Si nous sommes d’accord alors rapprochons nous !
Texte adopté par le Conseil national de Gauche Unitaire des 29 et 30 septembre 2012
Avec les campagnes présidentielle et législatives le Front de gauche a démontré son utilité politique, son attractivité, en particulier auprès des courants politiques, des secteurs du mouvement social et des militants qui sont en recherche d’une alternative politique. Dans le même temps, il se confirme que la formule du front politique, pluraliste, associant des partis qui veulent continuer à exister en tant que tels, dans le respect de leur souveraineté, des collectifs militants, des adhérents n’appartenant à aucun des partis constituants, est une réalité durable.
Cette situation invite à se poser le problème de surmonter la dispersion entre différents courants et organisations, de dimensions modestes et proches par leurs références et leurs orientations, et qui se trouvent militer côte à côte dans le Front de gauche.
Gauche Unitaire ne se satisfait pas de l’émiettement politique qui prévaut actuellement entre les différentes forces politiques alors qu’elles participent au cadre commun qu’est le Front de gauche. Nous ne sommes pas condamnés à cheminer éternellement côte à côte pour peu que nous ayons la volonté, tout en respectant les traditions et les histoires des uns et des autres, de mettre en commun nos réflexions, nos analyses et d’en dégager ce qui pourrait constituer le socle d’un rapprochement entre nos différentes organisations. Ce rapprochement s’il se concrétisait pourrait être un premier pas en direction d’un rassemblement plus large au sein du Front de gauche.
Il ne saurait toutefois s’agir, à nos yeux, de nous engager dans un travail de regroupement sur des bases purement idéologiques, ni avoir pour seul objectif de regrouper les courants issus de la gauche révolutionnaire ou alternative (quel que soit le nom qu’on leur donne) au sein du Front de gauche. Seule la vérification qu’il existe une vision partagée des grands enjeux de la période politique et des objectifs qui en découlent, ainsi qu’une approche commune des réponses à apporter à une série de grandes questions posées à la gauche si elle veut transformer la société, pourrait permettre d’avancer dans cette direction.
C’est en fonction de cette approche que nous nous adressons à Convergences et Alternative et à République et Socialisme avec lesquelles nous avons, pour ce qui nous concerne, déjà vérifié à partir de textes communs que la réunion de nos courants au sein d’une même organisation pourrait être immédiatement réalisable. Nous nous adressons également à l’Association des communistes unitaires, à la Fédération pour une alternative sociale et écologique, à la Gauche anticapitaliste avec lesquels nous commençons un travail de vérification de nos convergences politiques.
Défendre ensemble une appréciation commune de la gravité des crises
Nul ne nie la gravité de la crise économique que nous connaissons, et il est communément admis que celle-ci se combine et aggrave les autres crises, écologique, politique et démocratique, culturelle…
Mais le risque est, au nom de la globalité de cette/ces crise(s), de considérer qu’une fois ce constat fait l’analyse est achevée, et qu’il ne reste que débattre à loisir des formules de « sortie » de crise préconisées par les uns et les autres.
Il s’agit de ne pas lâcher sur la donnée déterminante du point de vue de l’action politique, autour de laquelle s’articulent les autres (même s’il est évident que la crise écologique renvoie à des coordonnées autres et de très long terme), qui est qu’il s’agit d’une crise systémique du capitalisme. C’est la fin du mode d’accumulation du capital qui était à la base de l’ultralibéralisme, ce qui conduit à une situation dont la nature et la gravité renvoient au précédent de la grande crise des années 1930.
Ce qui se traduit par le fait qu’en l’absence des conditions permettant d’envisager un nouveau mode d’accumulation, les classes dirigeantes, en particulier en Europe, n’envisagent d’autre politique que d’exploiter cette crise pour imposer aux salariés et aux peuples la destruction des acquis sociaux et démocratiques gagnés par eux au cours de la période précédente. C’est-à-dire une régression majeure, au prix d’affrontements de classe de grande ampleur. Ce que concrétisent aujourd’hui les politiques d’austérité menées partout en Europe, et dont seuls les degrés de brutalité varient d’un pays à l’autre.
Les menaces qu’une telle situation font peser sur l’avenir de nos sociétés et les risques de barbarie dont elle est porteuse indiquent l’ampleur du défi auquel est confronté le mouvement ouvrier et le peuple.
Dans une telle situation, le Front de gauche doit oser s’appuyer sur le peuple pour affronter les privilèges de l’oligarchie financière. Sa première tâche serait donc de combattre la résignation et le repli sur soi. Pour trouver une issue à la crise, il est nécessaire pour les travailleurs et les jeunes de se rassembler et de s’organiser pour la défense de leurs intérêts. Le développement de mobilisations sociales d’ampleur, convergentes, sera indispensable pour faire reculer les libéraux et le patronat qui veulent détruire tous les droits sociaux. « Place au peuple ! » : cette exigence est plus que jamais d’actualité. C’est la démarche à laquelle le Front de gauche doit contribuer et qu’il doit promouvoir dans la gauche en poursuivant la dynamique qu’il a impulsée.
Défendre ensemble une orientation pour le Front de gauche pour faire bouger les lignes à gauche
A partir d’un accord sur les grandes coordonnées de la situation, le point de départ de la discussion et ce qui la rend possible est le choix qui nous est commun de la construction du Front de gauche. Gauche Unitaire estime qu’il n’existe pas d’autre cadre à cette étape pour agréger les forces disponibles avec l’objectif de donner toute sa vigueur à une orientation contestant dans la durée et à grande échelle les politiques libérales ou d’adaptation à ces dernières. Notre choix du Front de gauche n’est en ce sens pas une simple option d’opportunité mais bien une politique qui vise à faire prévaloir, au sein d’une gauche traversée par deux orientations, une autre politique que celle défendue et mise en œuvre par la direction du parti socialiste. En définitive, ce que nous visons avec le Front de gauche c’est une réorganisation et une recomposition d’ensemble de la gauche. La ligne de partage entre l’adaptation aux logiques libérales et la volonté de rompre avec elles traverse en effet l’ensemble de la gauche et du mouvement social, y compris la mouvance socialiste ou écologiste. Partant de ce qu’il considérait être l’intérêt général de la gauche et des classes travailleuses, le Front de gauche s’est efforcé, depuis sa création, d’unir toutes les forces qui veulent mettre un terme à la domination sur la gauche des politiques de soumission au libéral-capitalisme dominant. C’est ce qui lui a valu ses succès des trois dernières années. Nous considérons donc qu’il doit, pour mener à bien sa bataille de conquête d’une majorité au sein de la gauche, poursuivre dans cette voie et situer plus que jamais son action au cœur de la gauche pour y faire bouger les lignes et dessiner ainsi les contours d’un rassemblement à vocation majoritaire.
De l’accord sur cette conception du Front de gauche découlerait selon nous l’orientation pratique que nous pourrions proposer comme base d’un rapprochement en son sein de nos organisations. Si nous sommes d’accord pour considérer que Le Front de gauche est partie prenante de la majorité populaire qui a chassé Sarkozy et la droite, qui a permis les victoires de la gauche à la présidentielle et aux législatives mais qu’il ne peut se retrouver dans une majorité présidentielle formée autour des 60 engagements du projet de François Hollande dont nous considérons qu’ils ne constituent pas une réponse à la hauteur de la crise que connaît notre pays et l’Union européenne il nous semble alors qu’une question nous est posée : celle du rassemblement des forces vives de la gauche sur une politique de rupture avec l’austérité, ainsi que de la majorité et du gouvernement à même de la porter.
Si nous nous accordons sur ce point, nous pourrions alors défendre ensemble dans le Front de gauche les mesures d’urgence susceptibles de favoriser dans un premier temps les rassemblements majoritaires dans la gauche et le mouvement social permettant non seulement d’illustrer concrètement ce que pourrait être ces politiques alternatives mais aussi d’entrainer de puissantes dynamiques populaires pour changer immédiatement les conditions de vie et de travail du plus grand nombre et conquérir de nouveaux progrès sociaux et démocratiques.
A partir d’un tel programme d’urgence, le Front de gauche se doit selon nous d’interpeller vigoureusement dans la gauche et mener le débat au sein de celle-ci et dans l’ensemble du mouvement social sur ce qu’est l’urgence de la situation et sur l’impasse que représente l’acceptation des règles d’un libéralisme qui plonge la société dans une crise de grande ampleur dont personne ne sait à l’heure actuelle ce qu’elle réserve comme catastrophes à venir.
Pour notre part, nous souhaitons soumettre à la discussion commune quelques axes qui nous paraissent être au cœur du débat politique à gauche et qui nous semblent être en mesure de dénouer la crise en faveur des classes populaires.
Défendre ensemble le programme d’urgence que devrait porter le Front de gauche
En premier lieu, nous pensons que la situation exige de se doter des moyens permettant de remettre en cause concrètement la domination de la finance sur la société :
- Refuser la politique d’austérité à l’échelle européenne, imposer la renégociation générale des traités qui ont conduit l’Europe à l’impasse actuelle et remettre sur le tapis la question du statut et des missions de la Banque centrale européenne. Rien de bon ne peut sortir d’un carcan qui limite drastiquement la dépense publique, en généralisant la « règle d’or », en sanctionnant les gouvernements qui ne s’y plient pas. Il faut redonner la parole aux peuples ! C’est le seul moyen pour créer un rapport de force suffisant face aux autres gouvernements européens pro libéraux et impulser une dynamique positive qui permette de poser les bases d’une autre Europe, au service des peuples.
- Se libérer du joug de la finance et imposer une autre répartition des richesses : réalisation d’un audit citoyen de la dette publique, création d’un pôle public bancaire par la nationalisation et l’appropriation sociale des principales banques, mise en œuvre d’une révolution fiscale qui s’attaque à la concentration des richesses dans les mains d’une minorité
Une telle politique permettrait de récupérer une série de moyens au service de la transformation qu’attend le pays :
- Mettre la planification écologique au centre de la relance de l’activité économique, commençant par replacer l’eau comme l’énergie dans la propriété publique, en favorisant la mise en œuvre d’une grande politique industrielle respectueuse de l’environnement. Développer et rénover les services publics et la Fonction publique.
- Lutter efficacement contre les fermetures d’entreprises et les licenciements qui se multiplient en ce moment en imposant l’interdiction des licenciements boursiers, de nouveaux droits pour les salariés comme la création d’un droit de veto des élus du personnel en cas de fermeture ou délocalisation, un droit de préemption de l’activité par les salariés, la mise en place d’une véritable Sécurité Sociale Professionnelle qui permette une continuité du revenu et du statut tout au long de vie.
- Engager la hausse des salaires et des pensions, la revalorisation des minima sociaux pour que chacun puisse vivre dignement. Relever dès maintenant le SMIC à 1700 euros bruts, c’est indispensable pour des millions de familles qui n’arrivent plus à boucler leur fin de mois. Il faut également en finir avec les scandaleux écarts de rémunérations en imposant le salaire maximum (à hauteur de 20 fois le salaire minimum) dans les entreprises privées comme dans le secteur public. La jeunesse, qui subit de la crise de plein fouet, doit sortir de la précarité. Il faut donc créer un réel statut de la jeunesse et mettre en place le pré-salaire d’autonomie.
- Défendre l’hôpital public débarrassé de la loi “Hôpital, patients, santé, territoires” (HPST)
- Obtenir l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, la sauvegarde des maternités et des centres d’IVG, une loi-cadre contre les violences faites aux femmes
- Rétablir le droit à la retraite à 60 ans pour tous et toutes. Le rétablissement du droit de partir en retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler à 18 ans et validé 41,5 années de cotisation ne profitera qu’à quelques dizaines de milliers de salariés et entérinera le passage à 62 et 67 ans des âges de départ légaux. Il faut remettre en cause les réformes imposées par la droite ces dernières années. Alors que le Conseil d’Orientation des Retraites prépare de nouvelles recommandations en vue de la réforme prévue en 2013, il faut imposer l’exigence majoritaire d’un droit à la retraite pour tous et toutes à taux plein dès 60 ans.
Enfin, parce que rien ne se fera sans avancée de la démocratie et de l’égalité des droits, il est nécessaire de :
- Changer et démocratiser les institutions, car le régime monarchique de la Vème République étouffe les aspirations du peuple à décider de son avenir. Abroger la réforme des collectivités territoriales. Mettre un terme aux politiques de stigmatisation des immigrés, des Rroms et à la chasse aux sans papiers. La justice passe par la régularisation de toutes les personnes sans papiers pour en finir avec la situation laissée par la droite, et en particulier celle des travailleuses et travailleurs, des jeunes majeurs et des familles avec des enfants scolarisés. Ouvrir le droit au mariage pour les couples de même sexe, accorder le droit de vote aux résidents étrangers à commencer par les élections locales.
Dans notre esprit, cette politique vise à chaque étape à rassembler dans la gauche et dans le mouvement social les forces qui sur tel ou tel point sont disponibles pour le faire avec un Front de gauche qui mènerait autour de ces points de ruptures de grandes campagnes visant la mobilisation populaire tout en dessinant ce que pourrait être une autre politique avec une autre majorité et un autre gouvernement.
A partir de ces éléments d’orientation, nous pourrions défendre ensemble l’idée que le Front de gauche doit se donner les moyens de son renforcement.
Défendre ensemble le renforcement du Front de gauche pour mettre en œuvre efficacement une telle politique
Nous pensons que le Front de gauche doit se vivre comme la force qu’il est devenu dans les faits et au yeux de l’immense majorité de la population, ce qui implique qu’il se pense comme un acteur à part entière de la vie sociale et politique en dehors des périodes de campagnes électorales. Il devrait donc se donner les moyens d’étendre son influence, de s’adresser aux classes populaires, de leur redonner confiance, de les aider à retrouver le chemin de la mobilisation. Pour cela, il doit encore se renforcer, il doit partir de l’enthousiasme qu’il a suscité dans une partie de la gauche, du monde du travail, du mouvement social et de la jeunesse lors de l’élection présidentielle et de l’implication militante qui s’est poursuivie au cours de la campagne législative.
Nous pourrions défendre en commun l’idée que toutes celles et tous ceux, courants ou individus, qui veulent ouvrir le chemin d’un nouvel avenir pour la gauche dans son ensemble, ont leur place dans le Front de gauche.
Nous vous proposons également de défendre ensemble la nécessité pour le Front de gauche de répondre positivement aux femmes et aux hommes qui ne sont pas membres d’une des organisations politiques le composant, qui se sont tournés vers lui et qui veulent en être partie prenante à part entière. L’essentiel étant de trouver les moyens et les formes de structuration qui permettant d’associer ces militants de manière durable aux activités du Front de gauche, aux campagnes qu’il impulsera et à son développement. Dans cet objectif, les Assemblées citoyennes, les Fronts thématiques, le Front des luttes, les collectifs départementaux et locaux et le conseil national sont autant d’outils précieux à notre disposition qu’il faut faire vivre et ouvrir encore davantage.
Avec le Conseil National et la Coordination hebdomadaire, le Front de gauche s’est doté d’instances régulières qui doivent lui permettre d’avoir un fonctionnement intégré et pluraliste permettant la mise en commun, le débat, l’efficacité dans l’action et le respect de la souveraineté des organisations. Cet acquis doit, nous semble-t-il, être préservé et consolidé.
Envisager un rapprochement plus poussé
A partir du moment où nous avons un accord sur l’orientation que nous pourrions défendre ensemble dans le Front de gauche, une autre étape de rapprochement pourrait alors s’ouvrir entre les formations qui sont disponibles pour viser un rassemblement de tout ou partie de ces forces dans une même organisation.
Une telle entreprise nécessite à la fois des expériences pratiques partagées et une élaboration politique approfondie. En effet, un rapprochement organisationnel ne peut se faire à partir d’approches consistant uniquement par exemple à s’appuyer sur des références communes liées au passé, ou à décider de nouvelles définitions politiques censées opérer à priori des démarcations par rapport à d’autres composantes.
Ainsi, on voit à propos de références telles que l’anticapitalisme, l’écosocialisme, l’autogestion, qu’il convient d’œuvrer à ce qu’elles soient partagées – et elles le sont déjà pour une bonne part à titre individuel ou collectif – par l’ensemble des composantes du Front de gauche. Ce qui implique qu’elles ne sauraient suffire à elles seules à tracer des démarcations et indiquer des identifications pour le rassemblement de tels ou tels courants.
Le travail nécessaire demande donc d’approfondir quelques questions clefs :
Sur les questions de stratégie et des modalité de la transformation sociale ; sur les combinaisons entre élections et mobilisations sociales, entre les ruptures imposées par le mouvement populaire et leur validation démocratique, leur consolidation ou leurs avancées par le suffrage universel.
Sur les questions de la refondation d’une alternative au capitalisme et au productivisme, d’une société libérée de toutes les formes d’exploitation et d’oppression, la perspective d’un socialisme et d’un communisme réinventés.
Sur la question du « parti », c’est-à-dire de l’organisation politique apte à porter ce combat, ne répétant pas les modèles passés du mouvement ouvrier, intégrant dans toutes ses dimensions l’impératif démocratique, et en capacité de relayer la grande ambition originaire du mouvement ouvrier de militer pour l’émancipation humaine.
Au regard d’une telle ambition, on ne saurait prétendre que les réponses à ces questions sont disponibles de manière achevée et qu’il ne resterait plus qu’à les confronter. Il s’agit d’un chantier à ouvrir, d’un défi à relever. Et ce en étant conscient que nous entrons dans une situation qui rend cette tâche possible, et qui est susceptible de la favoriser par les évolutions politiques qu’elle appelle. Si nous sommes d’accord alors rapprochons nous !