Ni anti ni pro féministe

Ni anti ni pro féministe

Messagede Roro » 27 Nov 2010, 16:53

Salut,

Suite à une discussion autour du féminisme, une camarade m'a demandé ultérieurement de lui faire un texte sur la position que j'avais eut (et que j'ai toujours) et qui était : Je ne suis pas anti-féministe, mais je ne suis pas non plus pro-féministe. Donc je vous restistue en intégralité ma réponse, histoire d'engager le débat.


Je ne suis pas anti-féministe.

La raison principale est que je considère qu'il existe bien un système de domination particulier, le patriarcat, qui s'exerce sur et réprime les femmes (mais aussi les non-hétéros). Les femmes étant maintenues dans une infériorité sociale par rapport aux hommes à différents niveaux (tâches domestiques, éducation des enfants, remarques en tout genre les "remettant à leur place (sociale)", regards dans la rue ou ailleurs, infantilisation, etc, etc). Dès lors, il me semble "légitime" que les femmes s'organisent entre elles pour chercher l'ensemble des éléments propres à cette domination spécifique. Pour une raison somme toute simple : seul les dominé.e.s peuvent mettre des mots sur leur domination, du plus visible (viols et violences conjugales) au moins visible (regards, réflexions d'apparence anodines).

Cela marche aussi pour les personnes de couleurs et pour les LGBTI. Les mécanismes de domination ne sont pas les mêmes, bien qu'il y ait des points communs dans la domination des femmes et des LGBTI. Donc il y a une légitimité, voire une nécessité, à l'auto-organisation des dominé.e.s et ce quoiqu'en pense les dominant.e.s. Je n'ai donc, en tant qu'homme favorisé par le patriarcat, avec mes privilèges (jamais on ne me dira comme je dois m'habiller pour sortir dans la rue ni à quelle heure je dois rentrer par exemple), absolument aucun conseil à donner aux féministes et, tant que je considère que leur discours et leurs actes s'accordent à mes idées anarchistes d'une part, et ne remettent pas en cause mon orientation sexuelle d'autres part (la question de certaines féministes au sens large qui assimile le fait qu'un homme et qu'une femme sont "complémentaires"), alors en ces cas-là, je n'ai strictement rien à redire au travail des féministes.

J'ai encore moins de choses à leur dire par rapport à mon vécu qui, il y a quelques années et aujourd'hui encore était/est très lourd, voire chargé en terme de sexisme voire d'homophobie (hé oui...). Mais je préfére pas m'étendre sur ce sujet précis. C'est juste une raison supplémentaire, en plus de mes raisons politiques, de ne pas intervenir dans les luttes féministes même si je peux apporter mon soutien, tant que je ne marche pas sur leur plante-bandes. C'est leur lutte, non la mienne.

C'est pourquoi je ne suis pas non plus pro-féministe.

Ce n'est pas à moi de dire si leur combat, leur discours, leurs actions sont légitimes ou non, mais bien à elles. S'il doit y avoir critique du féminisme (j'entends ici le féminisme que peut incarner OCT) c'est à d'autres femmes de les émettre, pas à moi. La lutte féministe doit rester, comme n'importe quelle autre lutte, entièrement autonome. Et, du fait de mon statut d'homme, je n'ai pas à dire si je suis pour ou contre le féminisme. Le féminisme est là, développe un discours et des actions et, l'unique chose que j'ai à faire c'est d'écouter, de comprendre ce qui est dit (quel mécanisme/situation vous fait dire ceci ou cela?) et voir si ce qui est dénoncé je le fait ou dit moi-même. Et si je me reconnais dans des propos sexistes ou attitudes ou comportements, mon travail en tant qu'homme, à fortiori anarchiste, est de le déconstruire afin d'avoir les relations les plus égalitaires possible, bien qu'en toute franchise je ne pense pas y arriver un jour. Mais en tout les cas, quand les féministes pointent un problème "particulier", à moi de réfléchir dessus.

Après, je pense aussi que tout homme peut et doit s'interroger sur ses rapports aux hommes et aux femmes. J'ai dit ceci à un homme, mais l'aurais-je dit aussi et de la même manière à une femme ? J'ai pensé ceci quand une femme a fait/dit cela, mais aurais-je pensé pareil s'il avait s'agit d'un homme ? J'ai fait ceci à un homme, aurais-je fait pareil à une femme ? Etc, etc. Ne pas attendre que ce soit une féministe qui me le dise, mais réfléchir par moi-même. Evidemment, c'est aussi une manière, même infime, d'aider les féministes dans leur lutte, pour être sûr qu'au moins elles (vous) aurez moins de boulot/comportement/propos à abattre dans nos milieux militants.

Je ne suis ni anti-féministe ni pro-féministe. Parce que en tant qu'homme, je n'ai strictement rien à dire aux personnes que j'opprime et qui s'organisent. Je n'ai pas à leur dire si c'est "bien" ou "mal" de le faire et de quelle manière. L'anti-féminisme est le refus des hommes d'avoir des relations égalitaires avec les femmes, une acceptation (ou refus de l'acceptation) de la domination qu'ils exercent. Le pro-féminisme est une ingérence des hommes dans une lutte qui n'est pas la leur. Soit que c'est une solution de facilité (en gros, un mec qui se dit "pro-féministe" s'en sort à bon compte), soit qu'il pense que c'est la meilleure solution pour soutenir les féministes.

Pour moi, le soutien aux féministes ne peut se faire qu'à deux conditions :

-Admettre qu'en tant qu'homme je suis dans une position dominante, privilégiée. Que j'ai eut une éducation plus ou moins genrée et que je dois donc m'y attaquer, déconstruire le moindre "détail" de cette éducation. Après tout, le patriarcat est fait d'une multitude de "détails" qui, mis bout à bout en font un système de domination bien rôdé. Et, surtout, que je ne dois pas forcément attendre que le féministes me bottent le cul pour me remettre en question.

-Accepter leur autonomie pleine et entière. Refuser de me trouver des alibis du type : "ha ben je suis pro-féministe, je suis avec vous les filles !". Je n'ai pas à être avec les féministes. Je dois être centré sur mes propres privilèges, mes propres défauts sexistes issus de mon éducation et des messages quotidiens que m'envoie le patriarcat.

Il n'y a , pour moi, qu'à ces deux conditions que je peux être utile aux féministes. Déjà parce que je les laisse tranquille et je les emmerde pas pour savoir c'est quoi qui les emmerde chez moi, je fais ce travail-là par moi-même, bien que je ne refuse pas qu'elles me disent ce qu'elles me reprochent, tant ce travail peut bien durer toute une vie. Ensuite parce que je préserve leur autonomie, condition indispensable pour que leur lutte ne soit pas parasitée et qu'elles aillent jusqu'au bout de leur critique. Parce que c'est ça aussi le problème des pro-féministes à mon sens, ça empêche les femmes d'aller au fond des choses de peur de choquer leur copains. Mais bon sur cette dernière phrase ce n'est que mon avis personnel.
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Re: Ni anti ni pro féministe

Messagede chaperon rouge » 27 Nov 2010, 17:31

Je peux pas trop te juger ou te catégoriser, je comprends, mais je crois que tu partages vraiment beaucoup avec un pro-féminisme réflexif. C'est clair que le gars qui se dit pro-féministe peut le faire dans un but très utilitaire. Quant à tes craintes que les luttes féministes, en tout cas certaines tendances à l'intérieur, favorisent une catégorie large et unique "femmes", c'est une crainte qui est vraiment très partagée parmis les jeunes féministes. Je crois qu'il faut voir dans la conjoncture et l'état du mouvement féministe actuel. Perso, je pourrais me dire pro-féministe dans certaines circonstances mais ça ne veut pas dire que je supporte toutes les tendances du féminisme. Refuser de se dire pour ou contre le féminisme est je crois à mettre en parallèle une tendance des jeunes à refuser l'étiquette, qui a fortement été dénigrée par le backlash dans les dernières années.
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Re: Ni anti ni pro féministe

Messagede RickRoll » 27 Nov 2010, 19:07

Mais est-ce que ta position exclut l'antipatriarcat ? Je veux dire est-ce que tu considère le féminisme et l'antipatriarcat comme deux combats différents bien qu'imbriqués ? Ou bien estime-tu que les deux sont la même chose ?
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Re: Ni anti ni pro féministe

Messagede Roro » 27 Nov 2010, 19:28

RickRoll a écrit:Mais est-ce que ta position exclut l'antipatriarcat ?


Ben, comme je le dit dans le texte, ou plutôt comme je le sous-entend, j'ai, de par mon orientation sexuelle, un intérêt à voir le patriarcat, ou à tout le moins certains de ses aspects, disparaitre.

Après l'anti-patriarcat en lui-même, ben de fait, de par les réflexions anti-sexistes que je peux développer, je lutte contre. Donc non, ma position n'exclut pas la lutte contre le patriarcat. Disons qu'en tant que relais du patriarcat, je cherche à le démasquer dans ce que je suis moi-même, pour l'annihiler.

Je veux dire est-ce que tu considère le féminisme et l'antipatriarcat comme deux combats différents bien qu'imbriqués ? Ou bien estime-tu que les deux sont la même chose ?


Je pense que le féminisme est de fait une lutte contre le patriarcat. Après, je pense que le féminisme peut "oublier" certains aspects du patriarcat (je pense à l'hétérosexisme qui, pour moi, est à mettre à part du patriarcat en tant que système d'oppression, il en découle certes, mais en est dissocié également). Donc pour moi, aux deux questions, la réponse est à la fois oui et à la fois non. Je pense que la situation est très complexe sur ces articulations entre antipatriarcat et féminisme.
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Re: Ni anti ni pro féministe

Messagede Voline » 27 Nov 2010, 20:07

L'autonomie ça n'est pas baser sa lutte sur une condition matérielle subie (être une femme, un(e) noir(e), homo etc) ni sur une belle théorie qui, pour être voulue, n'en reste pas moins une position théorique.
L'autonomie n'est ni purement matérielle (car subie) ni purement théorique (même si voulue), elle est matérialiste ET dialectique, elle dépasse cette opposition idiote dans la façon qu'ont les "forces conscientes" (pour citer la Chartes d'Amiens, référence de l'Autonomie Ouvrière) de s'organiser pour l'abolition de leurs statuts.

Ta position est une position purement matérialiste mais non dialectique, elle conduit au sectarisme dans la lutte, comme la position purement idéaliste mène, en effet, à l'avant-gardisme.

Le sexisme ne tombe pas du haut d'un ciel des idées platonicien pour arriver sur terre où il serait subi passivement, et aucune "domination" ne tombe d'en haut pour se subdiviser ensuite jusqu'au niveau capillaire des rapports interindividuels, c'est encore une conception idéaliste.
Le point de vue matérialiste c'est que la domination se construit par le bas, prend racine d'abord dans les rapports interindividuels et circule entre les corps avant de s'organiser selon des niveaux de complexité plus élaborés et en arrive ensuite à produire ses propres idéologies servant à justifier la mise en place du contrôle qu’elle a crée.

La base du matérialisme se fonde sur le constat que ce sont les conditions d'existences qui produisent les idéologies, et non l'inverse, même si en retour elle devienne capables de structurer la réalité sociale.
L'intérêt du concept "d'habitus" de Bourdieu est qu’il met justement bien en avant ce mouvement dialectique : que les catégories socialement construite finissent ensuite par construire la réalité sociale.

L'abolition du genre sera l’oeuvre des “forces conscientes” de la lutte à mener, et ça ne repose ni sur le simple vécu ni sur une simple position intellectuelle, c’est dépendant de la façon qu’on a de s’organiser, car ce sont nos conditions d’existences choisie dans notre façon de nous organiser qui structureront nos idées et nos mentalités, et ça passe par dépasser nos simples statut de « femme » ou de « tête » pour mettre la main à la pâte tous ensemble, plutôt que de dire que le féminisme c’est « un truc de filles ».
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Re: Ni anti ni pro féministe

Messagede Roro » 29 Nov 2010, 20:45

Voline a écrit:L'autonomie ça n'est pas baser sa lutte sur une condition matérielle subie (être une femme, un(e) noir(e), homo etc) ni sur une belle théorie qui, pour être voulue, n'en reste pas moins une position théorique.
L'autonomie n'est ni purement matérielle (car subie) ni purement théorique (même si voulue), elle est matérialiste ET dialectique, elle dépasse cette opposition idiote dans la façon qu'ont les "forces conscientes" (pour citer la Chartes d'Amiens, référence de l'Autonomie Ouvrière) de s'organiser pour l'abolition de leurs statuts.


J'ai rien compris... :gratte:

Ta position est une position purement matérialiste mais non dialectique, elle conduit au sectarisme dans la lutte, comme la position purement idéaliste mène, en effet, à l'avant-gardisme.


Là non plus j'ai pas bien compris.

Le sexisme ne tombe pas du haut d'un ciel des idées platonicien pour arriver sur terre où il serait subi passivement, et aucune "domination" ne tombe d'en haut pour se subdiviser ensuite jusqu'au niveau capillaire des rapports interindividuels, c'est encore une conception idéaliste.
Le point de vue matérialiste c'est que la domination se construit par le bas, prend racine d'abord dans les rapports interindividuels et circule entre les corps avant de s'organiser selon des niveaux de complexité plus élaborés et en arrive ensuite à produire ses propres idéologies servant à justifier la mise en place du contrôle qu’elle a crée.


Ok, là j'ai compris. Mais je crois pas avoir dit que le patriarcat était tombé du ciel. Ce que je dit c'est que, à mon échelle individuelle, et dans mes relations aux autres, j'ai des résidus plus ou moins prononcés d'une éducation (ou pour être plus précis d'une socialisation) sexiste. Et que cette éducation est une éducation collective lié au système patriarcal. De part mes comportements/propos individuel je peux perpétuer ou mettre à mal le patriarcat, en le diffusant à d'autres personnes, ou en portant la critique du patriarcat à d'autres personnes.

La base du matérialisme se fonde sur le constat que ce sont les conditions d'existences qui produisent les idéologies, et non l'inverse, même si en retour elle devienne capables de structurer la réalité sociale.
L'intérêt du concept "d'habitus" de Bourdieu est qu’il met justement bien en avant ce mouvement dialectique : que les catégories socialement construite finissent ensuite par construire la réalité sociale.


Ok là-dessus.

L'abolition du genre sera l’oeuvre des “forces conscientes” de la lutte à mener, et ça ne repose ni sur le simple vécu ni sur une simple position intellectuelle, c’est dépendant de la façon qu’on a de s’organiser, car ce sont nos conditions d’existences choisie dans notre façon de nous organiser qui structureront nos idées et nos mentalités, et ça passe par dépasser nos simples statut de « femme » ou de « tête » pour mettre la main à la pâte tous ensemble, plutôt que de dire que le féminisme c’est « un truc de filles ».


Sur le féminisme, je pense que si, c'est "un truc de filles". Au sens où ce sont les premières victimes du patriarcat (au sens symbolique comme au sens propre). Mais, l'anti-patriarcat ne se limite pas au féminisme. Sinon, je ne pense pas que j'aurai cette réflexion, et que d'autres mecs chercheraient à remettre en question leur comportement. L'antipatriacat, pour être efficace, se doit d'être global, c'est-à-dire que les hommes doivent aussi s'en emparer.
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