Tiré du mensuel Alternative Libertaire de février
Dieudonné, néo-naze
Le buzz déclenché par l’« affaire Dieudonné » a le mérite de rendre manifeste que le pseudo-comique est maintenant à 100 % un propagandiste d’extrême droite. Raciste comme le gouvernement, fraudeur du fisc comme les capitalistes, il n’a rien d’anti-système, mais demeure dangereux de par le succès qu’il rencontre.
Au premier abord, les discours de Dieudonné ont l’apparence de la démence. Ainsi quand, il y a deux ans, il estimait dans une interview à la télévision iranienne que, le sionisme, c’était « la perversion, le vice, le mensonge », qui veut « à la fois fois exister en souterrain et au grand jour », et que « en dessous, c’est toute la planète qui est touchée et infiltrée par cette maladie ».
Pourtant, Dieudonné est parfaitement lucide et conscient de ce qu’il fait. Il manie la provocation avec habileté pour se poser en victime et renforcer la croyance de ses supporters en un grand complot des « sionistes » (entendre les juifs), qui tireraient les ficelles au coeur du système.
Le mois de janvier aura été une illustration de ce phénomène. À l’origine, une remarque au cours d’un « sketch » sur le journaliste Patrick Cohen, regrettant que ce dernier n’ait pas fini en chambre à gaz, entraîne une indignation plutôt compréhensible. Quelques quenelles plus tard, Valls rebondit sur la polémique en appelant les préfets à annuler les spectacles de l’antisémite.
Antisémitisme sans ambiguïté
À Nantes, le 9 janvier, l’arrêté de la préfecture de Loire-Atlantique interdisant le spectacle qui devait se tenir le soir même est d’abord suspendu par le tribunal administratif de Nantes, mais la décision est elle-même annulée par le Conseil d’État quelques heures plus tard. Une telle rapidité de jugement, exceptionnelle de la part de la plus haute autorité administrative de l’État, ne pouvait que laisser penser à des esprits qui, comme celui des dieudonnistes, ont déjà des penchants conspis, que des pressions au plus haut niveau avaient eu lieu. Peut-être n’ont-ils d’ailleurs, pour une fois, pas tout à fait tort.
Certes, Dieudonné sort de l’épisode doté d’une réputation d’antisémitisme sans ambiguïté pour beaucoup de gens. Mais pour une minorité trop dépolitisée pour voir à travers les grosses ficelles de la stratégie Dieudonné, il est maintenant auréolé du prestige du résistant, de celui contre qui « tout le monde » au sein du « système » est.
Pourtant, Dieudonné n’a rien d’anti-système. Son antisémitisme, sans doute sincère, est aussi un fonds de commerce, qui lui permet de remplir ses salles et de vendre des billets plusieurs dizaines d’euros, en substituant des provocations racistes monomaniaques à un humour en panne.
Dieudonné est aussi, comme bien des capitalistes français, un fraudeur fiscal : en octobre 2012, une partie de ses biens avait été saisie pour permettre au fisc de recouvrer 887 000 euros d’impôts impayés. Le commerce de la haine est manifestement lucratif.
Dieudonné est également visé par une enquête pour blanchiment et « organisation frauduleuse d’insolvabilité », pour échapper aux amendes, d’un montant total d’environ 65 000 euros, infligées notamment pour ses propos antisémites.
Amalgame
Dieudonné n’est pas non plus antisioniste, si on entend par là le mouvement de solidarité avec le peuple palestinien en lutte pour ses droits. Jamais, en effet, il n’a apporté un quelconque soutien concret à ce mouvement. Pire, il n’a fait que rejoindre la droite pro-israélienne dans l’amalgame juif/sioniste que des organisations comme le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) s’efforce d’effectuer afin de pouvoir assimiler tout mouvement de solidarité avec les Palestiniens à une forme d’antisémitisme – alors même. On l’a vu encore récemment avec la campagne menée contre la campagne Boycott-Désinvestissement-Sanction (BDS), menée à l’appel de la société civile palestinienne pour mettre en place, pacifiquement, une pression économique sur Israël. Des militantes et militants de BDS ont ainsi pu être poursuivis et parfois condamnés ces dernières années.
Dieudonné, par l’amalgame qu’il favorise entre l’antisionisme dont il se réclame, par exemple avec la liste présentée aux européennes de 2009 avec Alain Soral, et l’antisémitisme qu’il propage effectivement, fait ainsi cause commune avec les ennemis du peuple palestinien.
Par son antisémitisme, Dieudonné se fait aussi l’alter ego de toutes celles et ceux qui, jusqu’au sommet de l’État, s’efforcent de profiter de l’angoisse suscitée par la crise pour stigmatiser une population. Comme Manuel Valls, spécialiste des propos racistes contre les Roms et les musulmans.
Propagandiste dangereux
Mais si le racisme semble être, malheureusement, l’une des choses les mieux partagées en France aujourd’hui, on peut toutefois noter que les sorties de Dieudonné font couler plus d’encre que d’autres, pourtant du même acabit. Ainsi, Gilles Bourdouleix, député-maire de Cholet (Maine-et-Loire), avait déclaré à propos des Roms : « Comme quoi, Hitler n’en a peut-être pas tué assez ». À propos d’une population qui faisait, comme les juifs, l’objet d’un projet d’extermination de la part des nazis, les propos n’ont pas grand chose à envier à ceux de Dieudonné sur Patrick Cohen. S’il a dû démissionner de l’Union des démocrates et indépendants (UDI), l’homme politique a conservé ses mandats sans susciter le quart de l’indignation actuelle. Mais comment en serait-il autrement quand le ministre de l’Intérieur lui-même affirme que les Roms n’ont pas vocation à s’intégrer en France, et encourage les expulsions ?
Dieudonné n’en est pas moins un propagandiste dangereux car couronné de succès depuis un bon moment. Outre ses spectacles, pour lesquels il était parvenu à vendre parfois dans les 5 000 billets, comme à Nantes, ses vidéos diffusées sur YouTube ont cumulé 40 millions de vues depuis mars 2011 sur sa chaîne « iamdieudo », et il est suivi par 260 000 abonnés. Sachant qu’il se montre régulièrement avec des personnalités d’extrême droite, comme le négationniste Robert Faurisson, ou tout récemment avec Serge Ayoub, à qui il a offert une tribune pour que le leader d’extrême droite puisse diffuser sa désinformation sur le meurtre de Clément Méric, assassiné par ses ouailles. Dieudonné fait planer le risque d’une popularisation des idées d’extrême droite, racistes et conspirationnistes. Il est à prendre au sérieux. Si le gouvernement vient seulement de se rendre compte du danger, nous le combattons depuis des années, et nous continuerons.
Vincent (AL Paris-Sud)
http://alternativelibertaire.org/?Antif ... e-neo-naze Dieudonné-Soral : À nous de les faire taire !
L’interdiction des spectacles de Dieudonné pose la question de la légitimité de l’État à régenter et encadrer les esprits. Plutôt que par la répression étatique, c’est bien par l’action directe des exploité-e-s que l’on viendra à bout des idées et discours racistes et fascistes.
Entre deux remarques racistes sur les Roms ou les musulmans, Manuel Valls a subitement annoncé que contre les blagues antisémites de Dieudonné, il fallait sévir, et interdire ses spectacles. Vœux exaucé le 9 janvier pour le spectacle de Nantes, sur décision du Conseil d’État.
Anne Hidalgo, candidate PS à la mairie de Paris, veut quant à elle faire fermer la Main d’Or, le théâtre du pseudo-comique. Enfin, le député UDI Meyer Habib souhaite déposer un projet de loi pour interdire la quenelle...
Outre que ces propositions ne font que renforcer Dieudonné dans son statut de victime du « système », on ne peut pas souscrire, en tant que libertaires, à l’idée que l’État puisse légitimement déterminer ce qui est idéologiquement ou historiquement vrai ou pas, et interdire ce qui va en sens inverse.
Car, lorsqu’on voit la libération de la parole raciste dans les plus hautes sphères gouvernementales, les opinions farfelues sur les immigré-e-s mais aussi sur l’esclavage, la Première Guerre mondiale, la guerre d’Algérie ou Mai 68 exprimées par certains hommes politiques, on a des sueurs froides à l’idée de leur laisser imposer arbitrairement leur vision de l’histoire ou de la société.
La question de soutenir des lois, des décrets visant à interdire quelque opinion, discours, geste ou organisation que ce soit ne se pose donc pas. On ne pourrait pas non plus soutenir l’interdiction de telle ou telle organisation d’extrême droite sans reconnaître implicitement la légitimité de l’État à avoir droit de vie et de mort sur les organisations politiques, y compris d’extrême gauche, et donc son droit à nous dissoudre si tel était son bon plaisir. Même si on n’irait pas manifester contre l’interdiction du Front national ou de telle ou telle organisation néo-nazie...
Action directe
Cela ne signifie pas pour autant que toutes les opinions se valent, qu’elles doivent pouvoir être indifféremment déversées dans l’espace public, que les milices d’extrême droite ont toute leur place en démocratie, ou que le négationnisme doive être enseigné dans les écoles au même titre que la vraie histoire de l’Holocauste – parce qu’ainsi « chacun pourra se faire son opinion »... Ces propos, ces idées, ces organisations doivent être combattus et anéantis, mais pas en gémissant auprès de l’État pour qu’il envoie les forces de répression faire le sale boulot. C’est aux exploité-e-s de s’en charger par l’action directe. Cette action directe, c’est d’abord un combat d’idées à mener contre les fascistes, à travers un travail de contre-propagande dans les entreprises et les quartiers où l’idéologie dieudonnesque pousse.
C’est aussi un travail de perturbation des activités des fachos de tout poil sur le terrain. Ainsi, lorsque des grenouilles de bénitier viennent prier devant les centres IVG pour l’âme des avortons, comme récemment devant l’hôpital Tenon à Paris, il n’y a pas lieu d’en appeler à la préfecture pour qu’elle interdise cette prière de rue. Il faut par contre mobiliser pour que le plus grand nombre de militantes et militants féministes et progressistes viennent les déloger.
Il faut faire pareil devant les spectacles de Dieudonné. Les empêcher de se tenir plutôt que de prier pour qu’ils soient interdits. Déjà lorsque la liste « antisioniste » de Soral et Dieudonné était venue parader, en mai 2009, sur un marché populaire parisien, il était du devoir des antiracistes de venir lui signifier fermement leur désaccord, ce qui avait amené à la garde à vue de plusieurs d’entre eux. Quatre ans et demi plus tard, l’État se dit que finalement, c’est vrai que Dieudonné est un peu antisémite, et qu’il faudrait faire quelque chose. Et si, pour commencer, il arrêtait de réprimer celles et ceux qui se mobilisent sur le terrain contre le racisme et le fascisme ?
Vincent (AL Paris-Sud)
http://alternativelibertaire.org/?Point ... -les-faire