L’optimisme tempéré du Parti de gaucheArticle paru le 29 janvier 2009
Congrès . La formation de Jean-Luc Mélenchon mise sur le scrutin européen pour dynamiser sa force naissante. Elle tient ses premières assises dès demain dans la région parisienne.
On ne parie pas gros sur le Parti de gauche (PG). D’aucuns lui prédisent un avenir similaire au mouvement de Jean-Pierre Chevènement. Il semble, pourtant, depuis sa naissance fin novembre 2009, se mouvoir dans le paysage politique comme une machine parfaitement huilée. Ses adhérents exhibent fièrement le sigle de leur bébé dans les manifestations contre la guerre à Gaza ou pour la défense de l’école, distribuent des tracts, collent des affiches. Ses fondateurs, dont Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez, courent d’une réunion à l’autre à la rencontre des partis de gauche traditionnels ou des syndicats. Ses animateurs organisent des assemblées publiques, plus ou moins réussies, à travers l’Hexagone.
4 000 militants en deux moisUne effervescence militante fructueuse, selon François Delapierre, le délégué général, qui affirme : « Le PG rayonne dans 95 départements, avec des positions fortes, en nombre d’élus et d’adhérents, dans la région parisienne, en Loire-Atlantique, dans l’Hérault ou en Gironde. » On espère annoncer le chiffre de 4 000 membres lors du congrès fondateur, qui se déroule vendredi, samedi et dimanche, à Limeil-Brévannes. « Six cents délégués et 400 invités y sont attendus », informe Joseph Rossignol, le maire de cette commune du Val-de-Marne, « honoré » d’accueillir la formation à laquelle il appartient désormais.
Quatre mille militants en deux mois, un chiffre qui devrait réjouir plus d’un politique. Le résultat est pourtant commenté du bout des lèvres : « C’est encourageant, prometteur, dit Marc Dolez. Je ne vais pas jouer les Monsieur Biscotos. » « Il est vrai que nous avions surévalué nos forces au départ », précise Jean-Luc Mélenchon. En claquant la porte du PS (lire ci-dessous), les deux protagonistes pensaient entraîner avec eux un nombre significatif de socialistes déçus que la motion Ségolène Royal arrive en tête au congrès de Reims, le 14 novembre 2008. Marc Dolez et Jean-Luc Mélenchon peuvent certes se consoler avec le départ, massif, des socialistes fréquentant le club Pour une République sociale (PRS) : « Environ 90 % de ses membres historiques nous ont rejoints », se félicite le second.
Le PG a-t-il tardé à se créer ? En ne quittant pas le PS plus tôt, Jean-Luc Mélenchon a-t-il compromis l’existence de sa nouvelle formation ? « Il a cru, beaucoup plus longtemps que moi, pouvoir réformer le PS de l’intérieur », commente Joseph Rossignol, militant socialiste jusqu’en 2003. « Le congrès de Reims a été celui de la dernière chance de faire bouger la ligne du PS pour l’ancrer plus à gauche », explique Marc Dolez. D’autres, comme Hayat Dhalfa (ex-MARS), auraient souhaité que la décision se prenne à l’issue du référendum de 2005.
Un public politisé mais orphelinMais le scepticisme plus ou moins affiché résulte davantage de l’éventuelle concurrence que pourrait engendrer la naissance du NPA, le Nouveau Parti anticapitaliste. Si Olivier Besancenot et Jean-Luc Mélenchon s’en défendent, il reste que les publics qui tournent autour des deux partis ou y adhèrent proviennent de la mouvance antilibérale, des syndicalistes de la CGT, de SUD ou de la FSU, des militants associatifs ou des ex-membres de longue date du PCF et du PS. Un public politisé orphelin d’une organisation politique. « J’ai mesuré les limites d’une action lorsque l’on n’est pas encarté », confirme Joseph Rossignol. Ce soir-là, dans une petite salle du 13e arrondissement de Paris, ce même profil se dessinait à la rencontre publique organisée par le PG. Une cinquantaine de personnes se bousculaient pour prendre la parole, dans un langage d’initiés que les rares novices assimilaient difficilement.
Les luttes sociales regardées de prèsIl n’empêche, tout en admettant la « difficulté à créer un parti », Jean-Luc Mélenchon, en bon connaisseur du PS, ne désespère pas de capter des socialistes « pas du tout rassurés par la nouvelle équipe dirigeante » de la rue Solferino. D’autant moins rassurés, soutient Marc Dolez, que « le premier acte de Martine Aubry, quarante-huit heures après son investiture, a été de se rendre à Madrid pour signer le Manifesto du Parti socialiste européen, qui annonce clairement son souhait de l’application du traité de Lisbonne ». Les élections européennes demeurent pour le PG l’événement politique le plus approprié pour se renforcer. « C’est notre plan d’envol, convient Claude Debons, ex-animateur des collectifs antilibéraux. Nous sommes en phase de consolidation des premières forces. Nous espérons l’essentiel de notre croissance de la dynamique » de ce scrutin.
Mais les luttes sociales sont également regardées de près, soutenues. Le PG n’hésite pas à faire sortir ses troupes des réunions dévolues à la préparation du congrès pour les lancer dans des campagnes d’affichage ou de distribution de tracts en faveur de telle ou telle action. « Nous avons besoin de succès sur le terrain social si on veut que les gens s’engagent politiquement », affirme Claude Debons. On peut s’attendre donc, aujourd’hui, à un cortège consistant du PG aux manifestations programmées dans toute la France.
« C’est ma première réunion politique »Claude Debons assistait, ce soir-là, à une rencontre publique à Saint-Ouen. Une assistance particulièrement jeune, mixte, colorée. Un public à l’image de cette banlieue populaire de Seine-Saint-Denis. Un public moins nombreux que celui qui s’était massé dans la salle municipale du 13e arrondissement de Paris. Mais à Saint-Ouen primaient les personnes jusque-là non engagées dans une formation politique. À peine les interventions des animateurs terminées, une jeune femme noire lève le doigt, se racle la gorge et, d’une voix timide, lance : « Je n’ai jamais voté, c’est ma première réunion politique, j’ai fait abstraction de toutes les informations depuis pas mal d’années. J’ai maintenant envie de comprendre dans quel monde je vis et de me battre pour les bonnes raisons. Mais je comprends seulement la moitié de ce qui se dit dans cette salle. Il faut décoder le langage des politiques. Est-ce que vous allez m’aider à décoder ? »
Julie, c’est son nom, adhérera plus tard. Convaincue sans doute par les propos de Hayat Dhalfa sur la volonté du PG de promouvoir l’éducation populaire au sein de la formation. Elle-même certaine que son parti ne survivra pas « s’il ne va pas vers les couches populaires, qui sont en attente et doivent se réapproprier leur destin politique ». Combien de Julie existe-t-il en France ? Sans doute beaucoup plus que les militants antilibéraux, que se disputent la gauche et l’extrême gauche.
Mina Kaci