Mobilisation : LA PRESSION MONTE ENCORE D'UN CRANOn commence à discerner la stratégie du collectif Liyannaj kont pwofitasyon, qui a lancé depuis mardi un mot d'ordre de grève générale. Après une manifestation de masse, mardi matin, dans les rues de Pointe-à-Pitre, des actions plus ciblées concernent les grandes entreprises de Guadeloupe. Hier, la pression est encore montée.
Si les opérations escargot se sont poursuivies hier, on a également assisté à des blocages de la circulation routière un peu plus marqués dans les secteurs de Marieul et Bosredon/Morne-à-l'Eau, à Mare-Gaillard au Gosier et surtout en Nord Basse-Terre, au pont de La Boucan.
Elément nouveau, les premières chutes de tension électrique ont été enregistrées sur le réseau, obligeant EDF à opérer différents délestages dans le département.
A entendre les propos des responsables syndicaux, la mobilisation générale s'installe. Exemple : rarement les syndicats de l'enseignement libre n'ont été aussi déterminés dans un mouvement. « Nous avions lancé deux préavis de grève qui n'ont pas été pris en compte. On a tendance à se moquer de nous parce que généralement l'école privée ne fait pas grève. Aujourd'hui, nous disons qu'aucun établissement privé ne reprendra les cours tant que nous n'aurons pas négocié. Ecole publique, école privée, même combat! » , scandait Séverine Noyer, représentante des personnels des établissements scolaires privés.
Autant dire que la rencontre prévue ce matin avec le recteur, ne s'annonce pas des plus faciles.
Menaces, pression et intimidationAu troisième jour de mobilisation, seul un magasin sur dix était ouvert à Pointe-à-Pitre. Une tendance que l'on observait ailleurs. Les centres commerciaux Milénis (Les Abymes) et Destreland (Baie-Mahault) n'ont, pour la première fois, pas pu fonctionner... De même qu'à la zone industrielle de Jarry, où tous les commerces et les sociétés de service ont été fermés. Dès mercredi, des membres de la CTU passaient dans les entreprises pour « sensibiliser » employés et patrons encore en poste à regagner la rue. Une situation qui s'est radicalisée hier. Moins de « sensibilisation » . On est passé à des méthodes plus musclées.
D'autres membres d'organisations syndicales faisant partie du collectif se sont associés à la manoeuvre... Pour faire adhérer « démocratiquement » les travailleurs au mouvement, ils recourent aux menaces, à la pression et à l'intimidation. Une méthode pas très glorieuse pour « on biten kè tout moun ka sou- tyenn padavwa i jis » .
(1) Sica : Société d'intérêt collectif agricole
Le collectif soigne sa communication« Domino ka bat'an pangal, mè pa ka joué an pangal » , avertissait Elie Domota, porte-parole du Liyannaj kont pwofitasyon, lors d'une conférence de presse au palais de la Mutualité. Un dicton créole pour expliquer pourquoi le collectif a décliné l'invitation du préfet à la rencontre de l'après-midi.
« Il n'est pas question de s'asseoir autour d'une table pour négocier sans avoir, face à nous, l'ensemble des autorités responsables, le préfet, le conseil général, le conseil régional, le Medef, la CGPME, l'Umpeg. » C'est d'ailleurs à ces « autorités responsables » que le collectif a adressé un courrier, en insistant toutefois auprès des journalistes sur sa volonté de négocier. Pourtant, le préfet assurait en réponse avoir convié l'ensemble des collectivités.
« Une souffrance terrible... »Au palais de la Mutualité, sur les quarante-six représentants du collectif, une huitaine avait pris place à la table, devant la presse, alors que le reste du comité restait sagement assis à l'arrière des principaux intervenants. Ces derniers se sont gargarisés du succès de la mobilisation. « On biten kè nou po ko vwè an Gwadloup. Avòté kon matrité, tout moun ka soutienn mouvman la sa, pa da vwa i jist. »
En dehors du refus de rencontrer le préfet sans l'ensemble des autorités, aucune information nouvelle n'est sortie de la conférence de presse d'hier matin. A travers des interventions bien rodées, Elie Domota a rappelé « l'existence aujourd'hui d'une souffrance terrible en Guadeloupe qui frappe toutes les couches de la société » , singulièrement les jeunes. « Manque de formation, échec scolaire, exclusion débouchent sur la montée de la délinquance. »
Le représentant du mouvement Kiltirel Akiyo, Patrick Cock, quant à lui, estime qu'il est temps que « le peuple guadeloupéen se réconcilie avec lui-même et qu'il est l'heure de tout mettre à plat pour réfléchir à une identité guadeloupéenne... »
Parmi les quelques prises de parole, le représentant de la CLCV et de la CNL (associations de consommateurs et de locataires) a fustigé les nouvelles lois dans le domaine du logement social, qui « menacent la mixité sociale » , et l'augmentation des loyers sans tenir compte des demandes répétées de gel souhaitées par l'ensemble des associations.
Sur les marches du palais de la Mutualité, comme pour encourager les journalistes à aller relayer au plus vite les informations du Liyannaj, un membre du collectif prenait la parole pour louer le travail des médias.
Négociations reportées : le préfet se dit ouvert à la discussion« Pas question de s'asseoir autour d'une table pour négocier sans avoir, face à nous, l'ensemble des autorités responsables » a dit le collectif pour justifier son absence
Désespérément vide. La principale salle de réception de la préfecture, la salle Schoelcher, n'a jamais été aussi bien rangée que durant la journée d'hier. Les services préfectoraux avaient, très tôt dans la journée, pris la précaution d'installer suffisamment de chaises pour tout le monde, connaissant l'imposant effectif des organisations composant le collectif Lyannaj kont pwofitasyon. Mais échec! Ni la rencontre prévue avec la mission interministérielle sur la formation des prix des carburants, prévue à 11heures, ni les négociations qui devaient s'ouvrir à 16 h 30, entre le préfet, les collectivités, le patronat et le collectif, n'ont eu lieu. Les exécutifs locaux et les membres du collectif ont signifié clairement au préfet, par courrier, qu'ils ne souhaitaient pas y prendre part. Le préfet ne pouvait donc que constater l'échec de sa tentative d'ouverture de ces discussions.
« Il y a urgence »« Je déplore et je regrette que cette réunion n'ait pu se tenir, parce qu'il me paraît nécessaire que nous mettions un terme rapidement à un conflit qui serait préjudiciable à la Guadeloupe, s'il devait se prolonger, a-t-il communiqué. J'ai pris mes responsabilités en suscitant cette réunion et je laisse le soin à ceux qui ne sont pas venus de prendre aussi les leurs. Pour autant, je ne considère pas que c'est une annulation, c'est un report. Et ce report ne nous interdit pas à nous, services de l'Etat, de travailler. J'ai constaté, en lisant la plateforme, qu'un certain nombre de revendications relevaient de l'Etat, d'autres de la Région, du conseil général, des communes ou des partenaires sociaux. Je me concentre sur celles qui concernent l'Etat et là, il y a deux types de demandes : celles qui peuvent être traitées au plan local et d'autres qui doivent être transmises à Paris, parce qu'elles excèdent la compétence du préfet. S'agissant des demandes locales, je suis en train de travailler sur ce qu'elles appellent comme réponses et dès que le collectif souhaitera me rencontrer - et je reprendrai auprès de lui l'initiative dans les prochaines heures - je lui ferai des propositions et j'apporterai un certain nombre d'éléments de réponse. »
Que peut-il se passer désormais ? Le préfet se dit ouvert à la discussion, « prêt à rencontrer tous ceux qui le souhaitent » . Mais compte tenu des positions, d'une part, des collectivités, qui ne souhaitent pas participer à une réunion sur des points qui ne les concernent pas, et, d'autre part, du collectif qui souhaite des négociations globales avec tout le monde, il n'est pas permis de faire preuve d'optimisme et une radicalisation du mouvement peut être crainte. « Plus le conflit durera, plus les risques de dérapage seront grands et plus il sera préjudiciable à la Guadeloupe. Je suis confiant dans l'avenir, mais à condition que chacun contribue à la solution du problème qui nous occupe aujourd'hui. Je dis très simplement qu'il y a, à mon avis, urgence à se mettre tous autour de la table pour mettre un terme à une situation qui risque de dégénérer et de produire des effets de plus en plus négatifs et dangereux pour la Guadeloupe, son économie, son image et sa cohésion. »
Dans un courrier adressé au collectif, le préfet a réitéré son souhait qu'une réunion associant l'ensemble des acteurs concernés puisse se tenir au plus vite. Jusqu'à hier soir, aucune réunion n'était prévue. Il faudrait peut-être que chacun mette son orgueil de côté pour favoriser le déblocage de la situation.
Des tracteurs pour bloquer La BoucanLes agriculteurs sont passés à l'action, hier matin, sur le pont de La Boucan. A l'aide de leurs tracteurs, ils ont bloqué le rond-point de part et d'autre, ne laissant passer que les services d'urgence et de santé. Avec pour slogan commun « I péké mò » , quatre syndicats étaient mobilisés : l'UPG (Union des producteurs de la Guadeloupe), la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles), les Jeunes agriculteurs (JA) et le Modef (Mouvement de défense des exploitants familiaux).
Les agriculteurs ont bloqué le rond-point« Nous subissons des retards de paiement de deux ans concernant l'aide à la replantation. Nos demandes sous forme de dossiers collectifs par le biais des Sica (1) ne sont pas traitées par l'Europe, qui exige désormais des dossiers individuels. Nous n'avons pas perçu non plus l'aide régionale qu'on nous avait promise il y a un an pour faire face au coût du carburant. Nous subissons une augmentation de nos intrants (produits phytosanitaires) de 1 14% sans qu'il y ait de répercussions sur le prix des prestations des fournisseurs. C'est dire si, nous aussi, notre pouvoir d'achat est en baisse » , indique Georges Magdeleine, président de la Sica de Basse-Terre et du GIE canne.
Il explique que replanter coûte environ 3 200 euros à un planteur. Jusqu'ici, il pouvait compter sur 45% d'aide, mais la nouvelle programmation ne prévoit plus que 25%. Malgré toutes leurs interventions auprès du préfet, du ministre et leurs multiples courriers, les agriculteurs affirment ne pas avoir obtenu satisfaction. D'où le blocage du pont de La Boucan par les professionnels du Nord Basse-Terre et d'autres barrages à Morne-à-l'Eau ou encore à Capes- terre. « C'est une façon d'exprimer notre mécontentement et de faire connaître nos revendications, continue le porte-parole. Nous voulons que la France trouve des fonds nationaux pour nous dédommager. Puis nous irons à Bruxelles plaider notre cause. »
Les stations réquisitionnéesLa liste des stations-service réquisitionnées afin de permettre un approvisionnement en carburant des services prioritaires, est modifiée et complétée comme suit :
- Esso route de Destrellan, La Jaille, Baie-Mahault (de 8 à 13heures)
- Texaco à Rivière-des-Pères, Bologne/Basse-Terre (de 8 à 13 heures)
- Total à Richeval, Morne- à-l'Eau (de 8 à 13 heures)
- Total à Petit-Bourg, Ouest (de 8 à 13 heures)
- Total à Ziotte, Deshaies (de 8 à 13 heures)
- Vito bord de mer, Le Moule (de 8 à 13 heures)
- Vito Dampierre, Le Gosier (de 8 à 13 heures)
- Vito, bourg Saint-Louis-de-Marie-Galante, (de 6 heures à midi aujourd'hui, puis de 9 à 11 heures) L'accès est strictement réservé aux véhicules prioritaires, qui doivent être munis des pièces justifiant leur qualité, et se fera sous contrôle des forces de l'ordre.
Yo pé ké fé sa yo vléComment traite-t-on cette info ? Epineuse question pour la rédaction de France-Antilles après l'opération commando du collectif Liyannaj kont pwofitasyon, qui a vidé l'entreprise de ses employés hier après-midi.
Un commando, le mot est fort et renvoie à la littérature guerrière. Mais comment appeler autrement une quinzaine de personnes qui pénètrent dans les locaux du journal pour prier, le mot est faible, le personnel de quitter son poste de travail. Avec un message clairement menaçant : « Nous sommes l'avant-garde, une ligne préventive avant que déferlent « des gens moins conciliants » . »
Ces diplomates de LKP ont toutefois permis aux journalistes de rester pour faire leur travail d'information.
Mais justement, quelle info ? Peut-on discourir de la méthode sans craindre les foudres de nos envahisseurs d'hier ? Aurons-nous le droit ce matin de continuer à faire notre travail ? Car à défaut de les qualifier, comment expliquer ces agissements qui se sont reproduits un peu partout dans des entreprises ciblées de Guadeloupe ?
Une chose est sûre. A nos yeux, ces méthodes ne peuvent que discréditer ce mouvement qui se veut populaire et ne sont pas dignes de responsables qui se positionnent à travers leurs 120 points de revendications comme une troisième voie pour la Guadeloupe. Quel péyi veulent-ils construire ? Yo pé ké fé sa yo vlé an péyi an nou!