Mardi 31 mars
Soirée, plusieurs voitures de flics effectuent un contrôle à un des accès du camp, comme ils l’ont fait les jours précédents. 200 personnes interrompent le contrôle et chargent les BACeux qui lancent des grenades assourdissantes. Démarrage en trombe, au moins un pare-brise explosé. Plus de contrôle aux abords du camp, jusqu’à dimanche.
Mercredi 1e avril
Le camion de la cuisine collective "Le Sabot" est bloqué à la frontière de Kehl. 300 personnes bloquent le pont de l’Europe, principal accès frontalier, pendant trois, quatre heures. Négociations, des drapeaux du poste frontière sont arrachés et brûlés. Les flics français acceptent le passage du camion et des vivres mais refusent l’entrée de 3 personnes. Une interpellation à l’écart du blocage. Les membres du Sabot refusent de ne pas passer tous ensemble.
Les 150 derniers bloqueurs, lassés et sous pression policière, lèvent le blocage et partent en manif sauvage. Une heure et demi pour rejoindre le centre de convergence en passant par la place de l’Etoile. Une vingtaine de combis de flics, maintenus en permanence derrière le cortège, les 2 voitures de civils qui essayent de s’installer en tête de manif seront chargées et renonceront à devancer la marche.
Soirée, la nouvelle de la mort d’un manifestant anti-g20 se répand dans le camp.
Jeudi 2 avril
Départ en manif spontanée à partir du camp, 2.000 personnes. Passage par la banlieue du Neuhof à la sortie du village. Les vitres de la caserne sur le chemin explosent, le pare-brise d’une jeep militaire est défoncé par un pieu, son conducteur fait marche arrière. Nombreuses publicités éclatées, graffitis politiques. Au fur et à mesure des actions directes, certaines personnes quittent la manifestation, il reste plusieurs centaines de personnes décidées. Des banlieusards à moto renseignent les manifestants sur les routes libres de toute présence policière. La vitre d’une agence de gardiennage est cassée, les flics interviennent. Un commissariat vide est attaqué, les motos saisies sont récupérées par les jeunes du quartier, le reste du matos sera emmené en soirée. Chasse-à-l’homme et arrestations. Point noir de la manif : malgré la détermination des gens, il n’y a jamais eu d’organisation en bloc, de petits nombres de CRS ont plusieurs fois fait reculer des manifestants beaucoup plus nombreux. Résultat : fuite désorganisée permettant aux flics d’isoler des groupes et de procéder à de nombreuses arrestations. Très mauvaise idée de s’engager dans les bois, multiples chutes et blessures, absence de vision globale de la situation et des issues, panique. A noter que plusieurs témoins voient une dizaine de flics civils rejoindre les CRS au moment de l’entrée dans le bois.
150 manifestants sont entourés par les flics dans un bois. 200 personnes quittent le camp pour aller essayer de les libérer. Après cent mètres, rencontre avec une compagnie de CRS qui commencent à arroser de lacrymos et flash-balls. Affrontements sérieux pendant deux heures rue Stéphanie. Pillage d’un chantier proche et barricades. Pas d’arrestations à cet endroit.
300 interpellations sur la journée, 105 gardes-à-vue. Les commissariats sont pleins et ne peuvent plus accueillir personne. Des arrêtés passent six heures menotés à attendre d’être emmenés. Le dispositif sécuritaire est débordé. La majorité des interpellés sont libérés dans les heures qui suivent, certains sans même subir de contrôle d’identité, quelques dizaines passent la nuit derrière les barreaux. Quelques uns restent en détention.
Plusieurs milliers de personnes dans le camp, nombreux banlieusards en goguette, jeunes ou pas.
Vendredi 3 avril
Les flics empêchent une action des clowns, et utilisent les autopompes à proximité du camp -
http://nantes.indymedia.org/article.... Plusieurs centaines d’activistes interviennent, construisent des barricades sur la rue Ganzau et opposent des pierres à la panoplie complète du joyeux CRS. Affrontements de basse intensité, un énorme graffiti "G8-2001 G20-2009 Pouvoir Assassin" est réalisé sur la hauteur d’une façade.
Construction de barricades dans le camp.
Escarmouches pendant la nuit dans le quartier du Neuhof.
Samedi 4 avril
4h - Départ du camp de quelques centaines d’activistes, pas d’intervention policière pour les bloquer. Le début de la rue Ganzau est une suite de barricades, de tas de pierre et de bâtons, il n’y a pas une publicité intacte.
6h - Début des blocages routiers, plusieurs centaines d’activistes y participent. Certains dureront cinq heures, malgré les lacrymos et les charges policières. Vers 13h, 400 bloqueurs lèvent leur blocage et partent en manif dans Strasbourg, bloquant des carrefours par-ci par-là. De nombreux habitants leur témoignent leur soutien depuis leur balcon, certains les rejoignent.
11h - Plusieurs milliers de personnes bloquées près du pont Vauban, sur le trajet autorisé par les autorités. Une heure d’affrontements avec les flics, qui finissent par se retirer et laisser la manif passer.
Début de l’émeute paisible. Sur deux kilomètres, tous les symboles de l’Etat et du capital sont détruits, méthodiquement. Publicités, caméras de surveillance, panneaux de signalisation, station essence, radar, poste frontière, distributeur de billets, hôtel, tout y passe. Les flics sont invisibles pendant plus d’une heure, empêtrés dans leurs hiérarchies et les multiples barrages, policiers et activistes. Puis interviennent. L’émeute devient violente -
http://article11.info/spip/spip.php.... Les médias annoncent une trentaine d’interpellations. Sur le chemin du retour, des habitants des quartiers populaires, de tout âge, félicitent les manifestants d’avoir "tout cassé", certains lancent des slogans anticapitalistes.
La soirée au camp se passe dans la joie, avec la crainte de la répression en toile de fond.
Dimanche 5 avril
Les flics entourent le camp à partir de midi, beaucoup de gens sont déjà partis. Fouilles, des contrôles, humiliations ordinaires, filmées. Ceux qui ne sont pas débarrassés de leurs lunettes de piscine, masques et gants se les voient confisquer. Des contrôles ont lieu en ville et à la gare. Peu d’interpellations.
31 personnes encore en grade-à-vue en fin de journée, plusieurs attendant les comparutions immédiates du lendemain.
Lundi 6 avril
Il pleut de la prison ferme et du sursis dans les tribunaux strasbourgeois. Pour possession de cagoules, lance-pierres, barres de fer, possession pas utilisation. L’exemple.
La répression
Des centaines de flics dans les rues, des barrages et des checkpoints, des badges pour pouvoir circuler dans son quartier, l’interdiction d’ouvrir ses fenêtres, le contrôle des visites, l’interdiction d’afficher des drapeaux contestataires. Avant même le début des festivités, la répression était là, liberticide et violente.
Contrôles répétés dans le camp en construction, ensuite barrages empêchant d’en sortir. Des hélicoptères en permanence au-dessus de nous. Utilisation massive des gaz lacrymogènes, flash-balls et autres grenades assourdissantes, parfois des canons à eau. Les actions pacifistes, des clowns et des bloqueurs, réprimées comme celles des activistes radicaux, peut-être plus en raison de leur pacifisme.
La violence quotidienne de la France, juste accentuée par le nombre des forces répressives. Les discours expliquant la répression par la violence des activistes se heurtent à la réalité de nos expériences. Le pouvoir frappe tous ceux qui contestent. Nous avons rendu les coups comme nous le pouvions, avec des pierres et des barres de fer, trop rarement avec le feu, on s’en souviendra. Nous n’avons pas seulement attaqués les symboles du capital et de l’Etat, nous nous sommes aussi défendus, nous et tous ceux qui nous accompagnaient.
Nous assumons notre violence comme une réponse légitime à la violence capitaliste que les êtres vivants subissent chaque jour. Nous l’assumons et la réfléchissons, nous connaissons les cibles et nous savons qui sont nos alliés objectifs.
A Strasbourg, nous avons vu l’impossibilité pour le pouvoir de sécuriser la totalité d’une métropole. Nous n’avons pas eu la force ou l’intelligence nécessaires pour frapper là nous aurions préféré le faire, au coeur du dispositif. Mais nous avons exploité les failles. Les flics ne pouvaient se positionner en permanence dans le Neuhof, la banlieue leur était trop hostile. Ce fut notre base arrière. Ils ne pouvaient quitter le centre-ville, nous avons frappé à la lisière.
Si on ne connaît pas le déroulement précis des affrontements de Bastia, il est clair que la concentration des forces répressives à Strasbourg ouvrait des possibilités dans d’autres territoires. A méditer pour le G8 en Sardaigne.
La révolte
On peut regretter un manque relatif d’organisation et la peur des forces policières, qui amenèrent plusieurs fois les activistes à se priver de leur puissance et de leurs possibilités d’action. Néanmoins, l’esprit de la révolte était là, dès le début. Les flics n’en firent pas assez les frais, mais les infrastructures capitalistes et étatiques payèrent le prix fort. Un petit camouflet pour le champion autoproclamé de la sécurité.
D’autres ont parlé de cette révolte -
http://grenoble.indymedia.org/2009-.... On se contentera de pointer la jonction - souvent fantasmée dans le passé - entre activistes et banlieusards. Cette alliance s’est vu pratiquement dans les émeutes, le jeudi les banlieusards du Neuhof aidèrent les activistes par leur mobilité et leur connaissance du terrain. Par la suite, les attaques furent communes.
Cette connexion se retrouva aussi dans le camp. Des palettes de bière et des barrettes de shit furent distribuées - en remerciement des motos récupérées ? De l’essence fût amenée, des réappropriations réalisées. Surtout, la fête, les discussions et l’enthousiasme furent partagés. C’est la première fois qu’un campement "no global" fut aussi métissé. Les banlieusardEs ont rencontré les activistes blancs et (souvent) bourgeois. Les médias peuvent nier cette réalité, nous l’avons vécue et nous nous en souviendrons.
Enfin il faut noter que les rencontres et les partages n’ont pas seulement concerné la jeunesse. Tous les banlieusards de moins de quarante ans que nous avons rencontrés nous encourageaient et nous soutenaient, mais pas seulement. Souvenir d’un groupe d’hommes et femmes âgés qui discutent gaiement avec des activistes revenant de l’émeute. Les violences de la police française et du capitalisme global font des merveilles.
Dans ces quartiers populaires, nous avons pu sentir la rage trop souvent silencieuse des exclus contre le système qui les opprime. Ce que nous avons senti en fait, c’est la révolte d’un peuple qui n’attend qu’une chose : la fin d’un monde.