de Antigone » 26 Mar 2009, 21:59
Depuis que je me suis inscrit à ce forum, j'ai passé une bonne partie de mon temps de connexion à lire ce qui a été écrit depuis presque un an et je dois dire que je suis assez étonné par votre méconnaissance de l'histoire de tout ce qui n'est propre à celle de l'anarchisme, et en particulier pour ce qui est expliqué dans ce ... topic (quel mot bizarre !) sur l'autonomie... Car en réalité l'autonomie ne se réduit pas à ce que vous en dites (avec pas mal d'erreurs qu'il serait trop loin de reprendre).
L'autonômie ouvrière a existé en marge de l'ultra-gauche bien plus longtemps que vous le croyez à travers des groupes qui s'en sont réclamés puis qui ont évolué, mais sans jamais aller à l'encontre de ce qui a constitué ses fondements. Elle a eu des développements qui sont allés jusqu'à tenter de redéfinir soit le situationnisme en terme critique, soit les contours d'une société sans domination dans une optique communautaire et humaniste.
Moi même, je continue de me réclamer de cette autonômie pour les idées qui ont été mises en avant et pour ses avancées qui restent importantes... et bien que je ne sois plus autonôme depuis longtemps.
Commençons d'abord par cette confusion pénible qu'on entretient avec ce qu'on pourrait appeler le guévarisme des villes.
A la fin des années 60, les révolutions chinoises et cubaines étaient perçues comme des modèles pour les révolutionnaires du monde entier qui rêvaient d'aventure épique. Les longues marches dans la jungle, les bivouacs de fortune à partager la vie des paysans, à faire leur éducation, à les engager dans le combat font partie d'une légende que le cinéma vient encore de rélater dernièrement avec "Che". L'histoire du petit noyau d'intellectuels qui finissait par rallier à leur cause une véritable armée jusqu'à l'apothéose finale et la prise de la capitale à fait rêver des générations d'ados.
Le guevarisme était un mouvement adapté aux régions forestières de l'Amérique du Sud, mais il existe au Sud de ce continent des régions qui ne sont pas forestières, et qui, à la même époque, vivaient elles aussi sous le joug de régimes militaires ou autoritaires corrompus. Et c'est dans le plus petit d'entre eux, en Uruguay, que s'est développé un mouvement, les Tupamaros, qui a mis au point une stratégie radicale et moderne de lutte adapté à la ville: la guerilla urbaine.
Dans un premier temps, à la fin des années 60, pour répondre aux détournements de fonds et autres manipulations financières du régime, ils ont commencé par s'attirer la sympathie de la population en jouant les Robin des bois, attaquant camions, magasins, entrepôts remplis de vivres et en redistribuant le pactole aux habitants des quartiers.
L'action armée s'est apparentée dans un premier temps aux actions qu'on a connu en France avec la Résistance: recherche de moyens matériels et assassinat de policiers. Puis, l'argent étant comme chacun sait le nerf de la guerre, surtout quand celle-ci dure, il a fallu trouver toujours plus d'argent pour faire face à toujours plus d'acharnement et de moyens venant des forces armées. Hold-ups, bracages, enlèvements de fonctionnaires (on peut revoir "Etat de siège" de Costa-Gavras), la lutte armée s'est alors intensifiée, et à ce petit jeu, le mouvement fut écrasé, les dirigeants emprisonnés.
Cette forme de lutte, peu après, a servi de modèle en tout point à la Fraction Armée Rouge allemande et aux Brigades Rouges italiennes.Toutefois, ce qui distingue les Tupamaros de leurs émules, c'est qu'il ne s'agissait pas d'un mouvement terroriste groupusculaire. Il comprenait des milliers de militants-combattants actifs soutenus par un réseau de dizaines de milliers de sympathisants ce qui, à l'échelle de ce petit pays, n'était pas négligeable. L'écho qu'il a rencontré au sein de la population est d'une toute autre ampleur que celle qu'ont connu leurs mouvements de lutte armée allemands et italiens.
Il y eut une suite à l'histoire des Tupamaros. Quand la dictature tomba dans les années 80, et que les prisommiers politiques furent libérés, Le mouvement des Tupamaros s'est fondu dans le jeu politique, participant à la coalition de gauche, puis accédant au gouvernement. Quoi de plus normal pour un mouvement, qui tout comme la RAF et les BR n'ont jamais remis en cause les structures étatiques de pouvoir, et ont reproduit des formes hierarchiques de commandement.
Ces mouvements n'avaient pris cette fausse apparence révolutionnaire que parce qu'ils étaient plongés dans une société bloquée, dans une situation sans issue, où toute possibilité d'accéder au pouvoir par les moyens démocratiques ordinaires paraissait imposible. Cette même analyse a été faite en Italie où la Démocratie Chrétienne détenait le pouvoir depuis la fin de guerre sans que la puissance du PCI ne permette d'ouvrir des perspectives, et en Allemagne également où SPD et CDU se renvoyaient le pouvoir tout en oeuvrant de concert aux performances remarquables de l'économie.
Par conséquent, je ne vois pas en quoi ces groupes adeptes de l'affrontement avec les forces de l'ordre et du pillage seraient "autonomes" ! En plus, ils ne font que singer les pratiques de guerilla urbaine puisque dans une démocratie parlementaire, elles n'ont pas du tout le même enjeu que dans une dictature quadrillée par les forces armées. Je ne comprends pas pourquoi chaque fois que l'on évoque l'Autonomie ouvrière, mouvement spécifique de la fin des années 70, on ne peut s'empêcher de faire référence à des mouvements guevaristes et tupamaristes, tous d'inspiration stalinienne et maoiste...
L'Autonomie ouvirère, la seule que je connaisSe, n'a aucun rapport avec ce que je viens d'évoquer.
Tout d'abord, ce qui caractérise l'Autonomie, c'est une critique puiS une rupture avec toutes les structures intermidiaires de
conciliation, de négociation, de gestion et d'encadrement qui servent de tampon entre la classe ouvrière et le patronat, autrement dit les partis et les syndicats.
Mais je dois faire remarquer que d'autres, bien avant, avaient fait le même constat sans qu'on les appelle pour autant des autonômes. Sans remonter trop loin, j'ai encore une brochure de "Vive La Révolution" (proche de La Cause du Peuple) datée de 72 où les syndicats sont traités "d'autre jambe de l'appareil d'Etat avec la police".
Néanmoins, historiquement, en France c'est en 1976, au moment d'une grêve à la Société Générale à Paris, après qu'une fraction de la section CFDT ait fait voter en AG le principe d'un comité de grêve constitué de représentants élus et révocables qui se substituait aux syndicats dans la conduite de leur lutte, qu'on a commencé à parler d'Autonomie Ouvrière.
Certes, en mai 68, on avait déjà vu prendre forme des comités de grêve sous la conduite de militants d'extrème-gauche qui avaient dans la tête le modèle des conseils ouvriers, les soviets. Mais cette fois, c'était différent. Cette aspiration à l'autonomie s'accompagnait d'une critique du rôle joué par les syndicats dans l'entreprise et les positions défendues par cette fraction étaient portées par des idées conseillistes d'ultra-gauche. D'ailleurs, une fois la grêve terminée, cette fraction a pris le nom de Groupe de travailleurs pour l'abolition du salariat.
Je reconnais qu'il soit difficile de passer d'un comité de grêve basée sur la démocratie directe à l'abolition du salariat comme ça, carrément, sans attraper un coup de froid. Alors peut-être qu'une petite explication s'impose car tout cela n'arrive pas dans un ciel serein.
La crise économique apparait brutalement en 1974 juste après la guerre du Kippour. Le pétrole flambe. Le prix du brut est multiplié par 4. Les économies occidentales qui n'étaient pas préparées à ce choc vacillent. Des entreprises ferment, les industries échaffaudent des plans de restructuration et les syndicats dont l'action défensive se borne à faire des manifestations pour dire "non au chômage" donnent l'impression d'être impuissants.
En Italie, il existe, depuis le mouvement de 69, un courant "operaiste" typiquement italien (opera signifie travail en latin) pour qui la seule manière de lutter contre le capitalisme, c'est qu'il n' y ait plus d'ouvriers ! En refusant le travail salarié, on enlèverait au capitalisme les moyens objectifs nécessaires à sa survie... et viendrait alors le communisme ! La principale organisation operaiste s'appelle Lotta Continua. Activiste, spontanéiste, elle intervient dans tous les mouvements de contestation qui s'expriment dans la société notamment contre les dégats causés par la morale chrétienne et pour la libération de la femme.
Autant dire que pour une organisation dont la théorie repose sur le refus du travail, la crise économique qui va s'accompagner d'une augmentation très imprtante du nombre de chômeurs va arriver comme une bénédiction ! L'Autonomie ouvrière n'aura aucune peine à se développer contre des syndicats "à la solde du capital" qui de leur côté font leur possible pour trouver des compromis avec le patronat afin d'éviter les licenciements et les fermetures. Voila pourquoi ce mouvement sera d'une grande ampleur, sera même soutenu par grand nombre d'intellectuels.. Et Lotta Continua va se dissoudre peu à peu dans ce Movimento qui malgré tout ne sera pas aussi informel qu'il en donnera l'air.
Mais le ciel va rapidement s'assombrir quand l'absence de perspectives politiques va poindre à l'horizon et surtout quand l'appareil d'Etat policier va vouloir y mettre un terme. L'affrontement de plus en plus violent va alors devenir l'unique perspective.
En 1977, le mouvement autonôme italien prend fin au congrès de Bologne, dernière tentative pour fédérer et donner du sens à tout ça. Ce congrès ne sera qu'un capharnaüm invraissemblable où personne ne pourra s'exprimer ou se faire entendre. Le poing levé y sera remplacé par la forme du pistolet P38 faite avec les doigts. La suite, on la connait, elle appartient aux faits divers.
Voila pourquoi quand l'idée de l'abolition du salariat est ouvertement revendiquée par un comité de grêve en 1976, ce n'est pas reçu à l'époque comme s'il s'agissait de divagations d'une bande d'illuminés.
En France, partis de gauche et syndicats ont l'oeil sur les législatives de 1978 et la présidentielles de 1981 qui pourraient tout changer. Il faut éviter tout dérapage et l'encadrement des luttes est une nécessité. Cette pratique sournoise qui est perçue comme provenant de directions traitres et servant les patrons et le systême capitaliste, ne passent pas chez les militants les plus combatifs et les plus radicaux.
En 1977, plusieurs groupes autonômes d'entreprises voient le jour sur des bases qui remettent en cause le travail salarié. Des militants de l'OCL viendront aider et soutenir les initiatives mais il ne sera pas possible de coordonner l'action de ses groupes qui resteront résiduels, pour en faire une vraie force.
Au même moment, des manifestations de soutien aux prisonniere de la RAF et à leur avocat Klaus Croissant donneronnt lieu à des débordements, des vitrines sont brisés. des voitures renversées... La presse qui se plait à créer un amalgame entre l'Autonomie italienne et les groupes terroristes qui avaient choisi l'épreuve de force avec l'Etat, désignait les responsables de ces incidents en les appelant des "autonômes"... mais autonômes de quoi ? on se le demande bien.
Il se trouve qu'à ce moment, l'autonômie était devenue une mode et que les contestaires inorganisés de tous bords, qui trouvaient plus facile de jeter un pavé que de réfléchir, s'en réclamaient, mais ce n'est pâs parce qu'on s'en réclamait qu'on l'était forcément loin de là.
Berckma, parle de 2 à 3000 personnes maximum, personnellement je diviserais par 10 (et sur des bases aussi radicales, ce n'est pas rien). Par contre, les 9/10e restants, c'était n'importe quoi.
Quant à l'Autonomie ouvrière en Allemangne ! ?? Je ne sais pas d'où Berckman la sort.
Mais finalement, l'histoire de l'Autonomie est paradoxale. Alors qu'on a l'habitude de partir d'une théorie pour tenter de la vérifier par la pratique, en France on a fait le contraire.
A partir de 1979, les groupes autonômes vont disparaitre. L'OCL va se tourner vers d'autres collectifs, mais en y apportant ailleurs l'esprit de l'autonômie, car cet esprit va demeurer.
Le courant autonôme va alors s'incarner organisationnelement parlant dans PIC (Pour une Intervention Communiste), une organisation de l'ultra-gauche conseilliste anti-léniniste qui publiait Jeune Taupe et dont l'un de ses membres faisait partie du Groupe des travailleurs communistes des banques issu de la grêve de la Société Générale. Autour de cette organisation, des individus, certains ayant vécu l'expérience toute fraiche de 77, des militants en rupture (comme moi), et... une fracion dissidente de la FA: le groupe "Commune de Kronstadt" de Nanterre, qui en réalité était un couple (mais avec le bébé, ils deviendront 3). Ce couple intégrera le groupe un peu plus tard mais en ressortira peu de temps après.
Des réunions seront organisées pour d'essayer d'homogénéiser les points de vue, avancer dans la compréhension de ce mouvement, faire une analyse de la période et envisager des actions communes mais en définitive cela n'aboutira pas. Au contraire même, PIC éclatera en 1981.
Une tendance activiste animée par ce que ses membres désigneront par l'urgence de la crise et la nécessité d'intervenir au plus vite et davantage fonde alors "Volonte Communiste". La suite leur a donné tort.
Les autres (la majorité) vont préfèrer rentrer dans une phase de réflexion théorique. Ils commenceront par tirer les leçons du mouvement de Solidarité en Pologne et à partir de 84, ils publieront des brochures sous le nom de "L'Insécurité Sociale". Dans le même temps, ils se rapprocheront des positions socialistes utopistes de "Socialisme Mondial" (lointaine survivance du parti de Daniel De Leon) qui prône l'établissement d'une communauté mondiale sans argent, sans économie, sans frontières. Ils tenteront de définir les conditions nécessaires à une autre société qu'ils vont continuer d'appeler "communiste" alors même que les références marxistes habituelles auront été abandonnées depuis des lustres. Ainsi, ils appeleront par capitalisme non pas un mode de propriété mais un mode de relation entre les individus, l'adhésion à un certain mode de vie.
De façon surprenante, jamais la moindre référence à l'anarchie n'apparaitra. De 88 à 91, ils publieront leurs textes dons une revue "Interrogations pour la communauté humaine".
L'autonômie ouvrière influencera aussi ceux qui tenteront de l'analyser et de l'interpréter d'après la lecture des situationnistes, puis rapidement en s'en éloignant, et en en donnant une autre traduction. Ce sera le point de départ pour un certain nombre de groupes (Les Fossoyeurs du Vieux Monde, Os Cangaceiros, La Banquise, Subversion...) d'une réflexion qui s'est étalee sur plus d'une décennie, avec des fortunes diverses.
J'ai fait partie de cette aventure.