texte collectif, Marche Mondiale des Femmes – France
http://www.mmf-france.fr/
Texte adopté en avril 2007 et amendé en avril 2012
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1 - Le commerce du sexe, base de l'esclavage sexuel des femmes et des jeunes filles
Du nord ou sud, de l'est à l'ouest, les femmes vivent dans un contexte politique dominé par le patriarcat et le capitalisme. Ce sont des systèmes d’organisation sociale où les femmes sont considérées comme des objets disponibles, une marchandise à l’usage des hommes. Les médias, et en particulier la publicité et l'industrie pornographique, présentent des images de femmes accessibles sexuellement pour assouvir les besoins soi-disant incontrôlables des hommes.
Cette conception patriarcale de la sexualité masculine est une des bases de la banalisation et de la pérennité du système prostitutionnel :
• La hiérarchisation des genres valorise le sexe masculin, les hommes présentés comme forts, dominateurs, virils, guerriers, conquérants, consommateurs de sexe.
Dans le même temps on dévalorise, humilie, s’approprie le corps des femmes.
• Le besoin sexuel masculin serait si irrépressible qu’il serait nécessaire de satisfaire immédiatement ses pulsions auprès des prostituées afin de protéger les autres femmes (femme prostituée = femme sacrifiée à l'ordre social).
Cette vision relève d’une construction sociale et culturelle qui crée un homme dominant et une femme et des enfants dominés. La virilité à laquelle sont assignés les hommes n'est pas questionnée. Le mutisme et la négation de l'être, assortis d'une disponibilité totale et d'une soumission intériorisée, sont reconduits pour les femmes. Pour l'homme, c'est le couronnement du désir mâle, base de la domination masculine sur toutes les femmes. Le petit garçon apprend qu'il appartient au clan des mâles, des dominateurs.
Aujourd'hui, l'idéologie libérale vise à normaliser la prostitution, la faisant passer pour un "plus" pour les femmes en la nommant "travail du sexe". L’exploitation sexuelle des êtres les plus vulnérables, les femmes et les enfants, est réduite à l'exploitation qu'exerce le capital dans le cadre du travail. Tout est supposé pareil, caissière au supermarché, femme de ménage, secrétaire ou serveuse du moment qu'en échange d'un salaire, on accepte de se contraindre à des horaires, des règlements ou autres hiérarchies. Les tenants de la légalisation de la prostitution (les réglementaristes) amalgament toutes ces situations.
L'économie marchande construit de toutes pièces et contrôle la sexualité, les lieux de la sexualité, les conditions d'exercice de cette sexualité, dans des formes dites archaïques : prostitution de rue… - ou dites modernes : nébuleuse des bars, lieux de divertissements, salons de massage, hôtels, sex-shops, cyber-sex, production et tournage de films pornographiques, minitel rose ...
Complices de cet état de fait, les médias (espaces publicitaires, télévision, presse, Internet...) véhiculent des images pornographiques où les femmes aiment être violées et prostituées. Ils participent ainsi de la construction de l’imaginaire des jeunes garçons qui filment ou visionnent des scènes de viols collectifs pour les diffuser à leurs copains comme des trophées ou comme des rites initiatiques à leurs premiers rapports sexuels.
Le commerce des corps est une violation flagrante de l'intégrité des femmes, de leur droit à l'autonomie et à la dignité. Le marché construit et transmet des images et des imaginaires patriarcaux pour contrer la liberté des individu-e-s, canaliser leurs énergies, les rendre vaines et s'opposer à une réelle libération des rapports humains.
Le corps des femmes est un terrain et un enjeu majeur pour le patriarcat dont le capitalisme diffuse les modèles sexuels
2 - Légaliser la prostitution, c'est légitimer les violences faites aux femmes
Dans la prostitution, les femmes doivent, contre de l'argent, accepter une situation intolérable. De sujets, elles deviennent objets, acceptent une hiérarchisation des positions qui entérine un rapport inégalitaire, source de violences.
Elles sont utilisées sexuellement par de nombreux hommes : clients (prostitueurs) et proxénètes. Dans ce contexte, les femmes risquent d'être agressées, violées, battues. Elles peuvent subir des actes sadiques, du harcèlement sexuel, des injures verbales. A force de vivre dans un climat de peur, de violences physiques et psychiques, elles sont nombreuses à recourir à la drogue, à l'alcool ou au suicide pour oublier les traumatismes de leur vie quotidienne.
L’imaginaire qui se construit à partir de la marchandisation des corps nous rend toutes et tous vulnérables. Tant qu’un individu pense qu’il peut s’approprier (même de manière imaginaire) contre de l'argent le corps d’une personne, chacun, chacune de nous est, sera prostituable. Considérer les femmes comme des objets que l’on achète, l’argent remplaçant toute capacité relationnelle, tout respect, c’est construire une société déshumanisée, violente où l’argent domine toutes les sphères de notre vie, y compris les plus intimes.
L’argent permet aux prostitueurs de se dédouaner de toute responsabilité (risque de grossesse non désirée, de transmission de maladies vénériennes, du sida...) vis-à-vis des êtres dont ils disposent
Ce qui est grave c'est que dans un cadre réglementariste, les violences auxquelles sont soumises les femmes et les jeunes filles, dans le cas de la prostitution sont banalisées et considérées comme des dommages collatéraux de la "pratique du sexe".
Les violences à l’égard des femmes sont aggravées par la pauvreté. La mondialisation néolibérale aggrave les inégalités économiques, exploite le travail des femmes et leur enlève le contrôle sur les ressources qu’elles produisent. Cette inégalité est accrue, dans les pays du Sud, par la non-scolarisation massive des petites filles et le non-accès des femmes à la santé.
Le commerce des corps est une violation flagrante de l’intégrité des femmes, de leur droit à l’autonomie et à la dignité.
La réglementation de la prostitution amplifie l’existence du trafic : c'est un moyen de s’assurer que la demande en corps de femmes afin d'approvisionner l’industrie du sexe est pourvue sans aucun frein.
Les femmes et les fillettes étant disponibles contre de l’argent, elles ne peuvent plus se soustraire au viol et aux violences qui leur sont faites. Elles sont réduites à un véritable esclavage sexuel.
Le récent Accord général sur le commerce des services de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) libéralise le tourisme. Dès lors, des investissements sans mesure dans le secteur de la prostitution sont faits pour rendre disponibles les femmes et les enfants pauvres considéré-e-s comme des "ressources" vendues aux touristes. Ces politiques mises en place par les gouvernements nationaux et encouragées par le FMI et la Banque mondiale prétendent sortir ces pays du mal-développement.
La mondialisation appauvrit des millions de femmes ; elle accélère leur licenciement, l’augmentation du nombre de contrats de travail de courte durée, les bas salaires. Elle provoque aussi l’expropriation des terres que les femmes ont transformées en surfaces agricoles.
Corollaire de l’appauvrissement massif des femmes, le système prostitutionnel s’est propagé. Il est devenu une "industrie" mondiale accumulant des profits colossaux sur la misère et le trafic des êtres humains.
3 - Pénaliser le "client-prostitueur" ce serait une atteinte à la liberté. La liberté de qui ?
Nous sommes pour l’abrogation du délit de racolage que les personnes prostituées subissent car elle est complètement injuste et elle fait peser sur les victimes une double peine : la violence que constitue l’acte prostitutionnel, pour la majorité d’entre elles, et le harcèlement financièr que l’Etat leur fait subir. Cette loi est aussi hypocrite car elle transfère la responsabilité de la prostitution sur les personnes que la subissent. L’Etat joue ainsi un rôle de proxénète puisqu’il tire profit de la commercialisation du corps des femmes.
Par contre, pénaliser le « client-prostitueur » c’est rendre visible la responsabilité de ceux qui ont besoin d’un rapport marchand pour assouvir leur volonté de domination par le sexe où la communication et la relation humaine disparaît, la personne face à eux n’existe plus, elle est à leur service, elle n’est que l’instrument ou le jouet qui va leur permettre de se sentir virils et supérieurs. Pour eux, le corps des femmes est un territoire où ils peuvent vivre et assouvir leurs fantasmes. Le fait de payer pour l’accès au corps des personnes prostituées favorise le passage à l’acte de la spirale : humiliation, mépris, violences.
Ceux et celles qui disent non à la pénalisation des «clients» confortent et légitiment l’idée que les hommes sont incapables de contrôler et de changer leur sexualité, leurs images mentales, leurs fantasmes. Ils et elles veulent pérenniser le vieux monde où les hommes et les femmes ne sont ni libres ni égaux, ils et elles adhérent au modèle marchand du libéralisme mondialisé dans lequel l’argent permet que TOUT soit acheté ou vendu, ils développent le patriarcat, système de domination des hommes sur les femmes.
4 - Peut-il y avoir une prostitution "libre" ?
C'est ce que postulent les tenants du réglementarisme et que nous dénonçons.
Lorsqu’on n’a pas d’autre choix, que la misère économique affame les hommes, les femmes et les enfants, que l’imaginaire des peuples du Nord et du Sud est violé, lorsque la domination économique, culturelle et un certain modèle social du Nord sont les seules références reconnues, alors la prostitution se développe. C'est parfois la seule issue pour survivre. Appeler cela un choix est une aberration du système libéral.
La force de ce système d'exploitation est de faire croire aux possibilités de libération par un marché prétendument neutre et d'induire le consentement des personnes marchandisées pour entériner le plus archaïque des rapports de forces.
Faire adhérer l'individu-e à ce système permet d'anesthésier toute velléité de révolte et de résistance. L'individu est isolé de son milieu affectif et social. Le nec plus ultra de la libération par le marché semble atteint. "Mon corps, ma petite entreprise", disent-ils.
La prostitution (sans argent, pas de sexe) dissimule donc le rapport de domination. L'argent rend invisible ce rapport, il le banalise.
Tout s'achète : Le plus fort achète le plus faible, l'affame et le domine.
L'économie libérale mondialisée détruit au plus profond des sociétés les liens sociaux, les liens de solidarités, vidant de sens les luttes politiques et substituant la soif d'argent et de consommation à toute utopie du vivre ensemble...
Au nom de la liberté individuelle, les individu-e-s atomisés, séparés de tout, libérés de toute appartenance sont renvoyés à la solitude pour mieux servir des intérêts particuliers travestis en intérêts globaux. L'individualisme serait le dernier recours pour se protéger d'un monde en débâcle.
Au delà des contraintes économiques, réfuter l'idée qu'il s'agit là de choix, c'est prendre en compte des facteurs autres, plus insidieux, parfois moins conscientisés. L’entrée des femmes dans la prostitution est souvent liée à une expérience personnelle antérieure d’inceste et/ou de viol, au rejet cynique de leur famille et/ou de leur communauté, quand elles parlent de cette situation ; aux pressions culturelles qui leur imposent d’être vierges au moment du mariage, de subir un mariage forcé...
Elle peut aussi être conditionnée par la place et le rôle des femmes dans leurs relations avec les hommes, le mythe de la femme séductrice, de la disponibilité sexuelle dont les femmes doivent faire la preuve.
Le fait que les femmes soient souvent engagées émotionnellement avec ceux qui les violentent a des
conséquences importantes : des actes qui seraient punis s'ils étaient pratiqués par un patron, un employé, un voisin ou une connaissance, restent souvent impunis quand ils sont commis par des hommes au sein de la famille ou dans le cadre du système prostitutionnel.
Face à des choix individuels marginaux, plus ou moins libres en réalité, il y a toujours une multitude de situations de contraintes et, dans le cas de la prostitution, il s'agit de la contrainte la plus violente qui soit, celle qui marque la condition d'objet sexuel qu'est potentiellement toute femme pour tout homme. Se prostituer n'est pas le plus vieux métier du monde.
La revendication d'un choix, même si elle est sincère, ne peut qu'aboutir à une impasse dans laquelle la femme prostituée est enfermée.
Le système prostitutionnel perpétue la plus vieille marque de soumission d'un sexe à l'autre. Notre libération ne peut passer que par son abolition.
5 - La prostitution n’est pas ce à quoi rêvent les petites filles pour leur futur
Les petites filles ont besoin d'aller à l'école, de vivre leur enfance, de développer leur personnalité, de découvrir et de rêver le monde, protégées et respectées par les adultes qui les entourent.
Peut-on accepter et trouver normal qu'un enfant pauvre né à Bamako, à Calcutta ou dans une banlieue pauvre du Nord commence sa vie d'adulte en se prostituant sur un trottoir à Toulouse, à Hambourg ou dans une grande métropole du Sud ou du Nord ? Est-ce un rêve d'enfant ? Est-ce un rêve de parent ? Est-ce une aspiration d'individu-e-s libre-s ?
Les violences, les abus sexuels dont souffrent les femmes et les filles victimes du système prostitutionnel ont des conséquences néfastes pour leur santé physique et psychique. Elles sont du même ordre que pour les femmes et les filles battues et violées.
Ces femmes prostituées témoignent que si d'autres options étaient possibles, si le monde était différent, si la prostitution n’était pas un piège pour des filles blessées et appauvries, elles ne supporteraient pas d'y être.
NOUS REFUSONS LES POLITIQUES REGLEMENTARISTES :
Elles confortent le système du mâle dominant et de l'argent roi.
Elles assignent les femmes prostituées à leur place.
Elles ne remettent pas en cause les rôles traditionnels dévolus aux femmes et aux hommes.
Elles légitiment et banalisent l’usage des femmes comme marchandises sexuelles.
Les politiques réglementaristes pérennisent le système prostitutionnel.
QUE VOULONS-NOUS ?
• Nous voulons un monde où aucune femme, aucun être humain, ne soit prostituable ni considéré comme un être inférieur.
Que tout enfant (fille ou garçon) ait droit, dès son plus jeune âge, à une éducation sexuelle et au respect de sa propre individualité.
Agissons pour un monde libre de toute forme de violence.
• Dénonçons le marché prostitutionnel, ses flux et ses trafics qui offrent en pâture le corps des femmes.
Visons, non à frapper les victimes, mais à responsabiliser et à pénaliser les prostitueurs.
Attaquons-nous aux racines du trafic sexuel et de la prostitution : n’acceptons pas que la traite et la prostitution soient présentées comme un travail pour celles et ceux qui n’ont pas d’autre choix pour survivre économiquement.
Combattons les politiques de l'OMC lorsqu'elles exacerbent la vulnérabilité des jeunes filles et des femmes.
• Exigeons la mise en place, d’urgence, de solutions de premiers secours : structures d’accueil, lieux de parole et d’écoute, logements accessibles...
Organisons-nous avec les femmes prostituées, luttons en nous attaquant aux structures de pouvoir, favorisons l'insertion sociale et professionnelle par la mise en place et le développement de formations appropriées.
Abolissons les structures d’inégalité pour les remplacer par des alternatives sociales et féministes.
Luttons pour l'abolition du système prostitutionnel, la mise en place d'un monde où les valeurs de la Marche mondiale des femmes : liberté-égalité-justice-paix-solidarité soient les valeurs qui régissent les rapports entre les individu-e-s en élaborant des mesures concrètes politiques, économiques, sociales et culturelles. Elles doivent être prises et appliquées au niveau des Etats et au niveau mondial dans le cadre de l'ONU.
Cette lutte n'est pas la lutte de quelques-unes, elle nous concerne toutes et tous.
Marche Mondiale des Femmes – France
Texte réactualisé, par l’ajout du chapitre n° 3, lors de la réunion nationale du 15 avril 2012