Jean-Luc Mélenchon, les farines animales et Twitter Vendredi, un eurodéputé m’appelle à propos des farines animales. La Commission vient, en effet, d’annoncer, en pleine polémique sur les lasagnes au cheval, qu’un règlement européen du 16 janvier 2013 les autorisant à nouveau dans l’alimentation des poissons d’élevage est entré en vigueur mercredi… Dans le genre bouffe folle et télescopage politique, on ne fait pas mieux, mais passons. Au cours de la conversation, ce député me raconte, rigolard, que Jean-Luc Mélenchon, le patron du Front de Gauche (FdG) et eurodéputé évanescent, a voté, en juillet 2011, en faveur de la réintroduction desdites farines (la Commission préfère qu’on parle de « protéines animales transformées »). Cela fait un peu désordre, d’autant que, depuis quelque temps, il cherche à verdir son discours, comme il l’a encore montré lors d’un discours sur « l’écosocialisme » prononcé au Maroc, justement vendredi soir.
Je me précipite sur le site de référence EUvotewatch qui répertorie tous les votes des députés européens. Le 6 juillet 2011, le Parlement a effectivement voté une « résolution » « sur la législation de l'Union européenne sur les encéphalopathies spongiformes transmissibles (EST) et sur les contrôles des aliments pour animaux et des denrées alimentaires – mise en œuvre et perspectives ». Une résolution, donc un texte non législatif et non contraignant. Dans son septième considérant, le Parlement se dit « favorable – eu égard notamment au déficit actuel de l'Union en protéines — à la proposition de la Commission visant à lever l'interdiction de nourrir les non-ruminants avec des protéines animales transformées, sous réserve qu'elle s'applique uniquement aux non-herbivores et que les protéines animales transformées proviennent uniquement d'espèces n'ayant aucun lien avec les EST ». Et là, surprise : la GUE, le groupe politique dont est membre le FdG, a bel et bien voté en faveur de cette résolution. En fait, mis à part les libéraux et les Verts, tous les groupes ont appelé à voter en faveur de ce texte. Le résultat final est d’ailleurs sans appel : 485 pour contre 162 et 30 abstentions.
Mais la discipline de vote n’est pas absolue. Ainsi, les Verts et les Libéraux allemands ont voté en quasi-totalité pour la résolution alors que seuls huit Français ont fait de même (Harlem Désir et Pervenche Berès, pour les socialistes, Joseph Daul, le patron du PPE qui pouvait difficilement faire autrement, Brice Hortefeux ou encore Corine Lepage pour les libéraux), tous les autres refusant de suivre les consignes de vote. Côté FdG, Jean-Luc Mélenchon, Jackie Hénin et Hélie Hoarau ont approuvé la résolution, comme leur groupe, alors que Patrick Le Hyaric et Marie-Christine Vergiat se sont rebellés.
Juste pour être taquin, car cette résolution, encore une fois, est non législative, je tweete donc : « Le saviez-vous? @JLMelenchon a voté en faveur des farines animales au Parlement Européen avec les communistes #aïe ». Que n’avais-je pas fait là : un acte de lèse-Mélenchon, une mise en cause inacceptable du phare lumineux de la pensée écosocialiste ! Ses lieutenants (et pas son chargé de com’ qui gère son compte Twitter, pourtant un habitué des insultes) réagissent très violemment, Raquel Garrido, l’une des porte-parole du PG, restant la plus polie : « En fait il a voté non, c'est une erreur matérielle qui a été rectifiée. Quatremer n'a pas vérifié ». La teneur des tweets qui m'ont été envoyés, c’est plutôt ce genre : « Libé est un torchon et @quatremer dispose en tout de douze neurones jaunes disposés en cercle sur fond bleu. #ReseauFdG ». Un torrent de boue qui a duré tout le week-end. Lassant.
Aurais-je commis une erreur en lisant la liste de votes ? J’avoue, vu la violence des réactions, que j’ai eu un doute. Pas vraiment : en fait, le grand homme a commis une erreur matérielle en votant oui alors qu’il voulait voter non. Son doigt a glissé… Il aurait donc « rectifié » son vote. Et, de fait, cette « rectification » est bel et bien inscrite au procès-verbal de la séance. Damned, pour savoir comment a voté Mélenchon, il faut donc non seulement examiner la liste des votes, mais aussi le PV rectificatif. De quoi y perdre son latin ! Plusieurs députés français ont d’ailleurs fait de même : outre Mélenchon, ses deux acolytes du FdG (et là, dans mes nombreux tweets, j’ai commis une erreur, en disant à un moment que le PC a voté pour les farines alors qu’il a toujours voté contre, qu’il m’excuse), Pervenche Berès, Brice Hortefeux et Corinne Lepage. D’ailleurs, François Damerval, l’assistant parlementaire de cette dernière, m’a aussi pris à partie (mais poliment) sur le thème : « c’est une erreur matérielle ».
Mais voilà : ces rectifications, à la suite d’un vote nominal, ne changent strictement rien au vote. Une fois que le président de séance déclare le scrutin clos, il est clos de chez clos. La soi-disant rectification n’en est pas une : c’est juste l’occasion de dire « oooooppps je m’ai trompé ». C’est dit en toutes lettres dans le « guide de la plénière » : « toute demande de correction de vote exprimée oralement par un député AVANT que le Président n'ait annoncé le résultat est prise en compte dans ce résultat (…). Toute demande de correction de vote communiquée par un député après l'annonce des résultats par le Président est consignée dans la même liste, mais ne peut modifier en rien le résultat du vote ». Ces demandes de « rectification » peuvent être faites jusqu’à 48 heures deux semaines après le vote. Autrement dit, si la voix de Mélenchon avait été déterminante pour adopter cette résolution, il n’aurait rien pu y changer ce qui, heureusement pour lui, n’a pas été ici le cas. Donc, contrairement à ce qu’ont tenté de faire croire les lieutenants de Mélenchon et ses militants, je n’ai strictement commis aucune erreur. C'est au contraire lui qui en a commis une…
Un tel plantage est-il possible ? A priori, on a du mal à le croire : chaque député, avant de voter, doit insérer sa carte de vote. Ensuite, il doit appuyer sur l’un des trois boutons : bouton de gauche, pour, lumière verte, bouton du milieu, abstention, lumière blanche, bouton de droite, contre, lumière rouge. Et le président demande toujours si tout le monde a voté avant de le clore le scrutin. D’ailleurs, on notera que Le Hyaric et Vergiat, pour le FdG ne se sont pas trompés, eux. Mais bon, il faut reconnaître que les votes se font en rafale le mercredi de la session mensuelle et non pas après chaque texte, comme en France, si bien que les eurodéputés peuvent s’y perdre. D’où l’importance d’avoir une liste de votes bien préparée par son assistant parlementaire afin de ne pas se planter et d’y regarder à deux fois avant d’appuyer sur le bouton. Mais voilà : Mélenchon n’a pas d’assistant en permanence au Parlement européen et il n’assiste jamais aux réunions de commissions parlementaires à Bruxelles, là où le vrai travail se fait. Ce qui ne lui permet pas de se préparer et accroît donc le risque de se tromper, car on a alors tendance à suivre la consigne de vote de son président de groupe (pouce levé ou baissé).
L’erreur de Corinne Lepage est plus incompréhensible. Membre de la commission environnement, santé publique et sécurité alimentaire, elle savait pertinemment de quoi il retournait et l’importance de ce vote. Reste qu’en dépit de sa rectification de vote, le jour où sa commission parlementaire a voté le texte de la résolution, il y a eu 56 votes pour et une abstention (pas d’appel nominal). Contactée, elle m’affirme que c’est bien elle qui s’est abstenue « mais sur l’ensemble du texte : j’ai voté contre la réintroduction des farines ». Pour le vote en plénière, elle « assume totalement (son) erreur. “Ça va vachement vite. J’ai tweeté en même temps : ‘c’est un scandale’, ce que je n’aurais pas dû faire. C’est une bêtise. Heureusement, ce n’était qu’une résolution et heureusement que mon vote n’était pas déterminant”. Voilà une réaction sensée, loin de l’emportement et des insultes de certains militants mélenchonistes.
N.B. Sur le règlement de la Commission, je vous conseille vivement le papier de Libération paru samedi. Sinon, voici les dates de son cheminement, à la suite de la résolution du Parlement européen. Le 18 juillet 2012, le comité permanent des États membres ne l’a pas rejeté (il aurait fallu réunir une majorité qualifiée contre puisqu’il s’agit d’une compétence déléguée à la Commission). Deux États ont voté contre, l’Allemagne et la France, et la Grande-Bretagne s’est abstenue. Ensuite, le Parlement européen a eu trois mois pour se saisir du texte, ce qu’il n’a pas fait. Il a donc été adopté formellement le 16 janvier 2013 et est entré en vigueur le 13 février. Il ne s’appliquera qu’à partir du 1er juin.