L'Anarcha-féminisme

L'Anarcha-féminisme

Messagede Pïérô » 27 Fév 2010, 10:13

Journées Anarcho-féministes, Barcelone

Barcelone : Journées Anarcho-féministes

Cette année - 2010 - la Confederación Nacional del Trabajo célèbre son centenaire
depuis sa fondation, dans un contexte très différent de celui d'aujourd'hui. Pour
cette raison, nous voulons analyser et réfléchir sur le cheminement que ce syndicat
de lutte de classes a suivi à travers son histoire et examiner son rôle aujourd'hui.
Il n'y a pas de doute que les gens qui ont été membres de la CNT ont pour la plupart
été des femmes et des hommes avec une capacité de pensée critique, parfois bien en
avant de leur temps, et il y a eu des fois où la CNT a joué un rôle vital, comme
dans la révolution sociale de 1936. Aujourd'hui, nous nous demandons comment la CNT
se considère comme un syndicat qui lutte contre toutes les formes de domination, et
particulièrement contre un système aussi important que le patriarcat, lequel avec le
capitalisme, inhibe la liberté de beaucoup d'êtres vivants et est en train de
détruire la planète.

Alors, ces Journées Anarcho-féministes émergent d'un besoin de divers femmes membres
de la CNT, d'observer le rôle vital que les femmes jouent dans le mouvement
anarchiste, pour réfléchir sur la connexion entre l'anarchisme et le féminisme, pour
faire face aux rôles de genre traditionnels des hommes et des femmes sur lequel le
patriarcat est basé.

La conférence sur les femmes et l'anarchisme sera l'occasion de se rapprocher des
réalités du militantisme pour les femmes. Nous avons pour but d'analyser, de
discuter et de souligner la participation et l'organisation des femmes qui
s'identifient avec les principes libertaires sans abandonner leur identité de genre.
Nous voulons voir les problèmes qui nous affectent, en tant que femmes, dans les
différents milieux où nous opérons : travail, éducation, organisation, santé,
émotions, etc? et les problèmes générés par une société capitaliste et patriarcale
comme la nôtre, qui nous affectent et affectent nos camarades.

Dans cet objectif, nous essaierons de traiter du sujet sur deux niveaux : un de ces
niveaux est notre propre situation en tant que travailleuses et militantes
syndicales dans un syndicat libertaire, lutte de classiste et révolutionnaire,
couvrant la perspective historique et les besoins que nous observons aujourd'hui. Le
second niveau est la participation féministe des femmes dans différentes
organisations qui cherche à contribuer au changement social. Nous sommes intéressées
à souligner ces luttes quotidiennes, les projets qui en résultent, les difficultés
qui existent et les contradictions que nous rencontrons. Nous souhaitons aussi
travailler sur ces aspects en collectant de multiples expériences du passé et
d'autres en cours aujourd'hui partout dans le monde.

Pour tenter de couvrir ces objectifs, nous avons organisé cinq thèmes :
1. Les femmes, le travail et le syndicat
2. Une référence historique : Les Mujeres Libres
3. L'Anarcho-féminisme : Les femmes organisées
4. Les femmes dans la presse et la diffusion de l'Idée
5. La diversité sexuelle et l'anarchisme

Toutes et tous sont invité-e-s à participer à notre/votre réflexion pour que nous
puissions tenter de se rapprocher pour réaliser notre/votre société utopique.

Que les pensées deviennent action.


PROGRAMME:

- Samedi 6 mars 11.00 a.m.

Les femmes et l'anarcho-syndicalisme: avec Ana Sigüenza (premiere secrétaire général
de la CNT) et Laura Vicente (Docteur en histoire contemporaine à l'Université
d'Alicante), auteure de "Teresa Claramunt. Pionera del feminismo obrerista
anarquista".

Lieu: Centre Cívic Drassanes - Sala d'Actes. C/Nou de la Rambla 43. ( L-3: Liceu,
Drassanes ó Paralel).

- Dimanche 7 mars 5.00 p.m.

Atelier - L'auto-gestion de notre santé (événement uniquement pour les femmes -
inscription préalable necessaire: libertariascnt@hotmail.com)

Lieu: Casa de la Solidaridad. C/Vistalegre, 15. ( L-2: Sant Antoni)

- Mercredi 10 mars 7.00 p.m.

Cineforum: "A la dérive (par des travailleuses précaires)" Auteurs: precarias a la
deriva.

Lieu: Espai Obert. C/Violant d'Hongria 71, 1º. ( L-5: Plaça de Sants i Badal; L-3:
Plaça del Centre)

- Vendredi 12 mars 7.00 p.m.

Théorie et pratique anarcho-féministe, avec La Katino Anarkista (membre de la Red
Anarcofeminista de Mujeres et créatrice de la publication "Alejandra") et Vanessa
Ortíz, du collectif Juana Julia Guzmán (Bogota).

Lieu: Fundació d'Estudis Llibertaris i Anarcosindicalistes - FELLA. C/Joaquin Costa
34. ( L-3: Catalunya ó L-1 i L-2 Universitat).

- Samedi 13 mars 5.00 p.m.

Femmes anarchistes et la diffusion de l'Idée, avec María Ángeles García Maroto,
journaliste et écrivain anarcho-féministe, membre du SOV d'Alcoi, et Antonina
Rodrigo, écrivain, auteure du livre "Amparo Poch y Gascón, médica y anarquista".

Présentation des publications féministes. RAG (Irlande), Herstory (Barcelone),
Histeria (Barcelone), Mujeres Preokupando 8 (Barcelone) et d'autres...

Lieu: Centre Cívic Pati Llimona. C/Regomir 3. ( L-3: Liceu ó L-4 Jaume I).

- Dimanche 14 mars 5.00 p.m.

Atelier d'auto-défense anarcho-féministe. Organisé par un groupe d'auto-défense de
Barcelone (événement uniquement pour les femmes - inscription préalable necessaire:
libertariascnt@hotmail.com).

Lieu: Casa de la Solidaridad. C/Vistalegre, 15. ( L-2: Sant Antoni)

- Vendredi 19 mars 7.00 p.m.

De libération des animaux, la libération de la terre et la libération des femmes.
Natalia, Maria, Isabella et Clara.

Lieu: Espai Obert. C/Violant d'Hongria 71, 1º. ( L-5: Plaça de Sants i Badal; L-3:
Plaça del Centre)

- Samedi 20 mars 5.00 p.m.

Mujeres Libres, hier et aujourd'hui, avec Martha Ackelsberg, professeur de Science
Politique et des Etudes de la Femme et de Genre à Smith College, Northampton, MA
(Etats-Unis) et auteure de "Femmes libres d'Espagne: La Lutte Anti-Patriarcale au
Sein du Mouvement Anarchiste", avec des camarades des Mujeres Libres de Extremadura
et Madrid.

Lieu: CCCB - Aula 2. C/ Montalegre, 5 ( L-3: Catalunya ó L-1 i L-2 Universitat).

- Vendredi 26 mars 7.00 a.m.

Genre, race et classe. Carla.

Lieu: Espai Obert. C/Violant d'Hongria 71, 1º. ( L-5: Plaça de Sants i Badal; L-3:
Plaça del Centre)

- Samedi 27 mars 11.00 a.m.

Diversité sexuelle et l'anarchisme: débat organisé par D-género, collectif
libertaire pour la libération sexuelle de Madrid, Karolina, Filipo Brenda et
Maricarmen.

Lieu: Centre Cívic Barceloneta. C/Conreria 1 - 9. ( L-4: Barceloneta).


* Les Ateliers sont pour les femmes seulement. L'inscription préalable est
necessaire - écrivez-vous à: libertariascnt@hotmail.com . Les dates des ateliers
peuvent changer. Dans ce cas, les participantes seront avisées par courriel.
D'autres ateliers peuvent être organisés si le nombre maximal de participantes est
dépassée.



Organisé par :
Comisión del CeNTenario (Barcelone)

Traduction francophone du Blog du Collectif Emma Goldman (UCL-Saguenay)
Lien: http://ucl-saguenay.blogspot.com/


http://www.cnt.es/centenario
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Anarcha-féminisme, perspectives de St Imier

Messagede Pïérô » 01 Fév 2013, 02:36

Rencontres de St Imier : Perspectives de l’anarcha-féminisme

Rencontres de St Imier : Perspectives de l’anarcha-féminisme

L’émancipation des femmes fut un élément de réflexion du mouvement anarchiste en construction réuni pour la première internationale antiautoritaire de 1872. Cent quarante ans plus tard, et alors que viennent de s’achever les rencontres de Saint-Imier, les femmes ont-elles pu se faire une place dans les luttes et au sein des organisations ?
Le programme des rencontres anarchistes de Saint-Imier qui se sont déroulées du 8 au 12 août, laissait l’impression que le féminisme était au cœur des préoccupations des organisateurs : un atelier de self-défense non-mixte, une conférence, mais surtout, prévues dans la grande salle de spectacle, signalées en gros dans le grand encadré rouge, des tables anarcha-féministes tous les jours ! Mais la réalité était autre et à Saint-Imier comme dans les luttes, les femmes furent largement sous-représentées dans un milieu où les hommes occupent presque toujours le devant de la scène. Aucune préparation n’avait été faite pour les tables et ce fut aux participantes et participants de se débrouiller avec ce vague intitulé. Les premières interventions pâtirent du manque de cadre. Mais les femmes ont décidées de faire les suivantes en non-mixité, et des propositions concrètes ont peu à peu émergé.

Les pratiques machistes ont la vie dure

Les discussions ont surtout porté sur les problèmes rencontrés au sein même des rencontres. Car les pratiques machistes ont la vie dure et ne s’arrêtent pas à la porte de nos mouvements : brouhaha, coupure de parole, invisibilité dans les débats, intimidation ou simple ignorance, les paroles des femmes ont du mal à se faire entendre.

Les femmes ont donc décidé de s’organiser pour intervenir collectivement. La lettre G, formée avec la main pour gender, devait signaler les situations de domination masculine, et un texte provocateur, lu lors de l’assemblée générale de clôture, les dénoncer. Des perspectives ont été lancées pour le courant anarcha-féministe : créer un réseau international par le biais d’une liste mail, écrire une charte et organiser des rencontres internationales d’ici deux ans. Le courant anarcha-féministe, avait été formalisé en 1992 lors de rencontres internationales qui avaient eu lieu aux côtés de celles des Fédérations anarchistes. Il vise à féminiser les pratiques anarchistes et porter les réflexions anarchistes au sein du féminisme, notamment sur la famille, les prestations sociales, etc. [1] Sur ces points, les rencontres de Saint-Imier ont été une véritable aubaine pour son développement. On peut regretter cependant qu’il n’y ait pas eu, lors des rencontres, de retour en mixité et que le débat n’ait porté que sur les problèmes internes sans aborder le fond, la question des revendications extérieures ou de la stratégie dans les luttes féministes. Malgré la volonté d’unité des femmes anarchistes, ces débats risquent de mettre en évidence de réelles divergences. Finalement, ces tables rondes, même mal préparées, seront les seules à donner des suites aux rencontres qui se sont finies sans déclaration commune des organisations.

Elisa (AL Toulouse)


[1] Sur l’anarcha-féminisme, voir l’article de la Commission Femmes de la FA « L’anarcha-féminisme », Réfractions, n°24, Printemps 2010, p. 41 à 50.

http://www.alternativelibertaire.org/sp ... rticle4977


140 ans après les premières rencontres de l'Internationale anti-autoritaire à Saint-Imier,
le combat des femmes anarchistes ne s'étiole pas !


Du 08 au 12 août 2012 s'est tenue à Saint-Imier (Jura Bernois, CH) une rencontre internationale des libertaires1. Il s'agissait en fait d'une commémoration de la première internationale anti-autoritaire qui fut organisée en 1872 en réponse à l'internationale de Marx2. Beaucoup des débats et événements organisés cet été à Saint-Imier ont permis de poser des états des lieux ou d'affirmer des positions. Pour autant, des espaces traitant de la lutte en France et dans le monde ont aussi existé, nous y avons échangé sur notre volonté de nous organiser, de peser sur la société dans laquelle nous vivons et d'élaborer des stratégies en conséquence.


De toutes ces journées, le lieu d'élaboration régulier et privilégié a été les tables rondes anarcha-féministes. Voyant émerger toute une série de réalisations et de projets, elles ont été une des réussites politiques d'envergure de ces rencontres. Les deux premières sessions des tables rondes ont été mixtes, les trois dernières furent des assemblées non-mixtes. Le besoin des anarchaféministes de se réunir en non-mixité a été une demande dès le premier jour et ce sont ces assemblées non-mixtes qui ont permis l'émergence de constructions politiques internationales. Tout au long de ces journées, les femmes anarchistes ont réaffirmé que le patriarcat, système politique où les hommes dominent, devait être attaqué en priorité.

Les assemblées ont permis d'aborder un certain nombre de thématiques sans pour autant avoir la possibilité de les mener au bout. Parmi elles, ont été évoqués la domination et rapports sociaux de sexe, les violences sexistes en milieu militant ou comment soutenir les victimes de la violence et comment combattre ces violences, les espaces à créer pour l'échange d'expériences, la nécessité de la formation politique pour nourrir nos pratiques, la nécessité de créer partout des collectifs locaux, les femmes et la crise, le soutien aux luttes féministes et LGBT...

Malgré les difficultés matérielles (traductions, photocopies...), les tables rondes ont tenu bon et ont permis d'élaborer les projets suivants :

- L'organisation d'un « safer space » sur les campings de Saint-Imier, afin d'accueillir les personnes souhaitant se mettre à l'abri des agressions sexistes durant les rencontres ;

- La rédaction d'un texte ironique concernant la teneur prétendument « féministe et/ou proféministe » des rencontres internationales anarchistes de Saint-Imier, à vocation d'être lu à plusieurs voix lors de la séance de clôture des rencontres. L'objectif était de se servir de la forme humoristique pour dénoncer toutes les catégories de problèmes rencontrées lors de ces rencontres : distinction genrée des prises de parole (mise en place du signe G de la main – v. encadré) , situations de violence sur les campings, place du féminisme dans la programmation des rencontres...

- La constitution d'une liste mail, fermée dans un premier temps (jusqu'à fin 2012), puis ouverte sur cooptation, dans le but de construire un blog anarchaféministe international. La mise en place de cette liste a été annoncée pour octobre 2012 ;

- La perspective de rencontres anarchaféministes internationales dans deux ans. À cette fin, nous avons rédigé un appel à vocation international (v. encadré) ;

- et enfin perspective d'élaboration d'une charte, non aboutie lors des rencontres.

La liste mail est aujourd'hui en ligne. Elle représente notre premier outil collectif et nous l'espérons le premier de beaucoup d'autres. Même si les femmes ne sont pas les seules exploitées dans une société inégalitaire et patriarcale, elles le sont en premier lieu, et les organisations anarchistes n'échappent pas à la société dans laquelle elles évoluent. C’est pourquoi, lors des rencontres internationales anarchaféministes du 2 mai 1992, il est apparu urgent « de revenir à une analyse de la domination et du rapport sexué »3. Cette analyse semble tout aussi urgente en 2012. « Il s'agit pour les femmes anarchistes de se réapproprier un espace et une expression anarchistes dont elles ont trop longtemps été privées. Ce n'est que justice. Nous, anarchaféministes, devons nous en donner les moyens. Écrire, prendre la parole, occuper l'espace partout et par tous les moyens à notre portée. Exister. Revendiquer notre droit à l'autonomie. Nous libérer sans attendre que l'on nous y autorise. Nous auto-organiser et ne pas lâcher prise »4.


Texte d'appel international

« Pendant les rencontres internationales de St Imier, plusieurs assemblées anarchaféministes se sont tenues. Elles ont affirmé plusieurs nécessités :

- La création de solidarités directes entre celles qui sont socialisées et ou qui s'identifient comme femmes ;

- La nécessité de créer des espaces non-mixtes pour s'organiser ;

- L'importance de notre autoformation et de notre autodéfense.

Afin de nous libérer de la domination patriarcale et de toutes les autres formes de domination, nous, assemblée anarchaféministe, appelons à l’organisation d'un réseau international et d'une rencontre d'anarchaféministes de tous les pays.

L'assemblée anarchaféministe réunie à Saint-Imier le 12 août 2012 »


Le signe G

La lettre G représente le mot « genre » (ou « gender » en anglais) : une notion qui permet d'analyser la distinction entre les sexes comme étant une construction sociale hiérarchique, et ainsi de remettre en question cette construction des différences attribuées aux hommes et aux femmes. Ce signe de la main, brandi silencieusement lors des débats ou tables rondes, a permis de rendre visibles des situations sexistes dans les prises de parole ou dans la gestion des prises de parole.


Maud (Groupe de Lyon), Aurore et Marie (Groupe de Lille), Julie et Louise (Groupe de la région parisienne), Anne (Groupe de Montpellier)

1 http://www.anarchisme2012.ch/

2 http://www.panarchy.org/jura/saintimier.html

3 http://chroniques-rebelles.info/spip.php?article235

4 http://www.c-g-a.org/?q=content/pour-un ... afeministe

http://www.c-g-a.org/?q=content/140-ans ... t-imier-le
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

AFem2014, conférence anarcha-féministe, Londres octobre 2014

Messagede Pïérô » 11 Jan 2014, 18:10

AFem2014 : une conférence anarchaféministe à Londres... Le 19 Octobre 2014.
Appel
Qui sommes-nous ?

Nous sommes un groupe d'anarchaféministes de différentes tendances, milieux et ayant parcouru des trajectoires variées, nous sommes réuni.e.s pour organiser un événement anarchaféministe. Nous voulons que celui-ci serve à transformer nos propres expériences et aide à renverser les institutions et les idées qui nous oppriment. ----

Qu'est-ce qu'AFem2014 ?

AFem2014 sera, nous l'espérons, la première d'une série de conférences internationales anarchaféministes. La nécessité d'un tel événement se fait sentir depuis longtemps dans les organisations anarchistes. Les tentatives pour nous empêcher d'agir, ridiculiser nos idées, nous attaquer physiquement ou nous insulter, nous ont conduit à une volonté de lutter contre la masculinisation de notre mouvement. Nous ne sommes pas assez représenté.e.s en nombre égal et souvent nous ne sommes pas pris.es au sérieux.

Si sur le papier nous sommes à égalité, nous rencontrons parfois une oppression au sein même de nos groupes ou organisations. Les obstacles s'opposant à notre entière participation politique demeurent intacts. Cela signifie que notre mouvement n'est pas véritablement « anarchiste ». Nous ne tolérerons plus cet état des choses.

De plus, à l'échelle de la société dans son entier, les soi-disant victoires des féministes sociales-démocrates n'ont pas mené à l'égalité. C'est le cas en termes législatif, économique, social et politique, ainsi que dans les relations interpersonnelles. Les réformistes les plus en vue et les partis de la gauche autoritaire ne font pas grand chose pour nous.

Nous souhaitons une conférence féministe qui aura à coeur l'anarchisme social et la lutte des classes, et cependant nous savons que le capitalisme n'est pas notre seul ennemi. Nous sommes tenu.e.s en échec et divisé.e.s par de nombreuses oppressions, qui s'entretiennent entre elles et se recoupent de façon complexe. Le racisme, l'handiphobie, la transphobie ainsi que les oppressions liées aux stigmates culturels, sont des formes souvent rencontrées, mais il en existe bien d'autres. Elles peuvent nous atteindre autant que l'exploitation économique, et parfois de façon plus immédiate.

L'anarchaféminisme n'est pas seulement une réponse à l'anarchisme et au féminisme. C'est une critique anti-autoritaire et anti-oppressive de la forme kyriarchique capitaliste (système dont la loi est celle édictée par les dominants) et une arme qui peut nous servir au quotidien. Nous espérons explorer les intersections entre les oppressions, développer une théorie, apprendre des autres et en tirer à des résultats pratiques.

Avons-nous besoin d'une conférence pour faire cela ?

Des anarchaféministes à Saint-Imier en 2012 se sont accordées sur le besoin d'une telle conférence, mais cela était resté lettre morte. Ce qui ne signifie pas que nous n'en avons pas besoin. La grande fréquentation anarchaféministe à Saint-Imier et aux salons du livre international le démontre bien. Nous voulons établir une continuité à travers cette conférence, en construisant année après année grâce à la transformation de nos expériences. Nous ne voulons rompre avec ces réunions stériles, qui se répondent en se répétant, en accomplissant pas davantage. Nous voulons construire en renversant les institutions et les idées qui nous oppressent.

A qui cette conférence est-elle ouverte ?

Cette conférence n'est pas ouverte aux hommes cisgenres, c'est-à-dire des personnes se vivant comme homme et dont le genre masculin correspond à celui assigné à la naissance. Elle s'adresse aux personnes en tous genres et d'aucun genre, et espère inclure activement les personnes trans, genderqueer, genderfluid et non-binaires, ainsi que les femmes cisgenres. Nous ne jugerons pas de la présentation de genre des personnes, mais n'hésiterons pas à répondre aux comportements et attitudes transphobes, cissexistes ou binaristes.

Comment se déroulera la conférence?

Nous proposons que des thématiques soient établies, avec des résultats à la fin de la conférence que nous pourrons développer par la suite. Nous invitons tout le monde à initier des réunions et des thématiques, en se centrant sur l'analyse et l'action anarchaféministe. Ces thématiques doivent inclure celles auto-organisés par des personnes trans, genderqueer, genderfluide et non-binaire, des personnes de couleur, des travailleur.ses du sexe, des personnes en situation de handicap et des personnes en situation de troubles de santé mentale. Nous nous engageons à faire ce que l'on peut pour inclure différentes personnes dans l'organisation, donc ces thématiques seront soutenues et recevront des ressources en priorité par le projet général. La conférence aura également une politique d'espace plus sécurisant ou « safer space policy », qui sera explicite et sera respectée, afin de soutenir la participation pleine et libre de toutes les personnes.

Qu'entendons-nous par « internationale » ?

Dans de nombreux pays, la maîtrise de la langue anglaise est un avantage économique et social. Dans beaucoup de cercles anarchaféministes, les personnes ne comprenant pas l'anglais sont de fait en position de pouvoir ( accès aux ressources d'information, opportunités de développer son réseau). Le fait que la conférence se tienne à Londres va exacerber le problème déjà rencontré à Saint-Imier, où les Français et les Anglais composaient la majorité et les personnes parlant d'autres langues étaient rarement entendues. Nous devons êtres conscient.e.s des efforts à faire afin de permettre un accès égal aux personnes maîtrisant peur l'anglais, et nous devrons informer les gens avant qu'ils engagent leur temps et ressources dans ce projet.

Rejoignez-nous et participez !

Les relations entre les anarchaféministes et les organisations anarchistes sont variées : de celles qui cherchent à les changer en interne, à celles qui ont renoncé, qui ont été exclu.e.s de celles-ci, ou qui n'ont jamais exprimer un intérêt au sein de celles-ci. Initialement dans le groupe d'organisation, la Fédération Anarchiste anglaise était surreprésentée. Depuis nous avons fait des efforts pour résoudre ce problème, afin de faire d'AFem2014 une initiative de divers horizons, véritablement ouverte à tout le monde, que ce soit des anarchaféministes isolé.e.s, des membres de collectifs anarchaféministes, et des militant.e.s d'organisations anarchistes, grandes ou plus modestes.

Nous avons beaucoup à accomplir, et nous vous invitons à vous impliquer pour donner une forme à cet événement, idées, concepts, et questions pratiques d'organisations sont bienvenus. Nous recherchons activement l'engagement des personnes de couleurs, trans, queer, gender fluid et personnes non binaires, travailleurs/euses du sexe et personnes handicapées, et nous ferons tout notre possible pour soutenir cet engagement de personnes diverses dans notre organisation.

S'il vous plaît, faites circuler ce texte autour de vous et dans vos réseaux et prenez contact si vous êtes en accord avec ce qui précède et que vous souhaitez rejoindre le groupe organisateur, en individuel, ou comme délégué.e, y compris si vous voulez donner un coup de main ou aider à organiser un aspect spécifique.

En espérant bientôt travailler avec vous...

Les organisatereurs/trices de l'Afem2014


Contact : Email: afem@afed.org.uk

http://www.ainfos.ca/fr/ainfos10721.html
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

L'Anarcha-féminisme

Messagede bipbip » 30 Avr 2014, 01:15

Eléments sur l'anarcha-féminisme

Eléments sur l'anarcha-féminisme

Anarchisme et féminisme sont parfois présentés comme deux notions qui iraient naturellement ensemble. Pourtant les liens entre les deux mouvements n'ont pas toujours été évidents. La notion d'anarcha-féminisme semble accréditer l'existence d'un courant historique féministe au sein de l'anarchisme, pourtant cette notion est d'introduction relativement récente.

La controverse Proudhon-Déjacque

Proudhon, premier penseur à revendiquer positivement la notion d’anarchie pour désigner sa pensée politique, s’oppose au mouvement d’émancipation des femmes (Proudhon, La pornocratie, 1875), tandis que Joseph Déjaque en fait la condition de toute pensée libertaire (Déjaques, Lettre à Proudhon, 1857). Pourtant, malgré ses vues traditionnelles sur cette question, Proudhon avait souligné le fait que l’autorité patriarcale du père sur sa femme et ses enfants constituait probablement le modèle du pouvoir théologique, politique et économique : Dieu le père, le roi assurant une protection paternelle à ses sujets ou encore le paternalisme patronal. Ainsi écrit-il dans Idée générale de la Révolution au XIXe: « La forme sous laquelle les premiers hommes ont conçu l'ordre dans la société est la forme patriarcale ou hiérarchique, c'est-à-dire, en principe, l'autorité, en action, le gouvernement » (Proudhon, 1851).

Mais c’est sans doute sous l’influence du fouriérisme, sensible dans la pensée de Joseph Déjaque, que s’introduit dans le mouvement anarchiste l’affirmation que l’émancipation des femmes constitue une dimension d’une société émancipée. Ainsi Déjacque accuse Proudhon de ne pas aller jusqu'au bout de ses positions anarchistes sur deux points : l'émancipation des femmes et le communisme économique. Ces deux positions sont liées. En effet, Proudhon est opposé au communisme économique car il pense que cela va remettre en cause la liberté individuelle : pour lui, le maintien de la propriété permet de maintenir une espace de liberté individuelle face à l'Etat et à la communauté économique.

Déjacques ne se fait pas la même idée du communisme que Proudhon. Il ne pense pas à un communisme autoritaire organisé par l'Etat. Il voit le communisme comme la mise en commun économique de biens dont chacun peut disposer à sa guise. Si Proudhon est opposé au mouvement d'émancipation des femmes, c'est qu'il l'associe à une forme de communisme sexuelle : une mise en commun des femmes dont chacun pourrait disposer librement. A l'inverse, pour Proudhon, le maintien de la famille patriarcale permet de maintenir un espace privée qui échappe aux poids de la communauté.

Déjacques ne voit pas les choses ainsi. Il est opposé au mariage et à la famille partriarcale. Il pense qu'il ne peut y avoir de réelle égalité économique que s'il y a remise en cause du système capitaliste, mais également s'il y a émancipation des femmes. Cela implique pour lui non seulement le communisme économique, mais une égale liberté sexuelle accordée à la fois aux femmes et aux hommes. Il s'agit pour lui d'abolir la propriété privée économique non seulement dans l'ordre économique, mais également dans l'ordre de l'amour.

Il est possible de remarquer que dans cette controverse s'affronte deux conceptions de l'être humain, de ses rapports avec autrui et de la liberté. Proudhon reprend un argument traditionnel de la philosophie politique libérale. La propriété privée constitue une protection pour la liberté individuelle car autrui est conçu comme une limite à ma liberté : ma liberté s'arrête là où commence celle d'autrui. La liberté est conçu comme un espace privée qu'autrui ne doit pas empiété.

Déjacques a une toute autre conception de la liberté. Sa conception de la liberté est liée à la solidarité. Les êtres humains sont d'autant plus libres qu'ils mettent en place des relations de solidarités et d'égalité les uns avec les autres. En effet, ces relations augmentent leur capacité d'agir alors que seules ils sont moins libres et moins puissants. C'est pourquoi Déjacques accuse Proudhon de rester libérale, de ne pas être totalement anarchiste, ou comme il le dit, libertaire.

La question féministe dans le mouvement anarchiste

Anarchisme et féminisme de Balounine aux Mujeres libres

Cette conviction féministe, mise en avant par Déjacques, est présente aussi bien chez Bakounine par exemple que chez Emile Pouget même, si elles prennent les formes d’un féminisme différentialiste, comme en témoigne le chapitre XXX,intitulé « La libération de la femme » de Comment ferons nous la révolution (Pouget et Pataud, 1909).

Néanmoins au sein du mouvement anarchiste, les rapports entre anarchisme et féminisme ne sont pas avant tout l’objet d’une théorisation, mais d’une pratique. Car l’anarchisme, dont la base est constituée par l’action directe – qui désigne toute forme d’action sans représentants qu’elle soit légale ou illégale, violente ou non violente -, est une pratique avant d’être une théorie. Ce que les militantes anarchistes qualifient par la suite d’anarcha-féminisme se traduit en particulier au sein du mouvement anarchiste individualiste, durant la Belle Epoque, comme le montre les travaux d’Anne Steiner (Steiner, 2008), et durant l’Entre-deux guerre en France, mais aussi par exemple aux Etats-Unis, à travers en particulier les pratiques et la propagande néo-malthusienne qui défendent l’éducation sexuelle ou la contraception. Au travers des notions d’amour libre et plural, ce qui est mis en pratique, c’est une égale liberté sexuelle pour les femmes et la critique du mariage comme une forme de prostitution. Néanmoins, la division du travail domestique, dans les milieux libres anarchistes individualistes, n’est pas remise en cause (Steiner, 2007).

Autre exemple souvent rappelé des liens entre anarchisme et féminisme, le cas des Mujeres libres en Espagne (Chueca, 2001 ; 2010) qui constitue un groupe de femmes libertaires durant l’Entre deux-guerre. Cet exemple montre néanmoins comment les rapports sociaux de sexe traversent le mouvement anarchiste. En effet, les Mujeres libres ne parviennent pas à se faire reconnaître comme une branche spécifique du mouvement libertaire à égalité avec la CNTi, la FAIii et la FIJLiii. De même, si elles participent initialement aux combats durant la Guerre d’Espagne, Durrutti, sous la pression du Parti Communiste, leur interdit dans un second temps d’intervenir comme combattantes. Bien que la CNT soit une organisation qui revendique la lutte des classes, les Mujeres libres n’ont pas une analyse matérialiste des rapports sociaux de sexe, en termes de classe de sexe, mais universaliste.

L'émergence de l'anarcha-féminisme

Il faut attendre la seconde vague du féminisme, dans les années 1970, pour que commence à se théoriser de manière plus approfondi le lien entre féminisme et anarchisme sous la forme d’un lien entre oppression étatique et oppression des femmes. C’est le cas de Françoise d’Eaubonne (Eeaubonne, 1978), qui conceptualise plus largement l’éco-féminisme, ou encore de la sociologue canadienne Nicole Laurin-Frenette (Laurin-Frenette, 1981).

En France, la Commission femme de la FAiv (Claude, 2004) assure la continuité d’une réflexion et d’une action féministe anarchiste qui prend le nom d’anarcha-féministe. L’anarcha-féminisme apparaît comme une reconstruction a posteriori de l’histoire de l’anarchisme comme présentant un courant théorique féministe à travers les figures et les écrits de Louise Michel, de Voltayrine de Cleyre ou encore d’Emma Goldman pour citer les militantes de l’histoire de l’anarchisme les plus souvent intégrées sous l’étiquette d’anarcha-féministev. La commission femme de la FA organise ainsi un colloque international en 1992 sur l’anarcha-féminisme. Il est intéressant de constater qu’à cette époque l’on ne parle pas encore d’anarcha-féminisme, mais d’anarcho-féminisme (Guignat, 1992). Cette commission anime également sur Radio libertaire une émission, Femmes libres.

Dans les années 1990 se développe à Lyon une mouvance anarcha-féministe, dont l’une des figures marquante est Léo Thiers Vidal. Proche du milieu squatt et anti-spéciste, cet anarcha-féminisme fait référence également au féminisme matérialiste de Christine Delphy. La constitution au sein de la FA de groupes proches de ces positions fut une des causes d’une crise importante au sein de cette organisation et de manière générale dans le milieu anarchiste lyonnaisvi. Par ailleurs, à partir des années 1980, la lutte contre les anti-IVG fait que cette question est appréhendée dans les organisations et les milieux anarchistes, moins comme une lutte féministe, que comme une lutte anti-fasciste, marquée par un certain virilisme. Le milieu autonome anti-fasciste s’inscrit également dans des pratiques liées au milieu squatt. Avec l’introduction du queer en France dans les années 1990, le milieu squatt se revendiquant de l’anarcha-féminisme intègre progressivement les problématiques TPG (Transpédégouine) comme le montrent les productions des brochures des infokiosques. Même si comme le relève la thèse de doctorat de Julie Abbou sur les brochures anti-sexistes libertaires (Abbou, 2011), les positions des actrices vis-à-vis du queer sont parfois plus ambivalentes. On peut ainsi distinguer en France actuellement au moins trois expressions du féminisme dans les milieux anarchistes. La première est celle de la Fédération anarchiste, qui comme l’a montré Simon Luck dans sa thèse de doctorat (Luck, 2008), est une organisation davantage tournée vers le maintien d’une mémoire et d’un héritage anarchiste historique, et qui défend donc une forme de féminisme universaliste. La seconde est celle des milieux squatt où s’exprime en particulier une affinité avec le queer dans le désir de mettre en pratique dans la vie quotidienne un autre rapport au genre et à la sexualité. Enfin, dans des organisations communistes libertaires tels qu’Alternative libertaire et la CGA (Coordination des groupes anarchistes), il s’agit plutôt d’un féminisme où la dimension matérialiste et intersectionnelle des rapports sociaux de sexe est mise en avant.


Notes :

i Confédération nationale du travail

ii Fédération anarchiste ibérique.

iii Fédération ibérique des jeunesses libertaires.

iv Fédération anarchiste.

v Certains vont jusqu’à remonter à Mary Wollstonecraft dont le conjoint, William Godwin, est cité parmi les précurseurs de l’anarchisme.

vi On trouvera sur cette page Internet outre des liens vers des textes de Leo Thiers Vidal, des liens sur les conflits entre anarcha-féministes et anarchistes à Lyon: http://1libertaire.free.fr/LeoThiersVidal10.html

http://iresmo.jimdo.com/2014/04/20/elem ... A9minisme/


Féminisme et Anarchie

Commission des femmes, Fédération Anarchiste 1970

Le 20 avril 1870, Serge Netchaîev écrit en collaboration avec Ogarev une proclamation intitulée : "L'association révolutionnaire russe aux femmes" dans laquelle il est dit : "L'histoire du développement juridique des sociétés humaines vous a mises partout dans un état de suggestion absolue vis-à-vis de l'homme. Elaborant lui-même les lois sociales, n'ayant en vue que ses propres intérêts, l'homme vous a fait auprès de lui une place de concubine on de servante. Toutes les lois sont rédigées dans un tel esprit que la femme la plus douée est considérée comme inférieure à l'homme le plus niais."

Deux ans plus tôt, Bakounine avait résumé le problème de la femme en envoyant au troisième congrès de l'A.I.T. une lettre dans laquelle il disait : "Au nom de l'affranchissement intellectuel des masses populaires, au nom de l'affranchissement économique et social des peuples, nous voulons, premièrement, l'abolition du droit de la propriété héréditaire, deuxièmement, l'égalisation complète des droits politiques et sociaux de la femme avec ceux de l'homme, troisièmement, l'abolition du mariage en tant qu'institution religieuse, politique et civile, etc."

Un siècle plus tard, les mouvements féministes reposent avec acuité le problème de l'égalité de la femme avec l'homme. Déjà en 1905, E. Reclus écrit dans "l'Homme et la Terre" : Evidemment toutes les revendications de la femme sur l'homme sont justes". Le masculin l'emporte sur le féminin : c'est une des règles de notre grammaire mais c'est aussi l'une des bases fondamentales de notre société. Dans les relations humaines, ce critère est inscrit profondément dans la structure de pensée des individus ; d'un côté les hommes qui veulent préserver leurs prérogatives et conserver ce qu'ils conçoivent comme un avantage que la nature leur a donné, de l'autre, la passivité des femmes qui acceptent docilement la place qui leur est laissée et qui collaborent inconsciemment au rôle que leur a déterminé la société.

La femme qui accepte la position qui lui est destinée accepte ainsi le rôle de courroie de transmission des sociétés capitalistes et impérialistes.

Elle fait d'elle-même son propre bourreau et devient le bourreau de ses enfants en commençant à leur inculquer l'esprit d'obéissance aux parents qui les mènera à la soumission aux chefs et à l'ordre établi au détriment de leur individualité et au profit de cet ordre. La hiérarchie de sexes existe de fait et oblige les individus à vivre des rapports inégalitaires.

Tous les apôtres du phallocratisme et les assoiffés de pouvoir ont essayé de justifier la dépendance, l'obéissance et l'infériorité de la femme par rapport à l'homme. Ces thèses, profondément racistes, ont bien sûr été reprises par tous ceux qui trouvaient ou qui pensaient trouver des avantages à cette situation. C'est en partie sur la différence de force physique qui existe entre les hommes et les femmes que certains ont bâti une théorie où jamais n'entre l'égalité dans la différence.
Nous pourrions répliquer à ceux qui se réclament encore de ce principe qu'entre les hommes eux-mêmes il y a aussi une différence de force physique et que celui qui soulève 100 kilos n'est en rien supérieur à celui qui ne peut en lever que 50, et que prendre la différence que la nature fait entre les hommes et les femmes, et même, comme nous l'avons vu, entre les hommes eux-mêmes, afin d'en appliquer une théorie de l'infériorité, est une aberration et une pratique réactionnaire qui peut aller jusqu'à cautionner le racisme.

On a voulu faire croire, et on a réussi à démontrer qu'en fonction de sa nature la femme ne petit avoir d'autres fonctions que celle de reproductrice des enfants que l'homme lui fait. On a essayé et on a réussi à lui faire avaler que le rôle d'éducatrice est une confiance, presque une faveur, que l'homme lui accorde et qu'il est dans sa nature de tenir le foyer familial, ce qui permet à l'homme de sauvegarder sa "liberté".

L'homme du peuple a toujours repris les conceptions aberrantes que lui fournissent abondamment ses penseurs les plus sérieux et les plus autorisés, fier et heureux de n'être pas complètement en bas de l'échelle de la hiérarchie.

A l'heure actuelle, les capitalistes et les impérialistes d'Est et d'Ouest veulent assurer leur continuité par l'entretien d'une classe régnante sur une classe à exploiter pour son profit, et par la domination de l'homme sur la femme, continuité de la société patriarcale dont les structures font de la femme la propriété de l'homme en perdant son identité par le mariage qui la fait passer de l'autorité paternelle à celle du chef de famille (et il en sera de même pour sa fille et ainsi de suite...).

Ainsi commence avec la famille patriarcale le type de structure sociale du système capitaliste et étatique. Il faut un chef de famille responsable, qui exerce par sa domination de chef sa domination sur sa femme et ses enfants selon l'idéal voulu et entretenu, de même qu'il faut un patron-chef, un chef d'Etat, un Etat-chef, ordre hiérarchique qui sévit depuis des millénaires.

Nous savons que dans la société tous les prétextes que prennent les individus pour justifier l'exploitation, la domination qu'ils exercent sur une classe, un sexe, un groupement, un autre individu, ne tiennent que dans la mesure où cette classe, ce sexe, ce groupement ou cet individu subissant cette exploitation ou cette domination n'ont pas pris conscience de cette réalité.

La négation de cette réalité sociale prend sa source dans la révolte de l'individu face à sa condition. Toute notre histoire nous apprend que l'être humain s'est toujours révolté face à une situation d'injustice. Ces révoltes collectives ou individuelles qui naissent d'un désir plus ou moins conscient de vivre d'autres rapports ne donnent pas toujours lieu à des acquis pour ceux qui se révoltent. *

Le grand rassemblement que désirait le mouvement féminin prit le départ après Mai 1968 et s'inscrivit dans une analyse d'où résultait la volonté de rassembler toutes les femmes de la société sans distinction aucune, partant du principe que toute femme, quelle que soit sa position sociale, subit à un degré ou à un autre la domination de l'homme et que cette subordination dé la femme est une des bases du système capitaliste.

Rapidement se fit jour à l'intérieur de ce mouvement des divergences idéologiques. Certaines souhaitent articuler dans une perspective marxiste l'analyse de l'oppression des femmes avec l'analyse de classe de la société capitaliste, s'opposant à celles qui considèrent le patriarcat en soi comme une structure que l'on retrouverait à tous les stades de l'histoire et qui déclarent que la lutte révolutionnaire doit s'attaquer au patriarcat plutôt qu'au capitalisme, celui-ci n'en étant que la représentation historique.

D'autres encore, se déclarant contre tous les "ismes" (humanisme, idéalisme, socialisme), puisque contre toute idéologie, pensent que "la politique consiste à chasser le phallus de sa tête". Ces trois principaux courants comportent une réalité plus complexe faite de fluctuations et entrent facilement dans le spontané avec ses contradictions et souvent dans l'inorganisé. Tous ces mouvements idéologiques ou non se rejoignent sur un point: le refus d'accepter les hommes dans leurs luttes estimant que malgré toute la bonne volonté que peuvent manifester certains hommes, ils restent les oppresseurs de la femme.

Les revendications des différents mouvements féminins ont apporté une prise de conscience de plus en plus importante parmi les femmes et sont arrivées jusqu'à une répercussion générale inévitable, même si certaines se sont exprimées par une violence anti-mâles ou que d'autres ont limité leurs luttes à des revendications spécifiques telles que : contraception, avortement, crèches, égalité des salaires. Si ces mouvements féminins ont fait ressortir les problèmes inhérents à la société, ils ne sont cependant pas allés jusqu'à remettre la société, ils ne sont pas allés jusqu'à remettre la société tout entière en cause ; tout au plus ont-ils posé leurs problèmes en tant que lutte des classes en considérant que l'homme représente la classe bourgeoise et la femme le prolétariat.

La révolte des femmes représentée par les mouvements féministes a eu le mérite de poser le problème autrement qu'en terme de lutte de classe, unique moteur de l'histoire vu par les marxistes, en faisant ressortir le problème d'un type d'exploitation économique autre le travail non rétribué des femmes à la maison), car il permet la reproduction de la force de travail de l'homme.

Le capitalisme a besoin idéologiquement de cette forme d'organisation de la société ; afin de détruire les barrières de classe, en mettant tous les hommes dans le même sac au nom de la virilité régnante ; afin de masquer l'exploitation de l'ouvrier en lui assignant un rôle dominant dans la famille, sur la femme et les enfants ; afin d'institutionnaliser les rapports de domination subordination, de hiérarchisation au sein de la structure familiale.

C'est par la révolte des femmes et non par leur attente passive que se fera leur libération, car la révolte est le premier acte de liberté qu'accomplit l'individu et, par conséquent, sa première manifestation vraiment humaine et libre. En se révoltant, la femme pose le problème de l'égalité et "nous le savons, l'égalité n'est possible que par la liberté ; pas cette liberté exclusive des bourgeois qui est fondée sur l'esclavage des masses et qui n'est pas la liberté mais le privilège ; mais cette liberté universelle des êtres humains qui élève chacun à la dignité humaine.

Nous savons aussi que cette liberté n'est possible que dans l'égalité.

Révolte non seulement théorique mais pratique contre toutes les institutions et contre tous les rapports sociaux créés par l'inégalité, puis l'établissement de l'égalité économique et sociale par la liberté de tout le monde" (1).

La révolte des femmes pose donc le problème de la contradiction de l'homme qui désire son émancipation en tant qu'exploité dans la société et qui refuse l'émancipation de la femme de la tutelle masculine comme condition primordiale de son exploitation. Aucun être humain ne peut prétendre à la liberté si lui-même se pose comme barrière à la liberté d'autrui. Nul ne peut se prétendre libre si sa liberté est une atteinte à la liberté humaine dans sa globalité, car la liberté individuelle n'existe que si elle a pour corollaire systématique la liberté collective.

Le problème de la libération de la femme se situe à deux niveaux :

- Le refus de continuer d'accepter le rôle traditionnel que la société désire lui voir jouer, mais aussi de poser le problème relationnel avec l'homme, c'est-à-dire de refuser les relations de subordination, de domination et surtout de hiérarchisation Qui existent actuellement, en contraignant l'homme à rejeter les prérogatives que cette société lui impose comme nécessaires à la survie de celle-ci qui l'exploite à un autre niveau. L'homme qui entreprend l'effort de rejeter le rôle traditionnel Que la société lui impose comme faisant partie de sa nature forte et virile, pour vivre des rapports égalitaires avec la femme, tout comme la femme qui se révolte contre la situation qui fait d'elle le dernier barreau de l'échelle de la hiérarchie posent le problème de l'égalité dans la différence et accomplissent un acte révolutionnaire.

- Le fait est que l'on retrouve des femmes dans toutes les classes sociales, mais si l'ouvrière se libère puisqu'elle n'a rien à perdre et tout à gagner, il en va autrement des intérêts des femmes de la classe bourgeoise, car, si elles accomplissent leur révolte de femmes face à l'homme, elles affaiblissent les structures de la société sur lesquelles s'appuie la lutte des classes. Il est clair que si la bourgeoisie refuse l'autorité de son mari et le rapport que la société lui impose comme femme, elle doit aussi refuser le rôle d'exploitation et de domination qu'elle joue au sein de la classe privilégiée si elle veut être conséquente, logique et honnête avec elle-même et les autres. La révolte de la femme bourgeoise en tant que femme doit aller de pair avec son refus de collaborer sous toute forme à une exploitation dont elle cherche à se débarrasser à un autre niveau. il va sans dire que cette double démarche qu'elle doit accomplir n'est pas prés de se réaliser car, finalement, la bourgeoise préfère, lorsqu'elle en a conscience, préserver ses privilèges de classe et accepter la place qu'on lui laisse en tant que femme.

Dés cet instant, les intérêts des femmes bourgeoises et ouvrières ne se recoupent pas puisqu'elles ne peuvent pas être solidaires entre elles. La libération de la femme doit dépasser largement le cadre de sa propre émancipation pour arriver à celle, plus vaste, de l'humanité tout entière sous peine de mourir de sa spécificité. La lutte des femmes n'étant qu'une lutte parmi d'autres dans la société, tous les éléments étant indissolublement liés et s'interférant, elle s'inscrit de plain-pied, comme toutes les luttes spécifiques qui tendent à poser les bases d'une société différente, dans les fondements d'une société à caractère anarchiste. Le refus des mouvements féministes de voir en l'homme un être humain capable de se libérer et de refuser le pouvoir que la société lui procure, en considérant ce pouvoir comme une aliénation pour lui-même, est un refus de concevoir l'homme comme capable de se révolter contre une injustice qui l'oblige à vivre en contradiction avec ses sentiments, ses désirs et sa nature profonde.

Qu'on le veuille ou non, la libération de la femme engendre la libération de l'homme.

Qu'on le refuse ou qu'on l'accepte, on ne fera pas taire la révolte et la soif d'égalité qui existent chez tout individu pour qui la liberté, sa liberté, n'existe qu'en fonction de la liberté des autres. Il serait trop facile de croire que cette évolution peut se faire sans heurts et sans craquements dans la baraque vermoulue qu'est la société capitaliste. La difficulté qu'a l'être humain à se prendre en charge et à remettre en question la base de ses relations humaines ne peut permettre de faire cette évolution sans douleur. L'accouchement progressif d'un comportement différent s'accompagne quelquefois d'une césarienne. La libération de la femme ne doit pas non plus tendre vers une uniformisation de la personnalité. La révolte de la femme, comme celle de l'homme, doit être liée à la découverte de sa propre individualité. C'est la diversité des capacités et des forces, les différences d'ethnies, de sexes, de mœurs qui, loin d'être un mal social, constituent la richesse de l'humanité.

C'est la possibilité donnée à l'être humain d'être lui-même qui constitue la base d'une société anarchiste. "Le vieux monde des Etats fondés sur la civilisation bourgeoise avec son complément indispensable : le droit de la propriété héréditaire et celui de la famille juridique, s'écroule pour faire place au monde international et librement organisé des travailleurs", écrit Bakounine.

Les femmes doivent en effet se débarrasser du carcan juridique et moral du vieux monde et apprendre qu'elles ne sont pas la propriété de l'homme mais d'elles-mêmes. Il dit encore : "Après l'anthropophagie est venu l'esclavage, après l'esclavage le servage, après le servage le salariat auquel doit succéder d'abord le jour terrible de la justice et beaucoup plus tard l'ère de la fraternité."

Les femmes vivent encore leur temps de servage, à elles de s'en libérer.

Le présent doit tirer ses leçons d'un passé vers un avenir qui dépassera ce passé non pas dans sa continuité, mais vers un avenir qui fera l'éclatement d'une nouvelle société.
Par leur libération, les femmes feront œuvre par la terrible justice qui reste encore à faire et qui mènera hommes et femmes à l'ère de la fraternité.

Commission des femmes, Fédération Anarchiste 1970

(1) Bakounine.

Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Histoire et actualité de l’anarcha-féminisme: Les leçons de

Messagede digger » 26 Mai 2014, 11:55

Mis en ligne avec l’autorisation de Maria . Comme pour d’autres textes mis en ligne, celui-ci peut renvoyer à des notes d’autres espaces de publication.

Histoire et actualité de l’anarcha-féminisme: Les leçons de l’Espagne
Marta Iniguez de Heredia


Texte original : History and actuality of anarcha-féminisme: lessons from Spain

Anarcha-féminisme est, finalement une tautologie. L’anarchisme cherche la libération de tous les êtres humains de toutes les sortes d’oppression et un monde sans hiérarchie, où les gens s’organisent librement et autogèrent tous les aspects de la vie et de la société sur la base de l’horizontalité, de l’égalité, de la solidarité et de l’aide mutuelle. Par conséquent, une telle lutte implique nécessairement de travailler à changer les relations hiérarchiques entre les sexes, ce qui revient à dire que l’anarchisme est un type spécifique de féminisme.

L’anarcha-féminisme, compris dans ce sens, soulève plusieurs questions : Est-ce que l’anarcha-féminisme existe réellement? Est-ce que ce terme contribue d’une quelconque manière à l’anarchisme? Comment peut-il être utile aujourd’hui ? Que peut-on améliorer?
.
Dans ce qui suit, je soutiendrai qu’il existe depuis longtemps un mouvement anarcha- féministe. En particulier, je traiterai de la contribution du mouvement Mujeres Libres, un groupe anarcha-féministe actif durant la guerre civile espagnole, de 1936 à 1939. Bien que de nombreuses anarchistes, y compris au sein de Mujeres Libres, rejetait ce la bel de féministe, considéré comme une idéologie de la bourgeoisie 1, et bien que je ne me revendique pas moi-même de l’anarcha-féminisme parce que je prétends que l’anarchisme est ce qui décrit le mieux mon féminisme, je pense que l’anarcha-féminisme est utile à la fois comme notion et comme pratique dans les mouvements anarchistes et féministes. En ce qui concerne les premiers, l’anarcha-féminisme peut servir à ‘populariser’ la lutte féministe et des genres, et donc à rendre la pratique anarchiste plus cohérente avec la théorie. En ce qui concerne les derniers, l’anarcha-féminisme peut contribuer à d’autres critiques et luttes féministes contre l’oppression des genres.

L’Espagne offre un bon terrain d’études sur l’histoire et la pertinence de l’anarcha-féminisme. Elle a connu trois périodes de prise de conscience intense quand au genre, à la fois au sein du mouvement anarchiste dominé par les hommes, et dans la société en général. Durant la première période, à la fin du dix-neuvième siècle, les anarchistes ont développé une critique du patriarcat , bien que celle-ci fut souvent reléguée aux périphéries du mouvement anarchiste. La seconde période, qui couvre le début du vingtième siècle, peut être considéré comme la naissance et l’apogée du mouvement anarcha-féministe. Ce fut à ce moment que les Mujeres Libres furent actives. Enfin, la troisième période , post-dictatoriale jusqu’à nos jours, révèle une disposition au sein du mouvement anarchiste de relativiser l’importance de combattre l’oppression de genre ici et maintenant. Cette tendance souligne l’importance permanente de l’anarcha-féminisme.

Durant les deux premières périodes, les anarchistes appelaient cela la ‘question de la femme’ alors qu’aujourd’hui, ils parlent d’oppression de genre et de patriarcat.2 Bien que le langage a changé au cours du temps, ces trois périodes partagent trois thèmes :une critique de la restriction du rôle des femmes dans la société à celui de reproduction; une critique de la position de seconde classe des femmes dans la société en général et au sein du mouvement anarchiste; et, le plus important, une stratégie d’encouragement des femmes à participer pleinement aux luttes anarchistes. Mujeres Libres appelait ce processus capacitación, j’y reviendrai plus tard 3

La Capacitación faisait partie d’un processus que j’appellerai ‘intégration du genre’. L’intégration signifie littéralement incorporer quelque chose ou quelqu’un dans le ‘courant dominant’. Ce courant dominant, dans l’anarchisme, n’ a rien de conventionnel ou de conservateur, mais représente plutôt la lutte contre le capitalisme et l’état. Une lutte destinée à mettre fin à toutes les formes d’oppressions, incluant le racisme, l’homophobie et la patriarcat. Donc, dans ce contexte, intégrer le genre signifie mener la main dans la main, le combat contre l’oppression de genre et contre le capitalisme et l’état. Cela peut paraître maladroit d’utiliser le terme ‘intégration de genre’ dans ce contexte, considérant son utilisation par les libéraux, les réformistes et les conservateurs dans les couloirs des Nations-Unies .4 Le terme, cependant, a été popularisé par les critiques féministes de la politique de l’ONU depuis le milieu des années 1970, demandant que l’oppression de genre soit plus centrale dans les politiques de l’organisation et que les femmes soient encouragées à participer au travail contre les inégalités de genre.5 Si nous comprenons l’intégration de genre en ce sens, le terme est utile pour comprendre les revendications des anarcha-féministes.

Cet article essaie de contribuer à la fois à la somme relativement modeste de la littérature sur l’anarcha-féminisme et à la littérature anarchiste et féministe, plus généralement. Par exemple, le Free Women of Spain de Ackelsberger, une étude novatrice publiée en 1991, ne mentionne pas l’anarcha-féminisme, pas même dans sa tentative d’analyser l’héritage de Mujeres Libres vis à vis de l’anarchisme contemporain.6 Des années plus tard, elle a contribué à une ouvrage sur la pensée politique avec son Anarchism: the Feminist Connection. Cette réticence à parler de l’ anarcha-féminisme ressemble ouvertement à la position anarchiste classique d’identifier le féminisme comme préalablement inclus dans le mot anarchisme. En outre, des ouvrages de référence comme Anarchism de Woodcock et Demanding the Impossible de Marshall, n’essaient même pas de reconnaître l’existence et la contribution de l’anarcha-féminisme. 7 S’ajoutant à de récentes études sur l’anarcha-féminisme de Heighs, et celle plus spécialisée de Maroto, ce document plaide également en faveur de la pertinence de l’anarcha- féminisme aujourd’hui.8 Traiter de l’histoire, du présent et des leçons de l’anarcha-féminisme est une tâche nécessaire qui mettra en valeur nos combats actuels et futurs.

Dans ce qui suit, je présenterai une vue d’ensemble des principes anarchistes et soutiendrai que l’ anarcha-féminisme n’est pas un corpus séparé de théorie mais plutôt intégré à l’anarchisme. Je présenterai alors une brève histoire de l’anarcha-féminisme en Espagne, basée sur ces trois périodes mentionnées ci-dessus. Enfin, à partir de ma propre expérience, je soulignerai pourquoi l’anarcha-féminisme reste pertinent aujourd’hui comme outil critique dans la lutte pour un monde nouveau..

Anarchisme et anarcha-féminisme

L’anarchisme est plus qu’une idéologie. C’est une philosophie et une pratique de vie, illustré par sa tendance à remplir les rues plutôt que les rayons des bibliothèques. Baldelli a déclaré que ‘l’anarchisme a toujours été anti-idéologique, et a insisté sur les priorités de la vie et de l’action sur la théorie et le systèmes’.9 L’anarchisme s’est développé en dehors des milieux académiques, en se forgeant à travers différentes luttes ; d’où l’existence de différentes sortes d’anarchisme.8 Je m’attarderai sur ce qui est communément appelé l’anarchisme collectif qui a été probablement pratiqué par la plupart des anarcha-féministes. 10 L’anarchisme collectif , aussi appelé communiste , social anarchisme ou anarcho-syndicalisme, affirme de manière générale que la libre organisation des individus en collectifs où ils travaillent en coopération et sans hiérarchies n’est pas seulement la clé de la révolution mais également un guide pour l’organisation de la société.

On peut faire remonter beaucoup d’arguments anarchistes centraux aussi loin que le philosophe grec ancien Zénon de Cition, le stoïque, qui a imaginé une société cosmopolite idéale, où l’amour entretiendrait des relations harmonieuses et où les lois étatiques et l’argent ne seraient pas imposés aux individus.11 Certains ont également suggéré que des éléments de la pensée traditionnelle chinoise ont constitué une ‘sorte de vision sociale proto-anarchiste’ bien avant les grecs.12 Au sixième siècle avant Jésus Christ, Lao Tseu contestait la légitimité des gouvernants; deux siècles plus tard, Zhuangzi critiquait la propriété privée, la redistribution inégale des richesses, la hiérarchie de classe et l’existence de gouvernants.13 Certains ont aussi vu des traces de pratiques et d’organisation anarchistes dans des sociétés et cultures traditionnelles africaines.14 Woodcock, dans sa critique de l’étude de Kropotkine sur les organisations libres symbiotiques à travers l’histoire et les espèces, soutient que ces affirmations ne sont basées que sur de faibles fondations historiques et ne sont qu’une "simple mythologie destinée à asseoir l’autorité du mouvement".15 Néanmoins, il faut reconnaître que les idées anti-autoritaires présentent un important héritage historique, même si ces idées n’ont pas été développées par des individus, organisations ou mouvements qui se revendiquaient de l’anarchisme ou n’avaient, en aucune manière, créé, per se, des organisations anarchistes comme nous les connaissons aujourd’hui.

Il faut attendre le début du dix-neuvième siècle pour voir l’anarchisme commencer à élaborer un ensemble d’idées cohérentes qui engendrèrent un mouvement anarchiste conscient de sa propre existence, et ce n’est qu’alors que nous retrouvons des traces de l’anarcha-féminisme. Les idées anarchistes s’épanouirent à cette époque en réponse à l’évolution de l’état industriel moderne et comme une expression du désir d’une société libre et égalitaire, une aspiration toujours pertinente aujourd’hui. Woodcock affirme pareillement que "les anarchistes du dix-neuvième siècle ont développé des conceptions particulières d’égalité économique et de liberté sans classe en réaction à un état capitaliste toujours plus centralisé et mécanisés".16

Des auteurs comme Godwin, Proudhon (en dépit de controverses 17), Kropotkine et Bakounine, tous autour du dix-neuvième siècle, sont considérés par beaucoup comme étant les fondateurs de l’anarchisme.18 Ce sont eux, avec Goldman, Malatesta, Rocker et Berkman, entre autres, qui ont contribué à forger une tradition collectiviste de l’anarchisme.19 Selon Goldman: "L’anarchisme défend réellement la libération de la pensée humaine vis à vis de la domination de la religion; la libération du corps humain de la domination de la propriété; la libération des chaînes et de la contrainte du gouvernement […] L’anarchisme n’est pas […] une théorie de l’avenir à réaliser grâce à une inspiration divine et ne comprend pas un programme clé en mains devant être appliqué quelque soient les circonstances" .20

De la même façon, Kropotkine a déclaré que l’anarchisme est : "Le nom donné à un principe ou une théorie de la vie et de conduite sociale sous lequel la société est conçue sans gouvernement; l’harmonie dans une telle société étant obtenue non pas par soumission à la loi, ou par l’obéissance à une autorité, mais par l’adhésion libre conclue par les membres des différents groupes territoriaux ou professionnels, librement constitués pour le fonctionnement de la production et de la consommation, ainsi que la satisfaction des besoins variés et infinis, des aspirations des êtres civilisé .21

Alors que Kropotkine et, plus tard, Goldman ont spécialement détaillé le sujet de l’émancipation des femmes, tous les anarchistes n’étaient pas concernés de la même manière par la libération des femmes. 22 L’histoire de Proudhon mérite d’être commentée brièvement ici. Son anarchisme a été remis en question par ses contemporains, comme Déjacque et Léo , pour avoir nié la nécessité de la libération des femmes et avoir affirmé que le rôle de la femme était d’être l’esclave de son mari. 23 Déjacque et Léo affirmèrent que "on ne peut pas être anarchiste si l’on n’est pas féministe".24

L’anarchisme peut être interprété à travers un ensemble de principes communs à tous ces théoriciens. Ils comprennent l’anti-autoritarisme, l’action directe, la solidarité, l’aide mutuelle, la liberté et la cohérence entre les fins et les moyens. Il n’est malheureusement pas possible de développer ici une analyse complète de ces principes, mais une brève discussion est nécessaire pour comprendre l’anarchisme et l’ anarcha-féminisme.25

L’anti-autoritarisme anarchiste est habituellement assimilé avec le rejet de l’état et des gouvernements en tant que institutions autoritaires. Cependant, l’anarchisme est plus vaste dans le sens où il rejette l’organisation de la société sur la base de toute hiérarchie et, donc, de toutes institutions hiérarchiques. L’action directe est le principe d’agir par soi-même. Il s’agit d’une stratégie, une "méthode de lutte immédiate pour les travailleurs" 26 et une pratique d’émancipation. 27 Il comprend également une composante idéologique en ce que l’action directe affirme que les individus sont capables d’agir par eux-mêmes sans l’intervention d’intermédiaire, que ce soient des institutions ou d’autres individus . Ce principe a été largement utilisé pour permettre aux gens de lutter par eux-mêmes et de rejeter les figures de l’autorité qui leur ôtent des mains leur capacité à faire et à dire.

La solidarité ne se réfère pas seulement à l’empathie avec l’oppression des autres mais également à la volonté d’agir en conséquence pour répondre à leur besoin et soutenir leur lutte .28 L’anarchisme rejette la charité et même le terme "aide" ; il promeut la solidarité sur la base que le bien-être des autres est en fin de compte notre propre bien-être. L’aide mutuelle a été un principe développé en détail par Kropotkine.29 Alors que les théories dominantes sur l’évolution plaident pour un processus d’évolution fondé sur la compétition, Kropotkine soutient que l’évolution a été un processus de coopération et, particulièrement en ce qui concerne les humains, de socialisation. Les anarchistes sont donc également opposés aux conceptions libérales de la liberté qui postulent que la liberté d’une personne s’arrête là où commence celle d’une autre.30 Au lieu de cela, ils affirment que la liberté d’un individu est renforcée et étendue par la liberté des autres.31 La conception anarchiste de la liberté diffèrent de celles des libéraux sur d’autres plans. La liberté est la libération de toutes les formes d’oppression , la capacité à s’épanouir pleinement et à établir des relations équitables avec les autres, et non l’accès à la propriété privée et la possibilité de vendre sa force de travail. La liberté, considérée d’un point de vue collectiviste, incorpore aussi l’idée que l’individu et la collectivité sont complémentaires.

Enfin, le principe selon lequel les moyens doivent être cohérents avec les fins poursuivies a guidé en permanence les luttes anarchistes. Par conséquent, dans le but d’une société collaborative non hiérarchique, les anarchistes s’efforcent de s’organiser eux-mêmes horizontalement et sur la base des principes mentionnés ci-dessus. La ‘révolution’, pour les anarchistes, commencent ici et maintenant, et en particulier, par soi-même. L’anarchisme n’indique pas une voie étroite à suivre mais aspire à l’avènement d’une époque où les individus feront les choix par eux-mêmes et travailleront en collaboration les uns avec les autres.

L’anarchisme, contrairement aux autres formes de féminismes ou à d’autres luttes spécifiques, encourage une lutte globale qui comprend la transformation politique, économique et sociale. Malheureusement, au sein du mouvement anarchiste, même si les normes de genre ont été remises en question, elles n’ont pas été éliminées. Malgré une évolution politique, les individus, au sein du mouvement anarchiste, ont tendance à reproduire les mêmes comportements que ceux que la société en général nous imposent. C’est pourquoi un des premiers leitmotivs pour l’émergence de l’anarcha-féminisme, particulièrement en Espagne, fut le rejet des attitudes patriarcales qui décourageaient les femmes à participer à la lutte. La cause en était tout autant le mouvement anarchiste dominé par les hommes que la société dominante. L’anarcha-féminisme, s’est élaboré en réponse à l’incohérence entre la théorie et la pratique anarchistes, puisque les moyens et les fins doivent être compatibles, et que le patriarcat doit être combattu ici et maintenant . L’anarcha-féminisme demandait la solidarité des anarchistes. Tout aussi important, l’anarcha-féminisme, contrairement aux autres formes de féminisme, apportait ce que Brown appelle ‘une critique intrinsèque du pouvoir et de la domination per se’, en liant les luttes contre le patriarcat et celles contre toutes les autres institutions oppressives.32

Une brève histoire de l’anarcha-féminisme en Espagne

L’histoire de l’anarcha-féminisme fait partie de l’histoire de l’anarchisme. En ce qui concerne l’Espagne, l’anarchisme semble avoir eu un précédent avec le mouvement millénariste contre l’empire romain et l’église catholique. 33 Une fois encore, cela ne signifie pas qu’il existait un mouvement anarchiste à cette époque mais que l’idée anarchiste est enracinée dans un sol fertile de générations de luttes contre le pouvoir arbitraire et l’injustice sociale. C’est durant le dix-neuvième siècle que l’on voit l’émergence d’un mouvement anarchiste en tant que tel.

Garcia-Maroto soutient que le mouvement féministe a une origine bourgeoise et suffragiste mais que ces idées ont amené les anarchistes à la fin du dix-neuvième siècle à s’intéresser à la "question de la femme".34 Cependant, le féminisme qui a apparu au sein du mouvement anarchiste ne suit pas la voie tracée par les féministes libérales des décennies précédentes; à la place, il a gardé les récusations anarchistes des conceptions libérales de la liberté, des relations collectives et entre individus ainsi que les principes anarchistes de solidarité, d’action directe et de cohérence entre les fins et les moyens. En outre, comme Granel le souligne, ‘l’anarchisme a contribué au développement d’une conscience féministe’.35 Granel affirme que l’anarchisme a été capable d’identifier de multiples relations de domination. Suite à quoi les anarchistes ont postulé que l’émancipation humaine n’exigeait pas seulement des réformes économiques mais une transformation sociale Les analyses anarchistes de la société incluaient une analyse des relations inter-personnelles,créant un espace pour porter une attention sur la subordination des femmes en leur sein. Le résultat fut double: Le développement d’une critique anarchiste des politiques sexuelles et le rôle important de la famille et de la vie sexuelle dans la (re)création de l’ordre social; et la conviction que réforme sexuelle et émancipation des femmes étaient essentielles dans le processus de révolution social.36 Les principes de maternité choisie et de libre choix dans l’établissement de relations personnelles ont été des points centraux de l’anarchisme depuis ses débuts. Cela a permis aux anarchistes, plus qu’aux marxistes et aux socialistes, d’identifier le lien entre genre et reproduction d’institutions oppressives telles que l’état et le capitalisme. Marsh et Golden soutiennent que la critique anarchiste des normes sexuées permettent aussi aux anarchistes d’agir solidairement avec ce qui deviendra plus tard les luttes "homos".37

Par conséquent, le mouvement anarchiste qui a émergé de la révolution industrielle et le mouvement ouvrier en Espagne ainsi que en Amérique et dans le reste de l’Europe 38 possédait une forte conscience des genres. Aux États-Unis, des femmes comme Helena Born [*], Marie Ganz,[**] Mollie Steimer, Voltairine de Cleyre et plus tard Emma Goldman ‘ont embrassé l’anarchisme […] pour restructurer la société dans son ensemble , mais elles voulaient aussi, en tant qu’individus, transcender les préceptes conventionnels sociaux et moraux afin de créer pour elles-mêmes une vie indépendante, riche et ayant un sens" 39. En Argentin, en Uruguay, au Brésil et au Mexique, les anarchistes ont aussi développé très tôt l’anarcha-féminisme.40 En France, Flora Tristan, considérée comme l’une des mères du soi disant socialisme "utopique", a consacré sa vie à promouvoir un mouvement ouvrier international dans lequel les deux sexes et toutes les races s’uniraient. 41 En France également, Déjacque et Kropotkine, dans le troisième quart du dix-neuvième siècle, ont appelé les anarchistes à inclure les femmes dans la lutte pour l’émancipation de l’humanité. Ils condamnèrent l’assujettissement des femmes envers les hommes, la famille en tant qu’institution qui opprimait les femmes aussi bien que les hommes et la morale sexuelle répressive.42

En Espagne, quelques circonstances facilitèrent l’introduction et le développement des idées anarchistes. La création de l’Ateneo Catalán en 1861 fut très importante ainsi que l’introduction des travaux de Bakounine par Fanelli.43 En 1898, Teresa Mañé et Juan Montseny fondèrent la revue Revista Blanca, qui devint l’un des espaces les plus progressistes pour le débat sur des sujet allant de la politique à l’environnement, et qui s’attachait particulièrement aux questions de genres et de sexualité.44 Comme l’écrit Cleminson, "la Revista Blanca peut être utilisée comme une jauge quant au débat sur de tels sujets au sein du mouvement anarchiste espagnol et particulièrement comme un indicateur de la pénétration des idées venues de l’étranger, soit à travers le mouvement anarchiste, soit de manière extérieur à lui".45 Avec le changement de siècle de nombreux autres revues, périodiques et organisations anarchistes ont fleuri, tels que le journal Estudios, les espaces culturels et éducatifs appelés Ateneos Libertarios et la Fédération Régionale des Travailleurs.46 Malheureusement, les femmes restaient une minorité au sein d’un mouvement anarchiste patriarcal.47

Malgré leur rejet du terme féminisme, les anarchistes espagnols essayèrent de traiter de la question de la subordination spécifique des femmes, économique, sociale et culturelle. Ils mirent l’accent sur le contrôle des naissance, la libération sexuelle et illettrisme . Leurs efforts apparaissaient aussi à travers la création de deux organisations anarcho-syndicalistes, la Fédération Régionale des Travailleurs et son successeur, la Confederación Nacional del Trabajo (CNT). Les deux organisations, fondées respectivement en 1908 et 1910, étaient destinées à être des outils de la classe ouvrière pour combattre le capitalisme et l’état et de créer les fondations d’une société anarchiste future. Les deux déclaraient fermement leur intention d’organiser les femmes au sein du syndicat afin de faciliter leur émancipation, d’obtenir l’égalité des salaires et de les inclure dans la marche des organisations elles-mêmes. 48 Le degré de réussite fut limité par la prévalence des normes de genre qui inhibait la capacité des hommes comme des femmes de surmonter la subordination des femmes.

Dans les années 1930, les anarchistes s’organisèrent à la fois pour combattre le soulèvement fasciste et réaliser leur rêve d’émancipation sociale.49 Dans le cadre de ce travail d’organisation, quelques femmes dont Lucía Sánchez Saornil, Mercedes Camposada et Amparo Poch, créèrent le groupe Mujeres Libres.50

Cette seconde période se révéla être un moment clé dans ce que l’on peut appeler l’histoire anarcha-féministe, même si le terme anarcha-féminisme n’était pas utilisé. Dans les années 1930 en Espagne, il existait déjà une fracture implicite entre différentes perspectives féministes. Le féminisme libéral était considéré par Mujeres Libres comme issu des classes moyennes et supérieures et centré sur l’obtention par les femmes des mêmes droits que les hommes, tout en ignorant le système capitaliste, responsable de la subordination des hommes envers d’autres hommes. Un autre courant du féminisme développait une critique anarchiste d’oppression de classe, sociale et politique, prônant une révolution sociale et non des réformes politiques seulement. Les femmes de Mujeres Libres participaient au groupe, non pas parce qu’elles voyaient des imperfections dans la théorie anarchiste, mais parce qu’elles les constataient dans les pratiques des groupes anarchistes dominés par les hommes, pratiques qui excluaient les femmes et ignoraient l’oppression de genre. C’était visible au sein de la CNT. Malgré leurs efforts pour traiter de la "question des femmes", les membres du syndicat restaient majoritairement des hommes et la question de genre marginale.51 L’anarcha-féminisme de Mujeres Libres ne fut donc pas une tentative d’élaborer de nouvelles théories contre le patriarcat mais de mettre en pratique les nombreuses idées qu’avaient élaboré les militants au cours des années précédentes et de souligner la nécessité de la capacitación des femmes dans la révolution sociale en cours.
.
Mujeres Libres utilisait le terme ‘capacitación’ pour décrire le processus d’émancipation des femmes. Capacitación est plus que ‘empowerment’ [***] et ne devra pas être confondu avec les appels du courant dominant féministe à la "prise de pouvoir".52 La capacitación des femmes signifie un processus de développement des outils et de la confiance qui les rendent capable de se battre pour leur émancipation. Elle incluait (et inclut toujours) l’éducation et le développement d’un jugement indépendant et d’une pensée critique.53 Mujeres Libres a été conçue comme ‘une force féminine consciente pour agir comme l’avant-garde de la révolution et du progrès, ayant pour but l’émancipation des femmes vis à vis d’un triple esclavage: esclavage de l’ignorance, esclavage des femmes et esclavage de la production’.54 Pour combattre "l’esclavage de l’ignorance", elles publièrent des revues et des journaux, créèrent des écoles et des forums publics.55 Pour combattre "l’esclavage des femmes", elles encouragèrent la libération sexuelle, religieuse et morale, fondèrent des centres de soins, ouvrirent des débats politiques au sujet de la sexualité et de l’amour libre, et critiquèrent violemment les valeurs du catholicisme, la famille et la chasteté féminine.56 Pour mettre fin à "l’esclavage du travail", elles encouragèrent la participation critique et assumée des femmes au sein de la CNT et à la lutte contre le capitalisme.57 Avant tout, comme le déclarait Mujeres Libres, leur intention était : "de rendre capables (capacitar) les femmes de faire d’elles-mêmes des individus capables de contribuer à la construction de la société future, des individus qui ont appris à penser par elles-mêmes et non pas à suivre aveuglément les diktats d’une organisation quelconque.58

Mujeres Libres, en fin de compte, prenait au pied de la lettre le principe anarchiste selon lequel les fins et les moyens doivent être cohérents, pour signifier que le patriarcat, en même temps que le capitalisme et l’état, devait être combattu de manière non sexuée, autogérée et horizontale, ‘ici et maintenant’ .

Malgré que le mouvement anarchiste eut connu un développement jamais atteint jusqu’alors, l’Espagne a du endurer quarante ans de dictature sous le général Francisco Franco. La répression brutale imposée par ce régime n’a pas seulement plongé l’Espagne dans une économie industrielle retardée, mais plus grave encore, a provoqué un mouvement culturel régressif. L’Espagne ne connut donc une autre vague de féminisme que lorsque le régime fut épuisé, dans les années 1960 et 1970.

A partir des années 1960, le militantisme politique espagnol était nourri par l’affaiblissement de Franco, comme le furent la seconde vague de féminisme radical, les événements de mai 1968 et les mouvements contre la guerre et anti-colonialistes. Le féminisme radical des années 1960 et 1970 venu des États-Unis influença de toute évidence les féministes espagnoles. Les femmes de Mujeres Libres qui étaient encore en vie, tout comme de nombreuses jeunes femmes, s’identifièrent avec Robin Morgan lorsqu’elle se plaignait, à la fin des années 1960, des "pratiques révolutionnaires" qui reproduisaient encore des attitudes patriarcales et condescendantes envers les femmes, et encourageait la création d’un mouvement autonome des femmes non-mixte, non seulement aux États-Unis mais en Europe et donc, en Espagne.59 . Le message féministe ‘le personnel est le politique’ et la promotion par les féministes d’une organisation horizontale et égalitaire parmi les membres des groupes furent chaleureusement accueillis dans les milieux anarchistes.60

L’anarchisme, qui était réapparu après des années de clandestinité,fut au début convaincant en plaidant pour l’égalité des sexes et la libération sexuelle. Après la dictature de Franco, l’Espagne était devenu, de façon décevante mais non surprenante, une démocratie libérale fondée sur les trois piliers oppressifs du capitalisme, de l’état et de la famille normative. Dans un livre éloquent au sujet de la transition démocratique espagnole, analysée à partir de la perspective du mouvement radical anti-autoritaire, Jose Ribas traite de ‘l’ascension et la chute du mouvement anarchiste entre 1976 et 1978 .61 Ribas affirme que ‘l’annihilation de l’anarchisme constitue le grand mystère de la transition".62 En effet, les années 1980 virent le début d’un déclin d’une vingtaine d’années des adhésions à la CNT, tout comme à Mujeres Libres nouvellement reconstitué et aux Ateneos Libertarios, ainsi que, en règle générale, de la participation au vif débat politique qui eut lieu lors de la dernière décennie.63

Il existe encore aujourd’hui une réticence à utiliser le terme anarcha-féminisme. En réalité, au cours de toutes mes années militantes, je n’ai entendu qu’une femme, Maria Angeles Garcia Maroto, une écrivaine anarcha-féministe, se revendiquer ouvertement anarcha-féministe et défendre la pertinence de l’anarcha-féminisme.64 Tous mes pairs, hommes et femmes, que j’ai côtoyé dans les organisations anarchistes, prétendent toujours qu’il n’est pas nécessaire d’inclure le mot "féminisme" dans le terme "anarchisme" parce que l’anarchisme défend déjà l’abolition du patriarcat.

Dans l’ensemble, ces trois périodes de débats et de militantisme politiques, l’intensité et la diversité de ce que ce document n’a fait que survoler, illustrent comment l’anarcha-féminisme, sans être un courant différent ou d’opposition au sein de l’anarchisme, essaie de rendre la pratique anarchiste cohérente avec ses principes, à travers une sorte de popularisation de ces questions qui furent trop souvent considérées comme secondaires. Si le succès de ces premières anarcha-féministes est indéniable, il ne fut pas total, et il est encore nécessaire d’élaborer une analyse critique de l’anarchisme et de l’anarcha-féminisme de nos jours.

Evaluation critique de l’anarcha-féminisme d’une et pour une perspective militante, mon expérience

Ce chapitre essaie d’esquisser quelques recommandations pour un militantisme anarcha-féministe plus efficace ou un anarchisme plus cohérent. A partir de ma propre expérience, j’insiste sur la nécessité de développer des stratégies rationnelles pour contester les attitudes patriarcales, racistes et homophobes, à la fois au sein du mouvement anarchistes et dans la société en général. Nous avons besoin, de manière cruciale, de créer des espaces où débattre du sens et des méthodes de lutte contre le patriarcat. Ce débat serait enrichi, en premier lieu, par la transmission générationnelle de l’expérience et des connaissances, ainsi que par un dialogue avec d’autres formes de féminisme, afin que nous puissions nous stimuler mutuellement et progresser politiquement .

J’ai été active dans le mouvement anarchiste pendant une dizaine d’années. Pendant cette période, je me suis aperçue que les femmes anarchistes étaient confrontées aux mêmes obstacles dans leur tentative de combattre le patriarcat que leurs prédécesseures deux générations auparavant. Le patriarcat, tout comme le racisme, l’homophobie et la destruction environnementale, fait partie intégrante de notre monde capitaliste et hiérarchique formaté. Souvent cependant, ces questions ne sont pas considérées comme aussi importantes que de revendiquer de meilleures conditions de travail ou de créer des organisations anarcho-syndicalistes. Ce faisant, le militantisme quotidien dans les organisation anarchiste nie le fait que repousser la résolution de ces questions aux lendemains de la révolution, c’est condamner la société à laquelle nous rêvons à souffrir des mêmes maux que ceux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui.

J’ai d’abord rejoint le ateneo anarchiste de Madrid et suis devenue plus tard adhérente de la CNT. Cela m’a mis en contact avec d’autres organisations anarchistes comme Mujeres Libres. Le temps passé avec elles m’a ouvert les yeux en ce qui concerne l’oppression des femmes. A travers l’engagement à leurs côtés, l’anarchisme m’a offert les outils pour critiquer le genre et les relations sexuées. J’ai commencé à m’interroger sur l’accent unitaire souvent mis sur la lutte des travailleurs contre l’état et ai pris conscience d’un certain nombres d’attitudes et de comportements patriarcaux autour de moi. Ce n’était pas que les hommes étaient sexistes dans le syndicat, mais plutôt que les hommes et les femmes y reproduisaient spontanément des rôles sexués normatifs. Bien que ces comportement étaient contestées de temps à autres, ces contestations restaient au stade d’auto-discipline par contraste à une stratégie explicite de l’organisation.

Malgré la cinquantaine d’années qui me séparaient de Mujeres Libres, je me suis identifiée avec les expériences des femmes qui y furent actives. Bien que la CNT, en tant que organisation anarcho-syndicaliste, soulignait l’importance de la participation égalitaire, beaucoup d’adhérents masculins restaient tous les jours jusque tard dans les locaux du syndicat, déléguant donc les responsabilités domestiques à leurs partenaires qui ne pouvaient pas, par conséquent, participer pleinement aux activités de l’organisation.71 Je me suis ainsi sentie obligée de rappeler à ces compañeros que la révolution se déroule autant à la maison que sur le lieu de travail. Je me suis sentie obligée aussi de remettre en cause certains postulats au sujet de la signification de la liberté sexuelle. Souvent, les hommes pensaient que, puisque les femmes anarchistes était sexuellement libérées, elles étaient par conséquent disponibles pour eux. Les femmes qui refusaient cette définition de la libération étaient accusées d’être "frigides". En remarquant la nature sexuée de la participation, je me suis interrogée sur la répartition du travail qui consistait à laisser la préparation des repas aux femmes et les tâches plus techniques et visibles aux hommes, et j’ai consacré une attention particulière à encourager mes compañeras à prendre la parole dans les réunions, à s’informer, à se faire leurs propres opinions et à entreprendre des formations.

Cette approche de critiques et de confrontations ne fut pas toujours facile. A un moment, avec une autre compañera, nous avons envisagé de créer une section syndicale de travailleuse du sexe au sein de la CNT. Nous avons été choquées par ce que nous avons soulevé. Nous avons obtenu trois réponses à notre proposition : la prostitution n’était pas un travail et par conséquent ne pouvait pas être syndicalisée ; la prostitution devait être abolie parce qu’elle était une forme d’oppression sexuelle mais ce n’était pas la priorité du syndicat; et, exprimée exclusivement par les hommes et non la moins inattendue, la présence de travailleuses du sexe au sein du syndicat ferait perdre leur concentration aux hommes et le syndicat dégénèrerait dans son entier.

En tant que jeunes femmes, développant encore notre féminisme, nous pensions que, quelle que soit notre avis personnel sur la prostitution, les travailleuses du sexe étaient un secteur négligé de la classe ouvrière et que nous, en tant que organisation anarcho-syndicaliste nous pourrions leur fournir une tribune à partir de laquelle elles pourraient faire entendre et satisfaire leurs revendications. En tant que anarchistes, nous pensions aussi que l’abolition de la prostitution devait être obtenue par les travailleuses du sexe elles-mêmes et ne pas leur être imposée. Bien sûr, les arguments qui dépeignaient les prostituées comme des menaces pour la stabilité du syndicat méritaient des réponses critiques. En fin de compte, après plusieurs mois de discussions avec des prostituées, nous sommes parvenues à la conclusion qu’elles ne voulaient pas former un syndicat et ce fut, pour nous, la fin de l’histoire. Les arguments sexistes qu’avaient soulevé la question restaient en l’état.

Notre échec à populariser la question de genre dans le mouvement anarchiste a rendu difficile de répondre de manière constructive aux questions posées par les féministes non anarchistes, avec qui néanmoins nous voulions agir solidairement. Pour illustrer cela, la CNT-Madrid participe habituellement aux manifestations à l’occasion de la Journée Internationale des femmes organisées par des féministes radicales. Lors d’un rassemblement, auquel je participais avec des membres hommes et femmes de la CNT, une bagarre faillit presque se déclencher. Des femmes d’une autre organisation commencèrent à cracher sur mes compañeros et à les frapper avec leurs banderoles et les manches de leurs drapeaux. Elles prétendaient que c’était une journée pour les femmes et que les hommes n’y avaient pas leur place. Quelques hommes et femmes de la CNT répondirent que les hommes et les femmes devaient lutter ensemble pour mettre fin à l’oppression des femmes, alors que d’autres étaient d’accord pour dire que ce jour était la journée des femmes et que, sans décourager les hommes de se joindre à leur lutte, le rassemblement devait être non-mixte. Malheureusement, cette question n’avait jamais été débattue sérieusement au sein du syndicat, pas plus qu’il n’existait à ce sujet une position commune des femmes. Les années suivantes, de plus en plus d’hommes de la CNT décidèrent de ne plus participer à la manifestation pour ne pas être agressés et cela découragea certaines femmes de la CNT de soutenir l’initiative. Je pense que cette confrontation a résulté d’un manque de débat entre les organisations et en leur sein.

Après plus de dix ans de militantisme dans des organisations anarchistes et non anarchistes, je pense qu’une forme d’anarcha-féminisme ou d’intégration de perspective de genre est fondamentale dans la recherche d’une société libre. J’en suis venue à comprendre aussi qu’il en allait de même pour les questions du racisme, de l’homophobie et de la dégradation de l’environnement. Nous ne pouvons pas prétendre que ces problèmes vont s’évaporer d’eux-mêmes avec ‘l’avènement’ du nouveau monde .

J’ai aussi appris que les anarchistes actifs aujourd’hui devaient connaître l’histoire de la pensée et des luttes anarchistes pour comprendre que l’anarchisme est une lutte globale contre toutes les oppressions. L’anarchisme, étant fondamentalement une pratique d’idées, n’a pas nécessairement besoin d’être étudiée dans les livres ni embrassé comme une philosophie de vie ou comme une stratégie politique. Néanmoins, en tant que mouvement avec une telle richesse d’expériences, il est nécessaire que nous partagions nos savoirs et ces expériences pour servir la stratégie de la lutte. Ce partage doit, en particulier, être inter-générationnel. Si des gens comme moi avions plus d’occasion d’apprendre cette histoire, nous commettrions peut-être moins d’erreurs. C’est le moment de revoir les tactiques utilisées par Mujeres Libres et d’autres anarcha-féministes et de remettre en pratique ce qui reste utile. Enfin, je pense que plus de dialogue est nécessaire entre l’anarcha-féminisme et les autres formes de féminisme pour approfondir à la fois notre pensée politique et notre pratique.

Conclusion

Historiquement, les anarchistes ont toujours accordé une importance spéciale à l’analyse et à la lutte contre le patriarcat. Alors que l’anarcha-féminisme est une tautologie, ils se sont sentis obligés d’intégrer la question de genre au sein du mouvement. Mujeres Libres et d’autres anarcha-féministes ont contribué à l’émancipation des femmes davantage que ne l’ont fait, par exemple, le marxisme, le socialisme et la démocratie libérale. Le marxisme et le socialisme n’ont pas été élaborés sur les relations spécifiques de pouvoir entre sexes et se réduisent trop souvent aux rapports économiques basée sur la classe. La démocratie libérale n’a mis en place qu’une étroite ouverture pour des réformes, une stratégie que les élites capitalistes pourraient juger utile en terme d’accession au soi disant positions de responsabilité ou de pouvoir, mais qui laisse de côté une majorité de femmes et d’hommes qui souffrent des multiples autres formes d’oppression. En outre, ces théories ont échoué à offrir des moyens participatifs de lutte cohérents avec leurs idées d’égalité. En tant qu’anarchiste, je n’accepte pas que la libération puise être obtenue à travers des structures oppressives et hiérarchiques telles que des partis politiques, des politiques basées sur la représentation et l’appareil d’état.

Les femmes et les hommes sont opprimés. Puisque l’anarchisme offre une analyse critique du pouvoir, l’anarcha-féminisme nous fournit les outils pour traiter toutes les formes d’oppression et pour agir solidairement avec les opprimés, en évitant ainsi toute conception réductionniste du pouvoir basé sur la classe ou le genre. Il nous permet aussi de travailler solidairement en en s’aidant mutuellement malgré nos différences, car, même si nos expériences face au pouvoir peuvent être différentes, le pouvoir illégitime est notre ennemi commun.

L’anarcha-féminisme a été, et est encore, un outil pour faire de nos vies et de nos luttes un endroit ou nous ne combattons pas seulement la face publique de la violence et de l’oppression, mais aussi leur face privée, chez soi et dans la famille. Ce processus d’intégration de la question de genre peut se révéler être un modèle pour la lutte contre le racisme, l’homophobie et la destruction environnementale. La ‘révolution’ implique la création de nouvelles structures pour organiser la société et la production aussi bien que différentes manières d’entretenir des relations aux autres et au monde. L’anarcha-féminisme, tout en luttant pour rendre la pratique et la pensée anarchiste plus cohérente, appelle aussi les féministes à combattre partout, non seulement le patriarcat mais contre toutes les oppressions, et prendre conscience que tant qu’il existera des opprimés dans le monde, nous ne serons pas libres.

Marta Iñiguez de Heredia

1. Martha Ackelsberg, Free Women of Spain: Anarchism and the Struggle for the Emancipation of Women (Indianapolis: Indiana University Press, 1991), 75.
2. Ibid, 97-98. Voir aussi Margaret Marsh, ‘The Anarchist-Feminist Response to the “Woman Question” in Late Nineteenth-Century America’, American Quarterly, vol. 30, no. 4 (Automne 1978): 533-547.
3. Ackelsberg, Free Women, 115.
4. Ackelsberg, Free Women.
5. George Woodcock, Anarchism: a history of Libertarian ideas and Movement (New York: Penguin Books, 1962); Peter Marshall, Demanding the Impossible: A History of Anarchism (London: Fontana Press, 1992).
6. Howard J. Ehrlich, (ed.) Reinventing anarchy, again (Edinburgh: AK Press, 1996); Maria Angeles García-Maroto, La Mujer en la Prensa Anarquista (Madrid: Fundación Anselmo Lorenzo, 1996); Maria Angeles Garcia-Maroto, ‘Razones para un anarcofeminismo’, Tierra y Libertad, no. 176, Mars 2003; Maria Angeles Garcia-Maroto, ‘Feminismo y Anarquismo’, Tierra y Libertad, no. 189, Avril 2004.
7. Giovani Baldelli, Social Anarchism (Melbourne: Penguin Books, 1972), 10
8. On peut trouver une description concise des différents courants dans Marshall, 6-11. Pour une discussion sur les différentes méthodes et approches au sein de l’anarchisme, et pour des arguments plus nuancés sur le développement de l’anarchisme à partir d’une pratique plutôt que d’une théorie, voir David Graeber, Fragments of an Anarchist Anthropology (Chicago: Prickly Paradigm Press, 2004), 15-20.
9. Goldman, Mujeres Libres et d’autres groupes anarcha-féministes contemporains ont démontré cette affirmation .
10. Voir Marshall, 6; Baldelli; Alexander Berkman, The ABC of Communist Anarchism (Chicago: The Vanguard Press Inc., 1929). L’ anarcho-syndicalisme défend la même idée, soulignant la nécessité de s’organiser fédérativement à travers des syndicats ouvriers afin de lutter pour la société future et en jeter les bases. Voir Rudolf Rocker, Anarchism and Anarcho-Syndicalism, 1938 (Melbourne: Anarcho-Syndicalist Federation ASF-IWA, 2001); Michel Bakounine, ‘The Policy of the International, 1869’ dans Sam Dolgoff, Bakunin on Anarchy: Selected Works par The Activist-Founder of World Anarchism (London: George Allen and Unwin Ltd, 1973), 160-175; Juan Gómez Casas, Historia del Anarcosindicalismo Español (Madrid: LaMalatesta Editorial, 2006), 44-57 et 85-113.
11. A. C. Pearson, The fragments of Zeno and Cleanthes (London: C.J. Clay and Sons-Cambridge University Press, 1891), 198-210.
12. Peter Zarrow, Anarchism and Chinese Political Culture (Oxford: Columbia University Press, 1990), 7.
13. Ibid, 7-8.
14. Sam Mbah et I.E. Igariwey, African Anarchism: the history of a movement (Tucson: See Sharp Press, 1997), 27-54.
15. Pierre Kropotkine, Mutual Aid: a factor of evolution, 1914 (New York: University Press, 1972). Woodcock, 36.
16. Ibid, 37
17. L’individualisme de Godwin penche vers un type de libéralisme puisqu’il était prêt à tolérer une forme minimum de gouvernement temporaire. Voir William Godwin, An enquiry concerning political justice, 1793 (Oxford and New York: Woodstock Books, 1992). La mysoginie de Proudhon ébranlait de toute évidence son anarchisme, comme il sera notifié plus loin dans ce document.
18. Pierre-Joseph Proudhon, What is property? An enquiry into the principle of right and of government, 1840 (New York: H. Fertig, 1966). Robert Alexander, The anarchists in the Spanish Civil War, vol 1 (London: Janus Publising Company, 1999), 6 -7. Anthony Masters, Bakunin: the father of anarchism (London: Sidgwick & Jackson, 1974).
19. Martha Ackelsberg, ‘Rethinking anarchism/ rethinking power: a contemporary feminist perspective’ dans Mary Shanley et Uma Narayan (éditrices.) Reconstructing political theory: feminist perspectives (Pennsylvania: The Pennsylvania State University Press, 1997), 158.
20. Emma Goldman, ‘Anarchism: what it really stands for’ dans Anarchism and Other Essays (New York: Dover Publications Inc, 1970), 63.
21. The Encyclopædia Britannica: a dictionary of arts, sciences, literature and general information (New York : Encyclopedia Britannica Co., 1910-11), ‘Anarchism’ vol.1.
22. Pierre Kropotkine, The conquest of bread, édité par Paul Avrich (London: Allen Lane The Penguin Press, 1972), 139-144; Emma Goldman, Living my Life, vol. 2, 1931, (New York: Dover Publications Inc., 1970), 552-557; Emma Goldman, ‘The Tragedy of Woman’s Emancipation’, dans Anarchism and Other Essays (Dover Publications: New York, 1969), 213-225.
23. Caroline Granier, ‘Peut-on être anarchiste sans être féministe?’, Le Monde Libertaire, no. 1344, Janvier- Février 2004 http://www.monde-libertaire.fr/antisexisme/11553-peut-on-etre-anarchiste-sans-etre-feministe
24. Ibid.
25. Il existe une abondante littérature sur le sujet, si l’on considère les ouvrages sur les pensées politiques en général et les mouvements idéologies contemporains, en plus de la littérature spécifique sur l’anarchisme . En plus des livres de référence sur le sujet, déjà cités, (Woodcock et Marshall), on peut trouver un aperçu d’ensemble de l’anarchisme et d’une bibliographie dans Anarchism’ in Political ideologies: A reader and Guide (Oxford: Oxford University Press, 2005), 353-79 de Matthew Festenstein et Kenny Michael ; Jeremy Jennings, ‘Anarchism’ dans Roger Eatwell et Anthony Wright, Contemporary Political Ideologies, 2nd edition (London and New York: Continuum, 1999), 131-51.
26. Rocker, 25
27. Bakounine, 167.
28. Voir aussi une chapitre sur le concept de solidarité dans Herbert Marcuse, An Essay on Liberation (Melbourne: Pelican Books, 1972), 82-93.
29. Kropotkin, Mutual Aid.
30. Isaiah Berlin, ‘Two concepts of liberty’ dans Isaiah Berlin, Four Essays on Liberty (London, Oxford and New York: Oxford University Press, 1969), 122 -123.
31. Bakounine, cité dans Dolgoff, 5.
32. L. Susan Brown, ‘Beyond Feminism: Anarchism and Human Freedom’ dans Ehrlich, 149. 
33. Xabier Paniagua, ‘Milenarismo y Anarquismo’, document présenté au congrès historique à l’occasion du 75ème anniversaire de la fondation de la Federación Anarquista Ibérica – FAI (Guadalajara, Federación Anarquista Ibérica, 2002). Ce mouvement, qui ne s’est pas limité à la péninsule ibérique était venu d’Europe et s’est étendu à travers tout le continent et le Moyen-Orient et fut encouragé par un grand nombre de femmes et de de groupes de femmes. Pour un très bon compte-rendu sur ce sujet, voir Norman Cohn, En Pos del Milenio: Revolucionarios Milenaristas y Anarquistas Místicos en la Edad Media (Madrid: Alianza,1993). Pour des lectures intéressantes sur comment les femmes s’auto-analysaient, résistaient et survivaient aux premiers temps de l’Espagne moderne, voir Lisa Vollendorf, The lives of Women: a New History of Inquisitional Spain (Nashville: Vandelbilt University Press, 2005).
34. Garcia-Maroto, ‘Femininismo y Anarquismo’.
35. Helena Andrés Granel, ‘Mujeres Libres, Una Lectura Feminista’ (Zaragoza: X Feminist Research Prize Concepción Gimeno de Flaquer, Universidad de Zaragoza, 2007): 3
36. Ibid, 2.
37. Margaret Marsh, Anarchist Women: 1870-1920 (Philadelphia: Temple University Press, 1981), 22 and 75. Voir aussi Golberg.
38. Notez que je me réfère ici aux continents physiques et non pas aux frontières politiques.
39. Marsh, Anarchist Women, 4.
40. Nelson Méndez, Mujeres Libres de España 1936-1939: Cuando florecieron las rosas de fuego (Caracas: Universidad Central de Venezuela, 2002).
41. Voir, par exemple, Flora Tristan, Peregrinations of a pariah, 1833-1834 (London: Virago, 1986); Flora Tristan, The worker’s union (Illinois: University of Illinois Press, 1983). Pour un guide sur les travaux de Flora Tristan voir Máire Cross, The letter in Flora Tristan’s politics, 1835-1844 (New York: Palgrave Macmillan, 2004).
42. Granier.
43.Gómez Casas, 25-26.
44. Equipe de Recherche Associée au Centre National de la Recherche Scientifique, Els anarquistes educadors del poble: “La Revista Blanca” (1898-1905) (Barcelona : Curial, 1977); Revista Blanca, archivé à la Bibliothèque Nationale d’Espagne
45. Richard Cleminson, ‘Male Inverts and Homosexuals: Sex discourse in the Anarchist Revista Blanca’ dans Gert Hekma, Harry Oosterhuis, et James Steakley (éditeurs.) Gay Men and the Sexual History of the Political Left (London: The Haworth Press, 1995), 262.
45. Cleminson, 260; Gomez Casas, 25-57.
46. Andrés Granel, 10; Ackelsberg, Free Women, 48.
47. Ackelsberg, Free Women, 52-55; Garcia-Maroto, ‘Feminismo y Anarquismo’.
48. La Seconde République Espagnole, proclamée en 1931, fut l’objet d’agitations entretenues par les crises politiques, sociales et économiques su régime précédent. En outre, contrairement aux états monarchistes traditionnels, la république n’obtint pas le soutien de la bourgeoisie de droite , ni des militaires, ni des propriétaires terriens féodaux encore puisssants. Le 18 juillet 1936, le général Francisco Franco, qui s’était arrangé pour organiser une partie de l’armée et obtenir le soutien de soldats marocains (le Maroc était encore un protectorat espagnol à l’époque), se révolta contre le gouvernement républicain. Le 19 juillet, le peuple prit les armes pour affronter ce soulèvement et réaliser son désir de liberté, s’alignant sous la bannières de différents groupes politiques, les comunistes et les socialistes avec le parti communiste, la Unión General de Trabajadores et les anarchistes principalement avec la CNT. A une époque de montée du fascisme en Europe, Franco gagna le soutien de Hitler et Mussolini, alors que la France, l’Angleterre et la Russie, offrirent le leur avec retard. Pour des détails sur cette période, voir Alexander; et George Orwell, Homage to Catalonia (Harmondsworth: Penguin en association avec Secker & Warburg, 1966).
49. Bien que les anarchistes diront toujours qu’aucun individu n’est important mais que chaque individu l’est, de manière à souligner qu’il n’y a pas de leaders dans le mouvement anarchiste, il est néanmoins nécessaire de souligner le travail étonnant que ces femmes ont entrepris et réalisé.
50. La CNT et Mujeres Libres ont fonctionné en tant qu’organisations sœurs. Elles se sont soutenues mutuellement, même si Mujeres Libres a toujours mis en avant la nécessité d’autonomie et sa détermination à décider par elle-même. Tout le monde n’a pas considéré d’un bon œil la création de Mujeres Libres. Une des critiques les plus courantes était la nécessité de traiter de la subordination des femmes au sein de groupes déjà existant. D’autres critiques, notamment Federica Montseny, affirmaient que la subordination des femmes ne pouvaient pas être traitée par un travail d’organisation mais seulement par la transformation de la culture dominante, en commençant par l’estime de soi des femmes. Voir Ackelsberg, Free Women, 87-114. .
51. Voir Miller Gearheart, cité dans Brown, 151.
52. Ackelsberg, Free Women, 115-42.
53. Mujeres Libres, Estatutos (Madrid, Mujeres Libres: 1937), 2.
54. Ackelsberg, Free Women, 118-22.
55. Ibid, 128-40.
56. Ibid, 122 -28.
57. Ibid, 116
58. Ana De Miguel, Los feminismos a través de la historia (Mexico D.F: Creatividad Feminista, 2002);
59. Pour un débat plus détaillé au sujet de la relation entre cette forme d’organisation radicale et l’anarchisme, voir Peggy Kornegger, ‘Anarchism: The Feminist Connection dans Ehrlich, 160-161.
60. Jose Ribas, critique de Los 70 a Destajo: Ajoblanco y Libertad (Barcelona: RBA, 2007)
61. Jose Ribas cité dans Luis Alemany, ‘La aniquilación del anarquismo es el gran secreto de la Transición’ El Mundo, 12 Mai 2007
62. Voir Gómez Casas, 368-93, pour un récit de la reconstruction de la CNT et la crise traversée à la fin des années 1970 et au début des années 1980. J’ai été la témoin de cette baisse d’adhésions durant les années 1990, suivie d’une augmentation dans les années 2000.
63. Garcia-Maroto, ‘Razones’.
64. Pour des détail à ce sujet voir Brown.

NDT
* Helena Born (1860-1901), anarchiste, syndicaliste et écrivaine anglaise, qui a émigré aux Etats-Unis en 1890. Auteure de Whitman’s Ideal Democracy, and Other Writings (1902) https://ia700307.us.archive.org/25/items/whitmansidealdem00bornuoft/whitmansidealdem00bornuoft.pdf

** Marie Ganz (1891 – 1968) anarchiste, syndicaliste et écrivaine. En 1914, elle menaça d’assassiner John D. Rockefeller . Après avoir pénétré dans les bureaux avec un pistolet, elle a déclaré “Dites à Rockefeller que je viens au nom des travailleurs et que si il n’arrête pas les meurtres dans le Colorado…je l’abattrai comme un chien." Ce qui lui valut un séjour en prison
Son autobiographie Rebels: Into Anarchy–And Out Again. https://ia700307.us.archive.org/25/items/whitmansidealdem00bornuoft/whitmansidealdem00bornuoft.pdf

*** empowerment : Ce terme anglais recouvre de nombreuses notions différentes selon les contextes et il n’existe pas de terme français qui en traduit exactement le sens. Une enseignante québécoise a inventé le terme EMPUISSANCEMENT qui, dit-elle, faisait sourire au début et puis "les gens se l’approprient facilement et en ressentent l’effet en le disant…Cà gronde de l’intérieur"
digger
 
Messages: 2149
Enregistré le: 03 Juil 2011, 07:02

Re: L'Anarcha-féminisme

Messagede Lila » 16 Aoû 2014, 17:31

L’anarcha-féminisme

Claude Rua, Marie-Jo Pothier, Hélène Hernandez, Elisabeth Claude

Depuis les premières années du XXe siècle, le féminisme recouvre des conceptions et des sensibilités diverses et parfois opposées. Nous pouvons dégager trois grandes tendances qui
accueillent elles-mêmes différents courants. Une avant-garde radicale,
révolutionnaire, très minoritaire, revendique une égalité totale qui
implique de profonds bouleversements des rôles sexuels. Une tendance
réformiste, majoritaire, représentée par les grandes associations
féministes, milite pour l’amélioration progressive de la condition des
femmes et concentre ses efforts sur les réformes juridiques. Une tendance
modérée, essentiellement suffragiste et politiquement conservatrice, se
constitue dans les années 1920. Ces tendances du féminisme constituent
un mouvement aux frontières perméables.

Aux fondements de l’anarcha-féminisme

Le courant que nous tentons de définir et de développer ici s’est appelé anarcho-féminisme au cours de la préparation d’une Rencontre internationale anarcho-féministe, organisée le 2 mai 1992 à Paris aux côtés de la Rencontre internationale des Fédérations anarchistes. Nous cherchons à dévoiler les discours et les pratiques patriarcaux, afin d’élaborer un féminisme et un anarchisme qui se fécondent mutuellement pour développer un projet révolutionnaire d’une société d’individus libres, égaux et solidaires.
Dès l’émergence des idées anarchistes, il a fallu affronter Pierre-Joseph Proudhon qui apparaît autant misogyne que stupide et odieux sur la question des femmes, dans un siècle, certes, empreint de morale
victorienne, mais qui cherchait en France peu à peu à scolariser les filles.
Dans la Pornocratie ou les femmes dans les temps modernes, nous avons droit à quelques florilèges : « La femme ne peut être que ménagère ou courtisane »,
« La femme est un joli animal, mais c’est un animal. Elle est avide de baisers comme la chèvre de sel ». Heureusement des anarchistes comme Joseph Déjacque, Michel Bakounine ou Eugène Varlin s’opposent à ce point de vue.
Quand Proudhon répond à Jenny d’Héricourt à propos de « M. Proudhon et
la question des femmes » paru dans la Revue philosophique en janvier 1857 : « Et si vous ne la comprenez point, cette question […] cela tient précisément, comme je vous l’ai dit, à votre infirmité sexuelle », Déjacque lui rétorque en mai 1857 par une lettre intitulée De l’être mâle et femelle : « Est-il vraiment possible, célèbre publiciste, que sous votre peau de lion se trouve tant d’ânerie ? […] Cerveau hermaphrodite, votre pensée a la monstruosité du double sexe sous le même crâne, le sexe-lumière et le sexeobscurité, et se roule et se tord en vain sur elle-même sans pouvoir parvenir à enfanter la vérité sociale. » Pourquoi se souvient-on si peu de Déjacque et davantage de la position de Proudhon ?

Quelques figures hautement symboliques de l’anarchisme et du féminisme nous ont ouvert la voie. Qu’il s’agisse de Louise Michel, de Séverine,
de Voltairine de Cleyre, de Nelly Roussel ou d’Emma Goldman, et de tant d’autres moins connues, elles ne se revendiquent pas toutes expressément féministes mais leur vie, leur militantisme, leurs propos, leurs écrits attestent sans équivoque qu’elles veulent être libres de pouvoir penser et agir en tant que femmes et en tant qu’anarchistes. Elles ont su se battre socialement et politiquement, dans toutes les sphères de la société mais aussi au sein du mouvement libertaire pour se faire entendre de leurs compagnons anarchistes dans leur volonté d’exercer pour elles-mêmes et dans la société l’égalité et la liberté : certains de ces compagnons ne partageaient pas tous ces idéaux.

Envers et contre tout, Emma Goldman parcourait les Etats-Unis pour des tournées de meetings sur le birth control, l’amour libre et l’égalité entre les hommes et les femmes. Voltairine de Cleyre argumentait que « le mariage est une mauvaise action » et que « l’esprit du mariage lui-même fabrique l’esclavage ». C’est aussi Nelly Roussel qui écrit : « Le capitalisme a bon dos, et… il est vraiment trop commode aux hommes de rejeter sur lui l’entière responsabilité de choses qui sont dues, pour une bonne part, à leur égoïsme personnel et à leurs préjugés. » Madeleine Pelletier, femme médecin, qui finira ses jours à l’asile, condamnée pour avoir pratiqué des avortements, rappelle dans l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure que le féminisme est une doctrine qui revendique l’émancipation sociale et politique des femmes : « Les anarchistes, qui ne reconnaissent pas la valeur du suffrage universel, ne s’intéressent pas aux revendications politiques des femmes. Mais la société présente n’est pas l’anarchie, et il est naturel que les femmes éprises de justice et d’égalité revendiquent le droit dans la société d’être ce que sont les hommes. » « Ce qu’il nous faut, disait Nelly Roussel, c’est l’indépendance complète, qui n’exclut nullement, bien entendu, l’aide fraternelle et mutuelle. »

Michel Bakounine ou Eugène Varlin furent également des défenseurs des droits des femmes. Au sein de l’Association internationale des travailleurs à
Genève en 1866, Varlin s’opposa à une motion condamnant le travail salarié des
femmes. C’est surtout dans le mouvement néo-malthusien, autour de Paul Robin, puis d’Eugène et Jeanne Humbert, qu’on rencontre le plus grand nombre d’anarchistes convaincus de la nécessité de rompre avec l’oppression spécifique subie par les femmes. En dissociant la sexualité de la reproduction, ils refusent de fournir de la chair à canon pour l’armée et de la chair à travail pour l’usine. Si certaines femmes ne concevaient pas leur rôle de mère comme celui d’utérus pour la patrie, pour Armand il en allait de même.
En 1911, il écrit dans le Malthusien : « La fécondation irréfléchie ravale la femme au rang d’une pondeuse et fait de l’homme qui accepte les charges de la paternité une bête de somme. » Au début du XXe siècle, Sébastien Faure, Manuel Devaldès, Jean Marestan ou André Lorulot choisirent d’appuyer le mouvement néo-malthusien et donc le camp pro-féministe. Le débat est plus difficile au sein de la CGT syndicaliste révolutionnaire. Si les anarcho-syndicalistes voient surtout dans la maîtrise de la fécondité une possibilité de réduire la misère, les anarchistes individualistes défendent une plus grande liberté individuelle, tant pour la femme que pour l’homme : liberté gagnée sur l’esclavage des maternités et sa dépendance à l’homme, pour l’une, liberté gagnée quant à la surexploitation que représentent les heures supplémentaires pour faire vivre la progéniture, pour l’autre.

Les anarchistes, femmes ou hommes, ont non seulement été des propagandistes et des théoriciens qui ont marqué leur temps, mais ils ont aussi mis en place des réalisations concrètes (organisation de la résistance et de la vie quotidienne, éducation, bourses du travail, diffusion des moyens contraceptifs, etc.), dans leur engagement pour éradiquer toute forme d’oppression et d’exploitation des femmes.

En Espagne à tous points de vue, et donc y compris au niveau des femmes, l’idéal libertaire a pu exister dans toute sa plénitude. Vingt mille femmes anarchistes et féministes se regroupent, en 1936, au sein de l’organisation « Mujeres Libres » pour lutter contre l’oppression spécifique
des femmes, leur exploitation économique et leur ignorance maintenue autant par le capitalisme et le machisme que par la religion. Anarchistes, elles éprouveront l’impérieuse nécessité de se regrouper, non seulement pour attirer de nombreuses femmes qui n’auraient pas rejoint d’emblée l’organisation mixte, mais aussi pour pouvoir lutter efficacement contre leur oppression spécifique. Sans ce rassemblement de femmes anarchistes au sein de la révolution espagnole, les revendications des femmes auraient-elles pu émerger et donner naissance à autant de réalisations concrètes et mobiliser autant de femmes ? Elles revendiquent le droit à l’éducation, au travail, à l’amour
libre. Elles organisent des cours d’alphabétisation, de culture générale mais aussi des formations techniques professionnelles ; elles mettent en place des crèches dans les usines et les quartiers, réclament le salaire unique et luttent contre toute forme de mariage. Elles légalisent l’avortement le 25 décembre 1936 en Catalogne.

Leur combat pour leur émancipation, les femmes de Mujeres Libres tentent de le porter au coeur du mouvement libertaire mais y trouvent de solides résistances. Au plénum d’octobre 1938, Mujeres Libres présente un rapport afin de solliciter sa reconnaissance comme partie intégrante du mouvement libertaire : cette démarche est repoussée avec l’argument qu’une organisation spécifiquement féminine serait pour le mouvement un élément de désunion et d’inégalité, et que cela aurait des conséquences négatives pour l’essor de la classe ouvrière. Une façon d’avouer la hiérarchisation des terrains de lutte.



LIRE LA SUITE : http://refractions.plusloin.org/IMG/pdf/2405.pdf

Source : http://refractions.plusloin.org/spip.php?article510
Avatar de l’utilisateur-trice
Lila
 
Messages: 2322
Enregistré le: 07 Mar 2014, 11:13

Re: L'Anarcha-féminisme

Messagede Pïérô » 12 Aoû 2015, 20:47

Une introduction élémentaire à l'Anarcha-féminisme ?

« Les femmes de toutes classes, races, et conditions ont été trop longtemps du côté de celles qui subissent la domination pour vouloir échanger un ensemble de maîtres pour un autre. » – Carol Ehrlich

L’anarchisme est l’idée que nul·le n’est plus qualifié·e que vous ne l’êtes pour déterminer votre propre vie et que vous devriez avoir une auto-détermination. C’est la conviction que les structures de pouvoir sont oppressives et que nous ne serons libres qu’avec l’abolition du pouvoir. Il n’y a pas de but final puisqu’il y aura toujours des dynamiques de pouvoir dans nos vies qui nécessiteront d’être abordées et abolies afin de parvenir à une société exempte de coercition, basée sur la communauté et fonctionnant sur les principes de la démocratie directe. L’anarcha-féminisme est l’application de ces politiques anarchistes à la théorie Black Feminist de l’intersectionnalité.

L’intersectionnalité est l’idée que l’ensemble de nos oppressions individuelles (i.e. classe, genre, race, sexualité, (in)/validité) s’entrecroisent et se renforcent mutuellement dans notre oppression ; par exemple, une femme prolétaire est opprimée dans cette société mais une femme noire prolétaire est davantage encore opprimée. L’intersectionnalité n’a pas vocation à être utilisée comme une excuse pour entrer dans les « Olympiques de l’Oppression », mais plutôt à servir de prisme à travers lequel nous pouvons examiner les différents types d’oppressions et comprendre que chaque oppression individuelle n’est pas isolée ; elle a besoin de l’appui d’autres oppressions ou structures oppressives pour subsister.

On peut considérer notre société actuelle (suprémaciste blanche, capitaliste, validiste, hétéro-patriarcale) comme étant une pelote de laine et les brins de fil individuels comme étant le capitalisme, le racisme, le sexisme, l’homophobie, le validisme, etc. Ces morceaux de fil, ou structures oppressives, n’existent pas isolément pour créer la pelote de laine ; et en reconnaissant ce fait ainsi qu’en allant plus loin dans l’identification de où et comment elles s’entrecroisent, nous bénéficions d’une meilleure compréhension du pouvoir et de comment le détruire.

Le féminisme dans sa forme la plus fondamentale doit être anti-capitaliste. En examinant et en luttant contre les rôles genrés patriarcaux qui nous sont assignés en tant que femmes il est important de se demander d’où viennent ces rôles et quels intérêts servent-ils ? Le genre est la division capitaliste du travail, c’est une construction sociale ; il n’est pas basé sur le sexe anatomique (puisque le sexe anatomique et le genre ne s’accordent pas toujours), il est basé sur une oppression. Entretenir la croyance patriarcale selon laquelle les hommes sont biologiquement faits pour dominer les femmes a autant de sens que croire que les classes supérieures ou les élites sociales sont faites pour dominer le reste de l’humanité.

Certains travaux ont facilité ces rôles genrés patriarcaux ; le travail des hommes était à l’extérieur de la maison et était généralement rémunéré, tandis que le travail des femmes (tâches ménagères, soins, etc.), n’était pas considéré comme du travail, et de fait n’était pas rémunéré. Au contraire, il était du devoir de toutes les femmes de faire la cuisine, la vaisselle, de se reproduire et élever les enfants. Le travail de reproduction est nécessaire à une société capitaliste, le conserver non-rémunéré est nécessaire à la continuité de son existence. Le Capital n’a pas les moyens de rémunérer le travail de reproduction mais se battre pour la rémunération du travail de reproduction n’est pas une voie qui mène à la libération. Lutter contre les rôles genrés qui nous sont assignés et contre les structures de pouvoir qui existent à l’intérieur de la classe travailleuse, en revanche, est un chemin vers la libération.

En définitive, les classes sont une problématique féministe. Les femmes sont démesurément plus pauvres que les hommes, et les femmes non-blanches plus pauvres encore. Les effets dévastateurs du capitalisme ne sont pas non plus étrangers aux mères célibataires. En moyenne, autour du globe, les femmes continuent d’être payées moins, y compris celles qui font exactement le même travail que leurs équivalents masculins. Sans compter que l’argent c’est le pouvoir, et que ceux qui ont le pouvoir sont généralement des hommes.

L’anarchisme est contre l’autorité injuste et le féminisme considère la famille nucléaire comme étant le fondement de tous les systèmes autoritaires : le père contrôle sa femme/partenaire et ses enfants, le patron contrôle le père, le gouvernement contrôle le patron. Les enfants sont éduqués à connaître leur place, et non à remettre cette place en question.

L’État est un système autoritaire ; il est une institution exploitante, oppressive, patriarcale et dominée par des hommes. L’État, quelque soit sa forme, est fondé sur l’esclavage, la violence, les mensonges, la traîtrise et la duperie – et toutes ces choses doivent être utilisées pour le maintenir. Très clairement, l’État est ce qu’il est : le défenseur du vieux privilège / créateur du nouveau privilège et un moyen d’exploiter les masses. Il doit également créer certains antagonismes sociaux artificiels afin de justifier sa propre existence. La création d’un nouvel État nécessiterait un nouveau groupe de personnes privilégiées ou une nouvelle classe privilégiée, dont la fonction serait de maintenir sa domination.

On ne peut “élire” la révolution : ainsi que le dit Kropotkine, “l’organisation étatique, qui est la force par laquelle les minorités ont choisi d’établir et d’organiser leur pouvoir sur les masses, ne peut pas être la force qui servira à détruire les privilèges”. La révolution doit être réellement libératrice, cela ne peut se faire que par le biais d’organisations révolutionnaires ascendantes et non-hiérarchiques. La participation féminine dans ces mêmes institutions pourries qui existent actuellement n’éradiquera pas le sexisme, cela assurera seulement plus avant l’oppression et la domination. Le mouvement anarcha-féministe ne veut pas imiter les structures de pouvoir patriarcales actuelles, nous cherchons plutôt à les détruire.

Il apparaît que le féminisme doit être anarchiste ; le féminisme par nature veut démanteler les structures de pouvoir du patriarcat, mais comme nous l’avons précédemment établi, ces structures de pouvoir oppressives ne sont pas indépendantes. Nous ne pouvons être libres qu’avec l’abolition du pouvoir, ainsi donc nous ne pouvons sélectionner et choisir quelles structures de pouvoir nous aimons et lesquelles nous n’aimons pas puisqu’elles travaillent toutes ensemble pour se renforcer l’une l’autre ; l’une ne peut disparaître seule, elles doivent disparaître ensemble. ■


Écrit par Fionnghuala Nic Roibeaird
pour Workers Solidarity Movement, publié le 2015-03-04
http://www.wsm.ie/c/introduction-anarch ... -anarchist

Traduit par le Groupe de Clermont-Ferrand de la CGA

Paru dans : Résistances libertaires 1 - L’état et le patronat nous attaquent ! Reprenons l'offensive !

http://c-g-a.org/motion/une-introductio ... -feminisme
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps

Le féminisme comme processus anarchiste. La pratique de l’an

Messagede digger » 02 Nov 2015, 08:29

Le féminisme comme processus anarchiste. La pratique de l’anarcha-féminisme

Texte inédit traduit

Avec l’aimable autorisation de Elaine / Courtesy of Elaine

Texte original : Feminism as an Anarchist Process The Practice of Anarcha-Feminism Elaine Leeder
http://theanarchistlibrary.org/library/elaine-leeder-feminism-as-an-anarchist-process

« Lorsque Tiamat créa le monde, elle le créa complet et sans division afin que la vie s’écoule spontanément entre l’obscurité et la lumière, entre les saisons, la naissance et la mort et toutes les faces de la lune et du soleil brillaient sur les êtres intelligents, les humains, sans être séparés, classés en catégories, analysés, possédés. Puis le fils de Tiamat développa son pouvoir et renversa sa mère, la découpa en tous petits morceaux et les éparpilla. De ces morceaux, il fit son nouveau monde, où tout avait sa place attitrée, son numéro. De là, les hommes l’appelèrent le créateur. Le nom de Tiamat était encore connu et elle était vénérée par les femmes, mais les hommes la craignait désormais comme la déesse du Chaos, de la destruction, — de l’ anarchie. »
Z. Budapest

Depuis ces quatre dernières années, je me suis revendiquée anarcha-féministe. J’ai participé à des groupes, réunions publiques et conférences anarcha-féministes et j’ai donné des cours à travers la méthode de petits groupes. A travers mon expérience, j’ai pris conscience que l’interaction dans tous les groupes de femmes avait une couleur et un style unique et que cela était particulièrement vrai dans les groupes féministes. Ce style a été appelé le le procédé de la « mosaïque ». 1 Il contraste avec la pensée traditionnelle « linéaire » qui a envahi les interactions humaines dans cette société. Les caractéristiques de la compétition et de la hiérarchie font partie intégrante du système capitaliste. Des arguments logiques, linéaires, sont utilisées dans les discussions pour perpétuer les valeurs de ce système. La pensée linéaire a pour but d’étayer ou de contester une hypothèse. Dans ce mode de pensée, peu de valeur a été accordé aux valeurs féminines de coopération, d’émotion et d’intuition. Le modèle de la mosaïque qu’utilise les femmes comprend une structure de soutien avec considérablement moins de compétition. 2 Il utilise des matériaux anecdotique, encourage l’interjection de remarques dans les conversations, accepte les données émotionnelles comme partie légitime des discussions intellectuelles, utilise des histoires et paraphrases, change de directions et fait évoluer le groupe dans son ensemble vers une recherche mutuelle de compréhension. C’est un processus organique, non hiérarchique et non compétitif. Il pourrait en fait être qualifié d’anarchiste parce que les valeurs d’absence de leader et de hiérarchie, la non compétition et la spontanéité ont été historiquement associées à l’anarchisme. Ce sont aussi des valeurs féminines. A partir de ce que j’ai pu constater, ce mode de fonctionnement existe moins fréquemment dans les groupes mixtes. En réalité, il n’existe presque jamais dans les groupes anarchistes. La littérature anarchiste est remplie de documents sur l’exploitation par les anarchistes hommes des femmes anarchistes dans leur vie de tous les jours. 3 Ma propre expérience récente parmi des anarchistes de longue date , et même parmi la nouvelle génération, étaye ce point de vue.

Les principes anarchistes et leurs pratiques actuels de résolution des conflits. Il existe un sexisme au sein de l’anarchisme. Il est important pour l’anarchisme d’intégrer ce « processus féministe » dans leurs pratiques afin que, en définitif, les principes et les pratiques anarchistes ne fassent qu’un.

Il existe un certain nombre de féministes, moi y compris, qui ont pris conscience de l’anarchisme inhérent de notre procédé, et qui ont commencé à travailler en groupes pour étudier et évoluer en tant qu’anarcha-féministes. Cet hybride est apparu à la fin des années soixante alors que beaucoup d’entre nous étions engagées dans des organisations de masse, compétitives et hiérarchiques, dominées par les hommes. A cette époque (et encore de nos jours), dans la littérature anarchiste, on disait aux femmes de travailler pour le mouvement dans son ensemble. Au lieu de cela, beaucoup d’entre nous ont formé des petits groupes de sensibilisation qui traitaient des questions personnelles de notre vie quotidienne. C’étaient des groupes spontanés d’action directe que nous organisions nous-mêmes. Il existait beaucoup de groupes semblables dans l’Espagne d’avant 1936 qui pourraient être qualifiés de groupe d’affinité. Ceux-ci étaient fondés sur la similarité d’intérêts et avaient une démocratie interne à travers de la quelle les femmes pouvaient partager les informations et le savoir. Ces groupes étaient généralement composés de femmes blanches de la classe moyenne, qui se trouvaient souvent parfois dans une situation où elles n’étaient pas en situation de compétition les unes envers les autres. Les femmes du tiers-monde et de la classe ouvrière n’étaient généralement pas impliquées dans les groupes de sensibilisation, ce qui est aussi le cas dans les groupes anarcha-féministes aujourd’hui.

A partir de ces tous premiers débuts, une théorie féministe a lentement évolué. Quelques-unes d’entre nous ont commencé à étudier les théories politiques dans ces petits groupes et ont découvert l’anarchisme inhérent à notre féminisme. Nous avons commencé à utiliser les analyses anarchistes pour nous aider à développer notre théorie et notre stratégie pour le changement social. Quelques-unes d’entre nous pensaient que le patriarcat était une hiérarchie dominée par les hommes et que la famille nucléaire perpétuait cette hiérarchie. La famille, découvrions-nous, nous apprend à obéir au Père, à Dieu, aux Enseignants, aux Patrons et à tout ce qui est au-dessus de nous. 4 Elle nous apprend la compétition, le consumérisme et l’isolement, ainsi que la considération de l’autre dans une relation sujet-objet. Je l’ai vu clairement dans mon travail de thérapie familiale. Les familles nucléaires, je le sais maintenant, sont la base de tous les systèmes hiérarchiques autoritaires. Il en résulte que si l’on combat le patriarcat, on combat toutes les hiérarchies. Si nous changeons la nature de la famille nucléaire, nous pouvons commencer à changer toutes les formes de leadership, de domination et de gouvernements.

Suite à ces réflexions, quelques-unes d’entre nous attachons maintenant de l’importance à d’autres façon de considérer les choses. Nous ne devons plus voir le monde seulement à travers des modes de pensées linéaires; rationnel vs. sensuel, esprit vs. corps, logique vs. intuition. Nous avons commencé à regarder ce qui nous entoure en termes de continuum plutôt qu’en des termes dualistes et compétitifs. 5 Nous avons découvert qu’il devait y avoir une place pour les deux modèles, linéaire et mosaïque, et que les deux étaient des méthodes pertinentes de pensée et de fonctionnement.

Si l’on continue à regarder le monde en ces termes, il en résulte que les anarcha-féministes ne prétendent pas que les femmes devraient obtenir une part égale du pouvoir. Au lieu de cela, nous disons qu’il faudrait abolir toutes les relations de pouvoir. Nous ne voulons pas une femme président. Nous ne voulons pas du tout de président. Pour nous un salaire égal à travail égal n’est pas une question cruciale. La répartition du pouvoir et les hiérarchies le sont.

Les groupes féministes suivent souvent les principes anarchistes. Quelques-unes d’entre nous ont exprimé cette relation. D’autres non, mais la forme est toujours présent, quelle soit consciente ou non. Nos groupes sont généralement petits et parfois, ils forment des alliances pour agir ensemble sur certaines questions. Cela ressemble au concept anarchiste de fédérations. Au sein des groupes, il existe une tentative de rotation de tâches et de partage de compétences, afin que le pouvoir ne réside jamais chez une seule personne. Selon les principes anarchistes, il existe un accès égal à toute l’information et ces groupes sont sur une base volontaire et intentionnelle. Ils sont non hiérarchiques et l’auto-discipline est cruciale. Les personnes non qualifiées sont incitées à prendre des postes de responsabilités et les leaders transmettent leurs compétences à celles qui ne possèdent pas de connaissances dans certains domaines. Nous travaillons dans ces groupes en mettant en pratique la révolution dans nos vies quotidiennes. Nous discutons à chaud de nos expériences d’oppression parmi nous mêmes et parmi ceux avec qui nous vivons. Nous travaillons sur des questions de tous les jours qui nous oppriment, et pas seulement sur des idées théoriques et abstraites de révolution.

Comme pratiquante, j’ai découvert que la question de la résolution des conflits était cruciale dans le développement de la cohésion dans ces petits groupes. Lorsque des conflits éclatent parmi nous, nous essayons de faire preuve d’auto-discipline et de nous mettre à la place de l’autre personne. J’ai rarement vu utiliser la coercition dans des petits groupes anarcha-féministe. Le désaccord est accepté, écouté et considéré comme enrichissant. Parfois, un point est contesté et un débat s’ensuit. Ce point est souvent écouté et compris parce que beaucoup d’entre nous réalisons que nos désaccords proviennent de différentes expériences de vie. Généralement, à la fin d’une session, le conflit a été résolu. Sinon, nous y revenons la fois suivante, ayant réfléchi plus avant sur la question. Nous en discutons ou le mettons de côté, le cas échéant. Il y a place pour le désaccord parce que se sont développées la confiance et le respect mutuel. Cette confiance est une qualité difficile à instaurer dans des groupes plus grands, ce qui peut expliquer pourquoi nous préférons toujours des plus petits. Nous avons appris que la communication était cruciale et, qu’à travers elle, nous pouvions parler de nos différences. Les conflits peuvent survenir, et surviennent régulièrement, parce que nous avons su les analyser.

Parce que nous voyons la nécessité de nous opposer au sexisme dans nos vies quotidiennes, quelques-unes d’entre nous ont ressenti le besoin d’affronter les hommes (anarchistes ou non) qui ne vivent pas dans leur vie personnelle ce qu’ils prêchent dans leurs vies politiques. On dit souvent que les femmes pratiquent l’anarchisme et ne le connaissent pas alors que quelques hommes se proclament anarchistes et ne le pratiquent pas. Quelques-unes d’entre nous ont travaillé à restructurer des organisations politiques mixtes afin que l’intuition, l’émotion et la spontanéité soient expérimentées par d’autres que des féministes. Dans quelques-uns de ces groupes mixtes, nous avons essayé d’introduire le processus de prise de décision par consensus qui fait habituellement partie des groupes de femmes. Ces tentatives n’ont eu, pour la plupart, qu’un succès limité. Généralement, la compétition, l’agressivité et le leadership dominateur ont pris le dessus dans ces groupes mixtes qui essayaient d’être anarchistes. Les conflits n’étaient pas aussi facilement résolus qu’ils ne l’étaient dans des groupes exclusivement féminins.

On peut trouver des groupes anarcha-féministes dans le monde entier. Un de ces groupes, Tiamat, un groupe d’affinité anarcha-féministe de Ithaca, New York a existé de août 1975 à août 1978. J’en étais membre et je pense que Tiamat est un excellent exemple de l’anarcha-féminisme en action. Nous avions pris le nom de Tiamat en référence au livre de Z. Budapest qui décrivait ce mythe « Lorsque Tiamat créa le monde, elle le créa complet et sans division afin que la vie s’écoule spontanément entre l’obscurité et la lumière, la saison et la saison, la naissance et la mort et toutes les faces de la lune et du soleil brillaient sur les êtres intelligents, les humains, sans être séparés, classés en catégories, analysés, possédés. Puis le fils de Tiamat développa son pouvoir et renversa sa mère, la découpa en tous petits morceaux et les éparpilla. De ces morceaux, il fit son nouveau monde, où tout avait sa place attitrée, son numéro. De là, les hommes l’appelèrent le créateur. Le nom de Tiamat était encore connu et elle était vénérée par les femmes mais les hommes la craignait désormais comme la déesse du Chaos, de la destruction, — de l’ anarchie. » 6

Notre premier objectif était d’étudier et la première année et demie, nous avons lu ensemble ce qui concerne la théorie anarchiste. Ensuite, chacune d’entre nous a présenté les idées et théories sur lesquelles nous avions fait des recherches. Plus tard encore, nous avons publié un bulletin (Anarcha-Feminist Notes.*), financé par la Anarcha-Feminist Conference et nous sommes impliquées dans des questions politiques locales. Nous avons protesté, par exemple, contre la construction d’une galerie marchande, collecté de l’argent pour un centre de soins de jour pour les dissidents politiques au Chili. Nous voulions l’essor du politique, la ré-éducation, la critique, la discussion et l’action, et tout cela fut fait.

Notre procédé était intéressant. Nous utilisions une procédure appelé « prise de nouvelles » [check-in] où chacune d’entre nous parlions de nos vie sur le moment, des problèmes auxquels nous étions personnellement confrontés et comment nous nous sentions à l’écoute de ce que nous allions discuter ce soir-là. Parfois, nous passions la session entière à la prise de nouvelle, ou à discuter des nouvelles de l’une des participantes ou d’une question abordée par la prise de nouvelles. A d’autres moments, nous abordions des questions intellectuelles. A travers la prise de nouvelles, nous devenions responsables les unes des autres et avons commencé à nous connaître plutôt bien. Souvent nous nous faisions l’avocate du diable afin de pouvoir nous plonger profondément dans un désaccord politique. Tout cela se déroulait dans une atmosphère de confiance qui se développait au fil du temps. Du fait de nos différences dans nos perceptions et styles de vies, nous pouvions apprendre beaucoup les unes des autres. Ces différences étaient aussi la source de nombreux conflits. La moitié du groupe était hétérosexuel et l’autre moitié lesbienne. Nos vies personnelles étaient souvent sources de tension à cause de cela, mais nos similarités quant aux perspectives et à nos idées politiques et au travail à faire aidaient souvent à dépasser nos différences. Nous étions un groupe centré sur le féminisme qui était intellectuel mais orienté vers l’action. Parfois, nous étions très linéaire et logiques dans nos études mais il y avait toujours place pour l’émotion et le soutien. Nous ressentions toutes qu’il y avait un quelque chose d’inexplicable qui nous a maintenu toutes ensembles malgré nos différences pendant trois ans. Nos études comprenaient l’anarchisme russe , espagnol, l’anarcho-syndicalisme et l’anarcho-communisme. Nous étudions la Chine, les premiers anarchistes américains et comment nous, en tant que anarchistes, pouvions vivre ces principes dans nos vies. Nous discutions de la vie avec les hommes, du mariage et de la question d’avoir des enfants et ayant des enfants.Nous débattions du séparatisme et de ses effets sur le mouvement des femmes. Nous étudions la question du salaire pour le travail domestique et de l’énergie nucléaire du point de vue des femmes. Nous organisions des fêtes à l’occasion d’anniversaires, des pique-niques et des anti-célébrations du 4 juillet. Nos défilions ensemble dans des manifestations, avons aidé d’autres groupes anarcha-féministes à démarrer et avons échangé des lectures et un soutien mutuel. Nous étions profondément attentionnées les unes envers les autres et quand nous nous rencontrions dans d’autres endroits, nous ressentions une profonde unité et camaraderie.

Au bout de trois ans, deux des neuf membres ont quitté la région. Une autre membre s’est désengagée peu à peu, ressentant le besoin à ce moment d’un plus grand engagement dans la communauté lesbienne. Par conséquent, les six d’entre nous qui restaient n’ont pas jugé approprié de reconstruire un groupe qui avait été une entité si unique. Au lieu de cela, nous avons considéré sa disparition positivement, sentant qu’il était maintenant temps pour chacune d’entre nous d’aller vers de nouvelles directions. Quelques-unes d’entre nous rejoignirent un groupe d’affinité de femmes anti-nucléaire, d’autres la Lesbian Alliance, d’autres encore travaillèrent avec un groupe mixte sur des questions écologiques.

Avant la dissolution du groupe, nous avons organisé une Conférence anarcha-féministe qui a rassemblé quatre-vingt cinq femmes de provenances aussi diverses que l’Italie, Toronto, Boston, New York, Baltimore et Philadelphie. Bien que Tiamat et ses sympathisantes étaient les organisatrices, les responsabilités furent partagées une fois les participantes toutes arrivées. De nombreux ateliers furent organisés, comprenant l’anarcha-féminisme et l’écologie, la théorie anarcha-féministe, les perspectives d’avenir, les femmes dans le tiers-monde, le travail avec les hommes et la construction d’un réseau anarcha-féministe, pour n’en citer que quelques-uns. Le cadre était idyllique. Nous nous sommes rencontrées dans une nature préservée près du Lac Cayuga. L’hébergement rustique, la nourriture saine et savoureuse et le temps parfait, ensoleillé et chaud, en ont fait un week-end idéal. Pendant la journée, nous nous rencontrions en groupes et le soir nous jouions de la musique, partageions de la poésie et dansions sur des musiques de femmes. Une femme, Kathy Fire chanta des chansons de son album “Songs from a Lesbian Anarchist.” **

Par nos discussions, nous avions découvert la nécessité de garder nos groupes petits. Des groupes de plus de dix membres inhibaient la conversation. Il semblait aussi qu’un leadership désigné était important. Le rôle de leader aurait pu tourner, mais il était important qu’il y ait quelqu’un qui puisse reconnaître celles qui parlaient, pour éclairer la discussion, la résumer et faire évoluer le groupe vers de nouveaux thèmes. Nous avons découvert que le leadership fonctionnait mieux lorsqu’il ne reposait pas entre les mains de quelques-unes. A un moment de la conférence, des participantes ont jugé que le calendrier des ateliers était trop chargé et par le procédé de la prise de décision par consensus, un nouveau programme fut mis en place. Nous avons peiné, des tensions sont apparues, mais à la fin, nous avions atteint ensemble un autre niveau. Il n’y avait pas de situations de pouvoir, les décisions étaient prises par toutes, le partage était spontané, douloureux, mais ouvert et le leadership tournait. C’était un exemple d’anarchisme en pratique. Plus tard, lors du cercle d’adieu, après un week-end assises nues au soleil, 85 femmes se sont tenues par la main, et ont repris des forces par le groupe. Nous étions liées ensemble par notre vision d’une société nouvelle et par ce que nous avions vécu ensemble. Nous avions pris des contacts pour notre travail futur. Nous n’étions plus des individus ou des groupes isolés. Nous appartenions à un réseau plus large de femmes qui pourraient se rencontrer partout dans le monde et avoir des idées et des espoirs semblables. Nous avons commencé des journaux, aux rédactions tournantes, prévu de continuer notre journal Anarcha-Feminist Notes et beaucoup d’entre nous, de se rencontrer à Seabrook et dans d’autres manifestations anti-nucléaires.

Tiamat et la Conférence Anarcha-Féministe ne sont que deux exemples du processus anarcha-féministe. D’autres groupes incarnent ces principes sans prendre conscience de l’anarchisme qu’ils contiennent. Récemment, j’ai enseigné à des petits groupes de niveau universitaire. J’ai essayé, au sein de ces classes, de transmettre tous les procédés décrits ci-dessus à des étudiants blancs, issus des classes moyennes,principalement des femmes, en menant les cours de manière très semblable à une réunion anarcha-féministe. Ici, les étudiants sont traités avec attention et respect. Ils ont commencé doucement à partager intellectuellement et personnellement. A la fin du semestre, ils ont pris conscience qu’ils pouvaient apprendre beaucoup les uns des autres et en regardant en eux-mêmes au lieu de se tourner vers un expert extérieur issu de la hiérarchie pour leur transmettre un savoir. A travers ce processus, ils ont acquis du pouvoir sur leur vie et, par la suite, dissous les relations de pouvoir au sein de la classe. J’ai vécu l’expérience ici, à travers laquelle ces étudiants privilégiés sont passés directement et consciemment de l’état de fervent capitalistes à celui de collectivistes en herbe sans avoir été dans la gauche révolutionnaire. Il est possible d’arriver à ces conclusions anarchistes à travers des expériences comme celles-ci.

A partir de mon expérience avec des femmes dans différents groupes , il est clair pour moi que le temps est venu pour les féministes de clarifier et d’exprimer ouvertement l’anarchisme de notre féminisme. Nous avons le besoin de l’appeler par son nom et de commencer à la bâtir comme alternative viable et acceptable. On ne doit pas chuchoter plus longtemps le mot “anarchisme”. Nous le vivons maintenant. Dans nos petits groupes. La prochaine étape est de faire savoir, à nous et aux autres, qui nous sommes et quelle est notre vision du présent et de l’avenir.

NDA
[1] Cooper, Babette, Kaxine Ethelchild et Lucy White. “The Feminist Process: Developing a non-competitive process with work groups,” Août 1974, non publié.
[2] Ibid.
[3] Goldman Emma et Alexander Berkman. Nowhere at Home. Richard Drennon, Ed. Shocken Books. New York. 1975. pp. 185–107.
[4] Kornegger, Peggy. “Anarchism the Feminist Connection.” Second Wave, 4: 1. Printemps, 1975. p. 31 Anarchisme : La Connexion Féministe sur R&B https://racinesetbranches.wordpress.com/anarcha/anarchisme-la-connexion-feministe/
[5] Ibid. p. 32.
[6] Jenny Reece tel que reproduit de Budapest, Z. and the Feminist Book of Lights and Shadow Collective. The Feminist Wicca, Lincoln Boulevard, Venice, California. 90291. 1975.

* NDT
*Accessible en ligne : Anarcha-feminist Notes Printemps 1977 Vol 1 n°2 http://dwardmac.pitzer.edu/Anarchist_archives////coldoffthepresses/AFN/Anarcha-Feminist%20Notes%20vol.%201%20no%202.pdf ; septembre 1977 Vol 1 n°3 http://dwardmac.pitzer.edu/Anarchist_archives////coldoffthepresses/AFN/Anarcha%20Feminist%20Notes%20vol.%201%20no.%203.pdf
** Kathy Fire Songs Of Fire / Songs Of A Lesbian Anarchist Folkways Records ‎– FS 8585 1978, dont est extrait Mother Rage https://youtu.be/xulZCsNviAo et un article The sound of Sappho : Kathy Fire’s « Mother Rage » http://streetcarnage.com/blog/the-sounds-of-sappho-kathy-fires-mother-rage/

Blog de Elaine : race & ethnicity http://www.sonoma.edu/users/l/leeder/index.htm
digger
 
Messages: 2149
Enregistré le: 03 Juil 2011, 07:02

Re: L'Anarcha-féminisme

Messagede luco » 04 Nov 2015, 07:47

. J’ai essayé, au sein de ces classes, de transmettre tous les procédés décrits ci-dessus à des étudiants blancs, issus des classes moyennes,principalement des femmes, en menant les cours de manière très semblable à une réunion anarcha-féministe. Ici, les étudiants sont traités avec attention et respect. Ils ont commencé doucement à partager intellectuellement et personnellement. A la fin du semestre, ils ont pris conscience qu’ils pouvaient apprendre beaucoup les uns des autres et en regardant en eux-mêmes au lieu de se tourner vers un expert extérieur issu de la hiérarchie pour leur transmettre un savoir. A travers ce processus, ils ont acquis du pouvoir sur leur vie et, par la suite, dissous les relations de pouvoir au sein de la classe. J’ai vécu l’expérience ici, à travers laquelle ces étudiants privilégiés sont passés directement et consciemment de l’état de fervent capitalistes à celui de collectivistes en herbe sans avoir été dans la gauche révolutionnaire. Il est possible d’arriver à ces conclusions anarchistes à travers des expériences comme celles-ci.


Trop bien ! On a trouver le moyen de transformer les "petit-bourgeois blancs" en "collectiviste en herbe" ! Grâce à une prof "anarcha-féministe" infiltrée dans le système de reproduction des dominants / oppresseurs !

Halleluia !

Plus besoin de lutter. Plus besoin de subir les conséquences d'un possible déclassement. Plus besoin d'être pauvre ! Une bonne prof suffit (et un bâton de parole, certainement).

Décidément l'américanisation galopante des sociétés n'est pas un mythe... :roll:
Avatar de l’utilisateur-trice
luco
 
Messages: 376
Enregistré le: 30 Déc 2008, 13:43

Re: L'Anarcha-féminisme

Messagede digger » 11 Nov 2015, 12:33

Je n'ai rien à répondre à cela. ou trop, c'est selon. Nous ne sommes pas ici sur le plan des idées mais sur celui des 'ficelles' d'un débat, ou d'un forum. Je les connais pour les avoir utilisées parfois. Ensuite, j'ai travaillé sur des moyens de les éviter, ainsi que sur l'intérêt d'une telle démarche pour l'efficacité d'une action de groupe.

Ces (grosses) "ficelles" sont généralement contre-productives, partant du principe que les interlocuteurs-trices, ou lecteurs-trices ne sont pas des imbéciles. C'est pourquoi, les laisser utiliser tout en refusant de le faire soi-même, suffit à discréditer l'utilisateur-trice et à démontrer per se la justesse ou l'utilité de ce qu'il/elle dénonce ou contredit. Autrement dit, ils/elles font mieux le travail que ne pourrait le faire toute participation à leur petit jeu.

Rien de personnel là-dedans. Il ne s'agit que d'une réflexion (collective) de longue date sur les structures et les fonctionnement de groupes, réflexion que les groupes anarcha-féministes et féministes radicales ont considérablement fait avancer dans les années 60/70. Dans ce domaine, comme dans bien d'autres, il y a eu ensuite une forte poussée réactionnaire pour protéger des pouvoirs et des intérêts multiples (et pas seulement des "institutions", du "système" et de tous les autres "coupables" généralement mis en avant.)

Aujourd'hui, ces idées refont surface, sciemment ou de manière intuitive, dans de nombreux groupes et/ou initiatives. Elles dérangeront de la même manière. Déjà, se posent les mêmes problèmes, se rencontrent les mêmes difficultés, les mêmes freins qu'il y a quelques décennies. Les mêmes méthodes aussi. Au moins, sur ce point, il n'y aura pas de surprises.

Nous n'avons pas la même lecture de Emma Goldman et Louise Michel. Très bien. Nous ne sommes pas les seuls dans ce cas-là. (De la même manière, des féministes occultent totalement ses convictions anarchistes, dérangeantes, pour n'en garder que ses positions sur le contrôle des naissances par exemple) La vraie question est dans l'approche. Je me fous totalement que ces deux femmes et d'autres soient anarcha-féministes ou non. Ce qui m'importe, c'est que leurs écrits soient accessibles et que chacun-e en tire ses propres conclusions. Je pense que l'anarchisme n'a pas besoin d'endoctrinement mais de personnes capables de penser et de prendre leurs décisions par elles-mêmes.

Quant à ton couplet sur Elaine :
Trop bien ! On a trouver le moyen de transformer les "petit-bourgeois blancs" en "collectiviste en herbe" ! Grâce à une prof "anarcha-féministe" infiltrée dans le système de reproduction des dominants / oppresseurs !
Halleluia !


je le trouve méprisant et méprisable et te renvoies aux méthodes dont je parlais plus haut.
Fin du HS (et fin tout court)
digger
 
Messages: 2149
Enregistré le: 03 Juil 2011, 07:02

Re: L'Anarcha-féminisme

Messagede bipbip » 30 Juil 2017, 16:39

Vers une théorie générale de l’anarcha-féminisme

Texte original : Toward a General Theory of Anarchafeminism – Howard J. Ehrlich
http://library.nothingness.org/articles ... isplay/358

Les personnes familières avec les théories de l’anarchisme social et du féminisme sont immanquablement frappées par leurs similitudes. Les deux ensembles de théories considèrent les inégalités sociales et économiques comme enracinées dans les aménagements du pouvoir institutionnalisé; les deux soulignent la nécessité de transformer ces agencements comme pré-condition à la libération; et les deux œuvrent à la réalisation de l’autonomie et de la liberté individuelle au sein d’un contexte collectif.

Les écrits d’auteures telles que Elaine Leeder, L. Susan Brown, Peggy Kornegger, Carol Ehrlich, Neala Schleuning et Jane Meyerding 1 s’assemblent de manière extraordinaire. Alors que toutes encouragent une position anarcha-féministe, chacune d’entre elles se heurte avec les différences qui existent entre cette position et les autres formes de féminisme. C’est ici que nous devons commencer. Je pense que nous devons examiner les affirmations de base des théories féministes et observer comment des personnes en viennent à adhérer à certaines d’entre elles et pas à d’autres.

Toutes les théories féministes commencent par une série d’observations au sujet des femmes dans la société. Ces trois déclarations forment le noyau de ces observations.

1. Les rôles sociaux attribués aux femmes et aux hommes dans la société sont avant tout déterminés sur des bases culturelles .
2 .Les femmes sont discriminées dans tous les domaines de la société — personnellement, socialement, professionnellement et politiquement.
3. Les femmes sont physiquement chosifiées et, par conséquent, systématiquement harcelées et agressées sexuellement.

D’après ces observations, les féministes ont dû affirmer que:

4. Les femmes et les hommes sont égaux.

Les féministes libérales cherchent à affirmer leur égalité en modifiant les aménagements du pouvoir actuel. Leur objectif est d’éliminer la discrimination, c’est à dire les formes institutionnalisées de traitements différentiels. Leur but n’est pas de transformer les structures fondamentales de la société. En outre, elles n’ont aucune revendication précise concernant les femmes en tant que classe ou au sujet de la culture des femmes. Leur but est d’obtenir une égalité d’accès aux centres du pouvoir.

Le mouvement des femmes est divisé sur les questions des inégalités existantes parmi les femmes, particulièrement entre classes sociales, origines ethniques et couleurs de peau. A la fois sur le plan idéologique et organisationnel du mouvement, ces divisions s’avèrent aussi difficiles pour le mouvement féministe qu’elles ne l’ont été pour la société dans son ensemble. Pour certaines féministes, cela n’est pas considéré comme des problèmes ; alors que pour certaines autres, ils sont considérés comme subordonnés à la lutte pour le pouvoir. D’autres encore, principalement les féministes radicales, sont divisées quant au processus par lequel les questions de classes, d’origines ethniques et de couleurs de peau devraient être incorporées au sein du mouvement des femmes.

Pour les différents types de féministes radicales (et les anarchistes sont l’une d’entre elles), il existe des opinions supplémentaires constituant leurs théories. L’insistance sur la cohérence des fins est des moyens, notamment dans la vie quotidienne, est centrale dans toutes les perspectives radicales.

5. Le personnel est politique.

Le « politique » est défini comme allant au-delà des maigres actualités des gouvernements formels. Il inclut tout ce que nous faisons dans la vie quotidienne, tout ce qui nous arrive, et chaque interprétation que nous en faisons.

Comme les cultures différencient les personnes sur la base du sexe, les femmes ont un éventail d’expériences différent de celui des hommes. Même des expériences similaires seront porteuses de sens différents. Il en résulte que les femmes (et les hommes) ont développé des sous-cultures différentes. La reconnaissance de cette différence culturelle est exprimée dans d’autres affirmations de la théorie féministe.

6.il existe une sous-culture féminine séparée, identifiable dans chaque société.

Les éléments distinctifs de cette culture sont généralement ceux centrés autour des activités concernant l’entretien, tel que les tâches ménagères ou l’agriculture de subsistance, et des activités incluant des relations personnelles, telles que le réconfort, l’empathie et la solidarité (certains types de pensée féministes y incluent la spiritualité.)

La plupart des féministes radicales pensent que les éléments de la culture féministe sont préférables à leurs analogues masculins dans la culture dominante. Certaines d’entre elles s’arrêtent tout naturellement à ce stade, choisissant de vivre (et de travailler si possible) au sein de communauté de femmes. D’autres, affirmant la supériorité de la culture féminine, et souvent, par implication, la supériorité des femmes, ont souvent avancé qu’une société contrôlée par des femmes ne présenterait pas les caractères oppressifs des sociétés patriarcales. Certaines d’entre elles ont élaboré des théories matriarcales des sociétés passées et futures.

Comme toutes les théories politiques, le féminisme radical comporte un ensemble d’énoncés sur comment le changement va survenir. (Beaucoup d’entre eux sont décrit dans mon essai « Building a revolutionary transfer culture » (Social Anarchism, n°4, 1982). Deux exigences centrales sont présentes dans le transfert culturel féministe :

7. L’individu travaillant collectivement avec d’autres est le centre du changement.
8. Les institutions alternatives construites sur les principes de la coopération et de l’aide mutuelle sont les formes organisationnelles pour ce changement.

Les transformations sociales significatives ne proviennent pas d’individus travaillant seuls. Elles viennent d’organisations d’individus dans un cadre d’aide mutuelle et de coopération. Dans cet esprit, les féministes radicales et les anarchistes sociaux ont construit un nombre impressionnant d’organisations et de réseaux: des collectifs de médias, des cliniques, des troupes de théâtre, des écoles alternatives, des entreprises à but non lucratif, des centres communautaires, et bien d’autres encore. Les organisations bâties par les féministes radicales sont souvent développées à partir de principes anarchistes même si, comme le souligne Peggy Kornegger dans son essai « Anarchism: The Feminist Connection« , ce développement est généralement intuitif. Au contraire, pour les féministes anarchistes, le lien est explicite. La liberté est un concept important dans le féminisme radical, même si il n’est pas souvent explicitement ou clairement exprimé. Une affirmation essentielle souligne ce que quelques anarchistes ont appelé la conception « négative » de la liberté. C’est un principe qui affirme la nécessité d’une société organisée de telle manière que les individus ne peuvent pas être traités comme des objets ou utilisés comme instruments à quelle que fin que ce soit.

9. Tous les individus ont le droit d’être libres de toute coercition, de toute violence physique ou morale.

Une raison pour laquelle le lien n’est pas souvent exprimé clairement dans les théories féministes radicales, est peut-être parce que ses implications dépassent les seuls cadres de ces théories pour entrer dans celles des féministes anarchistes. Comme l’écrit L. Susan Brown dans « Beyond Feminism: Anarchism and Human Freedom » 2:

Tout comme on peut être féministe et s’opposer au pouvoir… il est également possible et pas incohérent pour une féministe d’adhérer à l’idée d’usage du pouvoir et de plaider la domination sans renoncer au droit d’être féministe.

Être libre de toute coercition signifie que l’on doit vivre dans une société où les formes de pouvoir institutionnalisées, la domination et la hiérarchie,, n’existent plus. Pour les anarchistes, le pouvoir est la question centrale.

10. Personne ne devrait soumettre ou exercer un pouvoir sur une autre personne.

Les anarchistes renient l’état-nation et se considèrent travailler pour sa délégitimation et sa dissolution. Ce sont les dirigeants d’états qui revendiquent le droit de définir l’autorité légitime, incluant l’autorité de structurer les dispositions de pouvoir et le monopole du droit à la mobilisation des forces militaires et policières. Les féministes radicales travaillent à mettre fin au patriarcat, c’est à dire à la domination masculine sur les femmes à travers la force et l’acceptation institutionnalisée de l’autorité masculine. Pour elles, l’état et le patriarcat sont deux aberrations jumelles. Donc, détruire l’état, c’est détruire le principal agent du patriarcat institutionnalisé; abolir le patriarcat, c’est abolir l’état tel qu’il existe aujourd’hui. Les féministes anarchistes vont plus loin que la plupart des féministes radicales: elles avertissent que l’état est par définition toujours illégitime. Pour cette raison, les féministes ne devraient pas travailler dans le cadre électoral de l’état ni essayer de substituer des états féminins aux états masculins actuels. Certaines féministes radicales soutiennent, comme je l’ai dit, qu’une société contrôlée par les femmes ne présenterait pas les caractéristiques oppressives d’une société patriarcale; les féministes anarchistes répondent que la structure même de l’état crée les inégalités. L’anarchisme est le seul mode d’organisation sociale capable d’éviter la répétition des inégalités sociales.

Les féministes anarchistes savent ce que d’autres radicales ont souvent appris à travers d’amères expériences: le développement de nouvelles formes d’organisation destinées à se débarrasser de la hiérarchie, de l’autorité et du pouvoir demandent de nouvelles structures sociales. En outre, ces structures doivent être construites soigneusement en entretenues régulièrement afin que les organisations fonctionnent sans heurt et efficacement, et que, ainsi, des élites nouvelles et informelles n’apparaissent pas. Si il existe un principe fondamental de l’action, il est que nous avons besoin de cultiver l’habitude de la liberté afin de l’expérimenter constamment dans nos vies quotidiennes.

Elaine Leeder souligne dans son essai « Let Our Mothers Show the Way, » que ce sont des femmes anarchistes qui ont élargi les frontières de la pensée anarchiste dominée par les hommes. Certes, les anarchistes sexistes existaient, tout comme aujourd’hui, mais comme le note Susan Brown , elles ne l’ont fait » seulement en contredisant leur anarchisme. »

NDT

1.Quelques documents en ligne

Elaine Leeder Le féminisme comme processus anarchiste. La pratique de l’anarcha-féminisme
https://racinesetbranches.wordpress.com ... feminisme/
L. Susan Brown
Does Work Really Work? http://www.spunk.org/texts/writers/brown/sp001735.html
Beyond Feminism: Anarchism and Human Freedom http://documents.mx/documents/l-susan-b ... eedom.html
Peggy Kornegger, Anarchisme : La Connexion Féministe https://racinesetbranches.wordpress.com ... feministe/
Carol Ehrlich Socialism, anarchism and feminism https://libcom.org/library/socialism-an ... ol-ehrlich
Neala Schleuning The Abolition of Work and Other Myths https://libcom.org/library/AbolitionWor ... aScleuning
Jane Meyerding
Life as She is Lived: A meditation on gender, power, and change http://theanarchistlibrary.org/library/ ... and-change
Choosing Marginality http://theanarchistlibrary.org/library/ ... arginality

2. Voir note 1, L. Susan Brown


https://racinesetbranches.wordpress.com ... feminisme/
Avatar de l’utilisateur-trice
bipbip
 
Messages: 35413
Enregistré le: 10 Fév 2011, 09:05

Re: L'Anarcha-féminisme

Messagede digger » 28 Sep 2017, 09:22

Contre la loi travail, les sorcières sortent du bois
Pour la première fois, des sorcières du comité anarchiste de Paris VII ont défilé mardi contre la réforme du travail à Paris.
Elles ne sont pas passées inaperçues. Pas de balais, mais tout en noir et chapeaux pointus, une vingtaine de sorcières au visage masqué, banderole «Macron au chaudron» en mains, ont pris mardi 12 septembre la tête du cortège autonome de la manifestation contre la réforme du travail à Paris, lancée à l’initiative de la CGT avec Solidaires, la FSU et l’Unef.
Des sorcières «militantes, féministes, émeutières»
Ces sorcières en colère émanent du comité anarchiste de Paris VII «formé par des étudiant.es de toutes filières sur la fac», comme c’est mentionné sur leur page Facebook. Mobilisé contre la réforme du travail, le comité a invité celle du «genre féministe vnr [énervée, ndlr]», à rejoindre le «witch bloc» (le clan des sorcières). Sur le réseau social, toujours, elles exposent leur profession de foi : «Militantes, féministes, émeutières, nous nous sommes échappées des cases normatives de la société. Notre exclusion a fait de nous des sorcières.» «C’est une forme de réappropriation du pouvoir pour les minorités ou les personnes en souffrance», renchérit Jah Egregius, une sorcière, qui n’a pas participé à la mobilisation de mardi.
Sur place, comme en a témoigné notre journaliste Sylvain Mouillard, les sorcières ne parlent pas trop, de peur d’être «instrumentalisées par les grands médias». Toutefois, Libération a tenté de reprendre contact via leur page Facebook afin d’en savoir un peu plus sur leur groupe. Même constat. «Nous ne souhaitons pas interagir avec les grands médias. Nous sommes contre l’instrumentalisation et la récupération de nos luttes, par les mêmes journaux qui taxent nos camarades de casseurs, de surcroît», m’explique-t-on par message privé. Une posture totalement approuvée par Jah Egregius : «Ça serait une perte de pouvoir que de parler aux médias».
Un mouvement venu des Etats-Unis
L’origine de ce phénomène prend racine aux Etats-Unis. «Au cours des trente dernières années, il y a eu beaucoup de "witch bloc" aussi appelés "pagan cluster" aux Etats-Unis», explique la sorcière d’origine américaine Alley Valkyrie, qui a accepté de se confier à Libération.
Tout a commencé dans les années 80 avec le mouvement spirituel et féministe du «reclaiming» initié par la sorcière très médiatique Starhawk, théoricienne du néopaganisme qui a notamment développé des ateliers et des rituels publics. Il diffère de W.I.T.C.H qui prône l’anonymat. Chacun de ces «witch bloc», à la structure très anarchiste, possède ses revendications. Selon Alley Valkyrie, aux Etats-Unis, «ses membres sont généralement limités aux manifestations anti-guerre et anti-mondialisation». Certaines pratiquent la magie noire. Un «Anti-Trump Hex» (rituel contre Trump) avait même été organisé par des «sorcières» américaines en février. Mais «il y a beaucoup de controverse dans la communauté pour savoir si "l’hex" ou "magie noire" c’est éthique ou non», confie Alley Valkyrie.
Même s’il y a toujours eu des personnes se définissant comme «sorcières» chez les féministes, c’était la toute première fois qu’elles défilaient en France, mardi. «En se réunissant dans un bloc, elles consolident un peu plus leur force», précise Alley Valkyrie. «Il y a la volonté de retourner la peur contre l’autre, indique Jah Egregius, mais à ce stade, il n’y a pas forcément de connaissances spirituelles ou de pratiques de la sorcellerie, c’est en tout cas une réappropriation féministe.» A Paris, le mouvement «witch bloc» nous assure vouloir continuer «les manifestations» et «écrire un manifeste».

http://www.liberation.fr/france/2017/09/15/contre-la-loi-travail-les-sorcieres-sortent-du-bois_1595974

Sur FB
Paris
https://www.facebook.com/events/172367493329305/173980586501329/?notif_t=admin_plan_mall_activity&notif_id=1506467030830453
Toulouse
https://www.facebook.com/events/142880729652472/

Witch Bloc lors de la manif du 12 septembre
https://paris-luttes.info/witch-bloc-lors-de-la-manif-du-12-8640
digger
 
Messages: 2149
Enregistré le: 03 Juil 2011, 07:02

Re: L'Anarcha-féminisme

Messagede Pïérô » 05 Oct 2017, 15:53

Je ne détiens pas le tampon de l'AOC de L'Anarcha-féminisme, mais il semble qu'il y a chez ce petit groupement matière à différencier libertaire de libéral en les rangeant dans le deuxième camp, car pour exemple il y a défense du système prostitutionnel et des "travailleuses du sexe" (http://cheekmagazine.fr/instagram/manif ... vortement/)

Et c'est ce qui fait que dans le mouvement je dis qu'il y a de réelles divergences au sein de ce qui s'appelle le "féminisme radical" et qu'il serait nécessaire de construire un réseau féministe libertaire, avec des contenus et du sens, et une meilleure visibilité.
Image------------ Demain Le Grand Soir --------- --------- C’est dans la rue qu'çà s'passe --------
Avatar de l’utilisateur-trice
Pïérô
 
Messages: 22436
Enregistré le: 12 Juil 2008, 21:43
Localisation: 37, Saint-Pierre-des-Corps


Retourner vers Féminisme et LGBTI

Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum : Aucun-e utilisateur-trice enregistré-e et 3 invités