Mes leçons du syndicalisme
Entre 2006 et 2010, j’ai participé à la construction d’une section syndicale SUD Culture Solidaires dans un musée. Reposant sur deux militants à ses débuts, cinq ans plus tard, cette section est devenue représentative et compte en 2011 une vingtaine d’adhérents et une dizaine de militants.
Avoir participé à la construction de cette section, alors que par ailleurs j’effectuais une thèse en sociologie, dont l’un des terrains était SUD Culture Solidaires, a été une expérience d’un point de vue de la méthode d’enquête en sciences sociales tout à fait intéressante. Cela m’a permis d’expérimenter une position inhabituelle et à mon sens tout à fait fructueuse pour la recherche. En effet, il ne s’agissait pas seulement d’être en position d’observatrice participante, mais aussi d’expérimentatrice qui étudie en faisant. Non pas seulement observer, mais également expérimenter. Faire, pour connaître (“Le vrai et le fait sont convertibles” - Vico / “Learning by doing” - Dewey).
Le texte ci-dessous ne prétend pas donner des leçons apodictiques. A mon sens, il s’agirait d’une erreur de vouloir tirer de l’expérience menée dans une situation des règles applicables de manière nécessaire à toute autre situation.
Il s’agit plutôt pour moi, d’essayer de tirer un bilan des hypothèses que j’ai expérimentées dans ma pratique syndicale et qui m’ont paru fonctionner. Ces hypothèses peuvent être à leur tour testées utilement par d’autres et adaptées à leur situation spécifique néanmoins sans garantie absolue de résultat.
Contexte des expérimentations :
Il me semble nécessaire de préciser certains éléments concernant le contexte des expérimentations que j’ai été amenées à effectuer. Le premier point est que mon expérience syndicale s’est déroulée dans la fonction publique d’État. Ce point a son importance, parce que cela induit des conséquences en termes d’implantation syndicale et de droits syndicaux. Autre point, le développement syndical s’est effectué principalement parmi des agents de catégorie C de la fonction publique.
Dans l’établissement dans lequel nous avons créé cette section SUD Culture Solidaires, des sections syndicales ou syndicats CGT, CFDT et une section Force ouvrière existaient déjà. Les deux premiers étaient assez puissants au sein de l’établissement, dans deux styles relativement différents: la CGT sur des positions de lutte - mais avec des modes de fonctionnement qui me paraissaient peu ouverts à la participation démocratique - et la CFDT davantage tournée vers un syndicalisme de service.
Le développement de notre section syndicale a été en partie entravée, je pense, par le fait que les deux militants que nous étions ne travaillaient principalement que le week-end. De fait, cela a ralenti notre développement vis-à-vis des personnels titulaires, mais a favorisé notre proximité avec le personnel non-titulaire.
Si notre section n’a été représentative dans l’établissement qu’au bout de cinq ans, elle a pu bénéficier des droits syndicaux liés à la représentativité du syndicat national SUD Culture Solidaires: des décharges de travail, la possibilité de déposer un préavis de grève...
En revanche, l’absence de représentativité signifie l’impossibilité d’organiser des heures d’information syndicale durant le temps de travail et l’absence de local sur place. Le seul droit propre que possède la section non-représentative se limite principalement à disposer de panneaux d’information syndicale.
Les hypothèses expérimentées qui me semblent avoir fonctionné :
- Partir des revendications des collègues :
Il est courant, me semble-t-il, que les salariés expriment des revendications qui ne correspondent pas à nos positions syndicales de principe: elles nous paraissent par exemple trop corporatistes. Mais il me semble que si nous avons pu acquérir du crédit auprès des collègues, c’est que nous ne leur avons pas répondu de but en blanc “non” en leur exposant les raisons de notre refus. Il me semble au contraire qu’il est plus conforme à la démarche syndicale de partir de ce qu’il y a de légitime dans cette revendication et d’essayer de la reformuler de manière à ce qu’elle s’accorde avec des positions plus conformes à nos idéaux syndicaux. Nos idéaux ne doivent pas fonctionner comme un obstacle à mon avis, mais comme une boussole qui nous aide à nous orienter. Quand on discute et argumente les “améliorations” que l’on propose à une revendication, il me semble que les collègues sont tout à fait prêts à entendre et que cela est plus constructif qu’un refus de principe.
Ex : Ainsi nous avons été contactés par des collègues agents de surveillance qui se plaignaient que la direction ouvre les extras effectués en soirées aux chargé(e)s d’information. Ils affirmaient ainsi qu’on les spoliaient d’une part de leurs sources de revenus qui n’étaient déjà pas très élevés. Les autres sections syndicales refusaient de porter cette revendication qu’elles jugeaient trop corporatistes.
Nous avons pour notre part accepté de les aider. Mais nous leur avons dit la chose suivante: “Il y a un aspect légitime dans votre revendication. Mais si vous la formulez comme ça vous allez vous mettre les autres services à dos. Ce qui n’est pas une bonne chose. Il faudrait trouver peut-être une autre formulation”. Ils ont convenu que c’était le cas. Nous leur avons alors proposé de changer la revendication en la formulant de la manière suivante: “Tous les services peuvent avoir le droit de faire des extras. Mais, il paraît plus pertinent que chacun le fasse sur les fonctions qu’il occupe durant la journée: un(e) surveillant(e) doit faire de la surveillance le soir et un(e) chargé(e) d’information sur les mêmes fonctions qu’il(elle) effectue la journée".
- Adapter ses positions relativement à la situation, tout en tentant d’aller toujours vers le maximum de radicalité possible relativement à la situation :
Il m’a semblé qu’une démarche qui rejoint la précédente et qui s’avère payante consiste à ne pas appliquer des principes syndicaux de manière dogmatique, indépendamment de la situation dans laquelle on se situe. Cela ne veut pas dire à l’inverse, abandonner ses principes. Il s’agit plutôt d’essayer de trouver un “équilibre” (Proudhon) original relativement à la situation. Bien souvent, l’application telle quelle des principes ne s’avère pas satisfaisante; ils entrent en contradiction avec d’autres impératifs. Il s’agit alors d’essayer de produire un équilibre.
Par exemple, je me souviens que l’établissement dans lequel je travaillais avait signé un Partenariat-Public-Privé. Celui-ci était déjà signé lorsque les organisations syndicales en ont pris connaissance et ont demandé à rompre le contrat. Or exiger la rupture du contrat n’était pas une solution parfaite: en effet, cela aurait conduit l’administration à verser d’importantes indemnités à l’entreprise en question pour rupture abusive de contrat. Il nous a paru plus intéressant de demander à ce que certaines clauses au sein du contrat soient renégociées. Puis nous avons revendiqué, dès que nous avons constaté que l’entreprise ne parvenait pas à réaliser ses obligations contractuelles, que notre employeur rompe le contrat pour inexécution des obligations contractuelles.
Cette position s’est avérée, à mon avis, plus opérationnelle que celle de la rupture du contrat à sa conclusion qui n’aurait pas été obtenue - à moins d’une mobilisation exceptionnelle -, mais qui en outre ne permettait pas d’amener des améliorations concrètes immédiates.
- Favoriser des pratiques démocratiques et participatives :
Les grands discours abstraits sur les pratiques démocratiques n'intéressent en soi que peu les collègues; c’est, en tout cas, l’impression que j’ai eue. En revanche, favoriser les pratiques démocratiques, et donc transparentes, m’a semblé avoir deux avantages. Le premier est d’établir une relation de confiance entre le syndicaliste et les collègues non-syndiqués: il me semblait qu’ils l’analysaient comme le fait d’avoir des pratiques transparentes. Le second avantage est de favoriser la participation: ce qui est apprécié par ceux qui veulent s’investir et permet parfois également de déclencher des “vocations”.
De manière générale, il me semble que tout ce qui peut favoriser, dans la prise de décision et dans les actions, la participation collective, a un effet positif. Mais là aussi, il ne s’agit pas de tenter d’appliquer dogmatiquement des procédures, mais de pousser les pratiques démocratiques aussi loin que le permettent les contraintes de la situation.
Ex: Par exemple, nous ne pouvions pas organiser des réunions d’informations syndicales durant les heures de travail lorsque nous n’étions pas représentatifs. Mais même lorsque nous avons pu le faire, ces heures ont été limitées à une par mois et par agent; elles ne durent qu’une heure et souvent peu d’agents peuvent ou font la démarche de s’y rendre.
Ce qui m’a paru important, c’est à la fois de ne pas prendre prétexte de ces obstacles pour ne pas mettre en place des procédures démocratiques, mais c’est également d’être capable de les adapter aux contraintes en évitant de sombrer dans un formalisme excessif. Ce qui m’a semblé pertinent, c’était de faire l’effort de recueillir l’avis et le consentement des personnes concernées et de leur permettre d’exprimer leur désaccord face à une proposition.
Pour cela, tout les moyens qui marchent sont bons: liste mail, assemblée générale de grève nationale utilisée pour parler d’un sujet local, réunions d’information en dehors des heures de service, pétitions, proposer à une délégation de collègues de venir lors des réunions avec la direction...
- Être présent sur le terrain et discuter avec les collègues :
J’ai eu la chance de monter la section syndicale avec une personne qui aimait particulièrement passer du temps à discuter avec les collègues. Cette tendance d’une personnalité, qui peut parfois être qualifié péjorativement “de bavardage”, est très utile d’un point de vue syndical. Cela permet à la fois d’être au courant de nombreuses informations et de problèmes sur lesquels on peut tenter d’impulser une action syndicale, et cela permet également de faire connaître son action syndicale, outre les panneaux syndicaux et les distributions de tracts.
- “Faire ce que l’on dit, dire ce que l’on fait” :
Une des règles qui m’a semblée payante est d’avoir tenté de tenir nos engagements auprès des collègues et de ne pas avoir des stratégies basées sur la dissimulation ou des positions que nous ne pouvions pas assumer publiquement.
Mais j’ai pu remarquer que ceux qui pratiquaient des stratégies “machiavéliennes”, bénéficiaient d’un certain avantage: c’est la capacité d’oubli surprenante des collègues. Mais de manière générale, il m’a aussi semblé que bien souvent ces stratégies leurs retombaient en définitive dessus et qu’elles constituaient donc un mauvais calcul.
Pour conclure, il me semble que ce qui a réellement permis à notre section syndicale de gagner la confiance et le soutien d’un certain nombre de collègues, c’est d’avoir mené une lutte que nous étions les seuls à porter, alors qu’elle était soutenue massivement par les personnes concernées, et de les avoir soutenues en essayant de développer les pratiques les plus démocratiques possibles. Il me semble également que si nous avons gagné in fine cette lutte, qui concernait le personnel non-titulaire, c’est que nous avons essayé de trouver des solutions reposant sur une réflexion qui partait de la situation dans laquelle nous étions.
Il me semble donc que ce qui fonctionne dans l’action syndicale, c’est un pragmatisme orienté par une exigence de radicalité : c’est-à-dire ni un pragmatisme à courte vue perdant tout objectif d’action radicale, ni une radicalité dogmatique.
Irène Pereira
Juillet 2011
Pour compléter :
Irène Pereira (GSPM, EHESS) : “La formation dans le processus de syndicalisation de jeunes fonctionnaires et précaires : le cas de SUD Culture Solidaires” (Colloque Syndicalisation et formation Renouvellement des perspectives et approches comparées sur le syndicalisme, Jeudi 2 et vendredi 3 décembre 2010 CERAPS, Lille 2, Colloque international de clôture de l’équipe ANR « Formasynd »)
Compte rendu factuel de la manifestation anti-G8 du Havre le 21 mai 2011
Posted on 30 mai 2011 by pericles
La manifestation commence à la gare du Havre vers 15h. Plusieurs milliers de personnes sont présentes. Les cortèges syndicaux sont assez fournis, les « Altermondialiste » et Attac sont là aussi. Un pink bloc, des battucadas, d’énormes globes terrestres et autres joyeusetés donnent un air festif et bon enfant à la manif. En fin de cortège, une centaine de participants au camp autogéré ferment la marche avec une gigantesque banderole « ici le peuple ».
Assez rapidement, des cagoulé.es apparaissent vers les rangs de la CNT qui leur demande de se poster devant eux et de ne pas se mêler à leur cortège. Certains semblent dérangé.es par cette posture mais je comprends leur point de vue. Les militant.es de la CNT sont venu.es pour manifester tranquillement, je ne vois pas pourquoi on devrait leur imposer des actions et leur potentielle répression alors qu’ils/elles n’ont rien demandé. À chacun sa stratégie de manifestation et de contestation. Les cagoulé.es se retrouvent donc devant la CNT à environ une centaine, mélangeant jeunes lascars et manifestants type black block.
La manif est assez molle, aucun flic n’est en vue, pas même des bakeux. À part quelques pétards, quelques œufs et ampoules de peinture sur des assurances plus des journalistes bousculé.es, il ne se passe pour l’instant rien de spécial. Il faudra l’aide du service d’ordre de la CGT pour que les esprits commencent à s’échauffer. Celles/ceux-ci viennent se poster à coté du petit cortège d’enervé.es et jouent les gros bras prêts à intervenir. Ils sont immédiatement insulté.es et dégagé.es. On sent comme une envie de passer à l’action. Ça sera chose faite un peu plus loin.
De la peinture est jetée sur une mutuelle d’assurance privé, les vitrines sont attaquées à coups de pieds et de bâtons, des A cerclés et des slogans anti-G8 sont taggués. Les flics ne sont pas là, mais leurs subalternes du SO de la CGT refont leur apparition et essaient physiquement de s’interposer. Elles/ils se font bousculer et quelques baffes leur sont distribuées. Elles/ils resteront finalement à l’écart du cortège.
Court petit bakeux, court
Vient ensuite le tour de la banque LCL, ses vitrines tombent assez rapidement tout comme celles d’une autre boîte d’assurance. Chaque bris de vitrine est acclamé. Les jeunes lascars exultent et s’en donnent à cœur joie sur un « Carrefour Market » en face duquel une petite barricade enflammée est disposée au milieu de la route. Une banque postale sera prise pour cible, une caméra de vidéosurveillance sera détruite, quelques tags fleuriront (« flic porc », « smash G8 », etc.) et la manif se retrouve trop vite finie, alors que tout le monde avait encore envie d’action.
La CGT bloque l’entrée du Champ de Foire où doivent se dérouler les concerts du soir, ce qui laisse les énervé.es à la merci des flics. Le temps de se demander ce qu’il reste à faire et l’on voit deux manifestants masqués se faire alpaguer par 5/6 bakeux. Instinctivement, une cinquantaine de personnes se mettent en mouvement pour les libérer sans trop de difficulté. Sous le coup des nombreux cailloux qui leur tombent sur le coin de la gueule, les arroseurs arrosés entament alors le 100 mètres le plus rapide de leur vie.
Revenus devant le champ de foire, tout le monde comprend que les réjouissances sont terminées et qu’il ne reste plus qu’à se changer en manifestants lambda.
Au final, les incidents auront duré une vingtaine de minutes avec la participation d’une soixantaine de personnes prouvant, si besoin est, que l’on n’a pas besoin d’être des milliers pour faire des actions en manif. Aux contre-sommets, au quotidien et dans la rue, la lutte continue…
Skh a écrit:Les cagoulés font leur souc, le SO contrôle
Fishbowlman a écrit: les petites pétasses en RH qui montrent leur p'tit cul pour pouvoir avoir leurs augmentations et faire bander les vieux Directeurs à cheveux gris, etc etc...
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