Toulouse : La CREA, un grain de sable dans la machine à gentrifierDepuis plus de trois ans maintenant, la Campagne pour la Réquisition, l’Entraide et l’Autogestion occupe des bâtiments vides pour y loger des personnes, mais aussi organiser toutes sortes d’activités. Réappropriation de la ville, mise en place de solidarités con crètes entre galériennes et galériens… Retour sur cette expérience riche d’enseignements et de perspectives.Tout commence le 26 avril 2011 : des travailleuses et des travailleurs sociaux organisés au sein du collectif GPS (Groupement pour le travail social) réquisitionnent ce qui deviendra la « Maison Goudouli » dans d’anciens bâtiments de l’Afpa. A l’origine, ils et elles luttent pour de meilleures conditions de travail et une amélioration de l’hébergement d’urgence. Mais ce lieu immense, avec plusieurs bâtiments, offre un gros potentiel. Un collectif de squatteurs et de squatteuses y ouvre bientôt un Centre social autogéré. Dans la foulée est lancée la Campagne pour la réquisition, l’entraide et l’autogestion. La CREA est née !
La cohabitation entre les deux collectifs durera près d’un an et demi. La Maison Goudouli, qui accueille les « grands exclus âgés » est légalisée début janvier 2012 par une convention d’occupation précaire gratuite, tandis que le bâtiment de la CREA sera évacué six mois plus tard.
Qu’à cela ne tienne, un nouveau bâtiment est réquisitionné, encore plus grand que le précédent (toujours dans d’anciens locaux de l’Afpa). Une centaine de personnes vont s’y loger quelque temps, avant une nouvelle expulsion. La CREA change alors de stratégie et décide de s’implanter à Bonnefoy, derrière la gare Matabiau, un quartier populaire qui est la cible d’un vaste projet de rénovation urbaine. La municipalité veut faire un quartier d’affaires à proximité de la gare, en lien avec la construction de la ligne du TGV Toulouse- Bordeaux.
Bonnefoy contre la gentrificationMais la CREA est là ! Pendant plusieurs mois, la rue du Faubourg- Bonnefoy vit plusieurs réquisitions : de petites habitations et deux grands bâtiments : la Caillasserie (une ancienne briqueterie) et le CSA (Centre social autogéré, un ancien garage automobile). La Caillasserie et le CSA sont habités, mais sont aussi ouverts à des activités gratuites et politiques. On y dispense des cours de boxe, de danse, de langues, du soutien scolaire ; des réunions s’y tiennent, mais aussi des rencontres politiques, des bouffes, des fêtes, etc.
71 bâtiment occupés au totalAprès quelques mois de répit, la machine à expulsions s’est ce - pendant remise en route et a peu à peu vidé Bonnefoy de la présence chaleureuse et combative de la CREA. Cependant, chaque expulsion entraînant une nouvelle réquisition, la lutte s’est déplacée dans d’autres quartiers, en parvenant toujours à se renouveler malgré quelques phases d’essoufflement.
En trois ans, le bilan est spectaculaire : 71 bâtiments ont été occupés par la CREA, et au plus fort du mouvement 180 personnes environ ont pu se loger. Parmi ces bâtiments, sept lieux ont servi de centre sociaux autogérés, c’est-à-dire de lieux ouverts à toutes et à tous, pour se réunir et faire toutes sortes d’activités.
Toutes les décisions de la CREA se prennent dans les assemblées générales qui ont lieu deux fois par semaine, tandis que tout ce qui a trait aux questions pratiques de vie commune est décidé dans les AG d’habitants. Ainsi, il n’est pas nécessaire de vivre en squat pour participer au mouvement, de la même manière que toutes et tous les habitants ne prennent pas nécessairement part à la campagne.
Cela peut parfois entretenir un fossé entre les personnes qui assument ce mode de vie et celles pour qui c’est un pis-aller, même si pour toutes il s’agit d’une nécessité économique. Ce qui est important, c’est que cette différence entre militants et habitants n’est pas niée, ce qui incite à y être attentif, et à chercher à la réduire – en traduisant les discussions en AG, en laissant aux habitantes et aux habitants le soin d’organiser les « vendredis de la solidarité » (des soirées à thème, dont les bénéfices vont à celles et ceux qui ont préparé le repas), etc.
Déferlante bleue à la RoseraieUne prise en charge des enfants est organisée (vacances, activités le mercredi et le samedi…), ce qui permet aux grands de souffler... et aux plus petits de s’organiser. Ainsi les enfants, après s’être réunis, ont par exemple décidé d’organiser leur propre « vendredi de la solidarité », c’està- dire, selon leur annonce, « une grosse teuf et une bouffe et des danses qui sont trop cool peutêtre », l’argent récoltant servant à alimenter la « caisse des enfants ».
Évidement la mairie (PS puis UMP) et la préfecture ont vu tout cela d’un mauvais oeil. Avec l’arrivé à la mairie de Jean-Luc Moudenc, en avril, la répression a monté d’un cran. Lui qui s’était engagé à lutter contre les squats durant sa campagne a par exemple téléphoné à un propriétaire pour qu’il accélère une expulsion. Le 21 avril, ce fut encore une déferlante bleue dans le quartier de la Roseraie pour expulser des familles de maisons à peine réquisitionnées – des procès sont en cours contre des camarades et d’autres personnes ont été blessées au cours de l’intervention des cognes, par des gaz lacrymo, des grenades dispersives et surtout un tir tendu de Flash-ball qui a défiguré un camarade.
L’intérêt premier d’une campagne comme la CREA est de proposer un hébergement pour de nombreuses personnes, des familles, des femmes isolées, des travailleurs ou travailleuses pauvres, des étudiantes et des étudiants. D’ailleurs, parfois, le 115 dirige en douce des personnes vers les permanences de la CREA, tant les places d’hébergement d’urgence font défaut !
Mais l’objectif n’est pas de pallier les manquements de l’État et de gérer la misère. Outre une stratégie de survie pour se loger, la CREA permet aussi d’« organiser toutes sortes d’activités, d’ateliers, libres, gratuits et à disposition des quartiers. Cette forme de logement, nous permet de nous émanciper, de prendre du temps pour réfléchir à d’autres formes de vies, d’organisation etc. » [1]. Il s’agit de reprendre sa vie en main et de ne plus subir.
Elsa (AL Toulouse)
[1] Extrait du texte de présentation « CREA c’est quoi ? »