Les « antigenre » tentent de mettre un pied dans l’écoleLes militants « antigenre », actifs sur les réseaux sociaux, n’avaient jamais – ou très rarement – franchi les portes de l’école. Ils s’en tenaient jusqu’à présent à des opérations de tractage devant les grilles, à des courriers aux chefs d’établissement, quand ils n’appelaient pas au boycott des cours.
S’apprêtent-ils à mettre un pied au sein de l’école ? L’intention est là. Du côté des « vigi-gender », ces parents dits « vigilants » proches de La Manif pour tous, comme dans la mouvance de Farida Belghoul, qui s’est autoproclamée présidente d’une « Fédération nationale de parents engagés et courageux » (FAPEC), les élections de représentants de parents d’élèves, les 10 et 11 octobre, constituent une porte d’entrée. Reste à la passer.
Alors que prend fin, le 30 septembre, le délai pour déposer des listes de délégués et participer au scrutin, les associations représentatives, FCPE et PEEP, ne prennent pas la situation à la légère. « Ce sont des on-dit, des rumeurs, mais je crains que ces lobbies ne présentent, dans certains secteurs, des listes indépendantes sans label, autrement dit sans afficher de propos sexistes ou homophobes, avec le risque d’avancer masqués », lâche Paul Raoult, président de la FCPE, fédération majoritaire (15,5 % des sièges au primaire, 47 % dans le secondaire).
Parmi les départements « en alerte », dit-il, figurent ceux où les « journées de retrait de l’école » (JRE), lancées par Mme Belghoul en direction de la communauté musulmane en début d’année, ont connu un relatif succès. La Seine-Saint-Denis, le Haut-Rhin et le Val-d’Oise en particulier.
APPEL À LA « POLITIQUE DE LA CHAISE VIDE »
Dans le « 95 », où la FAPEC dispose de son siège social, l’inquiétude est réelle. « On est très attentif à ce qui va se jouer dans sept quartiers très populaires et communautaristes », explique Bruno Brisebarre, secrétaire départemental de la FCPE-Val-d’Oise, listant « certains secteurs » de Goussainville, Argenteuil, Villiers-le-Bel, Sarcelles, Bezons, Saint-Gratien et Sannois. « Des listes pourraient passer dans des écoles et dans quelques collèges où la mixité n’existe pas forcément, où le climat entre parents et enseignants est tendu, regrette-t-il. Quoi qu’on leur dise, des familles continuent à craindre la théorie du genre ». La fin de l’expérimentation des « ABCD de l’égalité », remplacés par un « plan d’action » sur lequel le gouvernement tarde à communiquer, n’a pas déminé le terrain.
Même son de cloche du côté de la PEEP, l’autre association représentative de parents d’élèves (2,5 % des sièges au primaire, 10,1 % dans le secondaire). « On ne peut rien chiffrer, je ne veux pas crier au loup tout de suite, mais on sait que des groupes indépendants ont déposé des listes un peu partout dans le Val-d’Oise », acquiesce Hafida Saim, de la PEEP-95. Au niveau national, la présidente de la PEEP, Valérie Marty, manie la nuance : « Je ne pense pas que ce type d’initiatives puisse peser sur le scrutin. » Tout en reconnaissant que certains parents se sont « désaffiliés » des organisations pour « voler vers d’autres cieux avec des discours confessionnels ou politiques parfois confus ».
La confusion, le réseau de Farida Belghoul l’entretient, en refusant de parler aux « médias menteurs ». Et en appelant à pratiquer la « politique de la chaise vide » dans les conseils d’école. Comprenne qui peut. « Il n’est pas question de faire [en sorte] qu’un dialogue s’instaure entre l’institution et les parents qui souhaitent protéger leurs enfants de la théorie du genre », a affirmé la militante sur Radio Convergence, le 14 septembre.
« PARENTS SANS VOIX »
Pour ratisser large, sa fédération a investi d’autres terrains que la seule « sauvegarde de la pudeur des enfants » : des stages de soutien scolaire, un accompagnement des parents, futurs parents et grands-parents, la défense de la méthode de lecture syllabique…
Les vigi-gender, étiquetés catholiques traditionnels, ont, eux, fait le pari de la communication. « Quelques parents ont bien tenté, en 2013, de s’inscrire sur des listes pour participer aux élections, sans succès, confie Arnaud Alziari, porte-parole du collectif. Cette année, on a décidé de les aider, mais on n’intervient qu’à la demande de la “base” : on explique aux parents la procédure, on fournit le mode d’emploi… mais on n’a pas vocation à constituer une organisation centralisée », assure Arnaud Alziari estime avoir été contacté par « environ 600 personnes » sans être sûr que « cela aboutira à 600 listes ». Et évoque des sollicitations venant de la Loire-Atlantique, Lyon, l’Ardèche, l’Isère…
Lire notre post de blog : Les militants « anti-genre » veillent toujours
http://uneanneeaulycee.blog.lemonde.fr/ ... rs-active/Entre FAPEC et vigi-gender, les objectifs diffèrent peu : faire barrage à une « idéologie » que ces parents inquiets voient proliférer partout, dans les manuels et les ouvrages de littérature jeunesse, portée par les associations habilitées à intervenir dans les écoles, cachée dans les programmes en cours de refonte… Béatrice Bourges, cofondatrice de La Manif pour tous puis porte-parole du Printemps français, a ainsi compté parmi les premiers soutiens de Farida Belghoul. « Des personnes peuvent avoir les deux sensibilités, reconnaît Esther Pivet, coordinatrice des vigi-gender. Les moyens d’actions diffèrent, mais le but est le même : que le genre n’entre pas à l’école. »
Plus qu’une revendication idéologique, le sociologue Pierre Périer voit dans le mouvement « l’expression d’un symptôme ». « Des parents souvent sans voix face à l’école ont aujourd’hui le sentiment d’exercer un contre-pouvoir. Et la défiance qu’ils expriment est à la mesure de leurs attentes, fortes. » Rue de Grenelle, on reste sur la réserve en attendant le dépôt des listes. « On en est au stade des supputations », confie-t-on dans l’entourage de la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem, en assurant attendre très prochainement des « remontées » des recteurs.
Mattea Battaglia
Journaliste au Monde
Emma Paoli
Journaliste au Monde
Procédure disciplinaire envers Farida Belghoul Farida Belghoul, qui enseigne en lycée professionnel, est depuis la mi-septembre visée par une procédure disciplinaire. Le recteur de l’académie de Versailles lui reproche, dans un courrier du 19 septembre, ses « manquements aux devoirs de réserve et de loyauté incombant aux fonctionnaires ». En cause, l’article « Belkacem versus Belghoul » publié par la militante sur Internet le 26 août. La ministre de l’éducation nationale y est présentée comme la « chouchoute du lobby trans, bi et compagnie ».