Retour vers un féminisme matérialiste

Retour vers un féminisme matérialiste

Messagede bipbip » 01 Sep 2012, 02:08

Lecture : Retour vers un féminisme matérialiste
article dans le mensuel Alternative Libertaire de juin 2012

Lecture : Retour vers un féminisme matérialiste

À partir du dernier ouvrage de Roland Pfefferkorn, Genre et rapports sociaux de sexe, nous proposons ici une façon de lire et de comprendre les multiples dimensions des inégalités persistantes entre hommes et femmes.

Dans Genre et rapports sociaux de sexe, Roland Pfefferkorn propose une initiation aux concepts utilisés pour aborder les inégalités sociales hommes/femmes. En particulier, son approche met en avant l’apport des travaux issus du féminisme matérialiste. Cela le conduit à mettre en valeur les ambiguïtés de la notion de genre et à montrer les avantages théoriques de l’analyse en termes de rapports sociaux de sexe. Dans l’introduction, l’auteur met en perspective l’histoire de la sociologie en rappelant que ce n’est qu’à partir des années 1970, par l’action des militantes et de chercheuses féministes, que cette discipline est conduite à prendre en compte le fait social de l’inégalité homme/femme.

Rompre avec le naturalisme

Dans un premier chapitre, intitulé « Rompre avec le naturalisme », l’auteur est conduit à mettre en valeur la rupture que constitue l’approche féministe matérialiste par rapport aux perspectives antérieures, avant les années 1970, tournées vers les notions de rôles sociaux. S’inscrivant dans une continuité avec le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, les théorisations de Christine Delphy, inspirées par un usage hétérodoxe de Marx, sont ici fondamentales. L’auteur rappelle comment ont été construits les concepts de « patriarcat », de « mode de production domestique », de « travail domestique » comme catégories autonomes du capitalisme. Néanmoins, elles se heurtent selon lui à certaines limites : « En sous estimant, de notre point de vue, les changements réels qui sont intervenus, même s’ils sont très partiels et parfois difficiles à interpréter, en négligeant l’accroissement des marges d’autonomie des femmes au cours des dernières décennies, Christine Delphy s’interdit de prendre en compte l’historicité et la dynamique du mode de production domestique, elle inscrit sa conceptualisation dans une perspective fondamentalement fixiste » (p. 38).

Ce n’est que dans les approches en termes de division sexuelle du travail et avec le concept de rapports sociaux de sexe que certaines apories sont résolues. Elles permettent ainsi de penser l’exploitation de femmes, de plus en plus nombreuses sur le marché de l’emploi, conjointement dans la sphère domestique et productive.

La notion de genre

Le second chapitre est consacré à l’étude de la notion de genre dont l’auteur met en valeur les ambivalences qui ont pu conduire au large succès de ce terme. Il est possible de souligner par exemple, parmi les analyses qu’il effectue, le contraste entre deux théorisations du genre. Cette notion semble pouvoir se confondre initialement avec celle de sexe social. L’auteur rappelle à ce propos les théorisations de Colette Guillaumin sur la construction de la « classe de sexe des femmes » par le sexage, c’est-à-dire « l’appropriation privée et collective » des femmes. Il montre cependant comment la notion de genre, telle qu’elle est utilisée dans les théories queer, conduit à réduire l’opposition entre féminin et masculin à ses dimensions normatives et aux questions d’identités sexuelles.

C’est ainsi qu’il est conduit, dans le troisième chapitre de son ouvrage, à l’analyse des critiques de cette notion. Il en distingue principalement trois. Tout d’abord, le biais culturaliste et en définitive idéaliste de cette notion dans les théorisations postmodernes, telles que les théories queer, conduit à négliger la base matérielle économique de la construction du genre. La seconde critique porte sur la renaturalisation qui s’effectue sous couvert de la distinction entre sexe biologique et genre comme construction sociale. Dernière dimension, la thèse postmoderne de la pluralité des genres dissout le rapport social de classe qui pourtant apparaît clairement à un niveau macro-sociologique.

Centralité du travail

Le dernier chapitre est ainsi consacré plus spécifiquement aux notions de « division sexuelle du travail » et de « rapports sociaux de sexe ». L’auteur rappelle, en s’inspirant de Danièle Kergoat, que la notion de rapport social désigne « une tension qui traverse le champ social et qui érige certains phénomènes sociaux en enjeux autour desquels se constituent des groupes sociaux aux intérêts antagonistes » (p. 96).

Cette notion met en avant le caractère antagonique du social, et ainsi la centralité de la notion de travail. Les rapports sociaux de sexe se construisent à partir de la division sexuelle du travail, mais également du contrôle de la sexualité et de la fonction reproductive des femmes. En outre, Danièle Kergoat a montré comment les rapports sociaux de sexe, de « race » et de classe devraient être analysés dans leur consubstantialité et leur coextensivité les uns avec les autres.

En définitive, les analyses axées sur la conflictualité sociale en termes de rapports sociaux de sexe, par rapport à celle de « domination masculine », permettent de mieux penser l’articulation entre reproduction des rapports de domination et transformation de ces rapports dans le cadre de luttes collectives d’émancipation.

Dans sa conclusion, l’auteur revient sur la distinction entre articulation des rapports sociaux et théories de l’intersectionnalité. Ces dernières, issues du contexte intellectuel étasunien, ont pour conséquence d’accorder, comme les théories queer, une place prépondérante aux dimensions culturelles et identitaires.

Un courant radical oublié

En mettant l’accent sur les théories issues du féminisme matérialiste, l’ouvrage de Roland Pfefferkorn possède le mérite de mettre en lumière tout un courant radical d’analyse des inégalités hommes/ femmes, occulté dans les années 1980 par le différentialisme du french féminism, puis dans les années 1990 par la réception des théories queer et l’analyse bourdieusienne en termes de domination masculine. Pourtant, dans le sillage des analyses du patriarcat par la féministe américaine Kate Millet, auteure de La politique du mâle en 1970, les travaux de théoriciennes telles que Christine Delphy, Nicole-Claude Mathieu, Colette Guillaumin, Monique Wittig, ou encore Danièle Kergoat présentent la spécificité d’appuyer leurs critiques de l’inégalité sociale entre hommes et femmes sur une base économique, mais sans s’y réduire.

En particulier, avec la notion de « sexe social », ces théoriciennes ont montré avant les théories queer comment les identités sexuelles n’étaient que des constructions sociales.

Elles ont ainsi initié une critique de l’hétéronormativité qui ne se réduit pas à une simple critique des normes, mais qui trouve sa base dans une analyse des conditions socio-économiques des catégories sexuelles. Ainsi, oublie-t-on bien souvent que ce n’est pas uniquement du côté de Foucault, mais également de Monique Wittig, que Judith Butler a été chercher l’inspiration de sa théorie de la déconstruction du genre.

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Re: Retour vers un féminisme matérialiste

Messagede altersocial » 23 Avr 2016, 10:37

Sita a écrit: Et puis j'ai commencé à m'intéresser très fort à la politique lorsque j'ai découvert le féminisme matérialiste.


Pas du tout d'accord avec elle sur la thèse de l'extorsion de la force de travail domestique (Delphy) qui est une ignorance totale de la fonction salariale comme reproduction familiale et non comme reproduction masculine :roll: C'est méconnaître complètement l'histoire socio-économique des familles ouvrières à mon sens.
En revanche l'apport de ce féminisme matérialiste est de déconstruire les dérapages des féminismes différentialistes/essentialistes ce qui est positif. L'autre apport est de ne pas forcément lié capitalisme et patriarcat, ce qui est partiellement vrai.
Pour parler de Delphy j'ai trouvé cohérent son opposition à la guerre en Afghanistan et sa critique du néo-colonialisme. Plus largement sa position sur les femmes afghanes a fait débat :
1. http://www.politis.fr/articles/2007/03/ ... emmes-730/
2. http://www.afghana.org/npds/html/article.php?sid=2473
Je la rejoins largement sur sa critique de l'interdiction institutionnelle du voile du racisme/sexisme/islamophobie que cela implique. A mon sens il s'agit d'une domination patriarcale/néocoloniale des corps féminins ex-colonisés.

Ma grande cassure avec le courant "féminisme matérialiste" est sa jonction, via Delphy, avec les antijuifs du PIR.

On ne combat pas une oppression (sexiste) en fermant les yeux sur une autre oppression (antijuive).

On ne combat pas un essentialisme ("féministe") en fermant les yeux sur un autre essentialisme ("antiraciste").

Pour moi les frontières du débat acceptable se situent là et je mets dans le même sac les antijuifs (déguisés en "antiracistes") et les islamophobes (déguisés en laïcs/anticléricaux), les relents du patriarcat et du néocolonialisme, etc.

Pour parler de moi plus précisément, parce qu'on est sur le net et que ça ne me dérange pas de raconter ma vie, j'appartiens à la classe qui opprime les femmes, c'est-à-dire les hommes.


Ce ne sont pas les hommes qui oppriment subjectivement et directement les femmes (écueil essentialiste) mais les hommes via la structure patriarcale de la société. Le patriarcat capitaliste ne se contente pas que des hommes pour soumettre les femmes il soumet les deux et subordonnent les secondes aux premiers dans les sociétés marchandes les plus avancées. (On peut soumettre Beauté fatale à cette double lecture : derrière les hommes c'est la marchandise qui domine également). C'est en ce sens que dans les sociétés capitalistes les plus avancées dans l'impérialisme marchand il est impossible de lutter contre l'oppression patriarcale structurelle sans dépasser le monde marchand/capitaliste. Double oppression des femmes : domestique, par la reproduction légitimée de la culture patriarcale ; sociale par l'emprise implacable du monde marchand sur la culture moderne et son spectacle (presse -féminine ou non!- cinéma, etc.).
En revanche oui il est également important que les hommes/blancs comprennent les mécanismes de domination issus de la culture/éducation qu'ils reproduisent et comprennent la nécessité pour les femmes / minorités de s'auto-organiser entre elles.
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Re: Retour vers un féminisme matérialiste

Messagede Merricat » 24 Avr 2016, 18:23

Salut altersocial ! Pour essayer de te répondre. Le travail domestique chez Christine Delphy (qui n'est pas la seule féministe matérialiste) ne se limite pas à l'analyse des couples salariés (où travail domestique coïncide plus ou moins avec tâches ménagères). Globalement cette notion recouvre toute production produite par la femme et exploitée par l'homme (sur le marché ou ailleurs) et définit la femme comme source de travail entretenue par l'homme mais non rémunérée sur la qualité ou quantité de travail fourni. Il y a aussi la notion de sexage par Colette Guillaumin qui permet de faire un parallèle sans aller jusqu'à la confusion avec les notions de servage et d'esclavage.

Le lien entre reproduction familiale et reproduction masculine, je pense qu'il existe et qu'il est fondamental de le mettre en évidence. De plus, Delphy précise en entretien ne pas croire aux explications uniques et exhaustives des rapports sociaux. Je ne pense pas que la fonction capitaliste du travail domestique retire de fait au travail domestique sa fonction patriarcale. Comme tu le dis, chacun de ces deux prismes de lecture (féministe/anticapitaliste) est partiel et pour évoquer les travaux de Danièle Kergoat et ses notions de consubstantialité/coextensivité des rapports sociaux, chacun des prismes sexe/race/classe intervient dans la formation des autres.

Je ne comprends pas trop l'opposition entre domestique et social. Je passe mon temps à défendre l'idée qu'on n'échappe pas au social, même lorsqu'on s'isole et qu'on appréhende des questions qui ne concerne que soi. Alors l'idée qu'il serait possible d'y échapper en entrant dans la sphère domestique ça me fait tiquer. J'ai l'impression que c'est une façon de minimiser toutes les réflexions sur le privé qui ont eu lieu dans le mouvement féministe. Sans oublier le fait que l'oppression patriarcale ne se limite pas à la sphère domestique.

Ce sont bien les hommes qui de mon point de vue oppriment les femmes, sont responsables de l'oppression patriarcale. Dire que les hommes oppriment "via la structure patriarcale de la société" pour moi c'est dire deux fois la même chose. Il n'y a pas d'hommes sans structure patriarcale de la société. Tu envisages que je puisse dire que les hommes oppriment indépendamment de cette structure, est-ce que cela signifie que les hommes pour toi existent pour eux-mêmes, en-dehors des rapports sociaux de sexe ? Parce qu'en ce qui me concerne, c'est plutôt là que je situerais l'écueil essentialiste. Après, le fait que les hommes existent et oppriment, en tant qu'hommes, "via la structure patriarcale de la société" ne signifie pas qu'ils n'ont aucune responsabilité dans l'oppression des femmes.

Tu dis que l'oppression n'est pas subjective et directe. L'oppression est directe en partie, le féminisme a mis au jour les violences masculines et les chiffres que les féministes ont arrachés ne cessent d'être alarmants. Certes, il y a aussi des mécanismes indirects, mais je dirais que c'est valable comme dans la plupart des systèmes de classes. Le sexe structure notre société en classes et ce sont les hommes, classe qui opprime, qui en sont les bénéficiaires. L'argument de la subjectivité ne m'intéresse pas tellement, en fait je le trouve androcentré.
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Re: Retour vers un féminisme matérialiste

Messagede Merricat » 17 Mai 2016, 22:42

Réédition aux Editions Ixe de Sexe, race et pratique du pouvoir - L'idée de nature (1992) de Colette Guillaumin.

«La parenté de l'institution esclavagiste avec le sexage réside dans l'appropriation sans limites de la force de travail, c'est-à-dire de l'individualité matérielle elle-même.»

Sexe, race et pratique du pouvoir. L'idée de nature réunit un ensemble d'articles publiés par Colette Guillaumin entre 1977 et 1993.

Pour présenter ce livre essentiel, d'abord publié chez côté-femmes en 1992 et depuis longtemps épuisé, Brigitte Lhomond écrivait en 1993 dans la revue Multitudes:

«Une idée centrale structure le travail de Colette Guillaumin et unifie les articles présentés dans cet ouvrage, celle du lien inextricable entre les “formes matérielles” et les “formes mentales” que prennent les relations de domination (ces “deux faces de la même médaille”), lien entre la matérialité des rapports de pouvoir et la pensée de ceux-ci. Cette pensée, cette idéologie, celle du “sens commun” tout autant que celle des discours théoriques et scientifiques, exprime et justifie tout à la fois ces rapports. […]

Le concept d’appropriation est un élément essentiel apporté par Guillaumin à la théorie des rapports entre les sexes, où le corps même des individues dominées (et pas seulement leur travail) est l’objet de la mainmise, comme ce fut le cas dans le servage de l’Ancien Régime, l’esclavage de plantation, et dans ce que Guillaumin nomme, pour les femmes, le “sexage”. Le sexage s’exprime dans l’“appropriation privée”, ou le “propriétaire” est un homme particulier (comme dans l’institution du mariage), et dans l’“appropriation collective” quand l’usage du corps des femmes est disponible à l’ensemble du groupe des hommes. Usage qu’il serait faux de réduire à des dimensions exclusivement sexuelles. La prise en charge par les femmes – et elles seules ou presque – de l’entretien physique et moral, non seulement des hommes mais aussi des enfants, des malades, des vieillards, est un élément essentiel de l’usage qui est fait de leur corps.»

http://www.editions-ixe.fr/content/sexe ... du-pouvoir

Sommaire du livre :
http://www.editions-ixe.fr/sites/defaul ... aire_4.pdf

« Pratique du pouvoir et idée de nature. 1. L'appropriation des femmes » :
http://www.editions-ixe.fr/sites/defaul ... ture-1.pdf
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Re: Retour vers un féminisme matérialiste

Messagede altersocial » 20 Juin 2016, 19:06

Pour essayer de te répondre. Le travail domestique chez Christine Delphy (qui n'est pas la seule féministe matérialiste) ne se limite pas à l'analyse des couples salariés (où travail domestique coïncide plus ou moins avec tâches ménagères). Globalement cette notion recouvre toute production produite par la femme et exploitée par l'homme (sur le marché ou ailleurs) et définit la femme comme source de travail entretenue par l'homme mais non rémunérée sur la qualité ou quantité de travail fourni. Il y a aussi la notion de sexage par Colette Guillaumin qui permet de faire un parallèle sans aller jusqu'à la confusion avec les notions de servage et d'esclavage.



Delphy : Pour une théorie générale de l'exploitation : Des différentes formes d'extorsion de travail aujourd'hui :

"La société actuelle repose en grande partie sur deux piliers enchevêtrés : le mode de production capitaliste et le mode de production patriarcal (ou domestique). L'extorsion du travail - salarié ou non - en est un fondement. Si l'une profite aux capitalistes, l'autre opère au bénéfice des hommes. Le travail domestique est à la fois une manifestation flagrante de l'inégalité entre les sexes et un défi pour les stratégies d'égalité, car l'action militante y trouve souvent sa limite. En effet, le "partage inégal" des tâches domestiques - un oxymore qui signifie l'absence de partage - ne semble pas contraint, mais le résultat d'arrangements à l'amiable entre deux adultes libres. Or, dès que deux personnes de sexe différent forment un couple et vivent ensemble, la quantité de travail ménager fait par l'homme diminue tandis que celui de la femme augmente. Et le travail gratuit est l'exploitation économique la plus radicale. En ne voyant d'exploitation que là où il y a plus-value, la théorie marxiste, qui se voulait de libération, a produit des concepts qui rendent non seulement mal compte de l'exploitation salariale, mais qui sous-estiment également les autres types d'exploitation, que ce soit l'exploitation domestique, l'esclavage ou le servage. Le mode de production capitaliste, dans la mesure où il sert le mode de production patriarcal, n'est pas purement capitaliste, il est également en partie patriarcal. D'où la nécessité de revisiter la théorie marxiste au moyen d'une théorie générale de l'exploitation."

Et elle a tort car elle analyse le marxisme avec le prisme contemporain alors que Marx avait fondamentalement raison sur la nature du salariat à l'ère industrielle, le salaire englobant à la fois le travail industriel et le travail domestique. Le Droit bourgeois est alors fondamentalement encastré à cette association, en France ce sera le Code de la famille, unité de consommation de l'ère capitaliste. Pour la considération sur l'absence de l'analyse marxiste sur le servage et l'esclavage elle montre juste qu'elle n'a jamais lu Marx et se montre ridicule. Pour ce qui est de la thèse d'un "mode de production patriarcale" on dépasse le mur du son de la bouffonnerie. Mis à part l'avant dernière phrase qui ne veut rien dire tout ce verbiage nous montre une chose essentielle c'est que nous les travailleurs nous devons nous devons lire Marx et Bakounine à la source et non pas à travers le filtre de cette caste bourgeoise d'intellectuels et d'universitaires qui cherchent continuellement à se faire mousser avec leur dernière trouvaille terminologique.

Le lien entre reproduction familiale et reproduction masculine, je pense qu'il existe et qu'il est fondamental de le mettre en évidence.


Si tu peux reformuler ce qu'est la "reproduction masculine", merci.

De plus, Delphy précise en entretien ne pas croire aux explications uniques et exhaustives des rapports sociaux.


Personne n'a jamais prétendu à un tel déterminisme, Marx parlait des rapports sociaux de production.

Je ne pense pas que la fonction capitaliste du travail domestique retire de fait au travail domestique sa fonction patriarcale.


Je suis d'accord, je dirais même plus que la législation bourgeoise (et l'institution du mariage !) a enfoncé le clou du patriarcat encore plus profondément.

Comme tu le dis, chacun de ces deux prismes de lecture (féministe/anticapitaliste) est partiel et pour évoquer les travaux de Danièle Kergoat et ses notions de consubstantialité/coextensivité des rapports sociaux, chacun des prismes sexe/race/classe intervient dans la formation des autres.


Oui, enfin elle entend quoi par "race" ?
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Re: Retour vers un féminisme matérialiste

Messagede Merricat » 20 Déc 2016, 00:29

altersocial a écrit:Et elle a tort car elle analyse le marxisme avec le prisme contemporain alors que Marx avait fondamentalement raison sur la nature du salariat à l'ère industrielle, le salaire englobant à la fois le travail industriel et le travail domestique.

Mais est-ce que Marx avait raison sur la nature du patriarcat à l'ère industrielle ?

Je ne doute pas de la clairvoyance de Marx lorsqu'il s'agit de relever les conséquences qu'a pour les hommes le travail domestique des femmes dans le système capitaliste : notamment le fait que le travail des hommes hors du foyer est plus facile à exploiter si on épargne à l'homme le temps de contrainte qui devrait être consacré à la reproduction de sa force de travail. De là découle la conception du couple ou foyer comme unité opprimée par la bourgeoisie, avec en fait l'idée d'une simple répartition des tâches entre le et la prolétaires pour un seul et même travail de production (celui de l'homme mais permis par la femme au foyer).

En revanche, je doute de la pertinence de l'analyse de Marx concernant les conséquences du travail domestique pour les femmes dans le système patriarcal (qui fait de tout homme un patron). Par exemple, il faut mettre en évidence que lorsqu'elles sont privées d'un accès légitime aux moyens de production (même si la production est ensuite expropriée par la bourgeoisie), les femmes perdent une grande part de leur capacité à lutter contre leur dépendance vis-à-vis des hommes. Cette conception du couple ou foyer comme unité de production ne résiste pas à l'analyse féministe : même opprimé par la bourgeoisie le prolétaire gagne du pouvoir sur sa femme par la division socio-sexuée du travail, et la banalité des violences masculines est là pour nous le rappeler. La division du travail n'est pas aléatoire ou d'ordre purement pratique, elle découle des rapports de pouvoir entre les sexes : elle est là parce qu'elle rend la hiérarchie entre hommes et femmes plus facile à maintenir. De plus la conception harmonieuse du couple qui veut que l'activité de l'homme et l'activité de la femme soient coordonnées est hypocrite : en pratique, les femmes ne sont pas du tout épargnées par la nécessité d'aller travailler elles aussi hors du foyer, à cette nuance près que contrairement aux hommes, cela ne les affranchit pas des tâches ménagères (et elles s'acquittent de leur part et de celle de l'homme) et les moyens qui leur sont concédés pour produire sont très limités.

De toute façon, on ne peut pas comprendre les travaux de Delphy si on part du principe (qui me paraît assez explicite dans tes messages) que les hommes prolétaires ne sont pas bénéficiaires (au moins en partie) de l'exploitation des femmes prolétaires. C'est cette exploitation qui fonde l'idée de travail domestique. Si tu nies cette exploitation, tu nies le travail domestique et ce dont tu parles depuis le départ c'est en fait le travail ménager (des tâches bien précises). Ce que le terme domestique implique, ce sont avant tout les rapports de pouvoir entre les sexes. La nature des tâches accomplies à travers ce mode d'exploitation est secondaire (on trouve par exemple dans l'agriculture ou l'artisanat des femmes qui accomplissent rigoureusement les mêmes tâches que leur mari – tout en continuant de s'acquitter du travail ménager – sauf que c'est leur mari qui est légalement propriétaire de leur production et ça c'est du travail domestique).

Pour revenir sur l'argument du travail domestique (ménager ?) déjà analysé par Marx dans une perspective anticapitaliste, et qu'il serait donc inutile d'analyser de nouveau dans une autre perspective, je rappelle que toute analyse politique est une lecture, c'est-à-dire une construction théorique effectuée sur le réel à partir de critères spécifiques. Si le réel, lui, est bel et bien unique, il n'est en revanche pas inutile d'en multiplier les lectures pour en approfondir l'analyse, enrichir notre connaissance à son sujet, en multipliant surtout les angles d'approche. Il est donc parfaitement défendable d'analyser le travail domestique de nouveau, cette fois-ci dans une perspective féministe. Et c'est bien cela, il me semble, qui intéresse les féministes matérialistes. Le matérialisme est pour elles une méthode d'y parvenir. Fournir la lecture la plus orthodoxe possible de Marx (et je reconnais que ça a un intérêt), c'est un problème de marxistes, pas de matérialistes, même si nous ne dirons jamais assez combien le matérialisme doit à Marx.

altersocial a écrit:Si tu peux reformuler ce qu'est la "reproduction masculine", merci.

Par reproduction masculine j'entends tout ce qui permet aux personnes de la classe (de sexe) dominante de créer et maintenir la division en sexes de la société, autrement dit tout ce qui permet aux hommes de se constituer en hommes et d'imposer aux femmes la condition de femmes. Dans la mesure où la famille est un lieu de reproduction aussi bien pour le système capitaliste que pour le système patriarcal, c'est en fait le terme de reproduction familiale qu'il faut questionner, parce qu'il élude les questions fondamentales : reproduction de quoi ? dans l'intérêt de qui ?
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