Le féminisme change-t-il nos vies ?

Le féminisme change-t-il nos vies ?

Messagede Flo » 04 Oct 2012, 12:02

Le titre paraîtra provocant, évidement il a été choisie par ces deux auteurs pour interpeller le lecteur. Oui le féminisme a bien changé la vie et ce livre synthétisé ici en donne un certain nombre d'exemples qui, à mon sens, sont certes, pas radicaux, mais un zeste encourageant si on les garde en tête à l'heure ou le droits des femmes marque une nette régression depuis 10 ans.

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Delphine Gardey (dir.), Le féminisme change-t-il nos vies ?, Paris, Textuel, sept. 2011. 142 p.

Par delà sa diversité et les conflits de définition, le féminisme constitue un projet politique de transformation (au moins partielle) des structures sociales, des comportements individuels et des catégories de pensée. Mais quels ont été ses effets réels ? L’ouvrage dirigé par Delphine Gardey entend répondre à cette question, principalement pour le cas français depuis les années 1960.

Le féminisme change-t-il nos vies ? rassemble les contributions d’enseignant-e-s chercheur-e-s en sciences sociales de l’équipe des Études de genre de l’université de Genève et présente de manière synthétique, autour de chapitres thématiques, les changements imputables au féminisme, ou aux féminismes, entendus ici comme mouvements collectifs et comme pensées critiques. En effet, malgré le singulier du titre, les féminismes sont compris dans leur pluralité historique, idéologique et politique et dans leurs expressions pratiques et théoriques. Dans ce sens, les différentes contributions mettent en évidence à la fois les effets concrets des mobilisations féministes sur les pratiques sociales et les changements que les théories féministes produisent sur les catégories de perception et d’analyse du monde social.

De nouveaux droits

Les auteur-e-s rappellent tout d’abord que les mobilisations féministes ont permis l’acquisition de nouveaux droits pour les femmes (dans le domaine du travail, en matière politique ou de contrôle de leur fécondité) et ont produit une transformation des rapports sociaux de sexe en réduisant l’inégale distribution du pouvoir et des ressources entre les hommes et les femmes. Les revendications féministes ont ainsi favorisé une plus grande présence des femmes dans les professions prestigieuses ou aux responsabilités politiques, malgré le maintien d’inégalités sur le marché du travail ou dans la vie politique, et ont induit des changements de comportements. Plus largement, les mouvements féministes ont contribué à la diffusion de valeurs, normes et idées dans l’ensemble de la société qui « deviennent de nouveaux répertoires culturels sur lesquels s’appuient les ressorts de l’action des individus » (p. 90). Laurence Bachmann montre par exemple que la relation que les femmes de classes moyennes entretiennent avec l’argent traduit l’appropriation et l’intériorisation par ces femmes des principes d’égalité et d’autonomie portés par le féminisme. Delphine Gardey peut ainsi conclure en affirmant que les féminismes ont permis aux femmes de « devenir sujet de droit et sujet politique, devenir actrice de [leur] vie sexuelle et pouvoir la choisir, faire advenir des formes nouvelles de la subjectivité » (p. 118). Pour les hommes aussi, les féminismes ont eu des effets sur leurs pratiques sociales et dans leurs relations professionnelles ou affectives, mais Christian Schiess souligne qu’il s’agit bien plus d’ajustements des comportements masculins face aux changements des aspirations des femmes que de radicales transformations.

De nouvelles perceptions

Parallèlement à ces changements des comportements individuels et collectifs, ce sont également les catégories de perception du monde social qui ont été réajustées sous l’effet des mouvements et théories féministes. Ainsi, les auteur-e-s soulignent qu’une des contributions majeures de la perspective féministe est d’avoir mis en évidence des inégalités jusqu’alors sous-estimées ou niées. C’est par exemple le cas de la critique féministe du travail qui a non seulement mis au jour les inégalités professionnelles entre femmes et hommes, mais aussi les rapports sociaux (notamment de sexe) inhérents à la valorisation et au prestige des professions. De même, le travail entrepris par les féministes a remis en cause la frontière traditionnellement établie entre le privé et le public en faisant émerger la dimension politique de questions perçues comme relevant strictement de la sphère privée et naturalisées. Colette Guillaumin [1] a ainsi souligné que le recours à la nature des femmes et des hommes pour justifier les inégalités constituait l’aspect idéologique de l’oppression matérielle des femmes. Par ces déplacements, l’inégale répartition du travail domestique peut par exemple être appréhendée non pas comme le résultat d’une nature spécifique des hommes et des femmes (qui induirait des comportements différenciés) mais au prisme des rapports de pouvoir en jeu dans les couples hétérosexuels et en lien avec une structure générale de domination des hommes sur les femmes. Lorena Parini met également en évidence la contribution des féministes à la politisation de la sexualité, en refusant de la concevoir comme relevant simplement de la sphère privée, et à la contestation de sa naturalité. Ainsi, elles imposent les questions de sexualité dans l’espace public, dénoncent les rapports de pouvoir qui s’y jouent et revendiquent la prise en compte du plaisir féminin, la liberté de l’homosexualité ou la libre disposition de leur corps.

Du travail domestique

L’analyse du travail domestique est un autre exemple de ces changements de perception. Elle a contribué à reconsidérer la définition classique du travail qui repose sur la distinction entre travail salarié et non-travail. Or, soulignent les féministes à partir des années 1960, si les activités domestiques des femmes ne sont pas rémunérées, invisibles et dévalorisées socialement, elles n’en constituent pas moins un travail. Prendre en compte le travail domestique induit alors de profonds changements dans l’analyse du travail puisque, comme le rappelle Rachel Vuagniaux, le nombre d’heures annuelles consacrées à cette activité est supérieur au nombre d’heures de travail rémunéré (près de 59 milliards d’heures contre 38 milliards en France en 1998). De la même manière, Isabelle Giraud montre que le célèbre slogan des années 1970 « le privé est politique » a redéfini la politique en élargissant son champ d’actions à des domaines jusque-là délaissés. Les violences contre les femmes en constituent un exemple : d’abord appréhendées comme relevant des relations individuelles et privées, elles sont progressivement apparues, sous l’impulsion des mouvements féministes, comme nécessitant l’intervention de la politique.

De nouveaux concepts

Enfin, la production scientifique issue des recherches féministes est venue ébranler des domaines dominants des sciences sociales. Ainsi, les développements successifs du concept de genre [2] viennent renouveler les perspectives d’analyses classiques du travail ou de la politique, mais aussi par exemple du colonialisme. Iulia Hasdeu montre à ce propos la valeur heuristique du genre comme catégorie d’analyse du colonial : la représentation sur-sexualisée des femmes des pays colonisés est instituée en trait distinctif de l’Autre en même temps que la hiérarchisation civilisé/sauvage est assimilée à la suprématie des hommes sur les femmes. Autrement dit, les catégories de sexe et de race sont co-construites par un processus similaire qui, comme l’a montré Elsa Dorlin dans son travail sur La matrice de la race [3], pathologise et infériorise les femmes et les racialisé-e-s. Le concept d’intersectionnalité, né dans le sillage des études de genre et que l’on doit à Kimberlé Crenshaw [4], constitue également à cet égard un renouvellement important des catégories d’appréhension des inégalités sociales en insistant sur l’entrecroisement des différents systèmes de domination, s’écartant ainsi d’une perspective cumulative des rapports de pouvoir. La classe, le sexe et la race, par exemple, ne constituent pas des systèmes de classement qui s’agrègent, mais des rapports de pouvoir qui se co-construisent en permanence.

L’ouvrage démontre ainsi de manière convaincante que les féminismes sont des mouvements sociaux, des théories politiques et des cadres d’analyse scientifiques qui ont profondément affecté tant les pratiques sociales que les modalités de compréhension de notre monde social. Le féminisme change-t-il nos vies ? constitue à cet égard une contribution utile pour rappeler avec force la nécessité de prendre en compte les féminismes, dans leurs diversités, pour ceux et celles qui entendent agir sur la société et/ou en proposer une analyse théorique ou empirique. Il ouvre également des pistes d’analyse que le format retenu par la collection n’a pas permis d’explorer. En particulier, il invite à se concentrer finement sur les processus même de transformation du social sous l’effet des féminismes, en interrogeant par exemple les modalités concrètes de diffusion et d’appropriation de l’« ethos égalitaire », selon l’expression de Michèle Ferrand. Plus généralement, les liens de causalité entre féminismes et changements des rapports sociaux de sexe gagneraient certainement à être interrogés de manière plus systématique. Enfin, la pluralité des féminismes impliquant des conceptions concurrentielles, et parfois antagonistes, de l’égalité des sexes, il serait fécond d’analyser les transformations sociales au regard des rapports de pouvoir qui traversent les féminismes.

par Alban Jacquemart [04-10-2012]
http://www.laviedesidees.fr/Les-effets- ... ismes.html
"La société à venir n'a pas d'autre choix que de reprendre et de développer les projets d'autogestion qui ont fondé sur l'autonomie des individus une quête d'harmonie où le bonheur de tous serait solidaire du bonheur de chacun". R. Vaneigem
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Re: Le féminisme change-t-il nos vies ?

Messagede Pïérô » 28 Aoû 2014, 08:55

Cet article répond ou prolonge la réflexion

Rien n’est jamais acquis aux femmes ni leur liberté ni leurs droits

Toujours, il faut se remettre à l’ouvrage et tel Sisyphe sans fin recommencer la tâche, c’est certain, tant que ce vieux monde résistera.

Devant l’actualité des atteintes aux droits des femmes acquis de haute lutte mais jamais pérennisés, il y a lieu de s’interroger sur cette domination masculine qui n’a rien de naturelle, toute domination étant motivée par les bénéfices qu’elle retire de cette situation d’exploitation. Un sentiment confus nous dicte la nécessité de ne pas lâcher la lutte, de reprendre la guerre contre la domination masculine mais en même temps l’idéologie dominante nous montre que tout serait acquis pour les femmes ici au pays des droits de l’homme. De fait, ce sont bien les droits de l’homme qui s’en sortent le mieux en regard des chiffres sur la situation sociale des femmes. Tout semble immobile, les lois qui s’empilent pour réitérer l’égalité maintes fois proclamée entre les hommes et les femmes n’empêchent en rien l’assignation des femmes aux corvées ménagères, à l’élevage des enfants et à une double exploitation de la maison au travail.

Dans la famille

La normalité est de tout bien faire, de réussir son couple et sa famille, recommencer jusqu’à ce que cela soit parfait avec obligation de résultat à chaque nouveau départ, mais la vie est plus complexe ! On veut nous amener à bien tenir notre rôle féminin et ainsi débarrasser la société du problème de l’élevage des enfants, assumer l’entretien de la maison gratuitement, s’occuper du transport des enfants et adolescents, choisir pour cela un temps partiel, un travail d’appoint et un salaire moindre. Nous parlons globalement et ce ne sont pas les rares exceptions qui changeront le sort des femmes en général. Les statistiques sont peut-être imparfaites pour rendre compte d’un vécu mais elles sont une bonne évaluation des mœurs d’une société donnée et d’année en année le statu quo demeure : 3 femmes sur 4 en couple gagnent moins que leur conjoint, la moyenne étant de moins 42% alors que pour les célibataires l’écart est de moins 9% et, remarque pertinente, cet écart apparaît dès la constitution du couple avant même l’arrivée d’un enfant où la différence s’accentue encore plus. Autre chiffre immuable depuis des années : 82% des temps partiels sont occupés par des femmes, 30% des femmes salariées sont à temps partiel contre 7% des hommes. Les femmes payent doublement le ‘privilège’ de faire les enfants, dans leur corps et leur vie et par la discrimination sociale qui anticipe cette fonction pour l’ensemble des femmes.

La domesticité

Pour compléter cet assignement ménager et familial nous observons la création d’emplois d’aide à la personne quasi exclusivement tenus par des femmes, immigrées, exploitées et mal payées pour la somme de travail et la responsabilité des actes effectués. La tendance actuelle est de déclarer que le domaine du soin (care) est reconnu, devenu professionnel et que là c’est la société qui le prend en charge après que les femmes l’ont assumé pendant des décennies gratuitement à la maison, ce qui est encore le cas pour nombre de familles qui n’ont pas les moyens malgré les aides financières de payer ces services. On en revient au temps de la domesticité, à cette forme d’esclavage à domicile quand on étudie les conditions de travail imposées par des associations gestionnaires et bénéficiaires de ce nouveau marché en pleine expansion. Dans les couples bourgeois, le choix se fait d’employer une personne pour faire le ménage, l’entretien de la maison et celui des enfants afin d’éluder la question du partage des tâches domestiques et de pacifier un conflit latent. La définition de l’ensemble de ces emplois est très floue mais on compte pas moins de deux millions ‘d’emplois domestiques’ ; 9 sur 10 de ces emplois sont tenus par des femmes dont 2 sur 5 ont plus de 50 ans et travaillent pour au moins 3 employeurs avec un salaire moyen de 433euros par mois ! Ajoutons à cela que ce secteur emploie à près de 70% des femmes immigrées et la boucle de l’exploitation est bouclée. Que ce soit l’épouse qui s’occupe de son mari malade ou que ce soit des femmes immigrées, c’est une forme d’exploitation genrée qui diffère sur la forme mais pas sur le fond. Et si dire et répéter que les femmes ont la charge de la maison, des enfants et du mari et des ascendants semble éculé, la perpétuation de ces faits prouve que le patriarcat est encore bien présent.

La mise en scène d’une certaine féminité

Que s’est-il passé depuis les années mouvement des femmes et aujourd’hui ? C’est en observant l’attitude des femmes actuelles qu’un certain recul des acquis féministes apparaît. Le capitalisme a certes intégré les aspirations des femmes à leur autonomie, il a décliné un statut de la femme plus politiquement correct mais bien entendu sans remettre en cause son fondement d’exploiteur. On a vraiment l’impression que le principe patriarcal reste en place, qu’il faut tout recommencer et que parmi les nouvelles générations de femmes leur préoccupation principale est de répondre aux injonctions qui leur sont faites afin de devenir la femme parfaite ! La mode a toujours plus ou moins propagé cette futilité de l’accoutrement féminin, une obligation à se mettre en représentation pour plaire, être agréable à regarder, se transformer en objet désirable. Déjà dans les années 80/90 les critères de sélection pour l’élection des miss, qui étaient la vertu et la beauté, étaient dénoncés ; on peut dire qu’on a mis une croix sur la vertu et encore ! Reste le physique, être sexy, la rivalité entre les filles, la mise en concurrence tout cela est en vigueur aujourd’hui et se retrouve dans les aspirations et les rêves des adolescentes sensibles aux paillettes. Ce qui est navrant c’est qu’il n’y a guère de critique sociale de ce genre d’asservissement féminin alors que l’encouragement à respecter des normes imbéciles de poids et d’allure sexy est trop présent pour qu’on puisse l’ignorer. L’industrie de la beauté ne connaît pas la crise et invente tous les jours de nouvelles techniques, produits pour faire de la femme un être parfait selon l’intérêt du commerce. Contrainte sur le corps : poids, cheveux, chirurgie plastique, régimes, crèmes, etc. pour ressembler au modèle : femme blanche blonde mince. C’est l’exploitation commerciale, l’amplification sociale et l’affichage du stéréotype qui en vient à : ‘Ce que les petites filles apprennent, ce n’est pas à désirer les autres mais à désirer être désirées’ dit Naomi Wolf. Non seulement le ridicule et l’asservissement de ces dogmes de beauté fatale sont une totale régression d’avec l’affirmation d’une identité autonome mais toutes ces techniques de formatage du corps sont dangereuses pour la vie même des femmes. L’industrie pharmaceutique vaut bien tous les OGM de la planète surtout dans le domaine de la parapharmacie qui s’adresse pour 90% aux femmes.

L’éducation

La question de l’éducation semble essentielle dans la reproduction sans fin de ces différences entre filles et garçons. Selon certaines études, il semble que l’enfant comprenne son sexe génital vers l’âge de 7 ans, démontrant bien que le sexe social précède le sexe biologique. Avant cet âge, on se tourne le plus souvent vers la mère, cette femme qui a la charge de tout faire à la maison car il est aisé de lui faire porter la responsabilité de son aptitude à se conforter aux normes sociales. Le traitement éducatif varie selon le garçon ou la fille en accord avec les normes véhiculées à l’extérieur ; de quelque côté qu’on se tourne culturel, économique, moral, politique les filles n’ont pas le même parcours que les garçons, leur destinée de femmes les assignent qu’on le veuille ou non : à moins de renoncer, de transgresser, de s’opposer et là ce n’est pas le rôle de la mère ! Pourtant une question demeure sur la facilité avec laquelle cette consigne de genre est respectée par les filles et les garçons. Une enquête récente (octobre 2013) auprès de 1284 femmes affirment que 88% d’entre elles estiment que la famille est responsable des stéréotypes de genre. En fait les mères (et les pères aussi) reproduisent les codes de genre pour se conformer à l’environnement social et pour que l’enfant ne soit pas stigmatisé par une différence affichée. Dans certains établissements, l’insulte qui vient en tête dans les cours de récréation est ‘pédé’ ! La publicité vient en second rang pour propager les stéréotypes de genre qu’on retrouve partout à la télé, dans les films, les jeux, les magazines pour la jeunesse, etc. La transgression des jouets ne fonctionne que dans un sens, ainsi les filles peuvent jouer avec les garçons ou avec des jouets catégorisés rayon garçon mais l’inverse pose problème. Les parents peuvent acheter un jeu de construction pour leur fille mais pas une poupée pour le garçon. On retrouve là une expression du patriarcat qui valorise ce qui est masculin que ce soit des jeux ou des emplois et dévalorise ce qui concerne les filles ou les femmes. La différenciation a ses codes colorés bien en vigueur aujourd’hui et le rose n’est pas une couleur pour le pantalon d’un garçon. Pourtant on nous dit qu’au Moyen-âge le rose, déclinaison du rouge, était la couleur des soldats et le bleu celui de la vierge Marie donc des femmes ! Tout s’inverse à la moitié du 19ème siècle on garde le blanc pour les petits enfants, symbole de pureté mais aussi pragmatisme face aux lavages à répétition ! Une étude a révélé que les enfants d’origine culturelle différente adoptaient en grande majorité la culture du pays d’accueil en contradiction avec les principes enseignés à l’intérieur de la cellule familiale. On pourrait alors imaginer que filles et garçons s’émanciperaient de l’éducation maternelle. Seulement voilà à quoi se référer quand la culture sociale dominante d’intégration et d’émancipation ne fait que répéter et amplifier les codes de genre ? Ainsi à l’école les ABCD, cahiers de l’égalité, issus de la Convention interministérielle pour l’égalité signée pour 2013-2018, ne figureront pas dans le plan d’action pour l’égalité des sexes à l’école que le gouvernement doit annoncer lundi 30 juin. En expérimentation dans 275 écoles depuis la rentrée 2013, ils étaient dénoncés par les milieux traditionnalistes.

Le droit de disposer de notre corps

La maternité est devenue une norme indépassable du destin de femme, ce n’est plus un acte exceptionnel valorisant ; on assisterait à une sorte de banalisation de l’accouchement, une normalisation de la reproduction différente des années 60 où la maternité allait de soi, aujourd’hui elle est médicalisée et renvoie à un choix du couple, choix présenté comme marque de liberté. En corollaire il y a peu d’information sur cet événement, rien n’est expliqué de comment cela se passe ; les femmes doivent rentrer chez elle après 3 jours sans aide ni assistance comme si tout allait de soi, la mode de l’accouchement à domicile est une bonne chose pour celles qui sont bien entourées et pour les autres cela signifie que toute femme doit savoir faire un bébé et s’en occuper tout naturellement sinon cela devient une pathologie et les corps médical et socio-éducatif s’en mêlent. Si le nombre d’enfants par femme a diminué, c’est le nombre de femmes par enfant qui a augmenté. La planète n’est pas en danger de dépeuplement alors qu’est-ce qui justifie cette propension à se reproduire ? La maternité est présentée comme un accomplissement de soi, comme un but ultime de la vie terrestre, comme un gage d’immortalité puisqu’il restera quelque chose de nous après la mort. Mais pourquoi laisser des gènes et pas une œuvre, un livre, un combat ? De qui se souvient la société ? De la mère de Virginia Woolf, de celle de Simone de Beauvoir ou de Louise Michel, Louise Bourgeois, Rosa Luxembourg, Olympe de Gouges, … ? On comprend que dans cette ambiance le droit à l’IVG soit un peu laissé de côté, dénigré et perçu comme un échec de gestion de son corps par une femme. Pourtant l’IVG demeure une nécessité tout autant que dans les années 60 car le comportement des procréateurs accidentels n’a pas progressé quant à leur implication dans une grossesse non désirée, il n’y a pas de responsabilité partagée en matière de contraception. Et la société n’a guère avancé sur ce terrain : la loi de 1920 n’est toujours pas abrogée, il s’agit d’une tolérance juridique, il n’y a pas de contraception masculine en libre circulation et agréée par la Sécu, la publicité pour les moyens contraceptifs est toujours interdite, pas d’éducation ou information sexuelle à l’école digne de ce nom. Rien ne change dans ce domaine et c’est bien là un sacré recul des folles espérances des années féministes. L’information sur la sexualité est insuffisante et mal faite dans les écoles. Pendant les années du mouvement des femmes et du militantisme au sein du planning familial, des textes ou brochures, des stages et séances d’information étaient organisés avec des propos alors sans euphémisme utilisant des mots concrets comme vagin, pénis, clitoris, orgasmes, jouir, pénétration, éjaculation,… on appelait un chat un chat ! Aujourd’hui tout semble édulcoré, on doit rester à la surface du sujet et ne pas entrer dans des explications précises et concrètes, on utilise une nov-langue en quelque sorte pour revenir à la science et sortir de la vie réelle. Il est vrai que ce travail d’information était porté collectivement dans un sens de lutte et d’émancipation et que à l’école en ce moment -à part des intervenantes extérieures pertinentes-, le programme aborde le thème, puisqu’il faut bien le faire, mais sans objectif de donner à la jeunesse des outils pour maîtriser le biologique, pour s’affranchir des contraintes de nature et construire sa vie en toute conscience et liberté. Les enseignant-es étant aussi surveillé-es par les parents et lobbies de toute sorte comme cela s’est vu avec la polémique sur l’enseignement du genre. Cela témoigne une fois encore d’une régression des acquis, en tout un recul dans les pratiques éducatives. Le droit d’avorter n’est pas encore totalement acquis, il suffit de voir en Espagne le projet de restreindre ce droit aux femmes violées ayant porté plainte ou au cas de danger important validé par 3 médecins dont deux extérieurs au centre d’IVG. En Italie, ce sont des médecins opposés à l’avortement qui déclarent leur objection de conscience : 70% d’entre eux l’ont fait en 2010. Dans ce pays, les avortements clandestins seraient passés de 20 000 en 2008 à près de 40000 en 2013 avec toutes les graves conséquences pour la vie des femmes. En France les anti-IVG se sont mis à la page internet et si on tape IVG ou avortement sur un moteur de recherche, en tout premier lien, devant le site officiel du ministère de la Santé, apparaît le site IVG.net, conçu et animé par l’association baptisée « SOS détresse ». Ce site véhicule des messages anti-avortement, souvent trompeurs et culpabilisants pour les femmes. Ce mode de recherche d’information est souvent utilisé par les jeunes femmes car il est anonyme et accessible mais en se connectant sur ces sites adroitement présentés comme aucune information n’est donnée pour pouvoir avorter dans les meilleurs délais et qu’au contraire le doute s’installe (il s’agit de dissuader), le délai court et met en risque la femme à tel point que le gouvernement pourrait instaurer un délit d’entrave à l’IVG contre ces sites.

La place des femmes dans la ville

L’espace urbain n’échappe pas à la discrimination sexiste et les femmes dès leur plus jeune âge apprennent à être invisibles pour circuler tranquillement dans les rues. Non, il ne s’agit pas là de voile intégral mais de postures stratégiques relevées lors d’études sur le comportement des femmes en milieu urbain. Marcher vite, car le stationnement peut être perçu comme une invite, pour cela mettre des talons plats mais la marche doit être ni trop rapide pour ne pas exprimer une crainte, ni trop lente pour ne pas aguicher. Des mesures ont été prises dans certains pays pour permettre aux femmes de circuler tranquillement de jour comme de nuit, ce sont des mesures protectrices qui les mettent hors de portée des risques. L’argument est que « si les filles ne sont pas encouragées à sortir, elles resteront en position de retrait. Et la rue restera la seigneurie des hommes. » « On aurait pu croire que dans la ville moderne les femmes, qui commençaient à travailler, accéderaient aux espaces publics, et bien non, ceux-ci demeuraient masculins. N’oubliez pas que très longtemps il n’y eut que des urinoirs et pas de toilettes pour femmes ! Cela commence dès l’enfance, on observe dans les aires de jeux plus de petits garçons que de petites filles. Après leurs premières règles les filles restent chez elles ou à proximité. (...)Un tel constat est navrant, d’autant que bien des femmes l’ont intégré et ne revendiquent pas une ville accueillante et accessible, à tous et à chacune et chacun ! Donc oui, la ville a un sexe, qui est masculin. Elle est dominatrice et violente pour les femmes. » (Clémence Pajot, Centre francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes Hubertine Auclert). Les manifestations des féministes organisées de nuit tentent de dénoncer cet état de fait. Et c’est en s’occupant de la politique de la ville, en élargissant les champs de revendications au-delà du personnel (collectives) que le féminisme doit s’atteler à combattre les budgets qui privilégient des équipements sportifs utilisés majoritairement par les garçons, souvent plus onéreux que des salles de gym, de danse ou des murs d’escalade ; des projets de circulation qui privilégient les grandes distances motorisées, rétrécissent dangereusement les trottoirs ou les suppriment carrément dans les zones périphériques, etc. ce qui pénalise celles qui font de nombreux trajets courts entre le domicile et l’école, par exemple.

Quel féminisme ?

Etre féministe aujourd’hui est considéré comme un combat soit d’arrière-garde puisque tout aurait été gagné, soit de sexisme et d’exclusion des hommes. Il ne s’agirait aujourd’hui plus que d’une affaire individuelle puisque tous les outils de libération des femmes sont accessibles : liberté de procréation, de travail, de gestion économique, de situation parentale, d’expression culturelle… Rien n’est interdit aux femmes, alors qu’est-ce qui les empêche de faire comme les hommes ? Justement peut-être de ne pas vouloir faire exactement comme les hommes ! On a perdu le droit d’être différente, d’être heureuse et épanouie sans devoir répondre aux codes « féminins » instaurés par la société patriarcale. On a perdu le soutien politique des hommes qui se sentent bien peu concernés par une lutte des femmes en pleine déliquescence. L’égalité n’est pas l’assimilation (les personnes immigrées le savent bien) on peut vouloir vivre différemment et exiger les mêmes droits. Or on fait payer aux femmes leur différence biologique et pas aux hommes la leur car ils sont le pouvoir et déterminent ce qui est le modèle, la norme, le neutre, l’universel, en l’occurrence eux ! Tout cela a bien été démontré par les recherches féministes accompagnant le mouvement des femmes, mais aucun bouleversement n’y a mis fin. Et puis défendre les droits des femmes ou lutter pour eux, n’est-ce pas excluant des autres droits ? En l’absence de mouvement social sur ce sujet et d’ailleurs en l’absence de réels mouvements sociaux actuellement, il n’est pas « politiquement correct » de ramener la couverture à soi. On a l’impression que cela devient inutile de revendiquer, qu’il suffit de parler, former, d’aider les femmes à s’en sortir. Une loi cadre pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a été adoptée en seconde lecture le 26 juin 2014 par l’Assemblée Nationale légiférant sur l’égalité professionnelle, la lutte contre la précarité spécifique des femmes, la protection des femmes contre les violences, l’image des femmes dans les médias et la parité en politique et dans les responsabilités sociales et professionnelles. Avec le temps, la transcription des victoires féministes s’est traduite par des lois qui disent et redisent ce que la constitution et la déclaration des droits de l’homme stipulent en préambule : tout être humain naît libre et égal aux autres ! Pas besoin donc d’en rajouter du côté législatif mais les textes s’empilent, pointant les atavismes qui résistent dans tous les domaines. Comme s’il n’y avait pas à poser de questions en amont, comme si ces femmes n’étaient pas nous, qui surmontons héroïquement les travers de cette société. Il y a les battantes et les perdantes, chacune pour soi et l’ordre patriarcal sera bien gardé.

Repenser nos luttes

La lutte féministe doit se politiser et s’internationaliser car les leviers de la libération ne sont pas à chercher en soi uniquement, la persistance des inégalités a une explication logique dans l’organisation globale de nos sociétés. Des pistes nombreuses se présentent pour orienter une lutte efficace et solidaire entre les exploitées. Le féminisme n’est pas réductible à une seule définition et pour nous qui voulons la destruction du capitalisme et l’anéantissement du patriarcat il s’agit d’orienter les axes de la lutte de manière à atteindre les causes de l’asservissement des femmes dans le monde. L’internationalisme a été une composante du mouvement des femmes mais il s’est mué en soutien compassionnel pour les souffrances endurées par les ‘autres’ femmes et non en une lutte solidaire contre les mêmes causes entraînant les mêmes effets sous toute latitude. La mondialisation économique a mis en selle un nouvel ordre colonial qui exploite les richesses en jetant les populations dans la pauvreté et s’appuie si nécessaire sur les guerres pour mieux asservir des pays entiers. Et ce sont les femmes tout au bas de l’échelle qui perdent le peu qu’elles avaient pendant qu’ici on maintient une paix sociale sur le dos de l’assignation des femmes. L’égalité des droits et des revenus est une revendication valable pour toutes les femmes de la planète. A propos des violences faites aux femmes il faut aussi dépasser le cadre domestique ou celui du viol pour dénoncer la violence des instances économiques internationales : Banque Mondiale, FMI,… ; la violence des projets de développement ; celle des guerres et ingérences militaires pour instaurer un ordre économique favorable aux grandes puissances. Se mêler des affaires internationales, dites étrangères, demander des comptes sur les options armées dans la résolution des conflits, articuler la lutte des femmes autour des responsables de l’ordre du monde et sortir du constat amer de nos défaites pour envisager la lutte à la source des inégalités, cela pourrait être des axes de lutte à décliner ici contre nos dirigeants. L’internationalisme est inévitable tant la condition féminine se répète partout dans le monde, lutter contre l’exploitation des femmes du tiers-monde qui fabriquent les produits consommés ici doit être un objectif qui conjugue libération des femmes et affranchissement du prolétariat. La liste est longue de la convergence des luttes entre les exploité-es des pays industrialisés et des pays du tiers-monde ou émergents, tant est semblable la soumission des femmes au diktat de la performance, de la beauté, de la reproduction, de la consommation, des violences privées et publiques, etc. La division des femmes sert le pouvoir et entretient les mécanismes de l’exploitation féminine, il faut s’en affranchir en pensant au-delà de notre propre environnement ce qui n’empêchera pas de poursuivre les luttes mais plus collectivement et hors des frontières féministes ou physiques, en déclinant à la base la lutte de classe incontournable à toute libération.

Que de nombreuses femmes subissent dans leur corps la domination masculine doit nous interroger non sur leur faiblesse mais sur cette domination. Ce qui la maintient en place malgré tout, ce qui la perpétue, ce qui ne permet pas de s’émanciper de son genre, de rester assignée à un déterminisme biologique même et surtout (paradoxalement) quand on le transgresse.

Chantal - OCL Toulouse, juin 2014

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