À Marseille, le mur aveugle et ruineux de la Plaine réfute d’emblée le droit des habitants et usagers d’un quartier à décider de l’avenir de leurs espaces de vie. Les effondrements de ceux, lézardés, abandonnés, de la rue d’Aubagne, avec leurs morts, ne révèlent pas une incurie municipale en matière de réhabilitation des logements, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils dévoilent une stratégie d’élimination de certains habitants jugés non désirables par des dirigeants. Le même processus est en cours à la Plaine. La gentrification programmée des quartiers est un objectif qui semble justifier tous les moyens. Comment les dirigeants de Marseille ignoreraient-ils l’état insalubre des logements de certains quartiers de la ville comme Noailles, alors que cet état est notoire pour tout le monde ici ? Le fait que les propriétaires visés par les arrêtés de péril soient des proches du pouvoir local n’est pas un hasard. Un jour, on prouvera sans aucun doute le projet partagé que dissimule cette désaffection des instances locales dans l’entretien des immeubles de quartiers du centre et d’ailleurs. Les politiques responsables de cet état des choses ne sont ni séniles, ni incompétents en la matière. Ils sont complices à tout le moins, et le plus souvent acteurs de la dégradation urbaine et de l’état d’abandon de ces habitations. Les arrêtés de péril actuels posés sur de nombreux immeubles de la ville n’ont été déclenchés que par l’alerte médiatique, et prouvent le blocage auparavant posé sur de tels constats et décisions de réhabilitation : un projet est en cours depuis bien des années, celui d’une élimination, d’une chasse de ces habitants qui, malheureusement pour eux, n’ont pas toujours les moyens de partir. Les enquêtes récemment menées montrent aussi la colère de certains propriétaires dans ces quartiers, suffisamment aisés pour pouvoir y acheter un bien, et qui ne soupçonnaient pas le danger et l’état de dégradation de ces biens qu’ils ont acquis, faisant confiance aux pouvoirs publics pour veiller au respect des lois fondamentales de l’entretien d’une surface locative habitable. N’est-ce pas une des charges de l’État ?Voici la définition de la Loi sur les Associations de Malfaiteurs, telle qu’on la trouve dans l’article 265 du 18 décembre 1893 : « Toute association formée, quelle que soit la durée ou le nombre de ses membres, toute entente établie dans le but de préparer ou commettre des crimes contre les personnes ou les propriétés, constitue un crime contre la paix publique. ». Dans cette même loi, on peut lire aussi :« Art. 267. - Sera puni de laréclusionquiconque aura sciemment et volontairement favorisé les auteurs des crimes prévus à l'art. 265 en leur fournissant des instruments de crime, moyens de correspondance, logement ou lieu de réunion. »
C’est tout le mépris des dirigeants de la ville pour les plus pauvres qui éclate au grand jour à cette occasion. La marche blanche en hommage aux morts de la rue d’Aubagne s’est achevée devant une mairie vide. Les discours de deuil et de commémoration devant cette même mairie n’ont pu se faire entendre de la foule, faute de matériel, car rien n’était prévu par la municipalité pour permettre aux proches de se faire entendre. Seule une grosse baffle, tenue à portée de bras par un membre d’un collectif, tentait vainement de porter leur parole aux oreilles des « 8000 » manifestants descendus à la manifestation pour y exprimer leur tristesse et leur colère. La semaine suivante, lors de la marche de la colère, les mêmes manifestants ont trouvé la mairie barricadée par des barrières de métal et gardée par de forts bataillons de CRS, dont les premières manœuvres, quelques minutes après l’arrivée de la foule, ont eu pour objectif de séparer les orateurs du reste du cortège. Des gazs lacrymogènes, des grenades ont été lancées contre les manifestants séparés des représentants du collectif de la rue d’Aubagne. À plusieurs reprises, les CRS ont chargé la foule échaudée par cet accueil. Nombreux sont les témoignages de personnes isolées et inoffensives aux alentours, jeunes femmes, jeunes hommes qui ont été matraquées sans sommation et sans raison par des CRS. Les charges ont semé la panique dans la foule, des personnes âgées ont chuté dans les mouvements de la course collective. Des grenades de désencerclement ont été lancées, en l’air, provoquant par leurs éclats des blessures aux visages des manifestants, au hasard, parmi ceux qui fuyaient les charges de CRS et même à grande distance. Chaque semaine voit son lot de colère, de manifestations, et d’attaques musclées de la part de ces mêmes CRS, envoyés par la mairie et l’État pour défendre des bastions représentants de la force politique locale, la mairie, la Plaine, qui, retranchée derrière son mur de béton, sert désormais de fort aux camions et escadrons de policiers et de CRS qui en déboulent pour gazer et charger des manifestants que cette main mise sur la ville rend de plus en plus déterminés. Parfois, au premier rang, devant les rangées de CRS, apparaissent des hommes non cagoulés, en noir, portant un brassard rouge au bras, et qui mènent la charge. Qui sont-ils ? La technique des forces de l’ordre est toujours la même, provoquer la terreur, diviser la foule quelques minutes à peine après son arrivée sur les lieux emblématiques par les gazs et par la panique provoquée par leurs charges rangées, massives, agressives, et continuer à attaquer des groupes toujours plus réduits, souvent en nombre inférieur à celui des forces armées, jusqu’à leur dispersion.
La foule des manifestants est hétéroclite, mais non armée, si ce n’est de quelques gros pétards et de colère. Elle est même parfois peu réactive aux slogans scandés en choeur. Parmi elle, des jeunes et des moins jeunes, en quête de justice sociale, des gens plus aisés, des gens plus pauvres, des fonctionnaires, des indépendants, des membres actifs du tissu associatif qui fait la richesse de la ville, des retraités, qui ont tous en commun, au-delà de leurs différences, de vivre et d’habiter ensemble les quartiers du centre-ville, et d’être révulsés par la manière dont le pouvoir les ignore dans ses décisions, les chasse de leurs espaces, les gaze, les charge, et les dessaisit brutalement et cyniquement de tout forme de droit à la parole quant à l’avenir des quartiers dont ils font pourtant aujourd’hui la vie et le quotidien. Cette foule n’est sans doute pas aussi unie qu’il le faudrait, disparate, pleine d’indépendants, rétifs à l’étiquette. Face à elle, le pouvoir municipal impose par la force brute des plans d’aménagement d’un autre âge, aveugle et sourd qu’il est aux enjeux environnementaux de notre époque, incapable d’amorcer une réflexion sur ces questions cruciales, incapable d’envisager un projet d’avenir qui ne soit pas fait d’arbres en pot et de béton, incapable aussi de comprendre l’enjeu qu’est le développement de transports publics efficaces et suffisants. Et c’est à coup de terreur, de haine et de violence que ces choix d’outre-tombe nous sont infligés.