Ralala Arthur... qu'elle mauvaise langue tu fais quand même. Alors comme ça on aurait des propos « anti-anar » ? Je pense qu'il va falloir remettre les choses au clair pour les camarades de ce forum qui ont quand même la gentillesse de relayer les infos de ce CSR « anti-anar » (merci au passage).
Je vais exposer notre vision de l'Anarcho-Syndicalisme. Ca va être un peu long car la période décrite est assez comparable à celle que nous traversons depuis 20 ans. C'est pourquoi son étude est riche d'enseignements afin de comprendre paradoxalement à premier abord, de voir des militants se replier sur leurs petits appareils tout en revendiquant très haut une appartenance philosophique.
Dans les rares débats qui agitent le mouvement syndical, les étiquettes prennent souvent le dessus sur les vraies réflexions stratégiques: « gauchiste », « altermondialiste », « marxiste », « réformiste », « libertaire »,... Ces notions sont d'autant plus utilisées qu'elles ne sont pas définies. On assiste donc à un discours de sourds qui laisse de côté la vraie dimension politique, c'est à dire un débat entre stratégies syndicales.
Il ne s'agit pas pour nous de dénoncer un courant syndical « rival » mais de mettre en garde contre la reproduction d'erreurs déjà constatées à de nombreuses reprises.
Le fait de construire une confédération autonome ne constitue pas en soit une erreur stratégique. A certains moments, des militants SR peuvent être contraints d'impulser une telle démarche, que cela soit en raison d'expulsions bureaucratiques massives ou de blocages internes (centralisation à l'exemple de la CFDT vers 1980). Mais dans une situation où la bataille peut être menée et gagnée dans une confédération, rien ne justifie alors une scission. Nous devons donc mettre en garde contre les justifications idéologiques qui seraient utilisées afin de couvrir une telle scission. Actuellement, l'existence de Solidaires est justifiée au nom d'une référence « altermondialiste » alors que celle de la CNT l'est au nom d'une référence « libertaire ». A certains moments de l'histoire ce fut l'étiquette « syndicaliste révolutionnaire » qui fut utilisée avec le même objectif. En 1924, la fédération CGT-U du bâtiment et d'autres syndicats quittent la CGT-U en se revendiquant d'une démarche SR pourtant en complète contradiction avec la stratégie SR basée sur l'unité organique de la classe.
La dérive anarcho-syndicaliste ne repose absolument pas sur une nature philosophique. La référence à la pensée libertaire ne fut utilisée (usurpée) qu'après coup comme justification à la scission.
L'anarcho-syndicalisme est un phénomène purement syndical et d'ailleurs nous verrons que la plupart des dirigeants AS ne viennent pas du mouvement libertaire mais plutôt de la social-démocratie SFIO/SFIC. C'est la question du Front Unique qui a produit la réaction AS.
A partir de 1920, l'Internationale Communiste (IC) engage un débat sur la stratégie syndicale. La plupart de ses partisans, adhérents des différents PC, se positionnent en faveur de la création de tendances SR au sein des confédérations réformistes majoritaires. Ils ne font que reprendre le contenu de la Charte d'Amiens. C'est alors que des dirigeants SR se sentent menacés de perdre certains de leurs postes. Partisans la veille de l'IC, ils combattent subitement les « fractions communistes » dans les syndicats qui la plupart du temps n'existeront pas avant la politique de « bolchévisation » des PC entre 1924 et 1925. D'ailleurs, les partis communistes sont entre leur création et leur bolchévisation à majorité anarchiste et SR.
Le syndicalisme révolutionnaire éclate en 3 tendances lorsque la tendance institutionnelle de la CGT choisit de provoquer la scission en excluant les syndicats favorables au CSR (voyant que la CGT allait être totalement entre les mains des SR). Les exclus créent la CGTU en 1921. Les anciens de la « Vie Ouvrière » sont vite exclus du PCF. Ils renouent rapidement avec la stratégie SR traditionnelle. Deux autres tendances émergent. La deuxième à arriver historiquement est les « syndicalistes-communistes », qui comprend la bolchévisation sur le schémas léniniste du syndicalisme mais nous n'en parlerons pas là. La première déviation apparaît en 1921, elle prend tout d'abord le nom de « syndicalistes purs » avant de s'aligner sur le nom que ses homologues espagnols se sont choisis: « anarcho-syndicalistes ».
En France cette tendance est principalement influente dans la fédération du bâtiment. Ses partisans estiment que le syndicalisme révolutionnaire doit rompre avec l'indépendance syndicale et doit s'inspirer de l'idéologie anarchiste. Ils choisissent de se démarquer de la Charte d'Amiens et d'affronter ouvertement l'Internationale Communiste dont beaucoup de ses membres sont issus. L'apparition de cette tendance en France, qui n'existait alors pas dans le mouvement syndical international, est une réaction à la stratégie de Front Unique. La tendance anarcho-syndicaliste rejette l'unité syndicale. Ses dirigeants veulent préserver la direction des organisations qu'ils contrôlent. La stratégie de Front Unique, défendue par l'IC et l'ISR jusqu'en 1930, mais aussi historiquement par la Charte d'Amiens, apparaît donc pour eux comme une menace. Ils vont justifier la scission au nom d'une référence philosophique du syndicalisme.
En 1921, les « syndicalistes purs » français poussent à la scission dans la CGT et font donc le jeu des réformistes organisés autour de Jouhaux.
En 1924, une fois que la CGTU s'est définitivement affiliée à l'ISR, ils poussent une nouvelle fois à la rupture. Ils quittent la CGTU pour constituer l'Union Fédérative des Syndicats Autonomes (UFSA). Certains d'entre eux iront jusqu'à construire une nouvelle confédération explicitement libertaire: la CGT-SR. Nous allons préciser ça après.
L'AS va rapidement s'effondrer en France et pourtant les dirigeants de cette tendance disposaient d'une large influence dans la CGT. Mais leurs adhérents ne les suivent pas dans leur stratégie. En 1924, environ 40.000 adhérents organisés quittent la CGTU en dénonçant la « prise en main par le PC » mais la plupart d'entre eux restent structurés sous forme de syndicats autonomes majoritaires dans certaines professions, ils ne rejoignent pas la CGT-SR de 1926. Ils restent fidèles à certaines pratiques SR et conservent une implantation locale importante grâce au respect de l'indépendance syndicale et grâce à leur participation aux Bourses du Travail et UL. Leur dérive AS ne sera pas durable puisque dès 1930, ils soutiennent la dynamique de réunification syndicale et rejoignent la CGT en 1936.
Seuls quelques milliers d'adhérents suivent les AS jusqu'au bout de leur logique. La CGT-SR ne regroupe très vite plus qu'un millier d'adhérents. L'échec de l'implantation AS sera confirmée en 1946 avec l'impossibilité de la CNT française à exister malgré une situation très favorable (collaboration de la CGT au sommet de l'Etat, présence des exilés espagnols).
Les raisons de cet échec sont profondes. Le prolétariat français tient à l'indépendance du mouvement syndical, ce qui oblige les courants hostiles à la Charte d'Amiens à intervenir discrètement sous forme de fractions clandestines. L'AS, lui, assume ce choix ouvertement, il recrutera donc avant tout des individus sans grande conscience de classe ou des militants désillusionnés qui cherchent un refuge intellectuel pour palier à leur propre démoralisation.
Mais l'AS est surtout dirigé par de petits bureaucrates locaux, le plus souvent sans passé syndical. Leur ralliement à l'anarchisme n'est que superficiel et ne vise qu'à se démarquer et à justifier la scission avec les syndicalistes de classe. Ils usurpent l'identité libertaire en quelque sorte. C'est le moment de parler du « Pacte » des syndicalistes-purs, lorsqu'ils scissionnent de la CGTU.
C'est en 1921 que de jeunes dirigeants SR constituent une fraction clandestine, « Le Pacte », sensé défendre la pureté du SR français. En mai 1921, ils profitent de l'emprisonnement des responsables du CSR (tentatives de grèves insurrectionnelles) pour s'infiltrer dans le Comité Central du CSR. Ils vont pousser la CGT à la scission. Leur manoeuvre leur permet momentanément de se retrouver à la direction de la Commission Administrative provisoire de la nouvelle CGTU.
Immédiatement, avec les AS allemands, ils tentent de saboter l'ISR favorable au front unique. Ils le font sans mandat, ce qui provoque le mécontentement auprès des syndiqués et par conséquent leur isolement. Leur manoeuvre échoue lamentablement et au congrès de la CGT à Saint-Etienne en juin 1922 ils sont largement mis en minorité. Leur influence ne cesse alors de se réduire, ce qui les amène à engager une scission en 1924 afin de préserver les quelques organisations qu'ils contrôlent.
En 1924, ils fondent alors UFSA, puis avec un échec cuisant ils créent la CGT-SR en 1926 avec 3000 adhérents, pensant que reprendre le sigle CGT et SR leur donnerai de l'influence et du recrutement. Deux ans plus tard il en restera à peine un millier dans toute la France. Pas la peine d'expliquer pourquoi je pense que vous avez saisi.
Néanmoins il faut étudier le phénomène en profondeur, s'intérésser au parcours de ces « syndicalistes-purs/anarcho-syndicalistes ». Comment se référer au SR et à la charte d'Amiens tout en impulsant une division organique au sein de la classe ouvrière ?
La contradiction fut vite dépassée par une pirouette, la production d'une nouvelle théorie syndicale: l'AS.
Aujourd'hui le CSR est souvent accusé de tenir des propos anti-anarchistes... Arthur semble continuer ce dénigrement. Notre organisation rassemble pourtant des camarades qui au niveau individuel se reconnaissent personnellement dans l'anarchisme. Nous affirmons que combattre politiquement l'anarcho-syndicalisme ne signifie pas s'attaquer à l'anarchisme. Il est important de comprendre cet élément car sinon on en reste à une confusion politique qui verrait dans l'AS l'expression de l'anarchisme dans le domaine syndical. Or rien n'est plus faux.
J'ai déjà dit que jusqu'en 1920 l'AS n'existe pas. La grande majorité des anarchistes, ouvriers (car les autres courants, individualistes et plate-formistes sont plutôt une composante de classe moyenne d'époque et ne constituent pour le premier que des anti-syndicalistes et pour le deuxième du léninisme version noir suivant la position de Malatesta) sont ralliés à la stratégie SR. Tout en se référent individuellement à l'anarchisme en dehors du syndicat, ils acceptent l'indépendance politique de celui-ci afin d'unifier la classe dans une dynamique révolutionnaire.
C'est dans ce contexte que l'AS va apparaître. On retrouve donc ses origines dans le « Pacte » qui vise à prendre la direction du CSR puis de la CGTU sous forme de fraction clandestine.
On peut d'ailleurs y lire au travers des 11 articles:
Article 7: « Nous nous engageons à oeuvrer par tous les moyens en notre pouvoir pour qu'à la tête et dans tous les rouages essentiels du CSR, principalement à la tête de la CGT, quand elle sera en notre pouvoir et sous notre contrôle, nous assurions l'élection, aux postes les plus en vue et responsables, tant au point de vue des conceptions théoriques qu'à celui de l'action pratique, des camarades purement SR, autonomistes et fédéralistes. »
Drôle de conception du fédéralisme et de la démocratie ouvrière ! On reprochera aux membres du PC ce que l'on a pratiqué soi-même auparavant. Et si cette pratique de fraction n'était pas assez clair, l'article 10 précises les choses: « toute critique qui pourrait surgir sur des personnes ou des idées du Comité (le Pacte) doit être formulée au sein du Comité et rien ne doit transpirer ».
L'article 6 précise lui que les membres du Pacte « représentent individuellement et collectivement le Syndicalisme Révolutionnaire ». Arrêtons-nous alors à ces « syndicalistes-purs » avant de s'appeler « anarcho-syndicalistes ». Ils prennent en effet la direction du CSR puis de la CGTU trouvant les vieux SR de la « Vie Ouvrière » emprisonnés pas SR à leur goût, mais regardons de plus près leurs états de services dans le syndicalisme de lutte...
Il y a parmi ces « syndicalistes purs » une poignée de vétérans SR désabusés. Mais on y trouve surtout des novices et des combattants de dernière minute qui rejoignirent le CSR lorsque celui-ci rassemblait 15000 militants et apparaissait comme étant « l'organisation la plus influente et apte dans le mouvement ouvrier français » (Lénine).
L'illustration la plus parlante est la figure de Pierre Besnard, le porte-parole immuable de l'AS français. Il entre dans les chemins de fer en 1909 mais met un certain temps avant de militer dans un secteur qui est pourtant à l'époque un des principaux bastions SR et en perpétuelle ébullition. On a une trace de son militantisme qu'à partir de 1919 et c'est en 1920 qu'il se fait remarquer comme candidat à tous les postes de direction syndicale: secrétaire intérimaire de la commission permanente du bureau mixte des syndicats cheminots parisien, membre de la CE fédérale. En mai 1921, il profite de l'arrestation de Monatte et des militants les plus influents du CSR pour se proposer comme secrétaire général du Comité Central CSR. A cette date on ne connait rien encore de son adhésion à l'anarchisme.
Mais quand on se penche sur les 18 autres signataires du Pacte c'est encore plus étonnant. Varlot, Maison, Ferrand, Macheboeuf, Bisch, Churin et Marie sont sans apssé syndical connu. Henri Jouve devient membre du CC du CSR en octobre 1920 mais son activité syndicale avant cette année ne laisse aucune trace. Pothion ne donne trace de son militantisme qu'en 1917, à l'age de 31 ans, il devient membre et permanent du CC du CSR. Même profil pour Léon Scheiber, militant après-guerre, à plus de 30 ans, tout aussi permanent du CC du CSR en juillet 1921. Verdier et les autres attendent un age très avancé avant de se syndiquer. On peut donc regretter que ces « syndicalistes purs » ne l'aient pas été pendant la guerre quand il fallait affronter la répression.
Ces militants « purs » sont relativement peu nombreux. Ce qui va expliquer la facilité avec laquelle ils se voient marginaliser dans les congrès fédéraux et confédéraux de la CGTU. L'histoire de l'AS français pourrait donc être étudiée à travers le parcours de ses dirigeants puisque l'influence repose intégralement sur eux. Presque aucun ne reste à la CGT-SR après 1928... devinez où ils vont ? A la CGT ! Etonnant quand on se rappelle que ce sont eux qui ont poussé à la scission en 1921 en estimant qu'il était impossible de cohabiter avec les réformistes et les « communistes ». Tout cela n'est pas très logique sauf si la scission de 1921 avait pour objectif de créer un appareil et de s'y maintenir à sa tête... qui fut perdu dès 1923... obligeant les dirigeants au final à retourner dans l'appareil CGT de base, voyant qu'on ne pouvait être aux rennes d'une organisation fantôme sans activité ni impact.
Donc dès ses débuts, l'AS est un mouvement autonome par rapport à l'anarchisme et il le restera pendant 20 ans. Dans les congrès de l'Union Anarchiste, seule une très faible minorité de militants sont favorables à la syndicalisation à la CGT-SR. Ce sont les militants anarchistes qui, les premiers acquis au SR, condamnent la dérive anarcho-syndicaliste.
L'étiquette « anarcho-syndicaliste » est donc un lourd handicap pour un militant qui veut construire une organisation de masse (ce qu'à vocation à être un syndicat).
En se revendiquant de l'anarchisme, l'AS introduit la logique partisane au sein du syndicalisme... au sein d'une classe qui n'est pas prête, qui est traversée par divers niveaux de conscience et qui changent constamment. Cette conception affinitaire du syndicalisme est facteur de scission et de crises internes à répétition. La conscience de classe a été remplacée par l'appartenance idéologique et les logiques de pouvoir personnel.
L'AS porte donc en lui son incapacité à se développer durablement et à proposer une stratégie anticapitaliste basée sur l'unité de la classe. Sa stratégie repose sur la construction d'un appareil autonome qui n'a d'autres perspectives que de survivre. On comprendra alors mieux les raisons pour lesquelles les AS basculeront régulièrement dans des politiques opportunistes et contre-révolutionnaires dans les pays où ils conserveront une influence: intégration au Front Populaire en Espagne et en Corée, soutien à des régimes autoritaires en Bolivie et Pologne,...