PARTI NÉONAZI EN GRÈCE
CE FASCISTE QUI FAIT TREMBLER LA GRÈCE
La percée du parti néonazi l’Aube dorée et de son leader Nikos Michaloliakos inquiète les démocrates du monde entier. Cette montée du fascisme nourrie par la pauvreté plonge les Grecs dans l’angoisse et fait ressurgir les pires démons dans un pays encore traumatisé par la dictature des colonels. Enquête.
Par Christian Rappaz - Mis en ligne le 23.05.2012
C’est un soulagement. Après une semaine lourde et moite, l’orage éclate enfin sur Athènes. Episode rafraîchissant et vivifiant pour l’une des capitales les plus polluées d’Europe. L’occasion aussi, pour les vendeurs à la sauvette, d’arrondir leur fin de journée. Devant notre hôtel, un Bangladais, la trentaine, sourire aguicheur, propose gentiment ses parapluies multicolores aux quidams surpris par l’ondée. Soudain, il virevolte. Trop tard. Le frêle camelot se retrouve brutalement plaqué au mur par deux agents de la police municipale. Le plus bodybuildé tente de lui arracher ses pépins. Il résiste. Pas longtemps. En hurlant des insultes, le costaud lui tord une main, s’empare des objets, les détruit un par un et s’en va. Choqué, le malheureux a un doigt cassé. A la terrasse du café tout proche, les clients, indifférents, ont à peine levé la tête. La scène est habituelle. Deux jours auparavant, nous avons nous-mêmes été brièvement arrêtés et priés de détruire des photos d’immigrés menottés prises devant une caserne de police. Au même moment, dans un autre quartier, un journaliste de la radio romande subissait les mêmes pressions. La veille, c’est un journaliste grec, Dimitris Psarras, connu pour ses prises de position fermes à l’égard de l’extrême droite, qui était agressé en pleine rue. «Par un militant de Chryssi Avghi», assure-t-il, en français, l’Aube dorée, ce groupuscule néonazi passé de la semi-clandestinité au Parlement grec en raflant 7% des voix lors des législatives anticipées du 6 mai dernier.
IIIe REICH
Quatre mois après son homologue hongrois, le parti fasciste installe 21 députés – sur 300 – à la Vouli (Parlement grec). Score qu’il espère bien augmenter le 17 juin à l’occasion du nouveau scrutin.
Un triomphe pour cette formation créditée de 0,23% des voix lors de la consultation de 2009. Un choc et un séisme politique pour Dimitris Psarras, que cette spectaculaire percée ne surprend qu’à moitié. «Les Grecs pensent qu’en ayant inventé la démocratie et chassé les colonels en 1974 ils sont protégés contre un retour de la terreur. Ils entendent le discours populiste de l’Aube dorée mais ne voient pas les thèses racistes et antisémites qui l’accompagnent.» Les indices ne manquent pas pourtant. Créé en 1983 par Nikos Michaloliakos et dirigé sans interruption depuis par ce mathématicien rondouillard sans emploi de 55 ans, son histoire est truffée de références au IIIe Reich. A commencer par l’emblème du parti, le méandre hellène, un idéogramme de la Grèce antique ressemblant étrangement à la croix gammée. Les multiples symboles illustrant les colonnes de son journal ou arborés par les militants au crâne rasé tout de noir vêtus lors des manifestations ne laissent pas non plus place à l’équivoque: au drapeau grec se mêlent la croix de fer, la white power, une déclinaison raciste de la croix celtique, l’aigle impérial et parfois le salut fasciste que Michaloliakos n’a pas hésité à faire au Conseil municipal d’Athènes, au sein duquel il siège depuis 2010. «Pour provoquer mes collègues qui me traitent de nazi», tempère-t-il aujourd’hui. Car, bien qu’assumant son côté facho, le parti tente désormais de lisser son image.
«L’Aube dorée n’est pas un parti politique, mais une organisation criminelle»
Dimitris Psarras, journaliste et expert de l’extrême droite
Autorisés à assister à un meeting avec apparition du tribun samedi dernier, nous en avons finalement été chassés par sa garde prétorienne à la musculature dissuasive. C’est du trottoir, sous haute surveillance, que nous avons entendu monter les clameurs de la salle bondée et chauffée à blanc par son leader, formé en prison où il a été expédié deux fois pour violences au milieu des années 70, au contact de l’ancien colonel de la junte Georges Papadopoulos. «Alors que l’Aube dorée se résumait à deux petites centaines de membres, elle a réuni 440 000 électeurs le 6 mai. L’establishment, gauche en tête, n’a rien vu venir», regrette Dimitris Psarras, qui refuse de qualifier le mouvement de parti politique. «C’est d’abord une organisation criminelle au fonctionnement mafieux», coupe-t-il.
COMPLICITÉ POLICIÈRE
Il faut néanmoins reconnaître un certain flair politique à Michaloliakos. L’Aube dorée a parfaitement surfé sur le mécontentement des couches populaires victimes de la sévère cure d’austérité budgétaire imposée par la troïka (Union européenne, Banque centrale européenne et FMI). A l’instar du parti d’extrême gauche Syriza, grand gagnant des élections avec 16,78% des voix et 52 députés (4,6% et 13 députés en 2009), elle a ainsi largement profité du désaveu des Grecs envers une classe politique jugée corrompue et responsable de la faillite du pays. En parallèle, dans un pays où les discours discriminatoires ne sont pas poursuivis, sa rhétorique anti-immigration et xénophobe a fait mouche. A cet égard, Ilias Panagiotaros, numéro deux du parti, est sans concurrence. Morceaux choisis: «Nous décrasserons la Grèce de ses étrangers et parsèmerons nos frontières de mines antipersonnel.»Ou, parlant des migrants «bronzés»: «Il est préférable de les recevoir avec des M16 à la main plutôt que de les retrouver chez nous armés de kalachnikovs. »
Sur le terrain, les militants font depuis plusieurs années la chasse aux migrants sans papiers en transit vers l’Europe. Dans le quartier d’Agios Panteleimonas, où le parti règne en maître et où vivent entassés dans des sous-sols d’immeubles des centaines de clandestins, les attaques et les actes de violence à l’égard des étrangers ne se comptent plus. Avec la complicité occulte de la police, affirment les victimes. Comme Ali, cet Afghan de 33 ans, traducteur à Médecins du monde, tabassé en septembre 2010, que les gendarmes ont renvoyé chez lui avec, en guise de consolation, un mouchoir en papier pour s’essuyer le sang. «Des fois, on ne sait plus si c’est la police ou les fachos qui nous bastonnent», témoigne Mustafa, Afghan lui aussi, défiguré par une armada de crânes rasés place Kaningos en août dernier. Accusations rendues crédibles par les statistiques électorales. «C’est dans les zones où résident bon nombre de policiers que l’Aube dorée a réussi ses meilleurs scores. A Athènes, un sur deux a voté pour elle», estime Psarras. Des chiffres que conteste formellement Christos Fotopoulos, président du principal syndicat de police (90% des 40 000 policiers du pays y sont affiliés), en se débarrassant de la patate chaude. «Tout ça, c’est de la faute de l’Etat grec et de l’Union européenne qui refusent d’empoigner le problème de l’immigration», peste-t-il.
PEUR, MISÈRE ET VIOLENCE
Les forces de l’ordre n’ont pas le monopole de la bienveillance envers l’extrême droite. En écho à la position antilaïque de Michaloliakos et sa bande, l’Eglise orthodoxe figure également en haut de la liste de ses sympathisants. «Son discours antisémite plaît à certains prélats, comme le métropolite du Pirée, qui prêche la thèse du complot judéo-maçonnique pour expliquer les malheurs du pays et appelle ouvertement à voter Aube dorée», note notre interlocuteur. Pas étonnant qu’au-delà de l’armée, au sein de laquelle le frère de Michaloliakos occupe un poste de haut rang, des sociétés de sécurité et des hooligans, le parti recrute désormais dans les collèges et les lycées. Malgré ses avancées, la gauche et la plupart des commentateurs continuent à minimiser le phénomène. «Maintenant que les gens savent qui et quels desseins se cachent derrière ces slogans populistes, ils seront beaucoup moins nombreux à les soutenir», estimentils, la bouche en cœur.
Ce n’est pas ce que suggèrent la misère, la violence et la peur, toutes désormais bien installées au pied de l’Acropole, où l’ambiance est électrique et le malaise palpable. Entre les escadrons de l’Aube dorée régnant sur les quartiers populaires et ceux des brigades antiémeutes errant cigarette au bec dans le centre-ville, difficile, d’ailleurs, de trouver des citoyens prêts à témoigner à visage découvert pour dénoncer la montée du fascisme. Même l’avocate d’un étudiant ayant subi une attaque au couteau à laquelle serait mêlé le porte-parole de l’Aube dorée ne s’y est pas risquée…
LOYAUX ENVERS LEUR LEADER, CES HOMMES SONT DANGEREUX
Créditée de 0,23% lors des élections législatives de 2009, l’Aube dorée a raflé 7% des suffrages, soit 440 000 voix et 21 sièges au Parlement lors du scrutin du 6 mai. Depuis cette inquiétante percée, Nikos Michaloliakos (dans le cercle) et ses sbires, soucieux de lisser un peu leur image dans la perspective des nouvelles élections programmées le 17 juin prochain, refusent d’être qualifiés de néonazis. Alliée à l’interview effrayante que le tribun grec nous a accordée, cette image d’archive démontre cependant sans la moindre équivoque qu’il y a loin des paroles aux actes. Depuis le début de la crise de la dette et des mesures d’austérité imposées par la troïka, les extrêmes n’ont pas cessé de grimper en Grèce. Une situation qui fait craindre le pire si, comme le prévoient la plupart des économistes, le pays devait sortir de la zone euro.
Dans l’interview qu’il nous a accordée, le chef du groupe parlementaire néonazi élu le 6 mai dernier a une fois encore répété les propos négationnistes (en Grèce, le négationnisme n’est pas condamnable), racistes et homophobes qu’il colporte depuis qu’il a fondé son parti, en 1983.
Lors d’une récente interview, vous avez nié l’existence des fours crématoires et des chambres à gaz et mis en doute le camp de la mort d’Auschwitz. Confirmez-vous ces propos?
Je ne sais rien de cette histoire. Quand Hitler est mort, je n’étais pas né. Tout ce que je peux dire, c’est que l’Holocauste, c’est de la propagande. Des historiens sans aucun lien avec le nazisme l’ont dit avant moi.
Vous confirmez donc ces propos?
J’ai parlé de ces choses. Je le redis, l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs et se résume souvent à un tissu de mensonges et de propagande. Si Hitler était un ennemi de la nation grecque, pour son peuple, c’était un grand leader.
Parler en ces termes de l’Holocauste est choquant… (Il nous coupe brutalement la parole.)
Stop Holocaust! Finish!
On dit que votre parti n’accepte que des Grecs de souche…
Parmi nos militants actifs, nous avons deux membres dont les épouses sont l’une Américaine et l’autre Roumaine. Nous sommes ouverts.
Mais les militants sont Grecs de souche?
Il faut au moins deux à trois générations pour pouvoir revendiquer la nationalité grecque. C’est le sens de notre slogan «Sang et honneur». Certains disent que nous sommes racistes, je n’ai aucun problème avec ça.
Racistes, antisémites et homophobes…
Les homosexuels ne sont pas des gens normaux. Si je l’étais, je n’en serais pas fier. Peut-être y en a-t-il au sein du parti. Une chose est sûre: celui qui se déclarerait ouvertement pédé (sic) ne serait pas le bienvenu parmi nous.
Difficile, avec un tel discours, de réfuter les termes de néonazi et de fasciste…
Ecoutez, nazi est un mot allemand et fasciste un mot italien. Moi, je suis Grec. Un nationaliste et un patriote grec. Et je vous rappelle que lors des deux guerres mondiales, la Grèce appartenait au camp des Alliés. Et qu’a-t-elle reçu en retour pour sa loyauté? Rien. Quand je vois comment la Turquie est favorisée par les Occidentaux, je suis dégoûté.
Malgré vos efforts pour lisser un peu votre image, la presse grecque continue à vous surnommer le Führer…
C’est ridicule. Führer est aussi un mot allemand. Il ne me représente pas.
Tant dans vos écrits qu’à travers les symboles de votre parti, à commencer par son emblème, les références au nazisme ne manquent pourtant pas…
L’emblème du parti n’a rien à voir avec la croix gammée comme l’affirment certains. Il fait référence à un idéogramme de la Grèce antique. Quant à mes articles, ils sont plus philosophiques que politiques. J’en ai fait quelques-uns en rapport avec la pureté de la race, d’autres sur le message de paix instillé par Rudolf Hess en 1941 (ndlr: l’un des inspirateurs du nationalsocialisme aux côtés de Hitler). Je ne regrette rien.
Quelle est votre position par rapport à Israël?
Israël est loin de la Grèce. Nous n’avons rien en commun avec ces gens-là.
Vous défendez l’idée de la race grecque supérieure…
C’est faux. Je défends l’idée que toutes les races sont différentes sans en considérer une comme supérieure. Je dis en revanche que les Grecs anciens ont créé une civilisation supérieure dont le monde profite encore aujourd’hui.
Quelle relation votre parti entretient-il avec ses homologues européens?
Aucune relation. Si c’était le cas, vous le sauriez déjà.
Et l’UDC suisse, vous connaissez?
Un peu. Je l’ai découverte à travers l’affiche des moutons qui m’a surpris mais que j’ai trouvée très bien. J’ai également lu des articles intéressants sur les référendums que ce parti a menés à bien. Soumis à votation en Grèce, ces mêmes objets seraient largement soutenus par le peuple.
Vous voulez parler de l’interdiction des minarets et du renvoi des criminels étrangers?
Oui. La Grèce est un Etat orthodoxe qui ne doit en aucun cas devenir laïc. Dès lors, nous nous opposons à toute construction ou création de mosquée. Quant au renvoi des criminels étrangers, il coule de source. Savez-vous qu’en Grèce des immigrés tuent pour un euro?
Les immigrés, voilà un thème qui vous est cher. Des gens que vous rêvez d’expulser jusqu’au dernier…
Qui sont les victimes? Les 3,5 millions d’immigrés illégaux qui détruisent notre économie et notre système social ou les Grecs qui vivent avec presque rien? On ne rêve pas de chasser les immigrés, on veut simplement défendre les Grecs contre leur criminalité.
Est-ce ce que vous avez dit à votre président de la République dimanche dernier, lorsque vous l’avez rencontré?
Absolument. Je lui ai également fait remarquer que le 6 mai, le peuple grec avait voté à 70% contre le mémorandum imposé par la troïka et que, dès lors, cet accord devenait illégal et qu’il fallait le dénoncer.
Et que vous a-t-il répondu?
Rien. Je pense que M. Papoulias considère qu’il n’a pas à disserter avec un parti qui fait 7% des voix. Il a tort. Notre percée spectaculaire atteste que nos idées et notre idéologie sont les bonnes et qu’elles séduisent les gens. Et ce n’est qu’un début. Nous sommes la rage populaire, le peuple en colère…