Parrainer le FN ? Les maires ont le cul entre deux chaises Nolwenn Le Blevennec | JournalisteLe Pen dénonce une pression sur les élus pendant la présidentielle. D'ex-soutiens du FN racontent les tractations et les mésaventures dues à leur engagement.
Le résultat des sénatoriales laissait espérer, pour le FN, une phase de parrainage (recueil des 500 signatures nécessaires pour se présenter à la présidentielle) facile et douce. L'élection a révélé une poussée du vote FN chez les grands électeurs (dont une grande partie peut donner sa signature pour la présidentielle). Pourtant, depuis décembre, le parti s'agite.
Marine Le Pen a déposé un recours devant le Conseil d'Etat et une question prioritaire de constitutionnalité, sur la question de l'anonymat. Elle a affiché, lors de ses vœux, une mine inquiète, évoquant déjà l'impossibilité de concourir.
Mi-janvier, sur le plateau du « Grand Journal » de Canal+, Florian Philippot, directeur stratégique de la campagne, a fini par donner un ordre de grandeur : moins de 300 promesses de signatures d'élus. « Moins qu'au même stade en 2007 », a-t-il ajouté. L'exercice serait-il plus difficile cette année ?
Quelle pression sur les maires ?Au FN, les cadres évoquent unanimement la « grève des maires ». Les élus ne supporteraient plus la publication de leurs noms par le Conseil constitutionnel. Michel Guiniot, responsable des parrainages au FN avec Dominique Martin :
« Tout le monde l'admet, le système est à bout de souffle. Loin de sa vocation première, la signature est perçue comme un vote ou un acte politique. Les maires n'osent plus y aller. »
La publication des noms permet aussi le flicage, selon le FN. Les maires ne peuvent pas ignorer les pressions politiques des présidents des communautés de communes ou des députés. Marie-Christine Arnautu, vice-présidente du FN :
« Avec la crise et les communes appauvries, les maires ne peuvent pas se fâcher avec ceux qui leur donnent les subventions. Il y a du chantage. »
Marine Le Pen a condamné ces pressions dans un communiqué et porte plainte contre un conseiller général qui a déclaré :
« Ceux qui parraineront Marine Le Pen partagent avec elle ses sentiments anti-européens, son repli identitaire et ses options économiques et anti-sociales. »
Selon Marine Le Pen, ceci constitue « une menace évidente à l'adresse des maires » qui la parraineraient.
Le téléphone sonne dans la nuitUne douzaine de maires ayant déjà parrainé le FN, en 2002 ou 2007, ont accepté de nous répondre sur ce point.
C'est vrai, ils souhaitent l'anonymat des signatures, pour éviter la publicité locale. Pierre Nau, ancien maire FN de Blanzée (Meuse), 70 ans, raconte :
« Plein de maires ne veulent pas se retrouver dans le journal local. A cause de ça, je connais des maires qui ont perdu leur place. Moi, ça va, c'est une petite commune. J'ai juste eu le droit à des réflexions du genre : “T'es raciste”. »
Un autre, du Calvados, « plutôt à droite », raconte qu'en 2002, après la publication des noms, il a dû enlever le téléphone de sa chambre. On lui a téléphoné deux fois en pleine nuit. Gérard Marchand, maire de Brachay (Haute-Marne), ajoute :
« Quand vous votez FN, tout le monde vous prend pour un dictateur, gendarmes inclus. Ici, on a des problèmes avec les Manouches. Parce qu'on est du FN, on voudrait exécuter tout le monde. Le mec du FN, c'est le dernier auquel on serre la main au conseil général, vous avez compris ? Je ne suis pas un hitlérien. »
« Novelli m'a demandé de parrainer Le Pen »Mais cela s'estompe vite et c'est surmontable, selon la plupart des maires interrogés. Pas impressionné, Gérard Marchand, qui dit voter au FN au premier tour, a d'ailleurs déjà donné sa promesse de signature au parti.
Plusieurs se sentent plutôt « largement » soutenus par la population locale, comme Lucien Richard, à Magny, dans le Haut-Rhin (il a déjà donné sa promesse de signature au FN). Un autre, en Basse-Normandie, dit que cela pourrait « jouer contre lui », si la population se rendait compte qu'il ne soutenait pas le FN.
Aucun d'eux ne nous a parlé de pression politique venue d'en haut. Sauf un, et la pression était en faveur du FN. Un maire d'Indre-et-Loire, sans étiquette :
« En 2007, c'est mon député qui m'a demandé de parrainer Le Pen. Le député UMP Hervé Novelli. On se voit souvent puisque c'est le président de ma communauté de commune. Il m'a dit que ce serait bien que je le fasse, que ce serait normal qu'il puisse se présenter. »
Contacté, Hervé Novelli n'a pas retourné notre appel.
Pour les maires, c'est trop tôtLes maires ayant déjà parrainé le FN, les années précédentes, expliquent leur silence de façon très pragmatique. Ce n'est pas encore le moment, selon Michel Verger, maire de Le Brévedent (Calvados) et chef d'entreprise de 61 ans :
« Pour l'instant, je n'ai pas pris de décision. Ils commencent tous à me fatiguer. On a pas une semaine sans coup de fil. J'en ai marre de ces conneries-là. J'attends. »
Pour se faire courtiser ? En 2002, à la dernière minute, il avait été appelé « en personne » par Jean-Marie Le Pen. Il avait eu l'occasion de lui dire qu'il n'était pas d'accord « sur tout ». Marie-Christine Arnautu pense que Marine Le Pen s'y mettra aussi, en fin de course, si il le faut.
Nicolas Bertin, 53 ans, agriculteur, maire d'Ambrief (Aisne), savoure :
« Il y a pas le feu. Le parrainage est un privilège immense, avec le vote aux sénatoriales. C'est une liberté. Il faut le prendre au sérieux. Je prends mon temps. Nous n'avons même pas encore reçu les papiers officiels. Je ne me prononce pas au stade des promesses. »
« Pas du tout adhérent au FN », Nicolas Bertin parrainera de toute façon « un petit parti ». Il n'a jamais été contacté par l'un des grands. « Rien que ça, ça m'énerve. On ne compte pas pour eux, avec nos petites ruralités. »
Nicolas Bertin dit qu'il n'a jamais été insulté pour avoir signé. Seule contrariété : quand on tapait le nom de sa commune sur Internet, pendant des années, des liens en rapport avec son parrainage FN sortaient. « Heureusement », « un informaticien pointu » de sa municipalité a réglé ça.
Où est passée la boîte de chocolats ?Deux maires évoquent avec nostalgie la boîte de chocolats annuelle envoyée par le FN. Cette année, ils ne l'ont pas reçue. Pour Denis Kryzs, 56 ans, gérant de société, maire de Brouville (Meurthe-et-Moselle) « qui n'a pas de carte », c'est une raison de douter de Marine Le Pen :
« Pour l'instant, je n'ai rien promis [...]. Je n'ai pas reçu la boîte de chocolats de Jean-Marie Le Pen. C'est tout simple. On commence comme ça et puis après, on ne sait pas. C'est depuis que c'est la fille qu'on a plus de boîte de chocolats. »
Jean-Marie Le Pen envoyait aussi du champagne.
Sur le programme de la fille, Denis Kryzs est également mitigé :
« Supprimer l'euro, ça me paraît un peu beaucoup. Mais sur les fraudeurs, je suis pour. Dénoncer tous les fraudeurs, les magouilleurs que je connais, c'est un truc que je ferai peut-être quand je serai à la retraite. »
« Avec Gollnisch, on se tutoyait »CONSEILLERS EN BAISSE
Autre raison qui explique la difficulté du FN : la baisse du nombre de conseillers régionaux. Le parti avait 156 conseillers régionaux en 2004 et n'en a plus que 118 depuis 2010. Dominique Martin, du FN : « L'absence de proportionnelle aux élections ne facilite pas la tâche. Nous devrions aussi avoir beaucoup plus de conseillers généraux. »
D'autre part, entre 2002 et 2007, les maires en place étaient les mêmes. Environ 65 maires qui ont parrainé en 2002 ont récidivé en 2007. Les élections municipales de 2008 ont tout compliqué. Selon le FN, 385 maires ayant parrainé en 2002, 2007 ou les deux, sont encore en place en 2012.
Enfin, si Philippe Connant, maire FN de la commune de Neuffontaines (Nièvre), n'a pas pu parrainer sa candidate, c'est qu'il a dû quitter ses fonctions :
« J'aurais été partant évidemment. Très motivé. Mais j'ai dû démissionner en mai dernier parce que j'ai eu trop de problèmes, alors que j'avais rien fait. »
Il a été attaqué par la Licra et la Ligue des droits de l'homme, pour « provocation à la haine et discrimination raciale », après avoir dit dans le journal du Centre :
« Quelqu'un qui s'appelle Mohamed n'est pas un Bourguignon. […] Les étrangers, il faut les occuper, et il faut en virer, ceux qui cassent tout. »
Du coup, Philippe Connant fait la chasse aux signatures. Il est revenu avec une seule signature, après une tournée d'une quinzaine de jours. « Le faible bilan est lié à l'anonymat. »
Pour les maires interrogés, la continuité entre Jean-Marie Le Pen et sa fille est indiscutable. Finalement – c'est étonnant –, un seul maire (de La Manche), « moins extrémiste qu'avant », retient son parrainage parce qu'il n'est pas convaincu par Marine Le Pen :
« Je réfléchis. J'étais en bons termes avec Bruno Gollnisch. On se tutoyait. Là, c'est différent. Le programme économique me plaît beaucoup moins. Je reste d'accord sur l'immigration, c'est tout.
J'hésite avec d'autres petits candidats tout aussi intéressants, Christine Boutin et Jean-Pierre Chevènement. »
Ou Nicolas Dupont-Aignan. Des candidats, crédités dans les sondages de moins de 1%, qui gênent Marine Le Pen, mais qui pourraient se désister en cours de route.
Le secrétaire général du Parti de la France de Carl Lang, Thomas Joly, ex-FN, raconte qu'en 2007, le parti ramait pour avoir les signatures. Puis tout d'un coup, « tout s'est débloqué », avec une quinzaine de signatures venant de Corse. « L'UMP avait visiblement donné des consignes. »