@ conan
L'Autonomie ouvrière a certes été précédée par d'autres oppositions. Celle dans les années 50 de
Socialisme ou Barbarie de Castoriadis, étendue à d'autres scissions dont celle de ICO (Informations CorrespondanceS Oouvrières) de Henri Simon. Mais il s'agissait de ruptures intellectuelles faite par des élites sans lien réel avec la classe ouvrière.
@ bibo
Pour une meilleure connaissance de l'Autonomie:
Les groupes autonomes des années 77-79 ont laissé peu de traces écrites.
Cela est surtout vrai de la branche spontanéiste, tupamariste et insurrectionnaliste - les très informels résidus du maoisme, héritiers de La Cause du Peuple et de Vive la Révolution (1968-73) - qui drainait la majeure partie des effectifs du mouvement autonome, via la coordination parisienne.
L'OCL a bien accompagné l'Autonomie, y a participé, en a rendu compte dans les numéros de Front Libertaire, mais sans jamais l'avoir abordée en profondeur. L'OCL n'a jamais été autonome.
Il a existé aussi un certain nombre de groupes influencés par le Movimento, qui se sont lancés dans des actions de solidarité avec les réfugiés politiques. Ce fut le cas notamment du CINEL (Centre d'initiative pour de nouveaux espaces de libertés, 1977-81) de Felix Guattari. Après l'Autonomie, le CINEL a participé à l'essor des radios associatives en animant Radio Tomate. La radio Fréquence Paris Plurielle en est issue.
Mais si l'on veut comprendre l'essence du mouvement autonome, les documents les plus consistants viennent de revues éponymes de trois groupes organisés:
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Les Fossoyeurs du vieux monde, dits "les foss" (1977-83), groupe clandestin d'influence mao-situ, qui s'est prolongé avec Os Cangaceiros, post-situ (1983-87). J'en ai déjà parlé à plusieurs reprises... Leurs numéros sont téléchargeables à partir de la fanzinothèque (rubrique Partage).
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Marge (1974-79) de sensibilité libertaire désirante, qui s'est efforcé de rassembler les marginaux de toutes sortes, les rejetés de la "société libérale avancée" de Giscard (taulards, prostitué(e)s, junkies, squatters et autres gueux...). Son importance s'est vérifiée de manière posthume à partir des années 80 au travers des collectifs anti-expulsions, mal logés, précaires etc., des initiatives de quartiers qui ne contestaient que partiellement l'ordre social.
Comme à l'époque, les désirants avaient le don de m'horripiler, je n'ai jamais lu Marge.
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Combat pour l'Autonomie ouvrière (CPAO 1977-78) qui provenait au départ d'une fraction constituée de Lutte Ouvrière, Union Ouvrière (1974-77). CPAO était réprésenté principalement à Lille, Rouen, Paris, Sochaux, Clermont-Ferrand. Il a déployé une activité qui lui a permis de maintenir une périodicité quasi mensuelle de son journal... mais qui a aussi contribué à son rapide éclatement. Ce groupe anticipait l'évolution conseilliste prise par les groupes autonomes d'entreprises à la fin du mouvement. Toutefois, seul le groupe de Sochaux se rapprochera de PIC.
La phraséologie marxiste y est encore bien présente !!... La mise en page est à l'image du mouvement, bordélique. Nombreux sont les articles qui commencent à une page, s'interrompent et se terminent trois pages plus loin !
Les éléments moteurs de CPAO Rouen ont créé le Cercle Marxiste de Rouen (1978-80) qui a fusionné par la suite avec le groupe Tribune (1979-81) dont j'ai fait partie.
Comme leurs textes ne sont accessibles nulle part, je reproduis à la suite un texte de CPAO de novembre 1977 qui résume ses positions.
LUTTE AUTONOME DU PROLETARIAT ET INTERVENTION COMMUNISTE
(CPAO -1977)L'optique syndicaliste, revendicativiste, défendue par tout ce que le mouvement ouvrier compte d'activistes poussiéreux au service de la logique capitaliste, mérite qu'on s'y attarde un peu, afin de règler le compte aux maniaques de l'échelle mobile, mais aussi afin de renvoyer à la niche tous les inactivistes de profession qui foisonnent dans le milieu de l'ultra-gauche.
Si la lutte pour l'amérioration des conditions salariales a été un des facteurs essentiels de la lutte prolétarienne démarrée au XIXe siècle, le cercle vicieux de cet axe de lutte dejà dénoncé par les révolutionnaires de l'époque est désormais ressenti intuitivement par la masse de la classe ouvrière... L'amélioration toute relative du "pouvoir d'achat" n'a fait que révéler plus crûment l'aliénation profonde de cette société: consommer plus n'a pas fait de l'ouvrier d'aujourd'hui un être plus émancipé que son arrière-grand-père !
Confusément, les travailleurs sont de moins en moins dupes des luttes revendicatives traditionnelles dans lesquelles, d'une part ils ne puisent aucune conscience de leur force ( les syndicats qui encadrent ces luttes étant de A à Z inféodés aux nécessités de conservation du capitalisme) (1) et surtout parce que ces luttes ne peuvent plus constituer le moteur d'un associationnisme ouvrier réellement subversif, c'est à dire rompant avec la logique des rapports capitalistes. Prévues et programmées, ces luttes sont bien souvent des soupapes de sécurité et permettent l'auto-justification des syndicats...
Il est pourtant faux de croire que les combats revendicatifs de la classe ouvrière sont totalement intégrés dans le système. Ils sont aussi porteurs d'une énergie qui dépasse le cadre du marchandage de la force de travail. La seule base matérielle qui permet aux prolétaires de passer au stade de l'affrontement ouvert avec le Capital, ce sont les liens tissés au cours des luttes, ces liens qui brisent momentanément la concurrence entre ouvriers... Seules les fractions révolutionnaires voient dans cette mise en commun des efforts une tension, un désir d'une autre vie, c'est l'associationnisme prolétarien qui crée la base de la socialisation du point de vue du communisme...
Chaque étape dans le processus de constitution d'associations combatives au sein de la classe ouvrière est une étape dans le processus de prise de conscience COMMUNISTE.
En poussant à une lutte dépassant le cadre de l'usine et s'attaquant à tous les aspects des rapports marchands, les fractions communistes, loin de dédaigner les avantages immédiats que l'on peut obtenir, ouvrent des perspectives réelles aux travailleurs, élargissent le champ d'action de la transformation sociale, approfondissent la critique du Capital comme rapport social. Ils ne font qu'exprimer pratiquement ce que l'ensemble des travailleurs sera contraint d'accomplir...
Tout ceci est bien sur une donnée générale dont la compréhension ne suffit pas à règler la difficile intervention locale. De nombreux groupes autonomes d'usine se sont enfermés dans le particularisme et n'ont pas pu s'ouvrir à une pratique plus large en direction des foyers de résistance faute de perspectives révolutionnaires générales. En se soumettant aux aspects spécifiques des lieux où l'on travaille, on se ruine dans un activisme qui conduit généralement, en période de non-lutte, au pessimisme et au mépris des prolétaires eux-mêmes dont on n'attend plus rien, ainsi la voie est ouverte au terrorisme sensé réveiller les masses de leur torpeur... Il n'est pas question évidemment de rejeter le terrorisme comme extérieur au combat prolétarien, il s'agit de la situer comme effet de la faiblesse de ce combat. Car ce n'est pas en réduisant les moyens de l'intervention révolutionnaire, qu'on fait avancer d'un pouce la capacité de combat du prolétariat dans son ensemble.
La politique liquidatrice du gauchisme, son influence désastreuse sur les éléments combatifs, le dilletantisme des groupes anarcho-conseillistes, le sectarisme ultra-gauche sont des faits matériels réels qui, jusqu'à présent, ont freiné les efforts de lutte autonome du prolétariat. C'est en mettant sur pied les moyens sociaux d'une intervention communiste véritable, tranchant avec la vieille merde revendicative que les groupes de l'AUTONOMIE OUVRIERE pourront effectivement accélérer le processus de rupture communiste qui se fait sentir dans les luttes actuelles, et cela en développant les conditions d'apparition du facteur essentiel de cette rupture: l'autonomie dans la lutte par la confiance des travailleurs en eux, par la défense d'objectifs incompatibles avec le maintien du salariat et de l'économie marchande !
Tout cela ne pourra se mener sans une critique ferme et positive des impasses proposées par tous ceux qui veulent maintenir les luttes ouvrières autour de thèmes visant à réformer le capitalisme au nom des intérêts de la classe ouvrière. Il faut clairement combattre tous ceux qui veulent faire de l'autogestion, du contrôle ouvrier sur la production en période de crise, des nationalisations, des objectifs nécessaires pour passer à l'étape supérieure de la révolution. Nous n'avons pas à dresser de plan transitoire de passage au communisme ! (2) Ce sont les exigences du prolétariat mondial lors de l'affontement révolutionnaire qui détermineront les mesures de transformation de l'organisation capitaliste du travail.
Développer cette critique au sein des luttes, ne signifie pas pour autant développer un sectarisme de boutique imbécile à l'égard des travailleurs combatifs encore influencés par telle ou telle officine de la conservation sociale. Si nous travaillons à l'autonomie ouvrière dans la lutte, ce n'est pas pour créer une division supplémentaire chez les travailleurs, c'est au contraire pour faire surgir une unité réelle des prolétaires, une unité qui dépasse les divisions corporatistes, les querelles des boutiques syndicales qui accentuent leur sabotage des luttes par la démoralisation, les tripotages et les magouilles gauchistes, etc... Nous pensons que les objectifs communistes dans une grêve sont liés à des méthodes de lutte qui unissent effectivement les travailleurs !
C'est en rompant avec le légalisme, le pacifisme, le démocratisme qui soumet les plus combatifs à l'avis des moins combatifs, voire des non-grêvistes, etc. que les travailleurs tissent entre eux des liens infiniment plus solides. C'est ainsi que les travailleurs, dans l'action, se rendent comptent de leur force de transformation sociale ! C'est ainsi que les ruptures ébauchées confusément par les travailleurs avec les agents du capitalisme et leurs propres préjugés (racisme, corporatisme, pacifisme) s'accomplissent pratiquement !
Renoncer à impulserla pratique révolutionnaire de la classe ouvrière, se refuser à peser dans la maturation de cette pratique, en croyant qu'il suffit d'apporter la bonne parole sans se "salir" les mains dans les conflits tels qu'ils sont, revient à se nier comme facteur actif de la lutte de classe, cela revient à accepter la soumission des autres prolétaires, cela en fait à sortir des contradictions réelles des luttes pour entrer dans le confort béat du dispenseur de discours idéologiques.
Ceux qui prétendront qu'une telle pratique réintroduit l'idée qu'il y aurait une différence de nature entre la base "ouvrière" des Partis et syndicats et les directions de ceux-ci, oublient qu'en période de lutte c'est l'ensemble des prolétaires qui sont tiraillés par les contradictions de la lutte de classe (3). Syndiqué, gauchiste ou ouvrier de rang, tous sont poussés par des forces antagoniques, les unes visants à casser la tension révolutionnaire, les autres à la faire émerger. Découper, au moment des luttes, le prolétariat en tranches, idéaliser une partie de celui-ci: l'ouvrier "moyen", le jeune ou l'immigré, c'est reconduire la division et sombrer dans la démagogie à l'égard d'une "base" ouvrière parée de toutes les qualités à partir du moment où elle correspond aux critères arbitraires cités plus haut... Il n'y a pas à attendre d'une catégorie de travailleurs bien particulière des vélléités communistes supérieures !
Est-ce faire du frontisme, est-ce se compromettre avec les forces capitalistes au sein du mouvement ouvrier ? Nous ne proposons pas une tactique d'alliance avec ces forces, nous les combattons toutes au même titre, et c'est parce que nous prétendons les combattre effectivement sur le terrain que nous devons développer des actions susceptibles d'ébranler réellement leur base sociale !
(1) Si les syndicats sont adaptés aux limites de la lutte revendicative, il serait faux de croire qu'ils sont pour autant les organes appropriés pour obtenir effectivement victoire pour ce terrain. Là où le prolétariat se bat pour le pain, pour des conditions de survie minimums, les syndicats se dressent contre lui. Les syndicats sont mondialement les organes du Capital à part entière. Tous sont liés aux intérêts de l'économie nationale. Leur fonction n'est pas seulement de maintenir les luttes dans le cercle vicieux de la lutte économique, elles est esentiellement de casser toute vélléité autonomes des travailleurs lors des luttes...
(2) Les fractions communistes n'avancent pas de mots d'ordre "transitoires" sous prétexte qu'ils sont plus faciles à comprendre pour les travailleurs. Les révolutionnaires accentuent les ruptures entamés par les prolétaires, ils en montrent le côté émancipateur, supérieur aux rapports sociaux en place. Les contre-révolutionnaires se distinguent par le fait qu'ils défendent ce qui est encore compatible avec le salariat et la marchandise dans les mesures prises par les travailleurs au cours de leur lutte...
(3) Les périodes de luttes ouvertes ébranlent la totalité des structures de conservation sociale, ces structures sont d'autant plus ébranlées que leurs racines sont plus profondes au sein de la classe ouvrière. Ce ne sont pas deux blocs monolithiques qui s'affrontent au moment de la révolution. La rupture communiste ne recouvre pas les divisions sociologiques, elle entraine des pans entiers de l'édifice capitaliste en dissolvant les couches sociales qui lui sont liées...