Remporter des victoires, c’est tout un TRAVAIL !
Ces dernières décennies, le mouvement syndical a accumulé une riche expérience. Celle de savoir remporter des défaites. Il serait trop long d’en écrire la liste. Alors, mieux vaut se consacrer à expliquer la raison de ces défaites. Cette raison est simple : le syndicalisme a perdu sa culture de classe. Cette culture reposait sur la culture ouvrière, c’est-à-dire celle du travail. Au fil des décennies, nous l’avons abandonné au profit d’une autre culture, celle de la « gauche » (l’emplacement de députés à l’Assemblée nationale), faite de discours philosophiques et de pratiques institutionnelles. Cette perte d’indépendance s’est ainsi accompagnée d’une perte de nos repères et de notre expérience collective.
La Confédération générale du TRAVAIL
Comme pour toute procédure de production, le syndicalisme s’est doté d’un savoir-faire, d’une stratégie. C’est la fameuse « double besogne » exposée dans la Charte d’Amiens, qui entérine la légitimité des luttes quotidiennes autant que des perspectives révolutionnaires. Mais un savoir-faire n’est rien sans des outils. Chaque outil syndical (section, syndicat, commission, Bourse du travail, fédération, association culturelle et sportive, coopérative, organisation de jeunesse, etc.) a donc été façonné pour réaliser une tâche particulière. Mais une tâche intégrée à une réalisation d’ensemble, celle de la Confédération.
À partir de 1902, les syndiqués confédérés disposent des outils et de la méthodologie adaptés aux réalisations qu’ils désirent conduire :
- Ils s’organisent localement dans des syndicats d’industrie (ouverts à tous les travailleurs de la profession) en rejetant les syndicats de métier et les syndicats d’entreprise intégrés au capitalisme.
- Ils popularisent et soutiennent les luttes professionnelles grâce aux Bourses du travail. Ils offrent une contre-société grâce à des associations culturelles et d’entraide (sport ouvrier, fêtes ouvrières, chorales et théâtre, dispensaires médicaux, conseils juridiques etc.).
- Ils animent l’éducation (cours du soir pour enfants et adultes, conférences, alphabétisation des travailleurs français et immigrés, limitation des naissances) et la formation professionnelle à la Bourse du travail.
- Ils fédèrent des « coopératives socialistes » de production et de consommation.
- Ils organisent les luttes spécifiques de la Main-d’œuvre féminine (MOF), des Jeunesses syndicalistes (JS), de la Main-d’œuvre Immigrée (MOI), des chômeurs (viaticum et marches) dans des commissions. Des commissions internes aux syndicats et à la Confédération, et non pas dans des associations communautaristes autonomes.
La CGT se construit donc comme contre-société, qui fait vivre la socialisme au quotidien… et qui passe à l’attaque. À cette époque, les jeunes n’ont pas besoin de s’exiler dans une ZAD pour vivre une expérience collective. La ZAD, c’est la Bourse du travail ouverte à tous et à toutes ! Chaque victoire obtenue (réduction du temps de travail, augmentation des salaires et création du salaire socialisé, renforcement du contrôle syndical dans les professions, etc.) est intégrée à une dynamique d’affaiblissement du pouvoir capitaliste et de préparation de la grève générale expropriatrice.
Le syndicalisme institutionnel, une confortable inefficacité
Ce savoir-faire collectif a été remplacé par des démarches individuelles basées sur le discours. Chaque militant s’est donc spécialisé dans des initiatives individuelles de plus en plus intégrées aux institutions et, allant, coupées des salariés, voire même de ses propres mandants. Il passe souvent plus de temps en réunion qu’avec ses camarades de travail. Les pratiques les plus caricaturales sont les instances de représentation du personnel (DP, CE, CHSCT) et les instances paritaires professionnelles (mutuelles, organismes de formation professionnelle, etc.) ou interpro (Sécurité sociale, Ceser, etc.). Il est désormais rare que des mandatements ou des comptes rendus de mandats soient réalisés. Les pratiques de contrôle ouvrier perdent leur dimension fédéraliste pour basculer dans des logiques individualistes (privatisation des heures de délégation, protections individuelles, création de réseaux, etc.).
Cette décomposition est justifiée par une culture du discours. Discours d’autant plus radical et artificiel qu’il n’a aucune implication collective. Et, progressivement, la perspective politique est renvoyée à d’autres outils, les partis et organisations philosophiques, qui voudraient cantonner le syndicalisme à l’entreprise et s’occuper de notre émancipation sans nous, en tout cas en dehors de notre classe. On clame alors son adhésion à un « syndicalisme de transformation sociale » tout en sous-traitant cette transformation aux partis. Ce qui n’a aucun sens, puisque seule une organisation sociale, comme la CGT, peut produire une transformation sociale. Mais cette contradiction délirante n’est perceptible que par ceux et celles qui ont une culture ouvrière, c’est-à-dire qui savent qu’un travail ne peut être accompli qu’avec des outils appropriés. L'échec de la mobilisation interprofessionnelle du printemps 2018, c'est l'échec du syndicalisme d'entreprise qui nous paralyse et nous empêche de dégager des perspectives politiques syndicales.
Réaffirmer notre indépendance pour reconquérir notre culture syndicale
Nous étions habitués aux actions inefficaces calquées sur celles de la gauche. Il en est ainsi de nos manifestations syndicales qui se sont transformées en défilés de « citoyens », souvent non grévistes, « insoumis » surtout le samedi pour ne pas déstabiliser leur carrière dans l’entreprise. On le voit par exemple avec la taule monumentale que s'est prise la « Marée populaire » du samedi 26 mai 2018 où plus de 60 organisations politiques, syndicales et associatives, au niveau national, n'ont même pas réussi à mobiliser le tiers des effectifs présents lors des grandes journées de grèves appelées par les seules organisations syndicales dans les semaines précédentes… En s'associant à l'appel, la CGT s'est retrouvée mêlée à un flop dont elle aurait mieux fait de se passer. Il n'empêche que le constat est encore là : notre meilleure arme c'est la grève, et notre seul pouvoir en tant que classe productrice de richesses, c'est le syndicat, pour nous attaquer au capitalisme et à la bourgeoisie.
La lutte du printemps 2018 a atteint un nouveau niveau d’acculturation. Le syndicalisme s’est aligné sur la stratégie de la « convergence des luttes » issue de l’extrême gauche. La revendication confédérale d’un « nouveau statut du travail salarié » a ainsi été abandonnée pour ne pas déstabiliser les corporatismes en action. La « convergence des luttes », c’est nier notre stratégie historique de grève interprofessionnelle ou de grève générale. Mais c’est, surtout, une remise en cause de l’existence même de la Confédération !
La « convergence des luttes » est également un obstacle à la question de la réunification syndicale et du projet d'unifier notre classe dans la perspective d'établir le Socialisme. La « convergence des luttes » ne poserait pas de problème dans le cadre d'une stratégie de front unique avec des perspectives bien définies ; mais dans notre contexte qui est bien celui du repli sur soi et de l'affinitaire, la « convergence » est une hypocrisie et un non-sens. C'est un obstacle à une stratégie gagnante dans le cadre d'un rapport de force, car, nous le voyons bien, chaque organisation philosophique et associative tente, surtout, de tirer son épingle du jeu. Puisqu'il y a « convergence des luttes » à quoi bon tirer un bilan, chacun se renvoyant la balle en cas de défaite ; à quoi bon se poser des questions sur la profusion d'organisations et d'associations concurrentes qui cultivent la mise en place de bureaucraties et de petits chefs incontrôlables par la base.
Nous constatons, donc, que beaucoup d’organisations « confédérées » acceptent et cautionnent les dérives centrifuges qui gangrènent le mouvement syndical : corporatisme, individualisme, institutionnalisme, luttes spécifiques, séparation étudiants-lycéens/salariés, etc.
Confédération cherche jeunesse et jeunesse cherche Confédération
C'est dans ce cadre que le mouvement étudiant et lycéen a lui aussi capoté. Sur les 67 sites universitaires que compte le pays, une quinzaine seulement ont été touchés par la mobilisation. L'absence de généralisation du mouvement a été le terreau de localismes et d'expérimentations en tous genres, parfois folkloriques voir farfelus. On ne peut que constater le fossé qui se creuse entre les générations de militant-e-s. C'est d'autant plus flagrant quand on tente une vague comparaison avec les mobilisations de la « génération CPE », douze ans plus tôt.
Qui s'en étonnera ? Les outils de transmission et d'intégration sont quasi-inexistants dans nos organisations syndicales ; les organisations de jeunesse sont en décomposition, et la rupture est d'autant plus engagée qu'on ne sait pas vraiment dans quelle direction elle va. Dans certaines localités, le saccage de l'outil de travail et du lieu de savoir qu'est l'université est la preuve que la Confédération doit non seulement sortir de sa zone de confort (qu'elle est d'ailleurs en passe de perdre), c'est-à-dire les entreprises, pour aller au contact de la jeunesse, proposer sa vision de l'université et de l'éducation en général ; mais doit aussi renouer avec sa stratégie, sa structure et ses outils historiques qui ont fait sa vitalité, sa puissance et son caractère incontournable dans les luttes et les projets sociaux.
Les replis identitaires, l'intellectualisation à outrance et les manipulations sectaires ont été de véritables fléaux pour le mouvement des jeunes, bloquant sa capacité de mobilisation et de développement. Nous avons pu voir des pratiques et des idées antisociales proliférer au sein des lieux de savoir et de partage qu'étaient les facs populaires et occupées. Ces fléaux ne peuvent être combattus que par une organisation sociale, c'est-à-dire par une confédération syndicale, de classe et de masse, où les jeunes trouvent leur place, à l'image des « Jeunesses Syndicalistes » de la CGT, il y a plus d'un siècle.
Nous sommes un certain nombre à refuser le sabordage du mouvement social et ouvrier. Nous réaffirmons que la CGT doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. Notre critique n’est pas là pour cultiver les ego et cautionner ceux qui pensent produire une idée géniale tous les matins. Bien au contraire, nous pensons que l’exemple à suivre se trouve chez les anciens. Ceux qui faisaient vivre une Confédération avec seulement une poignée de « permanents » syndicaux qui ne voulaient pas le rester (le fameux « refus de parvenir »). Ceux qui étaient fiers d’être des « producteurs » et refusaient de rejoindre le rang des « improductifs » et autres « tribuns » ou « sauveurs suprêmes » (voir le deuxième couplet de L’Internationale). C'était l'époque d'une Confédération qui, avec peu de moyens, remportait des victoires impressionnantes.
Nous estimons, donc, que la priorité n’est pas à impulser des initiatives dans l’urgence afin de répondre à la crise que nous traversons. Nous devons, au contraire, prendre le temps de débattre en assemblée générale de syndicats. Le temps de la formation au travail bien fait, de la transmission de l’expérience. Il est temps de réfléchir collectivement, mais surtout de redécouvrir, par les lectures et des formations, ce qu’était la CGT.
Notre tendance syndicale, fondatrice de la CGT, se met au service des camarades et de leurs syndicats afin d’assurer des formations. Nous disposons également de nombreuses archives (brochures, articles, revues, comptes rendus de congrès, etc.) afin de rétablir la vérité sur l’histoire de notre Confédération. Une histoire longtemps occultée et révisée par les agents de son institutionnalisation.
Vive la Charte d’Amiens, vive la réunification syndicale, vive la CGT !
https://www.syndicaliste.com/bilan-printemps-2018