France Insoumise: une crise à la croisée des chemins bruns
La crise qui secoue la France Insoumise est certes une crise de pouvoir et de maîtrise des moyens du parti. Une crise de personnes aussi.
Mais elle ne saurait se résumer, ni même s’expliquer uniquement par les aléas de la vie politique concrète sous un régime de démocratie parlementaire. Elle est bien une crise de fond, une crise de sens.
Elle est le moment de la croisée des chemins sans retour possible en arrière.
Profondément, elle est européenne et ce n’est pas un hasard si elle explose publiquement au moment de la constitution des listes pour les élections au Parlement européen.
La victoire des fascistes en Italie a déterminé son explosion. Jusque là, en Europe, l’extrême-droite avait pris le pouvoir dans de nombreux pays. Ses similitudes de fond sur des thèmes précis avec une partie de ce qui fut considéré comme la gauche radicale étaient certes importantes: nationalisme exacerbé au nom de la défense du petit peuple, dénonciation du « complot des élites mondialistes » avec les mêmes cibles, comme Georges Soros, relents antisémites et/ou islamophobes, défense ou complaisances avec des dictatures comme celle d’Assad au nom de l’anti-impérialisme qui épargne toujours Poutine, discours anti-scientifique notamment sur les vaccins. Les points de convergence étaient nombreux. Le principal d’entre eux était évidemment la dénonciation de la démocratie bourgeoise comme le principal ennemi à abattre, le « vrai » fascisme qui impliquait pour une partie de la gauche radicale, une posture d’affrontement permanent avec les antifascistes.
Mais en Italie, le Rubicon a été franchi. La prise de pouvoir de l’extrême-droite traditionnelle s’est faite avec un parti anti-système, le mouvement 5 étoiles. Un parti, qui longtemps a été perçu comme émanation partielle d’une colère populaire progressiste « malgré tout », comme émergence d’une forme nouvelle de résistance au capitalisme, issue notamment des réflexions alter-mondialistes.
Face à cette déflagration politique, une question très concrète et immédiate se pose à la France Insoumise : que signifie réellement toute la vulgate « anti système » développée ces dernières années ? Comment traduit-on finalement le discours qui a consisté à présenter les démocraties bourgeoises comme l’ennemi à abattre en priorité et les électeurs fascistes comme une population qui pose les bonnes questions mais se tourne vers ceux qui apportent les mauvaises réponses ?
En clair, les thématiques communes avec l’extrême-droite sont-elles seulement une concurrence ou peuvent-elle finalement se traduire par une alliance pour la prise du pouvoir ?
L’affrontement en cours et qui ne va cesser de prendre de l’ampleur est celui-là.
La FI canal historique et la génération populiste assumée
Pour le comprendre, il est nécessaire de revenir sur la composition de la France Insoumise et le fossé historique entre deux catégories de dirigeants et de militantEs.
Au départ du mouvement, des composantes historiques de la gauche des années 80 et 90 : Jean Luc Mélenchon d’abord, et ses dizaines d’années au Parti Socialiste, toute une vie de militant et d’élu, pendant laquelle même sortir de la social-démocratie de gouvernement pour aller ailleurs dans la gauche était hors de propos. Mais c’est le cas aussi de beaucoup de ses proches, de Danielle Simonnet à Alexis Corbière, en passant par Raquel Garrido.
D’autres comme Eric Coquerel ou Danièle Obono viennent de formations politiques diverses : des chevènementistes à la LCR, en passant par le PCF.
En 2002, l’univers de toute la gauche commence à s’effondrer. D’abord la social-démocratie se fait jeter du second tour de la présidentielle par l’extrême-droite. L’année suivante, l’échec du mouvement contre la réforme des retraites marque la fin d’un cycle de luttes où le mouvement social remportait systématiquement des victoires partielles contre le pouvoir. S’en suit une dévalorisation de la lutte de classes.
A l’inverse, en 2005, la victoire du « non » au référendum sur la constitution européenne semble offrir de nouveaux débouchés pour une gauche qui serait radicalement anti-européenne. En réalité, cette victoire n’est pas spécifiquement anticapitaliste, et pas spécifiquement de gauche, elle est clairement nationaliste, due au moins autant au vote d’électeurs tentés par la voie d’extrême-droite que par une réaction aux politiques anti-sociales menées par l’Union Européenne. Et ce sont bien les thématiques nationalistes, antisémites, racistes qui vont dominer le champ politique les années suivantes et toute la décennie qui suivra. Toute la gauche politique s’effondre lentement, notamment dans les esprits tandis que tous les néo-fascismes se banalisent, et s’installent culturellement.
La France Insoumise, jusque dans son nom, est le résultat d’un processus qui commence dans ces années là: celui d’une partie de la gauche qui renonce à certaines valeurs antifascistes, décide de considérer que les électeurs d’extrême-droite sont principalement les classes populaires qui posent les bonnes questions et que le rôle de la gauche radicale est d’y répondre correctement et de s’emparer des thématiques qui font recette.
Ce n’est pas seulement un opportunisme de la part des dirigeants: beaucoup de militantEs perdent toute confiance dans l’héritage historique progressiste et social de leur camp, et finissent par penser que celui-ci est un frein à l’expansion de leur mouvement. Le phénomène n’existe pas que dans la gauche radicale, le PS aussi se droitise. (Le Printemps Républicain est d’ailleurs le fruit de cette droitisation au PS et entretien sans surprise de nombreux liens et passerelles avec la FI)
Complaisance, collaboration et course à l’échalotte
De la complaisance et de la collaboration avec les mouvances comme celles de Dieudonné, à celles avec les mouvances islamophobes, en passant par l’idée d’une coalition thématique avec tout ce qui est anti-européen, de l’attrait pour toute la mode anti-scientifique que traduit très bien le mouvement anti-vaccins, en passant par la reprise de la vision du monde oligarchie contre peuple, ou peuples contre mondialistes, l’histoire d’une partie de la gauche radicale devient une course à l’échalote avec des mouvements du bord opposé.
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