Mouvement et manifs, questions de stratègie

Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 27 Oct 2017, 20:08

Point de vue d’un syndicaliste

Gouvernements et patronats ont-ils gagné la bataille du dialogue social ?

En cette période de mobilisation contre les ordonnances « réformant » le code du travail, beaucoup se posent la question : pourquoi y a-t-il si peu de travailleurs mobilisés ? À cela bien des réponses : les politiques des directions syndicales, les stratégies foireuses, la divisions des dates et des secteurs, etc… Mais il y a pour moi aussi une raison que nombre d’entre nous faisons semblant de ne pas voir. Certains l’appellent « crise du militantisme », pour ma part, je préfère parler des conséquences démobilisatrices de la politique du « dialogue social », dont j’aimerais tirer le bilan.

lls sont nombreux, les politiciens et les patrons, à systématiquement nous sortir à tout bout de champs le fameux « dialogue social ». Nous devrions pourtant nous interroger sur cette façon, qu’a le patronat de revendiquer le « dialogue » avec les syndicats dans une entreprise, alors que l’ensemble des salariés lui sont de fait subordonnés. Pourquoi aurait-il tant envie de dialoguer avec des représentants du personnel, des syndicalistes ? Je suis de nature très méfiante lorsqu’il s’agit de faire confiance à ceux qui nous exploitent quotidiennement, comme lorsque j’étais enfant et que mes parents me disaient « surtout ne prend pas des bonbons si un adulte dans la rue t’en propose ». Devons-nous alors prendre ce bonbon que nous tendent le gouvernement et le patronat sous l’estampille du « dialogue social » ?

De quoi le « dialogue social » est-il le nom ?

On le sait très bien si le patronat en use et abuse, c’est surtout pour le mettre en opposition à la grève. Voilà la première raison. Car s’il le revendique, c’est qu’il a vite compris, depuis ces dernières années, et par les politiques des différents gouvernements, de Sarkozy à Hollande, que le « dialogue social », sorte de chantage à la négociation, avait permis de calmer les grèves et brimer l’auto-organisation, tout en faisant passer ses attaques contre les travailleurs.

Pour dire vrai, je pense que cette farce que l’on appelle « dialogue social » a petit à petit visé à pacifier les « relations sociales » pour tenter d’étouffer le syndicalisme lutte de classes, lié historiquement, et en France en particulier, au syndicalisme révolutionnaire ou à l’anarcho-syndicalisme, ou encore aux militants trotskistes et révolutionnaires dans les syndicats. A travers le « dialogue social », gouvernement et patronat ont réussi à rendre inoffensives de nombreuses équipes syndicales et à faire d’elles leur outil pour accompagner les attaques contre les salariés. De la sorte, il a visé à détricoter le militantisme de combat, de lutte, ce syndicalisme qui réfléchit comment taper là où ça fait mal, ce syndicalisme qui réfléchit à former des comités de grève, qui prône l’auto-organisation et les assemblées générales de travailleurs. Tout simplement un syndicalisme lutte des classes, c’est-à-dire, un syndicalisme qui comprend que la société est divisée en classes, et que ces classes-là ont des intérêts irréconciliables. Si toutefois il reste encore dans certains secteurs des formes de syndicalisme combatif, la réalité est que le syndicalisme, à force de dialogue social, s’est empêtré dans un système qui pourrait le conduire à sa fin.

Nous payons aujourd’hui le prix d’une politique qui a visé à transformer ce que pendant longtemps on a appelé « lutte des classes » en un sorte de terrain d’entente, pour effacer petit à petit la lutte par le dialogue. Quand on dialogue : on subit, on accompagne, on discute, on accepte, on négocie. Par contre, on ne lutte pas, on n’arrache pas les choses, on ne revendique plus, ou du moins on est en fin de compte prêts à céder… et lorsque nous sommes face à un patronat qui veut humilier la classe ouvrière pour s’en mettre plein les poches, sans scrupules, alors « céder » veut dire accepter l’humiliation et des reculs sociaux sans précédent. Et si pendant un temps on négociait des avancées, aujourd’hui le dialogue sert surtout les intérêts patronaux, donc à négocier la régression sociale, en fin de compte c’est toujours le patronat qui sort gagnant.

Regardons les « NAO », négociations annuelles obligatoires sur les salaires, qui se transforment en vaste fumisterie, où pendant des années aucun syndicat n’obtient la moindre augmentation salariale. Et on revient l’année suivante, espérant peut-être qu’on obtiendra cette fois-ci une augmentation. Alors on balade comme cela, de mois en mois, d’année en année, les syndicalistes dans des pseudos réunions de « concertation », qui visent en fait à simplement présenter ce que le patron concède en échange d’autres reculs sociaux. Comment se fait-il, avec toute l’histoire de notre classe, que des syndicalistes pensent aujourd’hui obtenir des augmentations salariales ou des améliorations dans nos conditions de travail autour d’une table plutôt que dans la grève ?

Les instances représentatives, un levier pour la lutte de classe ou une fin en soi ?

Bien sûr il y a des instances qui peuvent être utiles, comme les réunions des délégués du personnel (DP) ou les Comités d’Hygiène et Sécurité (CHSCT), car elles ont un poids, même si à elles seules ces instances ne suffisent pas et ne permettent pas de construire le rapport de force face au patron. Mais couplées avec un militantisme de terrain et avec la construction du rapport de force au sein des lieux de travail, les prérogatives de ces instances, notamment du CHSCT, ont permis d’envoyer bon nombre de dirigeants en justice pour des accidents mortels ou des scandales comme autour de l’amiante. Mais en dehors d’une construction du rapport de force, d’un syndicalisme combatif, des instances comme les Comités d’entreprise (CE) par exemple constituent une énorme pression sur les représentants du personnel, et nous avons vu bien des syndicalistes impliqués dans des affaires et des scandales de corruption. Car, peut-être vous ne le savez pas, mais les CE que le patron se garde le soin de ne pas gérer pour avoir la paix sociale, sont gérés par les syndicats comme des petites entreprises, avec des salariés et une trésorerie. Alors comment lutter efficacement, comment construire le rapport de force face au patronat et aux gouvernements à leur service, lorsque son rôle d’élu CE revient à être loin du terrain et de la réalité quotidienne des salariés, étant bloqué toute l’année par les réunions et les discussions avec des prestataires ? Ce n’est pas étonnant donc que dans la fusion des instances, le Comité d’entreprise sera transformé en CSE, mais que les DP et CHSCT eux disparaitront complètement, ainsi que toutes les prérogatives pour limiter l’arbitraire des directions face aux salariés.

Si le syndicalisme avant se composait des travailleurs les plus combatifs, où il était normal de se mettre en grève et aller en manifestation, aujourd’hui il se compose, en grande majorité, par des travailleurs qui souvent n’ont pas de culture militante, presque aucune formation, qui parfois n’ont jamais fait une seule journée de grève, mais qui pourtant deviennent, du jour au lendemain, élu Sud, élu CGT, élu FO. Comme si le plus important dans le syndicalisme n’était pas d’avoir des dirigeants ouvriers capables de faire débrayer les collègues, mais plutôt des personnages qui sautent d’instance en instance, passant plus leur temps à « dialoguer » avec la direction, plutôt qu’à motiver les travailleurs à combattre le patronat et les politiques libérales. Aurait-il été imaginable dans des moments plus convulsifs de la lutte de classes que des syndicalistes de FO ou la CGT ne soient pas dans la rue à l’appel de leurs syndicats ? Aujourd’hui cela se passe dans tous les syndicats et dans l’indifférence totale, très souvent, des syndicats eux-mêmes.

Le patronat a su, à travers ce système bien ficelé multipliant les réunions pompeuses, occuper les syndicalistes. Faisant croire que pour obtenir des choses, il suffisait simplement de s’assoir autour d’une table et de poser des questions en réunion. Les syndicalistes sont nombreux à le croire hélas, alors que l’histoire de la classe ouvrière, des grands moments de lutte comme en 1936 ou en 1968, démontrent précisément le contraire.

Alors oui, on passe d’instance en instance, obtenant par moment une « primette » pour les salariés, qu’on nous retire 1 an plus tard, quelque « sauvegarde » d’emploi en échange d’un asservissement. Prenons le cas par exemple de Smart où les délégués (pas tous) ont accepté que les travailleurs, bossent 39h payé 37h, voilà vers où mène souvent ce syndicalisme « made-in » dialogue social. Au final, cela amène de nombreux syndicalistes à penser que ce que le patron refuse de donner dans les « négociations », il est impossible de l’obtenir, alors qu’en réalité tout ce que les travailleurs ont obtenu comme avancées sociales au long de leur histoire, a été grâce au rapport de force.

Il y a un fait récent, qui moi m’a aidé également, à tirer ce bilan. C’est ce reportage de Cash Investigation, sur Lidl et Free, que nous sommes des millions à avoir vu. Je ne critique pas les syndicats de ces entreprises, mais je me demande, en tant que délégué syndical aussi, où étaient-ils dans tout cela ? Comment se fait-il qu’on tolère un management de la sorte sans réagir, sans mettre les magasins à feu et à sang ?

Je ne leur jette pas la pierre, mais je pense que ce dialogue social les a bernés leur faisant croire qu’on pouvait réguler l’exploitation, avec un meilleur chariot élévateur, ou un tapis de caisse plus rapide. Encore une démonstration, s’il en fallait une, pour montrer qu’il y a bien quelque chose qui cloche dans le syndicalisme d’aujourd’hui. Le pire c’est que des entreprises où les choses se passent comme chez Lidl ou Free sont encore trop nombreuses et plus le syndicalisme combatif disparaît, plus ce type de management prospère.

Bien entendu il y a d’autres facteurs à prendre en considération, mais si seulement on pouvait voir l’ensemble des adhérents et militants en grève et dans la rue en train de battre le pavé, on pourrait en tirer d’autres conclusions. Et je ne parle même pas des cas de répression médiatisés, où souvent la plupart des élus d’une même organisation, ne se déplacent même plus pour défendre leurs camarades réprimés, ou pour demander justice pour des militants qui se sont suicidés à cause de cette même répression. Comme si aujourd’hui appartenir à un syndicat ne voulait plus rien dire. Qu’on pouvait être dans un syndicat et faire sa petite vie, sans se sentir l’obligation de s’engager dans une grève ou encore de se déplacer à un rassemblement devant un tribunal pour soutenir un collègue ou un camarade réprimé.

Par moments, il me revient le souvenir de mon camarade Edouard Postal, lui, cheminot et militant syndical qui s’est suicidé le 10 mars dernier Gare St Lazare, réprimé par la boîte car il avait « un regard menaçant ». Je me souviendrai toujours de cet après-midi d’octobre 2016, jour de son conseil de discipline, où nous étions une soixantaine à peine sur le parvis pour le soutenir, et quelques mois plus tard nous étions 2 000 pour commémorer sa mort et exiger justice. Tout cela en dit long sur ce que devient le militantisme. Lui qui s’il était vivant aujourd’hui serait comme il l’a toujours était en tête de cortège, la torche à la main. Alors nous perdons des militants combatifs, qu’on remplace par des « élus ».

Et je me rends compte que je ne suis plus le seul à le penser. Ils sont nombreux chez Sud, FO ou CGT à pointer du doigt cette absence des adhérents et élus syndicaux dans la construction des mobilisations. Tout récemment, Mickael Wamen, ex CGT Goodyear, a écrit une tribune sur internet, demandant où étaient passés les 700.000 adhérents de la CGT ? Et il a raison, comment pouvons-nous être par exemple le 12 Septembre, premier jour de mobilisation contre les ordonnances, 300.000 manifestants toutes organisations confondues, alors que l’ensemble des adhérents de ces organisations dépassent le million d’encartés. Mais le problème est aussi cette sémantique : « encarté », « adhérent », on en vient à se demander pourquoi payer une cotisation, si c’est pour être au travail un jour de grève…

Entre chacun pour soi, et chacun pour sa chapelle, course à l’échalote pour ce qui est des élections, division syndicale à l’heure d’organiser la lutte, intérêts d’appareils, des élus qui sont loin de la réalité quotidienne des salariés… voilà les ingrédients qui permettent de comprendre pourquoi il existe un rejet vis-à-vis des organisations syndicales ou autres, une certaine méfiance. C’est ce que nous avons pu voir lors du mouvement « Nuit Debout » pendant les mobilisations contre la loi travail 2016 : une envie de se mobiliser contre la loi travail et son monde, dans l’unité et dans une dynamique interprofessionnelle, mais à la fois une grande méfiance envers les organisations traditionnelles.

Non, il n’y a rien à négocier !

En fin de compte, les directions syndicales, au niveau national, acceptent d’aller discuter avec le gouvernement, alors qu’il n’y a rien à négocier ! Ce n’est qu’un mythe cette histoire de « dialogue social ». Ce sont juste des réunions où Macron et ses amis expliquent aux représentants syndicaux à quelle sauce ils comptent nous manger ! Il n’y a rien à faire dans les salons de Matignon, la place des syndicalistes et des militants est dans les entreprises pour construire la grève, et dans la rue ! Un point, c’est tout !

Et en ce sens, les ordonnances fusionnant les instances représentatives du personnel sont tombées à point nommé pour le patronat, qui va pouvoir conserver une seule instance qui accompagnera les restructurations, et qui cherche à liquider chaque militant combatif, qui était élu protégé, qui demain ne le sera plus et se fera réprimer sévèrement, voir licencier avec le plafonnement des indemnités de licenciement. Et si les militants combatifs se font licencier, ce sont les travailleurs qui derrière en subiront les conséquences. Tout cela dans un seul but, étrangler toute forme de contestation dans l’entreprise et en dehors. Et ils me font bien rire ces syndicalistes qui par moments disent, « je ne fais pas de politique »… Ah bon ? Pourquoi ça ? Macron et son gouvernement, bossent-ils dans une boucherie ? Qu’est-ce que tout cela, si ce n’est de la politique ? Les ordonnances, les réformes des retraites, la suppression des APL, la suppression des IRP, la suppression de la sécurité sociale, le service minimum, qu’est-ce que c’est sinon de la politique ?

Renouer avec le syndicalisme lutte de classes

Je pense donc qu’il faut plus que jamais renouer avec notre histoire, l’histoire de notre classe, de nos batailles, de nos luttes, de nos acquis, de nos révolutions. Que l’on tire le bilan de nos échecs depuis le CPE, et encore bien avant. Mais il va falloir, pour ce faire, une politique syndicale profondément différente. Il faut qu’on se sépare définitivement de ce dialogue social qui endort les masses, alors que le seul message que je vois de la part de la direction, en tant que délégué du personnel à la SNCF, c’est « je veux bien qu’on discute, mais c’est moi qui décide ». En ce moment de grandes attaques du gouvernement et du patronat se préparent contre nos acquis, renouons avec un syndicalisme lutte de classes, qui se propose de passer véritablement à l’offensive. Pour arrêter de simplement défendre notre bout de gras, et plutôt construire le rapport de force qui nous permette d’aller de l’avant et de lutter véritablement contre les lois que Macron et ses amis veulent nous pondre, mais aussi contre leur monde !


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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 28 Oct 2017, 19:02

2016 n’aura pas lieu

Une brève analyse de la situation actuelle du "mouvement" parisien en vue d’aboutir à une perception commune.

2016 n’aura pas lieu

Le printemps 2016 est à la fois un souvenir puissant, source de motivation et d’inspiration et une impasse aujourd’hui. Nous ne cessons de l’invoquer dans nos actions et dans les textes qui y appellent. Il est souvent question d’agir dans « l’esprit » du mouvement contre la loi travail, de retrouver les intensités indiscutables qui s’y partageaient alors. C’est son ombre qui plane au dessus de nos dernières interventions, et qui par contraste ne crée plus que des frustrations. Il nous faut accepter que 2017 est bien en train d’avoir lieu.

Tout au long du dernier été, nous parlions avec impatience du mouvement social de cette rentrée. Cela allait de soi qu’une loi travail 2 ne pouvait qu’entraîner la suite de ce qui avait commencé l’année précédente. Après les difficultés que nous avions éprouvé à construire des mouvements sans les syndicats, que ce soit après le viol de Théo ou contre les élections présidentielles, et malgré les appels répétés à « imposer notre propre temporalité », nous espérions le retour de quelque chose de massif, de pluriel, à la façon de ce fameux printemps. Force est de constater au bout d’un mois de mouvement qu’il n’y a pas de mouvement. Si les syndicats endossent leur rôle de pseudo-négation de l’ordre en organisant des défilés à répétition, personne ne croit sincèrement à une quelconque victoire. Dans les facultés, les trotskystes les plus véhéments tentent de nous faire croire à une énième parodie de mouvement en créant des comités de mobilisation dans lesquels personne ne croit, pas même eux. Au milieu de ça, le cortège de tête patauge dans une pâle imitation de lui même, tourne en rond dans des pratiques qui, si elles ont pu montrer leur efficacité en leur temps, relèvent aujourd’hui d’un manque d’imagination et de considération stratégique. On est vraiment en train de forcer. Nos pratiques deviennent hors-sol, déconnectées, et nous empêchent d’avancer sur une perception commune de la situation qui nous permettrait d’entamer un réel travail de composition, de ré-imagination de nos pratiques. Prenons l’exemple de Nantes , ou occupant-es de la ZAD, jeunes déters habitué-es du cortège de tête et syndicalistes sincères se tiennent ensemble et tentent de réinventer leurs pratiques à chaque manif : création d’un mur, de véritables bâtiments, mettant un geste performatif au simple slogan vide que l’on scande habituellement pour s’auto-persuader « Et la rue elle est à qui ? Elle est à nous ». A Paris, les « Siamo tutti antifascisti » qui se répètent en chaîne déprimeraient une boîte de prozac. La critique légitime du cortège merguez-saucisse-ballon pourrait se transformer en critique du cortège kway-fumi-lacrimo, tout aussi déprimant et répétitif.

Une des raisons de cette inertie est la nouvelle stratégie de la préfecture qui consiste à tenir à distance la police, nous empêchant d’affronter la matérialisation de notre ennemi. En s’invisibilisant ainsi, le pouvoir nous laisse face à nous même, nous mettant au défi d’exister autrement que comme sa négation. Il réalise l’exploit de nous contrôler sans même avoir à s’adresser à nous. Lors de ces dernières manifestations, les rues nous appartenaient. Les macdos, banques et autres symboles du capital auraient pu être réduit en miettes, mais le sentiment de danger que produit cette répression diffuse a quasiment réussi à elle seule à nous en empêcher. Quand nous sommes passés devant, les locaux du « Monde » ont été à peine effleurés, alors qu’il est clair que ce torchon a joué un rôle considérable dans l’élection de Macron, et qu’il était une cible symbolique évidente. Voilà une piste qui pourrait peut être être exploitée : étudier les parcours de manifestations en amont pour attaquer des cibles précises nous permettrait au moins de parler de quelque chose en particulier, de véhiculer du sens, au lieu de chercher sans cesse la police, de stagner dans l’émeute pour l’émeute. Les années 70 italiennes ont connu ce genre pratiques : on attaquait tel local d’entreprise qui avait viré des copain-e-s, on explosait les vitres de tel siège syndical qui avait balancé des militant-e-s aux autorités.Toutes ces pratiques se réalisaient hors des parcours bien tracés et soumis aux dispositifs de nos manifestations. Remettre ces dernières au goût du jour serait aussi ne plus se centrer sur la manifestation syndicale, mais au contraire accroître notre puissance autonome, tout en donnant vie au slogan "grève, blocage, sabotage/manif sauvage. On pourrait d’ailleurs faire un parallèle avec ces fameuses « années de plomb » : les ami-e-s italien-ne-s disent combien il est difficile pour elleux aujourd’hui de dépasser ces années 70 qui furent si riches en intensités. Illes y reviennent sans arrêt, et ont du mal à développer quelque chose qui les dépassent. Même si le printemps 2016 est en comparaison une pure anecdote, il y a quelque chose du même ordre qui se joue en ce moment ici. Une autre raison est que beaucoup d’énergie est dépensée dans l’antirep, chaque action se soldant de plusieurs arrestations. Il faut reconnaître que les peines prononcées contre les inculpé-e-s du quai de Valmy sont dissuasives. On remarque également que le mouvement ne « recrute » plus grand monde, et même perd de ses composantes en raison entre autres de problèmes de sexisme, de virilisme. Si nous apparaissions comme un espace désirable pendant le mouvement, ce n’est plus tellement le cas aujourd’hui. Il y a bien des syndicalistes qui nous rejoignent pendant les manifs parce que leurs cortèges morbides les asphyxient (sauf solidaires, plein de bisous les copain-e-s), mais cette tendance est en baisse. L’occupation cette semaine de l’institut de géographie illustre bien ce constat d’impuissance. Ce n’est pas tant, comme on a pu l’entendre, un manque d’organisation et de préparation qui en a causé l’échec, mais plutôt un manque de sens, d’évidence commune que l’action était porteuse de quelque chose. Beaucoup d’entre nous ne se sont jamais vu y dormir, ne se sont pas senti investi de cette initiative. Cela tient en parti à cette impression de déjà vu, de déjà raté.

Ceci n’est pas un appel à laisser tomber les pratiques que nous héritons du printemps 2016, mais à ne pas se morfondre dans la nostalgie de son souvenir. Tout était plus ou moins facile alors, et la lecture de la situation assez claire pour qu’elle soit commune à quasi tout le mouvement. Aujourd’hui, il faut accepter que les paramètres ne sont plus les mêmes. Les inimitiés latentes entre les composantes du milieu, vieilles parfois de plusieurs années, rongent toutes les initiatives et les interventions. Il nous faut nous y confronter et sortir de nos fréquentes attitudes de poseurs, bloqués dans des identités politiques hermétiques et en concurrence. Il ne s’agit pas d’uniformisation mais de composition. Pour augmenter nos forces, il nous faut reprendre des actions quotidiennes de terrain : cantines, infokiosques, rencontres et situations en tous genre que nous savons parfois créer.

Soutenir, multiplier et approfondir les brèches creusées dans l’ordre établi qui se sont établies depuis le mouvement (squats ; lieux légaux ; salles occupées dans les universités, cycles de conférences et séminaires révolutionnaires, etc)Il nous faut nous inscrire dans des stratégies de moyen-long terme, et sortir de cette prison de l’urgence, de la réaction permanente à l’actualité. Prendre des lieux pour prendre le temps, loin de l’adrénaline et de l’excitation sans fin du printemps. Sinon, ce mouvement ne mènera que vers une décomposition de nos forces, un épuisement certain, une lassitude déjà commune à beaucoup d’entre nous.

Ceci n’est pas un programme, mais un énième pavé jeté dans les marécages du mouvement.

Michel.


https://paris-luttes.info/2016-n-aura-pas-lieu-8870
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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 30 Oct 2017, 11:24

Pour ne pas se faire laminer, il faudra un vrai plan de combat

Prochaine date de mobilisation, le 16 novembre. Martinez veut-il vraiment gagner contre la loi travail ?

Trois jours après l’intersyndicale qui a mené la CGT, FO, l’UNEF, Solidaires, l’UNL et la FIDL à appeler à une nouvelle date de grève le 16 novembre contre les ordonnances, il apparait de plus en plus évident pour les militants que la stratégie des directions syndicales a été loin de préparer un plan sérieux à même de gagner. Face aux politiques de divisions des dates, de morcellement des combats, comment peut-on sortir d’une impasse qui serait synonyme d’un recul social sans précédent ?

Nouvelle trahison ouverte de Berger, tandis que Mailly est obligé de rentrer dans le rang

Ce qu’on ne peut reprocher dernièrement à Laurent Berger, leader de la CFDT, c’est sa constance dans la trahison. Quand bien même le collaborationnisme de Berger qui ne fait pas vraiment l’unanimité à la base, la direction persiste et signe : il n’ira pas dans la rue, quand bien même ca gronde. Abandonné temporairement par Mailly condamné par la fronde interne à manifester avant le 20 novembre, Berger retrouve par la même son statut de premier interlocuteur avec le gouvernement comme au printemps 2016, avec la différence que nombre d’union départementales et de fédérations veulent cette fois-ci en découdre dans la rue. Cette position de proximité retrouvée avec Macron lui donne des ailes, allant même jusqu’à jeter en dehors des locaux de la CFDT, toutes les directions syndicales qui n’ont pas suivi la ligne de collaboration ouvert avec Macron. « On a demandé une salle, mais on a été mis dehors. La CFDT n’a pas souhaité nous mettre un bureau à disposition », résume Pavageau de FO. Expulsé du siège de la CFDT, une pratique qu’il n’aurait sans doute jamais osé mettre en œuvre avec les syndicats patronaux…

Du 12 septembre au 19 octobre : l’échec de la stratégie Martinez contre les ordonnances

Cela fait déjà presque deux mois que le gouvernement a dévoilé les textes finaux des ordonnances sur le Code du travail, et déjà quatre journées de mobilisations. Pour beaucoup d’équipes syndicales et de militants, avant toute chose, l’heure est au bilan : après un 12 septembre réussi, le 21 septembre a divisé d’un côté les fonctionnaires qui manifestaient le 10 octobre et les autres. Finalement, la date, appelée par la seule CGT, le 19 octobre, n’a vraiment pas été à la hauteur. Pourtant, dans beaucoup de secteurs, la détestation de Macron et la détermination à ne pas vouloir voir ses conditions de travail baisser (encore une fois) est bien réelle. C’est pour cela que, les routiers puis les dockers ont pu obtenir des avancées dans leurs négociations sur leurs conventions collectives, quand bien même ces victoires se sont cantonnées de façon sectorielle. C’est aussi pour cela que 400 000 fonctionnaires ont défilé le 10 octobre, avec une forte pression à la convergence public-privé, soit autant que le 12 septembre, sans même que les directions confédérales n’appellent à rejoindre la date de la fonction publique.

Or qui est responsable de la division des dates entre les différents secteurs ainsi que les « grèves saute-moutons » ? Assurément, ce ne sont pas les équipes syndicales de Solidaires ou de la CGT qui décide de l’agencement du calendrier de la contestation, et c’est bien Montreuil, en intersyndicale ou non, qui décide de ces dates. La mobilisation du 19 octobre, qui a vu le nombre de manifestants être divisé par deux ou presque, a mis en lumière la faible volonté de Martinez d’initier un mouvement d’ampleur, même au sein de la CGT. Le fait que Montreuil n’ait même pas incité toutes les unions départementales à préparer le 19 octobre en est la traduction la plus saillante.

Elargir le front syndical suffit-il pour gagner ?

Face à cet échec, la direction de la CGT mise tout sur l’élargissement de l’intersyndicale, que ce soit au niveau national ou au niveau local. Dans une « Note aux organisations [de la CGT] », la Confédération explique sa démarche à la veille de l’intersyndicale du 24 octobre de la façon suivante : « Partant de l’analyse et de l’appréciation des politiques sociales et économiques régressives pour les salariés, la jeunesse, les privés d’emploi et les retraités, ainsi que des ordonnances réformant le droit du travail, nous souhaitons aboutir à une journée nationale interprofessionnelle de mobilisations avec grèves dans les entreprises et établissements ainsi que des manifestations. Nous la souhaitons à la mi-novembre, dans l’unité la plus large possible. ». Si on ne peut qu’approuver la volonté d’élargir le front syndical contre les ordonnances et la volonté de faire émerger un front interprofessionnel, les paroles de la direction de la CGT ne concordent pas avec ses actes.

Le 10 octobre, de nombreuses organisations syndicales de base ont appelé à faire converger les colères autour de la mobilisation des fonctionnaires, et ainsi, tous les syndicats de cheminots avaient appelé à la mobilisation… Tous ? Non, sauf la CGT-Cheminots, qui s’est repliée seule sur le 19 octobre. Dans la même veine, l’annonce récente que la FNIC-CGT (syndicat des industries pétrolières) voulait entamer une grève reconductible le 23 novembre montre la non-volonté de la direction de la CGT de voir un mouvement d’ensemble interprofessionnel émerger, ou en tout cas de ne pas se doter des moyens de coordonner réellement les bagarres.

Si Martinez, dans ses déclarations, cherche à se montrer de plus en plus volontaire dans la construction d’un mouvement contre les ordonnances à la hauteur des attaques, la politique réelle de Montreuil n’y est pas, et ne peut que nous mener dans le mur. Dans ce contexte, les interpellations en direction de la CFDT, qui a par ailleurs revendiqué un certain nombre de mesures de la Loi Travail 1 et 2 (notamment un « meilleur encadrement du recours aux formes précaires d’emploi par la négociation de branche » et une « l’amélioration de l’indemnité de licenciement »), apparaît, au niveau national et local, comme une posture. Si la volonté de construire un mouvement avec les UD de la FE-CGC, de l’Unsa et de la CFDT qui sont en désaccord avec leur centrale est nécessaire, la question des méthodes, de la construction de la grève reconductible l’est d’autant plus.

Faire du 16 novembre une date pour construire un mouvement d’ensemble ?

Il n’est écrit nulle part qu’il devrait y avoir « victoire par KO » sur les ordonnances au profit de Macron. Contrairement à ce que suggérait Mélenchon, sur le plateau de TF1, il y a une dizaine de jours, ce ne sont pas d’autres mobilisations, le week-end, comme le 23 septembre, qui vont permettre de créer un rapport de force sur les lieux de travail et d’études.

Face à la politique de Martinez et des autres directions syndicales, seule une autre politique, mettant en avant les mobilisations interprofessionnelles ainsi que la grève reconductible comme outil pour gagner pourra poser les bases d’un plan de guerre à même de gagner contre Macron. Beaucoup de syndicalistes, qu’ils soient de Force Ouvrière, de la CGT, de Solidaires, voient cette nécessité. Et ils sont rejoints par celles et ceux qui, au sein des organisations politiques du monde du travail et de la jeunesse, du PCF à l’extrême gauche en passant par la France Insoumise, sont de la construction de toutes les mobilisations.

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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede Pïérô » 09 Nov 2017, 22:08

«Encore une grève ?» Et oui, encore.

Le 16 novembre sera une nouvelle journée de grève interprofessionnelle. Pour nombre d’entre nous ce sera la cinquième journée depuis septembre. Alors oui, il faut à nouveau faire grève, parce que c’est là que doit se situer le rapport de force... mais il ne s’agit pas d’évacuer les difficultés à mobiliser et les questions qui se posent au syndicalisme.

Que l’on soit à la CGT, à Solidaires, ou même partisan.es de collectifs du Front social… nous sommes nombreuses et nombreux à nous interroger : que se passe-t-il, pourquoi ça ne prend pas, pourquoi la grève, franche et massive, ne s’impose-t-elle pas dans le paysage social de ce début de quinquennat macronisé ? Le sentiment d’être le dos au mur ou de s’y cogner à répétition n’est agréable pour personne, il amène son lot d’aigreur et de coup de sang. Pourtant, c’est bel et bien maintenant qu’il faut garder la tête froide et réfléchir à nos stratégies de mobilisation. Sans évacuer les carences, les difficultés, mais en se donnant tout de même des perspectives pour les mois à venir.

On peut rejeter la faute à la forme de la contestation depuis le 12 septembre, les journées de grève de 24 heures « saute-mouton », et à leurs organisatrices, les « directions syndicales » : ce serait croire que toutes les causes de nos difficultés viendraient « d’en haut ». Pourtant, dans nos organisations syndicales le fédéralisme n’est pas à ce point défaillant et c’est bien là que se construisent, démocratiquement, les orientations et les stratégies. Jean-Claude Mailly en a récemment fait les frais.

On peut aussi étriller le corporatisme, par exemple des syndicats de fonctionnaires qui, avec la journée de grève du 10 octobre, seraient venus percuter la mobilisation interprofessionnelle : mais l’enjeu n’était pas de dénoncer, mais de prendre appui sur cette mobilisation, corporative oui, pour y faire converger d’autres revendications. C’est ce qu’ont tenté plusieurs intersyndicales départementales, inscrivant de fait cette journée dans la suite des 12 et 21 septembre.

La réalité – et il ne sert pas à grand-chose d’en fantasmer une autre – c’est que, même si ce n’est pas l’atonie la plus totale, on est encore loin de l’ébullition qui fait que le rythme d’une mobilisation n’appartient plus aux calendriers d’action mais vient se couler dans la vitalité des assemblées générales de grévistes. Vraiment loin.

Discutons de tout

On peut toutefois estimer que des initiatives fortes prises par une intersyndicale nationale un peu plus dynamique aideraient à donner confiance : certain.es collectifs syndicaux mettent ainsi en avant l’idée d’appeler à deux ou trois jours de grèves consécutifs. Pourquoi pas, il faut discuter de cette idée là et il n’y a pas de raison de ne pas la proposer à l’intérieur de nos organisations. Même si le niveau de mobilisation réellement existant laisse songeur sur une volonté plus forte de faire trois jours de grève d’affilée qu’un jour, difficilement, par mois. Et l’état des rapports intersyndicaux étant ce qu’il est, on peut douter obtenir un tel appel unitaire nationalement (et rapidement). D’autres, c’est le cas du Front social, proposent une marche sur l’Elysée le samedi 18 novembre 3 : pour le coup la piste choisie nous emmène un peu loin du blocage de la production et des services, mais si cette idée rencontre la volonté de collectifs syndicaux et de salarié.es elle fera partie de ce mouvement social, tel qu’il est. La mise en place d’une caisse de grève nationale, comme tente de le faire le syndicat Info’com-CGT 3, pose des questions qu’il faut regarder sincèrement : si l’objectif est de généraliser la grève, qui va donner de l’argent à qui ? Ne court-on pas le risque de favoriser la grève par procuration ? Il s’agirait dans ce cas, plutôt que de faire grève, de subventionner la grève des secteurs « bloquants » (ou présenté comme plus que les autres en tout cas)… mais ce qu’ont dit les grévistes des raffineries en 2016 c’est qu’ils et elles avaient surtout besoin qu’il y ait de la grève le plus possible, partout. Pour autant, il ne faut pas nier que l’aide apportée à des milliers de salarié-es par ce biais ainsi que la grande transparence de l’opération 3 sont éminemment appréciables.

Toutes ces idées, ne nous feront pas sortir du dilemme dans lequel nous sommes : si on veut reconduire et amplifier une grève, encore faut-il qu’elle existe. Continuons, sans lâcher, de construire ces journées de grève de 24 heures, toute « saute-mouton » soient-elles (et la prochaine, malgré tout, est celle du 16 novembre 3), mais comme des journées de colère, de révolte sur les lieux de travail. Utilisons-les pour que la parole se libère au travail, que les salarié.es s’expriment. Utilisons-les pour organiser en régions des manifestations, des actions qui sortent de l’ordinaire de la manif de centre-ville et qui soient utiles pour le cadre de mobilisation que nous avons choisi : défilons, grévistes et sections syndicales CGT, SUD ou FO dans les zones d’activités commerciales et industrielles, invitons à débrayer, retrouvons le goût des blocages ponctuels, en ciblant là encore les intérêts économiques. Ça ne remplacera pas une grève reconduite dont on a pu voir l’efficacité pour les routiers par exemple. Mais, 1/ ça peut mettre du baume au cœur ; 2/ ça a le mérite de placer le curseur de la mobilisation là où il doit être, appuyé sur une réalité sociale. Et sur ce plan, il y a encore fort à faire.

Même pas mort

Car l’une des leçons des séquences lois travail 1 et 2, c’est que le patronat voudrait voir le syndicalisme mort et enterré. Six pieds sous terre si possible. Son but est d’effacer cette réalité sociale qu’est la lutte des classes, pour nous transformer en « entrepreneurs et entrepreneuses de nos propres vies », nous faire avaler la fable du « renard libre dans le poulailler libre ». Et nous n’avons pas fini de nous battre, car ce n’est qu’une séquence – longue, certes – d’une bataille plus large que nous livre le Thatcher hexagonal. Face à ça, certains, comme Laurent Berger de la CFDT 3, voient leur salut dans leur rôle de « partenaires sociaux »… auquel même le gouvernement ne semble pas trouver grand intérêt. Autant chercher un boucher végétarien dans un abattoir. Jean-Luc Mélenchon quant-à-lui, voudrait profiter des difficultés que traverse le syndicalisme pour « en finir avec la Charte d’Amiens » 3. La ficelle est un peu grosse et réactive des ambitions d’hégémonie politique sur le mouvement social… qui ont déjà suffisamment pesé, et lourdement, du temps du lien quasi-organique entre le PCF et la CGT par exemple. Et qui surtout s’appuie sur des illusions parlementaristes et institutionnelles dont ont peut bien se passer : ce n’est résolument pas notre terrain.

Entre ces deux écueils, c’est bien au contraire toute la démarche de la Charte d’Amiens qu’il faut retrouver. Faire du syndicalisme un acteur majeur du changement de société est sans doute le défi le plus urgent pour les années à venir, toute sa pertinence étant d’agir à partir du terrain même de la lutte des classes. Pour ça, il nous faut exprimer haut et fort des revendications qui puissent avoir une portée équivalente à celle des 8 heures pour la CGT de 1906 (celle de la Charte d’Amiens, tiens), qui combinent à la fois amélioration immédiate – et vue comme telle par les salarié.es – et projet de société, ici libérant le temps de la rapacité patronale. Soutenir et faire connaître aussi les expériences d’autogestion, comme celles des Scop-Ti ou de Vio.Me qui démontrent que les richesses sont bel et bien produites par celles et ceux qui travaillent.

Et dans un mouvement parallèle il faut renforcer, continuer d’utiliser l’outil syndical, le diversifier et le rendre toujours plus vivant, l’adapter, pour mieux y faire face, aux conditions contemporaines d’exploitation et d’oppression. Remettre en débat en son sein les stratégies de mobilisation. Le rendre plus solidaire et interprofessionnel, plus attentif encore, plus acteur des résistances des travailleurs et travailleuses ubérisé.es, des combats pour la justice et la dignité dans les quartiers populaires, de ceux pour les droits des femmes… Les effets combinés d’un tel renforcement, tout à la fois des organisations que des perspectives de transformation sociale, permettraient d’affirmer d’autant plus le rôle de contre-pouvoir que le syndicalisme se doit de remplir.


https://blogs.mediapart.fr/theo-roumier ... oui-encore
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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 23 Nov 2017, 18:21

Bilan critique de la marche sur l’Elysée

Retour sur la marche organisée par le Front Social à laquelle se sont joint de nombreux militants. Occasion aussi de faire un point sur certaines pratiques au sein du cortège de tête...

Je suis arrivé vers 14h30 Métro Peirere. Premier constat : je n’ai jamais mis les pieds dans ce quartier, c’est dépaysant. Sur place on compte un petit millier de personnes (cela grossira pas la suite). La camionnette CGT rappelle les errements tactiques des directions syndicales, le rouleau compresseur de la bourgeoisie sur le code du travail et les violences policières en France. Les syndicalistes du front social ont fait le taf, ils ont assumé et déposé une manif allant de la place du Maréchal Juin à la Place du Pérou, à deux pas de l’Élysée.
La manif part et, comme d’habitude un cortège se forme en tête avec une très jolie banderole.

Devant encore ce cortège, les grévistes du Holiday Inn en grève depuis 35 jours, grève animée par la CGT et la CNT-SO. Les grévistes ne sont pas super à l’aise car derrière eux, de nombreuses personnes sont cagoulées. Pour certain.es c’est leur première manif. Certains dialogues sont d’ailleurs inutilement houleux entre les deux côtés, certaines personnes mettant en cause l’appartenance syndicale des grèvistes. Franchement les gens, vous venez vraiment donner des leçons à des personnes qui sont en lutte depuis plus d’un mois et qui ont pas de paie ? Sans blague…

... https://paris-luttes.info/bilan-critiqu ... sur-l-9084
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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 18 Jan 2018, 16:53

Une défaite programmée

ORDONNANCES : UNE DEFAITE PROGRAMEE

« Vous ne direz pas que je surestime le présent, et si pourtant je n’en désespère pas, c’est uniquement parce que sa situation désespérée me remplit d’espoir. » Karl Marx

Le 28 novembre dernier, seuls 12 % des député-es ont voté contre la transformation du Code du travail en ce qu’il faut mieux désormais appeler Code de l’emploi, soit l’exacte proportion de ceux qui ont eux sciemment voté pour Macron au premier tour de l’élection présidentielle, en faveur de son projet de « transformation » du pays , comprendre l’adaptation de la France au canon libéral et austéritaire dont les résistances, depuis 2005, ont entravé la bonne marche et dont la dite réforme constitue la pierre angulaire avant la remise en cause de notre modèle de protection sociale.

Nul sentiment de désespoir pour autant : d’abord parce que pour se sentir défait, encore faut-il s’estimer battu or la mobilisation contre les ordonnances a été en pointillé contrairement à celle de l’an dernier (qui se souvient encore que pour la même occasion, lors de l’adoption par le 49-3 de la loi Travail, nous étions des milliers mobilisés devant le Palais Bourbon ?). Ensuite parce que cette œuvre immense qu’est le Code du travail, fruit des luttes et des sacrifices de centaine de milliers de militant-es, connus comme anonymes, nous oblige.

Il est de bon ton, pour masquer notre propre impuissance, de proclamer que Macron, c’est le Thatcher français or le macronisme n’est que l’alternative par défaut qui émerge des ruines de trente d’alternance politique, qui en était de moins en moins une, et d’une société française travaillée dans le même temps par la crise. A mauvaise fortune bon cœur : les avanies quotidiennes des député-es marcheurs et l’arrogance de classe du pouvoir ne laissent rien dans l’ombre, tout est désormais sur la table et à la nausée peut rapidement succéder la colère. Pour reconstruire des outils efficaces de résistance et d’émancipation, il faut certes partir de ce qui existe mais l’honnêteté intellectuelle conduit à admettre qu’il faut aller vers toute autre chose.

Gauche année zéro

La chute du PS, si prévisible après le degré de reniement qui a été le sien lors du quinquennat Hollande et à l’instar de ce qui affecte la social-démocratie partout en Europe, vire à l’hiver sans fin : ce dernier s’est vidé des derniers éléments socialistes dans ses rangs (départ de Benoit Hamon après avoir cannibalisé EELV, exclusion honteuse de Gérard Filoche), ceux qui restent se disputent les débris de l’appareil en rêvant de reconstruction à partir du niveau local, déjà trusté par Les Républicains. Ce qui le guette, c’est de se retrouver PRGisé, relégué comme force d’appoint à gauche d’En Marche.

La France Insoumise, qui a cornérisé le PCF, se cherche, forte d’une performance électorale inégalée pour la gauche de transformation sociale depuis les années 80 et d’un écho certain dans la jeunesse. Après la réussite de sa manifestation du 23 septembre dernier contre le coup d’Etat social, qui n’a cependant pas atteinte une masse critique à même de bouleverser la situation en raison de son caractère autocentré, les coups d’éclats parlementaires ne suffissent plus et les élections sont encore loin : c’est pourquoi elle est décidée, à travers le lancement de son espace des luttes, à capter la défiance populaire, qui ira en augmentant, vis-à-vis de la politique économique et sociale du gouvernement.

Les organisations révolutionnaires ont elles été incapables de s’unir, ne serait-ce que pour formuler une critique commune sur la manière dont la mobilisation contre les ordonnances a été menée. Pire, au lieu de s’y investir et alors la riposte se situe plus que jamais sur le terrain extra-parlementaire, elles n’auront eu de cesse de se méfier du Front social, tête de pont de la contestation sociale dès avril dernier, voire de le dénigrer. Le mouvement autonome, qui avait vu son influence augmenté suite aux cortèges de tête de l’an dernier, est lui aussi en pleine interrogation car il est difficile de continuer à prêcher l’insurrection quand elle ne vient toujours pas. Macron peut dormir tranquille : ça n’est pas du côté gauche, en pleine redéfinition et dont le poids de la représentation parlementaire n’est même pas à même de peser sur la prochaine révision constitutionnelle, que le péril le guette.

« Les syndicats sont mortels comme les partis politiques »

Le vieux monde politique a sombré mais la situation n’est guère reluisante du côté syndical : au nom du primat du politique, pourtant bien mal en point au regard de l’accession répétée de l’extrême-droite au second tour de la présidentielle et d’une abstention record, les confédérations, en participant toutes à la concertation initiée dès juin dernier, ont contribué à désarmer leur base qui s’est retrouvée fort dépourvue une fois la bise des ordonnances venue. Les militant-es, quelle que soit leur orientation, ont pourtant bien perçu le danger mortel qu’elles recèlent  : faire en sorte que tout ou presque que ce que les patrons ne respectaient pas au risque d’être sanctionné ait désormais, par le jeu du dialogue social, force de loi quand il ne s’agit pas, dans les petites entreprises, de draper la décision unilatérale de l’employeur dans le costume de la démocratie référendaire.

C’est du côté des syndicats dits réformistes que le trouble est le plus perceptible, à commencer par la CFDT, pourtant forte de sa première place dans le secteur privé depuis mars 2017  : la fête, organisée en octobre dernier, avec dix mille adhérent-es pour marquer l’événement a été gâchée et a donné lieu à une libération inédite de la parole dans une centrale au corpus idéologique plus que normalisé depuis 2003. À défaut de mobiliser ses troupes, Laurent Berger, dont le constat ouvre cette partie, est obligé de résumer le contenu des ordonnances à «  un classicisme froid, techno et triste.  » La fronde a été encore plus spectaculaire à FO, où Jean-Claude Mailly, après avoir vanté les pseudo-négociations et, en particulier, le renforcement des prérogatives des branches ˗ là où leur rôle est pourtant purement et simplement annihilé ˗ s’est vu mettre en minorité par le parlement de sa centrale et contraint d’appeler à la mobilisation du 16 novembre.

Du côté de ceux qui luttent, la situation n’est guère plus enviable. A la CGT, c’est le délitement qui prévaut : les secteurs où la centrale de Montreuil pèse, à commencer par les routiers et les dockers, négocient les uns après les autres la sanctuarisation de leur régime conventionnel illustre la défiance vis-à-vis de la stratégie de journées saute-mouton mise en œuvre par Philippe Martinez. À Solidaires, tiraillé entre mouvementisme, avec l’organisation d’une manifestation contre l’université d’été du MEDEF et une chasse aux DRH, et suivisme de la CGT, le débat se cristallise sur l’implication ou non dans le Front social, dont l’appel à participer à la marche nationale sur l’Élysée du 18 novembre a été rejoint in fine.

Des occasions de converger, il y en a pourtant eu : avec les retraité-es le 28 septembre, avec le secteur public le 10 octobre et une unité syndicale retrouvée, certes trop tardivement, le 16 novembre. Mais encore fallait-il que ces différentes échéances s’inscrivent dans un plan de bataille et s’accompagnent d’une volonté d’aller vers l’affrontement, portée par exemple par l’organisation d’une manifestation nationale, à l’instar de celle du 14 juin 2016 qui a ébranlé Valls et l’a amené à répondre par la répression. Après, on peut toujours appeler à l’unité mais ne serait-ce qu’une réunion entre dirigeant-es des organisations dite de gauche a-t-elle été organisée pour envoyer un signe, à commencer à leurs propres membres ? La gravité de la situation, à savoir un état de droit au conditionnel dans l’entreprise, n’exigeait-elle pas de mettre de côté tant ses divergences stratégiques que ses querelles d’egos, voire ses intérêts boutiquiers pour bâtir la riposte avec le plus grand nombre ? Seul le Front social, fort de l’acquis que représente la constitution l’an dernier d’une avant-garde large, a défendu cette perspective.

Et si la solution, pour cesser d’être dos au mur, c’était d’être aussi radical que l’est Macron lui-même  ? Pourquoi ne pas s’unir sur un projet de transformation sociale plutôt que de miser sur un improbable repli dans les entreprises, là où l’application de la loi travail XXL va tout cristalliser, voire sur le corporatisme qui va bon train de la CGC à la FSU et reprendre le débat sur la réunification syndicale alors que les recompositions sur le terrain, dictées en premier lieu par la mise en place du nouveau comité social et économique, vont s’accélérer. Il est temps aussi que le mouvement syndical soit à l’image du monde du travail d’aujourd’hui, les luttes récentes de travailleurs ubérises ou les plus précaires montrent que c’est possible pour peu de faire appel à l’optimisme de la volonté : après tout, le fait syndical a réussi à s’imposer au 19ème siècle dans des conditions comparables à ce vers quoi la nouvelle législation du travail, devenue loi de l’entreprise, tend à nous ramener.

Déplacement du domaine de la lutte

Des pratiques syndicales renouvelées, en organisant les travailleurs au plus près afin de vaincre l’isolement qu’induit la structuration moderne des entreprises, à commencer par la généralisation de la sous-traitance et de la franchise, elles existent déjà. Des luttes, souvent longues et déterminées, elles ne manquent dans la période : quinze jours de grève suivie par 100 % du personnel pour le maintien de l’emploi chez Vélib’, une grève de la faim à Sodexo pour peser sur le contenu du PSE, des conflits qui s’éternisent à Holiday Inn et à Mc Donald’s ou bien remporté haut la main au bout de quarante-cinq jours à Onet etc. Rien de plus faux de prétendre que les salarié-es ne veulent pas se battre, c’est bien en haut qu’il y a un problème de stratégie ! La conflictualité tend à se déplacer dans le privé, en particulier dans le secteur des services qui connait déjà le monde de la loi Travail. Il y a aussi d’importantes mobilisations sectorielles dont on parle peu : ainsi, le 20 décembre, c’est la CGT Commerce qui organisait sur Paris une manifestation, inédite en pleine trêve des confiseurs, de près d’un millier de personnes après celle de l’intersyndicale de l’ONF le 14 décembre, qui a compté la moitié des gardes-forestiers qui y travaillent, sans oublier la journée nationale de grève dans les EHPAD prévue elle le 30 janvier prochain : ce vaste mouvement de grèves invisibles n’est pas sans rappeler celui qui a précédé un certain été 68…

En 2018, on rentre dans le dur comme les ordonnances vont alors s’appliquer à plein régime. L’envolée des licenciements est certaine, à commencer chez le premier employeur privé du pays, Carrefour, qui annoncera son plan de transformation le 23 janvier prochain et ce alors que les droits des chômeurs seront sur la table : la contradiction promet d’être explosive. Le patronat a trouvé, avec la rupture conventionnelle collective qui sera étrennée par l’enseigne Pimkie dès le 8 janvier, un moyen de se passer y compris des plans de licenciements collectifs (des ruptures sans motivation, ni obligation de reclassement : le rêve) tout en les sécurisant, contrairement aux PSE dont la contestation judiciaire est devenue résiduelle suite à la loi de sécurisation de l’emploi.

L’explosion sociale, seule à même de mettre un terme à l’offensive sur nos droits, qui va résulter tôt ou tard de l’application de ces mesures et de celles à venir, encore faut-il la préparer et pas seulement l’appeler de ses vœux : le Front social, en proposant une journée d’action décentralisée samedi 20 janvier en direction du patronat pour dixit reprendre tout ce qu’ils nous ont volé, participe de cette volonté en répondant à l’émiettement des mobilisations par le regroupement de tous ceux qui luttent, sans sectarisme ni arrière-pensées.

Laurent Degousée

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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 20 Jan 2018, 16:21

Redonner d’autres perspectives au syndicalisme : échanges autour de la revue Les Utopiques

La revue de l’Union syndicale Solidaires, Les Utopiques, a récemment sorti un nouveau numéro consacré aux mobilisations contres les lois Travail (numero 6). A cette occasion, il a paru intéressant de questionner, avec des contributeurs issus de différentes organisations syndicales, les difficultés et les perspectives possibles du syndicalisme et des mobilisations sociales. Le thème de l’unité a beaucoup occupé les esprits ces derniers mois, tant au niveau syndical que politique. D’ailleurs, il comptait déjà parmi les préoccupations de la revue, sous forme de dossiers, dans ses précédents numéros. Nous avons donc rencontré, pour débattre de ce sujet, Christian Mahieux et Théo Roumier de l’Union syndicale Solidaires, pour Les Utopiques, ainsi que des camarades du Syndicat général du Livre et de la communication écrite de la CGT, Guillaume Goutte et Jean-Yves Lesage, qui y ont aussi signé un article.
Au-delà de la question de l’unité, voire de l’unification syndicale, c’est bien la place possible du syndicalisme aujourd’hui au coeur d’une dynamique de transformation sociale émancipatrice qui a été interrogée, à partir de commentaires sur la situation présente, de différents éclairages historiques, mais aussi de l’examen de pistes concrètes envisageables pour l’avenir.

... http://www.autrefutur.net/Redonner-d-au ... -revue-Les
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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 01 Fév 2018, 16:32

Université

Comprendre les leçons du mouvement de 2009 pour penser la mobilisation contre la sélection

Cet article vise, à l'heure des mobilisations contre la sélection à l'Université, à tirer les leçons des défaites politiques du mouvement de 2009 dans les universités. Nous nous appuierons principalement sur l’essai d’Emmanuel Barot, Révolution dans l’Université, qui visait à produire une analyse critique du mouvement de 2009. A partir de cette analyse, nous tenterons de dégager des perspectives stratégiques pour le mouvement. Il s'agira d’abord de relever les contradictions internes au mouvement de 2009 qui ont mené à son échec afin, dans un second temps, d'en tirer les leçons et ainsi, sur la base de cette analyse critique, formuler des propositions tactiques pour la suite de la mobilisation actuelle.

... http://www.revolutionpermanente.fr/Comp ... -selection
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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 03 Fév 2018, 21:33

Les attaques anti-sociales du gouvernement : un cocktail potentiellement explosif ?

Face à la nécessité de faire passer ses contre-réformes profondément anti-sociales qui visent à détruire bon nombre de nos acquis sociaux, Macron a choisi l'option « vite et en même temps ». Ainsi, en ce début de quinquennat, tout le monde y passe : fonctionnaires, salariés du publics comme du privé, retraités, jeunes, étudiants,lycéens... Une stratégie qui pourrait au final avoir un effet boomerang et se retourner contre lui, à l'heure où les colères à l'encontre de la politique menée par son gouvernement commencent à s'exprimer.

Face aux politiques austéritaires et anti-sociales menées depuis des dizaines d’années par les gouvernements successifs, poursuivies et amplifiées par celui de Macron, cette semaine a été marquée par plusieurs grèves et mobilisations.
En effet, fait historique, le secteur des Ehpad avec ses salariés qui subissent la réalité d’un secteur soumis à l’austérité : conditions de travail déplorables, burn out, maltraitance des patients, a appelé à une journée de grève nationale ce mardi, qui a été une belle réussite. Le secteur hospitalier, qui est l’un des services publics qui souffre le plus de la casse des services publics et des logiques de rentabilité qui l’accompagnent – les burn out, démissions et suicides se multiplient depuis plusieurs années – a dans certaines villes rejoint cette mobilisation. C’est notamment le cas du CHU de Toulouse qui était dernièrement en grève. Jeudi, journée de mobilisation nationale appelée de manière unitaire par les syndicats et associations de l’enseignement supérieur – fait rare depuis 2009 et la mobilisation contre la Loi LRU2 - contre le plan étudiant qui entérine la sélection à l’université. Quelques organisations du secondaire ont également rejoint cet appel. Quelques milliers de lycéens, étudiants, personnels d’université et enseignants ont ainsi battu le pavé avec pour mots d’ordre « retrait du plan étudiant sans concession et ré-engagement de l’État et de moyens dans l’éducation ».

C’est dans cette conjoncture particulière, marquée par une montée de la contestation à l’égard des politiques actuelles et de celles à venir, que Macron et son gouvernement ont annoncé une attaque historique : un plan de départ volontaire dans le secteur public, et de ce fait la remise en cause même du statut du statut de fonctionnaire. En effet cette mesure signe la fin de l’emploi à vie dans la fonction publique. L’idée étant ici d’avoir moins de fonctionnaires et plus de contractuels, alors que les contractuels représentent déjà aujourd’hui 20% des effectifs selon la CGT. C’est de ce fait une fonction publique précarisée qui est en passe de se développer.

Cette attaque est une belle démonstration du mépris que les classes dominantes ont à l’égard de notre classe, de nos vies et de nos revendications. En effet, alors que le secteur de la santé et de l’éducation dénoncent les coupes budgétaires qui étranglent le service public et qui entraînent des conditions de travail déplorables, exigeant dès lors plus de moyens financiers et humains, la seule réponse du gouvernement : des miettes accordées pour museler la contestation sociale et une attaque considérable sur le statut de fonctionnaire.
Une attaque dont les classes dominantes rêvaient depuis des années, mais qui justement pourrait mettre le feu aux poudres et œuvrer à la coagulation des colères, qui aujourd’hui s’expriment à travers des luttes sectorielles. En effet, en faisant vite et « en même temps », le gouvernement pourrait bien voir le vent tourner.

Si aujourd’hui les colères qui commencent à germer se sont plutôt cristallisées dans des mobilisations sectorielles, la stratégie du gouvernement visant à passer rapidement et d’une traite ses contre-réformes pourrait se retourner contre lui. Face à un gouvernement qui n’épargne personne et est déterminé à détruire l’ensemble de nos acquis sociaux et à nous condamner à une vie toujours plus précaire, que l’on soit jeune, travailleur du public – la dernière attaque en date étant le jour de carence pour les cheminots, continuant à marcher progressivement sur l’ensemble des acquis de ces derniers - ou du privé, chômeurs, retraités, il est primordial de faire converger nos colères. Seule une grève massive, nationale, et une unification des secteurs en lutte, contre toute logique de division des dates, pourront permettre en effet de mettre en déroute le gouvernement ! Ces attaques sont par ailleurs pensées, à partir notamment de la précarisation croissante qu’elles engendrent, comme un moyen d’asphyxier les travailleurs, la jeunesse, et d’éviter toute possibilité de s’organiser, de relever la tête. Cette logique est en effet particulièrement criante dans les contre-réformes mises en place à l’encontre de la jeunesse. Il est donc nécessaire de mettre en place et de multiplier le genre d’initiatives unitaires, et d’en finir avec la multiplication, en ordre dispersé, d’initiatives et de journées de grève sans lendemain.


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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 10 Fév 2018, 22:54

Loi Travail, un an après : analyse et perspectives

Après le mouvement contre la première loi Travail (2016), nous avons travaillé à quelques pistes d’analyse. Il nous semble que ces analyses, comme quelques propositions, peuvent retrouver une actualité dans le moment politique que nous vivons. Nous les proposons ici telles quelles, laissant ouvertes les perspectives d’application possibles à l’avenir.

Dans le contexte européen de 2016, la France tenait une position légèrement anachronique : malgré son échec, le mouvement de 2010 avait au moins retardé l’application d’une série de mesures d’austérité telles qu’elles ont pu être prises en Italie, en Allemagne, en Grande-Bretagne, etc. La loi El Khomri n’était aussi que la dernière carte d’une série de mesures qui augmentaient la pression sur le salariat, et alignait le salariat français sur celui des pays voisins : il y avait eu l’ANI avant l’élection de 2012, puis le Pacte pour la compétitivité et le CICE, la loi Rebsamen, la loi Macron - pour citer les plus importantes. La loi El Khomri s’inscrit dans cette tendance plus générale, où des milliards d’euros d’aides publiques sont offerts aux entreprises, où les cotisations sociales se réduisent, les impôts sur les entreprises baissent, les coûts de licenciement chutent. On encourage les contrats précaires (« CDI intérim », CDD renouvelable), le prolongement du temps de travail (travail du dimanche, travail de nuit) – un ensemble de mesures devant favoriser la « création d’emplois » et « l’embauche ». Ceux-ci n’auront abouti qu’à un renforcement du capital face aux travailleurs : avec le CICE et les autres mesures de modération salariale, le coût de la main d’œuvre française est revenu à un niveau inférieur à celui de l’Allemagne.

D’un côté, la loi « El Khomri », dite loi travail, soulignait certaines tendances déjà établies par des lois précédentes. D’un autre côté, elle rendait caduques les 35 heures et une grande partie du code du travail en donnant la primauté aux accords d’entreprises qui pourront déroger aux accords de branches.

Cette remise en question expresse du droit du travail et de la longueur de la journée de travail, deux acquis importants de la lutte des classes depuis 150 ans, aura-t-elle été l’élément déclencheur d’un mouvement mobilisant aussi bien le prolétariat que la petite bourgeoisie (bien que sous des formes différentes) ? Ou faut-il également expliquer l’évènement en le rapportant à la conjoncture particulière que représente une France en plein état d’urgence, ayant interdit le droit de manifester et une période de sévère crise des institutions ?

Points notables du mouvement

Trois éléments semblent particulièrement révélateurs de la spécificité du mouvement, et illustrent des tendances de fond de notre situation.
Le mouvement a globalement mobilisé moins de personnes que ceux de 2006 et 2010 avec moins de lycées bloqués et des AG inter-facs’ plus petites, moins fortes et avec très peu de blocages d’universités. Les manifestations ont également mobilisé moins de fonctionnaires (peu de grèves à la RATP, la poste, etc.) et n’a mobilisé le secteur privé que d’une manière très partielle. Comparé au mouvement contre la réforme des retraites, les manifestations ont rassemblé moins de personnes et les grèves reconductibles dans les raffineries, parmi les routiers ou les éboueurs, faisant écho à celles de 2010, ont globalement tenu moins longtemps. Ainsi, aussi bien au niveau syndical qu’au niveau des organisations politiques, le mouvement s’est concentré sur un noyau plus restreint de militant-e-s.

Deuxièmement, dans chacune de ses phases, nous avions le sentiment de rester à côté du mouvement. Ainsi, les étudiant-e-s et lycéen-ne-s ont été très actifs du début du mouvement jusqu’à la mi-avril. L’attention médiatique a ensuite été concentrée sur le phénomène Nuit Debout. Ce n’est qu’à la mi-mai qu’une grève reconductible et des blocages ont été initiés par les ouvrier-e-s des raffineries et des ports qui n’ont pas pu tenir le mouvement tout-e-s seul-e-s. Enfin, les syndicats ont entrepris l’organisation, mi-juin et mi-juillet, de nouvelles « journées de mobilisation » alors que les grèves étaient presque toutes au point mort.

Troisièmement, une grande violence physique et idéologique s’est manifestée, allant jusqu’à la menace de l’interdiction de la manifestation prévue le 21 juin 2016. La violence policière a été plus brutale qu’en 2006 et 2010 pendant les manifestations [voir par exemple Une cartographie des violences policières en France lors du mouvement contre la Loi Travai https://rebellyon.info/Une-cartographie ... res-16143l. Les blocages des dépôts de carburants ont été dissouts par des CRS envoyés sur place. De surcroît, le discours idéologique ambiant particulièrement antisyndical (acharnement médiatique contre les syndicats allant jusqu’à la comparaison de la CGT à Daesh par plusieurs journalistes et politiciens ; utilisation incessante du champ lexical de la « prise d’otage », etc.) et anti-prolétarien (Macron face aux ouvrier-e-s à Lunel : « La meilleure façon de se payer un costard c’est de travailler ») n’a que renforcé le dénigrement des revendications prolétariennes.

Si le mouvement contre la Loi El Khomri manifeste un ras-le-bol généralisé vis-à-vis de la succession de réformes de la présidence Hollande, il faut aussi rappeler qu’il mobilise autour d’un changement de loi plutôt abstrait, d’une transformation du droit, qui ne porte pas directement sur un aspect facilement identifiable dans le quotidien du travail. Cet aspect est capital pour la mobilisation en entreprise. Par ailleurs, dans la mesure où ce projet de loi institutionalise et formalise des pratiques déjà existantes, on peut penser qu’une partie du salariat - intérimaires, salariés soumis à des conventions collectives pourries comme le nettoyage ou la restauration rapide, contrats de professionnalisation, travailleurs au noir, etc. - ne s’est pas sentie concerné par les mobilisations. Ces travailleurs ne bénéficient déjà plus des protections sociales menacées par la loi. Donc, au-delà de mobilisations et grèves plus faibles chez les fonctionnaires, non concernés par la loi, les grèves atomisés et assez faibles du secteur privé soulignent des difficultés objectives liées à la fragmentation du prolétariat lui-même en une multitude de statuts, qui ne sont déjà pas régis par un code unique. D’ailleurs le gouvernement, tout au long du mouvement, a montré qu’il tend à renforcer cette division en s’adressant aux secteurs en lutte de manière individualisée. Il a en effet répondu à certaines revendications des routiers et des intermittents en les prenant à part dans les négociations, avortant ainsi leur engagement dans le mouvement.

De ce mouvement, on peut donc dire qu’il illustre à la fois une tendance et une contre-tendance des luttes sociales actuelles. La tendance est à la segmentation du prolétariat en différents statuts qui n’ont pas les mêmes choses à défendre. Mais contre-tendance tout de même : il n’était pas anodin que des salariés, sur la base d’un conflit local choisissent le moment d’une affirmation ouvrière nationale pour se mobiliser et provoquer l’arrêt des chaînes. La mobilisation nationale renforce le poids et légitime une mobilisation locale ; mais elle relaie aussi et donne une force locale à la mobilisation nationale. Ces mobilisations, quoique localisées, témoignent ainsi de la persistance d’une conscience lucide des intérêts du prolétariat. Il demeure qu’il n’existait pas pour ces salariés de perspective parlementaire comme celle de 2010 : l’imminence d’un retour de la gauche au pouvoir.

Nuit Debout et Fakirisme

Les pratiques extra-syndicales ont largement marqué ce mouvement : ceci, non pas du point de vue de la réalité de ses pratiques - dont rien ne dit qu’elles aient effectivement été plus massives - mais de leur importance dans la dynamique du mouvement et de leur manière d’être relayées. C’est d’abord une mobilisation sur les réseaux sociaux avec la pétition #LoiTravailNonMerci rassemblant plus de 1,3 millions de signatures, et l’initiative #OnVautMieuxQueCa. Puis vint l’appel de syndicats étudiants et lycéens à manifester le 9 mars ainsi que des appels à la grève dans certaines branches qui précipitèrent le mouvement alors même que la majorité de confédérations syndicales n’avaient pas déposé de préavis de grève nationale interprofessionnelle. Le 9 mars, la grève est très largement suivie à la SNCF (35 % du personnel en grève) ainsi qu’à la RATP, plus de 100 lycées sont bloqués, et plus de 400 000 personnes manifestent contre le projet de loi dans toute la France. Pour donner suite à cette première mobilisation, les mois de mars, d’avril, mai et juin vont être rythmés par une succession de manifestations nationales, de blocages, de rassemblements, de manifs sauvages, de grèves localisées et d’appels à la grève nationale.
Le mouvement, contrairement à celui contre le CPE en 2006, n’aboutit pas à l’abrogation de la loi mais rencontre une répression virulente et un passage en force par l’utilisation répétée du 49-3. Néanmoins, il manifeste une diversité de modes d’agir - qui correspond aussi à une perte d’hégémonie des organisations ouvrières que sont les syndicats face aux manifestations et mots d’ordre de la classe moyenne -, une tolérance croissante face à la violence et une analyse systématique du cadre dans lequel la loi s’inscrit : « contre la loi El Khomri et son monde ». Bien évidemment, ce refus peut être compris aussi bien comme un alternativisme (très présent à Nuit debout) que comme un réformisme radicalisé, mais du moins traduit-il le sentiment que la loi n’est pas une fin en soi.

Quant à Nuit Debout, événement majeur de ce printemps, ces occupations ont su trouver leur « base sociale » et fonctionner. Mais il faut certainement relativiser le caractère spontané de ces occupations de place. La « forme » Nuit Debout est une proposition inspirée par les récents mouvements de type Occupy, dont la promotion a été assurée par des relais proches inspirés de Podemos ; cette forme ne sort pas de nulle part. Quant au bilan critique que l’on peut en faire, il oscille entre les critiques que l’on peut adresser aux bureaucraties syndicales – contention de la contestation dans des formes alternatives et négociées – et celles que l’on peut adresser à l’extrême-gauche – auto-valorisation, distinction sociale et recherche permanente de radicalité.

Toutefois, il faut souligner que, dans l’éclectisme des Nuits Debout, des voix syndicalistes et un discours explicite de lutte des classes ont pu se faire entendre ; par ailleurs, la présence quotidienne et visible de la contestation dans l’espace public contribuait à élever sans aucun doute le niveau général d’antagonisme social.

Limites de l’extrême-gauche en présence

Le mouvement a buté, en toute hypothèse, sur des limites objectives. L’absence d’un débouché politique, soit-il réformiste, la prégnance idéologique des classes moyennes, la faiblesse de la mobilisation de certains segments du prolétariat – tout cela tient à des facteurs qui ne peuvent pas être dépassés par un coup de baguette magique. Cela dit, l’extrême gauche en présence n’a jamais été capable de mettre en œuvre les propositions circonstanciées qui auraient pu affermir le caractère de classe du mouvement, et le pousser précisément jusqu’à ces limites que nous avons citées.

Autocongratulation et non-subjectivation

Face à la tiédeur des directions syndicales, différentes factions d’extrême gauche se sont livrées comme d’habitude à une course à la radicalité. Ce n’est pas nouveau : les bureaucraties syndicales apparaissent comme le repère par rapport auquel il faut se positionner en s’en démarquant. Nous pensons qu’un tel raisonnement est erroné, ou en tout cas qu’il se prive d’une analyse des forces sociales.

Cette extrême-gauche surestime largement l’importance du rôle de la bureaucratie. L’échec du mouvement, la faiblesse des grèves, la répression lui sont attribuées comme s’il s’agissait de choix d’orientation. Dans cette pensée magique, les prolétaires ne seraient retenus dans leur révolte sauvage que par l’appareil bureaucratique. Ce n’est pas voir les difficultés de structuration du prolétariat contemporain. La motion, imposée par la base au congrès de la CGT, appelant même timidement à organiser les travailleurs.euses sur leur lieu de travail en vue d’une « grève reconductible interprofessionnelle », n’a pas été suivie d’effets. La direction de la CGT a sans aucun doute opportunément « gauchi » son discours, donnant ainsi des gages à ses militants après des années de défaite ou de simple absence de lutte. Pourtant, attribuer l’échec des manifestations et des mouvements de grève aux bureaucraties - dont chacun sait déjà à quel point elles contribuent à ralentir les luttes - c’est renoncer à en chercher les causes au sein du prolétariat lui-même. Par cette critique facile, l’extrême-gauche fait l’économie d’un travail d’enquête et d’organisation sérieux à destination des lieux de travail.

C’est aussi faire semblant d’ignorer que les appareils syndicaux sont des organisations dédiées à la satisfaction de revendications économiques immédiates. Ils sont l’outil des travailleurs.euses qui luttent contre les capitalistes pour un partage plus avantageux entre le temps de travail qui leur reviendra sous forme de salaire, et celui qui leur filera entre les doigts pour revenir aux capitalistes sous la forme du profit. Or, ce partage doit régulièrement être négocié dès que l’une des deux classes se sent en mesure ou en nécessité d’en réclamer davantage. C’est à ce titre que les syndicats rémunèrent en leur sein une couche de spécialistes divers et de représentantes. Ces derniers doivent bien sûr avoir les moyens de faire pression sur leur interlocuteur, mais doivent également montrer qu’ils sont légitimes à négocier.

Le syndicalisme amène donc in fine les luttes économiques des prolétaires à des issues négociées dans le cadre du capitalisme. En période d’expansion économique, les syndicats sont intégrés dans la machine : leurs interlocuteurs bourgeois sont en mesure de céder à une grande partie de leurs revendications sur les salaires, le temps ou les conditions de travail, pourvu que les coûts engendrés soient compensés par la hausse de la productivité et l’inflation. Mais entre les périodes de crise et celles de récession, la syndicalisation décline et les défaites s’enchaînent. Certains choisissent la soumission totale comme la CFDT. D’autres – la CGT et FO – préfèrent la voie de la lutte, mais se retrouvent en difficulté lorsqu’il s’agit de demander à des manifestants et à des grévistes de respecter le cadre pacifique des mobilisations antérieures. Si ce cadre pouvait être mieux accepté par le passé, c’est qu’il a pu sembler légitime car suffisant pour faire céder l’État et les capitalistes sur certaines revendications.

Finalement, deux positions erronées coexistent au sein de l’extrême-gauche. D’abord, celle de ceux qui, face aux mots d’ordre de la bureaucratie, restent timides voire suivistes (typiquement Lutte Ouvrière). Et puis celle portée par la gauche du NPA, par divers groupes gauchistes et par les autonomes, qui est une critique générale, abstraite des syndicats. Nous nous attachons au contraire à une critique circonstanciée et radicale des politiques syndicales. Que les syndicats négocient un compromis avec le gouvernement qui représente les capitalistes de la nation n’est pas une « trahison », c’est l’action conforme à la nature d’un syndicat. Le problème est précisément qu’il existe une tension entre le fait de s’engager dans la lutte des classes et celui de lui trouver une issue légale et négociée dans le capitalisme. Autrement dit, entre le fait de mobiliser et de massifier la lutte, c’est-à-dire de prendre le risque d’être débordé, et le fait de contenir cette mobilisation dans le cadre de la justice bourgeoise.

Il faut donc, bien sûr, s’opposer avec force lorsque les bureaucraties se dissocient des combats de rue contre la police ou envoient leurs services d’ordre contre les cortèges de tête. Mais nous ne pouvons valider la thèse du simple dépassement du syndicalisme par une (auto-)valorisation de la forme émeutière que sont les cortèges de tête.

Ainsi, la défense et la valorisation sans contenu de classe, presque acritique, des cortèges de tête se dispense d’une analyse autant du rôle des syndicats (qui seraient des « traîtres ») que du prolétariat (où est-il ?). Contre ceux qui n’en défendent que la radicalité apparente et le refus des négociations, nous voulons voir le cortège de tête comme une manifestation sociale : qu’exprimait-il socialement ? Nous y avons vu une jeunesse scolarisée privée de débouchés, minée par le problème de plus en plus pesant de surcapacité des facs (l’écart démographique était de +15 000 étudiants cette année-là). En dépit du fait que cette forme de démonstration « innove », rien ne nous garantit qu’elle ne fera pas école comme un élément intégré à la régulation de la lutte des classes - ce que furent les grèves du zèle et les séquestrations de cadres. La destruction du mobilier urbain ne représente pas en soi une menace pour l’ordre existant - tout au plus stimule-t-elle la production dudit mobilier.

Pourtant, une partie du cortège s’en satisfaisait bien : et cette satisfaction-là est aussi un marqueur social qui se lit de manière dramatique dans l’écart entre, d’une part, la radicalité de telles actions et la réaction légitime de l’extrême-gauche aux violences policières qui s’ensuivent et, d’autre part, la tiédeur de la réaction de ces mêmes groupes aux violences policières quotidiennes dont la police fait preuve quotidiennement envers certains segments du prolétariat (notamment le meurtre d’Adama Traoré peu de temps après le mouvement). Peut-être ces meurtres visent-ils des personnages moins spectaculaires, moins esthétiques que ces fameux cortèges ?

Il demeure que malgré la radicale critique qui en est faite, ce sont les syndicats bien plus que quelques groupes radicaux et affinitaires qui ont mobilisé un million de salariés dans la rue, qui ont provoqué un début de pénurie d’essence, qui ont fait planer le spectre d’un ralentissement de l’économie.

Incapacité de mise en place de cadres efficaces

Est-ce dire qu’il faut s’en remettre aux syndicats, en leur demandant poliment mais avec insistance d’appeler à la grève générale, comme on a pu l’entendre à Nuit Debout ? Non, c’est simplement pointer une faiblesse structurelle de l’extrême gauche en place, due au fait qu’aucune organisation ne s’est montrée capable d’imposer un ordre du jour et un suivi de décisions en assemblées générales. Les assemblées et commissions de lutte, dont le nombre n’a fait que croître pendant les premières semaines du mouvement, avaient tendance à réunir des individus et groupes aux pratiques et aux discours très divers. Cela n’est pas un problème en soi mais le devient lorsque le seul enjeu de la réunion est que chacun fasse valoir son point de vue sans qu’aucune décision ne soit prise et encore moins mise en œuvre. Pourtant, ces assemblées auraient pu être l’occasion de coordonner les pratiques de lutte ne serait-ce qu’à l’échelle des quartiers ou des arrondissements, où peuvent exister des réseaux organisant déjà la vie quotidienne des travailleurs – c’est le cas des unions syndicales locales. Une telle coordination aurait eu pour objectif modeste mais réalisable des choses toutes simples comme la mise en place d’une caisse de grève, l’organisation des tractages, etc. Cela aurait permis de ne pas reproduire le fonctionnement bureaucratique, consistant à organiser la lutte sans les salariés. Or, une grande partie des assemblées étaient plutôt l’occasion de retrouvailles des différentes factions de l’extrême-gauche, s’y réunissant pour répéter les mêmes perspectives déjà abordés dans des mouvements antérieurs, sans effort aucun pour les circonstancier : « blocages des flux », vote Mélenchon, occuper tel ou tel parc, mythologie du cortège de tête, etc. À Paris, par exemple, les assemblées générales et les comités d’action accueillaient un nombre important d’individus issus des professions intellectuelles (fonctionnaires ou précaires), qui orientaient les ordres du jour vers des discussions longues et générales sans réflexion sur les modalités de décision et de mise en œuvre des pratiques de lutte.

En ce sens, on peut reprocher aux syndicats non pas tant de ne pas avoir provoqué une grève générale sur commande, mais de ne pas avoir cherché à investir les salariés dans la construction du mouvement. Or, ce phénomène se reproduit à petite échelle avec les groupes « radicaux », dans la mesure où ils préfèrent se vautrer dans l’idéologie de leur avant-garde plutôt que de faire un travail de diffusion et d’organisation de la lutte sur le long terme.

Et maintenant… ? Perspectives

Le sentiment de puissance prolétarienne du printemps 2016, quand la CGT se montrait capable de coordonner des grèves et blocages au niveau national - et se trouvait pour cette raison comparée à Daesh - a au moins deux conséquences pour le cours de la lutte des classes.

Premièrement, sans pour autant en conclure à une « radicalité » retrouvée de la CGT - ou, pour en rester au registre Daesh, à sa « radicalisation » -, les grèves et les blocages dans la chimie, les transports, les déchetteries, les ports et les raffineries n’auront pas manqué de changer la position de la CGT dans le paysage politique français. En continuant à frapper dans ces secteurs vitaux alors que le gouvernement ne traitait même pas cette opposition comme une opposition mais comme une sorte de grognement incompréhensible, la CGT en est venue à se distancier du projet de restructuration capitaliste version PS.

Deuxièmement, cette rupture ponctuelle avec le projet de restructuration au niveau national devrait changer la donne pour les délégués locaux du syndicat. Cela n’est pas anodin pour une loi dont l’application est localisée dans les entreprises et soumise à accords de boîtes. Nous ne pourrons suffisamment répéter que si les grèves ne se sont pas davantage élargies, ce n’est pas parce que la grande machinerie CGT n’a pas « appelé à la grève générale » mais parce que dans les lieux de travail où la grève pouvait être construite, le mouvement n’est que rarement sorti du noyau dur des militant.e.s. Maintenant, quelles seront les réactions des travailleuses et des travailleurs face aux premiers « accords offensifs », ce cadeau de crise offert aux capitalistes ? Et comment les juges et les inspecteurs du travail trancheront-ils la question de l’allongement de la durée maximale du travail par semaine ? En tous les cas, c’est à cette échelle locale que le rapport de force peut se construire, sur les lieux de travail mais aussi dans les tribunaux. Il faut ajouter que les chiffres des élections professionnelles de 2016, dans lesquels la CFDT détrône pour la première fois la CGT, sont des chiffres amalgamés sur cinq années d’élections professionnelles, c’est-à-dire dans la plupart des cas avant le printemps dernier ; l’effet de la mobilisation est encore à venir.

C’est donc l’absence de moyens d’étendre la grève sur chaque lieu de travail, et non un quelconque « blocage syndical » par Martinez ou par son service d’ordre, qui constitue la limite de nos luttes. En revenant sur ces moyens, sur leur absence actuelle et les tentatives de le combler, on peut espérer voir plus clair dans la période que nous traversons.

Ainsi pour pallier l’extension de la grève, certains secteurs parmi les plus « activistes » ont tenté de mettre en place une stratégie de blocage. Mais il faut bien constater que les seuls blocages qui ont fonctionné ont été à l’initiative des salariés concernés : McDonald’s lorsque les grévistes étaient présents, blocages des embauches à La Poste. Le blocage exogène, venant de l’extérieur, sans appui sur les salariés, lui, n’a jamais fonctionné : ni au port de Gennevilliers, ni dans les McDonald’s dont le personnel n’était pas en grève, et on peut supposer que, sur ce modèle, il ne fonctionnera nulle part : pas plus dans les aéroports que dans les enseignes de distribution.

Lorsque nous disons que ces blocages ne fonctionnent pas, c’est du point de vue du mouvement : évidemment, pour une heure ou deux, parfois plus, ils ont pu interrompre les mouvements de la production. Or, n’étant ni propagande ni tentative de massification, ils n’ont pu fonctionner du point de vue de la mobilisation. On peut toujours bloquer une route, même à quarante ; que la grande crue arrive à Paris, et les flux comme la production seront bloqués – mais la révolution n’aura pas lieu. Il aura manqué la conscience, l’organisation, l’autonomie, la lutte sociale des salariés. Nous pouvons bien bloquer un McDo’, un port… : lorsque nous ne sommes ni équipiers, ni dockers, l’effet n’y est pas. Du point de vue des salariés sur place, dès lors que l’action n’est pas concertée, il n’y a au mieux pas d’effet du point de vue de la nécessité de s’investir dans la lutte ; au pire, le dégoût de voir des militants – parfois plus privilégiés – prétendre apprendre quelque chose, sauver quelque chose, d’un lieu où ils n’ont pas mis les pieds, auquel ils ne connaissent rien et où ils ne reviendront pas.

Le problème de ces blocages n’a pas seulement été leur inefficacité ; c’est qu’en eux-mêmes, ils étaient l’aveu de faiblesse de militants dont le propre secteur n’était pas en grève. Un aveu de faiblesse – nous ne sommes pas capables –, mais aussi une position de repli – nous ne pouvons pas ou ne voulons plus faire ce travail considérable et souvent pénible qui est de mobiliser ses propres collègues, son propre secteur. Les blocages étaient aussi l’expression de cette incapacité.

Il y avait donc, d’un côté le rôle profondément régulateur de la CGT ; de l’autre, cette absence de perspectives issues de l’extrême-gauche, qui pourtant n’en tenait pas moins un discours d’autoglorification et de radicalité manifeste. Pourtant, dans cette impasse, il pourrait exister une ligne, pour laquelle la critique ne tiendrait pas lieu de caution à l’attentisme.

Il semble bien que, dans ce mouvement, aient existé des secteurs prolétariens dynamiques, qui ont engagé à l’occasion du mouvement national de véritables rapports de force locaux avec leurs patrons. Mais ces secteurs combatifs, parfois victorieux, qui ont été présents dans les cortèges avec le plus de détermination, sont de ceux qui ont éprouvé un lent et pénible travail de terrain : cortège des salariés de la CGT Carrefour Market, lutte des femmes de chambre de l’hôtel Campanile, des personnels de nettoyage OMS…

Ces expériences se sont souvent appuyées sur des structures syndicales locales, qu’ils ont redressées pour donner des garanties à l’action collective : cotisations pour la caisse de grève, assurance forfaitaire pour les jours de grève, protection individuelle des salariés sous mandats syndicaux, etc. Qu’ici ces luttes se soient appuyées sur des structures syndicales ne dit pas qu’elles le seront efficacement ailleurs. Il demeure qu’avec ou sans le sigle d’une grande centrale, les perspectives pour une action prolétarienne, dans la période, soient - au sens large - de type « syndical » : un travail rébarbatif mais qu’il faudra bien mener, de collages, de rédaction et de distribution de tracts, d’information partout.

Vers une orientation politique

En tant que révolutionnaires, ce « retour à la base » est inconditionnel. Mais, tout en se posant comme nécessaire, il ne doit pas faire oublier qu’un mouvement se joue sur un double plan : celui de la massification et celui de son orientation. Le travail à la base assure la massification, et permet de conforter la combativité dans des secteurs où nous pouvons formuler des perspectives et mots d’ordre révolutionnaires ; l’orientation, elle, s’appuie sur une vision globale du mouvement, pour laquelle il faut formuler tant des éléments de programme que des perspectives qui doivent s’avérer politiques. C’est ce gigantesque travail que nous avons encore devant nous, dans une période qui pourrait peut-être se trouver favorable : la grève reprend, les organisations ouvrières redécouvrent qu’elles ont la main sur le pays, la production, et que le soutien populaire est massif.


P.-S.
Vous pouvez retrouver ce texte, ainsi que l’ensemble des articles de l’Union Pour le Communisme, sur notre site : http://upc.ouvaton.org/upc/. Vous pouvez nous contacter à l’adresse mail suivante : redac[at]unionpourlecommunisme.org. Une première réunion publique de discussion et débat à partir de ce texte aura lieu le 13 février 2018 à 19 h30 au Centre International de Culture Populaire (CICP, 21 ter, rue Voltaire, 75011


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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 11 Fév 2018, 16:13

Syndicats : Se regrouper pour avancer, pas juste pour se réchauffer

Dans la gauche du syndicalisme, plusieurs tentatives d’appel et de regroupements ont essayé de faire bouger les lignes. Faute d’un con­texte porteur, elles n’ont pas décollé, mais ont posé des jalons.

Depuis 2016, beaucoup d’appels à l’unité et à l’action ont été produits, témoignant de l’exaspération de militantes et militants frustrés par l’inaction et de la difficulté à créer les conditions de l’action au niveau nécessaire. Hélas, aucun d’entre eux n’a produit l’effet escompté.

Passons sur les efforts de la Fondation Copernic dont les productions, quelle qu’en soit la qualité, n’ont pas de retentissement réel dans le corps syndical. En 2016, c’est l’appel «  On bloque tout  » qui restera en mémoire, constituant un éphémère et impuissant réseau de syndicats dont l’objet clairement affiché était d’aider à mener le débat sur la nécessité d’une grève nationale interprofessionnelle reconductible.

L’appel «  On bloque tout  » mettait en avant l’importance de mobiliser les collectifs militants dans l’unité la plus large et se refusait à construire un outil fractionnel. Il en reste des relations de confiance ­tissées qui pourront resservir.

En 2017 c’est le collectif Front social qui a occupé ce terrain. Localement, il a permis la construction de quelques regroupements militants mais n’aura pas réussi à démontrer la validité de son discours selon lequel les travailleurs et travailleuses n’attendraient qu’un signal pour se lancer dans une action résolue, jusque-là entravée par l’inertie des directions syndicales.

Le phénomène des «  cortèges de tête  » a lui aussi attiré parfois des militantes et militants syndicaux qui se déses­pèrent des manifestations où dominent voitures, ballons et mojitos. Dans quelques villes, des rapprochements ont été possibles entre les anima­trices et animateurs de ces cortèges et certaines structures syndicales. Au plan national, depuis l’opération «  Chasse aux DRH  », se maintient un réseau de débat et d’action entre syndicalistes et acteurs de l’autonomie. Mais tout cela ne concerne qu’un ­cercle très restreint de militants et de militantes. Nous retiendrons enfin que, surtout en 2016, la mise en place d’AG interprofessionnelles et intersyndicales a permis de construire localement des actions fortes, des solidarités ­utiles.

Si des militants et militantes d’AL se sont engagé.es dans toutes les tentatives de rassemblement pour l’action évoquées précédemment, disons clairement que ces AG locales restent notre boussole stratégique, préfigurant le nécessaire comité de grève local, autogéré, pour le jour de «  la générale  ». Nous parlons bien là d’assemblées générales rassemblant des grévistes et voulant renforcer la grève et l’élargir. Par souci de démocratie sociale et ouvrière, elles doivent reposer sur des assemblées générales tenues dans les entreprises, au plus près des services.

Extrait de la coordination fédérale d’AL (janvier 2018)


https://www.alternativelibertaire.org/? ... rechauffer
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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 15 Fév 2018, 19:28

Make blocage great again ( considérations sur les luttes étudiantes et la sélection)

La question de la sélection à l’entrée à la fac n’est pas nouvelle. Régulièrement elle revient sur le tapis. Bien sûr, c’est un jeu de dupes : la sélection existe depuis longtemps. Voyez vous même, prenez votre smartphone ou votre pc, tapez « origine sociale des étudiants », vous verrez. Pas la peine d’insister, d’autant que cette donnée est déjà assez largement connue. Mais si la sélection existe déjà, quel est l’enjeu de ce type de réformes ? Et que signifie refuser la sélection ? Et enfin, quand est-ce que les universités seront bloquées?

Reprenons les faits sur lesquels nous sommes d’accord. Il existe déjà une sélection de fait à l’université. La masse des enfants d’ouvriers, d’employés, de paysans pauvres, n’y accède pas. Il ne s’agit pas ici de faire un cours de socio, alors on passe les détails. Mais revenons sur le « péché originel », celui qui traverse tout le rapport à la scolarité : l’échec scolaire. Sur les plateaux télé, dans les journaux, partout ou il est possible de d’écraser publiquement quelques larmes de crocodiles, les politiciens, expert et autres bourges font mine de s’affliger de l’échec scolaire. Ce serait un fléau, il faudrait venir en aide aux enfants et bla bla bla. Pourtant, on ne va pas tous devenir astronautes, non ? Ou banquiers, ou chirurgiennes.

L’échec scolaire, c’est du mytho.

L’échec scolaire n’existe pas plus que la réussite scolaire. Il n’y a que de la reproduction. Il faut bien former les millions d’ouvriers de demain, les millions de livreurs, de secrétaires, de galériens de toutes sortes. Mais l’idéologie de l’échec et de la réussite remplit un rôle bien précis. Elle permet de faire rentrer dans le crane des ouvriers, des prolétaires de toutes sortes, que s’ils sont là, en intérim, à faire encore et encore la même tache répétitive surveillé par un petit chef aigri qui gagne 40 euros de plus qu’eux par mois, ce serait de leur faute. Qu’ils auraient pu « mieux travailler à l’école ». De l’autre côté, la « réussite scolaire » va mettre dans la tête des cadres de demain, qu’ils méritent leur situation, qu’après tout ils ont bossé a l’école, etc. On ne parle même pas des fils de bourges…

Derrière ce double mytho, il y a donc a la fois un impératif, celui de reproduire la société de classe, maintenir l’exploitation et un effet de propagande : nous faire croire que cela dépend de nous.

Lutter contre la sélection ? Vraiment ?

Revenons aux questions posée plus haut. Si, comme nous l’avons vu, l ‘ensemble du parcours scolaire n’est qu’une vaste sélection, en fonction des besoins de main d’œuvre, une machine a broyer la marchandise que nous sommes pour la dispatcher ci et là… Alors à quoi sert cette réforme ? Tout simplement à durcir les conditions de sélection. On enfonce des portes ouvertes en disant cela. Mais c’est pour mieux préciser les enjeux. Celles et ceux qui crient à la défense de l’université, qui haut et fort crient refuser la sélection… Sont aveugles ou le font exprès.

L’enjeu pour eux, n’est pas la lutte contre la sélection : elle est déjà là. Il s’agit plutôt de refuser une sélection supplémentaire. Et la concurrence accrue que celle-ci suppose, entre étudiants.

Alors, on vous propose de lutter en tant qu’étudiant, contre cette réforme précise. Non pas contre la sélection, hein, soyons sérieux : contre cette sélection là. Le problème, c’est que lutter en tant qu’étudiant, de nos jours, ce n’est pas une évidence.

Lutter en tant qu’étudiants ?

Il fut un temps pas si lointain, ou les mouvements étudiants étaient réguliers, nombreux, massifs.

Ces quelques années, grosso-modo en France entre 2003 ( réforme LMD) et 2013 (Fioraso), virent se succéder les luttes sur les universités. Comme dans de très nombreux pays du monde, il s’agissait de défendre un deal : en échange de mes études, peut-être vais-je devoir m’endetter pour les faire, mais qu’importe, a la fin, j’aurais un travail mieux payé, moins chiant que si je n’avais pas été à la fac. Et c’est sur la base de la défense de ce statut, que se produit une certaine unité entre les étudiants.

Cette unité se caractérise par des assemblées étudiantes ou l’on vote ensemble le blocage ou sa levée, on on discute « démocratiquement » sur la base d’un commun qui est celui d’être étudiant. Elle a été une dynamique importante. Mais elle s’est aussi révélée un carcan, un piège pour le mouvement. Car celui-ci a été vaincu. Année après année, il s’est écrasé sur le mur de la répression, dans une relative indifférence de la population, comme des vagues meurent sur des rochers muets. Car lutter uniquement sur la base d’un statut, c’est s’exposer aussi à la solitude. Et cela est d’autant plus difficile à tenir qu’au sein des étudiants, plusieurs fractions coexistent, aux intérêts et opinons divergentes.

Les étudiants contre la lutte.

Ainsi, à côté de celles et ceux qui voulaient que les étudiants luttent ensemble pour leur statut, d’autres voulaient s’en sortir… Par les études, ben tiens. Après tout, être étudiants signifie étudier, non ? Alors sont réapparu les anti-grévistes. Et en quoi seraient ils moins légitime que les autres du point de vue d’une lutte étudiante « démocratique » ?

C’est la conjonction entre ces différents facteurs : le répression policière, l’apparition des anti-grévistes et enfin une certaine indifférence de la dite « opinion publique » qui ne comprenaient pas pourquoi les étudiants ne voulaient pas étudier, qui a produit la défaite. Une défaite qui pollue encore les luttes des étudiants actuelles.

La dynamique actuelle.

Aujourd’hui, les luttes étudiantes font bien moins recettes que hier. Pourtant, un certain nombre d’organisations fossilisées s’échinent à reproduire un modèle qui tourne à vide, quitte a tuer dans l’œuf tout dépassement.

Mais au-delà des manœuvres dérisoires de quelques apprentis gestionnaires, on peut se laisser à imaginer une certaine ouverture des possibles. Derrière la lutte dite « contre la sélection » il y a la question de notre futur dans cette société. Disons le tout net, il s’annonce catastrophique. Que l’on soit ouvrière, employé, chômeur, qu’on soit passés ou non pas l’université. Se cacher derrière son statut comme derrière son petit doigt ne changera rien : en revanche, dés demain, faire de l’université un lieu (parmi d’autres) d’une vaste mobilisation de classe est autrement plus enthousiasmant. Bien sûr, cela nécessite déjà de faire exister la lutte, de se donner du temps, et donc bloquer les universités. Alors il y aura matière à aller plus loin.

Combien d’étudiants sont livreurs à vélo ? Serveurs et serveuses, confrontés à une clique de petits patrons qui ne paient pas les heures sup’, qui nous traitent comme des chiens ? Et pourquoi ne pas aller voir les caissiers et caissières de carrefour, qui sont en train de se manger un sale plan de licenciement ? Sans parler de la réforme des allocs chômages, alors que ne nous leurrons pas c’est ou se sera le lot commun de quasiment tout le monde à un moment ou un autre. Bref, tout reste à faire…

Mais le printemps arrive et le camarade soleil brille pour celles et ceux qui bloquent.


http://www.19h17.info/2018/02/14/sur-la ... selection/
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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 17 Fév 2018, 18:45

2016/2017 : comprendre deux défaites pour donner des perspectives aux syndicalistes révolutionnaires

Ce texte a été adopté par la Coordination fédérale d’Alternative libertaire du 24 janvier 2018. Issu des débats et travaux de la commission Entreprises, il est destiné à circuler le plus largement auprès des militantes et militants syndicaux qui s’interrogent sur les causes de la double défaite et sur les moyens de reprendre l’offensive à partir d’un syndicalisme d’action, porteur d’un projet d’émancipation sociale pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs. Il n’est pas l’expression d’une quelconque fraction au sein de nos organisations syndicales ; a contrario, son contenu, les idées qui y sont développées sont mises à disposition de chacune et chacun et libres de droit !

PDF : https://www.alternativelibertaire.org/? ... ctives-aux


Lois Travail 1 et 2 : Pourquoi l’échec du mouvement social

Pleurnicher sur les « directions syndicales » qui ont mal fait ou pas assez, peut-être que ça soulage, mais c’est très insuffisant pour expliquer l’impossibilité d’élargir les mouvements de 2016 et de 2017 au-delà des « noyaux durs » de salarié.es conscientisé.es. La coordination fédérale d’AL de janvier 2018 a débattu de ces limites, et du travail à entreprendre pour les dépasser à l’avenir.

Les années 2016 et 2017 auront vu, coup sur coup, deux défaites majeures pour l’ensemble du salariat de ce pays. Plusieurs mois de lutte n’ont pas réussi à stopper la loi El Khomri (dite « loi Travail ») en 2016 ; en 2017, faute de mobilisation conséquente, la défaite fut plus rapide contre les ordonnances Macron (dites « loi Travail XXL »). Comment expliquer ces défaites ? Et quels enseignements en tirer, pour toutes celles et ceux qui ne sont prêts à baisser les bras devant la régression sociale ?

Disons tout net qu’il ne suffira pas de pointer les défaillances des « directions » confédérales pour comprendre, non seulement la défaite, mais l’impossibilité de faire surgir une mobilisation puissante et ancrée dans les entreprises. Le malaise est plus profond.

L’ampleur des déserts syndicaux posait problème

Concentrant le tir sur des réformes juridiques complexes qui aboutissent à un profond recul des droits sociaux et syndicaux, la contre-réforme El Khomri et les ordonnances Macron n’offraient pas de prise facile. La mobilisation nécessitait d’expliquer et de faire entendre des enjeux moins évidents à saisir qu’une réforme reculant l’âge de départ à la retraite, par exemple.

De ce point de vue, l’ampleur des déserts syndicaux posait un premier problème. Une majorité de salarié.es n’ont jamais éprouvé ni l’existence de droits sociaux (Code du travail et conventions collectives), ni celle de droits syndicaux qui permettent, à minima, d’exiger des patrons qu’ils res-pectent les droits sociaux. Et quand une présence syndicale existe, elle est souvent repliée sur elle-même dans un duel délégués-patrons dont les salarié.es restent des spectatrices et spectateurs passifs, faute de réussir  [1] à les associer à l’élaboration des revendications et des moyens de lutte.

Dans beaucoup de petites et moyennes entreprises, la fragile présence syndicale repose souvent sur deux ou trois élu.es sans réel soutien de leurs collègues. Dans les plus grandes, des élu.es profitent de leurs fonctions pour grimper dans la hiérarchie de l’entreprise, ou utilisent leurs heures de délégation pour aller au restaurant (avec la carte du comité d’entreprise...) et/ou s’enferment dans les locaux syndicaux. Les guerres intersyndicales prennent parfois des allures sordides de règlement de compte et les élections des délégué.es ne sont pas toujours l’occasion de débats de fond sur les revendications et la démocratie ouvrière. Bref, l’expérience pratique des salarié.es ne les pousse pas toujours à se mobiliser pour défendre le droit syndical.

Enfin, sous le poids du chômage de masse et de l’emploi précaire, nombre de salarié.es n’osent plus se mettre en grève pour défendre leurs revendications immédiates. Globalement, comme le montrent les statistiques publiés par la DARES sur quarante ans ou sur dix ans (et ce que nous connaissons du terrain), le nombre de jours de grève à l’échelle nationale ne cesse de reculer, même si des grèves continuent à éclore, certaines d’une durée très longue. La victoire idéologique à propos de « la crise » et la nécessité de faire des sacrifices pour garder son emploi pèse également. La grande majorité des conflits durs se déroulent au moment de licenciements massifs et de fermetures d’entreprises, de restructurations de services. Les consciences aiguisées durant ces conflits se per-dent ensuite avec la dispersion du collectif dans l’isolement de chacun et chacune face au chômage.

Au final, il est difficile d’imaginer que des salarié.es qui, déjà, ne font pas grève lorsque les négociations annuelles obligatoires (NAO) se soldent par un échec, vont se mettre en grève pour refuser la baisse du nombre des élu.es et l’inversion de la hiérarchie des normes !

De fait, au-delà des reproches qu’il faut adresser aux confédérations comme aux syndicats de base sur la manière dont les enjeux ont été expliqués et dont les mobilisations ont été proposées  [2], toutes et tous les révolutionnaires se sont trouvés confrontés à la difficulté d’élargir la mobilisation au-delà d’un noyau de salarié.es, certes non négligeable et plutôt stable, mais très insuffisant pour gagner.

Pour le camp de la bourgeoisie, l’enjeu était considérable. Il s’agissait, ni plus ni moins, d’infliger un recul historique dans les capacités du prolétariat à conserver ses droits et les moyens mêmes de les défendre. Devant un tel enjeu, seule une généralisation de la grève dans des secteurs importants de l’économie pouvait faire reculer les gouvernements PS/Macron. C’est aussi la prise de conscience du niveau où il fallait construire l’affrontement qui a découragé des militants et militantes, voire plus globalement des secteurs combatifs qui pensaient que, puisqu’on ne parviendrait pas à la grève générale, il ne servait à rien de suivre les journées de grève de vingt-quatre heures.

Coordination fédérale d’AL, janvier 2018



FAIRE, MALGRÉ LE RECUL
DE LA CONSCIENCE DE CLASSE


Depuis l’élection de Mitterrand à l’Elysée en 1981, les déceptions s’accumulent pour le camp des travailleurs et travailleuses, largement structuré à l’époque par les organisations politiques et syndicales – la CGT, mais aussi des secteurs de la CFDT et de la FEN – qui portaient le Programme commun de gouvernement PS-PCF-Radicaux de gauche comme espoir de changement.

Non seulement le changement espéré n’est pas venu, mais la destruction de pans entiers de l’industrie a porté un coup violent à nombre de bastions syndicaux. L’effondrement des régimes dits communistes a non seulement déboussolé celles et ceux qui croyaient encore au « socialisme réel » mais a éloigné l’idée qu’une alternative au capitalisme était possible, voire souhaitable. Le recul de l’implication des militants et militantes dans les structures interprofessionnelles témoigne d’une régression de la conscience de classe et signe un repli sur le syndicalisme dans l’entreprise, qui frappe y compris les structures professionnelles, et dont témoigne le désintérêt vis-à-vis des unions syndicales et fédérations.

L’accumulation des défaites pèse lourdement sur la génération militante des années 1960-1970. Les plans massifs de préretraites ont bousculé la construction d’équipes de relève dans les syndicats. Le départ définitif à la retraite de cette génération qui fut particulièrement politisée, laisse un vide qu’il faut combler.

Le recul de l’implication des militants et militantes dans les structures interprofessionnelles témoigne d’une régression de la conscience de classe et signe un repli sur le syndicalisme dans l’entreprise, qui frappe y compris les structures professionnelles (désintérêt vis-à-vis des unions syndicales et fédérations).

L’intervention autoproclamatoire de Mélenchon dans le calendrier des mobilisations avec sa manifestation du 23 septembre a rajouté à la confusion et à la dispersion. Alors qu’il est lui-même, en tant qu’ancien dirigeant socialiste, coresponsable du désarroi politique dans le monde du travail, sa posture remettant en cause les syndicats et la Charte d’Amiens pour revendiquer le droit des partis politiques à diriger les mobilisations sociales est inquiétante pour l’avenir.

Coordination fédérale d’AL, janvier 2018


[1] Parfois, c’est faute d’avoir essayé de les associer…

[2] Les révolutionnaires ne sauraient s’exonérer de tous ces «  reproches  », qui ressortent d’un bilan collectif


https://www.alternativelibertaire.org/~ ... ent-social
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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 01 Mar 2018, 22:32

Contre la sélection à l’université

Construire un mouvement étudiant massif, auto-organisé et radical, oui c’est possible : une réponse aux camarades de la MIFA

« Tout bloquer devient Vidal ! » : c’est le titre d’un texte paru sur Lundimatin qui appelle à rompre avec les mots d’ordre de la massification et de l’Assemblée Générale. S’il faut reconnaître au texte qu’il pointe un certain nombre de critiques justes, les alternatives qu’ils proposent ne sont pas vraiment convaincantes.

Le 4 décembre 1986, la jeunesse remplit les rues de Paris à travers un défilé géant de 8 km de long entre la Bastille et les Invalides, pour crier « non » au projet Devaquet. Photo Patrick Kovarik/AFP

« À chaque début de mobilisation, c’est la même rengaine » : c’est ainsi que commence ce texte paru sur Lundimatin et signé par le collectif pour la création de la M.I.F.A (Mouvance Inter-Facs Autonome). Certes, à force d’essayer de pousser chaque embryon de mobilisation face à chaque attaque des classes dominantes, les organisations « traditionnelles » du mouvement étudiant ont parfois tendance à s’enfermer dans une certaine routine militante : les mêmes tracts, les mêmes formules, les mêmes têtes aussi. Et à ce titre, le sang frais apporté lors des poussées du mouvement, comme lors de la loi travail en 2016, malgré son audience relativement restreinte, apporte souvent un certain renouveau des méthodes d’organisation et de lutte. Mais c’est d’autre chose dont il est question dans le texte des camarades de la M.I.F.A. : celui du scepticisme, et même du refus, du développement d’un mouvement étudiant massif, auto-organisé et radical.

Sur la massification d’abord. Certes, dans un contexte où le mouvement étudiant n’a pas connu de grand mouvement depuis de nombreuses années, évoquer le spectre du mouvement de masse à chaque attaque contre l’université, à chaque AG dépassant les quelques dizaines de personnes, peut parfois sembler un peu dérisoire. Mais d’une part, la critique est un peu facile, quand on pense par exemple au rôle qu’ont joué les militants qui ont fait l’effort de sensibilisation et de conviction des étudiants durant la loi travail pour lancer la mobilisation. D’autre part, si on conviendra que « le nombre n’est pas le seul rapport déterminant du rapport de force », qu’il ne doit pas s’opposer à la radicalité du mouvement, il est la condition nécessaire, sine qua non pour espérer voir reculer – ou encore même tomber – un gouvernement. Pour faire plus, justement, que la mobilisation contre la « loi travail » qui n’a jamais réuni plus que quelques dizaines de milliers d’étudiants, et qui – doit-on le rappeler – a abouti sur une défaite, qui continue de peser aujourd’hui sur les consciences et pèse à la baisse sur la mobilisation.

Ce qui n’empêche pas que la massification puisse trouver d’autres voix que le traditionnel réunion-tract-barrage filtrant qui peut avoir ses airs rébarbatifs. Il est vrai que parfois, une action « coup de poing », bien mesurée, un blocage, peut servir à discuter, à convaincre et à donner de l’allant, sous réserve qu’il se garde de toute logique « avant-gardiste », qu’il se pense comme une radicalité qui crée des ponts plutôt que des barrières, comme a pu être le cortège de tête durant la mobilisation du printemps 2016. « Si nos actions « gênent » d’autres étudiant·e·s, cela nous montre de quel côté de la barricade illes se situent » : on ne peut que déplorer cette opposition, omniprésente dans le texte, entre la masse et l’avant-garde. D’une part, parce qu’elle évacue tous les déterminants sociaux et familiaux qui fait qu’on se mobilise ou pas : par exemple la pression qui pèse sur les épaules d’un étudiant populaire, qui n’a souvent pas le loisir de rater un cours ou une année, parce qu’il touche une bourse, parce qu’il doit trouver un emploi rapidement, parce qu’il pense que l’université est le « seul moyen de s’en sortir ». Cette idéalisation de l’avant-garde, parce qu’elle ne cherche pas à comprendre les moteurs des mobilisations, ne peut conduire qu’au scepticisme du mouvement de masse. La défaite étant assurée, l’action ne peut plus avoir qu’un contenu de révolte sporadique et contenu dans le temps et l’espace, une libération d’énergie brutale qui, sans objectif, ne peut mener qu’à l’épuisement et à la démoralisation.

Rien d’étonnant donc à ce que le deuxième partie du texte, après avoir pris en grippe la massification, soit consacrée à une critique de l’auto-organisation et des assemblées générales. Encore une fois, c’est une porte ouverte à peu de frais par le texte. Si les « AG » ne doivent pas être fétichisés et ne représentent, dans des contextes de faible mobilisation, qu’une tribune politique pour les militants déjà organisés (dont les « autonomes » au sens large en profitent bien souvent par ailleurs), il en est tout autre quand le mouvement se massifie. Elle est la condition par laquelle le mouvement peut se fixer ses propres objectifs au cœur de la lutte, et c’est bien pour ça que les bureaucrates les fuient comme la peste quand elles commencent à prendre de l’ampleur, contrairement à ce qu’affirment les camarades dans leur texte. Il suffit de penser aux Coordinations Nationales Etudiantes durant la loi travail qui, après avoir dépassé le stade de représentation des étudiants déjà organisés, avaient commencé à devenir un cadre de direction alternatif du mouvement que la direction de l’UNEF ou de l’UEC ont tout fait pour faire disparaître et avaient fini par boycotter, par exemple en tentant de saboter la nomination d’un porte-parolat issu de la coordination. Un cadre de coordination qui avait permis de fixer un calendrier alternatif aux directions syndicales et même de faire monter la pression pour construire le mouvement. Un rôle que n’a jamais pu jouer un mouvement comme « Nuit Debout » par exemple, parce que ce cadre était organisé sur une participation « citoyenne » libre et pas sur celui d’un secteur en lutte. Or, de ce point de vue, ce que propose le texte, c’est bien d’abandonner le terrain du mouvement de masse aux « réformistes » en se contentant d’organiser les franges les plus radicales et minoritaires du mouvement, qui plus est d’une manière individualisante et minorisante.

50 ans après mai 68, nous pensons que l’idée d’un mouvement étudiant massif est toujours d’actualité. C’est cette masse qui, durant le « joli mois de mai », avait permis de développer une radicalité jamais vu depuis : les barricades et les batailles rangées avec la police dans le quartier Latin. Surtout, c’est cette masse auto-organisée qui avait permis d’être l’étincelle de l’embrasement du mouvement ouvrier, dépassant ses directions syndicales et entraînant la grève générale la plus massive de l’histoire de l’Occident. Un summum de radicalité qui a un nom : une situation révolutionnaire. C’est ce rôle que peut et doit jouer le mouvement étudiant aujourd’hui, et c’est à travers cette perspective que nous devons développer la mobilisation aujourd’hui, notamment en prévision du 22 mars, une date symbolique de lancement de Mai 68, et de convergence prometteuse entre étudiants, cheminots et fonction publique. Mais cela suppose effectivement qu’il soit massif, auto-organisé et radical.


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Re: Mouvement et manifs, questions de stratègie

Messagede bipbip » 03 Mar 2018, 17:42

Tout bloquer devient Vidal !
Collectif pour la création de la M.I.F.A.(Mouvance Inter-Facs Autonome)
https://lundi.am/Tout-bloquer-devient-Vidal


Construire un mouvement étudiant massif, auto-organisé et radical, oui c’est possible : une réponse aux camarades de la MIFA

« Tout bloquer devient Vidal ! » : c’est le titre d’un texte paru sur Lundimatin qui appelle à rompre avec les mots d’ordre de la massification et de l’Assemblée Générale. S’il faut reconnaître au texte qu’il pointe un certain nombre de critiques justes, les alternatives qu’ils proposent ne sont pas vraiment convaincantes.

Le 4 décembre 1986, la jeunesse remplit les rues de Paris à travers un défilé géant de 8 km de long entre la Bastille et les Invalides, pour crier « non » au projet Devaquet. Photo Patrick Kovarik/AFP

« À chaque début de mobilisation, c’est la même rengaine » : c’est ainsi que commence ce texte paru sur Lundimatin et signé par le collectif pour la création de la M.I.F.A (Mouvance Inter-Facs Autonome). Certes, à force d’essayer de pousser chaque embryon de mobilisation face à chaque attaque des classes dominantes, les organisations « traditionnelles » du mouvement étudiant ont parfois tendance à s’enfermer dans une certaine routine militante : les mêmes tracts, les mêmes formules, les mêmes têtes aussi. Et à ce titre, le sang frais apporté lors des poussées du mouvement, comme lors de la loi travail en 2016, malgré son audience relativement restreinte, apporte souvent un certain renouveau des méthodes d’organisation et de lutte. Mais c’est d’autre chose dont il est question dans le texte des camarades de la M.I.F.A. : celui du scepticisme, et même du refus, du développement d’un mouvement étudiant massif, auto-organisé et radical.

Sur la massification d’abord. Certes, dans un contexte où le mouvement étudiant n’a pas connu de grand mouvement depuis de nombreuses années, évoquer le spectre du mouvement de masse à chaque attaque contre l’université, à chaque AG dépassant les quelques dizaines de personnes, peut parfois sembler un peu dérisoire. Mais d’une part, la critique est un peu facile, quand on pense par exemple au rôle qu’ont joué les militants qui ont fait l’effort de sensibilisation et de conviction des étudiants durant la loi travail pour lancer la mobilisation. D’autre part, si on conviendra que « le nombre n’est pas le seul rapport déterminant du rapport de force », qu’il ne doit pas s’opposer à la radicalité du mouvement, il est la condition nécessaire, sine qua non pour espérer voir reculer – ou encore même tomber – un gouvernement. Pour faire plus, justement, que la mobilisation contre la « loi travail » qui n’a jamais réuni plus que quelques dizaines de milliers d’étudiants, et qui – doit-on le rappeler – a abouti sur une défaite, qui continue de peser aujourd’hui sur les consciences et pèse à la baisse sur la mobilisation.

Ce qui n’empêche pas que la massification puisse trouver d’autres voix que le traditionnel réunion-tract-barrage filtrant qui peut avoir ses airs rébarbatifs. Il est vrai que parfois, une action « coup de poing », bien mesurée, un blocage, peut servir à discuter, à convaincre et à donner de l’allant, sous réserve qu’il se garde de toute logique « avant-gardiste », qu’il se pense comme une radicalité qui crée des ponts plutôt que des barrières, comme a pu être le cortège de tête durant la mobilisation du printemps 2016. « Si nos actions « gênent » d’autres étudiant·e·s, cela nous montre de quel côté de la barricade illes se situent » : on ne peut que déplorer cette opposition, omniprésente dans le texte, entre la masse et l’avant-garde. D’une part, parce qu’elle évacue tous les déterminants sociaux et familiaux qui fait qu’on se mobilise ou pas : par exemple la pression qui pèse sur les épaules d’un étudiant populaire, qui n’a souvent pas le loisir de rater un cours ou une année, parce qu’il touche une bourse, parce qu’il doit trouver un emploi rapidement, parce qu’il pense que l’université est le « seul moyen de s’en sortir ». Cette idéalisation de l’avant-garde, parce qu’elle ne cherche pas à comprendre les moteurs des mobilisations, ne peut conduire qu’au scepticisme du mouvement de masse. La défaite étant assurée, l’action ne peut plus avoir qu’un contenu de révolte sporadique et contenu dans le temps et l’espace, une libération d’énergie brutale qui, sans objectif, ne peut mener qu’à l’épuisement et à la démoralisation.

Rien d’étonnant donc à ce que le deuxième partie du texte, après avoir pris en grippe la massification, soit consacrée à une critique de l’auto-organisation et des assemblées générales. Encore une fois, c’est une porte ouverte à peu de frais par le texte. Si les « AG » ne doivent pas être fétichisés et ne représentent, dans des contextes de faible mobilisation, qu’une tribune politique pour les militants déjà organisés (dont les « autonomes » au sens large en profitent bien souvent par ailleurs), il en est tout autre quand le mouvement se massifie. Elle est la condition par laquelle le mouvement peut se fixer ses propres objectifs au cœur de la lutte, et c’est bien pour ça que les bureaucrates les fuient comme la peste quand elles commencent à prendre de l’ampleur, contrairement à ce qu’affirment les camarades dans leur texte. Il suffit de penser aux Coordinations Nationales Etudiantes durant la loi travail qui, après avoir dépassé le stade de représentation des étudiants déjà organisés, avaient commencé à devenir un cadre de direction alternatif du mouvement que la direction de l’UNEF ou de l’UEC ont tout fait pour faire disparaître et avaient fini par boycotter, par exemple en tentant de saboter la nomination d’un porte-parolat issu de la coordination. Un cadre de coordination qui avait permis de fixer un calendrier alternatif aux directions syndicales et même de faire monter la pression pour construire le mouvement. Un rôle que n’a jamais pu jouer un mouvement comme « Nuit Debout » par exemple, parce que ce cadre était organisé sur une participation « citoyenne » libre et pas sur celui d’un secteur en lutte. Or, de ce point de vue, ce que propose le texte, c’est bien d’abandonner le terrain du mouvement de masse aux « réformistes » en se contentant d’organiser les franges les plus radicales et minoritaires du mouvement, qui plus est d’une manière individualisante et minorisante.

50 ans après mai 68, nous pensons que l’idée d’un mouvement étudiant massif est toujours d’actualité. C’est cette masse qui, durant le « joli mois de mai », avait permis de développer une radicalité jamais vu depuis : les barricades et les batailles rangées avec la police dans le quartier Latin. Surtout, c’est cette masse auto-organisée qui avait permis d’être l’étincelle de l’embrasement du mouvement ouvrier, dépassant ses directions syndicales et entraînant la grève générale la plus massive de l’histoire de l’Occident. Un summum de radicalité qui a un nom : une situation révolutionnaire. C’est ce rôle que peut et doit jouer le mouvement étudiant aujourd’hui, et c’est à travers cette perspective que nous devons développer la mobilisation aujourd’hui, notamment en prévision du 22 mars, une date symbolique de lancement de Mai 68, et de convergence prometteuse entre étudiants, cheminots et fonction publique. Mais cela suppose effectivement qu’il soit massif, auto-organisé et radical.


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