Education libertaire, pédagogie libertaire

Education libertaire, pédagogie libertaire

Messagede chaperon rouge » 15 Sep 2009, 22:49

Entretien sur l'éducation: Baillargeon et la CNT française

La CNT française et Normand Baillargeon.

"1) On te connait pour tes livres, comme Petit cours d'autodéfense intellectuelle ou L'ordre moins le pouvoir : Histoire et actualité de l'anarchisme. Professionnellement, tu es enseignant en sciences de l'éducation. Peux-tu commencer par nous parler des critères qui, selon toi, caractérisent une éducation émancipatrice ?

Pour répondre, même superficiellement, à cette vaste et difficile question, il faut selon moi soigneusement distinguer entre une éducation émancipatrice dans un monde qui serait relativement sain et une éducation émancipatrice dans ce monde-ci, le nôtre, qui, hélas, est bien loin de l’être.

Dans une société qui serait relativement saine, l’éducation devrait assurer l’autonomie de la personne en lui permettant de faire un tour d’horizon le plus large possible des formes de savoir et de l’expérience accumulées par l’humanité, dans tous les cas en ce qu’elles ont de meilleur. Elle devrait aussi préparer à prendre part activement, lucidement et sur une base égalitaire à la vie politique et économique de cette société.

Dans des sociétés comme les nôtres en sont, c’est-à-dire profondément inégalitaires et constituées d’institutions qui, bien souvent, incarnent des valeurs et sanctionnent positivement des comportements qui vont littéralement à l’encontre de ce que serait une éducation dans une société saine, nous devons, je pense, nous efforcer d’incarner au mieux les idéaux que j’ai rappelés, même si bien des obstacles redoutables se dressent contre eux.

C’est ainsi que contre cet idéal d’un large tour d’horizon des savoirs et de l’expérience humaine se dresse l’obstacle de l’instrumentalisation des savoirs, tout particulièrement au profit d’intérêts économiques, ainsi que diverses tendances endoctrinaires; que contre l’idéal d’une réelle participation sociale et politique se dressent des pratiques pédagogiques qui engendrent des spectateurs ou des personnes qui ignorent ou méconnaissent la nature réelle des institutions au sein desquelles elles vivent; encore ainsi que contre l’idéal d’égalité se dressent de formidables inégalités économiques qui placent certains enfants dans des circonstances qui pèsent très lourd sur leurs parcours scolaires et sur leurs vies, au point d’en faire presque un destin; c’est enfin ainsi que contre la participation lucide et volontaire à la vie économique se dressent l’esclavage salarial et la condamnation à oeuvrer comme simple exécutant au sein de ces tyrannies privées que sont typiquement les entreprises.

Maintenir vivant, au sein de notre monde et dans toutes les composantes que j’en donnais plus haut, cet idéal d’une éducation émancipatrice n’est pas une mince tâche : mais elle est primordiale. Elle exige d’abord de ne pas tomber dans le cynisme ou le désespoir. Mais elle exige plus encore. En effet, en ce moment historique où la culture et le savoir sont, et parfois avec raison, tenus en haute suspicion, elle nous demande d’avoir la sagesse de distinguer ce qui, ayant valeur émancipatrice, mérite d’être transmis à tous les enfants, avant de prendre les moyens les plus appropriés pour ce faire.

2) Tu enseignes à Montréal, mais tu connais peut-être le système éducatif français ou européen. De façon générale, comment apprécies-tu ces systèmes éducatifs? Te réfères-tu ou t'inspires-tu d'expériences pédagogiques concrètes ?

À vrai dire, je connais assez bien le système scolaire français.

Je suis né au Québec, mais comme mon père a enseigné les mathématiques et l’anglais en Afrique durant les années 60, j’y ai passé une bonne part de mon enfance : j’ai donc étudié dans le système scolaire français, avant de revenir au Québec et de poursuivre mes études dans le système québécois.

Mes souvenirs ne sont qu’anecdotiques, bien entendu, et sans grande importance ou validité a priori; mais il me semblait que le système français était plus solide académiquement parlant, tandis que le système québécois était, disons, plus humain — le système français, celui que j’ai connu du moins, était plutôt mauvais du point de vue des rapports humains.

Mais par-delà l’anecdote, je m’intéresse aussi au système français en raison de mon travail : j’enseigne en effet la philosophie de l’éducation à l’université. Or, il y a, en France, comme tu le sais très bien, une très riche et très stimulante tradition de pensée et de pratique pédagogiques plutôt marquée à gauche, et qui a inspiré bien des réformes et des réformateurs qui me semblent avoir conservé un très grand intérêt et être d’une brûlante actualité.

J’ai réuni certains de ces écrits et dit les raisons de l’intérêt que je leur porte dans Éducation et Liberté, paru chez Lux. Je pense qu’on trouve là, chez des gens comme Paul Robin, Sébastien Faure ou Ferdinand Buisson, pour ne nommer que ceux-là, de précieuses balises pour relever ces défis dont je parlais plus haut. Ils donnent en effet l’exemple d’une réflexion et d’une pratique pédagogiques qui, tout en étant parfaitement au fait des périls de l’endoctrinement et de la très lourde charge d’inertie des institutions sociales, économiques et politiques, ne renoncent ni au savoir, ni à la culture, ni à la raison, ni à un idéal de transmission à tous et d’émancipation individuelle et collective.

3)Il est souvent question, étant donné l'importance du chômage, des débouchés professionnels que rendent possible les systèmes éducatifs. Ceux-ci sont parfois jugés insuffisants. Qu'en penses-tu ?

On touche là, je pense, un point aveugle de notre actuelle réflexion sur l’éducation.

La dévalorisation de l’enseignement professionnel a des causes bien connues et sur certaines d’entre elles, comme le statut et le sort fait à certaines catégories de travailleurs, seule une transformation sociale en profondeur pourra agir véritablement — notamment en repensant profondément le travail et la rémunération (à mon avis ce devrait être dans le sens de ce que propose l’économie participaliste développée par Michael Albert et Robin Hahnel : si vous ne le connaissez pas, je vous invite à jeter un œil sur ce modèle économique).

Mais en attendant, la tâche de concilier éducation émancipatrice et formation professionnelle reste à accomplir de manière satisfaisante, aussi bien sur le plan pratique que théorique. Ce qui doit être visé est cependant clair : les demandes de qualification des gens sont légitimes et doivent être satisfaites dans le monde dans lequel nous vivons; et personne ne doit être privé d’un véritable tour horizon des savoirs et de la culture.

4) Tu as participé cette année à une longue grève des enseignants de l'Université du Quebec. Peux-tu nous en dire plus ? Y-a-t-il une comparaison possible avec les mouvements qu'ont connu certaines universités françaises cette année ?

Tu as raison de parler de longue grève : elle a en effet duré sept semaines, ce qui est énorme. Et il y a bien, je pense, des points communs entre les combats que nous menions et ce qui se passe en France.
Un sociologue québécois (Michel Freitag) suggère, ce qui me semble éclairant, qu’on passe en ce moment de l’université entendue comme institution, à l’université entendue comme organisation. Avec ce vocabulaire en tête, on peut dire qu’une part substantielle de la motivation des professeurs de l’UQAM, une des raisons très consciente de notre grève, était de lutter contre cette dérive jugée avec raison dangereuse.
Mes collègues français reconnaîtront probablement bien des ennemis qu’ils combattent eux et elles aussi dans cette énumération de ceux que nous combattions et que nous combattons toujours : l’éducation, la recherche, la vie académique sommées de s’inscrire dans une logique de rentabilité et d’adaptation fonctionnelle des individus aux exigences de l’économie, toujours données pour indiscutables et décisives; l’université tendant à être de moins en moins définie par les exigences internes de son activité spécifique et de plus en plus par des critères extérieurs à elle; le recours incessant à ces vocables avec lesquels on parle désormais si souvent de l’université — clientèle, capital humain, compétence, rentabilité, investissement, subvention et ainsi de suite; l’université gérée de plus en plus comme une organisation, avec des principes administratifs et une bureaucratie qui conviennent peut-être à l’entreprise qu’elle est en voie de devenir, mais qui souvent la conduisent à des pratiques qui sont aux antipodes de ce que l’université-institution exigerait.


5)Peux-tu nous donner un rapide aperçu du panorama syndical de l'éducation au Canada et au Québec ?

Les cas canadiens et québécois sont différents et je ne peux parler que de ce dernier, et encore sans entrer dans certaines technicalités qui nous éloigneraient de notre sujet.

Car l’important est quand même de dire que le syndicalisme enseignant, chez nous, est globalement devenu très corporatiste, défendant trop souvent une vision étroite de sa mission, réduite à des revendications salariales et de conditions de travail, qui sont certes légitimes, mais auxquelles en aucun cas ne devrait se réduire le travail d’un syndicat d’enseignantes et d’enseignants.

Je serais injuste de ne pas rappeler qu’il se fait des choses, par exemple sur le plan de la défense du système scolaire public, qui est menacé. Mais mon jugement reste plutôt négatif, notamment parce que l’on est en droit de s’attendre à bien plus de la part d’un syndicat. Ce qui manque, il me semble, c’est une vision de l’éducation inscrite dans un projet social qui ne cache pas sa radicalité. De mon côté, j’ai souvent prôné, sans succès, que les syndicats s’impliquent dans la création d'un quotidien, qu’ils ouvrent des équivalents de Bourses de travail, qu’ils s’occupent activement d’éducation et d’universités populaires.

6)Manifestement, pour toi, l'éducation ne s'arrête pas aux portes des établissements scolaires. Tu cites souvent Noam Chomsky, notamment pour son analyse des médias. Comment apprécies-tu l'impact éducatif des principales institutions de nos sociétés contemporaines ?

Je pense que dès que l’on prend au sérieux un idéal de vie collective démocratique, dès lors qu’on aspire à ce qu’existent des liens et des formes d’associations multiples et libres entre des gens et des communautés qui ont en commun des intérêts nombreux et variés, dès que l’on prend minimalement au sérieux tout cela, on ne peut absolument pas limiter l’éducation aux portes des établissements scolaires. En un sens important, c’est toute la société, toutes nos institutions et nos modes de vie même qui sont éducatifs et qui ont une portée pédagogique. L’individuel et le collectif, l’éthique et le politique sont les deux faces d’une même médaille, comme le savait déjà le vieil Aristote.

L’impact pédagogique de nos grandes institutions dominantes est souvent déplorable, encore une fois parce qu’elles incorporent ou promeuvent des valeurs néfastes et parfois carrément inhumaines — pensez à nos institutions économiques qui valorisent des comportements de prédateurs et pénalisent quiconque veut se comporter plus humainement.

Quant à Chomsky que tu évoques, un des immenses intérêts de son travail sur les grands médias corporatistes est justement de montrer leur partialité et leur caractère propagandiste. Pour cette raison, la contribution de Chomsky à la vie politique et à la conversation démocratique, aux États-Unis mais aussi ailleurs dans le monde, est immense.

Ceci dit, il existe aussi d’innombrables lieux, d’associations, de regroupements de toutes sortes où des gens se réunissent pour discuter, pour chercher à comprendre le monde et pour agir directement sur lui : c’est de là que vient immanquablement le changement social, c’est vers eux qu’il faut aller pour garder vivant l’espoir d’un monde meilleur.

7) Pour finir, j'ai vu que tu préparais en 2010 la sortie d'un nouveau livre intitulé Introduction à la philosophie de l'éducation. De quoi s'agit-il ?

La philosophie de l’éducation est, hélas, dans le monde francophone, un parent pauvre de la philosophie.

Mais cela n’a pas toujours été le cas, puisqu’historiquement, des philosophes de toute première importance se sont intéressés de très près à l’éducation (notamment Platon, Rousseau et Dewey) tandis que, même si on ne les lit plus assez, de nombreux autres ont écrit des choses intéressantes sur l’éducation et que bien de pédagogues ont abordé philosophiquement l’éducation.

Par ailleurs, depuis les années 60 du XXe siècle, s’est développée en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, une très riche branche de la philosophie analytique consacrée à l’éducation : mais elle reste malheureusement presqu’entièrement inconnue dans le monde francophone.

Mon ouvrage espère combler ces lacunes tout en donnant à lire (car ce sera un introduction par les textes) ces différents auteurs et traditions. J’ai notamment traduit pas mal de textes de la philosophie analytique de l’éducation qui constituent selon moi un apport remarquable à notre réflexion collective sur l’éducation en clarifiant, comme le fait si bien la philosophie analytique, nombre de concepts centraux concernant l’éducation — des concepts comme : savoir, endoctrinement, curriculum, autonomie, et de nombreux autres, sans oublier bien entendu le concept d’éducation lui-même. "
GUERRE À LA GUERRE, À BAS TOUTES LES ARMÉES
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Education libertaire, pédagogie libertaire

Messagede barcelone 36 » 25 Oct 2009, 20:29

Anarchisme et éducation,
6-7/11, Drôme

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Éduquer pour émanciper (tract FA Poitiers)

Messagede barcelone 36 » 25 Jan 2011, 15:04

Tract du groupe Pavillon Noir (Fédération anarchiste de la Vienne) diffusé lors de la déambulation intersyndicale du samedi 22 janvier contre le budget de l'éducation nationale.

« La tâche des instituteurs, ces obscurs soldats de la civilisation, est de donner au peuple les moyens intellectuels de se révolter. » En cette période où l'on peut entendre réclamer davantage d'État contre le Capital, cette phrase de Louise Michel, enseignante et anarchiste, rappelle que le droit à l'éducation pour tou-te-s, longtemps réservé aux classes dominantes, ne s'est pas obtenu grâce à l'État, mais contre lui, par un rapport de force.

LA CONFISCATION DE L'ÉCOLE PAR L'ÉTAT BOURGEOIS

Au XIXème siècle, les écoles sont réservées aux classes dominantes et dominées par le clergé. Mais au sein du mouvement ouvrier, des écoles populaires autonomes essaiment. Elles diffusent les idées socialistes révolutionnaires auprès des « jeunes » et des travailleurs. La bourgeoisie et l'État, bien conscients de la menace que constitue pour eux ce mouvement pédagogique populaire et anti-autoritaire après la Commune de Paris (1871), qu'ils avaient violemment réprimée, se résignent à l'instauration d'une école publique, laïque et obligatoire. Ce sera l'œuvre du sinistre Jules Ferry, bourreau des communards et apôtre de la colonisation : « Il est à craindre que d'autres écoles ne se constituent, ouvertes aux fils d'ouvriers et de paysans, où l'on enseignera des principes (…) inspirés peut-être d'un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871. » Avec la mainmise de la République bourgeoise sur l'éducation, l'école devient autoritaire et élitiste. Dévouée au bourrage de crâne patriotique et militariste, elle formate les « jeunes citoyens » à obéir aux patrons et aux militaires.

Aujourd'hui, nous voulons faire nôtre la phrase de Louise Michel, ou celle de Pelloutier, fondateur des bourses du travail où les ouvriers étaient formés à tout âge : « instruire pour révolter ». Nous luttons aussi bien contre la privatisation de l'école, que contre son contrôle par l'État. Nous sommes pour la socialisation des services publics, c'est-à-dire leur libre gestion par les gens eux-mêmes, travailleurs et usagers confondus. Le rôle de l'État n'est pas de protéger la société contre le Capital, mais au contraire d'assurer la pérennité de la classe dominante. Des formes organisées de services publics, répondant aux besoins réels, ont préexisté à l'État dans le mouvement ouvrier. Le peuple en lutte a su organiser ses écoles comme ses caisses de solidarité. Et c'est par d'âpres luttes, radicales et déterminées (grèves dures notamment), et l'action directe des bases débordant les représentants politiques et syndicaux, que le mouvement social a toujours su arracher ses victoires, contre l'État et ses sbires, de droite comme de gauche. L'État n'est parvenu à confisquer le contrôle social de ces conquêtes ouvrières que par une longue histoire de répressions brutales et de trahisons politiques et syndicales.

POUR UNE ÉCOLE LIBERTAIRE ET SOCIALE

Vouloir de meilleures conditions d'activité est légitime, mais croire que l'État républicain peut nous les apporter par des promenades pédestres et des jérémiades, ou encore par la négociation de représentants vivant de ses oboles, est donc parfaitement ridicule. Pour construire une lutte radicale et dépasser les revendications réformistes et stériles des centrales syndicales, il ne suffit pas de dénoncer la nature autoritaire de l'école actuelle : il nous faut aussi construire, dès à présent, notre propre éducation, notre propre émancipation. Nous former entre nous et par nous-mêmes, horizontalement et démocratiquement, au lieu de nous plier aux directives absurdes assénées par des chefaillons aussi ambitieux qu'incompétents. Nous former à tout âge, au lieu de faire mourir d'ennui notre « jeunesse » et condamner nos adultes au travail aliéné de toute une vie perdue à tenter de la gagner. Nous responsabiliser, au lieu d'accepter d'être surveillé-e-s, fiché-e-s et inspecté-e-s. Nous entraider, au lieu de nous concurrencer par des notations. Nous offrir une éducation mutuelle, diverse et polytechnique, au lieu de nous scléroser dans des filières spécialisées et hiérarchisées. Choisir d'apprendre ce qui nous est utile et souhaitable, au lieu de nous infliger des programmes ennuyeux et idéologiquement rétrogrades. Nous éduquer sur les expériences de luttes du passé et du présent, pour nous organiser efficacement contre la domination patronale, politicarde, patriarcale. Nous éduquer dans toutes les sphères de notre vie sociale, et non nous enfermer dans un espace carcéral. Créer partout nos propres fonctionnements, au lieu d'obéir passivement à des règlements et des « contrats » toujours imposés par la hiérarchie.

Pour cela, il nous faut désobéir ensemble, construire ensemble l'alternative pédagogique que nous voulons ! Élèves et enseignant-e-s en ont assez d'être les résigné-e-s d'une société de classes. C'est contre l'État et les curés que nous avons construit notre droit à l'éducation, c'est contre l'État et son école que nous devons nous émanciper !

groupe Pavillon Noir – Fédération anarchiste (86)
pavillon-noir@federation-anarchiste.org
http://pavillon.noir.over-blog.fr

Liens:: http://pavillon.noir.over-blog.fr/
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l'éducation et la pédagogie libertaires, 04/03, Paris

Messagede barcelone 36 » 02 Mar 2011, 15:25

04/03, Paris: l'éducation et la pédagogie libertaires
http://groupe-segui.blogspot.com/
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Le vendredi 4 mars 2011, le groupe Salvador-Segui organise une conférence/débat autour de l'éducation et de la pédagogie libertaires. Pour l'occasion, Hugues Lenoir, militant du groupe Pierre-Besnard de la Fédération anarchiste et auteur, notamment, du livre Éducation, autogestion, éthique (paru aux Éditions libertaires) sera notre invité et le principal animateur. Ça se passera à la bibliothèque anarchiste La Rue (10, rue Robert-Planquette, 75018 Paris) à 20h00.
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Re: Anarchisme et éducation, pédagogie libertaire

Messagede Pïérô » 07 Oct 2013, 00:51

Pédagogies libertaires
Les pédagogies libertaires : un mouvement éducatif dépassé ?

Environ un siècle après ce que l’on pourrait qualifier de mouvement anarchiste en pédagogie, ses revendications sont-elles obsolètes ?

Au sens strict, on peut qualifier de pédagogues libertaires, des éducateurs qui lient leurs pratiques éducatives à leur engagement anarchistepédagogues libertaires. Ce sont ainsi généralement trois personnalités œuvrant avant la Première Guerre mondiale, Paul Robin, Sébastien Faure et Francisco Ferrer, que l’on classe sous cette étiquette. Parmi les éléments que ces derniers mettent en avant figurent la méthode inductive, la mixité ou encore l’éducation sexuelle à l’école. Or on peut se demander si en définitive ces pédagogies n’ont pas été rattrapées par le mouvement de l’histoire ou si elle présentent encore une actualité ? Pour cela, on s’intéressera plus particulièrement ci-dessous aux options défendues par Sébastien Faure, le fondateur de l’expérience éducative alternative La Ruche (1904-1917).

Il est possible de constater en réalité qu’un certain nombre de dimensions prônées par Faure en pédagogie sont loin d’avoir été encore réalisées dans notre système d’enseignement français.

- Critique de la dichotomie entre travail intellectuel et travail manuel : La critique de cette opposition est présente dès l’oeuvre de Pierre Joseph Proudhon qui prône une éducation polytechnique, qui conjoint avec une formation continue, permet à l’ouvrier atteindre la maîtrise des dimensions à la fois manuelles, mais également intellectuelles de l’activité de production. Cette aspiration à former un être humain dont l’ensemble des capacités ont été développées se retrouve portée par Paul Robin, sous l’expression d’ « éducation intégrale » qu’il promeut au sein de l’AIT (Association internationale des travailleurs). C’est par exemple sous l’expression « êtres complets » que Faure formule une telle aspiration. Il s’agit pour lui de développer au sein de l’enseignement à la fois des activités manuelles et intellectuelles afin de parvenir non seulement à un adulte dont toutes les capacités sont développées, mais à remettre en cause l’inégalité sociale entre travailleurs intellectuels et manuels. On peut constater encore aujourd’hui la sous-valorisation au sein du système scolaire français du travail manuel. Il est possible à l’inverse de noter la place accordée au travail en atelier – au travail du bois en primaire par exemple - dans le système scolaire finlandais. Ce système scolaire est régulièrement mis à l’honneur par les comparaisons internationales PISA.

- La remise en cause des système de classement des élèves : Aussi bien Ferrer que Faure remettent en question l’idée de classer les élèves par un système de notation. Faure critique le fait que ce système conduit à naturaliser pour les élèves la hiérarchie sociale. Celle-ci devient la simple conséquence de l’inégalité scolaire : « Ainsi, ce qu’on sème, par le classement, c’est : chez les premiers, la vanité, la présomption, le mépris des inférieurs, l’arrivisme quand même ; chez les derniers, l’envie, le découragement, le dégoût de l’effort, la résignation ». La question de la notation est un serpent de mer qui resurgit périodiquement. C’est en particulier le cas en 2012 lorsque le Ministre Vincent Peillon annonce qu’il réfléchi à la question . Là encore, le modèle finlandais est pris en exemple : les enfants ne reçoivent pas de notes jusqu’à l’équivalent du collège.

- Allègement des programmes, place de la mémorisation et du raisonnement, importance de l’oral : Les textes de Faure montrent que le débat autour de l’allègement des programmes ne date pas d’aujourd’hui. Faure prône en outre un enseignement qui donne la première place à la capacité de compréhension des élèves plutôt qu’à leur capacité de mémorisation. Il critique ainsi ce qu’il appelle le « Perroquetisme ». A vrai dire, il ne s’agit pas d’une revendication récente si l’on pense à Montaigne qui énonçait déjà : « Mieux vaut une tête bien faîte, que bien pleine ». Néanmoins, là encore la comparaison avec le système finlandais conduit à constater que moins que le système français y sont mis en avant les exercices de mémorisation : peu d’apprentissage de récitation par exemple. On ne peut que s’étonner à l’inverse lorsque l’on est professeur de philosophie dans le secondaire du nombre d’élèves qui pensent que l’apprentissage de citations par cœur constitue la meilleure arme pour affronter l’épreuve de baccalauréat. Enfin Faure insiste sur la participation orale des élèves et leur droit à pouvoir poser des questions, faire des objections autant qu’ils le souhaitent durant le cours. Les préjudices de l’excès en la matière lui paraissent moins grave que l’inverse. Là encore, le système français actuel favorise peu la confiance des élèves en situation d’expression orale.

- Un fort taux d’encadrement : « Peu d’enfant pour un seul maître » constitue une des affirmations que met en avant Faure et qui rejoint les préoccupations syndicales actuelles face à des effectifs de classe qui ne cessent de croître. Tandis que là encore le modèle finlandais est réputé pour mettre en œuvre un fort taux d’encadrement des élèves. Il est d’autant plus étonnant d’entendre affirmer que le taux d’encadrement ne tient pas tant d’importance dans la réussite des élèves lorsqu’il constitue une différence majeure entre les filières sélectives telles que les classes préparatoires et les cours en amphithéâtre des universités.

- Pour une autogestion pédagogique : Dans la Ruche, telle que la décrit Sébastien Faure, les enseignants et les élèves les plus âgés se retrouvent quotidiennement lors de réunions qui on lieu le soir et où sont traités toutes les informations et décisions qui orientent la vie de l’établissement. Ces réunions constituent une anticipation des conseils mis en place par exemple dans l’autogestion pédagogique de l’analyse institutionnelle. En cela, les conseils d’administration tels qu’ils existent actuellement sont une version de démocratie éducative bien plus limitée.

- Contre le mécanisme sanction/récompense : Faure critique une éducation qui repose sur l’usage de la « carotte » et du « bâton » qui conduit selon lui à un dressage, mais non pas à une éducation authentique. En effet, il ne s’agit en définitive que d’une pédagogie behavoriste qui repose sur le conditionnement mécanique. A l’inverse, Faure considère que l’éducation authentique présuppose des élèves sujets dotés d’une volonté propre et d’une conscience, accessible à l’argumentation. C’est pourquoi elle repose sur la « persuasion » et non pas sur la contrainte : « Chacun comprend, ici, que l’éducation comporte de la part de l’éduqué l’intervention de sa raison, de son cœur et de sa volonté, et chacun conçoit aussi que cette entrée en scène ne peut se produire que si la raison est éclairée, le cœur ému et la volonté entraînée ». Cela ne signifie pas que l’enfant soit toujours accessible à la raison, mais le considérer comme un sujet c’est admettre qu’il puisse apprendre par l’expérimentation à faire usage de sa liberté : « Qu’on me permette une comparaison : l’enfant apprend à se bien conduire, comme il apprend à marcher. ». Image que l’on retrouve également chez Kant lorsqu’il décrit le processus qui caractérise l’avènement des Lumières et de la liberté pour un peuple. Méthode que l’on retrouve également mise en avant par Freinet avec le tatonnement expérimental. Cette liberté suppose néanmoins de la part du pédagogue, précise Faure, la mise en place d’un cadre susceptible de sécuriser ces expériences : « Quand il est encore tout petit et que ses jambes le portent à peine, quand il est à craindre qu’à chaque pas il ne fasse une chute ; quand il y a lieu de redouter que cette chute ne lui casse un bras ou ne lui brise une jambe, il est prudent et nécessaire de ne pas le perdre de vue, de le guider, de veiller à ce qu’il ne trébuche pas, de l’éloigner des obstacles, de soutenir sa marche chancelante, et si, malgré toutes les précautions prises, il choit, d’être là pour le relever et lui donner les premiers soins ». Ce qui signifie qu’une telle méthode ne doit pas être confondue avec le laxisme, comme le souligne Faure, ou une forme de non-directivité intégrale. Là encore, on peut s’étonner comment à l’inverse aujourd’hui les techniques dites de « tenue de classe » (plan de classe, faire lever les élèves, les mettre en rang avant d’entrer...) ont pris le pas sur une telle aspiration.

- Contre les cours de morale, de religion ou d’instruction civique : Alors que le Ministre Vincent Peillon veut réintroduire les cours de morale à l’école à partir de 2015, Faure se montre critique à l’encontre d’un tel enseignement : « la morale ne s’enseigne pas théoriquement ; elle se pratique […] La morale c’est la vie […] La plus grande force moralisatrice, c’est l’exemple ». L’enfant n’a pas à subir pour Faure ce type d’enseignement car « l’enfant n’appartient ni à son père, ni à son Maître, ni à l’Eglise, ni à l’Etat, mais qu’il s’appartient à lui même ». L’éducation ne doit donc pas viser avant tout la transmission de valeurs idéologiques, mais l’autonomie du sujet.

- Contre l’idéologie de l’enfant « surdoué » : Faure se montre sceptique contre la tendance déjà présente dans la bourgeoisie de son époque à fabriquer des enfants prodiges : « Neuf fois sur dix, citrons dont on a prématurément exprimé tout le jus, ils ne sont par la suite, que des fruits secs ». Une remarque qui rejoint par certains aspects le travail du sociologue Wilfried Lignier sur la construction sociale par la classe moyenne du statut de l’enfant surdoué : La petite noblesse de l’intelligence – Une sociologie des enfants surdoués (La Découverte, 2012).

Comme ces éléments ont pu le montrer, bien des points défendus par Sébastien Faure restent d’actualité dans un système éducatif français qui se maintient par la reproduction d’une élite scolaire corollaire de la reproduction de l’inégalité sociale des enfants issus des classes populaires et de l’immigration. Mais cela n’est en outre sans doute pas sans lien avec le peu de plaisir que les élèves en France comparativement à ceux des autres pays prennent à l’enseignement qu’ils reçoivent : la France est classée sur ce point 19e sur 25 par une étude de l’OCDE. Faure pour sa part attribuait une mission esthétique à l’enseignement qui peut être vu comme une forme de perfectionnisme éthique : « [par beauté] je parle de cette physionomie ouverte, expressive et animée [qui] atteste la sincérité et la confiance ».


Bibliographie :

Écrits pédagogiques de Sébastien Faure, Edition du Monde libertaire, 1992. « La Ruche », article de l’Encyclopédie anarchiste (publiée sous la dir. de Faure). Sébastien Faure, Propos d’éducateur : modeste traité d’éducation physique, intellectuelle et morale, La brochure mensuelle, n°127-128, juillet-août 1933. Ferrer i Guardia Francisco, La Escuela Moderna Violet Renautl, Régénération humaine et éducation libertaire (Mémoire de maîtrise, 2002)

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Re: Education libertaire, pédagogie libertaire

Messagede Pïérô » 12 Mar 2014, 02:16

Pédagogies libertaires contre pédagogies libérales

Luc Boltanski et Eve Chiapello dans Le nouvel esprit du capitalisme ont analysé comment la récupération de certaines thématiques libertaires par le capitalisme s’est opéré au prix d’un décrochage entre critique sociale et critique artiste. Il est possible de se demander dans quelle mesure il en est de même en ce qui concerne les pédagogies actives.

Projet professionnel de l’élève, socle commun de compétence …il est possible de se demander dans quelle mesure ces dispositifs n’indiquent pas une pénétration du nouvel esprit du capitalisme au sein de l’école en s’appuyant sur des notions issues des pédagogies nouvelles. Ce que l’on tentera de montrer ci-dessous, c’est qu’il est nécessaire de distinguer au sein des pédagogies nouvelles, celles qui étaient déjà issues d’une tradition libérale de celles qui sont issues du mouvement ouvrier anti-autoritaire. C’est au prix d’une confusion entre ces deux types de pédagogie que l’on peut être conduit à penser qu’il y aurait une continuité entre libéral et libertaire. Confondre libéral et libertaire, c’est comme en philosophie confondre utilitariste et pragmatiste.

1- Herbert Spencer : une pédagogie libérale et utilitariste

Herbert Spencer est un penseur ultra-libéral dont les thèses, incluant une critique de l’Etat, peuvent entraîner la confusion d’une continuité entre libéralisme et mouvement libertaire. C’est ce que peut donner à penser par exemple son ouvrage L’individu contre l’Etat.

Néanmoins comme on va le voir, Herbert Spencer s’incrit dans la continuité de l’utilitarisme de Bentham. De fait, il fait de l’utilité le critère principal de l’action et le plaisir la finalité de celle-ci. Cet aspect est présent par exemple dans ses écrits pédagogiques :

“Comme une pierre de touche qui peut nous faire juger de l’excellence d’un plan d’éducation vient cette question : “Y-a-t-il chez l’enfant une excitation agréable ?”[...] nous pouvons avec sureté se servir de ce criterium [...] la saine activité est agréable et que l’activité pénible n’est pas saine” (De l’éducation intellectuelle morale et physique, Edition Alcan, 1930, p.126)

Comme on le voit dans ce passage le critère de l’intérêt de l’enfant, de ce qui suscite son désir et de ce qui est utile, est le plaisir. La finalité dernière de l’être humain est le plaisir.

2- Jean-Marie Guyau, critique de la pédagogie de Spencer

Jean-Marie Guyau est un philosophe vitaliste français dont les théories morales ont été jugées par le penseur anarchiste Kropotkine proche de ce qu’il fallait entendre par une morale anarchiste.

Ainsi, dans son opuscule La morale anarchiste, Kropotkine écrit :

“Quant à les expliquer, les moralistes religieux, utilitaires et autres, sont tombés, à leur égard, dans les erreurs que nous avons déjà signalées. Mais il appartient à ce jeune philosophe, Guyau — ce penseur, anarchiste sans le savoir — d’avoir indiqué la vraie origine de ces courages et de ces dévouements, en dehors de toute force mystique, en dehors de tous calculs mercantiles bizarrement imaginés par les utilitaires de l’école anglaise. Là où la philosophie kantienne, positiviste et évolutionniste ont échoué, la philosophie anarchiste a trouvé le vrai chemin. Leur origine, a dit Guyau, c’est le sentiment de sa propre force. C’est la vie qui déborde, qui cherche à se répandre. « Sentir intérieurement ce qu’on est capable de faire, c’est par là même prendre la première conscience de ce qu’on a le devoir de faire ».

L’action humaine n’a pas pour finalité la recherche égoiste du plaisir et ne procède pas à un calcul utilitariste. L’être humain est capable d’altruisme sous l’effet d’une energie vitale qui déborde son utilité personnelle.

Dans Education et hérédité, Guyau critique directement la pédagogie d’Herbert Spencer :

“Spencer, lui, veut prendre comme criterium supérieur de la bonne méthode le plaisir des enfants - l’intérêt, l’admiration, soit, mais le plaisir, l’amusement ?...Loin de subordonner le travail au plaisir, il faut que l’enfant trouve son plaisir dans le travail même, dans l’exercice de ses facultés et dans le sentiment d’un devoir accompli. La vie n’est autre chose qu’un travail et une soumission à des règles, ne la représentez pas aux enfants comme un jeu de boule ou de quilles : ce serait les démoraliser, et au lieu de faire des hommes, préparer la société de grands enfants. Celui qui ne sait que jouer et juge tout d’après son plaisir est un égoiste et un paresseux. Au reste, le jeu lui-même exige encore un certain travail. Car ne l’oublions pas le plaisir trouvé dans le jeu devient très vite l’intérêt de la difficulté à vaincre et la preuve c’est que le jour où le jeu à cessé d’être difficile, il a cessé d’amuser” (Education et hérédité, p.119-120).

3- L’éducation intégrale, une éducation du travail

Néanmoins, Guyau et Kropotkine divergent sur la place de la discipline. En effet, après s’être attaqué à Spencer, Guyau critique également l’école anarchiste fondée par Tolstoi pour son absence de discipline.

Mais tel n’est pas l’avis de Kropotkine qui considère que l’éducation anarchiste doit abolir la discipline : “discipline qui engendre la dissipation et le mensonge” (comme il le précise dans un texte collectif - Définition du programme du comité pour l’éducation anarchiste, daté de 1882).

Néanmoins, en quoi peut-on considérer alors que l’éducation libertaire ou anarchiste se distingue de l’éducation libérale de Spencer ?

La distinction tient au fait que l’éducation anarchiste est une éducation ouvrière car elle accorde une place centrale au travail et non jeu, à l’action et non au plaisir.

Cette place accordée au travail est la condition de possibilité de l’éducation intégrale :

“c’est-à-dire tendre au développement harmonieux de tout l’individu et fournir un ensemble complet, connexe, synthétique et parallèlement progressif dans tous les domaines des connaissances intellectuelles, physiques, manuelles et professionnelles” (Ibid)

La notion d’éducation intégrale est au coeur également de la pédagogie de l’anarchiste Paul Robin :

“Nous n’avons pas le moins du monde la prétention de faire de nos élèves des savants universels. Par ce mot d’éducation intégrale, nous entendons celle qui tend au développement progressif et bien équilibré de l’être tout entier, sans lacunes, ni mutilation, sans qu’aucun côté de la nature humaine soit négligé ni systématiquement sacrifié à un autre. […] L’éducation intégrale contient et réunit les trois facteurs habituels, à savoir : l’éducation physique, intellectuelle et morale.”

Cette visée de former des êtres complets par leur propre travail est également au coeur du projet de Sébastien Faure :

“L’Education doit avoir pour objet et pour résultat de former des êtres aussi complets que possible, capables, en dépit de leur spécialisation accoutumée, quand les circonstances le permettent ou le nécessitent : travailleurs manuels, d’aborder l’étude d’un problème scientifique, d’apprécier une œuvre d’art, de concevoir ou d’exécuter un plan, voire de participer à une discussion philosophique ; travailleurs intellectuels, de mettre la main à la pâte, de se servir avec dextérité de leurs bras, de faire, à l’usine ou aux champs, figure convenable et besogne utile. [...] C’est pourquoi on y mène de front l’instruction générale et l’enseignement technique et professionnel.”. (“La Ruche”, in L’encyclopédie anarchiste).

Ce n’est donc pas une éducation par le jeu ayant comme critère le plaisir, mais une éducation par le travail, visant au développement de l’intégralité des capacités de l’individu qui est menée.

Il est possible également de rappeler que la pédagogie de Freinet accorde une place centrale au travail et non au jeu (comme le souligne par exemple le titre de l’un de ses ouvrages, L’éducation du travail). De même, le philosophe pragmatiste John Dewey, dans un texte intitulé “L’intérêt et l’effort” prend soin de distinguer une pédagogie de l’intérêt d’une pédagogie du plaisir. S’appuyer sur le désir de l’enfant, ce n’est pas prendre comme critère le plaisir.

Conclusion : Les pédagogies inspirées de l’utilitarisme, comme la société néolibérale, mettent au principe de leur anthropologie, un individu hédoniste. En effet, la société de consommation néolibérale s’accomode parfaitement d’individus qui ne recherchent que la facilité et leur plaisir, qui ne cherchent pas à fuire le confort qui leur est proposé et qui se trouvent rebutés par la moindre lutte à mener. Quoi de plus souhaitable après tout pour l’économie capitaliste que des individus incapables de mener le moindre combat pour conquérir leur émancipation, tout juste apte à s’aliéner dans les plaisirs offerts par une société du divertissement ?

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Re: Education libertaire, pédagogie libertaire

Messagede Pïérô » 14 Aoû 2014, 09:54

Les pédagogies libertaires: une polysémie problématique

L’ACTUALITÉ AU PRISME DE LA PHILOSOPHIE

Sous l’expression de «pédagogies libertaires» sont amalgamées des pratiques dont les présupposés théoriques sont en réalité très divers, créant ainsi des confusions dommageables. Il est possible en particulier de distinguer trois orientations très contrastées.

Les pédagogies «individualistes libérales». On peut trouver chez le philosophe libéral anglais du XIXe siècle Herbert Spencer une expression de ce type de pédagogie. Ce dernier s’appuie à la fois sur l’utilitarisme libéral de Bentham et la théorie de l’évolution de Darwin. En suivant Darwin, il conçoit l’espèce humaine comme soumise à un principe vital d’évolution. En tant qu’utilitariste, pour lui, l’orientation de cette tendance consiste à nous faire rechercher le plaisir et fuir la douleur. De fait, sur le plan pédagogique, Spencer défend des méthodes actives basées sur le jeu qui, par le plaisir qu’éprouve l’enfant à jouer, le font progresser dans ses apprentissages. L’éducation doit favoriser l’éclosion d’un type d’humain qui correspond à l’évolution des sociétés contemporaines telles que Spencer les conçoit: des sociétés ultralibérales où triomphent les créateurs d’industrie.

Les pédagogies de l’authenticité. Ces dernières mettent comme les précédentes l’accent sur l’individu, mais leur conception de l’individualité et la finalité de l’éducation ne sont pas exactement les mêmes. ­L’éducation doit avant tout respecter la personnalité de l’enfant. Elle vise son épanouissement en lui permettant l’expression de sa subjectivité. Il ne s’agit pas ici de préparer des individus à la compétition économique interindividuelle. L’éducation ne doit pas rechercher avant tout à adapter l’individu à des normes sociales.

Il est possible de considérer l’éducation négative de Rousseau dans L’Emile, en partie, comme une expression pédagogique d’une telle aspiration: «Préparez de loin le règne de sa liberté et l’usage de ses forces, en laissant à son corps l’habitude naturelle, en le mettant en état d’être toujours maître de lui-même, et de faire en toute chose sa volonté, sitôt qu’il en aura une.»

Cette orientation se retrouve également dans des pédagogies issues de la psychologie, par exemple d’inspirations psychanalytiques comme celle d’Alexander Neil à Summerhill, qui centrent l’éducation sur le psychisme individuel et se montrent surtout attentives au bien-être de l’enfant. Une des modalités pédagogiques mises en œuvre consiste alors à favoriser l’expression de la parole, de l’opinion subjective personnelle. Cette aspiration prend le pas sur les apprentissages objectifs, par exemple, de l’esprit critique.

Les pédagogies anarchistes. Souvent confondues avec les précédentes, sous l’expression de pédagogies libertaires, les pédagogies promues par des anarchistes tels que Paul Robin ou Sébastien Faure ne reposent pas de tout sur les mêmes principes. Elles s’appuient tout d’abord sur un renversement métaphysique: au commencement n’est pas le «Verbe», mais l’action, c’est-à-dire le travail. Ce dernier est ce qui permet à l’individu de développer l’ensemble de ses capacités à la fois physiques et intellectuelles. La première finalité de l’éducation est donc de permettre à chaque enfant de développer l’ensemble de ses capacités par le travail. Cela implique la remise en cause de la division sociale de classes entre travail manuel et intellectuel. Les enfants se socialisent et apprennent à prendre des décisions de manière égalitaire et collective dans des conseils. En effet, le travail comporte une dimension déontique, c’est-à-dire de création de normes, qui est indispensable à son organisation autogérée. Si l’éducation doit permettre l’épanouissement d’êtres complets, ceux-ci sont toujours pensés d’emblée comme des êtres sociaux car le travail est une activité sociale.

Des confusions pédagogiques. Dans l’imaginaire collectif, les pédagogies libertaires sont synonymes de pratiques éducatives qui reposent sur le jeu, le libre choix de ses activités et l’expression de sa subjectivité par l’enfant. Ces pédagogies sont souvent liées aux valeurs d’une classe moyenne progressiste qui refuse des méthodes éducatives traditionnelles autoritaires et conservatrices sur le plan des mœurs. De leur côté, les pédagogies issues de la tradition anarchiste sont marquées par leur insertion dans l’histoire du mouvement ouvrier. C’est pourquoi elles accordent une centralité au travail et visent avant tout la remise en cause de la division sociale de classe. A l’extérieur du mouvement anarchiste, c’est par exemple dans la pédagogie Freinet que l’on retrouve des aspirations très proches.

A notre époque où l’on accuse souvent les pédagogies nouvelles de favoriser la reproduction de l’inégalité sociale et l’esprit du néolibéralisme, il serait sans doute pertinent de revenir à l’inspiration originaire des pédagogies anarchistes sans les confondre avec des avatars pédagogiques issus en réalité des aspirations des classes moyennes supérieures.

Irène Pereira

http://www.lecourrier.ch/121443/les_ped ... blematique
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Re: Education libertaire, pédagogie libertaire

Messagede bipbip » 03 Jan 2015, 15:02

Vidéo de la soirée éducation et pédagogie libertaires du 13 juin à Vannes

Débat sur éducation et pédagogie libertaires, avec Hugues Lenoir formateur pour adultes, syndicaliste (CNT), militant libertaire (fédération anarchiste) et des enseignants et élèves du lycée expérimental de St-Nazaire.



http://anars56.over-blog.org/article-vi ... 73473.html
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Re: Education libertaire, pédagogie libertaire

Messagede bipbip » 23 Aoû 2017, 14:06

De la différence entre les pédagogies libertaires et pédagogie anti-oppression

Si l’expression pédagogie libertaire constitue une notion assez ancienne, on assiste ces dernières années à l’émergence d’une nouvelle notion : la pédagogie anti-oppression (1). Celle-ci vise à lutter contre les discriminations et la construction des inégalités sociales classistes, sexistes, validistes, racistes et LGBTI*-phobes.

Les caractéristiques de la pédagogie libertaire.

La notion de pédagogie libertaire est une catégorie assez vaste qui en réalité englobe des approches hétérogènes. La philosophe Judith Suissa (2) propose de distinguer l’éducation anarchiste, qui aurait une conception sociale, et l’éducation libertaire, qui serait individualiste. Même si cette distinction est pertinente, on ne le reprendra pas ici.

On appellera libertaire de manière général toute forme de pédagogie qui vise à remettre en question les rapports d’autorité verticale entre l’enseignant et les élèves et qui de manière générale se donne pour objectif d’établir des relations plus démocratiques au sein de la salle de classe.

Ainsi, peut-on qualifier de cette manière, le tribunal des enfants mis en place par Januz Korczak. On peut également parler de pédagogie libertaire concernant la classe coopérative de Celestin Freinet. Le conseil d’élève en pédagogie institutionnelle peut également être considéré comme une institution libertaire.

Simple visée démocratique ou visée anti-oppressive ?

La pédagogie anti-oppressive va plus loin que la mise en place d’un fonctionnement démocratique dans la salle de classe.

Certes la pédagogie anti-oppressive défend la thèse selon laquelle l’enseignant-e doit un-e allié-e des groupes socialement minorés. De ce point de vue, il/elle ne doit ni se substituer au premières concerné-e-s et ni viser à acquérir du « pouvoir sur » eux/elles. Mais, il s’agit de développer le « pouvoir d’agir avec » au sein de la classe.

Cependant, la visée d’une éducation démocratique consiste simplement à se donner pour objectif d’établir une égalité de parole au sein de la classe et la liberté d’expression des élèves. Il s’agit d’en faire des citoyens. Mais une telle conception ne prend pas en compte l’existence de rapports sociaux inégalitaires qui pré-existent dans la société et continuent d’agir inconsciemment dans la salle de classe.

Or, la pédagogie anti-oppression conduit à constater que le fait de laisser aux élèves la libre expression peut conduire au contraire à faire de la classe un lieu de reproduction de l’inégalité sociale et des discriminations si l’enseignant-e ne dispose pas d’un regard critique (3). Les élèves appartenant aux groupes socialement dominants peuvent réitérer une violence sociale sur les autres élèves.

En fait, l’enseignant-e qui s’inscrit dans une approche anti-oppressive a le souci de faire en sorte que sa salle de classe soit un espace inclusif où ne se rejouent pas les micro-agressions auxquels sont soumis quotidiennement les élèves issus de groupes socialement discriminés.

De même, l’enseignant-e anti-oppression à le souci de faire en sorte que sa pratique ne rejoue pas les micro-discriminations sociales. En effet, un-e enseignant-e appartenant à un groupe socialement dominant peut rejouer sans en être conscient un ethnocentrisme de classe, des préjugés racistes ou sexistes.

Les bases théoriques de la pédagogie anti-oppression

L’existence de micro-injustices (micro-agressions, micro-discriminations…) a été mis en lumière par des recherches américaines en psychologie sociale et dans le monde du travail (4). Ces études ont fait apparaître que des micro-interactions, entre autres dans la salle de classe, participent à construire les inégalités sociales (5). Elles participent également à faire intérioriser aux élèves (de groupes socialement discriminés) la menace du stéréotype qui consiste à adhérer à une image négative de soi liée à des préjugés stigmatisant.

Il est possible de rapprocher la pédagogie anti-oppression de la question de la micro-physique du pouvoir chez Michel Foucault (6). Les dispositifs de la forme scolaire, par leur dimension disciplinaire, produisent une contrainte sur l’enseignant et les élèves qui peut accentuer les micro-violences et les micro-discriminations. Mais il ne s’agit pas là d’une fatalité. Les enseignant-e-s peuvent par des pratiques de résistance se construire des marges de manœuvre contre ces micro-discriminations.

Mais, la pédagogie anti-oppressive n’en reste pas à une simple lecture foucaldienne des micro-violences. Son approche est nourrit de la pensée Black feminist comme celle de Patricia Hill Collins au sujet de la « matrice des dominations » (7). Il est en effet possible de distinguer plusieurs niveaux dans la construction des inégalités et des discriminations : interpersonnel, institutionnel, structurel. La pédagogie anti-oppressive constitue seulement un mode d’intervention limité à la dimension interpersonnelle. Elle ne prétend pas nier l’importance des niveaux institutionnels et structurels. Ainsi cette pédagogie anti-oppressive peut également se donner pour objectif d’augmenter le pouvoir d’agir des apprenants pour qu’ils essaient collectivement de transformer les niveaux institutionnel et structurel vers plus de justice sociale.

Les pratiques d’une pédagogie anti-oppressive

La pédagogie anti-oppressive vise à faire de la salle de classe un espace inclusif, anti-discriminatoire, critique et d’empowerment.

Pour ce faire, l’enseignant-e se montre attentive entre autres à :

a) lutter contre les micro-agressions et les micro-violences en particulier à l’égard des groupes socialement discriminés dans sa classe et au sein de l’établissement scolaire

b) éviter dans sa pratique pédagogique les micro-discriminations négatives à l’égard des élèves et de leurs familles. Il existe deux types de micro-discriminations négatives : les micro-discriminations actives et les micro-discriminations passives (8). Au contraire, l’enseignant-e visera à développer une discrimination positive qui aide à rétablir de l’égalité entre les élèves.

c) renvoyer des feedback positifs aux élèves socialement discriminés qui visent à aider à contrer les effets des stéréotypes sociaux négatifs dont ils/elles sont victimes.

d) développer la réflexion critique des élèves concernant les questions d’inégalités sociales et de discriminations afin de développer les alliances entre les élèves

e) développer le pouvoir d’agir des élèves en faveur de la justice sociale en enseignant par des pratiques d’empowerment (9)...

f) avoir un regard critique auto-réflexif en objectivant par des grilles d’observation l’effet social de ses pratiques pédagogiques et en continuant à se former sur les inégalités et les discriminations sociales.

Conclusion :

Le rôle de l’enseignant-e dans une pédagogie anti-oppression se distingue de celui que l’on voit promue dans les pédagogies non-directives ou encore dans les pédagogies de la tolérance par exemple. Son rôle ne consiste pas seulement à proposer un cadre démocratique et tolérant aux élèves dans la salle de classe.
L’enseignant-e joue au contraire un rôle actif pour aller contre la reproduction des inégalités sociales en particulier en luttant contre les micro-agressions et en évitant dans sa pratique pédagogique que se jouent des micro-discriminations actives ou passives qui contribuent à accentuer les inégalités sociales.
Il/elle se propose au contraire de mettre en œuvre une discrimination positive en faveur de l’égalité, de critiquer les stéréotypes contenus dans les micro-agressions ou encore de défendre un enseignement critique en faveur de la justice sociale.

Irène Pereira

Références :

(1) L’un des fondateurs de la pédagogie anti-oppression est Kevin Kumashiro. Voir : « Toward a theory of Anti-Oppressive Education ». URL :
http://grdg526.pbworks.com/f/toward+a+t ... cation.pdf

(2) Suissa Judith, Anarchism and Education (2006). URL : http://rebels-library.org/files/anarchi ... cation.pdf

(3) Sensoy et DiAngelo, « Respect differences ? Challenging the Common Guideline in Social Justice Education ». URL : http://democracyeducationjournal.org/cg ... ntext=home

(4) « Micro-inéquity : 40 Years Later ». URL :https://www.psychologytoday.com/blog/the-superhuman-mind/201304/micro-inequities-40-years-later

(5) Ce que montre également la sociologie de l’éducation de l’équipe ESCOL à travers leurs travaux sur la construction des inégalités sociales dans la salle de classe. ROCHEX Jean-Yves & CRINON Jacques (dir.). La construction des inégalités scolaires. Au cœur des pratiques et des dispositifs d’enseignement. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2011,

(6) Lemoine Simon, Micro-violence. Le régime du pouvoir au quotidien (2017). URL : https://lectures.revues.org/23062

(7) Hill Collins Patricia, Black Feminist Thought (2000). URL : https://uniteyouthdublin.files.wordpres ... ollins.pdf

(8) « Réseau de lutte contre les discriminations à l’école » (2014). URL : http://reseau-lcd-ecole.ens-lyon.fr/IMG ... ole_v2.pdf

(9) Voir par exemple le « jeu des trois figures » de Serge Tisseron : http://3figures.org/fr/


http://www.questionsdeclasses.org/?De-l ... oppression
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