La menace masculiniste Aujourd'hui le masculinisme s'installe dans les médias : un homme monté seul sur une grue, de son plein gré, condamné pour enlèvement d’enfant et violence, a réussi à monopoliser pendant toute une semaine l’attention des chaînes d’information générale. Ce type d'opérations coup-de-poing est directement inspiré du masculinisme canadien qui met en avant la « cause des pères » soit en montant sur des grues ou des monuments, soit en s'habillant en « super-héros ».
Les attaques médiatiques masculinistes sont nombreuses : à Cannes, le réalisateur François Ozon croit savoir que la prostitution fait fantasmer les femmes, Marcela Iacub fait l'apologie des « cochons » avec son livre sur DSK , les HomMen se battent contre le mariage pour tous, reprenant les modes d'actions des FEMEN, mais à visages masqués et en effectuant le salut nazi. Moins médiatisées, les Antigones vont jusqu'à reprendre un des outils du féminisme radical : la non-mixité associée à un discours essentialiste comme ceux que tiennent le Nouveau Féminisme Européen (dirigé par Elisabeth Montfort) et l’Observatoire de la Théorie du Genre (issus de l’UNI) qui critique l’idée d’un genre non lié au « sexe biologique ».
Si le masculinisme prend le devant de la scène médiatique, c'est en lien avec le débat sur le mariage pour tous et le contexte économique. En effet, la crise du capitalisme s'accompagne d'un durcissement des relais de l'oppression patriarcale : discours réactionnaire pour le retour des femmes au foyer, précarisation et dépendance financière des femmes vis-à-vis des hommes, remise en cause de l'IVG et augmentation des violences masculines.
Cependant, le masculinisme n'est pas apparu en un jour en France. Des personnalités médiatiques proches de l'extrême-droite telles que Eric Zemmour et Alain Soral, ainsi que des philosophes, sociologues, etc. ont largement contribué au développement et à la diffusion du masculinisme.
C'est ce que décrit Hélène Palma1 dans sa brochure sur l'histoire de la mouvance masculiniste :
« Chez les philosophes, Elisabeth Badinter s’intéresse depuis longtemps aux hommes, qu’elle plaint beaucoup, qu’elle qualifie de « sexe faible » dans XY et qu’elle décrit comme victimes des féministes dans Fausse route.
Chez les sociologues, les psychologues, les psychanalystes, depuis longtemps, la compassion à l’égard des hommes, des pères, et surtout des pères divorcés, est devenue une vieille habitude. CertainEs, comme Geneviève Delaisi de Parseval et Christine Castelain-Meunier, toutes deux auteures de livres consacrés à la paternité, ont longtemps fait partie du comité d’honneur de l’association SOS Papa.»
Le Masculinisme, c'est quoi ?Le masculinisme est un nom attribué à une réaction politique anti-féministe. Le masculinisme est donc une forme de sexisme consciente et revendiquée à la différence du sexisme intégré. Il profite du rapport de force en faveur des hommes dans le cadre d'une société hétéropatriarcale, qui divise les individus en deux catégories fondées sur le genre : les hommes et les femmes. Ce rapport de force légitimise la violence des hommes sur les femmes et normalise l'hétérosexualité.
Des pratiques et discours masculinistes apparaissent « chaque fois que les rapports entre les sexes ont été bousculés parce que les femmes se sont mobilisées pour revendiquer des droits et l’égalité »2. Le masculinisme peut venir soit de la dérive de groupes non-mixtes d'hommes qui se sont interrogés sur la question du féminisme3, soit de groupes constitués directement sur des bases antisexistes voulant conserver leurs privilèges masculins.
La brochure Un mouvement contre les femmes. Identifier et combattre le masculinisme décrit bien les chemins de dérives : « tout proféministes qu'ils soient, ils n'en restent pas moins des dominants dans la structure patriarcale et dans leurs interactions avec les femmes, dotés de surcroît d'un savoir issu des recherches féministes. Ce qui n'est pas allé sans comportements méprisants et paternalistes, sans appropriation, occultation ou instrumentalisation des travaux féministes (sans citer systématiquement leurs sources), sans usage d'un pouvoir sur les femmes, sans violences lors de rencontres mixtes à propos du patriarcat, sans harcèlement sexuel, que ce soit dans des milieux aussi divers que les squats ou l'université. […] Malgré la bonne volonté qui peut être présente à l'origine de ces mouvements autonomes d'hommes, la distance prise par rapport aux théories féministes, l'absence de compte rendus de ces rencontres à des femmes féministes qui le souhaiteraient les rendent propices à produire une dynamique masculiniste. […] Ils développent une approche principalement théorique du féminisme, cherchent perpétuellement à le reformuler. Leur discours (puisqu'il s'agit essentiellement de parler) sur le féminisme peut servir de tremplin dans le milieu militant ou universitaire, ce qui s'explique assez logiquement : au vu du peu d'hommes qui sont, de près ou de loin, compagnons de route du féminisme, il peut être tentant de chercher à se faire remarquer par ce biais, de se distinguer. »
D’un point de vue historique, en occident le masculinisme apparaît dans les années 1950 lorsque le divorce aux États-Unis commence à impliquer des contreparties financières, provoquant un mouvement de contestation du paiement de la pension alimentaire par des hommes.
À partir des années 1970, ils changent de stratégie et jouent désormais la carte de l'émotionnel. La question de l'argent ne rendant pas leur cause très sympathique, ils fondent alors leurs discours sur la douleur de ne pas voir son enfant, ce qui ne manque pas de plaire aux médias et ira même jusqu'à s'adapter en scénario de film (Kramer contre Kramer, Madame Doubtfire).
Les masculinistes se plaignent d’une soi-disant crise de la masculinité dont les féministes seraient responsables. Leur objectif n’est donc pas d’en finir avec les genres, mais de protéger une masculinité attaquée. La masculinité donnant dans le cadre du patriarcat accès à certains privilèges et étant la position dominante dans le cadre du rapport de force actuel, les idées de fond du masculinisme bénéficie d’une adhésion massive.
Le masculinisme met en avant une conception bien particulière de l'égalité : les masculinistes défendent un système patriarcal inégalitaire en considérant comme naturels les genres féminin et masculin. Ils demandent l'égalité de traitement des conséquences de ce système, notamment sur les violences.
Enfin certains peuvent être intersectionnalistes, comme les « Promise keepers », aux États-Unis : groupe d’hommes évangélistes qui promeuvent et revendiquent le rôle de l'homme-patriarche, père, chef et protecteur de la famille.
Exemples de revendications masculinistesLe masculinisme s’introduit surtout à travers sa tendance paternelle, par le biais d'associations défendant la « cause des pères » vis-à-vis de leurs enfants devant la justice. Les masculinistes revendiquent la garde partagée systématique et non au cas par cas. Ils s’organisent en groupe d’hommes contre le versement des pensions alimentaires. Ils voudraient que les femmes ne prennent un contraceptif qu’avec leur accord, ce qu'ils appellent un pouvoir de codécision sur le fait d’avoir des enfants et peuvent s’allier à l’occasion avec des groupes anti-avortement (issus en général du catholicisme intégriste). Ils parlent de résidence paritaire, de syndrome d'aliénation parentale, voire de rapt/kidnapping si l'enfant n'a pas été ramené dans les temps ou soustrait à des violences.
Ils opposent aux inégalités sociales que subissent les femmes, des soi-disant problèmes de santé (états dépressifs, suicides) spécifiquement liés à leur condition d'homme. Mais le taux de suicide est en réalité quasiment équivalent chez les hommes que chez les femmes, ce qui varie c'est le taux de réussite.
Même en ce qui concerne l'éducation, les masculinistes osent se poser en victimes prétextant d'un taux de réussite scolaire statistiquement meilleur chez les filles alors que les garçons « représentent encore la majorité des effectifs des grandes écoles, [...] les garçons bénéficient encore d'une protection patriarcale invisible qui leur donne un avantage dans le monde du travail. »
Un principe de base du masculinisme est la négation de la domination masculine et de l’asymétrie des violences, sous couvert de « droit égaux ». Ils prônent une « co-responsabilité » des violences subies par les femmes (si on te frappe ou te viole, c’est parce que tu l’as provoqué !) voire une déresponsabilisation partant du principe qu’il serait dans la nature des hommes d’être violents.
Parfois ce sont certaines capacités et/ou tâches qui sont essentialisées et attribuées à un genre. Par exemple, une femme ne sera reconnue comme telle que si elle a des enfants ou encore on dira qu’il est naturel que les femmes accomplissent des tâches de soin (avec un vernis descriptif, fourni par la psychologie évolutionniste).
Masculinisme : une contre-révolutionLe masculinisme ne s'inscrit pas simplement dans le sexisme ordinaire, l'hétéropatriarcat et la misogynie, il est d'abord une réponse du système patriarcal au féminisme. C'est pourquoi il se constitue essentiellement en groupe de pères et s'attaque toujours aux avancées ou aux luttes féministes : divorces, violences faites aux femmes, IVG... Il s'agit de remettre la question de l'« homme » dans les débats sur le sexisme, par exemple, en mettant en avant les violences faites aux hommes. En traitant de façon symétrique les hommes et les femmes, on relativise de fait l'importance du système patriarcal.
On parlera par exemple des sexismes et non du sexisme comme on peut le voir dans le texte de création du Groupe d'études sur les sexismes (GES) : « En effet, le cas du féminisme radical et idéologique a montré comment la lutte contre un sexisme se transforme aisément en son image renversée : le sexisme à rebours. » Patrick Guillot, Président du GES et auteur de « La misandrie : histoire et actualité du sexisme anti-homme ». Outre l'image évoquant la « colonisation à rebours » de l'extrême droite raciste, on constate que l'objectif affiché est de combattre toute lutte contre le système patriarcal puisqu'il est défini en tant qu'oppression spécifique des hommes sur les femmes.
Le plus grand danger du masculinisme est de faire croire que la lutte féministe a déjà gagné et ainsi créé le mythe d'une révolution féministe victorieuse qui se serait imposée à la société. À cette fin, ils utilisent des termes et un vocabulaire spécifique, comme « fémi-nazi », « système matriarcal », la misandrie ou l’idée selon laquelle le féminisme alimenterait une « guerre des sexes ».
Le masculinisme se pose donc en réaction au féminisme, en essayant de faire croire que le féminisme est allé trop loin et qu'il faut lutter contre.
Florian et Xavier
(Groupe de Montpellier)
1 PALMA Hélène, La percée de la mouvance masculiniste en Occident,
http://sisyphe.org/spip.php?article29412 Anonyme. Contre le masculinisme. Petit guide d’autodéfense intellectuelle. 2011.
3 « Pour s'en distancier et affirmer un positionnement favorable au féminisme, d'autres hommes ont créé au cours des années 1990 les termes antisexiste, proféministe puis anti-masculiniste. » (Un mouvement contre les femmes. Identifier et combattre le masculinisme.)
4 ROMITO Patrizia, Un silence de mortes, la violence masculine occultée, Syllepse, 2006, p.54.