Quand la concertation vire à la confrontation :
Retour sur la désastreuse réunion de concertation pour la bibliothèque Alliance
Petit retour sur une soirée houleuse pour nos élus. Les quelques extraits d’interventions du public ont été recueillis par prise de note. Les deux élus présents ont bien souvent été incapables de répondre et obligés de botter en touche.
Ce mercredi 1er février, la municipalité organisait, à partir de 18h, au CDC Le Pacifique (30 Chemin des Alpins, 38100 Grenoble), la première réunion publique pour le lancement de la concertation pour « la nouvelle bibliothèque Alliance » (sic).
Si vous n’êtes pas au jus, la nouvelle bibliothèque Alliance c’est en fait l’actuelle bibliothèque Alliance qui devait fermer pour cause d’austérité municipale, mais qui finalement ne ferme plus grâce à la lutte des habitants et des professionnels, mais qui doit être réduite de moitié pour mutualiser ses locaux avec d’autres structures. Si vous ne comprenez rien à cette absurdité, nous vous renvoyons vers le tract La concertation : « Faire participer c’est faire accepter ».
Pour résumer rapidement, la bibliothèque Alliance doit être réduite à un point lecture pour laisser à la place à d’autres activités définies lors de la concertation. Ainsi, les livres pourront laisser place à une cuisine ou une salle de yoga, tout est à construire…
Environ 80 personnes (des habitants du quartier, des bibliothécaires en lutte, des membres du collectif « Touchez pas à nos bibliothèques ») sont présentes pour écouter Corinne Bernard, l’adjointe aux cultures et René de Céglié, l’élu du secteur 4. Une dizaine d’élus et de membres du cabinet du maire sont également présents pour les soutenir, dans ce qui va se transformer en un exercice pénible.
Pendant que défile un powerpoint, nos deux édiles présentent des exemples de tiers lieux (également dénommé « troisièmes lieux ») ainsi que les grandes étapes de la concertation afin de transformer la bibliothèque Alliance, rescapée du plan d’austérité, en un troisième lieu. Mais qu’est-ce que le troisième lieu ? Pour schématiser, un individu partage sa vie en trois lieux. Si les deux premiers relèvent de la sphère familiale et l’espace professionnel, le troisième désigne les lieux de rencontres et de sociabilité tels que les cafés. Le concept a été repris dans le milieu des bibliothèques pour réaffirmer leur place centrale dans l’espace publique. La convivialité est accentuée par un soin particulier apporté au bâtiment (l’aménagement intérieur, l’agencement des espaces pour que se côtoient différentes pratiques, etc.)
Après cette studieuse présentation censée enthousiasmer le public, place aux questions. Et là, les élu-e-s déchantent. La première intervention pointe le fait que la bibliothèque Alliance fonctionnait bien, que la municipalité a voulu la fermer et maintenant elle demande au public de participer à en faire autre chose, ce qui est incompréhensible.
Une autre habitante, membre du collectif « Touchez pas à nos bibliothèques » renchérit et engrène les chiffres à destination de nos gestionnaires municipaux : « La bibliothèque Alliance c’est 2500 lecteurs pour 90 000 prêts ; les élèves de 69 classes des 4 écoles (Alphonse Daudet, Elisée Chatin, Ferdinand Buisson, Sidi Brahim) ; les enfants de l’hôpital de jour Foch Ferrié ; les très jeunes enfants des crèches la Voix Lactée, les Castors, E. Chatin, et du RAM [Ndr : Relais assistantes maternelles] de la Capuche ; les enfants de la Maison de l’Enfance du Clos d’Or ; les jeunes de la MJC Lucie Aubrac ; les personnes âgées de la résidence des alpins et de Reynies ; le groupe d’alphabétisation du centre social des alpins. La bibliothèque de l’Alliance a mené en 2015 : 512 séances d’animations pour 2535 personnes : Printemps du livre, Mois des P’tits lecteurs, pauses musicales, Arts du récits, clubs lectures, lectures extérieurs et concerts. » Une autre personne signale que le secteur 4 est étendu, qu’il compte plus de 30 000 habitants et qu’une demi bibliothèque ne peut être satisfaisante sur ce territoire.
Les questions s’enchainent : combien y aura-t-il de bibliothécaires dans cette « nouvelle » bibliothèque ? Pourquoi ne pas faire une extension de la bibliothèque pour ce tiers lieu plutôt que de le faire dans la bibliothèque ? Pourquoi diminuer la bibliothèque sur un secteur si vaste qui va en plus accueillir, dans quelques années, 300 nouveaux logements avec la ZAC Flaubert ? Vu la situation, il faudrait même embaucher plus de personnel !
Corinne Bernard confirme que la bibliothèque reste ouverte mais avec moins d’agents (quatre sur huit), moins d’horaires d’ouvertures, moins de partenariats et moins de livres (« mais on pourra en faire venir d’ailleurs » - comprenez du fonds des autres bibliothèques) et « malgré tout, la bibliothèque reste ouverte même si c’est une bibliothèque différente ». Comme ça râle dans le public elle rappelle bien que « personne n’est obligé de participer ». Vu l’hostilité que suscite ce projet dans la salle, on comprend qu’elle n’incite pas ce public récalcitrant à participer.
Des membres du public les interpellent sur les accueils de scolaires qui en toute logique vont diminuer avec la réduction de moitié du nombre de professionnels. René de Céglié vient à la rescousse de sa collègue : « bien sûr, il va falloir prioriser les animations car il y aura moins de personnel », l’accent sera donc mis sur les classes de primaires et seront supprimés les actions auprès de l’enseignement secondaire. Il se fait brocarder par une dame dans la salle : « la bibliothèque de l’Alliance ne fait pas d’actions auprès des classes du secondaire donc on ne peut pas supprimer des activités qui n’existent pas ! »
Les question continuent à fuser : comment faire des animations avec du personnel en moins ? Pourquoi avoir choisi la bibliothèque de l’Alliance pour faire ce tiers lieu plutôt que celle du Centre Ville ? Quels livres seront enlevés ? Quelle est la place dédiée à l’activité de la bibliothèque ?
Comme revient souvent le fait que la bibliothèque n’est déjà pas grande avec ses 350 m2 et le sera encore moins avec d’autres structures, René de Céglié, qui déborde d’enthousiasme pour le projet, tente de rassurer le public : on peut faire des lieux conviviaux dans de petits espaces. Pour preuve il a trouvé sur Internet un exemple de bibliothèque tiers lieu à Paris qui fait 500 m2. C’est toujours plus grand que 350 m2 répondent les habitants. Peu importe que les habitants n’adhérents pas à son projet, il continue à prêcher pour un projet qu’en vrai il ne connaît pas. « Notre spécialiste local du Tiers lieu », comme le désignera une bibliothécaire en lutte, admettra avoir seulement surfé sur le web pour se renseigner sur le sujet. Les habitants s’interrogent sur l’existence d’animations dans ce lieu alors qu’il n’y a pas de moyens. L’élu évoque un fonctionnement hybride du lieu associant des professionnels pour les animations en rapport avec les livres et des usagers bénévoles pour les autres activités, ce qui provoque un tôlé. Une habitante qui s’est battue pour le maintien du centre social sur le secteur s’emporte : il y en a marre de demander aux habitants de palier la fermeture des services et qu’on fasse semblant de les consulter pour les balader.
Comme la salle proteste, Corinne Bernard tente de positiver : « mais la bibliothèque reste ouverte et j’en suis ravie ». Un bibliothécaire lui rappelle que si elle reste ouverte c’est grâce à la lutte des habitants et des professionnels. Elle acquiesce au micro : « oui c’est vrai, vous avez raison, c’est grâce à la lutte qu’on garde la bibliothèque Alliance et j’en suis ravie ! »
Une autre bibliothécaire prend la parole. Elle précise qu’elle est syndiquée et que la ville ouvre une enquête administrative contre les délégués syndicaux pour leur participation à la lutte contre la fermeture des bibliothèques. Elle rappelle que ça fait 8 mois qu’elle et ses collègues sont en lutte, que si elle intervient sur le sujet de la concertation c’est que celle-ci aura un impact sur leurs conditions de travail. Enfin, elle annonce que la tâche des bibliothécaires n’est pas de libérer de la place mais les esprits. Et cela passe par le développement de la lecture publique.
Ce que les habitants peinent à saisir c’est pourquoi la municipalité a jeté son dévolue sur leur bibliothèque. Intervient Aline Depernet, Directrice générale adjointe à la ville de Grenoble : le service des bibliothèques devait rendre une dizaine de postes, c’est-à-dire les supprimer en ne remplaçant pas les départs à la retraite. Fermer l’Alliance, qui est petite, devait permettre de supprimer 8 postes d’un coup. Cette justification indigne la population. Surtout que le public se rend bien compte que les fermetures se font dans des quartiers populaires, classés en zones prioritaires ou en zones d’éducation prioritaires, c’est-à-dire des quartiers où la lecture publique de proximité est essentielle et à ce titre devrait être renforcée. La personne assise à côté de moi me dit dans le brouhaha : « ils n’ont vraiment pas honte. Ils pensent aux gamins qui n’auront plus de bibliothèque ? » Une dame âgée assise devant nous, excédée, se retourne et nous glisse : « ils n’ont aucun respect pour les habitants, ils se moquent de nous ! »
Un monsieur qui lève depuis un moment la main arrive à prendre la parole : « Votre projet de Tiers lieu c’est de l’enfumage, pourquoi ne pas faire de tiers lieu dans un autre lieu comme la Maison des initiatives ou la Maison des habitants ? Vous voulez nous faire répondre à une question aberrante qui est de faire mieux avec moins. Et c’est nous, habitants, qui devons trouver une solution à la situation pourrie dans laquelle vous nous mettez. Vous nous demandez de participer à détruire un lieu que nous défendons. Bien sur vous allez nous faire passer pour des personnes rétrogrades, mais on n’est pas neuneu. Vous avez fait des choix politiques ! C’est pourquoi je boycott ce jeu de dupe. Qui est contre la fermeture de l’Alliance dans cette salle ? (toutes les mains se lèvent). Vous cherchez à créer un lieu de convivialité, mais il existe déjà. Vous n’allez pas adosser mais amputer. Combien coûte Kaleido’Scop ? (Ndr : 10 000 euros). Publiez tous les cahiers de doléances [1] sur le site de la Ville. Dans ces cahiers vous y trouverez le diagnostique de ce que veulent les habitants : leurs bibliothèques et leurs agents. »
Une dame prend le micro. Elle annonce ne pas être du quartier, être venue pour participer à la concertation, mais est revenue sur sa décision tant elle est outrée par les réponses qu’apportent les élus aux habitants. Pour elle, ancienne élue d’une petite commune, il est impossible de demander aux habitants de participer à une telle concertation, sur un projet si indéfendable.
Comme les élus ne cessent de répéter que ce projet est destiné à répondre aux besoins des habitants, une bibliothécaire leur demande : « quels sont les besoins des habitants ? Avez-vous consultés les habitants sur cette question ? Ils vous demandent de garder leur bibliothèque en l’état, pourquoi vous ne répondez pas à ce besoin ? La vraie question que vous devriez poser est : voulez-vous conserver la bibliothèque existante ou désirez-vous la transformer en tiers-lieu ? »
Une seule voix se prononcera pour le projet. Une ancienne bibliothécaire à la retraite, qui avait écrit au maire pour condamner la décision de fermer la bibliothèque, invite les habitants à faire le deuil de leur bibliothèque et à s’engager dans la concertation car ce projet peut être vraiment innovant. Sa tirade entraine des rires moqueurs dans la salle.
Après deux heures éprouvantes, nos élus clôturent la séance, invitant les habitants à s’inscrire à la concertation et ne manquent pas de rappeler qu’elle est ouverte aux grenoblois n’habitant pas le quartier.
Cette réunion fut un véritable camouflet pour la municipalité qui a subi un échec cuisant. Les habitants ont parfaitement compris que cette consultation ne sert qu’à faire valider le projet de la municipalité qui fait fi de leurs aspirations. Ils ne sont pas hostiles à un tiers lieu mais cela ne doit pas se faire au détriment de leur bibliothèque et de ses professionnelles. Ils veulent simplement conserver leur bibliothèque mais la municipalité n’a que faire de ce que souhaite la population. La municipalité trouvera toujours quelques sympathisants pour participer à cette concertation pour concrétiser son projet qu’elle seule désire, car elle sait, elle, ce qui est bon pour la population.
C’est la lutte des habitants et des professionnels qui a permis de faire reculer la municipalité sur la fermeture définitive de la bibliothèque Alliance. Mais nous n’allons pas nous contenter d’un point lecture, c’est pourquoi nous continuons donc à lutter pour que celle-ci demeure ouverte intégralement avec l’ensemble de son personnel.
Pour suivre l’actualité de la lutte pour les bibliothèques, consultez la page Facebook (il n’est pas nécessaire d’avoir un compte facebook) : « Bibliothécaires de Grenoble en lutte »
[1] Il s’agit de cahiers placés dans les bibliothèques, à la suite de l’annonce du plan de sauvegarde, et censés permettre à la municipalité de recueillir la parole des habitants sur la question des fermetures. Véritables réquisitoires contre la politique municipale, ils servent plutôt à canaliser la colère des habitants qu’à prendre en compte leur parole. « Cahiers de condoléances » serait plus à propos.