahrenheit.blogspot. ... .html#more
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 05 Juin 2017, 14:09

Quand ils ont fermé l’usine

Lutter contre la délocalisation dans une économie globalisée

Image

Les effets de la délocalisation et l’organisation pour s’en défendre à partir de l’expérience concrète des ouvriers de Molex

"Il est 11 h 30 le 23 octobre 2008 lorsque les haut-parleurs de l’usine appellent les salariés à se rassembler. Dans la cour, les représentants syndicaux lancent avec effroi : « L’usine va fermer. » Les salariés présents cessent aussitôt le travail ; les autres apprennent la nouvelle par téléphone sur leur lieu de vacances ou dans les travées d’un supermarché. Une ouvrière parle d’un choc monstre : « On s’est tous regardés, en silence, anéantis. Quand on est sortis, il y avait de tout. Les gens partaient à droite, à gauche, des cris et des larmes. On aurait dit qu’on avait assisté au crash d’un avion. »
Peu après, une manifestation est organisée dans les rues de Villemur. Les commerçants baissent leur rideau en solidarité avec les salariés, le prêtre fait sonner le tocsin. Un ancien salarié raconte : « En arrivant en ville, on a vu un nombre, on s’est demandé ce que tous ces gens foutaient là, et c’est vrai que nous, ouvriers de l’usine, on s’est sentis accompagnés, on s’est dit qu’on n’était pas tout seuls. » "

Cet ouvrage retrace la lutte des salariés licenciés de l’usine Molex, dans la commune de Villemur-sur-Tarn, pour empêcher la fermeture de « leur » usine dans un contexte de mondialisation de l’économie, de désindustrialisation française et de délocalisation, sur fond de crise économique en 2008. Il s’agit de comprendre les conséquences du licenciement tout autant que de la mobilisation politique sur les salariés licenciés. Ce livre est le résultat d’une recherche collective menée durant six ans par des politistes et sociologues qui ont suivi la fermeture du site de production et le combat des salariés.
Cette lutte a quelque chose d’improbable, tant en raison du choix des armes (principalement juridiques) que de son succès médiatique.

Parution : 21/04/2017
ISBN : 9782748903317
Format papier : 288 pages (12 x 21 cm)
19.00 € + port : 1.90 €

https://agone.org/lordredeschoses/quand ... rmelusine/
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 08 Juin 2017, 19:53

Véronique Decker : L’école du peuple

Image

« L’école du peuple sera l’œuvre des éducateurs du peuple », Célestin Freinet.

Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny, reprend la plume et livre 64 billets inspirés par son quotidien d’enseignante et de cadre de l’Éducation nationale engagée au service de ses élèves de la cité Karl-Marx.

Il y est question d’apprentissages lents, d’éveil au monde, de pédagogie Freinet, de fraternité, d’amour et d’empathie, mais aussi d’injustice et de casse de l’école, des quartiers populaires et des solidarités. Celle qui entame ses dernières années d’exercice livre un regard rétrospectif tantôt sombre parfois cocasse, mais résolument combatif.

Véronique Decker vit et travaille à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Directrice impliquée, citoyenne engagée, formatrice, syndicaliste, elle propose ici un récit fort, après le succès de Trop classe ! en 2016.

L’ouvrage est disponible dans toutes les bonnes librairies

Commande en ligne sur notre site :
http://www.questionsdeclasses.org/?Vero ... -du-peuple

ou à commander sur le site de l’éditeur ici
http://www.editionslibertalia.com/catal ... -du-peuple

http://www.questionsdeclasses.org/?Vero ... -du-peuple
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 11 Juin 2017, 14:37

Pourquoi il faut lire « Lettre à Adama », de Assa Traoré et Elsa Vigoureux

Image

Pour y retrouver les milliers de voix qui demandent Justice et Vérité

Adama Traoré a été assassiné par trois gendarmes de Beaumont-sur-oise le 19 juillet 2016. Dès le lendemain, ou plus précisément dès l’imposante marche blanche organisée par la famille le 22 juillet, Assa, sa sœur aînée, devenait le visage de la lutte menée pour que la vérité soit établie sur le drame, et que la justice soit faite. Lettre à Adama est cependant un récit à plusieurs voix, des milliers de voix, que Assa Traoré convoque à travers un retour chronologique sur les événements, presque jour par jour jusqu’au mois d’avril dernier, et notamment l’acharnement contre Bagui, l’aîné de Adama d’un an.

Ces voix sont d’abord celles des membres de la famille Traoré, des seize frères et sœurs de Adama, de ses mamans, à qui Assa Traoré donne la parole régulièrement dans le livre. Une famille percutée par la perte d’un de ses membres, à vingt-quatre ans, le jour de son anniversaire, que chacun avait préparé. Puis livrée aux manœuvres, aux coups de pression des autorités (du Procureur de Pontoise, Yves Jannier au Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, en passant par la maire de Beaumont Nathalie Groux), mais aussi, souvent, au paternalisme insincère de journalistes, d’avocats ou de soit-disant soutiens qui voudrait voir les Traoré faire un peu moins de bruit, un peu plus « confiance en la justice » qui pourtant louvoie depuis le premier jour, quand elle ne s’en prend pas directement à eux – Bagui, Youssouf, Yacouba Traoré ont ainsi été condamnés ces derniers mois dans des affaires aussi bancales les unes que les autres.

Mais ces voix sont aussi celles de centaines de soutiens, militants, proches, habitantes et habitants de Beaumont, présents en nombre à chaque instants, une solidarité dont le livre relate temps forts et anecdotes, et qui fait la force exceptionnelle d’un combat mené pourtant à armes largement inégales. C’est ce que Assa Traoré note dans l’un des inserts réflexifs dont elle ponctue son récit chronologique, quand, rentrant du Mali où la famille vient d’enterrer Adama, elle découvre l’ampleur des calomnies qui courent dans la presse française.

Un livre contre la relégation au silence et à l’invisibilité des quartiers populaires

Assa Traoré explique au début de son livre sa volonté de mettre « à nu un système organisé pour renvoyer les gens tels que nous à l’invisibilité ». Et c’est effectivement ce qu’elle réussit, par une démonstration méthodique à laquelle l’exposé des événements, et des embûches semés sur la route de la famille par l’Etat et ses relais, suffit amplement. Ainsi le 21 juillet, quand, à la préfecture, on offre à la famille un transport gratuit du corps de Adama vers le Mali et des passeports permettant à chacun de l’accompagner…pour mieux éviter une contre autopsie qui permettra pourtant de détruire tous les mensonges officiels sur la mauvaise santé du jeune homme, et d’établir définitivement que la cause de sa mort est bel est bien le plaquage ventral qu’il a subit. Et cela continue, avec les manœuvres dilatoires contre chaque marche, chaque événement, et la constitution d’un bloc politique entre les autorités locales, la gendarmerie, le gouvernement, pour appuyer la version officielle, bloc dont les prises de parole sont systématiquement relayées dans les médias, semant le trouble jusque sur le passé de Adama lui-même. Jour après jour, Assa Traoré et le collectif Justice et Vérité pour Adama se heurtent à ce qui constitue la fabrique concrète de l’impunité des policiers et des gendarmes, et de la disqualification des habitants des quartiers populaires, relégués aux images de voitures qui brûlent quand l’écrasement subi devient insupportable.

A toutes ces expressions de la ségrégation néocoloniale qui règne dans notre pays, où un vaste secteur de la population se voit dénier ses droits les plus élémentaires, Assa Traoré oppose sans cesse la détermination et la dignité de tous ceux qu’elle représente. Elle raconte, aussi, l’histoire de son père, qui a construit plusieurs bâtiments de Beaumont et d’ailleurs, avant de mourir à quarante-six ans des suites de son exposition aux fibres d’amiante, ou celle de son grand-père, mobilisé lors de la Seconde guerre mondiale et qui y a perdu une jambe. Elle relate les solidarités qui unissent un quartier comme celui de Boyenval, à Beaumont.

Un livre sur l’oppression et les violences policières

C’est toujours à travers le récit précis des événements, ponctués de brèves analyses, que Lettre à Adama fait entrer son lecteur dans ce que sont au quotidien ces « violences policières » exercées en fait par toutes les forces de l’ordre. « La police, présente dans les quartiers populaires, est le bras armé de ce système destructeur. Elle ne protège pas nos enfants, elle les tient en joue », peut-on lire.

Dans l’affaire Adama, il y a en effet l’exceptionnel de la violence déployé contre la famille Traoré, le meurtre du jeune homme étant prolongé par les intimidations (jusque dans un petit village à côté de Bordeaux où habite l’une des sœur de Adama), et les arrestations volontairement spectacularisées des frères Traoré à partir du mois de novembre. Mais le livre porte aussi sur le banal de la violence quotidienne, qui touche, comme Assa Traoré le montre histoires vécues à l’appui, en particulier les garçons, dès l’adolescence. Des jeunes hommes harcelés, contrôlés, chargés à tort, repérés par les forces de l’ordre mais aussi repoussés par l’école, et laissés sans parole, déshumanisés, à qui « on ne laisse que les marges » comme le note Samba Traoré dans l’une de ses conversations avec sa sœur relatées dans Lettre à Adama.

Parce que c’est une leçon de militantisme

Lettre à Adama est donc à la fois le récit d’une des principales luttes en cours contre l’Etat français néocolonial et contre l’impunité, et un livre de portée plus générale. Cette deuxième caractéristique tient aussi sur le terrain militant, pour qui voudra bien le lire sans certitudes toutes faites, sans partir de l’a priori que son expérience politique lui suffit. Car le livre de Assa Traoré est une leçon de choses, dont un pays où le monde militant n’est lui-même pas à l’abri des mécanismes de relégation mentionnés plus haut.

On y voit se construire progressivement le collectif Justice et Vérité, par agrégations successives de membres nouveaux et d’expériences concrètes. Un certain nombre d’alliances et de convergences sont ainsi tissées. Mais il y a aussi des refus, toutes les mains tendues ne sont pas saisies, toutes les propositions ne sont pas retenues. Car, d’une part, la famille Traoré et le noyau qui s’est constitué autour d’elle, ancré dans les quartiers populaires, fait le choix de conserver à chaque instant le cap d’un combat qui n’est pas solvable dans toutes les causes ; et, de l’autre, il s’agit de défendre son droit à décider, à, parler par soi-même, contre tous ceux, même bien intentionnés, qui se sentent plus autorisés ou plus capables – et il y en a beaucoup. Si cette boussole génère quelques incompréhensions, et fait du front à construire contre les violences d’Etat un objectif de plus long terme, elle n’en empêche pas moins des jonctions extrêmement fortes (dont la grande marche du 5 novembre dernier à Paris est un exemple), et, surtout, c’est elle qui a permis au combat de s’ancrer et de durer, de prendre la signification intense qu’il a pris au fil des mois. Et c’est une leçon qu’il est utile de méditer.

Parce que se souvenir, raconter, est un acte politique

Lettre à Adama, enfin, n’est pas seulement un livre sur un combat, c’est un combat, un acte politique en propre. En ouverture, Assa Traoré note le phénomène d’épuisement, de sur-sollicitation qui l’affecte elle et sa famille, prise dans une tel bras de fer : « il s’est passé tant de choses que nos mémoires épuisées ne suffisent plus à imprimer ce que nous affrontons ». Et pourtant, il faut « imprimer ». Le silence et l’oubli, ce sont les armes du racisme d’Etat, qui joue la montre depuis le début. Et c’est pour les contrer que Assa Traoré recompose la mémoire collective, rétablit l’ordre des événements et les consigne dans ce livre. « Nous avons compris que la vérité trouve toujours sa place, son sens, du côté de ceux qui s’appliquent à en faire le récit. Il faut désormais en être », écrit encore Assa. Lettre à Adama est donc le fruit de cette nécessité pratique et politique de se souvenir, de se constituer comme dépositaire de la vérité, puisque les autorités la travestissent, la craignent. En ce sens, si écrire ce livre constituait un acte politique – qu’il faudrait déjà continuer, parce que le combat continue – le lire en est un autre, pour partager cette mémoire, la faire sienne et la transmettre, pour la transformer en patrimoine de lutte, alimentant le reste des mémoires issues des batailles menées par les autres familles de victime.

Parce qu’il faut de l’argent pour contrer la fabrique de l’impunité

Onze mois après l’assassinat de Adama, les trois gendarmes qui en sont responsables n’ont toujours pas été mis en examen. Pourtant, la bataille inclus depuis le départ un volet juridique qui est allé s’intensifiant, avec une victoire lorsque le tribunal de Pontoise, trop proches des gendarmes opérant à Beaumont-sur-Oise, a été déssaisi de l’affaire, mais aussi des coups durs, liés à la partialité de la machine judiciaire, comme ce procès honteux qui a aboutit aux condamnations de Youssouf et Bagui. Comme le faisait remarquer Assa Traoré jeudi soir à Paris, lors de la séance de dédicaces qu’elle animait à la librairie Résistances, les frais de justice des gendarmes, eux, sont intégralement couverts par l’Etat. Il n’en va pas de même pour la famille, qui doit ainsi faire face à des dépenses aussi importantes qu’indispensables, et qui s’ajoutent aux multiples autres frais liés à la conduite quotidienne du combat. Lettre à Adama est donc aussi le support d’une solidarité financière plus que nécessaire, l’ensemble des bénéfices liés aux ventes étant destinés à alimenter la caisse de soutien constituée par la famille. Alors achetons, lisons ce beau témoignage et cette leçon de lutte.

Lettre à Adama, de Assa Traoré et Elsa Vigoureux, Editions du Seuil, Paris, mai 2017, 17 euros

http://www.revolutionpermanente.fr/Pour ... -Vigoureux
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede bipbip » 29 Juin 2017, 19:26

MOURIR POUR KOBANÉ

Image

Dans le nord de la Syrie, coincés contre la frontière turque, les kurdes luttent contre un nouveau totalitarisme : l’islamisme radical. Ils prônent la liberté individuelle et collective, l’égalité homme/femme, la laïcité, le respect des minorités et la justice économique. « Fanatiques islamiques contre fanatiques démocratiques : c’est pour ça qu’il n’y a que les kurdes pour arrêter Daesch. » a résumé quelqu’un à Patrice Franceschi. Engagé à leurs côtés depuis de nombreuses années, il rapporte leur parole, autant celle des combattants que celle de hauts responsables.

De tout temps, des hommes sont allés défendre des causes lointaines quand plus rien chez eux ne donnait forme à leur vie. Mais pourquoi l’islam laïcisé, réformé, modernisé, attire si peu ? Comment tombe-t-on dans un idéal dévoyé jusqu’à la plus extrême perversion, puisque celui des islamistes ne prône pas seulement de revenir aux temps archaïques du califat abbasside détruit par les Mongols au XIIIe, mais d’infliger la souffrance la plus grande possible à celui qui refuse cette voie ? Le vide existentiel des paumés de l’Occident ne suffit pas à expliquer leur engagement dans ce camp de l’inhumanité, ni les complexes identitaires mal maîtrisés, ni le sentiment d’humiliation mortifère que l’on a fait naître chez nombre d’entre eux. Patrice Franceschi ne pousse jamais très loin ses analyses, laissant à d’autres le soin de répondre aux questions qu’ils soulève. Son urgence est de rapporter ces récits pour mettre en lumière ce conflit et nous rallier à la cause qu’il défend, armes et stylo à la main.

Il raconte les quelques mois passés au front, près de Kobané, ses conversations avec un américain comme lui engagé, avec les combattantes et les combattants. On comprend l’insurmontable déséquilibre militaire en matière d’armement. Le double-jeu des turcs devient évident. « Ils veulent que les djihadistes fassent le sale boulot à leur place et nous exterminent. Ils les aident parce qu’ils pensent comme eux. » lui explique un commandant.
Les philosophes stoïciens l’accompagnent par qu’ils étaient comme eux : « ils ne cédaient pas une once de liberté en échange d’un peu de sécurité ou de commodité et préféraient la mort à la servitude. » Il semble fasciné par les « splendides guerrières » dont le rôle attisent la haine des islamistes.

Les kurdes sont un peuple qui manque de chance, dispersé entre quatre États (et dans le monde), empêché de se gouverner lui-même et à la merci de despotes : Saddam Hussein en Irak, un Attila de l’arme chimique, Hafez puis Bachar el-Assad en Syrie, des Gengis Khan en automitrailleuse, Reza Pahlavi puis Khomeny en Iran, des satrapes orientaux à la petite semaine, les dirigeants turcs, des tyranneaux de village au knout facile.
Si en 1920, le traité de Sèvre reconnait leur droit à un État indépendant en récompense de leur soutien aux alliés pendant la guerre contre l’empire Ottoman et l’Allemagne, mais il ne sera jamais appliqué.
En 1927, dans l’est de la Turquie, une république nait, appuyée par l’Angleterre, avant de disparaître quatre ans plus tard sous les coups de l’armée d’Ankara.
En 1946, la République de Mahabad ne durera qu’un an, soutenue cette fois par l’URSS avant que Téhéran n’écrase les Peshmerga suite à un brusque retournement d’alliance au nom des intérêts pétroliers.
En 1991, Saddam Hussein, après sa déroute monumentale contre les américains, conserve quelques troupes dans le nord du pays et tente de prendre sa revanche sur les Kurdes qui se sont alliés contre lui aux Occidentaux.
Quand le régime syrien vacille en 2012, le Parti de l’union démocratique (PYD) chasse, sans mal, les soldats de Damas et créé le Conseil suprême kurde qui remplace toutes les structures administratives du pouvoir syrien par les siennes dans la région du Rojavan, un territoire de 30 000 km2 partagé en trois cantons : Ifrin à l’ouest, Kobané au centre et Djézireh à l’est. Trois millions d’habitants y vivent.
L’été 2014 voit la naissance officielle de l’État islamique. Son offensive se poursuivra jusqu’en septembre et la bataille de Kobané, période racontée dans cet ouvrage.

Les combattants kurdes sont regroupés dans deux organisations : les Unités de défense du peuple, les Yapagués (YPG) et les Unités de défense féminine (YPJ), les Yapajas.

Quand une logique religieuse, impérieuse et prométhéenne récuse tout le droit international actuel ainsi que l’idée d’État-nation qui fonde les relations entre les peuples et même les frontières tracées par l’histoire récente, elle a toutes les chances de laisser la place à une espèce d’hommes entièrement déshumanisée. Pourtant Patrice Franceschi n’entendra jamais un mot de haine chez les combattants kurdes.
Les islamistes veulent le califat , ici et ensuite partout ailleurs. Tout ce qui s’y oppose doit disparaître. C’est la charia contre le code civil. Tout le reste est de l’endoctrinement et de la propagande.

Il rapporte les propos de Hussain Azam, l’un des deux vice-premiers ministres, d’origine arabe (l’autre est une femme d’origine chrétienne syriaque) : « Ici, nous vivons en paix avec les chrétiens, les Kurdes et les autres minorités. on s’est débarrassé de Bachar el-Assad et voilà que nous sommes obligés de nous battre contre des djihadistes. C’est une calamité. »
Hakram Khalo, co-président du parlement (tous les postes sont occupés par des binômes homme/femme) : « Notre assemblée est celle du canton de Djézirek. Avec nos homologues de Kobané et d’Afrin nous formons la confédération du Rojava. (…) 45% des députés sont des femmes. (…) La parité a été imposée dans l’administration et les femmes participent à toutes les décisions. »
Asya Abdullah, coprésidente du PYD : « Nous nous battons pour ne pas revenir au Moyen Âge. Nous luttons pour entrer dans la modernité, pour que jamais plus on ne mélange politique et religion. Nous voulons cela pour tous les peuples de Syrie, pas seulement pour les Kurdes. »
Awar Tamia, l’interprète de l’auteur : « Pourvu que ça ne se termine pas comme la république de Mahabad… »

Le récit de la bataille de Kobané qu’il nomme le « Stalingrad kurde », du 29 septembre 2014 au 26 janvier 2015, est assez précis. En France au moment du siège et de l’assaut, il se démène, notamment avec Bernard Kouchner, pour contraindre les Occidents à couper les ravitaillements des djihadistes par des frappes aériennes. Les Turcs aident massivement Daesch et soignent leurs blessés. Daesch est battu mais la ville est rasée.Patrice Franceschi est très sévère avec le « monde ancien, bientôt un musée, fatigué de lui même, se fichant pas mal de se qui se passe ailleurs". Il est admiratif face à la détermination des combattants kurdes, animés par des valeurs et un but collectif. L’éthos et la psyché sont essentiel pour perdre ou gagner une guerre, plus que l’armement, explique-t-il. Il souhaite même que Kobané entre un jour dans le langage commun, tout comme « la Bérézina » et « le Rubicon », pour décrire ceux que refusent « tout esprit munichois d’abandon, même au prix d’un combat désespéré ».

Document nécessaire pour comprendre ce qui ce joue en ce moment même dans cette partie du monde : une expérience démocratique aussi importante que la révolution espagnole de 1936. En espérant qu’elle ne finisse pas pareillement, sacrifiée par le jeu des alliances internationales. Saluons aussi le choix de Patrice Franceschi d’avoir rejoint les maigres rangs des combattants internationaux au Rojava.

MOURIR POUR KOBANÉ
Patrice Franceschi
160 pages – 7 euros
Éditions Perrin – Collection Tempus – Paris – mars 2017

http://bibliothequefahrenheit.blogspot. ... .html#more
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: Chroniques et présentations livres

Messagede Lila » 23 Juil 2017, 18:11

Quand commence le féminisme ?

Ce gros ouvrage est le produit d’une entreprise conçue voici une dizaine d’années par la professeure d’histoire contemporaine Christine Bard, à qui nous devions déjà de nombreux livres fondamentaux sur l’histoire des femmes du XXe siècle (Les filles de Marianne : Histoire des féminismes. 1914-1940, 1995 ; Les garçonnes : Modes et fantasmes des Années folles, 1998 ; Une histoire politique du pantalon, 2010…), et des réalisations majeures pour la collecte des archives des grandes militantes contemporaines (création du Centre des archives du féminisme à l’université d’Angers, fondation de l’association Archives du féminisme, codirection du Guide des sources de l’histoire du féminisme, 2006…).

Christine Bard et Sylvie Chaperon (dir.), Dictionnaire des féministes. France XVIIIe-XXIe siècle. PUF, 1 700 p., 32 €

Ce dictionnaire s’inscrit dans la droite ligne de ces recherches, qui visent à restituer l’histoire de celles et ceux qui ont œuvré (et œuvrent encore) à changer la France, afin que les principes d’égalité et de liberté qu’elle affiche depuis la Révolution cessent d’être bafoués tous les jours en pratique, dans un domaine ou un autre. L’histoire de leur combat, aussi, puisque les notices de ce dictionnaire ne portent pas seulement sur des personnes (421 entrées biographiques, auxquelles s’ajoutent 65 pages d’index pour les noms présents dans le corps des notices) mais sur des sujets (137 entrées thématiques, auxquelles renvoient utilement les mots-clés qui suivent toutes les notices). Travail redevable à près de deux cents chercheurs et chercheuses francophones de nombreux pays, et piloté, avec Christine Bard, par une autre historienne du féminisme contemporain, Sylvie Chaperon (Les années Beauvoir, 1945-1970, 2000 ; La médecine du sexe et les femmes, 2008…).

C’est peu dire que l’ouvrage est une mine. Même s’il a fallu « définir » et « choisir », comme l’annonce l’Avant-Propos, ce sont des centaines de femmes et d’hommes que l’on découvre ou redécouvre dans cet ouvrage, des centaines de luttes, de mouvements, d’associations, de groupes, de revendications… Et comme toute cette histoire est la plupart du temps parfaitement inconnue – aucun étage de l’« école républicaine » n’y accordant la moindre place –, on ne saurait trop recommander la lecture de ce livre, si ce n’est page après page (quoique), du moins au gré de l’inspiration, ou en suivant les fils que tissent entre elles les notices et les idées qu’elles éveillent. À n’en pas douter, l’ensemble permet, malgré des lacunes assumées, de « mettre en lumière l’extraordinaire diversité des trajectoires, des œuvres, des positions ».

la suite : https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017 ... -chaperon/
Avatar de l’utilisateur-trice
Lila
 
Messages: 2322
Enregistré le: 07 Mar 2014, 11:13

PrécédenteSuivante

Retourner vers Editions, livres et textes, salons/fêtes du livre

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun-e utilisateur-trice enregistré-e et 2 invités