Municipales à Hénin-Beaumont: le FN, un parti en (re)construction Jacques Trentesaux, 02/11/2011, mis à jour 25/10/2013Après l'échec de Jean-Marie Le Pen à la présidentielle de 2007 et les scissions à répétition, le FN revient de loin. Depuis, il s'efforce de bâtir un appareil de terrain dans le Nord-Pas-de-Calais. Analyse de ses points forts et de ses points faibles.
Les points forts du Front National :Un potentiel électoral réel
C'est à Hénin-Beaumont que Marine Le Pen a joué sa trajectoire politique. La ville pourrait basculer au FN en 2014, mais l'ambition du parti d'extrême droite ne s'arrête évidemment pas là. A partir de ce bastion, il mène sa stratégie d'expansion sur l'ensemble de l'ancien bassin minier. Avec un certain succès, d'ailleurs, au vu de ses excellents résultats lors des cantonales de 2011 dans les anciennes cités minières (Carvin, Courcelles-lès-Lens, Dourges, etc.). Le FN a aussi obtenu de 30 % à 40 % des suffrages dans quelques cantons urbains (Calais, Lens, Roubaix...). Mais la surprise est venue de certaines zones rurales du Pas-de-Calais (l'Arrageois, le Ternois...), où le parti a connu ses progressions les plus impressionnantes.
Fort de ces scores, le FN entend mettre le paquet sur quelques circonscriptions à l'occasion des législatives de juin 2012. Trois sont dans sa ligne de mire, toutes situées dans le Pas-de-Calais : la 3e (Lens), la 7e (Calais) et, bien sûr, la 11e (Hénin). Cette dernière est considérée comme la plus gagnable. Surtout si Marine Le Pen s'y présente à nouveau, comme en 2007 où elle avait affronté le député (PS) Albert Facon. Le duel aura alors valeur de test. "Toutes les caméras du monde seront rivées sur elle", sourit Steeve Briois, son bras droit. "Elle ne viendra pas ici, veut croire Albert Facon. Mathématiquement, elle sait qu'elle ne peut pas réussir. L'orage est passé." La présidente du FN ne se décidera qu'au lendemain de la présidentielle. Dans le cas où elle accéderait au second tour, elle pourrait alors laisser la main à son fidèle suppléant, le même Steeve Briois, pour ne pas risquer de ternir un succès par une défaite.
Si les cantonales ont prouvé un indéniable potentiel électoral, il reste au FN à transformer l'essai lors des municipales de 2014. Cela ne sera pas une mince affaire, tant la recherche de candidats frontistes demeure un casse-tête. En 2008, il a ainsi manqué six femmes à Daniel Janssens pour boucler sa liste de vingt-neuf noms sur la commune de Leforest. Avant de devenir un pilier du FN, cet homme connu et apprécié avait été premier adjoint socialiste de cette ville de 7 500 habitants pendant vingt-huit ans. C'est dire la difficulté de convaincre ! "Les gens hésitent à se présenter par peur des représailles, explique-t-il. Mais si Marine réalise un bon score à la présidentielle, ils se dévoileront."
La précieuse vitrine du conseil régional
Il a fallu environ un an aux dix-sept conseillers régionaux FN pour trouver leurs marques. Normal. La plupart étaient de nouveaux élus. L'équipe de cinq permanents a aussi changé de fond en comble. Au lendemain de son élection à la Région, Marine Le Pen est allée chercher du renfort en appelant à ses côtés Louis-Armand de Béjarry, 33 ans, un ancien directeur du Front national de la jeunesse, pour assurer le secrétariat général, et Jean-Richard Sulzer, professeur à l'université de Paris-Dauphine, pour sécuriser les interventions. Sous la houlette de Philippe Eymery, premier vice-président, les élus FN montent régulièrement au créneau en séance plénière là où on ne les attend pas : la défense des ports, de la retraite des mineurs, de la filière automobile... Chaque prise de parole est filmée et immédiatement relayée sur le site Internet du FN et sur Dailymotion. Parfois, elle donne lieu à la diffusion d'un tract aux portes des usines.
Le groupe FN use aussi de tous les artifices pour faire parler de lui. Au point d'allonger indéfiniment les commissions à coups d'amendements en tout genre. "Leur seul but est de perturber les échanges, soupire Catherine Génisson, vice-présidente (PS) du conseil régional chargée de la culture. Ils ne cherchent même pas à aborder le fond des dossiers car ils ne les maîtrisent pas." Du coup, le président (PS), Daniel Percheron, s'efforce de priver le FN de temps de parole par tous les moyens réglementaires à sa disposition. "Si je ne faisais pas preuve de patience, il y aurait un pugilat autour de Marine Le Pen à chaque session et les projecteurs seraient braqués sur elle", explique-t-il.
Les séances plénières étant de plus en plus techniques, le groupe FN réfléchit à de nouveaux modes d'action afin de créer le "buzz" et de continuer à jouer son rôle de tête de pont du Front. La partie de cache-cache ne fait que commencer.
Les points faibles du parti :Un manque crucial de cadres
Il s'agit de la carence essentielle du FN : le manque de personnalités susceptibles de tirer une liste et d'animer une équipe. L'encadrement ne repose encore que sur une poignée de militants historiques. Freddy Baudrin, 51 ans, est de ceux-là. Voilà plus de vingt-cinq ans qu'il défend les mêmes idées de " lutte contre la décadence et l'islamisation de la France " . C'est lui qui, tel un grand frère, convoyait les jeunes Steeve Briois et Laurent Brice pour coller des affiches alors qu'ils n'avaient que 15 et 16 ans et n'étaient pas motorisés... En 1988, il s'est présenté à Wingles pour la première fois et a obtenu 4,5 % des suffrages. En mars dernier, il a réalisé le score impressionnant de 44,54 % des voix dans le canton de Lens-Est, fief socialiste par excellence. Le résultat de la persévérance de son engagement ; celui de la misère persistante aussi, puisque Lens figure, selon l'Insee, au neuvième rang des villes les plus pauvres de France.
Les nouveaux convertis du Front, tel Olivier Delbé, sont encore rares. Natif de Lisbourg, dont il est conseiller municipal, cet homme de 44 ans a fini par toquer à la porte du FN faute de trouver sa place à l'UMP. Marine est venue en personne le rencontrer au café-restaurant-pompe à essence la Petite Sirène de Beaumetz-lès-Aire. Il l'a trouvée "très simple, abordable et à l'écoute". Et s'est lancé. Tous les après-midi, après la sortie de l'usine, ce magasinier sillonne les petites routes départementales avec, dans ses poches, des bulletins d'adhésion. Elu conseiller régional FN en mars 2010, il est devenu le "M. Ruralité" du parti. Une bénédiction pour le Front. Une exception, aussi. Pour présenter des candidats partout, le FN doit souvent solliciter des conjoints ou membres d'une même famille. A défaut, le parti lance de très jeunes candidats qui occultent mal ses soucis de recrutement.
Le Nord à la traîne
L'affaire a fait couler un peu d'encre début octobre. Le siège national du Front national a été contraint de régler les loyers impayés du local lillois, boulevard Jean-Baptiste-Lebas. Le signe, sans doute, des difficultés financières de la fédération Nord-Flandre. Ce ne sont pas les seules. Dans le département du Nord, les guerres fratricides avec le MNR de Bruno Mégret puis avec Carl Lang, l'ancien leader régional, ont laissé le parti exsangue. Il faut donc tout reconstruire. Les 23 et 24 septembre, les adhérents étaient discrètement conviés à l'hôtel Mercure de Lesquin pour échanger sur le fonctionnement de la fédération. Un désaveu pour le secrétaire départemental, Eric Dillies ? Steeve Briois, l'initiateur de la rencontre, minimise : "On demande simplement l'avis des militants. Ce n'est pas une sanction."
Dans le Nord, l'électorat traditionnel du Front national est plus bourgeois que dans le Pas-de-Calais et plus difficile à reconquérir. Le parti ne dispose quasiment d'aucun élu municipal, ce qui empêche les remontées d'informations. Mais les résultats des cantonales, dans la métropole lilloise notamment, ont requinqué les maigres troupes (1 500 adhérents revendiqués). "A Roubaix, on retrouve nos scores d'autrefois, se réjouit Steeve Briois. Notre potentiel est extraordinaire." A Armentières, la candidate du Front, Nathalie Acs, a recueilli 38 % au second tour. Une prouesse quand on sait que cette femme de 41 ans, profil parfait pour le FN nouveau style, n'habitait pas la ville et qu'elle a mené sa campagne avec... quatre militants.