Printemps 2016 : Alternative libertaire dans la lutte
Les communistes libertaires s’efforcent à la fois d’être moteur dans les grèves, avec les collègues, via l’outil syndical, et de produire une expression révolutionnaire lisible, en direction du grand public.
Au jour le jour, AL met en œuvre une stratégie sur deux niveaux : d’une part l’animation de contre-pouvoirs dans les entreprises, les quartiers et les lieux d’étude ; d’autre part, la diffusion des idées communistes libertaires et des pratiques autogestionnaires.
Et, cette année, l’organisation n’a pas chômé ! Depuis février, des dizaines de paquets d’affiches et d’autocollants contre la loi Travail ont été expédiés dans tout le pays aux groupes AL (et à toute personne en faisant la demande) ; des campagnes virales ont été menées sur le web, notamment pour « faire monter » la date cruciale du 9 mars ; des communiqués et analyses ont régulièrement été diffusés ; une dizaine de tracts ont été réalisés et distribués en masse dans les manifestations ; le mensuel Alternative libertaire a consacré quatre unes au mouvement. On y a défendu que « tout passe par la lutte » et prôné la paralysie de l’économie – stratégie énoncée dans l’appel « On bloque tout » impliquant largement les syndicalistes libertaires. Tout cela en organisant la solidarité avec les camarades victimes de la répression (voir ci-contre).
Au cours des premières semaines, ce sont les « jeunes » d’AL qui ont eu fort à faire pour porter l’agitation dans les facs et les lycées. Dans les universités où le syndicalisme de lutte est bien ancré, la tâche a été moins difficile, mais partout il a fallu mener âprement le débat pour convaincre les étudiantes et les étudiants de se mobiliser – véritable défi dans un secteur où la mémoire des luttes est volatile.
Visibilité des couleurs rouge et noir
Quand est venu le temps des grèves et des blocages, ce sont les salarié-es qui ont pris le relais en tentant d’entraîner leurs collègues dans la lutte. Quand ils et elles n’étaient pas occupés par la construction de la grève dans leurs entreprises et leurs services, on les retrouvait sur les blocages économiques, devant des dépôts pétroliers ou des zones industrielles.
En manifestation, quand les uns étaient au cœur de leurs cortèges syndicaux, les autres assuraient la visibilité des couleurs rouge et noir. Le 14 juin notamment, des dizaines de camarades venu-es des quatre coins de la France ont pu converger au métro Duroc, où se trouvait le rendez-vous AL, malgré les gaz lacrymogènes et les charges policières, pour diffuser massivement un tract-BD réalisé par le dessinateur Colloghan.
L’enjeu, maintenant, est de continuer à œuvrer pour le développement d’un syndicalisme de lutte, tout en ne négligeant pas l’intervention spécifique d’AL. Agir dans la lutte des classes, tout en défendant un autre projet de société, communiste et libertaire.
Benjamin (AL Paris nord-est)
Pour une alternative révolutionnaire
Les questions que se pose toute et tout révolutionnaire à l’issue d’un mouvement social de cette ampleur : quelles nouvelles perspectives de transformation de la société sont à présent envisageables ?
La révolution n’est pas une lubie romantique. Il ne s’agit pas de se rêver en Che Guevara ou en Louise Michel menant une guérilla urbaine sur des barricades dans un Paris en flammes. La révolution n’est pas non plus un dîner de gala comme disait Mao, et là-dessus – une fois n’est pas coutume ! – on est d’accord.
C’est parce que le capitalisme est à l’agonie, enchaînant crises économiques et écologiques, que nous devons agir. Et c’est parce qu’il va chercher à prolonger son agonie par des lois scélérates, visant à extirper du prolétariat ses derniers profits, que l’action révolutionnaire devient urgente.
S’il y a un enseignement de ce mouvement social, c’est la violence, inédite ces dernières décennies, avec laquelle l’État a servi les intérêts du Capital. C’est un même ennemi que nous avons à abattre : on ne combat pas l’État par romantisme d’éternel adolescent – encore qu’on préfère ça au conservatisme des éternels patriarches – mais parce que la fonction principale de la violence d’État est de maintenir la hiérarchie des classes sociales. Qui peut croire que licencier plus, augmenter le temps de travail, diminuer les salaires, est dans l’intérêt des travailleurs et des travailleuses ? Personne. Mais une fois dit que nous ne voulons pas de cette société-là, une question s’impose : comment agir en révolutionnaire ?
Le système capitaliste n’est pas réformable
Il n’y a pas de projet clé en main ni de plan d’action prédéfini pour bouleverser les rapports sociaux et aboutir à une société communiste libertaire. Mais si on ne connaît pas le ou les chemins – et il en existe probablement plusieurs – on peut être sûr, en revanche, que certaines issues sont des impasses. Il en est ainsi des pseudo solutions électorales et républicaines. Il faut envisager la transformation sociale à partir des luttes, de la rue et des préoccupations des classes populaires. Le système capitaliste n’est pas réformable : c’est ce dont nous devons convaincre celles et ceux qui sont le plus victimes de son exploitation, et auxquels on laisse miroiter de fausses solutions.
Prendre conscience de notre force collective
C’est en multipliant les expériences de luttes collectives que nous construirons un monde nouveau. Il s’agit de populariser les idées révolutionnaires avec le projet de société communiste libertaire comme horizon. On doit continuer de miner le jeu politique institutionnel, de mettre en déroute le parti prétendument socialiste, de montrer que les élections sont une mascarade visant à nous faire croire que notre avis est important alors que seule compte la loi du profit. En parallèle, il nous faut développer dans les luttes, les assemblées, etc., des pratiques de démocratie directe pour élaborer collectivement un projet politique et faire bouger les lignes.
Les espaces de réflexion et d’action créés par la lutte – assemblées de boîtes, de secteurs d’activité, de ville ou de quartier ; piquets de grève ; occupations ; manifestations – sont autant d’endroits où réfléchir à une autre société, aux moyens et aux forces nécessaires pour la mettre en place : socialisation des moyens de production, résolution des problèmes écologiques, sociaux…
Une action sur trois niveaux
En tant qu’organisation révolutionnaire, AL propose une politique sur trois niveaux :
1. La construction d’une organisation communiste libertaire visible, audible et identifiable, dont les réflexions et les propositions puissent faire référence, être mises en débat. Un courant inséré dans les mouvements sociaux, en phase avec ses fractions les plus audacieuses. Aujourd’hui, cet outil, encore modeste, c’est AL.
2. Le développement d’un mouvement social indépendant et combatif. Cela signifie contribuer à la montée d’un syndicalisme révolutionnaire, notamment au sein de Solidaires et de la CGT, participer au mouvement féministe, antiraciste, écologiste, et participer aux divers collectifs qui se montent pendant les mouvements.
3. La convergence, chaque fois que faire se peut, avec les autres courants révolutionnaires, dans une logique de front anticapitaliste. Il s’agit de conjuguer nos forces pour faire entendre notre voix sur les sujets où il n’y a pas de divergence.
Fédérérer, radicaliser, autogérer
Dans les mouvements sociaux et dans le syndicalisme, il s’agit certes de rassembler les travailleuses et les travailleurs parce que l’union fait la force, mais pas seulement. Défendre les acquis sociaux contre leur destruction néolibérale, c’est bien. Pousser à dépasser la simple défense de l’existant pour poser les questions économiques, sociales, sociétales qui dérangent l’ordre établi, c’est encore mieux.
Idem dans le mouvement féministe, antiraciste et écologiste. Ces luttes ont une valeur en elles-mêmes, mais il est vital de les lier à un projet de bouleversement plus général des rapports sociaux. On ne peut pas se contenter d’un féminisme et d’un antiracisme qui souhaiterait simplement voir plus de femmes et de minorités racisées au Medef, ou d’une écologie qui militerait pour la taxation du diesel !
Fédérer les contre-pouvoirs, quand ce n’est pas à chaud dans la lutte, cela peut se faire au sein de lieux autogérés permettant l’entraide sociale. On peut citer le Barricade à Montpellier, la Maison du peuple à Rennes, l’Etincelle à Angers, le Lieu autogéré de Liévin, le CCAN de Nancy… Autant de lieux solidaires des luttes sociales, des migrant-es, des sans-papiers, de la Palestine, du Kurdistan, du Chiapas, etc. Ils peuvent favoriser une culture alternative (bibliothèque, concerts, etc.) voire une véritable éducation populaire à travers des réunions et des formations publiques.
Faire converger les anticapitalistes
Heureusement, AL n’est pas la seule organisation révolutionnaire, et la construction de cadres unitaires de résistance et de soutien aux luttes sur des bases anticapitalistes correspond à une nécessité. Selon les villes, la convergence avec d’autres organisations est envisageable. Lorsque nous parlons de convergence des anticapitalistes, nous nous adressons à diverses organisations – la CGA, la CNT, la CNT-SO, la FA, le NPA, VP, groupes locaux... Nous nous adressons aussi, bien entendu, à de nombreuses personnes qui sont de sensibilité anticapitaliste, libertaire ou autonome et qui peuvent se retrouver dans cette démarche.
L’enjeu pour nous est de mettre les divergences idéologiques de côté (par exemple la participation aux élections) quand il est possible et de s’unir sur des objectifs majeurs.
Ainsi, si AL boycotte les institutions républicaines et ne participe pas aux campagnes électorales, elle peut se retrouver aux côtés d’organisations qui, elles, y participent, quand il s’agit de s’impliquer directement dans des luttes, des grèves, des blocages en période de lutte chaude ; de l’entraide sociale, des contre-pouvoirs locaux en période de moindre conflictualité.
Cette proposition vise à rompre avec les sectarismes de l’extrême gauche en poussant au débat et à l’unité d’action.
C’est en multipliant, analysant et fédérant ces expériences que nous esquisserons une société nouvelle. Le grand soir n’est peut-être pas pour demain, mais on n’a pas sommeil, et on ne veut pas se coucher ! La lutte des classes a pris un sacré coup de jeune à travers ce mouvement inventif, en dépit des manipulations médiatiques, des intimidations des flics, et des patrons. Alors hop hop hop, que crève le vieux monde, la lucha sigue !
Elsa (AL Toulouse), Cédric (AL Albi), Matthijs (AL Montpellier)