Syndicalisme et prostitution, questions embarrassantes

Re: Syndicalisme et prostitution, questions embarrassantes

Messagede bipbip » 14 Juin 2015, 13:50

La guerre de l’industrie du sexe contre les féministes

Les pornographes ont toujours défendu les productions et les pratiques de leur industrie extrêmement rentable comme de la «liberté d’expression», même si celles-ci sexualisaient le pouvoir masculin et la violence contre les femmes. De même, les défenseurs de la prostitution, qu’ils qualifient stratégiquement de «travail du sexe», présentent comme libérateur le mouvement visant à la faire légaliser et normaliser.

Mais ces groupes n’appuient la libre parole et la liberté que dans la mesure où elles servent leurs intérêts. Les personnes qui s’expriment contre l’industrie du sexe sont exclues de leur version de la «liberté».

Nous en avons vu la preuve au mois de mars, quand un certain nombre de lobbies pro-prostitution ont menacé de boycotter une conférence organisée à Vancouver, en Colombie-Britannique, qui avait obtenu la présence du célèbre journaliste et chroniqueur de Truthdig Chris Hedges comme conférencier principal. Parce que Hedges avait rédigé un article appelant la prostitution «l’expression par excellence du capitalisme mondial», ces groupes ont tenté de le faire retirer du programme, et leurs efforts auraient réussi, n’eût été la réaction passionnée de groupes féministes locaux.

Les campagnes de diffamation contre les féministes et leurs alliés qui osent dire la vérité sur la violence et le pouvoir masculins ne sont pas chose nouvelle. Dans les années 1990, les pornographes ont lancé une campagne contre la professeure Catharine Mackinnon et l’écrivaine féministe Andrea Dworkin, en les comparant à des nazis et les accusant de d’attenter à la liberté d’expression. En fait, l’ordonnance anti-pornographie qu’elles avaient rédigée à Minneapolis en 1983 pour définir la pornographie comme une violation des droits civils de femmes n’était pas une tentative de censure d’un discours, mais un effort pour remédier aux torts fait aux femmes par l’industrie pornographique.

Un mouvement dit des «droits des travailleurs du sexe» a été inventé pour contrer, aux yeux d’un public progressiste bien intentionné, les féministes qui voyaient la prostitution comme une extension et une perpétuation du pouvoir et de la violence des hommes. Le lobby de la prostitution a adopté le vocabulaire du mouvement syndical afin de plaider pour les droits des hommes à ouvrir des bordels et acheter le sexe des femmes. Il a également adopté le vocabulaire du mouvement féministe pour présenter la prostitution comme un choix des femmes.

Ces lobbyistes ont de leur côté les médias, les proxénètes et les clients prostitueurs. Les intérêts capitalistes des médias de masse les amènent à présenter la pornographie et la prostitution comme de simples entreprises commerciales, et leurs bases patriarcales signifient que l’idée des corps féminins comme objets à consommer est acceptée comme la norme.

Au cours des dernières années, l’industrie du sexe a travaillé aux côtés des médias à décontextualiser complètement notre vision du système prostitutionnel. Cette approche néolibérale fait partie d’un effort continu pour affaiblir les mouvements qui remettent en question les systèmes de pouvoir : si nous ne sommes toutes et tous que des individus, travaillant à notre émancipation personnelle et donc seul.e.s responsables de nos propres «succès» et «échecs», alors il est inutile de s’organiser collectivement. C’est ce que voulait dire Margaret Thatcher quand elle a affirmé qu’il n’existait rien de tel que la société, mais seulement des personnes qui devaient veiller avant tout à leurs intérêts personnels.

En présentant un système qui conduit à la prostitution les femmes – et particulièrement les femmes marginalisées – comme non seulement un choix des femmes, mais un choix potentiellement libérateur, ces groupes arrivent à dissimuler la façon dont la pornographie renforce le pouvoir masculin, en désignant les femmes comme responsables de leur propre subordination. En présentant comme un empowerment (autonomisation) les pressions sociales qui poussent les femmes à l’auto-objectivation, la société se permet de faire l’impasse sur ce pour quoi les femmes apprennent à chercher du pouvoir dans la sexualisation et le regard masculin. En ne mettant l’accent que sur ce que font les femmes, nous passons sous silence le comportement des hommes.

Car ce que défendent réellement les groupes qui prétendent militer pour les «droits des travailleuses du sexe» n’est pas, en fait, les droits humains des femmes, mais les intérêts financiers et sexuels de certains hommes. Voilà pourquoi leur discours évite délibérément de parler des préjudices causés par ces hommes.

La campagne visant à présenter le lobby pro-prostitution comme une militance communautaire de soutien à des femmes marginalisées a connu un vif succès. En ignorant la dynamique de pouvoir inhérente au fait pour un homme de payer une femme pour des actes sexuels, et en limitant le débat à un prétendu choix des femmes, celles qui pourraient se considérer comme féministes sont acculées à un dilemme : «Est-ce que je soutiens le droit des femmes de choisir ?» La réponse évidente est oui. Mais cette question est trompeuse. La véritable question est, plutôt, «Est-ce que je soutiens le droit des femmes pauvres et marginalisées à une meilleure vie que celle que leur offrent des hommes exploiteurs ?»

Même si le discours manipulateur conçu pour séduire les masses libérales forme une très grande part du plaidoyer visant à faire dépénaliser proxénètes et clients prostitueurs, un autre élément clé de ce langage est la diffamation des féministes qui contestent ce discours.

Les partisans de l’industrie ne reculent devant rien pour silencier les voix de celles qui contestent publiquement leurs intérêts. En plus de les qualifier de prudes, d’intégristes, et de les accuser d’intolérance et d’oppression, la guerre contre ces féministes a récemment conduit à des efforts généralisés pour expulser les dissidentes de la place publique.

Quand la journaliste d’enquête et autrice suédoise Kajsa Ekis Ekman a été invitée à prendre la parole à Londres l’année dernière à propos de son livre L’être et la marchandise : prostitution, maternité de substitution et dissociation de soi, la librairie où s’est tenu cet événement a été menacée de boycott.

Le climat actuel du féminisme anglo-saxon relève de la chasse aux sorcières, m’a dit Ekman. Ce genre de chasse aux sorcières débute par «des campagnes de diffamation présentées comme venant de ‘la base’ et traite les féministes connues d’’arrivistes’, ‘élitistes’, ‘cis-sexistes’, ‘racistes’ et ‘putophobes’,» précise-t-elle. «Cela vire ensuite à des campagnes de censure tous azimuts, des menaces de boycott, des pétitions, l’isolement de toute personne qui prend parti pour la féministe attaquée et une culpabilisation par association.»

En 2003, Melissa Farley, psychologue clinicienne et fondatrice de l’organisme sans but lucratif Prostitution Research & Education, a mené une étude en Nouvelle-Zélande sur la violence et le trouble de stress post-traumatique vécus par les personnes prostituées, pour ensuite témoigner du contenu de ces entrevues devant la législature néo-zélandaise. Un partisan local de la prostitution a contesté sa recherche, allant jusqu’à déposer une plainte contre elle auprès de l’American Psychological Association (APA). Cette plainte a été ignorée par l’APA et rejetée comme dilatoire par les pairs de Mme Farley. Mais elle est constamment présentée comme légitime par le lobby de la prostitution, et utilisée comme excuse pour inciter d’autres personnes à rejeter ces recherches approfondies et éclairantes.

Julie Bindel, une journaliste féministe qui couvre depuis des années l’industrie internationale du sexe, a révélé que l’International Union of Sex Workers était à peine plus qu’une courroie de transmission pour des proxénètes et des propriétaires de maisons closes. Elle a également fait rapport des graves défaillances du système prostitutionnel légalisé à Amsterdam. Mais en mars, à la suite de plaintes de groupes associés au lobby de la prostitution, elle a été écartée d’un forum de discussion d’un film américain sur la prostitution.

Les survivantes de la prostitution font également face à des tactiques de censure. La Canadienne Bridget Perrier, formatrice issue des Premières nations et cofondatrice de Sextrade 101, un groupe abolitionniste torontois composé de survivantes du commerce du sexe, a déclaré que les efforts du lobby pro-prostitution visaient à invalider le vécu des femmes ayant quitté l’industrie. Leurs témoignages sont souvent remis en question.

Rachel Moran a survécu à sept ans dans le commerce du sexe en Irlande et a publié un livre sur son vécu, où elle réfute nombre des mythes et mensonges perpétués par le lobby du «travail du sexe». Pour ce crime – avoir écrit la vérité –, elle a dû vivre un harcèlement constant, en étant accusée plus d’une fois d’avoir inventé son histoire de toutes pièces.

«J’ai été diffamée, calomniée, menacée, agressée physiquement et on m’a crié dessus », m’a dit Moran. «J’ai vu mon adresse privée, mes coordonnées bancaires et mon courrier personnel diffusés auprès de personnes manifestement déséquilibrées, qui m’ont envoyé sur Twitter des éléments de mon adresse pour me laisser clairement entendre qu’elles savent où me trouver.»

Elle ajoute : «Certains prétendent continuellement que je n’ai jamais été dans la prostitution, même si des documents en faisant preuve figurent dans les livres des services sociaux irlandais et au Tribunal de la jeunesse de Dublin.»

Le déni des vérités susceptibles d’entraver les efforts pour présenter une version aseptisée de l’industrie du sexe, afin de vendre la prostitution comme «un simple métier comme un autre», est un élément crucial de la campagne visant à la faire légaliser.

Moran m’a dit être scandalisée par le manque de compassion à son égard de la part des partisans de l’industrie du sexe qui prétendent avoir à cœur la sécurité des femmes. «Ils se foutent carrément du fait de bâtir une campagne d’intimidation délibérée et organisée contre une femme qui a été rituellement agressée sexuellement par des hommes adultes depuis l’âge de 15 ans», dit-elle. «Comme ma vérité ne leur convient pas, ma vérité doit être réduite au silence.»

En désespoir de cause, parce qu’ils sont incapables et indésireux de répondre à des arguments féministes et socialistes de base contre l’industrie du sexe – à savoir qu’elle se fonde sur le pouvoir des hommes et le capitalisme, qu’elle perpétue des notions misogynes sur les «besoins» des hommes et les corps des femmes comme objets existant pour satisfaire ces désirs socialisés –, ces groupes de pression se rabattent sur des mensonges et des calomnies.

Ces groupes tentent de faire passer leurs campagnes de diffamation comme de la «critique», mais c’est tout sauf cela. Kajsa Ekman, la journaliste suédoise, a déclaré. «Ce qui se passe actuellement n’est pas de la critique. Cela ressemble plutôt au déchaînement de la révolution culturelle maoïste.»

«Si vous êtes une féministe de premier plan, vous n’y échapperez pas», a-t-elle poursuivi. «Si vous n’avez pas encore été ciblée, soit vous le serez, soit vous n’êtes pas suffisamment dangereuse à leurs yeux.»

J’écris depuis plusieurs années à propos de l’industrie du sexe et des lois sur la prostitution au Canada. Les attaques portant sur mes valeurs personnelles et mon travail n’ont jamais cessé. Ces dernières semaines, plusieurs groupes de pression canadiens liés à l’industrie du sexe ont monté une grande campagne de diffamation en ligne, en présentant mes arguments contre l’objectivation, l’exploitation et la maltraitance des femmes comme du «fanatisme» et en trafiquant délibérément mon travail et mes opinions au-delà de toute reconnaissance.

Les accusations absurdes et sans fondement lancées contre moi – on m’a traitée de «transphobe», de «putophobe» et de raciste – reprennent celles utilisées contre toutes les femmes qui remettent en question le statu quo de cette façon. Leur objectif n’est pas d’établir la justice, mais de diffamer les féministes pour que leurs arguments puissent être ignorés et rejetés et pour intimider d’autres personnes à faire de même. La seule chose qu’ils ne mentionnent jamais est la réalité concrète du système prostitutionnel.

Les femmes prostituées sont 18 fois plus susceptibles d’être tuées que la population générale, et les hommes responsables de ces agressions sont beaucoup moins susceptibles d’être condamnés lorsque leur victime est une femme prostituée. Au Canada, les femmes autochtones sont surreprésentées dans la prostitution et connaissent des taux plus élevés de violence que les femmes non autochtones, en général. La légalisation ne s’est pas avérée être une solution à l’exploitation, la violence et les abus.

Les individus et les groupes du lobby pro-prostitution tentent de récupérer les luttes des personnes marginalisées pour défendre une industrie multimilliardaire qui s’empare des vies et de l’humanité de milliers de femmes et de filles à travers le monde chaque année. Plutôt que de laisser des dissidentes menacer leurs intérêts avec des mots et des arguments, ils se livrent à des tactiques sournoises pour faire taire les journalistes et autrices féministes indépendantes. Ils présentent nos paroles comme de la «violence», mais ne font rien pour lutter contre les auteurs de violences réelles. Ces groupes n’ont jamais participé à une campagne publique contre un homme violent, jamais signé une pétition pour faire congédier un prostitueur violent, jamais traité d’«intolérants» les gens qui poussent les filles dans des maisons closes ou sur les trottoirs. Leurs cibles ne sont pas le grand capitalisme ou les trafiquants sexuels. Ce ne sont pas les princes du porno ou les propriétaires violents de bordels. Non, leurs cibles sont les féministes.

Dans son essai «Le libéralisme et la mort du féminisme»[i], Mackinnon écrit : «Il y a déjà existé un mouvement féministe», un mouvement qui comprenait que de critiquer des pratiques comme le viol, l’inceste, la prostitution et la violence n’équivalait pas à critiquer les victimes de ces agressions. «C’était un mouvement qui savait que lorsque des conditions matérielles empêchent 99 pour cent de vos choix, il est insensé d’appeler le un pour cent qui reste – ce que vous faites – votre choix.» Elle a écrit ces mots il y a 25 ans, mais nous en sommes encore aux mêmes batailles. Aujourd’hui, le fait de dénoncer les systèmes patriarcaux signifie que vos moyens de subsistance seront menacés, ainsi que votre crédibilité et votre liberté de parole.

Vous ne pouvez pas prétendre être progressiste tout en militant contre la démocratie. Vous ne pouvez pas prétendre être féministe tout en appuyant la censure de femmes. Ce nouveau maccarthysme ne nous libérera pas. Il nous met à la merci de ceux qui travaillent à notre disparition.

Meghan Murphy est une autrice et journaliste canadienne de Vancouver, Colombie-Britannique. Son site Web est FeministCurrent.com

Original : http://www.truthdig.com/report/item/the ... s_20150529

Traduction : TRADFEM

Copyright : Meghan Murphy, juin 2015

[i] Dans The Sexual Liberals and the Attack on Feminism, Dorchen Leidholt et Janice G. Raymond dir., New York : Pergamon Press, 1990, téléchargeable sans frais à http://radfem.org

https://ressourcesprostitution.wordpres ... eministes/
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Re: Syndicalisme et prostitution, questions embarrassantes

Messagede Pïérô » 28 Juil 2015, 11:20

« Les concepts féministes que Schaffauser mobilise ne sont pas utilisés pour analyser et critiquer le pouvoir des hommes. Les quelques mythes évoqués ici servent de prétexte pour ne pas questionner notre propre pouvoir. Il s’agit de réduire les revendications féministes abolitionnistes, à la seule décriminalisation des prostitué-es, avec pour conséquence de reconduire la disponibilité sexuelle des femmes. »

Prostitution et engagement proféministe

[J’avais proposé une version de l’article suivant à une revue papier, de tendance plutôt marxiste, matérialiste – d’où certaines préoccupations dans le contenu de mon texte – comme finalement il n’y sera pas publié, je l’affiche ici. Je tiens à remercier pour leur relecture attentive : quelques anonymes, Mélanie Jouitteau, Martin Dufresne, Pierre-Guillaume Prigent et plus particulièrement Gloria Casas Vila, qui est à l’origine de ce texte. Cet article leur doit énormément. Le contenu reste de ma seule responsabilité.

L’abolition de la prostitution est un projet défendu depuis des décennies par de nombreuses féministes. Il n’a cependant pas eu bonne presse ces dernières temps, y compris à gauche (Chollet, 2014). Les féministes abolitionnistes ont obtenu très peu d’espaces pour exprimer leurs analyses dans la plupart des revues de critique sociale, contrairement aux adeptes du « travail du sexe ». Malgré tout, certains présupposés de ces adeptes commencent à voler en éclats.

Le rôle des hommes de gauche a rarement été analysé par d’autres hommes de gauche, « proféministes » ou « antimasculinistes ». Cet article souhaite partiellement combler ce manque. La méthode consistera ici a revenir sur certains arguments avancés par des hommes qui défendent le « travail du sexe » et plus particulièrement certains arguments d’un ouvrage récent : Les luttes des putes de Thierry Schaffauser. Je me sers de ce livre car il me semble représentatif d’un certain militantisme, dirigé par la classe des hommes[1]. L’auteur connaît le féminisme et s’oppose à une supposée « morale puritaine » qui y sévirait. Il s’agira de voir si son approche s’inscrit dans une démarche proféministe. Je n’ignore pas qu’une partie des féministes s’inscrit dans une démarche « pro-travail du sexe » et que Schaffauser peut s’en inspirer. J’utilise son ouvrage comme prétexte pour dessiner en creux des pistes pour un « engagement proféministe ».

L’auteur se range au côté de ceux qu’il nomme très sérieusement les « garçons transpédégouine » et s’attribue le qualificatif de « pute »[2]. Son travail prioritaire consiste à défendre vertement le groupe dont il est un des représentants, le Strass – lobby mixte qui défend la notion de « travail sexuel »[3].

Mes propos pour l’ensemble répéteront nombre d’arguments des féministes radicales. Je ne prétends pas leur apporter du neuf. Cependant, je trouve important de les réitérer auprès d’un lectorat qui professe ou entend régulièrement des affirmations comme : « Le féminisme est devenu un pouvoir aussi tyrannique que le patriarcat qu’il combat » (Berréby et Vaneigem, 2014: 290).

En fin d’article, c’est en tant que professionnel du soin – aide-soignant – que je discuterai un aspect particulier défendu dans son livre : le fait que l’activité prostitutionnelle relèverait d’une forme de care.

Le refus du système prostitutionnel comme disemporwerment (perte de pouvoir) des hommes

L’approche défendue ici est qu’un engagement « proféministe », c’est à dire un engagement d’hommes contre le pouvoir individuel et collectif des hommes, implique un activisme contre le système prostitutionnel. Je précise néanmoins que j’ai longtemps été empêtré dans des approches que je qualifie désormais de libérales : des approches qui s’attachent à militer contre les normes plutôt que contre les hiérarchies, qui confortent le spectacle de représentations consommables, et qui favorisent l’illusion d’avoir détaché l’individu de la société par la performativité individuelle. Je les qualifie de libérales car elles promeuvent une idée de la liberté qui nie les rapports de forces existants et renforcent ainsi les dominants. La liberté n’y est pas pensée en rapport avec l’égalité. Cette approche libérale me semble aujourd’hui incompatible avec l’engagement proposé ici, qui coïncide plutôt avec ce que Francis Dupuis-Déri a désigné sous le nom de disempowerment :

« Le disempowerment des hommes (…) [implique de réduire notre capacité d’agir] en tant qu’hommes et donc en tant que membres de la classe dominante et privilégiée dans le patriarcat. L’engagement des hommes dans un processus individuel et collectif de disempowerment consiste à réduire le pouvoir que nous exerçons individuellement et collectivement sur les femmes, y compris les féministes ».

Si on observe la réalité prostitutionnelle, on en arrive vite au constat qu’elle participe à l’antagonisme de classe existant entre les sexes : très majoritairement, les femmes sont les vendues-violées-tuées et les hommes les acheteurs-violeurs-tueurs. Les hommes ne sont pas sur des rails qui les affectent à la prostitution, contrairement à de nombreuses femmes, racisées, précarisées : plus de 80% des personnes prostituées sont des femmes et 98% des victimes de la traite à des fins de prostitution sont elles aussi des femmes (Ekman, 2013 :10). Les femmes doivent être, d’une façon ou d’une autre, avec ou sans argent, sexuellement disponibles.

Et force est de constater que : la prostitution dirige la violence des hommes contre les femmes ; elle valide et participe à la culture de prédation sexuelle masculine et elle facilite ainsi le harcèlement sexuel à l’égard de toutes les femmes dans tous les espaces (Bouamama et Legardinier, 2006 : 105) : insécurité physique des femmes qui rejaillit alors en positif sur le confort et la sécurité générale de tous les hommes. Nous savons aussi qu’offrir une personne prostituée est une pratique courante pour communier entre hommes. Ensuite, la symbiose patriarcat/racisme/capitalisme, en affectant des femmes à la prostitution, donne l’occasion aux hommes de se préserver d’une concurrence sur le marché du travail. Bien sûr, on peut faire des distinctions entre les hommes dans leur rapport au système prostitutionnel : entre les prostitueurs et les non-prostitueurs, entre les défenseurs actifs ou passifs du système et les rares qui le refusent et s’y opposent. Reste que, malgré ces distinctions, on peut dire que « Chaque homme vivant dans cette société bénéficie du fait que des femmes sont prostituées, que cet homme-là utilise ou non des femmes en prostitution » (Dworkin, 2007 : 97).

Les hommes, pour valider leur appartenance à la classe de sexe masculine, utilisent entre autres le sexe pour avoir un sexe – « soit par différentiation d’un objet féminin, soit par assimilation d’un objet masculin » (John Stoltenberg, 2013 : 102). En tant que classe, les hommes sont pro-sexe. L’attrait pour une certaine forme de sexe est le moyen pour concrétiser l’identité sexuée des hommes. Et le recours à la prostitution – comme à la pornographie, l’inceste ou encore au harcèlement sexuel au travail – sert à confirmer et concrétiser la masculinité convoitée. Et c’est sans surprise qu’on voit, à gauche, en études de genre et finalement partout, des hommes chercher à légitimer et banaliser le « travail du sexe ». C’est là, l’un des plus vieux métiers du monde des hommes. Et c’est aussi l’une des formes que prend la résistance masculine, pour garder l’accessibilité sexuelle des femmes.

Peu d’hommes s’engagent contre le système prostitutionnel. Je me suis moi-même tu longtemps car : ce ne serait pas mon monde, ça ne me concernerait pas. Soit les hommes éprouvent une certaine appréhension à faire barrage à nos pairs agresseurs-prostitueurs-violeurs, soit nous défendons la prostitution, de façon active, ou avec une passivité toute masculine dés qu’il s’agit des injustices subies par les femmes. Nous savons que si l’on cherche à empêcher un homme d’exercer un pouvoir contre une autre personne, le risque est que ses actes se dirigent contre nous et que les institutions produites par les hommes – pour les besoins des hommes – le protègent et nous enfoncent. Et nous connaissons aussi les crispations épidermiques et colériques que peuvent provoquer en nous les obstacles qui empêcheraient qu’autrui satisfasse nos désirs. Nous connaissons très intimement la mauvaise foi, les intimidations et les agressions dont sont capables les hommes. Nous avons pu les éprouver, les exercer et nous pouvons les observer. Alors, nous laissons faire : ce ne serait pas notre monde. C’est certes facile mais moralement difficilement acceptable.

La plupart des hommes ne cherchent pas à savoir quel est ce monde si étranger et en quoi il pourrait nous concerner. Nous laissons faire les quelques 12% d’hommes « clients » (Saïd Bouamama et Claudine Legardinier 2006 : 68). Mais en agissant ainsi, en choisissant d’ignorer l’oppression des femmes par les hommes, nous participons à créer un contexte favorable aux agissements des prostitueurs et des proxénètes.

Le travail des hommes partisans de la perte de pouvoir des hommes ne consiste pas en une simple prise de conscience de l’oppression patriarcale ; c’est un engagement de chaque instant contre ce qui la reconduit, dans leur corps comme dans la structure sociale. Ces derniers gardent un souvenir vif du fait qu’ils ont pu user des armes masculines et qu’ils peuvent toujours participer activement à l’oppression des femmes. Sans jamais minimiser les effets de leurs contradictions, ils cherchent à les résoudre et y travaillent réellement : agir contre les bénéfices issus de la prostitution ne les empêche pas de s’activer aussi contre les bastions masculins, antiféministes, la répartition inégalitaire du travail domestique, contre toute forme d’exploitation et de violence masculines, dans les rapports sexuels ou ailleurs. Leur opposition au système prostitutionnel ne les exonère pas des remises en question féministes. Et quoi qu’en disent les adeptes du travail du sexe, les croisades anti-prostitué-es ne les mobilisent pas.

L’opposition au pouvoir des hommes

Les féministes radicales produisent depuis longtemps des analyses sur la prostitution. Lorsque ces analyses ne sont pas caricaturées, elles sont tout simplement ignorées. C’est pourquoi, il est important d’en redonner quelques éléments :

« En prétendant que les femmes choisissent librement de se prostituer, on choisit d’ignorer tant les déséquilibres structurels sociaux, économiques et politiques, que les rapports sexuels de pouvoir entre les femmes et les hommes qui forment le contexte de ces choix et décisions. » (Elaine Audet, 2005: 22)

« Les hommes se servent du corps des femmes dans la prostitution et dans le viol collectif pour communiquer entre eux, pour exprimer ce qu’ils ont en commun. Et ce qu’ils ont en commun, c’est le fait de ne pas être cette femme. Elle devient donc pour chacun le véhicule de sa masculinité et de son homoérotisme ». (Andrea Dworkin, 2007: 90 et 92)

« [L’illogisme masculin sous-tend la prostitution.] L’homme veut et ne veut pas à la fois que la prostitution soit un travail. Il veut pouvoir acheter du sexe, mais désire également que la prostituée l’accomplisse comme si elle n’était pas payée. Il veut la prostitution mais ne veut pas que ça y ressemble. Plus cela est comparable à un travail routinier – plus la femme se comporte comme une caissière de supermarché –, plus il est mécontent. Quoi qu’il lui demande, il sait qu’elle fait cela pour de l’argent, en conséquence, il exige toujours plus – plus d’authenticité, plus de sincérité. Il veut tout son corps, toute sa personnalité, tout son Moi. L’acheteur de sexe est dans un état où il s’abuse lui-même, ce qui le conduit à toujours convoiter ce qu’il ne peut acheter.

C’est le dilemme insoluble de la prostitution. C’est l’une des raisons qui fait que la prostitution ne peut jamais devenir « un travail comme un autre ». » (Kajsa Ekis Ekman, 2013: 116)

« [La] signification de la prostitution n’est pas la même que la signification de la rencontre réciproque. Le fait « d’acheter » ou de « vendre », ou au contraire de partager le désir, est ce qui détermine la signification du rapport, ce qui le fait. Dans la prostitution, la signification qui est négociée entre les protagonistes, c’est l’humiliation de la personne qui « se vend ». C’est une humiliation que l’acheteur achète et dont il jouit, et non une activité mécanique pour laquelle il n’a pas besoin de partenaire. » (Christine Delphy, 2010 :189-190)

« Toute loi ou politique adéquate pour promouvoir les droits humains des prostituées comporte trois parties : décriminaliser et aider les personnes dans la prostitution, criminaliser résolument leurs acheteurs et criminaliser de façon tangible les tiers qui profitent de la prostitution d’autrui. » (Catharine A. MacKinnon, 2014: 85)

De ces diverses citations, on retiendra que : la liberté ne peut exister sans égalité ; la prostitution sert aux hommes à mettre en acte leur attachement à la masculinité et à se confirmer « homme » ; elle n’est pas un travail comme un autre ; elle est un rapport spécifique : d’humiliation plutôt que de réciprocité ; et enfin, les moyens proposés pour abolir le système prostitutionnel sont dirigés contre les agents de l’ordre directs, plutôt que contre les opprimé-es.

La production et l’utilité des mythes pour les hommes

La relativisation ou la négation de l’oppression des femmes est une constante chez la plupart des hommes : nous y gagnons un confort quotidien, et nous le protégeons ainsi.

Le système prostitutionnel n’échappe pas à ce procédé : entre cet homme de gauche antisexiste qui annonce qu’il est prostitueur pour aider des femmes en difficulté, et cet autre qui en connaît une qui a choisi cette « profession », la reconnaissance de l’oppression structurelle des hommes est euphémisée et masquée. Les hommes croient possible de noyer les effets de la prostitution par une approche individualisante et libérale, faite de « choix personnel » et de « liberté individuelle ». Pour cela, la plupart des hommes se focalisent sur le témoignage d’Albertine, « escorte de luxe », qui jouit 9 fois sur 10 dans son activité – en ayant, certes, « recours à l’imaginaire des billets pour trouver une excitation suffisante » (Albertine et Welzer-Lang, 2014 : 152). Par contre, celles qui témoignent des souffrances et des mécanismes de survie que la prostitution implique sont, soit purement et simplement ignorées, soit elles sont dénigrées, soupçonnées par exemple de « se repentir dans les bureaux des associations abolitionnistes », et d’« avouer leurs fautes » pour « obtenir ainsi des allègements d’impôts » (Albertine et Welzer-Lang, 2014 : 170-171).

Pour la plupart des adeptes du travail du sexe, la priorité est de changer notre regard et nos représentations à l’égard de la prostitution[4]. La seule politique valable serait celle qui cherche à enrayer le stigmate subi par les prostitué-es, sans toucher au bénéfice du proxénète, du trafiqueur d’êtres humains, avec pour finalité l’exploitation sexuelle, ou du « prostitueur », mâle-nommé « client ». L’origine et la reconduction masculines du stigmate sont largement minimisées, voire tues. Pour Schaffauser, bien qu’il considère que tous les hommes en sont imprégnés, ce serait pourtant les mobilisé-es contre le système prostitutionnel qui tendent « à maintenir, voire renforcer cette stigmatisation » (2014, 78). L’origine du stigmate proviendrait aussi de la « criminalisation » de l’activité. Mais, comme le résume Beatriz Gimeno : « Le stigmate existe car il est nécessaire à l’existence de la prostitution, car en réalité ce qui est vendu ce n’est pas du sexe mais la dévaluation féminine (…) En réalité, ce que les hommes érotisent dans la prostitution c’est le stigmate. » (cité dans Casas Vila, 2014). Et c’est pourquoi, les pays où la prostitution est décriminalisée n’en sont pas moins producteur du stigmate : ce dernier est partie intégrante du rapport inter-individuel qui fait littéralement jouir les « acheteurs ».

Les hommes se contentent aussi facilement de l’hypothèse que : « L’argent crée une barrière qui indique aux hommes qu’ils doivent respecter certaines règles » (Schaffauser, 2014:116). Les faits décrivent pourtant une réalité bien moins angélique : les personnes prostituées ont un taux de mortalité bien supérieur à la moyenne nationale ; au Canada, entre 1994 et 2003, 85% des personnes prostituées tuées l’avait été par des clients (Morency et Miville-Dechêne, 2014 : 220) ; et « 73% des femmes prostituées disent avoir été sujettes à des agressions physiques dans la prostitution ». Enfin, déjà 62% des femmes prostituées rapportent avoir été violées (Chroniques féministes, 2012 : 62). La barrière que serait l’argent apparaît bien fragile et inefficace. De sorte qu’une prostituée en Allemagne a une probabilité d’être assassinée sept fois plus grande que son homologue suédoise. L’idée que l’argent force le respect, idée qui ne protège en rien les prostitué-es, permet surtout de masquer les possibilités et les moyens d’attaques des hommes. Cette même idée ne prend par ailleurs pas en considération la violence inhérente au fait d’être soumis de manière répétitive à des actes sexuels non-désirés sexuellement. On sait pourtant qu’ils produisent des états de dissociations, tels que ceux associés généralement au viol.

Les hommes acceptent facilement l’idée que l’abolition de la prostitution constituerait une « forme de contrôle patriarcal sur les femmes » (Schaffauser, 2014:186). Une telle abstraction consiste en une inversion des responsabilités et suggère que les féministes abolitionnistes seraient ainsi les partisanes et actrices du patriarcat. Ce type d’inversions des responsabilités est une régularité des logiques antiféministes, largement utilisées par ceux qu’on appelle les masculinistes.

Quant à la supposée morale puritaine que Schaffauser critique, à l’instar de Welzer-Lang avec lequel il a de nombreux points communs, comme il s’agit là encore d’une dénonciation grossière de l’approche féministe, pour y répondre, je vais me contenter de citer ici un militant anarchiste, Errico Malatesta qui nous dit : « se révolter contre toute règle imposée par la force ne veut nullement dire renoncer à toute retenue morale et à tout sentiment d’obligation envers les autres (…) [P]our combattre raisonnablement une morale, il faut lui opposer, en théorie et en pratique, une morale supérieure » (1979: 47). Il se trouve qu’à ce jour, l’activiste du Strass ne propose aucune morale supérieure. Il invite au contraire à un laisser-faire propice aux « acheteurs » qui, dans les faits, réglementerait le système prostitutionnel. Plutôt que de tenter de restreindre le marché patriarcal, raciste et capitaliste, il facilite son extension.

Enfin, Schaffauser se déclare à l’écoute et porte parole d’une nouvelle génération militante contre des abolitionnistes qu’il prétend dépassées, vieilles, pas très tendance, en gros majoritairement imprégnées de religieux : le féminisme abolitionniste ne serait qu’une ex-croissance du catholicisme. Pour asseoir ce mensonge, contraire à la composition des mobilisations abolitionnistes, il croit suffisant de restreindre l’abolitionnisme aux accointances religieuses de certain-es « anti-prostitution » ou de certains groupes qui composent le mouvement – comme le NID par exemple. En considérant la religion catholique comme un bloc foncièrement réactionnaire et monolithique, il ne considère pas l’antagonisme entre les sexes en son sein, avec les crispations masculines pour garder le pouvoir. Il évite par ailleurs de constater la similitude entre sa propre légitimation de la prostitution et la litanie sacrificielle que les autorités catholiques – masculines – exige des femmes ; et qui se concrétise par exemple par le fait que les autorités du Vatican s’accommodent sans difficulté de la mise en prostitution de religieuses noires pour, entre autres, des prêtres (Bilé et Ignace, 2009).

Les concepts féministes que Schaffauser mobilise ne sont pas utilisés pour analyser et critiquer le pouvoir des hommes. Les quelques mythes évoqués ici servent de prétexte pour ne pas questionner notre propre pouvoir. Il s’agit de réduire les revendications féministes abolitionnistes, à la seule décriminalisation des prostitué-es, avec pour conséquence de reconduire la disponibilité sexuelle des femmes.

Vulnérabilité masculine [5] et care des hommes

Depuis quelques années, le concept de care a connu un certain engouement dans l’université ou en politique. Les travaux sur le sujet de Carol Gilligan et Joan Tronto ont permis que des métiers hautement féminisés jusqu’alors ignorés soient davantage étudiés ou reconnus. « Le terme de care désigne une attitude envers autrui que l’on peut traduire par le terme d’« attention », de « souci », de « sollicitude » ou de « soin ». Chacune de ses traductions renvoie potentiellement à un aspect du care : le terme d’« attention » insiste sur une manière de percevoir le monde et les autres ; ceux de « souci » et de « sollicitude » renvoient à une manière d’être préoccupé par eux ; enfin, celui de « soin », à une manière de s’en occuper concrètement » (Garreau et Le Goff, 2010 : 5).

Cependant, la reconnaissance du concept s’est accompagnée de nouvelles orientations pour le moins problématiques : en jouissant d’une reconnaissance, le concept est devenu une sorte de gage de légitimité pour tout ce qui aimerait s’en approcher. C’est ainsi en tous les cas que le care est désormais utilisé dans le débat sur la prostitution, par entre autres Schaffauser. Le procédé est en effet séduisant : on affirme qu’une activité relève du care, elle devient alors un métier, avec toute l’utilité sociale que la notion serait supposée impliquer ; elle se métamorphose en une activité dont il faudrait en tous les cas prendre soin. La question de « utile à quoi, à qui ? » est balayée.

Dans un récent article, « La prostitution, c’est l’ennemi de la libération sexuelle », Kajsa Ekis Ekman écrit : « Dans le monde de la prostitution, le mot « travailler » est depuis longtemps utilisé comme euphémisme pour éviter de nommer ce qui se passe, dans une sorte d’ironie perverse. Quelqu’un demandait : « Tu travailles ? », avec un certain regard, et l’autre personne pigeait ». On peut tirer de cela, même si ce n’est pas ce que pointe l’auteure suédoise, qu’appliquer le mot « travail » à la prostitution consiste à reprendre le langage de l’oppresseur. Il se trouve que c’est le mécanisme qui est à l’œuvre avec le mot care. La même logique est présente dans les métiers du soins : des hommes, soignés ou soignants, reproduisent la même ironie perverse à l’égard des soignantes, sauf qu’à la place du « tu travailles ? », ils suggèrent un « tu me soignes ? ». En fait, la défense de la prostitution comme care renseigne davantage sur le vécu et les aspirations masculines que sur la prostitution[6].

Et, on peut constater que le care est effectivement une porte d’entrée saisie par des hommes pour tenter de prostituer des femmes et redéfinir les métiers de soins. Les exemples ne manquent pas : en 2010, une infirmière hollandaise a fait l’objet d’une plainte déposée par un patient de 42 ans qui s’estimait en droit d’exiger d’elle une masturbation ; récemment encore, l’AVFT a interpellé le Ministère de la Santé sur une dérive inquiétante : dans un établissement de soins, l’usage de pornographie était pensé comme une thérapeutique (Baldeck, 2015). Enfin, toujours pour corroborer ce point, je m’autorise ici une anecdote. Il y a quelques jours, une aide-soignante, qui débutait dans le service où j’exerce, a reçu de plein fouet « l’invitation » suivante : alors qu’elle avait des difficultés à effectuer la toilette intime d’un patient, celui-ci lui a dit : « Si t’y arrives pas avec les mains, fais-le avec la bouche. » Cette anecdote est une illustration parfaite de la définition du care des hommes, en adéquation avec notre auteur.

La mécanique masculine pro-sexe suppose que les soignantes devraient être sexuellement disponibles pour les hommes. Les soignantes devraient accepter les « invitations » et se conformer aux exigences des hommes soignés ; elles savent pourtant qu’être prostituée n’a rien à voir avec le care pratiqué quotidiennement. De sorte que, sauf exception rarissime, les soignantes n’éprouvent aucun stress post-traumatique du fait des soins prodigués, contrairement aux études effectuées auprès des prostituées qui sont 68 à 80% à en souffrir (Salmona, 2013: 46).

Les hommes soignants ne sont pas assujettis à une sexualisation récurrente par les soigné-es. Les soignantes au contraire connaissent bien les attouchements, les supposées « blagues » sexuelles et les regards lubriques, tout imbibé du « fantasme de l’infirmière ». Elles bataillent au quotidien contre le type de « soins » défendu par les hommes et la non-prise en compte institutionnelle des violences qu’ils exercent. Leur résistance à la sexualisation des hommes est déjà un signe de leur refus d’être prostituables.

En définitive, l’usage du care par Schaffauser ne sert qu’à reformuler la supposée misère sexuelle masculine, dont la société devrait prendre soin avant toute autre chose, en laissant la virilité indemne de toute critique.

Conclusion

Les connaissances de Schaffauser sur le genre ou sur le « féminisme des travailleuses du sexe » (Schaffauser, 2014 : 122) ne servent pas, à partir de sa position sociale, à critiquer la classe des hommes et sa propre position sociale. Les bénéfices – individuels ou collectifs des hommes – restent intacts, tout comme le mépris et les armes masculines qui sont dissimulées. Les prostitueurs en sortent rassurés et légitimés, et tout homme profite du contexte misogyne que provoque l’existence et la défense du système prostitutionnel. C’est là une manière de trahir les féministes qui, elles, nous poussent à ce que nous nous engagions enfin à changer nos pratiques (Dworkin, 2014).

Comme les autres luttes abolitionnistes qui l’ont précédée, par exemple celle concernant l’esclavage, l’abolition de la prostitution rencontre de fortes résistances de la part des bénéficiaires du système. Parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui cherchent à faire de l’abolitionnisme une insulte ou une « morale puritaine ». A ce titre, le mantra néo-réglementariste « Putophobe ! Putophobe ! » est assez exemplaire d’une mise en scène propice au statu-quo.

L’opposition masculine à envisager l’abolition du système prostitutionnel au niveau politique et social renouvelle le pouvoir masculin face à celles qui l’attaquent. Le travail des hommes soucieux de liberté et de justice n’est pas de chercher des prétendues failles dans les analyses et les propositions des féministes ; ni de réduire leurs revendications ; et encore moins de saboter leurs mobilisations. Les hommes partisans de la perte de pouvoir des hommes cherchent à s’attaquer à l’ensemble des bénéfices dont ils jouissent dans le patriarcat. Leur travail est de paver des voies qui désertent l’allégeance aux intérêts masculins : en désavouant les pratiques, les groupes et les institutions, des hommes, qui les protègent ou les défendent, en amenant d’autres hommes sur les positions féministes radicales, et en facilitant les mobilisations en cours.

De notre place, il y a à faire.

Yeun Lagadeuc-Ygouf



BIBLIOGRAPHIE :

Albertine et Daniel Welzer-Lang : La putain et le sociologue, éd. La musardine , 2014.

Elaine Audet : Prostitution – perspectives féministes, éd. Sisyphe, 2005.

Marilyn Baldeck : « Lettre au directeur d’un EHPAD au sujet de l’utilisation de la pornographie comme méthode thérapeutique » (http://www.avft.org/article.php?id_article=784)

Serge Bilé et Audifac Ignace : Et si Dieu n’aimait pas les noirs – enquête sur le racisme aujourd’hui au Vatican, éd. Pascal Galodé, 2009.

Gérard Berréby et Raoul Vaneigem : Rien n’est fini, tout commence, éd. Allia, 2014.

Saïd Bouamama et Claudine Legardinier : Les clients de la prostitution, éd. Presses de la renaissance, 2006.

Gloria Casas Vila : compte-rendu à paraître du livre de Beatriz Gimeno : La prostitución. Aportaciones para un debate abierto, éd. Bellaterra, 2012.

Mona Chollet : « Surprenante convergence sur la prostitution », Le Monde diplomatique, septembre 2014.

Chronique féministes : Le marché du sexe, n°70, octobre/novembre 1999, ré-édition 2011(en particulier : « La prostitution comme si vous y étiez »)

Chronique féministes : Prostitution et faux semblant, n°109, juin 2012.

Christine Delphy : Un universalisme si particulier – féminisme et exceptions française (1980-2010), éd. Syllepse, 2010.

Christine Delphy : L’ennemi principal – économie politique du patriarcat, éd. Syllepse, 1998.

Francis Dupuis-Déri : « Petit guide de «disempowerment» pour hommes proféministes », revue Possibles, 2014 (également disponible sur internet)

Andrea Dworkin : « Je veux une trêve de vingt-quatre heures durant laquelle il n’y aura pas de viol » (traduction par la collective Tradfem en 2014, dispo. sur internet)

Andrea Dworkin : Pouvoir et violence sexiste, éd. Sisyphe, 2007.

Kajsa Ekis Ekman : L’être et la marchandise – prostitution, maternité de substitution et dissociation de soi, éd. M éditeur, 2013.

Marie Garreau et Alice Le Goff : Care, justice et dépendance, éd. PUF, 2010.

Colette Guillaumin : Sexe, race et pratique du pouvoir -L’idée de nature, éd. Côté-femmes, 1992.

Catharine A. MacKinnon : Traite, prostitution, inégalité, éd. M. éditeur, 2014.

Errico Malatesta : Articles politiques, ed : Union générale d’éditions, 1979.

Morency Catherine et Miville-Dechêne Julie : « La violence faite aux femmes dans la prostitution au Canada – enjeux et démystification d’un phénomène controversé » dans Responsabilités et violences envers les femmes, Risse David et Smedslund Katja (sous la direction de), Presses de l’Université du Québec, 2014.

Muriel Salmona : Le livre noir des violences sexuelles, éd. Dunod, 2013.

Thierry Schaffauser : Les luttes des putes, éd. La Fabrique, 2014.

John Stoltenberg : Refuser d’être un homme – pour en finir avec la virilité, éd. Syllepse, 2013.


[1] Sur le concept de classe de sexe, voir entre autres : Delphy, 1998 ; Guillaumin, 1992

[2] Schaffauser : « Les féministes et le garçon transpédégouine », dans la revue Minorités.

Le fait que Schaffauser utilise un « nous » pour parler des « putes », un « nous » qui inclue les hommes et les femmes, est pour le moins problématique en termes féministes (Dworkin, 2007 : 97), car il masque ainsi sa propre position sociale de dominant.

[3] Schaffauser (2014 : 16) préfère la formule « travail sexuel » à celle de « travail du sexe ». Je garderai cette dernière car elle à l’avantage de référer explicitement au sexe, plutôt qu’à la sexualité.

[4] J’ai moi-même pitoyablement appliqué ce principe post-moderne quand une copine m’avait raconté une altercation avec son voisin : « Eh alors, c’est rien s’il t’a traité de pute. « Pute », c’est pas une insulte ». Un raisonnement épatant : j’occultais les violences en feignant de ne pas les entendre et je mecspliquais.

[5] Formule de Pascale Molinier et al., tiré de « Prenons soin des putes », cité dans Schaffauser (2014:140).

[6] Merci à Mélanie Jouitteau pour cette remarque.

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Re: Syndicalisme et prostitution, questions embarrassantes

Messagede Lila » 27 Déc 2015, 18:56

le mythe des « organisations de prostituées »

Alors que la candidature du fondateur du lobby pro prostitution français, Thierry SCHAFFAUSER, est maintenue, nous publions en exclusivité un extrait du chapitre de la somme remarquable de Claudine Legardinier : Prostitution : une guerre contre les femmes consacré aux stratégies de lobbying de l’industrie proxénète. Un grand merci à elle pour ce don.

RAPPEL :

QUI est Thierry SCHAFFAUSER ?
QU’EST-CE qu’il a fait ? :
1/ En France : fonder LE STRASS lobby pro prostitution + assurer son financement par les réserves parlementaires de EELV
2/ Au Royaume-Uni : l’enquête qui montre qu’il a co-présidé une organisation au service des proxénètes

« Sur le plan politique, il était essentiel de prouver que les femmes prostituées elles-mêmes étaient demandeuses d’un statut normalisant leur activité. Emblème de ces mouvements et auréolé de l’indispensable parfum de subversion, Coyote fut le premier du genre.

Créé aux États-Unis en 1973, il apparut plus tard qu’il rassemblait en réalité un puzzle disparate de personnalités : libéraux de tout poil, gens de médias, politiciens, clients… La vérité, c’est qu’en 1981, les prostituées représentaient… 3 % des 10 000 à 30 000 membres (selon les sources) de l’organisation ! Une magistrale tromperie. Mais le mythe a fonctionné, notamment auprès des médias. C’était le but. Margo Saint James elle-même, la fondatrice, le disait sans détours : « Un syndicat de prostituées, c’est tout simplement impossible (10). »

Favorables aux clients et aux proxénètes, ces mouvements, qui prennent soin de soigner leur apparence de mouvements de libération sexuelle afin de s’intégrer dans le mouvement féministe, savent trouver des appuis. À Coyote, la Fondation Playboy y est allée de ses subventions. Aux yeux des médias et de l’opinion, la demande de légalisation du métier venait des premières concernées.
Qui aurait songé à s’y opposer ?

Aujourd’hui, des « syndicats de prostituées » fleurissent un peu partout en Europe et dans le monde. En y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’en Angleterre, par exemple, le syndicat IUSW, l’International Union of Sex Workers, est en fait « ouvert à toute personne appartenant à l’industrie du sexe », donc aux « travailleurs comme aux « managers » et aux patrons. Ainsi, le représentant du syndicat des prostituées, un certain Douglas Fox, qui se présente comme « escort boy », est en réalité le fondateur, par l’intermédiaire de son compagnon John Dockerty, de l’une des plus grandes agences d’« escortes » de Grande-Bretagne (11).

Cette porosité entre personnes qui se présentent comme prostituées et proxénètes ayant intérêt à la décriminalisation de l’industrie est omniprésente. En Suisse, la tenancière Madame Lisa s’affiche en tant que « pute et fière de l’être », alors qu’elle dirige le plus grand bordel de Genève. Au Canada, Terri Jean Bedford, qui a intenté un procès à l’État en 2007 au nom des intérêts des « travailleuses du sexe », a été condamnée dans le passé pour avoir elle-même tenu un bordel.

Des syndicats de « prostituées » abritent donc, indifféremment, les exploiteurs et les exploités comme s’ils défendaient les mêmes intérêts.

Un petit vernis marxiste – « syndicat », « autogestion » – suffit à donner une coloration de défense des travailleurs à des groupements corporatistes de défense du « travail du sexe », donc bien de l’industrie et de ses profits. En France, le Strass, « syndicat du travail du sexe » qui se présente dans les médias comme mouvement de défense des personnes prostituées et adopte la posture de minorité sexuelle opprimée, milite sous le patronage du « Manifeste des sex-workers en Europe » pour l’abrogation des lois sur le proxénétisme ; et donc pour le droit d’être proxénète. Il est fortement appuyé par certains Verts. Ces groupes déploient un arsenal intellectuel qui s’emploie à tordre et dévoyer la notion de liberté et de droits. Sont ainsi brandis le droit d’être « soumise », celui de travailler pour un patron de bordel ou même « le droit au sexe sans désir ».

Des droits dont les femmes ont eu le temps, au long des siècles, de goûter toute la saveur.

Ces personnes ont bien entendu le droit de revendiquer le système s’il les arrange ; moins celui de se poser en représentant·es de l’ensemble des personnes prostituées.

Leur discours minoritaire, fortement organisé et omniprésent malgré les cris poussés contre la « censure (12) » parvient à recouvrir la parole impossible de la majorité qui enrage de se voir représentée par des personnes qui peuvent écrire sur leur site Internet lesputes.org (groupe aujourd’hui dissous) : « Lorsque les médias nous demandent des témoignages sur notre vécu, il est plus intéressant de refuser de parler de ce que nous avons subi pour ne parler que de ce qu’on nous fait subir, et donc désigner les responsables de la putophobie : les abolitionnistes, la police, les gouvernements, etc.13 » En clair, dans le but de « mettre fin aux stéréotypes de la victime », de garder le silence sur les violences vécues dans la prostitution – celles des clients et des proxénètes – pour accuser en priorité les « abolitionnistes », c’est-à-dire ceux qui refusent de faire de la prostitution un métier d’avenir. »

10. Sheila Jeffreys, The Idea of Prostitution, Melbourne, Spinifex, 1997, p. 72.
11. Julie Bindel, « Un bien étrange syndicat au service des proxénètes », http://sisyphe.org/spip.php?article4409, 28 avril 2013.
12. Sur 88 articles parus en 2012 pour critiquer l’abolitionnisme, un tiers est écrit par des membres du Strass ou reproduit leur interview (chiffres Fondation Scelles).
13. Texte écrit par « Maîtresse Nikita » et Thierry Schaffhauser, deux hommes en l’occurrence

https://ressourcesprostitution.wordpres ... ostituees/
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Re: Syndicalisme et prostitution, questions embarrassantes

Messagede Lila » 26 Déc 2016, 17:30

« Certains « travailleurs du sexe » militants sont en réalité des proxénètes. »

Certains proxénètes, certains acheteurs de sexe et certains gouvernements ont pris la décision qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que certaines femmes tolèrent l’exploitation sexuelle et les agressions sexuelles afin de survivre. La plupart du temps, ces femmes sont pauvres et la plupart du temps elles sont marginalisées à cause de leur ethnie ou parce qu’elles sont racisées. Les hommes qui les achètent ou les violent, ont beaucoup plus de ressources et de pouvoir social qu’elles. Par exemple, un touriste prostituteur canadien au sujet des femmes Thaï, commente : ‘’Ces filles doivent se nourrir n’est-ce pas? Je les aide à mettre du pain sur leur table. Je contribue. Elles mourraient de faim si elles n’étaient pas des putes’’. [2]

Cet auto-renforcement darwinien évite la question: Est-ce que les femmes ont le droit de vivre sans le harcèlement et l’exploitation de la prostitution, ou est-ce que ce droit est réservé seulement à celles qui ont un privilège de classe ou de couleur de peau? ‘’Vous obtenez ce pour quoi vous payez, sans avoir à endurer un ‘non’’’, explique un consommateur. [3] Les femmes non prostituées ont le droit de dire ‘non’. Nous avons une protection légale contre le harcèlement et l’exploitation sexuelle. Pourtant, tolérer les abus sexuels fait partie de la description de tâches dans la prostitution.

Un des plus grands mensonges est que la prostitution est volontaire. S’il n’y a aucune preuve de force contre elle, son expérience est considérée comme volontaire et ‘consentante’. Un client dit : ‘’Si je ne vois pas de chaîne à sa jambe, je suppose qu’elle a fait le choix d’être là’’. Mais la majorité de la prostitution de nos jours est ce que les abolitionnistes allemandes appellent de la prostitution de pauvreté. En gros, elle a faim, elle ne peut trouver un travail et elle n’a pas d’alternatives. L’argent des prostituteurs ne fait pas disparaître ce que l’on sait sur la violence sexuelle, la violence conjugale et le viol. Qu’elle soit légale ou non, la prostitution est extrêmement dommageable pour les femmes. Les femmes prostituées ont les plus hauts taux de viol, d’agressions physiques et de meurtres de toutes les femmes jamais étudiées. Selon une étude néérlandaise, 60% des femmes dans la prostitution légale avaient subi des agressions physiques, 70% avaient été menacées d’agression physique, 40% avaient subi de la violence sexuelle et 40% avaient été forcées d’entrer dans la prostitution légale. [4]

à lire : https://ressourcesprostitution.wordpres ... roxenetes/
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Re: Syndicalisme et prostitution, questions embarrassantes

Messagede Lila » 01 Jan 2017, 19:15

« Nous devons écouter les voix des travailleuses du sexe »

La survivante Rae Story rencontre et interview d’autres survivantes de la prostitution

« Nous devons écouter les voix des travailleuses du sexe ». Tel est le cri de ralliement que j’ai entendu un nombre incalculable de fois ces dernières années. C’est l’une des phrases les plus populaires et prolifiques de l’état actuel du discours sur la prostitution, elle est tellement courante qu’elle en est devenue presque naturelle à nos oreilles. Et, comme toute phraséologie adoptée avec vigueur pour renforcer les agendas politique, le slogan devient l’argument. Ce à quoi elle est supposée faire référence est déformé et détourné. Comme ‘Détruisez le pouvoir et non les gens’ ou ‘Faites l’amour, pas la guerre’.

L’écrivain Milan Kundera aurait trouvé tout ce cirque très ‘kitsch’*, à cause de sa sentimentalité touchante, son abstraction de la matière ou du réel et aussi pour sa reproductibilité de masse. Il écrit : « La première larme dit : quelle joie de voir les enfants courir sur le gazon ! La seconde larme dit : quelle joie de voir tous les humains être emportés ensemble par les enfants courant sur le gazon ! ». Nous implorer d’écouter l’appel des voix des travailleuses du sexe fait appel à cette forme d’émotivité ; des réponses prévisibles peuvent être obtenues en se branchant sur des inquiétudes courantes et des sensibilités à la mode. Elles se plient à la pensée dominante du moment, mais pas nécessairement à la vérité. Or, il est permis de se demander d’où tout cela peut bien venir…

Il est couramment admis que la plus grande faiblesse du féminisme est son implication forcée des autres femmes en désaccord avec l’ordre du jour. La revendication des travailleuses du sexe enflamme un sentiment de détermination zélée chez ceux et celles qui adhèrent plus ou moins à l’idée (souvent par facilité), ou qui sont autrement généralement enclin-e-s à la suivre. Les hommes peuvent être facilement galvanisés, même s’ils n’achètent pas de sexe eux-mêmes, puisqu’ils interprètent souvent l’industrie du sexe comme étant le symbole de la liberté masculine. Ceux et celles qui se considèrent féministes mais ne veulent pas être associé-e-s aux analyses traditionnelles sont aussi vulnérables devant ce type de maximes, tout comme le sont les prostituées qui souhaitent se définir elles-mêmes d’une façon plus ‘légère’. Nous pouvons avancer, tel que le philosophe Denis Diderot l’a fait, que, « on avale à pleine gorgée le mensonge qui nous flatte, et l’on boit goutte à goutte une vérité qui nous est amère ».

À plusieurs occasions, on m’a dit clairement de me la fermer et d’écouter les travailleuses du sexe, et ce, malgré le fait que j’aie moi-même travaillé dans l’industrie du sexe pendant 10 ans et que j’aie eu des centaines de conversations avec d’autres femmes dans la prostitution. Lorsque j’entends ceci (parfois de la part de personnes n’ayant aucune expérience directe avec la prostitution de quelque façon que ce soit), il me semble toujours que ces personnes parlent par-dessus mon épaule, comme si elles s’adressaient à quelqu’un derrière moi, que seulement elles, peuvent voir. Il n’y a aucune conversation possible. Un débat ouvert, désordonné et complexe serait un obstacle à leur cause. Dans les faits, ce à quoi elles objectent (et ne peuvent être confrontées) est le fait que bien que j’ai été moi-même prostituée, je puisse mettre en doute leur agenda et que j’en arrive à des conclusions ‘incorrectes’ selon elles. Ce qui est le plus troublant pour celles et ceux qui prétendent parler pour toutes les prostituées, c’est qu’en plus, je ne suis pas la seule.

la suite : https://ressourcesprostitution.wordpres ... s-du-sexe/
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Re: Syndicalisme et prostitution, questions embarrassantes

Messagede Lila » 12 Fév 2017, 20:49

Propagande pro prostitution : une étude de cas

La propagande de la prostitution.
par Rae Story, écrivaine et survivante de la prostitution

« Et si tous les autres acceptaient le mensonge que le Parti imposait –si tous les fichiers contaient la même histoire- alors le mensonge passait dans l’Histoire et devenait vérité. ‘Celui qui contrôle le passé’ scandait le slogan du Parti, ‘contrôle le futur : celui qui contrôle le présent contrôle le passé ». George Orwell

« Il ne serait pas impossible de prouver avec assez de répétition et une compréhension psychologique des personnes concernés, qu’un carré est en fait un cercle. Ce ne sont que de simples mots et les mots peuvent être moulés jusqu’à ce qu’ils revêtent des idées et se déguisent. » Goebbels

Récemment, l’ECP – The English Collective of Prostitutes (Le collectif Anglais des Prostituées) – a lancé une campagne émotive appelée Make Mum Safer (Plus de Sécurité pour Maman), qui floute les frontières entre prostituées et profiteurs. La campagne a publié un film, banal, mielleux, et émotionnellement manipulateur qui mettait en scène une poupée utilisée à la place d’une mère qui va travailler en tant que prostituée mais qui est tuée parce qu’elle doit travailler toute seule. Dans la rue.

Le film est utilisé pour défendre la décriminalisation de l’industrie du sexe, mais dans la tradition de propagande de Sergei Eisenstein*, il demande une chose verbalement, tout en exposant une autre différente visuellement. C’est une puissante technique qui bien évidemment manipule les émotions des participantEs qui soutiennent la campagne.

Qu’est-ce-que je veux dire ?

Presque toutes les personnes qui ont un intérêt sincère dans ce sujet croient en une forme de décriminalisation de l’industrie du sexe, plus particulièrement de celles et ceux qui travaillent dans la rue et généralement de toute personne prostituée. En cas de désaccord, la question porte sur savoir si les proxénètes devraient être décriminalisés ou pas. On ne va pas y aller par quatre chemins, l’ECP et compagnie, soutiennent à 100% la décriminalisation absolue de toute forme de proxénétisme, à partir du moment où la fille n’a pas un flingue sur la tempe.

Je ne voudrais pas rabâcher, mais quiconque est familier des nations permissives envers le proxénétisme (allez, appelons-les les NPP !) – comme l’Allemagne ou la Nouvelle-Zélande – sait que cette forme de décriminalisation de l’industrie ne se préoccupe pas de l’émancipation individuelle des femmes dans de petites coopératives, mais a plutôt permis des opérations industrielles à grande échelle ; larges bordels qui n’emploient pas les femmes mais qui leur louent leurs espaces sous contrat, et qui préparent leur locaux pour absorber le profit de l’industrie permettant ainsi à un petit nombre d’hommes de se faire beaucoup d’argent.

la suite : https://ressourcesprostitution.wordpres ... de-de-cas/
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Re: Syndicalisme et prostitution, questions embarrassantes

Messagede Lila » 14 Mai 2017, 17:54

Rebecca Mott : Les faux débats de l’English Collective of Prostitutes

Rebecca Mott est une blogueuse britannique ayant une longue expérience du milieu de la prostitution, auquel elle a finalement réussi à échapper. Il lui arrive d’être invitée à des « débats » sur ce sujet, parfois avec une représentante du lobby de l’industrie. Elle explique ici ce en quoi les propos de ses adversaires – ici l’English Collective of Prostitutes (ECP) – constituent de la propagande mensongère.
Dans une société où le concept fallacieux de « travailleuse du sexe » inclut pour eux les proxénètes, les propriétaires d’agence et de bordel, les entremetteurs et même les « sympathisants » (prostitueurs), ses avertissements sont à prendre au sérieux si l’on veut tenir tête aux promoteurs et promotrices de cette industrie de l’exploitation sexuelle, qui sévissent également en France, au Canada et partout.

à lire : https://tradfem.wordpress.com/2017/04/2 ... ostitutes/
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Re: Syndicalisme et prostitution, questions embarrassantes

Messagede Lila » 04 Juin 2017, 17:02

Le culte contemporain de la « travailleuse du sexe »

Dans certains cercles, célébrer les « travailleuses du sexe » est devenu tendance. Comment la prostitution, une industrie désuète et esclavagiste, a pu être ainsi déguisée pour avoir l’air si moderne ?

Une vidéo de la BBC Three* qui circule largement sur les réseaux sociaux met en scène plusieurs « travailleuses du sexe » auto-proclamées travaillant soit de manière indépendante ou tirant profit en employant d’autres, qui expliquent que la prostitution est un travail comme un autre. La prostitution n’est pas la violation des droits des femmes mais plutôt un droit pour les femmes, selon elles. Elle n’est pas socialement nocive car ce n’est qu’une simple transaction entre adultes consentant-e-s. Si la prostitution était décriminalisée, les aspects négatifs qui lui sont associés disparaîtraient aussitôt. Les prostitués prennent du plaisir à coucher avec des michetons et sont payées pour. Que demander de plus ? On pourrait même considérer les prostituées comme des assistantes sociales, et les clients prostitueurs comme des types inoffensifs qui ne font que demander un service. En effet, plus de services sexuels pour les hommes pourrait contribuer à la « paix sur terre » !

Cette vidéo cherche à nous rassurer sur le fait que la prostitution n’a rien à voir avec le patriarcat, l’exploitation, la traite, ou le proxénétisme. Ce n’est qu’un accord commercial et personnel fait par des femmes (et quelques hommes) stylées, « sex-positive » qui sont assez courageuses pour n’en avoir rien à foutre d’une morale dépassée. Les prostituées sont des entrepreneures fortes et indépendantes qui ont tout simplement choisi une carrière plus rentable, au lieu de travailler dans la supérette du coin pour une fraction du salaire.

Ce récit nous raconte que le commerce du sexe promeut la cause féministe. Il va de pair avec l’idée que la pornographie est sexuellement libératrice. Cette notion a été forgée pour la première fois vers la fin des années 60 par des magnats en herbe de l’industrie du sexe. Ces hommes ont astucieusement volé aux féministes l’idée révolutionnaire selon laquelle les femmes, et non les hommes, devraient contrôler le corps des femmes, et l’ont réclamée comme la leur. Depuis ce jour-là, le discours de la libération des femmes a été invoqué par l’industrie du sexe pour avancer ses propres intérêts par des hommes qui défendent le droit de consommer du sexe et par des lobbyistes investis dans la légalisation du commerce de femmes.

Les détracteurs et détractrices de ce discours font remarquer que celui-ci rend invisible beaucoup de problèmes : les industries capitalistes qui dirigent la prostitution, les clients qui font pression pour le «droit» de payer pour du consentement sexuel, les prostituées qui sont physiquement dégoûtées et blessées par la violence sexuelle commise par les prostitueurs (qui souvent reproduisent des scénarios vus dans la pornographie), les voix des femmes ayant quitté la prostitution qui sont reléguées au rang d’opposition, et l’inextricable relation entre traite et prostitution.

Quelques ami-e-s urbain-e-s et sophistiqué-e-s, même celles et ceux qui plaident pour les droits humains, sont faché-e-s lorsqu’elles et ils sont confronté-e-s avec la preuve empirique qui prouve que la prostitution n’est pas inoffensive. Les défenseurs et défenseuses de la prostitution attaquent souvent ad hominem. Sur les réseaux sociaux, les dissident-e-s sont souvent décrit-e-s comme des « lesbiennes aux jambes poilues » (apparemment les lesbiennes ne sont stylées que quand elles soutiennent le travail du sexe), des « putophobes », des « sex-negative », des «ennemies des hommes », et des « féministes fondamentalistes ».

Le monde académique ne protège pas forcément de ces attaques au vitriol. J’ai participé à une conférence en 2014 à l’Université de Middlesex qui s’intitulait : « Putes Féministes ? Exploration des Débats Autour de la Violence, du Travail du Sexe et de la Pornographie. » La conférence avait pour but « de présenter des manières alternatives de concevoir la participation et l’engagement des femmes aussi bien dans le travail du sexe que la pornographie, particulièrement dans le contexte du féminisme contemporain ». Pourtant, j’ai découvert à mes dépens, que seules certaines voix féministes y sont acceptables.

Au-dessus de la scène de la conférence une photo culte (ci-dessous) d’un magazine porno était érigée, menaçante. Pendant les années 70, le combat féministe contre l’industrie du sexe en pleine expansion était à son apogée, et cette image était alors considérée comme misogyne. En revanche, quarante ans plus tard, nous étions invité-e-s à voir cette représentation pornographique du corps d’une femme comme inoffensive, voir ironique. Plutôt que la pornographie elle-même, les maître-sse-s de conférence suggéraient que cette analyse féministe était le véritable obstacle à l’égalité sexuelle des femmes. Le nouveau féminisme nous autorise à êtres des salopes, et nous aussi nous pouvons être excitées en regardant des « putes » et nous pouvons revendiquer le terme pour nous-même en toute légèreté.

Mais « pute » n’est pas un terme comme « gay » que les hommes homosexuels se sont assignés pour définir leur propre identité. « Pute » est un terme utilisé par les hommes contre les femmes et il fait partie de la vieille morale patriarcale. L’idée que des « putes » existent véritablement sert à diviser les femmes en deux groupes : celles que les hommes peuvent « légitimement » utiliser sexuellement sans avoir mauvaise conscience, et celles qu’ils ne peuvent pas utiliser. Pourtant, ça n’existe pas, une « pute ». C’est un désir masculin transformé en une caractéristique féminine. Ce qui divise les femmes ce sont les circonstances matérielles : économiques, sociales et de parcours biographiques. C’est le manque de reconnaissance culturelle de ces circonstances politiques de la prostitution qui créent la stigmatisation et l’objectification des femmes.

L’ensemble du commerce sexuel repose sur ce fantasme : que des femmes puissent être des « putes ». Le « culte de la pute » contemporain a peu fait pour libérer les femmes et les jeunes filles. Internet pullule d’humiliation de femmes et d’adolescentes car elles ont dépassé les limites qu’elles ont été incitées à transgresser. Bien que ce soit l’homme qui pousse la demande pour la prostitution et la pornographie, à lui, aucun titre dégradant n’est dédié.

L’équivalent culturel du « culte de la pute » est celui des « droits des travailleuses du sexe ». À travers ce langage, la prostitution est fétichisée en tant que transgressive. Pourtant il n’en va que du contraire : la prostitution érige à l’infini les divisions patriarcales entre femmes qu’elle devrait soi-disant détruire. C’est la dissolution des frontières qui a un véritable potentiel révolutionnaire.

La vidéo de la BBC Three affirme que la décriminalisation protège les femmes des abus et de la violence, comme si c’était la loi, et non les hommes qui leur fait du mal. Mais la légalisation de la prostitution en Allemagne témoigne de cette désinformation. La décriminalisation n’est pas préoccupée par les droits des femmes, mais plutôt, comme dirait Sarah Ditum, des « droits du pénis ».

Malgré tout, il reste de l’espoir : il y a une résistance grandissante face à ce discours dominant. Les médias traditionnels ont commencé à relater le scandale des bordels allemands. En Février 2017, l’Irlande a suivi la France, le Canada et les pays nordiques en adoptant une loi par rapport au consommateur de sexe qui décriminalise les prostituées mais pénalise les hommes qui payent pour du sexe. Ces pays ont opté pour ce modèle parce que le « travail du sexe » n’est pas un travail comme un autre. Le terme « travail du sexe » implique neutralité et nous désensibilise ainsi de la violence et masque l’exploitation des femmes au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde. Tant que la prostitution existe, femmes et hommes ne seront jamais libéré-e-s du patriarcat.

Dr. Heather Brunskell-Evans est philosophe et chercheure associée au King’s College à Londres. Elle travaille sur les théories sociales et politiques. Elle est la porte-parole nationale de la Women’s Equality Party Policy on Ending Sexual Violence (Politique pour l’Élimination des Violences Sexuelles du Parti pour l’Égalité des Femmes), membre du conseil d’administration de FiLia, et cofondatrice du « Resist Porn Culture »

Vous pouvez la suivre sur Twitter à @brunskellevans

TRADUCTION : YA pour le Collectif Ressources Prostitution.

* voici la vidéo et la traduction de son contenu (merci à la traductrice pour ce travail pénible de transcription) :


vidéo https://ressourcesprostitution.wordpres ... e-du-sexe/
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Re: Syndicalisme et prostitution, questions embarrassantes

Messagede Lila » 24 Oct 2017, 20:01

LA GRANDE ARNAQUE DU « TRAVAIL DU SEXE » : COMMENT DES LOBBYISTES DU SIDA SE SONT JOINTS AU COMBAT EN TANT QUE PROXÉNÈTES DE LA PROSTITUTION

Voici un extrait du livre The Pimping of Prostitution: Abolishing the Sex Work Myth, de Julie Bindel, publié par Palgrave Macmillan et qui paraît le 28 septembre

Le mouvement VIH / sida est largement perçu comme mettant l’accent sur les droits civils et les soins de santé pour des groupes vulnérables. La perception populaire est que ce mouvement se compose d’activistes sensibles aux droits des personnes, d’experts médicaux et de scientifiques, qui recherchent les meilleures méthodes de prévention et éventuellement un remède pouvant guérir le sida. Ce qui est beaucoup moins connu est que le mouvement du sida et les énormes sommes d’argent qui lui sont attachées ont fait plus pour façonner la politique, la pratique et la législation sur le commerce international du sexe que tout autre mouvement de l’histoire.

Des sommes pharamineuses ont été versées dans des programmes de « sécuri-sexe » destinés aux acheteurs de sexe. En d’autres termes, des efforts considérables ont servi à aider des hommes à continuer à payer pour du sexe. En effet, sans le soutien de l’approche dite de « réduction des méfaits » du VIH / SIDA, le lobby pro-dépénalisation, y compris des organisations comme Amnesty International (IA), n’aurait certainement pas gagné autant de terrain.

Les arguments des activistes et des experts du SIDA en faveur d’une décriminalisation générale de l’industrie du sexe sont simples mais horriblement déficients. Ces personnes et organisations crient à tous vents que si l’on mettait fin à toutes sanctions pénales contre le commerce du sexe, y compris pour le proxénétisme, la tenue de bordels et l’achat de sexe, les taux de VIH chuteraient. Je vais explorer et disséquer ces prétentions du mouvement pro-dépénalisation et examiner de près les relations entre le monde du VIH et le lobby pro-prostitution. Je soutiens que l’approche de la réduction des méfaits est préjudiciable pour les femmes qui sont dans l’industrie du sexe et qu’en fait, elle multiplie les violences à leur égard.

Au début de la crise du sida au milieu des années 80, de l’argent a été fourni à deux groupes particuliers de l’hémisphère Nord : les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes et les femmes impliquées dans la prostitution dans la rue. De façon compréhensible, les hommes homosexuels étaient en première ligne des organismes de bienfaisance et des interventions de services de santé, et certains d’entre eux ont créé des organisations qui ont tenté de traiter de façon holistique avec les groupes les plus à risque. En conséquence, de nombreux projets consacrés à la prévention et au traitement du VIH ont été gérés par des hommes homosexuels, y compris ceux dont la clientèle était composée de femmes présentes dans le commerce du sexe.

En raison de la stigmatisation associée au sida provoquée par l’intolérance anti-gay et l’information déficiente véhiculée par les gouvernements et des organisations religieuses, de nombreux projets consacrés à ce problème ont eu des activités de sensibilisation et de lobbying. Les séropositifs ont fréquemment été qualifiés d’« artisans de leur propre malheur ». Le chef de police du Grand Manchester, James Anderton, par exemple, les a qualifiées de « captifs d’un tourbillon septique de leur propre fabrication ».

Malheureusement, les opinions libertariennes masculines des gays ont exercé une influence déterminante sur le discours, associant habituellement la « sécurité » avec le « moralisme » en réaction à toute analyse du « sexe et de la sexualité ». Plutôt que de critiquer l’industrie du sexe comme un mode de vie dangereux pour les personnes impliquées, le message transmis au grand public et aux utilisateurs de services s été celui d’une prétendue réduction et minimisation des méfaits. Le préservatif a été présenté comme une panacée, et l’on a négligé les occasions d’examiner les dangers de l’industrie du sexe.

Échapper à la prostitution

Andrew Hunter, un homme gay né en 1968 dans le Queensland, en Australie, a quitté la maison à 17 ans pour vivre dans les squats du quartier Gunnery, à Sydney, où habitaient des gens identifiés à la culture alternative « queer », y compris bon nombre de personnes considérées comme des exclus. Hunter s’est impliqué dans la prostitution de rue à Sydney, et à 19 ans, il a déménagé à Melbourne, où il s’est prostitué dans le quartier mal famé de St-Kilda.

Avant son décès en 2013, Hunter est devenu président du Global Network of Sex Work Projects (Réseau mondial de projets de travail du sexe – NSWP), responsable des programmes et politiques pour le Asia-Pacific Network of Sex Workers (Réseau Asie-Pacifique des travailleurs du sexe – APNSW) et un membre du Groupe consultatif sur le VIH et le travail sexuel du Programme commun des Nations Unies sur le VIH / SIDA (ONUSIDA). Pendant sa période d’activisme, Hunter a fait campagne pour faire décriminaliser le commerce du sexe et considérer la prostitution comme un travail. Il a ouvertement soutenu des organisations telles qu’ONU Femmes, en envoyant un message de soutien à sa position sur le « travail du sexe en tant que travail » quelques mois avant sa mort. Avec le Prostitutes Collective of Victoria (PCV), Hunter a lancé le premier service de sensibilisation masculin à St-Kilda et un programme de distribution de seringues.

Parlant de sa période de prostitution à St-Kilda, Hunter a déclaré : « Heureusement, j’ai été sauvé par les agents de sensibilisation du PCV plutôt que par les dames de l’Ordre de St Mary qui distribuaient des sandwiches.» Mais en fait, le PCV, fondé en 1978 par Cheryl Overs, une militante des droits des « travailleuses du sexe » a fait tout sauf « sauver » les personnes impliquées dans le commerce du sexe. Leur permettre d’échapper à la prostitution n’a jamais été l’un de ses objectifs.

En tant que leader du PCV, Overs représentait l’industrie du sexe sur le Groupe de travail sur la prostitution du ministère australien de la planification, qui a conseillé au gouvernement de Victoria la politique ayant mené à la décriminalisation de la prostitution pratiquée à l’intérieur, y compris l’activité des proxénètes, des propriétaires de bordels et toutes les autres tierces parties profitant de cette industrie. Le PCV a rapidement pris le leadership du débat sur le sida. En 1988, le PCV a accueilli la Conférence sur le débat concernant la prostitution et le sida à Melbourne, qui a conduit à la formation de la fédération pan-australienne des organisations de « droits des travailleurs du sexe » : la Scarlet Alliance.

En 1989, Overs a commencé à faire campagne en Europe, en débutant sa carrière de l’autre côté du monde en tant que conseillère du Programme mondial sur le sida à l’Organisation mondiale de la santé, en contribuant aux conférences et publications internationales sur le sida telles que AIDS in the World du Harvard AIDS Institute, et en aidant à créer le Conseil international des ONG de lutte contre le sida (ICASO). Déjà à cette époque, les mondes de la prostitution et du sida n’en faisaient plus qu’un, tant en termes d’idéologie qu’au niveau des politiques.

Lors de la Conférence des opportunités pour la solidarité des ONG du VIH / sida tenue en 1992 à Paris, Overs et Paulo Henrique Longo ont fondé le NSWP. En 2004, le NSWP a condamné la résolution des Nations Unies contre la prostitution et la traite des êtres humains en la qualifiant de « contreproductive à des programmes efficaces de prévention du VIH / SIDA dans le monde entier ». Leur point de vue a été partagé par des centaines d’individus et d’organisations qui ont signé en 2005 une lettre d’opposition à cette résolution adressée au président des États-Unis. La vice-présidente du NSWP, Alejandra Gil, qui a également coprésidé le Groupe consultatif d’ONUSIDA sur le VIH et le travail du sexe et le Groupe mondial de travail sur la politique du VIH et du travail du sexe, a été arrêtée pour trafic sexuel en 2015 et condamnée à 15 ans d’incarcération.

Overs demeure active dans l’univers pro-prostitution et du sida. En 2012, elle a prononcé un discours d’ouverture à la Conférence internationale sur le sida et, la même année, a fait une présentation sur les « droits des travailleurs du sexe » au Conseil des droits de l’homme de l’ONU (CDHONU). Elle est actuellement chercheur honoraire à l’Université de Sussex au Royaume-Uni, la même qui accueille un certain nombre d’universitaires pro-prostitution qui nient la réalité du trafic sexuel.

Depuis la fin des années 1980, la plupart des politiques concernant la prostitution sont déterminées par le financement dévolu au sida, notamment par la Fondation Bill et Melinda Gates et par l’Open Society Foundation (OSF), fondée par le multimilliardaire George Soros. Il ne fait guère de doute que le financement lié au sida a pesé lourd dans la prestation de services et les politiques en matière de prostitution et de commerce du sexe, dans un monde où Rupert Murdoch contrôle les médias, et Bill et Melinda Gates et l’OSF contrôlent le discours sur la prostitution. L’OSF n’est pas seulement un généreux bailleur de fonds d’AI, d’Human Rights Watch (HRW) et d’ONUSIDA, mais aussi d’un certain nombre de groupes de pression pro-prostitution dans le monde entier. Soros est le principal soutien financier du lobby pro-légalisation dans le monde; son organisation est ouvertement pro-légalisation et il a subventionné des rapports sue lesquels AI s’est appuyé afin de soutenir leur position. L’OSF a fait des dons à ONUSIDA et au PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) qui, tout en prétendant qu’ils sont des institutions indépendantes, reconnaissent « le généreux soutien financier » de l’OSF. Ce financement a eu des impacts sur la législation : l’ODF subventionne le groupe de pression Sex Workers’ Alliance Ireland, qui fait campagne contre le modèle nordique de pénalisation des acheteurs, et soutient la militante Laura Lee dans sa tentative de faire réformer la loi abolitionniste adoptée en Irlande du Nord.

HRW n’avait d’abord pas de politique sur la criminalisation et la dépénalisation, mais cette organisation a récemment pris les armes en faveur de la dépénalisation totale, peut-être sous l’influence d’un financement reçu de Soros, qui leur a notamment donné en 2010 une subvention de 100 millions de dollars sur dix ans. Le NSWP est également financé par l’OSF.

Les données les plus récentes, datant de 2013, montrent que 56 ONG ont investi 9,6 millions de dollars (8 millions d’euros) dans des projets pro-prostitution et de promotion de sa décriminalisation. Les cinq principaux donateurs étaient l’Open Society Initiative, la Ford Foundation, l’American Jewish World Service, le Red Umbrella Fund et Mama Cash (un fonds pro-prostitution pour les femmes basé aux Pays-Bas). Sur ces 9,6 millions de dollars, 3,6 millions ont été investis en santé, 1,68 million en services juridiques et les autres 5,3 millions ont été dépensés en activités de plaidoyer et de lobbying politique; en d’autres termes, on a mis un énorme accent sur la promotion de la dépénalisation au-delà de l’aide pratique à long terme pour les femmes prostituées, comme les services de santé et la réduction de la pauvreté.

La Fondation Ford a été signalée comme le principal donateur auprès des organisations pro-prostitution, la subvention moyenne de la Fondation Ford aux organisations de « travailleurs du sexe » dépassant 100 000 $. La Ford Foundation a été l’un des principaux partisans (avec Mama Cash et l’Association pour les droits de la femme et le développement [AWID]) de la série d’articles « Women’s Rights and Gender Equality in Focus » publiée par The Guardian en février 2014.

L’American Jewish World Service (AJWS) soutient que les femmes qui critiquent la prostitution en tant qu’institution de violence masculine ne sont pas féministes et ne sont pas meilleures que les racistes et les fanatiques homophobes. L’AJWS est l’un des principaux bailleurs de fonds des activités de plaidoyer par et pour les activistes pro-prostitution. Il offre actuellement 500 000 $ par année en subventions à 17 organisations qui soutiennent les droits des « travailleurs du sexe » dans huit pays en développement.

Fondée en 1985, l’organisation Red Thread est devenue l’une des voix les plus vigoureuses en faveur de la normalisation du « travail du sexe » comme forme légitime d’emploi. Une grande partie de sa publicité est venue de l’attention médiatique entourant de deux « Congrès de Putains » qu’elles ont organisés. Leur argumentation ressemble à celle du Collectif anglais des prostituées et de la Sex Workers Open University (Université ouverte des travailleuses du sexe) au Royaume-Uni. Au cours de ses premières années, cette organisation était financée à 100 p. 100 par le gouvernement (malgré sa revendication du statut d’ONG) et une grande partie de ce financement gouvernemental a été consacré à l’ouverture de The Red School, où de nouvelles prostituées apprenaient à mieux desservir des clients masculins.

Le Red Umbrella Fund est, pour sa part, composé d’un réseau mondial de projets «travailleurs du sexe». Il dit «renforcer et assurer la pérennité du mouvement des « droits du travailleur du sexe » en catalysant de nouveaux fonds pour les organisations dirigées par les travailleurs du sexe et leurs réseaux nationaux et régionaux ». Le Red Umbrella Fund a été soutenu financièrement par six grandes fondations : AJWS, Comic Relief, la Fondation Levi Strauss, le MAC AIDS Fund, Mama Cash et l’OSF. Depuis sa création en 2012, elle a donné 63 subventions aux organisations de défense des droits des travailleurs du sexe dans 42 pays. Le Fonds ne fournit des subventions qu’aux organisations « dirigées pour et par les travailleurs du sexe » et refuse de considérer les demandes de subvention d’organisations abolitionnistes, quelles que soient les circonstances.

Les ONG de lutte contre le sida sont également aptes à lever des montants extraordinaires d’argent grâce à des événements de charité ad hoc, des campagnes de charité périodiques et des versements directs reçus de donateurs privés. Étrangement, les ONG liées au sida ont découvert en la misogynie un moyen très utile de susciter les dons. En Australie, par exemple, la Fondation Bobby Goldsmith (BGF) est un important organisme caritatif à l’origine d’activités de plaidoyer et de recherche sur le SIDA. Le patron de BGF est le juge Michael Kirby, qui est sans aucun doute le plus important des défenseurs australiens des droits de la personne. Mais le juge Kirby est également le patron de Touching Base, une organisation qui soutient que les hommes handicapés ont un droit humain fondamental à l’utilisation de femmes prostituées.

Gâteau raciste

Le BGF accueille un concours annuel de gâteaux, où les gâteaux donnés sont vendus au plus offrant. C’est un événement très couru sur le calendrier des VIP de la collectivité réunie autour du sida et de l’industrie du sexe. Je suis informée de manière fiable, par une amie australienne, qu’aucune année ne s’est écoulée sans que ces gâteaux n’aient présenté les femmes comme des cibles de violence et d’humiliation. En 2008, le plus célèbre de ces gâteaux a représenté Paris Hilton qui, à l’époque, purgeait une peine d’emprisonnement pour possession de drogue, dans une situation où elle était sodomisée par une prisonnière lesbienne noire tatouée et sanglée d’un godemiché sous les yeux horrifiés d’un chien miniature derrière les barreaux d’une prison. Ce gâteau vil, sexiste et raciste, qui s’est vendu 7 000$, a remporté le premier prix et reste le gâteau le plus cher que la BGF ait jamais vendu; et pas la moindre plainte n’a été déposée à ce sujet.

Les acteurs clés de la politique entourant la prostitution sont les mêmes acteurs clés que ceux qui orientent de la politique du sida. Cela met en évidence le caractère commun des compétences et du peu de compréhension de la soi-disant réduction des risques comme remède aux violences masculines contre les femmes et les jeunes filles. Par exemple, le député Tim Barnett, le responsable de la décriminalisation de la prostitution en Nouvelle-Zélande par le biais de son projet de loi d’initiative parlementaire, est un gay ayant des liens étroits avec des organisations pro-prostitution au Royaume-Uni. Après sa prise de retraite de la politique, il a occupé des rôles de premier plan dans des organisations de lutte contre le SIDA en Afrique du Sud, où il a travaillé en étroite collaboration avec le Dr Nothemba (Nono) Simelela. Simelela, le conseiller en politique du sida le plus respecté en Afrique du Sud, est une personne fascinante digne d’une enquête plus approfondie.

L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) est le plus important bailleur de fonds d’ONG affilié à un gouvernement au monde, avec 22,3 milliards de dollars alloués pour être distribués à diverses organisations. Historiquement, l’USAID a limité ses fonds aux ONG qui s’opposaient officiellement et publiquement à la prostitution et au trafic sexuel avec l’exigence que tous les bénéficiaires de dons signent un engagement anti-prostitution avant la libération des fonds.

En 2005, l’Open Society Initiative (OSI) (une véhémente partisane de la prostitution) a traduit l’agence USAID devant des tribunaux en alléguant que demander aux ONG de signer un engagement anti-prostitution pour recevoir un financement équivalait à un déni de liberté d’expression aux termes du Premier amendement de la Constitution américaine; l’OSI a remporté ce litige. Bien que la validité et l’utilité de cet engagement aient été contestées par les deux camps du débat sur la prostitution, ce succès de la contestation de l’OSI démontre combien d’argent et de temps ils possèdent et sont disposés à mettre au service de la promotion de la prostitution.

Julie Bindel est journaliste et militante féministe, et écrit sur la violence à l’égard des femmes et des filles, en visitant autant de pays où on lui permet de se rendre pour enquêter à ce sujet.

Version originale: http://www.newsweek.com/great-sex-trade ... ion-668359

Traduction: TRADFEM, avec l’accord de l’autrice


https://tradfem.wordpress.com/2017/09/2 ... stitution/
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