Un paradoxe issu de la loi sur l'égalité des chances, il suffirait "simplement" que les élèves soient considérés comme des étudiants et qu'ils aient droit à une bourse
Des stages payés, oui… mais pas à tout prix
Un pas a été fait pour la gratification des stages, avec la loi Egalité des chances (2006). Le décret, paru en janvier 2008, ferme des portes aux étudiants devant effectuer de longs stages pour valider leur diplôme : toutes les structures ne peuvent pas les rémunérer.
C’est un effet pervers auquel personne n’avait peut-être pensé. Le décret, paru fin janvier 2008 dans le cadre de la loi Egalité des chances (2006) et instaurant une gratification des stages de plus de trois mois, même « non productifs », fait des dégâts collatéraux. Les étudiants de certaines filières, pour qui un stage de six à neuf mois est obligatoire dans la validation du diplôme, souffrent de ne plus trouver d’employeur aussi facilement, ces derniers n’ayant pas toujours les moyens de les rémunérer.
Des fonds débloqués par l’Etat et initialement promis font défaut dans des petites structures associatives, qui ferment leur porte aux futurs assistants sociaux. Et les orthophonistes libéraux n’ont pas l’intention de puiser sur leur salaire pour rémunérer un stagiaire qui n’a pas le droit d’accomplir d’acte. Résultat, les recherches de stage se compliquent, leurs durées se réduisent et il faut parfois multiplier les petites expériences pour valider le diplôme.
« On ne choisit plus nos stages, on prend le premier où l’on est accepté , regrette Emilie Le Bozec, étudiante à l’Institut régional de formation sanitaire et sociale de Tours. Certains peuvent moins nous plaire que d’autres, être très loin de chez nous, mais on n’a pas le choix, il n’y a plus assez de mon qui nous accepte pour nous autoriser à faire un tri. » Sa promotion de soixante-cinq étudiants sera en stage du 1er décembre au 3 juin prochain. Une semaine avant le début de la période de stage obligatoire, huit élèves cherchaient encore.
« Le stage peut perdre sa valeur pédagogique »
« Nous avons voté une grève mardi après-midi (le 25 novembre, NDLR) et nous avons décidé que personne ne partirait en stage s’il en manquait un , indique Emilie Le Bozec. N ous avons fait circuler une pétition, qui a recueilli 1 020 signatures en deux jours et nous avons sensibilisé les professionnels de notre secteur comme les responsables politiques à nos difficultés. » Ils ont mis fin à leur grève ce vendredi 28 novembre, tout le monde ayant décroché un stage. Mais ils n’en attendent pas moins une réponse à leurs problèmes.
Ailleurs, le problème est similaire. « Nous avons su le 20 septembre que la gratification était obligatoire, pour nos stages qui commençaient le 29 , témoigne Caroline Carton, étudiante à l’Ecole d’orthophonie de Nantes. Mon maître de stage ne s’est pas désisté, parce qu’il a tenu à respecter son engagement, mais il ne prendra plus de stagiaire. D’autres personnes ont perdu leur stage. »
Chez les orthophonistes, une grève des maîtres de stage a été amorcée le 15 novembre, contre l’obligation de gratification des stagiaires. « Certains perdent des stages , raconte Caroline Carton. Mais nous comprenons qu’ils n’aient pas envie de nous gratifier sur leur salaire. Nous sommes en stage pour observer et apprendre. Si nous sommes gratifiés, il y aura une exigence de productivité et le stage peut perdre sa valeur pédagogique. »
Un argument que l’on retrouve chez les futurs assistants sociaux, à Tours. « L e stage est une richesse de notre formation, on apprend beaucoup sur le terrain puisqu’on exercera un métier avec de l’humain , détaille Emilie Le Bozec. Mais en stage, on est là pour apprendre, on n’est pas des professionnels. Si on nous paie, on exige de nous un travail de professionnel et on oublie qu’on est là pour poser des questions. »
Inquiétudes sur l’avenir des formations
Si les futurs assistants sociaux ne sont pas opposés au principe de gratification, ils demandent que des fonds de l’Etat soient débloqués pour aider les petites structures qui n’ont pas de moyens. Côté orthophonistes, la gratification, faible, n’a jamais été mise en place avant le décret actuel et « en aucun cas on ne s’est battu pour l’avoir », indique-t-on, à la Fédération nationale des étudiants en orthophonie (Fneo).
Au-delà des problèmes de recherches de stages, les craintes naissantes portent sur l’avenir de ces formations. Les futurs assistants sociaux ont peur de voir leur stage obligatoire se réduire ou disparaître, faute de trouver des structures qui accueillent les étudiants.
L’inquiétude des futurs orthophonistes est autre. « Nous devrons peut-être bientôt nous fondre dans le système Licence-Master-Doctorat. Notre formation dure quatre ans et nous voulons passer à cinq ans , explique Caroline Carton. Notre crainte est qu’il soit décidé que nous passions à trois ans, parce que notre quatrième année, uniquement composée de stages qui seraient tous gratifiés, serait considérée comme une année de “préprofessionnalisation”. »
Cécilie Cordier