Échec de l'extrême gauche électorale : des contradictions internes trop profondes.
Nouveau Parti Anticapitaliste, Lutte Ouvrière (union communiste trotskyste) sont aujourd’hui les deux partis qui symbolisent l'extrême gauche française. Loin d'être identiques, ces deux partis ont des scores électoraux similaires (pour le NPA un peu plus 400 000 votes en 2012 pour Philippe Poutou, pour LO environ 200 000 votes pour Nathalie Arthaud). Ces deux partis ont pourtant historiquement fait de biens meilleurs scores. Selon Nathalie Arthaud, les raisons de l'échec de l'extrême gauche vient d'une "démoralisation des travailleurs", pour le candidat du NPA, c'est à cause du manque de combattivité de la classe ouvrière. Est-ce vraiment la réalité ? Certes la combattivité des opprimés n'a jamais été aussi faible, mais si cela est évident, les causes de cette démoralisation sont moins claires. Quant au programme de ces deux partis à la gauche de la gauche, il se pourrait qu'il soit lui aussi responsable de leur échec. J'ai donc pris le temps de lire les brochures de ces deux partis, voici le lien des PDF :
Pour le programme de Lutte Ouvrière : http://www.nathalie-arthaud.info/IMG/pdf/brochure.pdf
Pour celui du NPA : http://www.npa2009.org/sites/default/fi ... 202012.pdf
Vous n'êtes pas obligés de tout lire, bien que pour rédiger cet article, j'ai moi-même lu en entier les programmes de ces deux partis, pour élucider ce qui cloche. Au-delà des causes prétendues de ces échecs électoraux se cache effectivement des contradictions profondes dans le programme et l'attitude de ces deux partis. C'est l'objet de cet article.
Commençons tout d'abord par le programme du Nouveau Parti Anticapitaliste :
"Aux capitalistes de payer leurs crises !" et " Nos vies valent plus que leurs profits ! ", telles sont les deux phrases retenues pour symboliser la campagne et le programme du NPA, et à juste titre.
Ce programme se définit comme "un programme d'urgence" et un programme "anticapitaliste". Autrement dit, il s'agit pour le NPA de faire des propositions anticapitalistes en réaction à la crise, et à la crise seulement, l'idée est simple : faire payer les capitalistes pour financer un système social pour résoudre la crise capitaliste. C'est à ce sujet que sont consacrées les 26 premières pages, expliquant l'urgence sociale et écologique et proposant des mesures économiques, sociales et écologiques sur tous ces domaines, on pourra retenir quelques idées intéressantes :
- La sortie du nucléaire en dix ans grâce au développement des énergies renouvelables.
- La réquisition des groupes de l’énergie et leur contrôle par les salariés et les usagers.
- Une transition énergétique basée sur une planification des besoins socialement utiles.
- Des élus mandatés et révocables sans possibilité d'avoir plus de deux mandats.
Pour le reste, il s'agit de mesures socialistes : augmentation des salaires à 1700€, suppression de la TVA sur les produits de première nécessité, annulation de la dette, etc... Le problème est que ces mesures sont des mesures uniquement "socialistes" et ne sont pas en soi un projet de société autre que celui de la société capitaliste. Bien sur, il n'est pas possible de dire à l'avance ce que sera la société socialiste du futur, mais là encore il aurait été possible de nous en dire un peu plus sur cette fameuse société, ce "socialisme du 21ème siècle", et pour cela, le NPA, a tout de même mis à la fin de sa brochure 2 malheureuses pages à ce sujet. Mais là encore, le NPA reste dans la critique du capitalisme, et à part quelques mots sur l'internationalisme, on ne saura rien de cette société dont ils nous font tant rêver.
Et là il y a déjà un problème. C'est sans doute le premier qui saute aux yeux, le NPA n'a pas de projet de société, son programme est un programme d'urgence mais si on analyse queqlue peu le contenu, on se rend compte qu'il ne sera jamais appliqué. Pourquoi ? Parce que ce programme ne sera jamais élu (le NPA n'a d'ailleurs pas pour vocation d'accéder au pouvoir), et que quand bien même les gens votaient massivement pour le NPA (peu probable), les capitalistes se défendraient et la seule solution pour appliquer ces mesures serait une révolution, et pas une élection. Donc là il y a un deuxième hic, c'est que s'il se produisait une révolution assez puissante pour renverser le capitalisme, pourquoi s'embarrasserait-on d'en demander tant aux capitalistes ? J'ai eu l'impression, en lisant le programme du NPA qu'il s'agissait d'une liste au père noël qu'il faudrait imposer aux patrons par des luttes. Mais si les luttes gagnaient, ce qu'il faudrait ça ne serait pas faire plier les patrons, mais les renverser purement et simplement, non ? Pourquoi donc tant leur en demander puisque nous voulons une société débarrassée des capitalistes et du capitalisme ?
Cela n'est pas un projet de société.
Là où le NPA dit : " Il faut prendre l'argent là où il est, annuler la dette et faire un monopole public bancaire. "
Nous disons : " Il faut supprimer l'argent, abolir la propriété privée et le capitalisme purement et simplement. "
Là où il dit : " Il faut faire payer les capitalistes. "
Nous disons : " Il faut renverser les capitalistes. "
Là où il dit : " Il faut augmenter les salaires. "
Nous disons " Il faut abolir le salariat. "
Là où il dit : " Nous allons sortir de la crise du capitalisme. "
Nous disons : " Nous allons sortir du capitalisme qui est une crise. "
Là où il dit : " Nous ne savons pas à quoi ressemblera la socialisme du 21ème siècle. "
Nous disons : " On a quelques idées pour commencer, il serait temps d'en parler plus sérieusement. "
En effet, les propositions du NPA ne pourraient être appliquées qu'en cas de révolution sociale, mais en cas de révolution sociale, pourquoi nous arrêterions nous là ? Pourquoi ne pas aller plus loin ? Pourquoi ne pas proposer un autre modèle de société ?
Le NPA se trompe donc sur toute la ligne : il participe à des élections bourgeoises en tant que candidature de témoignage mais refuse de rentrer dans le jeu, ce qui décrédibilise ses idées. Il veut s'affronter au capitalisme mais n'a pas de société alternative à proposer. Il veut appliquer quelques mesures dans le cadre du capitalisme mais ne fait pas de vraies proposition pour une autre société, il ne parle jamais de comment il veut y parvenir, il n'est jamais question de révolution, seulement de lutte sociale. Alors forcément, ceux qui seraient tentés par quelques idées du NPA mais qui, faute d'une volonté de ce parti de faire vaincre ces idées, se tournent vers Mélenchon, qui en plus, semble offrir une alternative institutionnelle semblable à l'intérieur du système et accessible par les moyens démocratiques, notamment avec son idée de 6ème république.
L'échec du NPA était donc inévitable, car il refuse de choisir entre lutte sociale révolutionnaire accompagnée d'un projet de société et une politique réformiste électoraliste à l'intérieure du système. C'est pourquoi il n'arrivera jamais à décoller électoralement et que sa seule solution est de rediscuter d'un projet de société, d'enlever cette bannière de l'anticapitalisme qui n'est pas un projet de société, et commencer sérieusement à réfléchir sur le socialisme du 21ème siècle plutôt que de n'y consacrer que 2 pages sur 30 dans leur programme. Et ils devraient aussi penser à changer le symbole de leur parti, parce qu'un mégaphone, moi ça ne me fait pas penser au socialisme du 21ème siècle.
Et maintenant, le programme de Lutte Ouvrière :
Le programme de Lutte Ouvrière commence avec ce slogan : "Nathalie Arthaud, une candidate communiste à l'élection présidentielle."
Alors là, on se dit "chouette", elle a autre chose que l'anticapitalisme à proposer, elle a une faucille et un marteau au lieu d'un mégaphone (c'est déjà moins pire), quelle est cette fameuse société communiste dont elle nous parle ? Eh bien là à ma grande surprise, ce projet de société est inexistant également à LO, à part une prise de contrôle des travailleurs sur la société et l'habituelle liste au père noël faite au patronat, ce programme dresse cependant une vision lucide de la société actuelle mais n'en tire aucune conclusion sur sa propre politique. On aurait pu penser que contrairement au NPA, LO avait un vrai projet de société, eh bien non. Si elle se revendique du communisme, Nathalie Arthaud ne nous montre nulle part une once de ce projet de société ; on saura seulement que ça n'est pas le stalinisme ni l'URSS, mais moi je n'aime pas jouer aux devinettes, et il aurait peut-être été judicieux de parler de cette société communiste un peu plus longuement dans son programme.
Le point positif que je trouve par rapport au NPA est l'idée d'un communisme révolutionnaire assumé, bien qu'il n'y ait aucune idée en rapport avec le communisme dans le programme de LO, on a tout de même une représentation de ce que serait la révolution, elle est explicitement évoquée, mais ce sera l'un des rares points positifs.
Le programme de Lutte ouvrière se décompose de cette façon : une définition on ne peut plus vague du communisme (on remarquera qu'avoir mis le "projet de société" au début était plus judicieux que de le mettre à la fin (en référence au NPA)). Puis une critique du capitalisme bien que moins précise, moins pertinente et moins exacte que celle du NPA. Ensuite, la liste au père des noël des choses qu'un gouvernement devrait imposer aux capitalistes, ce qui est contradictoire avec l'idée de renverser complètement le capitalisme. Et enfin, une analyse assez lucide de la situation électorale, mais les idées contradictoires que j'ai évoquées foisonnent. Cela dit, voilà comment LO résume le communisme :
Le communisme, c’est permettre à la collectivité de maîtriser son
activité économique afin que tous les êtres humains accèdent de façon
égale aux biens matériels et culturels que la société est capable de
produire en ce 21e siècle. Cette perspective ne pourra se réaliser que si
la classe ouvrière, la classe de ceux qui n’ont que leur travail pour vivre,
enlève le pouvoir à la bourgeoisie et à ses représentants pour l’exercer
elle-même, collectivement et démocratiquement.
Voilà une définition bien vague du communisme révolutionnaire, quoiqu'elle a tout de même le mérite d'être écrite noir sur blanc plutôt que d'être tout simplement omise. Seulement, pas un mot du fonctionnement théorique de cette société, de la répartition des pouvoirs, du fonctionnement de l'économie.
Et en parallèle à ce projet "communiste", le programme de LO est le même que celui du NPA : un programme socialiste (augmentation des salaires, interdiction des licenciements, etc...). Aux mêmes problèmes, les mêmes conséquences, les gens intéressés par ces idées se tourneront vers Mélenchon qui lui veut appliquer ces mesures et a plus de chance de le faire un jour démocratiquement.
Je suis tout de même surpris, car dans les interviews, lorsqu'un journaliste demande à Nathalie Arthaud la différence entre elle et Mélenchon ou entre elle et Poutou, elle répond du tac-o-tac qu'elle est communiste contrairement aux autres. Mais son programme n'a de communiste que le nom, j'ai pourtant bien cherché, à part une allusion à l'autogestion des travailleurs dans les entreprises (également reprise au NPA), une hypothétique remise en cause de la propriété privée et une gestion collective par les travailleurs de la société. Mais au-delà des mots, toutes ces idées restent très vagues et sont des incantations semblables à celles du NPA.
Un programme décevant donc, rempli de contradictions entre les réalités pourtant évoquées et la politique de LO avant-gardiste et confuse.
En conclusion, ces deux partis, par leurs contradictions internes ne peuvent et ne veulent pas être une alternative au capitalisme, ils le critiquent et parfois même très bien mais proposent en retour une société socialiste qui ne remet en cause le capitalisme que dans les mots. Les mesures proposées sont faibles et quand bien même, seule un révolution pourrait les faire appliquer, et en cas de révolution, pourquoi s'arrêter là ?