Construire dès maintenant l’autogestion – Raoul VanegeimLa société marchande a creusé sa tombe en faisant de la terre un cimetière. Elle offre aujourd’hui le spectacle de sa propre fin, dans le théâtre d’un monde en ruines où les masses anesthésiées semblent se résigner à disparaître avec lui.
Ceux qui se contentent d’applaudir à l’effondrement du capitalisme financier ou à opposer une violence aveugle à la violence du profit ne font qu’entretenir cette fascination de l’autodestruction et du désespoir dont les mafias affairistes, idéologiques et religieuses ont besoin pour affermir leur emprise. Si nous ne sortons pas de la réalité économique en créant une réalité humaine, nous permettrons une fois de plus à la barbarie marchande de se perpétuer.
De même que l’économie agraire de l’Ancien régime était une forme sclérosée qu’avec la révolution de 1789 l’économie de libre-échange allait briser pour prendre son essor, de même le capitalisme boursicoteur et spéculatif dont nous contemplons la débâcle s’apprête à laisser la place à un capitalisme redynamisé par la production d’énergies naturelles non polluantes, le retour à la valeur d’usage, l’agriculture biologique, un replâtrage hâtif du service public, une hypocrite moralisation du commerce.
L’avenir appartient à des collectivités autogérées mettant la production de biens et de services indispensables (énergies naturelles, biodiversité, enseignement, maisons de santé, transports, métallurgie, textiles) au service de tous. Il s’agit de produire pour nous et non plus pour commercialiser des denrées que nous devrons acheter selon les prix du marché alors que les travailleurs les ont conçues et fabriquées. Il est temps de rompre avec les lois d’un affairisme qui programme avec sa faillite celle de notre existence.
Il faut que les relations humaines supplantent les relations commerciales et les annulent.
La désobéissance civile consiste à passer outre aux décisions d’un Etat escroquant les citoyens pour renflouer les escroqueries du capitalisme financier. Pourquoi payer à l’Etat-bankster des impôts destinés vainement à combler le gouffre des malversations alors que nous pouvons les affecter dans chaque collectivité locale à l’autofinancement des énergies gratuites ?
La démocratie directe des assemblées autogérées est en droit d’ignorer les diktats de la démocratie parlementaire corrompue. Tirons parti de la mutation en cours pour constituer des collectivités où le désir de vivre l’emporte sur la tyrannie de l’argent et du pouvoir. La désobéissance civile envers un Etat qui nous escroque est un droit.
Où vont nos taxes et nos impôts ? Non au secteur public, qui se délabre au profit d’escrocs étatiques et privés. Non aux écoles, en passe de devenir un élevage concentrationnaire d’esclaves jetés sur le marché. Non aux hôpitaux, gérés comme des entreprises à rentabiliser, où les patients deviennent des clients à rentabiliser, où les soins laissent place à l’affairisme. Non aux transports et aux postes, de plus en plus chers et de plus en plus chaotiques. Non aux industries prioritaires (textile, métallurgie, matières premières), qui font, plus que les secteurs parasitaires, les frais du capitalisme spéculatif. Non à la recherche et à la propagation des énergies non polluantes. Ils servent à renflouer les malversations bancaires, à combler le gouffre sans fond d’un déficit virtuel.
J’ai conscience de l’ampleur de la tâche, mais j’aimerais attirer l’attention sur les questions suivantes, qui me paraissent prioritaires :
Comment favoriser la mise au point des formes d’énergie gratuite à usage des collectivités locales et fédérées ?
Comment constituer une coopérative d’investissement pour en financer la construction ?
Comment organiser une production locale pour une consommation locale, afin d’assurer une gratuité des biens de survie, qui rende l’argent obsolète ?
Comment généraliser l’occupation des usines, leur gestion et leur reconversion éventuelle par ceux qui y travaillent ?
Comment mettre sur pied la gestion collective d’un fonds d’investissement constitué par une participation financière qui serait rendue possible par le refus des bénéficiaires de petits et de moyens revenus d’acquitter les taxes et les impôts prélevés par l’Etat-bankster ?
La gratuité est l’arme absolue contre le système marchand. Comment en propager l’idée et la pratique ?
Je voudrais évoquer ici – non comme modèle – mais comme expérience, le cas de la Commune d’Oaxaca et de VOCAL (VOIX D’OAXACA CONSTRUISANT L’AUTONOMIE ET LA LIBERTÉ).
"« Les membres actuels de VOCAL sont des individu(e)s autonomes, des collectifs libertaires, des lieux autogérés, des antiautoritaires, des organisations magonistes1, des collectifs zapatistes, des groupes anarchistes, des barricadières et barricadiers, des membres de l’APPO et des adhérent(e)s à l’Autre Campagne. Tous et toutes participent à l’actuel mouvement social dans l’Oaxaca. VOCAL se veut un lieu de convergence et d’union des tentatives autonomes du peuple d’Oaxaca en lutte, de tous ceux qui, appartenant ou non à des regroupements tels que l’Assemblée populaire des peuples de l’Oaxaca (APPO), participent activement au mouvement social actuel et veulent que ce mouvement reste fidèle à ses principes d’autonomie et d’indépendance vis-à-vis des partis politiques, en revendiquant l’assemblée souveraine comme la manière la plus juste et la plus harmonieuse pour réussir à nous comprendre, à nous organiser de façon autonome et à nous autogouverner. Un lieu où les accords du peuple ne se fondent ni sur la prédominance de la majorité sur une minorité ni sur aucune autre façon d’imposer son point de vue comme celle communément exercée par le pouvoir de ceux d’en haut, mais sur le respect mutuel entre toutes les composantes du peuple. Dans un tel lieu, nous nous proposons donc de lutter pour construire, consolider et relier des autonomies, estimant que l’autonomie des peuples, des groupes, des collectifs, des individus, des organisations et autres, constitue une alternative réelle d’opposition au système de gouvernement autoritaire actuel. L’autonomie entendue comme la construction d’autres réalités montrant qu’il existe une autre manière de changer les choses à la source, dans laquelle les peuples décident de leurs propres modes de vie, et non au sein d’institutions qui ne font que réformer l’oppression et la répression, comme le font les partis politiques qui produisent des tyrans, homme ou femme, des caciques et un autoritarisme chez tous ceux et toutes celles qui y accèdent à travers des postes qui leur confèrent une quelconque autorité.»"
Je trouve intéressant le mode de fonctionnement des assemblées zapatistes. Celles-ci proposent à des femmes et à des hommes de se charger de certaines missions. S’ils marquent leur accord, ils deviennent des chargés de mission, des encargados, et rendent compte à l’assemblée de leurs propositions et des résultats qu’ils ont obtenus.
Comment favoriser la propagation des fermes dites biologiques et leur influence dans les villes ?
Comment multiplier de petites unités scolaires de proximité, d’où soient bannies les notions de compétition, de concurrence et de prédation ?
A San Cristobal, l’Université de la Terre propose une formation gratuite dans les domaines les plus divers (en plus des matières traditionnelles : des ateliers de cordonnerie, de mécanique, d’électronique, de ferronnerie, de physique, d’agriculture naturelle, d’art culinaire, de musique, de peinture, etc.) La seule qualité requise est le désir d’apprendre. Il n’y a pas de diplôme mais on attend de « ceux qui savent » qu’ils communiquent gratuitement et partout leurs connaissances.
Comment doter les collectivités locales de maisons de santé, où les premiers soins puissent être assurés avec l’aide des médecins de campagne et de quartiers ?
Comment organiser un réseau de transports gratuits et non polluants ?
Comment mettre en pratique une solidarité active en faveur des enfants, des vieux, des malades et handicapés, des personnes en difficultés mentales ?
Comment mettre en ouvre des ateliers de création ouverts à tous ?
Comment reconvertir les supermarchés en entrepôts où les produits utiles et agréables fassent l’objet de trocs ou d’échanges de services en vue de favoriser la disparition de l’argent et du pouvoir ?
Il est temps de prendre conscience que le vieux monde s’effondre. Si nous ne voulons pas disparaître avec lui, la tâche la plus importante est de jeter les bases d’une société nouvelle.
Raoul Vaneigem