Les notes

Re: Les notes

Messagede bipbip » 11 Sep 2013, 09:16

une classe sans note
Ecole : quand des profs expérimentent une classe sans note

L’école peut-elle changer ? Les profs peuvent-ils expérimenter des projets, pour modifier les façons de faire, les pédagogies, les habitudes ? Et quand des projets innovants font leurs preuves, peut-on les développer, les généraliser ? Témoignage dans un collège parisien, sur un projet de classe sans note, qui bouscule les parents, chamboule les habitudes, émancipe les élèves... et rencontre des résistances de l’administration locale de l’Éducation Nationale.


L’Éducation Nationale se modernise, elle déroule pour de bon le tapis rouge des nouvelles technologies, les « TICE » comme on dit dans le jargon éducatif. Aujourd’hui on accède à « l’ENT » – l’espace numérique de travail – et on échange plus facilement des informations avec les parents, entre collègues, avec la direction et les différents services académiques. Pour dessiner quelle pédagogie ? Pour former quel individu ? Pour esquisser quel type de sociabilité dans la société de demain ? Peu importe ! Le tout, c’est de moderniser l’Éducation nationale. Et si vous parlez de boulevard numérique laissé au marché de la connaissance, potentiel de croissance dont l’État aura bientôt tort de se priver, vous passez pour un paranoïaque...

Les recommandations à l’innovation sont omniprésentes dans la maison École. Il n’existe pas un niveau de l’échelle qui fasse défaut : national, académique, établissement. Organisation verticale, centralisée, huilée. L’encouragement ne circule pas, il tombe et atterrit dans votre casier, sur les murs de la salle des profs, dans les séminaires académiques. Sur le papier tout reste ouvert : innovez, on vous suit. Évidemment, l’innovation ne va pas s’affranchir de la tendance « évaluationniste » du moment. Alors vous remplirez des bilans. Tout est mis en œuvre pour se prémunir de tout gaspillage de l’argent public. Des fois que les personnels enseignants monteraient des projets éducatifs aussi chronophages pour eux qu’irresponsables pour nos élèves... juste pour le plaisir.

Une école sans note ?

Pour autant, lorsqu’on prend un peu trop au sérieux les encouragements de l’institution à innover, on réalise que dès que le projet risque de prendre une tournure légèrement divergente par rapport à la ligne idéologique du moment – dès qu’il sera question de laisser aux élèves la parole, l’initiative de pouvoir exister autrement dans la classe qu’en machine à mémoriser, le temps de rentrer ou non dans les apprentissages, de chercher à créer des cheminements didactiques qui puissent être empruntées singulièrement... – alors la bonne parole institutionnelle et incitative s’enroue. Et peut devenir plus invective.

Nous avons monté lors de l’année scolaire passée un projet de classe innovant (qui porte presque mal son qualificatif) : un projet de classe sans note, au collège. C’est loin d’être le premier. Ce genre de dispositif a fleuri depuis plusieurs années sur le territoire national, cautionné par le livret personnel de compétence (le LPC), obligatoire pour l’obtention du brevet depuis 2005. Le LPC impose à l’échelle nationale, très maladroitement, une autre manière d’évaluer que la notation... en plus de la notation.

Cette mesure nous a servi d’alibi pour monter un projet qui ne se limite évidemment pas à remplir des listes d’items parfois fantasques et souvent vagues ou insuffisants. A titre d’exemple, pour ma discipline, l’éducation physique et sportive, il existe dans le LPC deux seuls items, qui se battent en duel. Un peu restrictif pour un enseignement qui pèse en moyenne plus de 3h par semaine pour chaque élève...

Nous avons commencé « petit » pour cette première année, avec une seule classe. Pas vraiment le choix : certains collègues intègrent le projet juste pour nous faire plaisir. Il n’y aura qu’une équipe pédagogique donc qu’une classe. Le niveau 6ème. Ce qui permet la continuité avec l’enseignement primaire, où pas mal de collègues pratiquent ce type d’évaluation. Les objectifs du dispositif tournent autour de trois pôles :

Permettre à tous les élèves de s’inscrire dans les apprentissages avec sens, plaisir en privilégiant la coopération à la compétition. Pas de note, mais des validations à quatre niveaux de compétences. Pour les élèves, de quoi se comparer aux autres point par point, mais ça s’arrête là ! On ne leur met pas dans les mains à chaque trimestre un ensemble d’indicateurs leur permettant de se classer les uns les autres avec une finesse qui laisse perplexe.

Faire construire aux élèves des méthodes de travail qui renforcent leur autonomie dans les apprentissages, de différentes natures (capacités, connaissances, attitudes). Faire réfléchir l’élève à son cheminement personnel d’apprentissage. Lui faire se poser des questions. Créer un apprentissage anti-passif. Un élève, ce n’est pas une machine à engranger, restituer, oublier pour faire de la place, engranger à nouveau...

Renforcer la qualité de l’ambiance de travail entre les élèves à travers des relations scolaires de coopération, terreau d’une éducation citoyenne, outil précieux de prévention des violences, en permettant à chacun des élèves de construire sa place dans la classe et le collège.

Déconstruire les fantasmes des parents

Un œil attentif est tourné du coté des parents. Il faut déconstruire les fantasmes et établir une relation à travers des réunion régulières : « Non, tout ne sera pas permis dans la classe !... Oui, nous suivons les programmes... Oui, vous pourrez observer l’évolution des résultats de votre enfant... Non, ce n’est pas un projet pour élèves fragiles uniquement... ». Nous communiquerons un bulletin trimestriel qualitatif et non un recueil imbuvable de toutes les compétences abordées, et les inviterons à assister à une restitution d’un travail de la classe.

Les mises en œuvre seront simples : l’équipe enseignante dispose d’une heure de concertation dans la semaine pour harmoniser ses pratiques d’évaluation, autour de l’approche par compétence. Cette pointe de l’iceberg implique que l’on se mette d’accord sur des attentes pédagogiques communes. Bref, un travail en équipe régulier. Dans l’enseignement secondaire, dans l’Éducation nationale française et son collège unique, structurellement incompatible avec toute organisation locale. On a donc fait avec ce qu’on avait... Une formation du service de formation académique (DAFOR) : six demi-journée étalées sur l’année. Environ une heure de concertation hebdomadaire payée, sur trois réalisées [1]. On a fait aussi avec nos cultures/formations professionnelles différentes d’une matière à l’autre. On a essayé d’inventer un langage commun autour des compétences et de leur apprentissage. Mot fourre-tout qu’il la bien fallu s’approprier.

Concrètement : confection de grille de cheminement d’apprentissage, co-construction avec les élèves de ces grilles, auto et co-évaluation, devoir à retravailler sous le principe de l’effacement d’ardoise (un meilleur résultat permet d’effacer le résultat précédent, obtenu pour le même devoir), projet interdisciplinaire permettant à l’élève d’apprendre à développer les mêmes compétences dans des matières différentes, tutorat des élèves entre eux... Un champ des possibles s’ouvre, qui occupent nos longues soirées d’hiver et nous poussent à rester jusqu’à la fermeture du collège. Du travail pour rentrer dans cette nouvelle démarche d’enseignement et faire rentrer les élèves dans cette autre manière d’apprendre. Un changement d’angle de vue aussi.

Élèves autonomes

Au-côté de tout cela, un travail en « vie de classe » qui s’articule autour de la création d’une institution : le conseil. Technique issue de la pédagogie de Fernand Oury, proche de celle de Freinet [Lire ici]. Objectif : ouvrir un espace-temps de discussion collective et d’initiative autour de sujets proposés par les élèves, dans le respect strict de règles d’écoute, de parole, de posture. Ces règles sont arbitrées par les élèves eux-mêmes, qui s’emparent de rôles pour l’occasion : distributeur de parole, maître du temps, responsable gêneur... L’enseignant est président du conseil. Ouvert sur son environnement, le conseil peut décider d’inviter un membre de la communauté éducative : la CPE, trois collègues, sont venus en invités. Citoyenneté en acte, donc.

La classe, débordante d’énergie en début d’année, composée de son lot d’élèves inadaptés, en décrochage, en situation de handicap, d’autres excellents élèves ou plus passifs... La cour des miracles prend petit à petit forme d’une classe à climat de travail, hétérogène mais qui apprend à discuter pour régler ses conflits, qui se met au travail avec plaisir, qui progresse dans sa très grande majorité, « autonomes pour des 6èmes »...

Quel bilan en fin d’année ?

Qu’en disent les élèves ? La discussion est équilibrée. Mode d’évaluation plus précis ou moins précis ? C’est quoi, une moyenne ? Certains aimeraient être évalués comme le sont les trois autres classes de 6ème du collège. Soif de normativité compréhensible pour ces pré-ados. Qu’en serait-il si toutes les classes de 6èmes étaient sans note ? Beaucoup disent apprécier avoir plus de temps pour apprendre, pouvoir refaire les devoirs avec le principe de l’effacement d’ardoise, réfléchir à comment ils pourraient faire pour progresser. Ils ont tous apprécié les conseils de vie de classe, l’ambiance de classe est bonne, tout le monde se sent à sa place. Lorsqu’il y a un problème (et il y en a eu ! ), on arrive à le résoudre ensemble.

Qu’en disent les parents ? Ils sont plutôt satisfaits. Approche pour certains déroutante. Pour ces trois parents-là, c’est quand même plus clair avec les notes ! Et ces bonnes vieilles moyennes qui nivellent toute la complexité de l’apprentissage... Mais peut-être aussi son intérêt ? Difficulté, bien compréhensible, de changer les repères que nous avons construits... lorsque nous étions nous-même élèves.

La plate-forme numérique qui sert à communiquer les résultats des élèves manque de lisibilité. Nous sommes d’accord avec eux. Il y a trop de compétences à décrypter, on s’y noie. Effet d’entraînement, aussi : comme les parents sont inquiets de la validité du projet, nous les abreuvons de résultats : un bon prof c’est un prof qui évalue beaucoup. Avec des notes ou pas ! Mais les bulletins sous leur forme qualitative et étoffée ont été appréciés. Le suivi des élèves aussi. Ils ont progressé en autonomie dans leur travail.

Bousculer des habitudes

L’équipe de profs a l’impression d’avoir essuyé les plâtres coté parents... avec une certaine réussite. Et qu’en disons-nous, équipe pédagogique initiatrice du projet ? Neuf souhaitent continuer, deux non. Heure de concertation, échanges autour de la classe, construction d’évaluations en commun, semaine interdisciplinaire... Tout ça nous a pris beaucoup de temps, nous a demandé de bousculer des habitudes, d’inventer d’autres pratiques pédagogiques. Mais dans l’ensemble, l’équipe y voit un résultat éducatif concluant.

Mais alors, élèves, parents, profs sont dans l’ensemble satisfaits ? Projet validé, arrêt des notes dans notre bon collège ? Non, pas tout le monde ! La direction du collège traîne des pieds à l’idée de continuer le dispositif avec la classe, passée en 5ème, en plus de l’appliquer à une nouvelle classe en 6ème. C’est pourtant pas brutal comme continuité du projet ! Mais c’est notre méthode : doucement, à la vitesse du rouleau compresseur. Pour la nouvelle 6ème d’accord. Mais la montée de niveau... trop compliqué pour madame la principale. Une heure de concertation sur deux équipes pédagogiques, c’est contraignant pour la constitution des emplois du temps.

Éloge de la compétition

Et puis, ce n’est pas l’engouement exalté et euphorique du coté des autres collègues, à l’idée de passer un certain temps à changer leurs pratiques pédagogiques en équipe. Certains sont « moyennement convaincu mais s’il faut je ne refuserai pas ». Comme au début du projet pour notre équipe de départ. Et pourtant : 9 pour et 2 contre au résultat des courses. Une opportunité à saisir ? Pas suffisant pour les deux personnels de direction.

Pourtant, les élèves ont, malgré « la pire des classes de 6ème du début d’année », progressé dans leur très grande majorité (un cas de décrochage sur 30 élèves). Pourtant, il y a eu des effets riches d’un point de vue éducatif, l’instauration de relations coopératives entre les élèves. Pourtant, les parents sont dans l’ensemble satisfaits du projet. Les membres parents élus au conseil d’administration l’ont défendu et ne comprennent pas la position de la chef d’établissement.

La situation aura au moins permis d’abattre ses cartes : la chef d’établissement ne peut s’empêcher à la fin d’une réunion pédagogique portant sur l’avenir du projet, de faire l’éloge de la compétition à l’école. « Ce n’est pas dans ce collège que vous ferez de l’innovation », « ici ce n’est pas l’autogestion »... Ou comment la bureaucratie de l’École produit en son sein des professionnels qui s’empêchent de penser et d’agir. Le plus étonnant ? Madame la principale décrit dans un séminaire académique ce qui se passe d’innovant dans son collège. Sans rire. Elle le défend plutôt bien devant les autorités !

Une institution où personne n’est libre

L’institution de l’Education nationale, centralisée, verticale, a bien du mal à valoriser les initiatives locales même formalisées et validées, même évaluées. Des initiatives portées par les premiers responsables de toute innovation : les praticiens de l’éducation. Se sent-elle menacée par sa base ? Des élèves qui prennent la parole, qui discutent et s’écoutent, qui soulèvent des problèmes du quotidien au collège et proposent des résolutions comme la transformation d’un plan de classe, une rectification au règlement intérieur... Ces pratiques constituent-elles une menace pour la légitimité d’une administration ? Quel inconscient collectif avons-nous construit autour de la sécurité pour refuser la mise en place d’une telle éducation à la démocratie à l’École ?

« Seule la liberté d’action permet une prise de responsabilité. Est-il possible de concilier de telles propositions avec les règles d’une institution bureaucratique où tout acte est télécommandé, toute initiative est « couverte », où personne, à quelque niveau que ce soit, n’est libre ? Où personne n’est responsable. C’est le but recherché ? Alors il faut le dire. », ont écrit Fernand Oury et Jacques Pain (Chronique de l’école-caserne, 1972).

Un enseignant de collège parisien


Notes

[1] Ce n’est pas aberrant : une heure devant élève étant comptée dans nos services comme deux heures de travail.

http://www.bastamag.net/article3223.html
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Re: Les notes

Messagede Pïérô » 02 Mar 2014, 13:47

Le marché au coeur de l’école républicaine

Le discours républicain sur l’école dénonce sa marchandisation et celle des savoirs. Pourtant, l’existence d’une notation des élèves constituait déjà un instrument qui permettait d’introduire plus facilement la logique concurrentielle du marché au sein même du système scolaire.

Le collège unique : illusion d’une grande classe moyenne

Avec le collège unique, la société capitaliste a assuré l’illusion libérale d’une société constituée d’une grande classe moyenne composée d’individus libres. Amener 80 % d’une classe d’âge au bac, puis 50 % à la licence, c’est donner l’illusion que la société n’est plus divisée en classes sociales, mais qu’une partie importance de la société voit son statut social s’élever et appartient à la classe moyenne.

Néanmoins, cela revient à inverser les causes et les conséquences. En effet, toute la difficulté tient au fait que le niveau de certification scolaire et le marché de l’emploi ne sont pas nécessairement en adéquation. En effet, ce n’est pas parce que 50 % d’une classe d’âge possédera une licence que l’ensemble de ces individus accéderont à des emplois de professions intermédiaires et à la classe moyenne.

L’institution de la notation

Pour renforcer cette illusion, le libéralisme a trouvé au sein de l’école républicaine un mécanisme permettant de transformer l’institution scolaire en marché capitaliste, c’est le système de la notation.

A l’origine, l’institution de la notation, dans son sens républicain, est sensée organiser les règles formelles de la méritocratie républicaine. Tout comme le beruf de l’éthique protestante, le travail scolaire et la note qui la suit est le signe d’une élection. Elle consacre les aptitudes innées de chacun dans la société et la place qu’il doit y occuper.

Néanmoins, le système de la notation permet d’assurer le passage entre l’école comme institution religieuse républicaine à l’esprit du capitalisme scolaire.

En effet, l’institution de la notation peut être investit par le néolibéralisme avec un autre sens. Elle permet de présenter la réussite scolaire sur le modèle de la carrière professionnelle. Il s’agit d’une concurrence interindividuelle entre des acteurs économiques pour accéder aux meilleurs filières dans le secondaire et après le bac, puis aux meilleurs emplois.

De fait, l’école républicaine ne constitue pas un rampart au néolibéralisme car elle possède en elle-même des mécanismes de notation qui sont en homologie avec le fonctionnement du néolibéralisme.

Cette présentation de la compétition scolaire comme un marché où règne une concurrence pure et parfaite est bien évidement là aussi une illusion. Le marché scolaire ne fait que reproduire les inégalités scolaires. Mais il donne également l’illusion de classer les élèves en fonction de leur mérite, de leur travail personnel. C’était déjà une illusion présente dans la méritocratie républicaine.

Le lien qui a été établit idéologiquement entre certification scolaire et l’accès à l’emploi a une seconde conséquence, il contraint les individus à choisir leurs études en fonction de ce qui devrait leur permettre le mieux d’accéder à un emploi.

Organiser la concurrence entre individus dès l’école primaire, c’est construire les individus comme de futurs acteurs du marché, comme des homo oeconomicus.

Conclusion : Il est alors possible de douter comme l’affirme le discours républicain que ce soit les pédagogies actives qui en elles-mêmes ont constituées un cheval de Troie du néolibéralisme, car avec l’existence de la notation, il existait déjà un système au sein de l’école républicaine qui présentait une homologie avec le marché.

http://www.questionsdeclasses.org/?Le-m ... de-l-ecole
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Re: Les notes

Messagede sebiseb » 02 Mar 2014, 20:40

Merci pour le lien vers le site, @Pïérô.

L'article en lui même est un peu trop court pour ne pas être simplificateur, même s'il donne un aspect intéressant de ce que représente la note. Je n'ai pas très bien compris le lien avec le collège unique, qui s'il peut-être critiquable, a aussi une logique d'abolition des classes : affirmer que cela est une illusion, c'est un peu renoncer à la volonté d'aboutir à ...
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Re: Les notes

Messagede Pïérô » 29 Jan 2015, 13:54

La méritocratie, fabrique d'une société élitiste et hierarchisé

Le système éducatif a toujours été un outil majeur pour perpétuer les normes d'autorité et maintenir la hiérarchie sociale : d'une part l'ordre social y est inculqué comme un modèle unique auquel il serait impossible de se soustraire et d'autre part, il s'agit aussi de sélectionner et préparer les individus destinés à occuper les postes clés au sein de la société.

Durant la troisième république, le rôle autoritaire de l'école était pleinement assumé. L'instituteur, figure emblématique de l'autorité, faisait régner une discipline très strict et pouvait punir les élèves à la moindre transgression des règles. Outil privilégié de la politique d?Etat, l'école républicaine était aussi école d'endoctrinement, comme par exemple en amont de la de la Première Guerre Mondiale lorsque les instituteurs-trices préparaient la chair à canon en relayant pleinement la morale nationaliste et anti-germanique.

Différents mouvements sociaux et libertaires ainsi que la révolte de Mai 68 ont remis en cause l'école républicaine traditionnelle. La mission des enseignant-e-s est depuis, censée se limiter à la transmission des connaissances aux élèves, qui n'apprennent plus l'amour de la patrie ou la morale en classe. Quand aux sanctions, si elles existent toujours, elles n'ont plus rien à voir avec les châtiments corporels d'autrefois.

On pourrait penser alors que l'école n'est plus une institution autoritaire, que sa vocation se limite à l'enseignement des connaissances. En réalité, elle joue toujours fort bien son rôle de sélection élitiste grâce à son outil de prédilection : la méritocratie.

A chacun selon son « mérite »

Le système scolaire actuel repose sur le concept du mérite. Les élèves sont jugés-es uniquement sur leurs résultats. L'idée est simple : l'élève qui répond le mieux aux critères d'évaluation définis par l'Education Nationale aura la chance d?accéder aux à un métier prestigieux et rémunérateur. Le haut de l'échelle sociale. C'est « la réussite ».

Cette conception du mérite date de la révolution française, elle a été mise en pratique avec le baccalauréat et les grandes écoles. Les nombreux-ses partisans-es de la méritocratie pensaient alors qu'elle était un vecteur de justice. Dans l'Ancien régime, l'élite était exclusivement constituée par la noblesse ; il suffisait donc d'être fils ou fille de noble pour accéder aux niveaux les plus hauts de la hiérarchie sociale. La sélection par l'éducation et sa panoplie d'examens et de concours, comparativement à la sélection par la naissance a certes constituer un progrès social indéniable, cependant il est important de noter que ce sont uniquement les critères de sélection de l'élite qui ont été remis en cause, et non son existence même, pas plus que les privilèges sociaux et matériels dont elle bénéfie. Que les gens soient sélectionnés sur des épreuves et des concours et non sur la naissance constituait un progrès social indéniable pour l'époque. Il est important de noter que ce sont seulement les critères de sélection de l'élite qui ont été remis en cause et non les privilèges sociaux et matériels dont elle bénéficie et encore moins son existence. Au cours du XX siècle, ce système de la méritocratie a été amélioré. En théorie l'accès aux études s'est élargi à l'ensemble des classes sociales : l'école est devenue obligatoire jusqu'à 16 ans, et tous les enfants sont censés parvenir au moins jusqu'au collège. Mais la pratique est loin de l'idéal. Il par exemple difficile d'ignorer l'influence du niveau social familial, l'arbitraire des critères de sélection, tout comme l'évolution des recherches autour de l'intelligence. Ainsi la méritocratie est critiquée par nombre de militants sociaux d'intellectuels et de sociologues.

Ces critiques n'ont pas toujours été ignorées : la gauche républicaine s'en est parfois emparée pour assaisonner la méritocratie d'une touche d'« égalité des chances ». Ainsi les notes qui permettent de sanctionner le travail des élèves et surtout de les départager, font l'objet de nombreux travaux du ministère de l'Education nationale. Des ZEP, zones d'éducation prioritaire où les moyens financiers et humains sont renforcés, ont été créées afin de combler les inégalités sociales. Mais la finalité du système éducatif reste la même : parfaire la méritocratie. Seul le travail et la soumission des élèves déterminent leur orientation professionnelle et leur place dans la société.

Le mérite, une émancipation illusoire.

Daprès les défenseurs de la méritocratie il est juste qu'une personne est volontaire et déterminée puisse choisir sa place au sein de la société, au détriment de celles et ceux qui ont moins de volonté. Cette éthique est la même que celle qui régit le capitalisme. Les étudiant-e-s assidu-e-s se réserveraient donc un bon avenir professionnel, à la mesure de leur investissement. Les études, perçues comme un ascenseur social, permettraient aux individus méritant de s'enrichir socialement et financièrement.

Mais la méritocratie ne permet nullement l'émancipation : elle constitue au contraire un nouvel outil d'aliénation du peuple, justifiant la hiérarchie instituée et les nombreuses inégalités de revenus, de pouvoir et de reconnaissance sociale. Avec le mérite, chacun porte la responsabilité de sa misère et de la pénibilité de sa vie ; Et les élèves sont invités à travailler avec l'idée qu'ils doivent obtenir de bons résultats afin de s'enrichir, de faire un métier honorable ou au moins d'éviter un avenir désastreux. Dès le collège les élèves se préoccupent surtout de la note, la compréhension et le contenu des cours passant au second plan. Seuls les élèves en réussite scolaire peuvent se payer le luxe de négliger la note pour s'intéresser de plus près aux sujets qu'ils abordent et ainsi réellement s'approprier les savoirs, de les discuter et bien les comprendre.

Naturellement, les étudiants-es vont mettre en place des techniques et des stratégies pour obtenir de bonnes notes : c'est ainsi que s'assimile et se transmet de cette manière la culture du résultat qu'ils-elles retrouveront omniprésente dans le monde du travail. Ils-elles ont appris, tout au long de leur scolarité à accepter la logique de compétition entre les individus grâce à la notation, efficace ambassadrice de la théorie de la carotte et du bâton. Un mauvais résultat joue le rôle d'un coup de martiner, une bonne note est une récompense.

Avec la méritocratie les futur-e-s citoyens-e-s vont considérer comme naturelles et inévitables, les logiques odieuses sur lesquelles s'appuient notre société : compétition et égoïsme, soumission et peur de la punition, éloge du zèle, voir de dévotion au travail pour justifier sa place, priorité absolue d'un résultat chiffrable au détriment de tous les autres aspects du travail, inégalité matérielle et de reconnaissance. Ces logiques deviendront réflexe dont il leur sera très difficile de se défaire : on les retrouve jusque dans les milieux militants révolutionnaires, comble de la réussite du broyage par le mérite !

Si critiquer et comprendre le système permet de prendre du recul et de se protéger de l'endoctrinement, le spectre de l'échec guette inlassablement les brebis égarées et veille au retour dans les rangs de tout le troupeau. Bien des les enseignant-e-s se sentent contraint-e-s d'obéir aux mécaniques de la méritocratie tout en y état opposé-e-s. La méritocratie, à l'instar de la loi du marché, constitue une arme d'Etat idéale : sous couvert d'objectivité et de neutralité, elle enseigne et justifie la domination de l'élite.

La fabrique de l'élite

Le second rôle du système éducatif est de former l'élite. L'oligarchie au pouvoir, dans notre république soi-disant démocratique, a besoin d'une caste intermédiaire pour maintenir sa mainmise. Dans notre société, cette élite est constituée par les cadres et les ingénieurs de la fonction publique et des entreprises, par les officiers dans l'armée, les magistrat-e-s dans la justice, les professions libérales, les enseignant-e-s etc.

Pendant la troisième république, l'examen du certificat d'études constituait le principal instrument de sélection, remplacé aujourd'hui par le baccalauréat. Suivent différents filtres pour affiner le tri parmi les candidats à la réussite : classes préparatoires, écoles d'ingénieur, de commerce etc. Mais ces filières sont surtout des centres d'entraînement où les mécanismes d'endoctrinement et de soumission de la méritocratie s'appliquent intensément. Ce dressage renforcé est décuplé grâce à la continuelle compétition entre les élèves. Les étudiant-e-s angoissé-e-s par leur réussite se plient totalement aux exigences de leur formation. Durant leurs études les élèves abordent des notions théoriques très complexes qui le plus souvent ne leur seront pas utiles au cours de leur vie professionnelle. En fait la difficulté des cours a pour but de transformer les étudiant-e-s en machines qui serviront efficacement l'Etat ou le Capital. La situation d'un-e élève de Mat Sup galérant sur des subtilités mathématiques est sensiblement la même qu'un soldat faisant des pompes dans la boue : dans les deux cas l'institution oblige la personne a réalisé un exercice stupide dans le but de la formater. Le principal objectif de l'Etat est de modeler une élite docile, incapable de remettre en cause la hiérarchie de la société ou pire de mettre ses compétences au service d'une émancipation populaire.

Les programmes très exigeants entraînent une lourde charge de travail. L'aptitude au travail des étudiant-e-s est constamment sollicitée dans une implacable logique d'efficacité. Envisager de participer à la sélection ne se fait qu'à ce prix

La flatterie très largement dispensée en cas de réussite (« vous êtes l'élite de la nation, etc. ») a tôt fait de finir de soumettre les jeunes diplômés à une oligarchie dans laquelle on leur promet une part active et privilégiée.

Au final, ce système perdure sans que l'Etat n'ait à montrer les dents : la notion de mérite est acceptée par l'immense majorité de la population. Le plus souvent les revendications des mouvements contestataires ne portent que sur des dysfonctionnements du système méritocratique, La méritocratie est pourtant la justification de privilèges et de pouvoirs de classe profondément injustes. Le mérite quant à lui n'est qu'une valeur morale, en partie issue du christianisme, qui devrait pouvoir être débattue.

En ne perdant pas de vue que la méritocratie dissimule les intérêts de l'oligarchiques, Se concentrer sur une lutte anti-notation ne saurait être suffisant. Le combat contre le système méritocratique doit s'insérer dans le projet d?une révolution sociale et libertaire pour atteindre une dimension réellement émancipatrice.


Jauffrey, groupe de Chambéry de la Fédération Anarchiste

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Re: Les notes

Messagede bipbip » 29 Juil 2015, 12:36

Illustration concrète d’une alternative éducative à l'école : le choix de la Pédagogie Freinet

En préambule, un aperçu de la classe coopérative sous l’éclairage de la critique des notes à l’école : zéro pointé pour l’institution scolaire !

Rien ne change : les ministres successifs de l’Education Nationale dédaignent tout ce que les mouvements pédagogiques alternatifs proposent.
Pourtant l’éducation nouvelle n’est pas si nouvelle elle a une histoire, elle ne succède pas à la pédagogie traditionnelle, elle lui est contemporaine. Elle s’inspire d’une longue tradition de pédagogues depuis les humanistes de la Renaissance qui déjà estimaient que « l’enfant n’est pas un vase qu’on remplit mais un feu qu’on allume ». Les ministres croient que l’école a changé (depuis mai 68) et n’ont de cesse de la remettre dans le droit chemin de la tradition alors que les rapports qu’ils commandent à leurs experts ne cessent de constater et de déplorer l’immobilisme du système.

Cet immobilisme perpétue la pratique du cours magistral pour transmettre le savoir et l’évaluation des élèves avec les notes, ce système inégalitaire qui sert d’abord à trier les élèves plus qu’à les faire progresser
La tradition de la notation, héritée du XIXème siècle, est particulièrement nocive, la notation des élèves est le facteur principal du découragement dans la classe. Les notes démotivent et fixent la situation des faibles et des forts, dissociant les enfants d’une même classe.

Même si la majorité des enseignants ne classent plus leurs élèves, ceux-ci s’en chargent en fonction des notes rendues publiques dans la classe.

La note sous-estime les qualités personnelles de chacun

Car elle n’évalue que la restitution de contenus, rarement un savoir-être, elle ne reconnaît pas les efforts, elle ne tient pas compte des qualités morales (courage, volonté,) des qualités sociales (sympathie, ponctualité, aisance à l’oral), des qualités pratiques (initiative, créativité, savoir-faire).

Mais alors, comment reconnait-t-on les qualités personnelles, les aptitudes, les savoir-faire de chacun ? Car ce sont des atouts pour apprendre. La pédagogie traditionnelle ne s’encombre pas de stratégies pour les valoriser, dommage ! Chacun en est pourvu et leur reconnaissance ouvrirait des voies à l’école élémentaire où se bâtit le socle des apprentissages fondamentaux (lire, écrire, compter).

Pour la suite des études, au collège, il faut impérativement que cette base soit solide. Et ce n’est pas les notes qui vont aider à leur ancrage, c’est bien le contraire parce qu’elles vont fragiliser la confiance en soi des enfants.

La notation est une manière paresseuse d’évaluer le travail

Un devoir non réussi est taxé d’une mauvaise note et on en reste là, le maître passe à autre chose, il a son programme et suit son emploi du temps. Indifférent aux différences dans sa classe, il conserve l’idée que sans notes, il ne peut connaître le niveau réel de ses élèves, quitte à négliger le besoin de reconnaissance primordial des enfants dans leur classe.

Un élève qui ne réussit pas est désigné dans la classe, « Quel est le regard des autres sur ce que je suis et suis-je ce que dit la note ? » Seule la note dit ce qu’est un enfant.

L’élève en difficulté a le sentiment qu’il n’a pas l’estime ni la bienveillance du professeur, susceptible de représenter un substitut parental. L’enfant qui a des mauvaises notes ne se sent pas en sécurité, fragilisé par le « désamour » du professeur qui le juge « travail nul », ce qui revient à lui dire « tu es nul ».

Mais comment être reconnu par les autres dans sa classe, comment se sentir aimé, estimé pour ses qualités personnelle, quand celles-ci ne sont pas reconnues par le maître, car non chiffrées ?

Les conséquences de ce système de classement sur les élèves en difficulté : la honte, l’humiliation

L’enfant se construit dans sa partie privée (famille) et dans sa partie sociale (l’école). C’est à l’école qu’il rencontre les autres.

L’enfant-élève en difficulté ressens dans sa carrière scolaire qui est longue, une culpabilité grandissante (« je fais honte ») et/ou à une révolte (le décrochage scolaire) et cette honte à répétition entraine la dégradation de son amour-propre, parfois une marginalisation périlleuse, toujours une souffrance intérieure.

Et à la maison, la détérioration des relations familiales qui en résultent rajoute de la tension et du désespoir.

La gêne, la honte, la mise à l’écart sont des marqueurs forts qui s’inscrivent profondément dans la mémoire. On n’imagine pas ce que certains propos écrits ou commentaire oraux peuvent produire d’humiliation chez les élèves.

La compétition règne dans la classe

Noter les enfants-élèves est dévastateur car c’est les mettre en comparaison. Les élèves notés sont en situation de compétition, de rivalité auprès du maître. Il s’établit une hiérarchie dans la classe, car tous les élèves notés se classent quel que soit la forme de la notation comme les couleurs ou les lettres (A+, B – …) : le plus fort, le nul, celui qui a le plus de points rouges, de A ou de C …

Quand la compétition règne dans la classe, les relations entre les enfants deviennent plus dures, la compétition c’est la porte ouverte à l’inimitié, la cruauté surtout dans le langage ; le fait de rechercher la performance à tout prix, de vouloir montrer aux autres que l’on sait mieux faire, fait monter la pression dans le groupe. Ce ne sont plus des enfants en apprentissage, mais des adversaires, des ennemis comme sur un terrain : le modèle du sport professionnel est particulièrement représentatif de la guerre pour la 1ère place, c’est un poison pour la jeunesse.

Dans ma classe on jouait au « football africain » avec d’autres règles, celui qui marquait un but passait dans l’équipe adverse afin de la soutenir, et seul le plaisir de jouer ensemble était important.
Institutrice pendant trente-cinq ans, je n’ai jamais noté mes élèves. Quand dans la cour je demandais à mes anciens élèves « comment ça va dans la nouvelle classe ? », invariablement les réponses étaient « j’ai eu dix ! Moi j’ai eu huit, j’suis premier… ». Les notes intoxiquent les élèves et ils ne peuvent plus s’en passer, alors chacun se vit dans le duel, se compare et se positionne sur le podium scolaire.

Dans la société, la compétition est la porte ouverte à la barbarie, pour être le premier pourquoi ne pas se débarrasser de ses adversaires ? C’est une mise en danger de la civilisation, de l’humanité.

Je me demande si les adultes, après des années, tant bien que mal dans ce système élitiste, punitif et indifférent, je me demande s’il n’en reste pas quelque chose de blessé en eux étant donné que leur émotivité d’enfant a été à rude épreuve. Cette reconnaissance mise à mal à l’école dans le jeune âge, laisse des traces indélébiles, cette dépréciation de soi peut engendrer une recherche permanente de reconnaissance jusque dans la vie adulte et dans tous les domaines (professionnel, affectif).

Abandonner la notation change la forme du travail en classe

« Quel que soit la vie d’un jeune enfant – les difficultés de vie
de ses parents - famille monoparentale, famille nombreuses, habitat réduit-
il doit trouver dans son école, une place et une identité dans son groupe-classe. »

Comment faire ? C’est dans la pédagogie Freinet qu’on va trouver des solutions.

Comme tout enseignant Freinet, je mets l’enfant-élève, quelle que soit sa culture, en situation d’auteur.

L’apprentissage de la lecture et de la langue (en approchant les complexités de la grammaire et de l’orthographe) vont se construire progressivement par l’écriture quotidienne des enfants, qui composent de petits textes dont les thèmes sont choisis par eux car destinés à quelque chose de précis dans la vie de la classe (et non pour me faire plaisir)..

Pour que les écrits gardent tout leur dynamisme, leur nécessité voir leur obligation, ils sont lus aux autres en classe et par d’autres en dehors de la classe, puis publiés fièrement dans un petit journal, recueil des écrits relatant l’actualité du groupe-classe, des informations de nos lecteurs, des échos de la vie de la classe, des récits…
Comme c’est une œuvre collective parce que tous ces écrits servent les projets de la classe, les erreurs de chacun deviennent la responsabilité de tous : seule la coopération et l’entraide entre les élèves permet d’avancer dans les travaux de plus en plus complexes que la classe Freinet a enclenchés, voilà comment on s’y prend :

Individualiser le travail (c’est l’enfant face à son contrat de travail)

Comment remédier aux erreurs, aux lacunes de quelques-uns pendant que le reste de la classe s’agite ? La classe ne peut pas attendre, va-t-elle pâtir des erreurs de quelques-uns ? Comment corriger en réexpliquant sans stigmatiser ? Le « mauvais élèves » va ralentir le groupe, il est désigné comme « gêneur ».

Dans la classe traditionnelle tous les élèves doivent faire la même chose en même temps : les élèves rapides s’ennuient vite, il faut attendre ceux qui ont besoin de plus de temps, les plus lents transpirent ! Pour solutionner, l’enseignant se règle sur une moyenne qui ne favorise qu’une petite partie de la classe.

Avec l’individualisation du travail, les élèves ne font pas tous la même activité en même temps, mais chacun s’organise, chacun sait ce qu’il a à faire en se guidant avec son plan de travail. L’élève peut aller à sa vitesse, il peut se situer et s’évaluer. Dans une classe il y a autant d’élèves que de niveaux. En individualisant le travail, chacun peut aller à son rythme dans les travaux et les acquisitions.

Chaque élève est ici pour s’entrainer et tâtonner, travailler de façon pragmatique en procédant à des essais successifs, le maître aura besoin de l’aide des autres pour aider ceux qui ont besoin d’être épauler.

Pour cela, il nous faut prévoir d’autres formes d’organisation et de contrôle. Nous y parvenons à l’aide de nos plans de travail, de nos plannings et des bilans en fin de journée.

Il n’y a pas de mauvais élèves, ni de bons élèves, mais des élèves au travail.

Instaurer la coopération des élèves en classe

La coopération est la seule voie pour vivre l’apprentissage sans appréhension, sans se méfier des autres. Les enfants adorent s’entraider. Il faut se baser sur ce sentiment, le plaisir de faire ensemble, pour amorcer le chantier des savoirs
En coopérant les élèves ne se coupent pas des autres et il y a une perméabilité des découvertes et des expériences, ce qui est bénéfique et stimulant dans la classe.

Quand mes élèves s’entraident, ceux qui sont en difficulté ne souffrent pas de discrimination mais se font aider par les plus rapides, ceux qui sont rapides ne s’ennuient pas car ils s’engagent dans des travaux plus complexes et dans l’entraide.

Ce ne sont pas toujours les mêmes qui aident, il y a des domaines où chacun peut aider : celui-ci aidera à trouver un mot dans le dictionnaire, lui sait utiliser l’outil-affiche à l’aide duquel son voisin pourra corriger une conjugaison, celle-là apprendra à son amie comment construire une rosace avec le compas, celui-ci sait mesurer un segment et va montrer à son voisin comment placer son double-dm., cet autre montrera comment il fait des additions à retenue. Mes élèves à tour de rôle deviennent des tuteurs et moi aussi je participe à cette entraide et je m’inscris comme « tuteur ».

Les élèves doivent impérativement parler de leur vie dans la classe pour que la coopération entre eux fonctionne sans perversion

La coopération est en construction permanente dans le groupe, car rien n’est acquis définitivement. Cela devient un mode naturel de vie en classe à condition que les élèves en parlent et en débattent régulièrement : la vie dans la classe sera « parlée » par les enfants eux-mêmes, pas n’importe comment, mais inscrit dans un créneau horaire de l’emploi du temps : cette réunion s’appelle le Conseil, elle est hebdomadaire, c’est l’institution centrale de la classe-coopérative.

Les jeunes enfants sont capables d’amorcer une réflexion sur ce qui se passe entre eux, à condition qu’on ne parle pas à leur place, c’est avec leurs mots qu’ils vont considérer le climat dans la classe – ce qui ne va pas, ce qu’on peut améliorer – et raisonner sur leurs relations, ils sont capables dès 6ans de construire la Loi pour bien vivre dans leur groupe, en imaginant des moyens et les limites du travail coopératif. Il faut commencer très tôt ces concertations dans la classe car au collège, même au cycle 3, c’est plus difficile d’entrainer le groupe vers les conduites solidaires, en effet les années précédentes ont fait des ravages dans les relations de travail dans les classes.

Les adultes ne pensent pas essentiel d’entendre ce qu’ont à dire les enfants regroupés dans une classe. Ils ne jugent pas nécessaire de faire une place à la parole des élèves
En empêchant les élèves de dire « je », on ne fait rien pour permettre la mise au jour d’histoires conflictuelles et dissimulées ; les points de vue des enfants sur leur vie scolaire sont dédaignés et les rancœurs, les règlements de compte, tout ce qui n’est pas visible joue, le désordre est là, peut-être l’éparpillement et l’éclatement du groupe. Tout a besoin d’être repris sur le plan verbal, intellectuel, symbolique et au besoin remanié : c’est là le rôle essentiel du Conseil de coopérative ou Conseil des élèves ou Conseil de la classe.

L’entourage et la relation, c’est ce qui est primordial pour vivre et travailler dans son groupe pour avoir envie de faire, pour garder le désir en toute sécurité.

Etre reconnu comme un être pensant dès l’âge de 6 ans, être écouté dans son groupe, devenir décisionnaire avec les autres de dispositifs solidaires pour qu’aucun ne reste seul et humilié, donne une image de soi positive. Voilà ce qui est déterminant pour grandir sans violence.

Comment évaluer autrement dans ce contexte ?

Voilà comment j’ai fait dans mes classes :

1) Dans la classe coopérative, l’évaluation est quotidienne et se fait en fin de journée à 16h. Grâce au plan de travail de chacun et aux bilans personnels en fin de journée, on sait qui a fini ou qui n’a pas fini le travail prévu, alors l’entraide est organisée, proposée, discutée pour accompagner le lendemain ceux qui n’ont pas terminé un travail (Il y a une loi dans la classe qui a été discutée en Conseil et qui dit que tout travail commencé doit être fini – visé, signé par le maître – avant d’en commencer un autre).
2) L’évaluation se fait aussi pendant la lecture des textes et le travail collectif qui s’ensuit : je visualise (ardoise, craie) qui sait faire, qui ne peut pas faire encore, les corrections se font à chaud avec l’aide des autres qui montrent et je note : « dans la journée revoir tel chose avec x ».
3) L’évaluation se fait encore en feuilletant l’unique grand cahier de travail où tout est centralisé : les Plans de travail y témoignent du travail de l’élève, de sa rapidité, de ses difficultés ( les corrections ), dans ce grand cahier je peux estimer la qualité du graphisme, l’organisation des collages des fiches de travail et des textes écrits par l’élève, le soin dans les pages, les initiatives dans les décorations…
4) Enfin, je fais une évaluation trimestrielle sous la forme descriptive (narrée et décrite par moi avec l’élève).

Dans la classe coopérative, sans notation, nombre de valeurs que sont la solidarité, la fraternité, le partage, la générosité, le don, la gratuité, la gentillesse, se vivent, elles ne s’apprennent pas dans des leçons

Il faut pratiquer ces valeurs quotidiennement à l’école, les incarner au jour le jour. Ce modèle du « vivre et travailler ensemble », doit s’édifier très tôt à l’école primaire à partir de 6 ans.

Tous les élèves, du primaire à la terminale, devraient pouvoir étudier dans un environnement solidaire, sans compétition, sans évaluations sélectives, en toute sécurité. La classe doit être une coopération d’élèves-chercheurs, entrainés aux prises de parole, capables de s’associer sans rivalité, capable d’empathie, affrontant ensemble les problèmes.

Nos élèves de maintenant, c’est l’humanité de demain

La jeunesse quelle que soit son origine, est une richesse, une promesse, c’est la future humanité. L’école en est le ferment : qu’est-ce qui va y germer ? Guerre ou paix ? Racisme ou fraternité ?

Mais si l’enseignant maintient sa classe dans la pédagogie classique qui génère compétition, lutte et rivalité, la mise en chantier de l’œuvre civilisatrice sera stérile.

Maintenant passons à la pratique

http://marine.baro.free.fr/wordpress/?page_id=4815
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Re: Les notes

Messagede bipbip » 14 Aoû 2015, 01:49

L’évaluation chiffrée ? Un outil ultra libéral "parfait"...

petit billet du blog Profencampagne http://www.profencampagne.com/2015/08/l ... rfait.html, qui propose un extrait de l’ouvrage Changer l’école, de la critique aux pratiques, collection N’Autre école, Libertalia, 2014.

Peut toujours mieux faire !

La notation de 0 à 20, des compositions, est (...) officialisée en France en 1890. Si la République s’inspire des systèmes de classement antérieurs, elle entend les optimiser selon une idéologie qui lui est propre. Alors que le classement des Jésuites ne valait que pour un lieu et un moment, la note prétend à une valeur universelle : "Ce que la note va progressivement signifier, c’est moins le rang de l’élève dans sa classe que sa place sur une échelle universelle : l’échelle d’appréciation. Comme la monnaie pour le produit, la note apprécie le travail de l’élève, c’est à dire qu’elle lui donne son prix. (...) Ce que dit la note, ce n’est pas seulement le rang que l’on mesure ("5e sur 25"), mais la valeur du "travail" ou de la "conduite" que l’on évalue. Peu importe, à la limite, que Jules soit 3e ou 15e sur 25. Si la note est une bonne note, c’est que son travail est un bon travail" (Maulini)

Le système permet de dépasser le traditionnel enseignement individuel des petites écoles au profit d’autres méthodes jugées économiquement plus rentables. Avec l’enseignement simultané le maître s’adresse directement à l’ensemble des élèves regroupés de façon homogène. La méthode permet d’augmenter significativement les effectifs. Mais pour avoir des "classes", il faut... classer : d’où l’apparition de concepts nouveaux, tels ceux de "moyenne" ou de "redoublement".

Le versant obscur

Il existe une seconde piste pour étudier l’histoire de la notation. C’est celle qui, marchant sur les traces de Michel Foucault, s’interroge sur l’évolution du système de "contrôle", dans toute l’acception du terme. On connait la formule "surveiller et punir" qui marque le passage à notre époque moderne. Progressivement - mais il faudra quand même, en France, attendre 1835 et surtout 1918 - le châtiment physique, comme méthode pédagogique, disparaît. Il avait été concurrencé puis supplanté par "divers procédés d’examen, punitions morales ou psychologiques, surveillance disciplinaire récompensant les bons, flétrissant les mauvais élèves, leur portant des marques visibles, les classant"*. "L’examen combine les techniques de la hiérarchie qui surveille et celles de la sanction qui normalise. Il est un regard normalisateur, une surveillance qui permet de qualifier, de classer et de punir. Il établit sur les individus une visibilité à travers laquelle on les différencie et on les sanctionne. C’est pourquoi, dans tous les dispositifs de discipline, l’examen est hautement ritualisé."** La note, comme "punition-signe", va se substituer à la "punition-expiation" (qui, visant le corps, faisait expier dans et par la douleur) et s’articuler avec la "punition-exercice" qui vise à dresser le corps (typologie des punitions selon Preirat, Eduquer et punir. Généalogie du discours psychologique, Presses Universitaires de Nancy, 1994)

* Pierre-Philippe Bugnard, "La note, invention des temps modernes", Revue des hautes études pédagogiques et institutions assimilées en Suisse Romande et du Tessin, No 1, 2004, pp 89-95

** Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard 1975, p 187

Extrait de Changer l’Ecole, De la critique aux pratiques, Ed Libertalia

http://www.questionsdeclasses.org/?L-ev ... e-Un-outil
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Re: Les notes

Messagede bipbip » 07 Nov 2015, 19:17

En lutte pour « dé-chiffrer l’humain » : Évaluer sans note, éduquer sans exclure de Michel Neumayer et Etiennette Vellas

Image

En lutte pour « dé-chiffrer l’humain »

À l’heure où le ministère annonce l’abandon de l’idée d’en finir avec la notation à l’école, le petit ouvrage publié par le Lien arrive à point nommé pour nous rappeler les enjeux de cette bataille qui dépasse très largement la seule question pédagogique.


Évaluer sans noter, éduquer sans exclure, par son format réduit et son style concis évoque le pamphlet, le texte d’intervention, bref, combatif, nécessaire et salutaire !

Sa publication par un réseau international (le Lien : Lien international d’Éducation nouvelle) constitue son premier atout : il ouvre notre regard au-delà des frontières, apporte les points de vue « d’ailleurs », nourrit la réflexion par le récit d’expériences heureuses – ou malheureuses (comme l’illustre l’exemple de la Suisse, rapporté et analysé par Jean-Marc Richard et Etiennette Vellas dans un brillant chapitre « Élaborer un nouveau contrat scolaire »).

Le décryptage des enjeux sociaux et politique de la contamination de notre société par l’évaluation structure la partie la plus stimulante de l’ouvrage, dans son introduction comme dans sa première partie intitulée « La note, entre histoire et pouvoir ». Outre l’exemple Suisse déjà évoqué, le retour historique sur la mise en œuvre du système de notation par Olivier Maulini est des plus convaincant et instructif.

La dimension sociale, c’est le regard sans concession porté sur « l’évaluationnite » qui dégrade toutes les activités humaines (travail, culture, économie, etc.) en s’appuyant sur la légitimation que lui apporte les pratiques de tri, de classement, de mesure, inculquées dès le plus jeune âge à l’école (et l’accent porté sur l’évaluation en maternelle dans cet ouvrage s’en trouve par là pleinement justifié). Dès lors, il s’agit, selon la belle formule qui ouvre le livre de « Dé-chiffrer l’humain », un double défi : ne plus réduire l’activité humaine à des chiffres, des lettres, des notes, mais également de « nourrir à travers des formes d’évaluation innovante la création, l’imaginaire, la soif de culture et de lien social. » Un défi politique, assurément, puisque les auteurs s’attaquent ici, en discours et en pratiques, à une des dimensions constitutive du capitalisme et de son école : la mesure...

Pour mener à bien ce projet, les auteurs annoncent trois approches :
- « proposer des pistes pour l’analyse des effets destructeurs de la notation en usage [...]
- faire connaître une variété d’outils [...]
- affirmer qu’en matière d’évaluation aussi il est possible de changer. »

Si le premier et le troisième objectif sont assurément atteints, le deuxième mériterait plus de temps et d’espace. L’occasion d ’y revenir dans une indispensable suite à ce travail...

Grégory Chambat.

Évaluer sans note, éduquer sans exclure, Michel Neumayer et Etiennette Vellas (coord.), Chronique Sociale (Comprendre la société), 2015, 207 p., 8.

http://www.questionsdeclasses.org/lutte ... r-l-humain
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Re: Les notes

Messagede bipbip » 06 Déc 2015, 13:17

Évaluer sans noter, éduquer sans exclure, entretien

Etiennette Vellas (GREN) et Michel Neumayer (GFEN), qui ont coordonné l’ouvrage Évaluer sans noter, éduquer sans exclure [1] (Lien international d’Éducation nouvelle, www.lelien.org), répondent aux questions de Q2C.

... http://www.questionsdeclasses.org/?Eval ... -sans-3024
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Re: Les notes

Messagede bipbip » 13 Mar 2016, 14:15

Évaluation des élèves

Contribution au débat

Dans une société divisée en classes sociales l’évaluation sert en dernier lieu à trier les élèves. On peut cependant aujourd’hui chercher des modalités d’évaluation moins violentes et moins discriminantes. Ce n’est pas le sens que prennent les réformes de l’évaluation que le ministère propose.

Évaluation des élèves :
contre la territorialisation, contre le CCF,
pour des alternatives émancipatrices


Contribution au débat

Dans une société divisée en classes sociales l’évaluation sert en dernier lieu à trier les élèves. On peut cependant aujourd’hui chercher des modalités d’évaluation moins violentes et moins discriminantes. Ce n’est pas le sens que prennent les réformes de l’évaluation que le ministère propose.

Le livret scolaire numérique, un outil de fichage et de contrôle

Les annonces d’une grande réforme de l’évaluation ont abouties à la mise en place d’un « livret scolaire numérique », qui suivrait les élèves de l’élémentaire au collège, et à une réforme du brevet des collèges dans la continuité de la réforme du collège et du socle commun de compétences et de culture.

Le ministère se félicite d’un livret qui serait plus simple que l’actuel LPC (Livret Personnel de Compétences), avec la réduction du nombre d’items, et plus facilement compréhensible par les familles. Certes, mais il s’agit toujours d’un « casier scolaire ». Il est même pire que le précédent puisqu’il intègre dans une même application le livret de compétences du socle commun et les bulletins périodiques des élèves, avec également des éléments de suivi des élèves en difficulté (PAP, PPRE, suivi RASED) ou à besoins particuliers (ULIS, UPE2A…).

Ce nouveau « livret scolaire numérique » répond donc parfaitement aux attentes du système capitaliste, pour lequel seuls le quantifiable et le mesurable comptent, afin de trier les élèves en leur attribuant une place dans la hiérarchie sociale, justifiant ainsi les inégalités. C’est également un parfait outil de contrôle à la fois des élèves et des enseignant-es.

En aucune façon il ne s’agit de créer les conditions d’une émancipation individuelle et collective, mais plutôt de créer l’isolement et la stigmatisation d’un individu au titre de ses résultats scolaires. De plus, si le ministère affirme que seules les familles auront accès à ces documents, l’inquiétude est légitime face à l’utilisation qui pourrait être faite de tels fichiers numériques.

Le brevet des collèges du socle commun

Le brevet des collèges est également réformé dans la continuité de la réforme du collège et du socle commun de connaissance et de culture (le nombre de points dépend de la maîtrise « insuffisante », « fragile », « satisfaisante » ou « très bonne ») tout en maintenant un examen final (avec quatre épreuves : un oral sur un projet EPI, un écrit mêlant français, histoire-géographie et enseignement moral et civique, un écrit mêlant maths, physique-chimie, SVT et technologie).

Cette nouvelle réforme ne questionne pas l’évaluation sur le fond. Elle en fait une nouvelle fois un outil de tri social, segmentant les apprentissages sans vision d’ensemble de ce que serait une éducation émancipatrice autorisant chaque élève à avoir son parcours, son rythme. Les outils d’évaluation doivent être construits par les enseignant-es dans le cadre de leurs pratiques pédagogiques pour faire progresser les élèves à leurs rythmes en s’appuyant sur les acquis et les recherches des pédagogies coopératives ; ce qui est incompatible avec les injonctions hiérarchiques.

L’impasse face à cette question de l’évaluation, que ce soit au cours de la scolarité comme pour la délivrance de diplômes nationaux, tient à la confusion entre l’évaluation et l’orientation des élèves qui lui est liée.

Les diplômes nationaux et l’égalité


Si le brevet est plus largement délivré, le baccalauréat est aujourd’hui un examen très discriminant : seul 71% d’une classe d’âge obtient un bac dont 35% un bac général. Tant que nous serons dans une société hiérarchisée, la question de la sélection se posera. Les modalités d’évaluation peuvent être plus ou moins violentes et discriminantes, elles servent toujours cette fin. Sans remise en cause du système de classes sociales, il ne peut pas y avoir de bonne réforme de l’évaluation et des diplômes.

Il n’en reste pas moins qu’en tant que syndicat de l’éducation de transformation sociale, il nous appartient de chercher ce qui permet à nos élèves d’échapper aux déterminismes sociaux, tout en luttant pour une réelle égalité.
Il est donc nécessaire de se demander, même dans le cadre de la société actuelle, quelles modalités d’évaluation favoriseraient au mieux l’émancipation de nos élèves ou a minima seraient les moins violentes et discriminantes à leur égard.

Il faut alors distinguer la question de l’évaluation dans le cadre de la classe et de la relation strictement pédagogique et celle à visée certificative, en lien avec l’orientation. Les deux questions sont en effet souvent confondues, particulièrement dans les réformes ministérielles pour lesquelles l’évaluation n’a qu’une visée de tri des élèves en vue de l’orientation.

Pour mettre en œuvre une évaluation moins maltraitante le chantier est immense (suppression des notes, évaluation formative…). Celle-ci est à construire par les enseignant-es, en équipe, avec leurs élèves. Mais nous sommes également soumis-es à la contrainte institutionnelles de préparer nos élèves à des évaluations certificative visant à les orienter. Pour les diplômes nationaux du brevet et du baccalauréat, les dispositifs actuels comportent un double système d’évaluation, mixant contrôle continu et examen final.

Lorsqu’il est dit que ces diplômes nationaux actuels garantissent l’égalité, là aussi deux questions sont souvent confondues :
la certification nationale d’un diplôme identique sur tout le territoire donnant le droit d’accéder à l’université, aux conventions collectives, à des taux de rémunération...
une supposée uniformité sur tout le territoire de l’évaluation et de la notation.

Aujourd’hui le premier aspect n’est pas directement mis en cause : le bac professionnel ouvre formellement les mêmes droits à tout le monde, même avec le développement du Contrôle en Cours de Formation (CCF), que nous combattons. En ce qui concerne le deuxième aspect, il est déjà largement illusoire : d’une part, il est notoire que la notation n’est pas la même d’un jury à l’autre et d’un paquet de copies à l’autre ; d’autre part les employeurs.euses peuvent d’ores et déjà aller regarder où le diplôme a été obtenu.

Quelle position adopter face aux modalités de délivrance du diplôme national ?

Le baccalauréat constitue dans notre société un véritable rite de passage.
On peut trouver des éléments positifs dans l’examen terminal : l’anonymat tente de garantir un baccalauréat non discriminant (selon l’origine et le genre réels ou supposés) avec la séparation entre celui/celle qui forme et celui/celle qui évalue ; le mythe de l’égalité de l’évaluation du bac sur l’ensemble du territoire fait que son obtention peut avoir un effet de valorisation et de mise en confiance pour certain-e-s élèves.

Pour autant, le mythe de l’égalité masque les déterminismes sociaux. L’importance démesurée que prend le baccalauréat pourrait être questionnée tant il est un facteur de stress important pour les élèves. L’examen terminal peut aussi entraîner une vision utilitariste des enseignements, une démotivation des élèves les plus en difficulté, et au final un arbitraire face à une évaluation ponctuelle isolée du parcours de l’élève.

Le contrôle continu permet lui une plus grande prise en compte de la scolarité et des progrès de l’élève, il limite le stress lié à l’évaluation unique. SUD éducation est opposé aux CCF. Mais il faut distinguer le CCF du contrôle continu. Avec le CCF les examens ont lieu en cours d’année, avec la lourdeur d’organisation et l’augmentation de la charge de travail que cela entraîne. On ne peut que le dénoncer. Le contrôle continu est partiellement pris en compte pour les délivrances des diplômes nationaux et des mentions particulières lors de l’examen des livrets scolaires par les jurys.
Cependant le contrôle continu aboutit souvent à ce que la même personne forme et évalue et il n’offre alors pas les mêmes garanties d’égalité formelle que l’anonymat.

Dès 2009, face aux régressions qui déjà se profilaient, notre congrès fédéral s’était prononcé, dans le système actuel, pour le maintien du bac comme examen national, correspondant au premier grade universitaire.

SUD Éducation revendique à long terme :
→ l’abolition du système hiérarchisé actuel qui fonctionne sur un modèle d’orientation et de sélection des élèves,
→ un enseignement polytechnique contre toutes hiérarchisations des savoirs et des disciplines, en opposition à la logique actuelle de filiarisation.

SUD Éducation revendique dans l’immédiat :
→ une évaluation formative plutôt que sommative,
→ une évaluation dans un cadre pédagogique ne donnant pas lieu à un quelconque « fichage » de l’élève,
→ un cadre national du diplôme contre toute tentative de localisation,
→ le droit à l’anonymat des élèves (qui n’est pas forcément terminal) pour les épreuves certificatives,
→ l’absence de hiérarchisation entre les disciplines par une différenciation entre celles qui donneront lieu à examen terminal ou non,
→ Un temps de réflexion collective pour traiter de l’évaluation dans nos obligations de service.

SUD Éducation continue à dénoncer le CCF (grande lourdeur d’organisation, partialité de ces notes d’examen attribuées par l’enseignant-e à ses propres élèves), le CCF n’a rien à voir avec le contrôle continu. Nous refusons la suppression d’examen terminal alliant examen continu et examen terminal pour les remplacer par des CCF.

http://www.sudeducation.org/Evaluation- ... -6385.html
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Re: Les notes

Messagede bipbip » 09 Juil 2016, 00:11

Évaluer sans note... bilan d’une recherche

Résumé de la recherche
"L'évaluation sans note : Vers un changement des pratiques professionnelles des enseignants ?

http://lemenahezefrancois.eklablog.com/ ... -c28599494
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Re: Les notes

Messagede bipbip » 20 Oct 2016, 11:46

A l’école, les bienfaits d’une évaluation moins centrée sur les notes

Les notes chiffrées restent en France l’outil principal d’évaluation des élèves. Relativement peu objectives, source de stress pour les élèves, notamment ceux qui sont en difficulté... Faut-il se passer des notes ? Les études menées sur le terrain penchent plutôt dans cette direction. Et ce, d’autant plus que les alternatives existent. Mais le système scolaire français, connu pour favoriser la reproduction d’élites plus que pour faciliter l’ascension des classes défavorisées, peine à évoluer. La dernière réforme en date, celle du collège, conserve la possibilité de noter pour les professeurs qui le souhaitent.

Les notes sont des outils très imprécis pour mesurer la performance scolaire des élèves, et on le sait depuis fort longtemps. Dès les années 30, des études montrent qu’une même copie peut être notée fort différemment selon les enseignants, et ce quelle que soit la discipline. Ordre des copies, humeur du professeur, origine sociale des élèves... les raisons de ces divergences sont très variées. « Le jour du contrôle ou de l’examen, les élèves peuvent être stressés, fatigués, ou affectés par un tas d’autres choses, souligne Liliana Moyano, président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Cela ajoute à l’imprécision de la note pour définir le niveau scolaire d’un élève. »

La notation reste pourtant une pratique généralisée en France, surtout au collège et au lycée. C’est même la base principale sur laquelle l’élève, ses parents et la communauté éducative se basent pour décider de son orientation et, in fine, de sa vie professionnelle.

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