Hommes proféministes ?

Re: Hommes proféministes ?

Messagede icioula » 21 Déc 2009, 10:48

berneri a écrit:J'ai lu votre échange et j'avoue que je réagis par rapport au terme pro-feministe ...
je ne comprends pas la définition que vous avez décidée de lui donner, c'est différent de feministe? à moins d'aimer un jargon abscons entre avertis il faut être plus clair...

Je suis tout à fait d'accord, mais , j'ai utilisé ce terme par défaut.
"Hommes féministes" ne satisfait pas non plus... J'ai envie qu'on se détermine par rapport à nous- mêmes d'abord, aux dominations dont nous, hommes, non-virils, pro-féministes etc, sommes l'objet.
On part de là, et après on accroche les wagons du féminisme, mais pas que...
berneri a écrit:En revanche je n'ai pas envie de deconstruire ma propre identité masculine, ni ma propre histoire de vie, je fais la vaisselle et des arts martiaux , et je trouve pas cela incompatible. Je rejette la culpabilité indivuelle proposée par les curé au travers du péché originel tout comme celle du péché de genre, quasi-originel proposée par les ayatollahs du feminisme. ni pécheur, ni oppresseur par nature...

Sur cette question , j'ai failli ouvrir une autre discussion, en tout cas il me semble que la déconstruction ne doit s'appliquer qu'aux idéologies, aux systèmes de domination, et pas aux individu-e-s...
La déconstruction appliquée aux individus sous-entend que la douleur, est un passage obligé... Mais il faudrait effectivement ouvrir une autre discussion sur ce sujet
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede altofeux » 21 Déc 2009, 12:04

chaperon rouge a écrit:Altofeux - L'oppression de classe n'est pas plus importante que l'oppression de genre


et

Roro a écrit:Ensuite, il nous est plus aisé, à nous les hommes, de dire que c'est l'exploitation de classe qui fait le plus de dégâts que l'oppression des femmes.



Ça c'est facile de vérifier en conjugant les 2 positions extrêmes : qui est le plus opprimé, qui est la la meilleure position ? une femme faisant partie des 10% les plus riches ou un homme faisant parti des 10% les plus pauvres ?

il me semble donc très risqué d'oser une comparaison entre les deux.
[/quote]

Je ne compare pas les 2, je considère que ce sont 2 choses différentes. Je rappelle quand même qu'au départ je réagissait à une phrase disant sans relativiser que les hommes ont une position hiérarchique privilégiée par rapport aux femmes.
Modifié en dernier par altofeux le 22 Déc 2009, 23:52, modifié 1 fois.
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede Parpalhon » 22 Déc 2009, 21:34

Roro a écrit:Enfin, de fait, si tu es en couple (ou en tant que tu es accompagné de) avec une femme, l'homme lambda aura plus tendance à t'écouter toi, à prêter attention, à te considérer comme son égal si tu lui parles que si c'est la femme qui le fait.

tout à fait ... moi quand j'ai ce genre de con en face j'ouvre pas la bouche ... du coup je me fais passer pour une femme effacée, mais j'avoue que gaspiller mon énergie pour des misogynes c'est pas mon trip ... et pour moi c'est une de choses les plus insultantes de ne pas être écoutée juste parce que je suis moi et non pas parce que je dis des choses inintéressantes ...
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede sebiseb » 23 Déc 2009, 11:31

3 pages pour trouver un nouveau terme ?
Le mot féministe, que je sache, n'est pas conditionné par le genre de celui ou celle qui s'en réclame ? Je suis un homme et je me revendique féministe, c'est à dire avant tout anti-machiste et pour l'égalité sociale des femmes et des hommes. Je ne comprends pas le mot virile.
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede chaperon rouge » 25 Déc 2009, 23:22

Bien que conscient des oppressions de genre, militant pour l'égalité des droits hommes-femmes hetero/homo-bi-trans,...., En revanche je n'ai pas envie de deconstruire ma propre identité masculine, ni ma propre histoire de vie, je fais la vaisselle et des arts martiaux , et je trouve pas cela incompatible. Je rejette la culpabilité indivuelle proposée par les curé au travers du péché originel tout comme celle du péché de genre, quasi-originel proposée par les ayatollahs du feminisme. ni pécheur, ni oppresseur par nature...

Je me définis comme feministe dans mon combat pour l'égalité des droits ... l'égalité c'est différent de l'identité... (égal différent d'identique). Dans ce combat pour des droits concrets cela redonne une dimension collective où chacun à sa place plutôt que des quêtes individuelles qui divisent celles et ceux qui devraient combattre ensemble.

[le texte suivant n'a pas été féminisé pour raison d'écriture rapide]

Je crois que comme anarchistes sociaux conséquents le développement d'une analyse féministe devrait être au rang des priorités, au même titre que l'analyse lutte de classiste, écologiste, anti-raciste, etc... Ce n'est pas nouveau ces accusations du féminisme radical et libertaire d'être "culpabilisant" pour les hommes. En fait, il faut d'abord concevoir la domination de l'homme sur la femme comme un rapport social et non simplement une relation sociale. Un rapport social s'exerce entre des groupes sociaux, dans ce cas-ci des groupes de genre.

J'imagine que des bourgeois accuseraient les marxistes-léninistes d'être culpabilisants pour eux car leur classe serait un péché originel (et il y a des bourgeois qui peuvent avoir de très bonnes relations avec leurs employés), je n'y vois aucune différence. Dans les deux cas, il s'agit d'individu appartenant à un groupe social privilégié qui refusent de reconnaître leur appartenance à ce groupe et qui nient donc l'existence de rapports sociaux oppressifs. C'est absolument normal que ces individus cherchent à aller moins loin dans leur analyse que les personnes qui vivent l'oppression et luttent contre, car ils disposent de privilèges qu'ils cherchent à défendre de façon consciente ou inconsciente. Les hommes peuvent littéralement freiner les luttes des femmes, tout comme celà se voit avec la bourgeoisie, ce rapport social est clairement observable.

Il n'est pas pour autant impossible pour un homme de remettre en question ses privilèges, bien que celà occure le plus généralement, réellement, après confrontations et épuisement de femmes féministes investies dans la lutte selon Francis Dupuis Déri. Les hommes doivent du moins rester très critiques par rapport à leur position sociale de genre et par rapport aux autres hommes. Bien qu'un rapport social s'exerce entre des groupes sociaux, ses manifestations concrètes sont quotidiennes. Briser la "solidarité masculine" c'est venir critiquer ses manifestations et remettre en cause au quotidien les privilèges du groupe social privilégié. C'est déjà un pas que les hommes peuvent faire pour aider la lutte des femmes, en tout cas un pas bien plus sûr que de prendre les devants de leurs manifestations ou de prendre aux femmes l'organisation de leur propre lutte.

Finalement, j'aurais voulu revenir également sur un truc que j'ai parlé en première page: la rédition de compte aux femmes féministes. Avec les disempowerment, la pratique de la rédition de compte aux camarades féministes par les hommes proféministes consiste à demander à celles-ci quelles initiatives d'hommes pourrait les aider dans leur lutte. Ça évite ainsi que ceux-ci prennent les devant des mobilisations féministes, ce qui arrivait dans les années 60 et 70 tout comme aujourd'hui, de par des marxistes-léninistes et des libéraux tout comme par des anarchistes. Je crois qu'il vaut vraiment la peine de lire les critiques féministes radicales et libertaires contemporaines des rapports de genre vécus dans les groupes anarchistes et altermondialistes mixtes pour se rendre compte que malgré leurs prétentions, les hommes anarchistes n'ont pas la patte blanche par rapport à la reproduction de rapports de domination. Enfin, ne voyez pas cela comme une flagellation, il s'agit d'une critique très nette.
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede Parpalhon » 17 Jan 2010, 22:46

chaperon rouge a écrit: Je crois qu'il vaut vraiment la peine de lire les critiques féministes radicales et libertaires contemporaines des rapports de genre vécus dans les groupes anarchistes et altermondialistes mixtes pour se rendre compte que malgré leurs prétentions, les hommes anarchistes n'ont pas la patte blanche par rapport à la reproduction de rapports de domination. Enfin, ne voyez pas cela comme une flagellation, il s'agit d'une critique très nette.

Tout à fait d'accord ... moi même j'ai eu l'occasion de constater que le schéma sexiste est souvent reproduit au sein même de groupes de composantes plus ou moins libertaire.
Les filles y ont soi un rôle totalement effacé, et lorsqu'elles parlent personne ne les écoute et on ne leur accorde aucun crédit, même si elles sont parfois les piliers de l'organisation de la vie quotidienne ..
Soi elles jouent le rôle de matrone pour compenser, le rôle de femme autoritaire, qui prend tout en charge, qui parle fort, qui coupe la parole aux autres, exubérante .. bref, la fille qui a besoin de montrer aux gens qu'elle existe.
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En finir avec la masculinité

Messagede Roro » 20 Aoû 2013, 00:40

Je n'ai pas vu de topic sur la déconstruction du genre masculin. Je mets donc ce texte pour ouvrir le débat.

Culpabilité personnelle et responsabilité collective: Le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat comme aboutissement d’un processus collectif.

par léo thiers-vidal

Présentation dans le cadre du Colloque Marx IV – 01/10/04 - Matin, Section " Genre et rapports sociaux " (Nouvelles Questions Féministes)

Lorsque, le 27 juillet 2003, Bertrand Cantat a décidé de frapper - à mort - Marie Trintignant, il a engagé sa responsabilité individuelle pour les conséquences de ses actes - quels que puissent être ensuite ses discours de déni, de reconnaissance partielle, de projection de responsabilité ou de pleine reconnaissance et éventuelle demande de pardon. Si cette dimension subjective, individuelle de la reconnaissance de culpabilité peut être importante pour les personnes proches de Marie Trintignant et la façon dont celles-ci pourront vivre ce meurtre, elle n’évacue évidemment ni la culpabilité individuelle de Cantat, ni la dimension de responsabilité collective pour ce meurtre. J’entends par responsabilité collective le fait que les actes de Cantat peuvent évidemment être analysés comme reflétant son investissement dans la masculinité hétérosexuelle – c’est-à-dire l’investissement subjectif par un humain d’un certain registre de pratiques de soi et des autres, sources de bénéfices structurels considérables. Les actes de Cantat révèlent ainsi le degré de résistance et/ou de complaisance que celui-ci a au préalable développé face à cette socialisation masculine héterosexuelle. Plus spécifiquement, les actes de Cantat peuvent également être analysés comme le produit d’une socialisation masculine spécifiquement de gauche radicale. Et c’est en tant que pratique d’une masculinité hétérosexuelle engagée à gauche que les actes de Cantat peuvent collectivement interroger les hommes hétérosexuels de la gauche radicale.

Lorsque, en tant qu’homme hétérosexuel engagé à gauche, on commence à s’intéresser aux rapports sociaux de sexe - en particulier à travers la grille d’analyse féministe radicale - on est très rapidement confronté à l’absence d’une pratique de la responsabilité individuelle et/ou collective au sein de la gauche radicale. La socialisation de gauche implique souvent une projection de ce qui pose problème dans un autre abstrait - le système capitaliste, l’Etat, les multinationales - ou dans un autre concret - les patrons, les politiciens, les policiers. La rencontre avec le féminisme donne alors souvent lieu à une intégration de le critique féministe selon ce même mode : l’autre abstrait devient le système patriarcal, la socialisation genrée, l’autre concret, les machos, les violeurs. Cette culture politique désincarnée empêche alors souvent ces hommes de jeter un regard politique sur leurs propres pratiques, sur celles au sein de leurs propres collectifs ou organisations et sur celles au sein de leurs vies personnelles. Or cette culture politique désincarnée a une fonction politique précise : le maintien d’une culture politique masculine, c’est-à-dire servant les intérêts et les subjectivités des hommes hétérosexuels de gauche. Cette masculinisation de l’engagement de gauche est donc simultanément une hétérosexualisation : les représentations et pratiques prédominantes de la gauche radicale n’interrogent pas l’organisation hétérosexuelle des rapports sociaux et reconduisent la distinction classique entre vie privée et vie publique. Cette culture politique contribue donc à produire une masculinité hétérosexuelle qui ne s’interroge pas, qui ne doute pas de soi et surtout qui ne tolère pas le fait d’être interrogé par des membres de groupes sociaux subordonnés sur ce qui pose problème dans ses actes, autant au sein de la sphère privée que publique.

L’absence d’une culture de responsabilité, de retours politiques critiques sur soi – ses pratiques, ses émotions, ses désirs, ses objectifs – toujours justifiée au nom d’une cause considérée seule politiquement légitime permet, entre autres, à ces hommes de construire un sentiment moral de puissance, d’intégrité, d’authenticité individuelles devenues synonymes de capacité à agir politiquement sur le monde. Or c’est précisément parce que l’interrogation féministe – en particulier sur le mode " le privé est politique " - bloque ce sentiment moral d’intégrité et d’authenticité, et qu’elle introduit une perception contradictoire de soi comme entre autres négatif, destructeur, violent et égoïste… que les hommes de gauche refusent majoritairement une lecture politique incarnée des rapports sociaux de sexe. S’intégrer soi à cette lecture comme faisant profondément et structurellement partie du problème semble être vécu comme incompatible avec l’engagement politique radical : on ne pourrait et faire parti du problème et vouloir contribuer à sa résolution. Adopter une perception de soi qui est négative et positive et qui oblige avant tout à déplacer la question vers les pratiques et leurs conséquences politiques sur la vie des autres semble alors devenir synonyme de psychologisation, de dépolitisation, de culture chrétienne/stalinienne de culpabilité – ce qui est paradoxal puisque cette culture de l’irresponsabilité sert précisément à sauvegarder un sentiment moral d’intégrité et d’authenticité.

L’analyse féministe des rapports sociaux de sexe invite en effet les hommes à se percevoir comme faisant profondément parti du problème, comme constituant un obstacle structurel à une société égalitaire. Elle invite les hommes à se percevoir non tant comme des individus mais avant tout comme des membres d’un groupe social, grandement dépourvus d’individualité. La réaction masculine courante à l’interrogation féministe consiste alors à dire : " Oui, mais moi je suis différent. D’ailleurs, je l’ai demandé à ma copine, et moi je ne suis pas comme ça. Je vous l’assure, je fais bien la vaisselle ". Un enjeu central d’une lecture anti-masculiniste incarnée des rapports sociaux de sexe consiste alors, à mon avis, bien au contraire à se dire " J’ai beaucoup plus de choses en commun avec Bertrand Cantat que de différent. Les actes meurtriers de Cantat en disent beaucoup plus sur ma façon de vivre et d’agir que je ne veux bien reconnaître ". C’est en effet lorsqu’ils acceptent de se percevoir comme partie intégrante d’une réalité sociologique oppressive que les hommes de gauche peuvent commencer - à l’aide des analyses féministes - à interroger cette réalité depuis leur position vécue, puis à transformer leur façon d’agir et celle de leurs pairs. Il s’agit donc de relire leur vécu et leurs pratiques à travers l’hypothèse que ceux-ci relèvent plus souvent de l’oppression que non plutôt que d’effectuer une telle relecture en postulant une rupture qualitative avec " les machos ".

C’est entre autre dans ce sens qu’un collectif de féministes participant à un séminaire international sur le genre à Budapest en 1997, avaient refusé comme réponse unique l’exclusion d’un homme qui avait violé une femme pendant ce séminaire : elles demandaient à tous les hommes présents de relire leurs comportements et vécus en postulant cette continuité oppressive, refusant ainsi que le " problème patriarcal " soit projeté de façon déresponsabilisante sur l’homme violeur. Elles exigeaient que les hommes – en tant que membres d’un groupe social – effectuent un travail critique personnel et collectif sur leur propre participation à l’oppression des femmes et rendent concrètement accessibles – c’est-à-dire par écrit - les retours critiques sur leurs propres comportements et ce qui avait selon eux rendu possible ce viol. Si cette dynamique critique avait partiellement eu lieu – et uniquement de par la demande répétée de la part de ces féministes – elle avait surtout confirmé l’absence de culture critique chez les hommes de la gauche radicale, même " antisexistes ". En France, c’est également l’absence voire le refus collectif de retour critique sur la masculinité hétérosexuelle de gauche radicale qui avait renforcé une décalage politique genrée lors d’un camping anti-patriarcal en 1995 au sein de la gauche libertaire, d’ailleurs également marqué par des violences masculines contre des participantes.

Il semble donc que ce refus masculin et/ou cette incapacité masculine à développer un regard critique sur les pratiques oppressives vis-à-vis des femmes fassent partie intégrante d’une culture politique de gauche associant automatiquement ce type de travail politique à une pratique stalinienne et/ou chrétienne de culpabilité. La difficulté actuelle de penser la façon dont le " je " masculin hétérosexuel est pleinement structuré par un " nous " oppressif peut, à mon avis, être éclairée à travers les notions de culpabilité personnelle et responsabilité collective. Cette démarche est inspirée d’une conférence donnée par la philosophe féministe Serbe Dasa Duhacek sur la notion de responsabilité collective dans le contexte de l’ex-Yougoslavie, et ce à partir du travail théorique de Hannah Arendt.

Selon Arendt, la notion non-politique de culpabilité s’applique à des personnes et est fonction directe de leurs actes : dans ce sens, Bertrand Cantat est seul coupable de ses actes meurtriers – au sens légal et moral. La notion de responsabilité collective, par contre, fait référence à un registre politique et est fonction de l’appartenance à une communauté sociopolitique. Ce qui distingue la responsabilité collective, c’est le fait que celle-ci est indirecte (vicarious) et involontaire : elle concerne donc des choses que la personne citoyenne n’a pas faite elle-même et elle résulte d’une appartenance non-choisie (au sens plein du terme) à une communauté politique. L’idée d’une responsabilité collective peut alors être comprise comme l’obligation politique d’appréhender les charges autant que les bénéfices liés à l’appartenance à un groupe sociopolitique précis. Pour citer Arendt 1 : " This vicarious responsibility for things we have not done, this taking upon ourselves the consequences for things we are entirely innocent of, is the price we pay for the fact that we live our lives not by ourselves but among our fellow men, and that the faculty of action, which, after all, is the political faculty par excellence, can be actualised only in one of the many and manifold forms of community " (1987: 50).

Or une des résistances récurrentes à cette notion de responsabilité collective provient paradoxalement du fait qu’elle n’est pas entendue comme notion politique mais comme notion morale : ceux-la même qui rejettent le travail politique féministe en agitant l’épouvantail de la culpabilité chrétienne et/ou stalinienne, refusent de voir la façon dont leur position vécue et leur pouvoir d’action sont sociologiquement fonction de leur appartenance à un groupe social. De nouveau, la vision désincarnée règne : si les hommes hétérosexuels de la gauche radicale sont généralement bien obligés de reconnaître les privilèges structurels de genre dont ils bénéficient, ils refusent de voir non seulement la façon dont eux-mêmes participent à cette reproduction de l’inégalité de genre mais également la façon dont ces privilèges sont une production collective de la part de leur groupe sociopolitique – préférant maintenir leur attachement à un sentiment moral d’intégrité.

Or lorsqu’on tente de développer un regard critique anti-masculiniste sur sa position vécue et ses actes, de nouveau la distinction entre culpabilité personnelle et responsabilité collective est pertinente. Si la grille de lecture féministe permet d’identifier les actes pour lesquels la responsabilité personnelle et directe est bien en jeu comme l’exploitation domestique, les violences physiques et sexuelles ou l’instrumentalisation des femmes… elle accentue également la dimension collective, institutionnelle et structurelle des rapports sociaux de sexe, c’est-à-dire ce en quoi l’appartenance sociopolitique à la masculinité hétérosexuelle peut être lue comme une absence d’individualité. Et la dimension politique de la responsabilité collective permet alors de ne pas penser ce dernier registre en terme de culpabilité collective - ce qui donne lieu à des sentiments moraux foncièrement axés sur soi-même donc non politiques - mais comme exigeant justement " une transcendance de l’état subjectif individuel ", un décentrement de soi vers les autres qui passe avant tout par l’action politique, dans la sphère privée et publique.

Développer un regard politique sur la responsabilité collective corrélée à l’appartenance à la masculinité hétérosexuelle implique donc avant tout de s’intéresser au monde où les actes sont commis et aux conséquences de ces actes pour les humains n’appartenant pas à ce groupe sociopolitique – et non de s’arc-bouter sur un sentiment moral d’intégrité et d’authenticité. Il implique d’agir aujourd’hui sur les conditions qui ont rendu possible la décision de Bertrand Cantat de porter des coups meurtriers contre Marie Trintignant, en particulier les conditions liées à son appartenance à la gauche radicale. C’est dans ce sens qu’il est à mon avis possible de parler du meurtre de Marie Trintignant comme étant également un aboutissement d’un processus collectif impliquant une responsabilité collective spécifique.
Notes 1- ‘Collective Responsibility’ [1969] in James Bernauer (ed.) Amor Mundi: Explorations in the Faith and Thought of Hannah Arendt, (Dordrecht: Martinus Nijhoff, 1987).
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede Pïérô » 02 Jan 2015, 10:37

Petit guide de «disempowerment» pour hommes proféministes

Petit guide de «disempowerment» pour hommes proféministes

par Francis Dupuis-Déri

Plus souvent qu’on pourrait s’y attendre, des féministes suggèrent qu’il faudrait que plus d’hommes se joignent à leur lutte pour la liberté des femmes et l’égalité entre les sexes. Certaines féministes appellent aussi les hommes à s’engager dans leur mouvement car elles considèrent que le féminisme est bon pour les hommes et pourrait même les libérer des contraintes psychologiques et culturelles que leur imposeraient le patriarcat et le sexisme (c’est, entre autres, la position de bell hooks [2004]). D’autres restent sceptiques face aux hommes qui se disent sympathiques au féminisme, puisque tous les hommes tirent avantage, d’une manière ou d’une autre, du patriarcat et que ces « alliés » ne font souvent que reproduire la domination masculine au sein des réseaux féministes (Blais 2008; Delphy 1998).

Du côté des hommes qui s’identifient comme «proféministes» ou même «féministes», nous nous contentons le plus souvent de nous déclarer pour l’égalité entre les sexes et de déployer quelques efforts pour être respectueux envers les femmes et pour effectuer un peu plus de tâches domestiques et parentales que les autres hommes. Peu nombreux sont ceux qui se mobilisent activement dans les réseaux militants et féministes. Ainsi, trop souvent, les hommes proféministes parlent au nom des féministes, tirent avantage de leur engagement (notoriété, légitimité, etc.) et peuvent aussi harceler et agresser sexuellement des militantes (comme le révèlent des exemples historiques et contemporains, dont des cas survenus lors de la grève étudiante au Québec en 2012). On comprend alors que des féministes peuvent accueillir les hommes proféministes avec méfiance.

D’autres mouvements d’émancipation ont connu cette figure paradoxale et problématique du compagnon de route, membre de la classe privilégiée et dominante. Du côté de la lutte contre le racisme, par exemple, le mouvement contre l’Apartheid en Afrique du Sud et contre la ségrégation aux États-Unis, pour ne nommer que ceux-là, ont dû composer avec des activistes antiracistes membres de la majorité dite «blanche». D’ailleurs, Stokely S. Carmichaël (1968 : 100), un militant afro-américain, rappelait que «[l]’une des choses les plus troublantes avec presque tous les sympathisants blancs du mouvement a été leur peur d’aller dans leur propre communauté, là où sévit le racisme, et de travailler à le supprimer. Ce qu’ils veulent, c’est […] nous dire quoi faire dans le Mississipi», alors qu’il aurait été plus utile qu’ils s’engagent contre le racisme dans leur communauté d’origine européenne (Carmichaël 1968 : 100 ; voir aussi McAdam 2012 : 203-208).

Il n’est donc pas surprenant que ce type d’alliance politique provoque souvent des malaises, des tensions et des conflits, au point où des groupes finissent par expulser les membres de la classe privilégiée et dominante, et décident de s’organiser en non-mixité, quitte à participer aussi à des alliances et à des coalitions mixtes. En se dotant de lieux ou de moments non-mixtes ou «séparés», il est en effet plus facile d’échanger au sujet d’expériences individuelles, de parler de ses blessures, de ses traumatismes, de ses peurs, de ses déceptions et de ses espoirs, puis, par la suite, de développer une conscience et une analyse collectives afin d’identifier des objectifs et de déterminer des moyens d’actions adéquats (Hanish 2000). La non-mixité a été particulièrement importante pour que les femmes puissent prendre conscience du caractère systémique des violences masculines (Romito, 2009, 60).

Le pouvoir individuel et collectif qui se développera alors pourra servir à créer un rapport de force dans des lieux et des moments mixtes face ou aux côtés des membres de la classe privilégiée et dominante. Ce processus a été nommé, en anglais, empowerment, un terme qui ne connaît pas de traduction française tout à fait satisfaisante (on hésite encore entre autonomisation, capacitation, «appropriation du pouvoir» [Guberman 2004], «empouvoirer» [Cardinal et Andrew 2000 : 34]). L’expression a été reprise par diverses forces et tendances politiques, y compris des agences de gestion et des institutions internationales associées au néolibéralisme. Cela dit, du côté des féministes, l’empowerment désigne un processus individuel et collectif qui implique à la fois une prise de conscience politique, le développement d’une force politique et, par conséquent, d’une capacité d’agir de manière autonome individuellement et collectivement pour obtenir l’égalité sociale (Fortin-Pellerin 2006; Bacqué et Biewener 2013).

Quelle place peuvent jouer les hommes dans ce processus d’empowerment des femmes? La réponse à cette question mérite une précision, à savoir de quelles femmes et de quels hommes s’agit-il, puisque la situation n’est pas tout à fait la même si on est d’une catégorie racialisée dominante ou subalterne, pauvre ou riche, hétérosexuel, gay, transgenre ou transsexuel (Baril 2009). Dans cette perspective, conscient que ma posture n’est pas universelle, je vais proposer ici l’ébauche d’un guide pour proféministes, en m’inspirant des très nombreuses discussions que j’ai eues avec des féministes, de mes lectures de textes militants sur la question, et de mon expérience d’homme ayant des pratiques hétérosexuelles, économiquement privilégié, vivant en Amérique du Nord et descendant des populations colonisatrices européennes.

Si le féminisme rend possible l’empowerment des femmes, il me semble problématique de considérer qu’il devrait aussi permettre l’empowerment des hommes. Le patriarcat est un système dans lequel, précisément, les hommes disposent d’un pouvoir sur les femmes, la classe des hommes dominant, opprimant, exploitant et excluant la classe des femmes. Dans une perspective de justice, d’égalité, de liberté et de solidarité entre les sexes, ce n’est donc non pas l’empowerment qui convient pour les hommes, mais le disempowerment. Selon les dictionnaires anglophones Oxford et Collins, le disempowerment désigne ce qui consiste à «rendre (un individu, un groupe) moins puissant ou moins confiant» (Oxford) ou à «priver (un individu) de pouvoir ou d’autorité» (Collins).

Le disempowerment des hommes n’implique pas de réduire notre capacité d’agir ou d’être moins confiants et moins puissants en tant qu’êtres humains, mais en tant qu’hommes et donc en tant que membre de la classe dominante et privilégiée dans le patriarcat. L’engagement des hommes dans un processus individuel et collectif de disempowerment consiste à réduire le pouvoir que nous exerçons individuellement et collectivement sur les femmes, y compris les féministes. Certes, l’empowerment des femmes et des féministes dépend d’elles-mêmes et aucun homme ne peut émanciper les femmes à leur place ou en leur nom. Cela dit, le disempowerment des hommes doit faciliter l’empowerment des femmes.

Cette proposition de disempowerment évoque la distinction, avancée par des féministes (French 1986 : 524-532; Kruzynski 2004 : 251-252), entre diverses formes de pouvoir, d’une part le «pouvoir sur» qui désigne la domination (j’exerce mon pouvoir sur une ou des femmes), et d’autre part le «pouvoir de», c’est-à-dire la capacité d’agir et de faire (j’ai le pouvoir de faire ceci ou cela). L’empowerment féministe des femmes consiste donc à développer leur pouvoir de, soit leur capacité d’agir et de faire, alors que le disempowerment des hommes proféministes consiste à réduire notre pouvoir sur les femmes et les féministes avec pour objectif sa disparition complète. Il s’agit alors de travailler contre les institutions, les actes et les attitudes qui produisent et consolident, au niveau individuel et collectif, notre statut masculin et notre pouvoir sur les femmes.

Par ailleurs, des féministes ont également identifié l’importance du «pouvoir avec», c’est-à-dire «de collectiviser et de partager le pouvoir» d’agir et de faire à travers des réseaux d’alliances (Kruzynski 2004 : 252). À l’inverse, le disempowerment implique de réduire notre pouvoir avec les autres hommes, soit la complicité et la solidarité entre hommes. D’ailleurs, même bell hooks, plutôt optimiste quant à la participation des hommes au féminisme, précise que notre «contribution à apporter à la lutte féministe» consiste à «exposer, confronter, opposer et transformer le sexisme de [nos] pairs masculins» (hooks 1984 : 81).

Je vais maintenant proposer une liste d’attitudes ou comportements qui pourraient participer de ce processus de disempowerment. Il ne s’agit pas ici d’une liste complète, et chaque élément mériterait une discussion approfondie pour prendre en considération la pluralité des situations possibles, y compris en regard d’autres systèmes de domination (étatisme, racisme, classisme, etc.). Il importe aussi, à chaque fois, de réfléchir aux désavantages potentiels de l’engagement des hommes proféministes pour les femmes du mouvement féministe. À titre d’illustration, voici un paradoxe inhérent à la posture de l’homme identifié comme proféministe : il incarne le rôle patriarcal du protecteur ou sauveur des femmes face à d’autres hommes prédateurs ou agresseurs (ici, les antiféministes), ce qui lui permet de tirer des bénéfices puisque des femmes peuvent alors se sentir redevables ou dépendantes de cette protection reçue (Blais 2009; Young 2007, p. 118 et suiv., Nayak 2006, p. 49). Pour rappeler le caractère paradoxal et problématique de l’homme identifié comme proféministe, chaque proposition proféministe sera accompagnée d’une brève mise en garde évoquant des effets potentiellement négatifs pour les féministes. Cet exercice en deux temps a pour objectif de garder à l’esprit que malgré nos bonnes intentions, ce que nous faisons (ou pas) comme proféministe peut toujours avoir des effets négatifs, à tout le moins pour quelques féministes. Enfin, je dois préciser que la plupart des idées et réflexions proposées ici ne sont pas de moi, puisqu’elles m’ont été inspirées par mes lectures de féministes (entre autres, Blais 2008 ; Delphy 1998 ; Monnet 1998) ou d’autres proféministes (Stoltenberg 2013 et Thiers-Vidal 2013), par mon expérience militante (par exemple, dans la Coalition antimasculiniste et dans Hommes contre le patriarcat), par des rencontres et des discussions dans des réseaux féministes et anarchistes en France et au Québec et par des documents qui y circulent, en particulier la brochure «12 suggestions pratiques destinées aux hommes qui se trouvent dans des espaces féministes» et un texte sur la «langue macho» ou «langue de domination» repris par le collectif québécois de féministes radicales Némésis.

Guide de disempowerment proféministe (inspiré de diverses sources)

• Laissons leur lutte aux féministes : toujours se rappeler que la lutte féministe est la lutte des femmes, et non la nôtre.
Attention : des féministes pourraient souhaiter que nous soyons plus actifs dans notre engagement politique, surtout que plusieurs proféministes se complaisent dans l’auto-culpabilisation et se réfugient dans l’apathie.

• Nous sommes des auxiliaires : puisque c’est leur lutte et non la nôtre, nous ne devons être qu’auxiliaires, c’est-à-dire ne pas en prendre la direction, ne pas donner d’ordres. Même si nous rêvons, pour l’avenir, d’une société égalitaire, il importe, dans le contexte présent, de laisser aux féministes les rôles et les tâches d’influence et de prestige et d’accepter les tâches que les féministes nous encouragent à accomplir, y compris des tâches auxiliaires, comme par exemple organiser la logistique avant un évènement féministe et faire le ménage. Les rôles de sexe conventionnels sont ici inversés, justement dans une optique de disempowerment.
Attention : des féministes peuvent souhaiter que nous prenions plus d’initiative et d’autres seront heurtées par le fait qu’on nous remerciera et nous félicitera pour avoir effectué des tâches moins prestigieuses, comme par exemple laver la vaisselle lors d’un évènement féministe.

• Prenons garde à la facilité : il est souvent plus facile de reproduire les normes de genre que de les contester ou de les subvertir, et il n’est donc étonnant que des féministes nous encouragent à effectuer des tâches que la convention associe à la masculinité, comme prendre la parole en public, manipuler un ordinateur, assurer la sécurité physique d’un évènement, etc. Même si nous répondons alors aux demandes des féministes, il faut se rappeler que les rôles de sexe sont des constructions sociales, et il peut être opportun de proposer d’effectuer certaines de ces tâches avec des féministes pour qu’il y ait un partage des connaissances et un transfert des compétences.
Attention : les féministes sont conscientes de ces enjeux, mais elles peuvent avoir décidé d’exprimer de telles demandes pour sauver du temps, pour s’assurer d’une division des tâches, etc.

• Nous ne sommes pas essentiels et nous sommes parfois même indésirables : il est possible qu’en certaines occasions ou même plusieurs, des féministes ne nous veulent ni à leurs côtés, ni avec elles, et qu’elles aient envie d’être entre elles (non-mixité). Si elles nous excluent, elles ont certainement des bonnes raisons.
Attention : la situation des femmes et des hommes dans le patriarcat n’est pas la même. Conséquemment, le besoin et l’utilité de la non-mixité pour des femmes et des féministes ne signifie pas que la non-mixité masculine est tout aussi légitime et nécessaire (l’histoire des années 1980-1990 montre que les discours antiféministes masculinistes sont apparus dans des groupes de discussion d’hommes qui échangeaient au sujet de la «condition masculine» et qui ont petit-à-petit commencé à critiquer les féministes et les femmes, surtout leurs conjointes ou ex-conjointes).

• N’attendons pas qu’elles nous expliquent : les féministes ont déjà beaucoup à faire, essayons donc de nous informer nous-même au sujet du féminisme et du patriarcat, par des livres, des films et des vidéos ou d’autres sources (pour ma part, j’ai trouvé beaucoup d’inspiration chez des auteures féministes comme Christine Delphy, Patricia Hill Collins, Colette Guillaumin, Catharine MacKinnon, Monique Wittig, Virginia Woolf. Il y en a bien d’autres). Le savoir que nous acquerrons doit servir à produire du changement en nous et chez les autres hommes.
Attention : il est facile de devenir présomptueux et de chercher du prestige et de l’influence en assenant des vérités féministes aux femmes et aux féministes. L’apport incontournable des femmes et des féministes ne doit pas être masqué mais au contraire rendu visible: nous ne sommes pas nés proféministes.

• Choisissons l’écoute active plutôt que la surdité défensive: quand des féministes nous expliquent ou nous critiquent, nous commençons souvent par entendre sans écouter ni comprendre ce qu’elles nous disent, alors qu’il faut aussi écouter, puis comprendre, et finalement agir ou cesser d’agir en conséquence. L’engagement proféministe n’est ni un pur exercice mental, ni un dilettantisme politique, ni une déclaration identitaire. La lutte contre le patriarcat et la classe des hommes nécessite des actes concrets et effectifs.
Attention : quand nous commençons à comprendre les véritables implications du féminisme, nous réalisons que nous devons accepter de perdre du pouvoir et des privilèges associés à notre position d’homme et nous risquons alors d’abandonner nos positions proféministe et même de devenir antiféministes.

• Rappelons-nous que si nous comprenons peut-être le patriarcat, ce sont les femmes qui le subissent: malgré toutes nos réflexions et nos beaux principes, les féministes subissent le patriarcat, et, pour cela, elles comprennent mieux que nous sa nature injuste et destructrice. Quand nous discutons avec des féministes au sujet des agressions sexuelles, par exemple, rappelons-nous toujours que les femmes qui nous parlent ont peut-être vécu cette expérience dans leurs corps, qu’elles en gardent encore les marques et qu’elles en ont une intelligence concrète, et que, par conséquent, il est justifié qu’elles nous soupçonnent d’avoir été, ou d’être, un agresseur réel ou potentiel.
Attention : il s’agit pour nous d’accepter et d’apprendre de ce vécu et non de le discréditer en prétendant que cette expérience provoque chez ces femmes des émotions trop fortes qui minent leur raison (d’ailleurs, l’idéologie patriarcale distingue arbitrairement la raison et l’émotion et prétend qu’un enjeu n’est compréhensible que par la raison pure). Nous devons intégrer ce type d’analyse: «Celles ou ceux qui n’ont pas subi de violences sexuelles auront peut-être du mal à comprendre pourquoi les femmes qui survivent à l’agression se font souvent des reproches. […] Ils ne savent pas qu’il peut être moins pénible de croire qu’on a fait quelque chose de blâmable que de penser qu’on vit dans un univers où l’on peut être agressé à n’importe quel moment, n’importe où, simplement parce qu’on est une femme» (Susan J. Brison 1993).

• Les bavards, c’est nous : contrairement au sens commun, nous parlons en général plus que les femmes, surtout en présence de femmes, et nous avons tendance à leur couper la parole, à redire ce qu’elles viennent de dire, à parler à leur place, à leur dire ce qu’elles devraient penser et faire, à ramener la discussion à nous et à nos préoccupations. Il est donc important d’apprendre à nous taire ou à moins parler et à ne pas toujours être au centre de la conversation.
Attention : notre écoute peut paraître paternaliste si nous insistons pour que des femmes parlent dans une réunion mixte, par exemple. Il importe donc de bien exposer les motifs de cette préoccupation, et il est sans doute préférable d’indiquer que les hommes parlent trop, plutôt que de souligner que les femmes ne parlent pas.

• Assumer qu’en tant qu’homme dans le patriarcat, nous avons du pouvoir et des privilèges face aux femmes et que des féministes peuvent nous critiquer : il faut admettre que nous avons déjà commis, en tant qu’homme, des injustices envers des femmes, nous en commettons présentement et nous en commettrons dans le futur. Nous avons profité du travail gratuit de notre mère, nous n’avons pas respecté le principe du consentement lors de relations sexuelles avec d’anciennes copines, nous avons manœuvré pour qu’une ancienne amante enceinte choisisse l’avortement parce que nous ne voulions pas assumer la paternité, nous ne prenons pas nos responsabilités face aux tâches domestiques et parentales, nous jouissons de privilèges et d’avantages sur le marché de l’emploi, etc. Bref, nous faisons partie du problème et nous pouvons être la cible légitime de critiques et d’attaques féministes en tant qu’homme et même en tant que proféministe. Il faut l’admettre, mais aussi chercher si possible réparation et agir pour favoriser la transformation sociale collective. Il faut aussi se rappeler qu’il n’est pas facile pour les féministes de porter la critique, car elles connaissent la violence antiféministe qui consiste à leur reprocher de semer la zizanie et d’être hystériques.
Attention : des féministes pourront penser qu’on accepte la critique et même qu’on se déclare coupable pour terminer la discussion et, finalement, faire taire la critique. Il est tentant de jouer de l’auto culpabilisation paralysante («Je ne ferais rien puisque je ne fais jamais rien de bien…»), mais sans déployer d’effort pour changer et s’améliorer.

• Admettre ses erreurs: se déclarer «proféministe» ne suffit pas à nous élever au-dessus de la classe des hommes ou à nous placer hors du patriarcat et de la domination masculine. Nous allons commettre des erreurs politiques. Si des féministes acceptent et même apprécient notre engagement politique, d’autres ressentent un malaise, pour diverses raisons : elles nous connaissent et savent que nous pouvons agir en patriarche ou en macho, elles considèrent que notre présence nuit à la cohésion du mouvement, favorise une modération des positions politiques, etc. Admettons nos erreurs et acceptons la critique sans chercher à répliquer, se justifier, ni même à s’expliquer, et cherchons à nous améliorer.
Attention : ne jouons pas la victime pour obtenir la pitié ou la clémence des féministes, sur le mode de «Ah! je suis bouleversé de réaliser à quel point la classe des hommes domine les femmes, à quel point j’ai abusé de ma position de dominant… Ah! je me sens coupable, je suis malheureux!» Les féministes ne sont pas là pour nous consoler de notre «malheur de dominant», et il ne faut pas croire que les féministes se sentaient joyeuses lorsqu’elles ont pris conscience de l’impact du patriarcat et du sexisme dans leur vie passée, présente et à venir.

• L’hétérosexualité comme problème : évidemment, éviter la drague manipulatrice, être attentif au consentement, etc.
Attention : notre proféminisme affiché peut être rassurant, voire charmant aux yeux de certaines féministes, surtout celles ayant des pratiques hétérosexuelles. Dans un tel contexte, il est donc encore plus important de ne pas pratiquer la manipulation sentimentale et la consommation des cœurs et des corps.

• Briser la solidarité entre mâles : une domination de classe se maintient d’autant mieux que les dominants sont solidaires les uns des autres, et entretiennent leur «pouvoir avec» les autres dominants. Il ne faut donc pas éviter de confronter nos amis et camarades dans leur sexisme (y compris lorsqu’il s’exprime sur le mode de l’humour) et il faut savoir se mettre en retrait du débat public quand un ami ou un proche est la cible de critiques féministes, car il est très difficile de rester cohérent, d’un point de vue politique, si nous avons des liens forts avec le protagoniste. Être proféministe, c’est parfois accepter de perdre des camarades et des amis qui ont des attitudes et comportements inacceptables envers les femmes et les féministes.
Attention : il faut éviter de se croire supérieur aux autres hommes et de penser que le problème, ce n’est jamais nous mais seulement eux : les masculinistes, les machos, les curés, les fascistes, etc.

• «Boys watch» («veille masculine») entre proféministes : briser la solidarité entre mâles, cela signifie qu’en tant qu’auxiliaires des féministes, les hommes proféministes peuvent consciemment et explicitement se donner le rôle de surveiller les autres hommes, y compris les autres proféministes, pour «exposer, confronter, opposer» le sexisme et l’antiféminisme des autres hommes et les attitudes et comportements problématiques.
Attention : ne pas oublier que les féministes savent bien se défendre elles-mêmes et qu’elles peuvent trouver pénible nos «combats de coqs», car les proféministes sont parfois en compétition entre eux pour paraître aux yeux des féministes comme le plus grand des proféministes.

• Attention aux clivages : le féminisme est un vaste mouvement qui compte plusieurs tendances, et les débats y sont parfois vifs au point où surgissent des clivages et des inimitiés. En tant qu’hommes proféministes, nous nous sentons probablement plus d’affinités avec certaines féministes, mais ce n’est pas à nous de départager publiquement entre les «bonnes» et les «mauvaises» féministes.
Attention : des féministes pourront nous critiquer parce que nous nous cantonnons dans la facilité de la neutralité ou dans la mise en retrait, et souhaiter que nous prenions ouvertement leur parti dans des débats fondamentaux, et parfois douloureux, même si, ce faisant, nous nous trouvons en opposition avec d’autres féministes.

• Reddition de comptes : dans la mesure du possible, consulter des féministes avant d’agir et valider, avec des féministes, si nos actions sont légitimes de leur point de vue, par exemple avant d’écrire et de publier un texte proféministe, d’organiser un évènement féministe, etc. Cela permet de résoudre certaines dérives potentielles mais dans la mesure où la reddition de comptes dépend du bon vouloir des hommes, elle a des limites certaines.
Attention : cela implique évidemment que les féministes consacrent du temps et de l’énergie à nous conseiller. De plus, il est généralement possible pour un proféministe de «choisir» des féministes sur l’appui desquelles il peut compter. Comme le mentionnait un proféministe aux États-Unis dans les années 1980, « [é]couter les voix des femmes ne signifie pas écouter cette femme-ci ou cette autre femme là-bas, ou essayer de comprendre quel groupe de femmes écouter. Il s’agit plutôt de comprendre comment entendre la voix collective des femmes battues et du mouvement regroupant ces femmes » (Cohen 2013).

En résumé, il faut (1) se rappeler que nous ne sommes que des auxiliaires des féministes; ce qui signifie (2) être attentif aux besoins des féministes et à leur écoute ; (3) s’informer auprès d’elles avant d’agir et se donner les moyens de répondre à leurs attentes lorsqu’elles nous sollicitent ; (4) tout en restant conscients que nos actions (ou notre inaction) peuvent toujours avoir des conséquences négatives pour certaines femmes et féministes.

Enfin, ce guide reste partiel et mériterait d’être développé et complété selon vos expériences et la diversité des situations. Il est évident que l’engagement proféministe ne se limite pas aux espaces militants. L’activisme public n’est pas une sphère à part où nous devrions chercher une cohérence politique. L’engagement conséquent des hommes identifiés comme des proféministes s’inscrit dans le quotidien et dans toutes les sphères où nous sommes présents.


NOTE : J’ai développé plus longuement mes réflexions sur les hommes proféministes dans le texte «Les hommes proféministes : Compagnons de route ou faux amis ?», Recherches féministes, 21 (1), 2008. L’idée originale du «disempowerment» a émergé au Salon du livre anarchiste de Montréal à l’occasion d’un atelier organisé et animé par le collectif de féministes radicales Les Sorcières. Après qu’elles aient demandé aux hommes de sortir pour poursuivre l’activité entre femmes, quelques hommes ont discuté entre eux et débattu de « disempowerment ». Même si les propos avancés ici n’engagent que moi, je remercie vivement, pour avoir commenté des versions préliminaires de ce texte, Mélissa Blais, Ève-Marie Lampron, Isabelle Lavoie, Geneviève Pagé, Sylvain du Collectif stop masculinisme, Yeun Lagadeuc-Ygouf, et toutes les autres personnes avec qui j’ai discuté de ces enjeux.

Bibliographie

Baril, Alexandre. 2009. «Transsexualité et privilèges masculins : fiction ou réalité ?», dans Line Chamberland et al. (dir.). Diversité sexuelle et constructions de genre, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 263-295.
Biewener, Carole, Bacqué, Marie-Hélène. 2013. L’empowerment, une pratique émancipatrice, Paris, La Découverte.
Blais, Mélissa. 2009. «Polytechnique : en souvenir de la féministe inconnue», 7 février, site
Blais, Mélissa. 2008. «Féministes radicales et hommes proféministes : L’alliance piégée ?», F. Dupuis-Déri (dir.), Québec en mouvements : idées et pratiques militantes contemporaines, Montréal, Lux.
Brison, Susan J. 1993. «Survivre à la violence sexuelle : une perspective philosophique», Projets féministes, n°2.
Cardinal, Linda, Andrew, Caroline. 2000. La démocratie à l’épreuve de la gouvernance, Ottawa, Presse de l’Université d’Ottawa.
Carmichaël, Stokely S. 1968. «Pouvoir et racisme», Yves Loyer (dir.), Black power – étude et documents, Etudes et documentation internationales (EDI).
Cohen, Jonathan. 2013 (1987). «Rendre des comptes — un choix politique», sur le site Web «Scènes de l’avis quotidien : en finir avec la masculinité».
Delphy, Christine. 1998. «Nos amis et nous : Fondements cachés de quelques discours pseudo-féministes», C. Delphy, L’Ennemi principal I : Économie politique du patriarcat, Paris Syllepse, p. 167-216;
Fortin-Pellerin, Laurence. 2006. «Contributions théoriques des représentations sociales à l’étude de l’empowerment : le cas du mouvement des femmes», Journal international sur les représentations sociales, vol. 3, no. 1, décembre, p. 57-67.
French, Marilyn. 1986. La Fascination du pouvoir, Paris, Acropole.
Guberman, Nancy. 2004. «Appropriation du pouvoir et démocratie : L’un va-t-il sans l’autre?», Nancy Guberman, Jocelyne Lamoureux, Jeniffer Beeman, Danielle Fournier, Lise Gervais, Le défi des pratiques démocratiques dans les groupes de femmes, Montréal, Saint-Martin.
Hanish, Carol. 2000. «The personal is political», Barbara A. Crow (dir.), Radical Feminism : A Documentary Reader, New York, New York University Press, p. 113-116.
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Kruzynski, Anna. 2004. «De l’Opération SalAMI à Némésis : Le cheminement d’un groupe de femmes du mouvement altermondialiste québécois», Recherches féministes, vol. 17, no. 2, p. 227-262.
McAdam, Doug. 2012. Freedom Summer : Luttes pour les droits civiques Mississippi 1964, Marseille, Agone.
Monnet, Corinne. 1998. «La répartition des tâches entre les femmes et les hommes dans le travail de la conversation», Nouvelles questions féministes, vol. 19.
Nayak, Meghana. 2006. «Orientalism and ‘saving’ US State identity after 9/11», International Feminist Journal of Politics, vol. 8, no. 1.
Romito, Patrizia. 2006, Un silence de mortes: La violence masculine occultée, Paris, Syllepse.
Stoltenberg, John. 2013. Refuser d’être un homme : Pour en finir avec la virilité, Paris-Montréal, Syllepse-M.
Thiers-Vidal, Léo. 2013. Rupture anarchiste et trahison pro-féministe, Lyon, Bambule.
Young, Iris Marion. 2007. Global Challenges: War, Self-Determination and Responsability for Justice, Cambridge (GB), Polity.

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Re: Hommes proféministes ?

Messagede Blackwater » 02 Jan 2015, 10:56

Excellent texte, merci! sm 26
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede icioula » 02 Jan 2015, 11:10

C'est marrant de déterrer un vieux sujet :)
Je trouve le texte ci-dessus intégralement intéressant et à la fois intégralement bloquant...
Depuis que j'avais ouvert ce fil, j'ai eu le temps de gamberger...
J'ai l'impression qu'il y a une compétition à plus pro-féministe que moi tu meurs...
On en arrive à ce genre de texte qui est juste, mais qui est complètement bloquant, pour nous hommes qui depuis déjà longtemps ont bossé la question, ont changé certains de nos comportements, et surtout veulent aussi lutter contre notre assignation d'homme viril etc...

Je continue à rester sur cette position, que ne me reconnaissant pas dans l'assignation "homme" que m'impose la socièté, je cherche à m'en libérer...
Et que bien sûr, ça passe par la reconnaissance de mes privilèges etc... Mais après se pose la question que faisons-nous pour nous?
Ce qui inclus des alliances avec des féministes, indispensables mais pas suffisantes...
Bon faudrait creuser le truc... :) :)
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede Lila » 12 Fév 2017, 20:55

Petit guide à l'intention des hommes dégoutés par le patriarcat

Être un homme dans une culture patriarcale, c'est être placé devant le choix d'agir contre la domination de la moitié de l'humanité ou de contribuer à la perpétuer. Ne rien faire, c'est donner son consentement à la domination. Cela étant dit, il n'est pas toujours facile de voir ce qui peut être fait pour ne pas être un vecteur de domination. Voici quelques exemples de comportements et d'attitudes qui ont le potentiel de faire une différence.

à lire : http://quebec.huffingtonpost.ca/william ... 19690.html
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede bipbip » 10 Juin 2017, 13:24

De la masculinité à l’anti-masculinisme : penser les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive

Par Léo Thiers-Vidal, qui a travaillé sur le masculinisme, le pro-féminisme...

Dans cet article, je propose une réflexion sur la manière dont les chercheurs-hommes engagés dans la lutte contre l’oppression des femmes par les hommes peuvent optimiser leur efficacité politique et scientifique dans l’analyse des rapports sociaux de sexe [1].

En effet, lorsqu’ils prétendent produire des analyses non biaisées et pertinentes, ils sont confrontés à une double difficulté : d’une part comprendre pleinement des analyses féministes qui désignent leur existence comme source permanente d’oppression des femmes ; d’autre part apprendre à gérer les conflits intérieurs qui en découlent de façon à leur permettre un regard productif, impliqué autant que distancié, sur leur construction et leur action oppressives.

L’étude des rapports sociaux de sexe pose avec insistance la question du lien entre sujet connaissant et objet de recherche : en raison de l’ancrage identitaire, affectif, sexuel et corporel qu’engendre l’organisation spécifique des rapports sociaux de sexe, tout questionnement politique et théorique implique que les chercheurs-hommes engagés réévaluent leur construction et leur vécu personnels. En tant que membres du groupe oppresseur, ils doivent apprendre que leur subjectivité est structurée par la position masculine, c’est-à-dire par le fait qu’ils bénéficient de richesses matérielles, de libertés sociales, de qualités de vie et de représentations androcentriques dans la mesure même où ils oppriment les femmes. Les chercheurs-hommes engagés doivent alors, pour produire des analyses non biaisées et pertinentes, élaborer une conscience anti-masculiniste [2] : une conscience de leur structuration subjective particulière en tant qu’oppresseur ainsi que la conscience qu’il leur faut développer des façons de saisir pleinement les conséquences de cette structuration pour ne pas reproduire des biais masculinistes. La question centrale émergeant d’une telle conscience est la suivante : de quelle façon la position dominante produite par l’action oppressive structure-t-elle le rapport épistémologique au sujet même des rapports sociaux de sexe ? Autrement dit, de quelle façon les analyses sur les rapports sociaux de sexe sont-elles influencées, voire limitées, par l’appartenance des chercheurs-hommes engagés au groupe social des hommes ?

Analyse des rapports sociaux de sexe : le décalage genré

Plusieurs chercheuses féministes ont pensé le lien entre la position sociale des femmes et l’analyse féministe des rapports sociaux de sexe. Christine Delphy écrit ainsi dès 1975 : « L’oppression est une conceptualisation possible d’une situation donnée ; et cette conceptualisation ne peut provenir que d’un point de vue, c’est-à-dire d’une place précise dans cette condition : celle d’opprimé » (1998 : 281). Pourtant, peu de chercheurs-hommes engagés ont tenu compte de cet aspect. Au mieux le prennent-ils en compte de façon sélective, rappelant une certaine idée différentialiste de la complémentarité : les hommes seraient moins bien placés pour penser le vécu opprimé, mais ils seraient autant, voire davantage capables de penser le vécu oppresseur, d’où la nécessité d’impliquer plus d’hommes dans les recherches féministes (Welzer-Lang, 1999). Il me semble crucial d’approfondir cette question épistémologique, car elle conditionne le rapport des chercheurs-hommes engagés au sujet des rapports sociaux de sexe. Analyser les effets de la position sociale sur la production de savoir peut avoir des répercussions importantes sur l’imaginaire masculiniste du « sujet connaissant neutre, autonome et rationnel » qui nie toute particularité liée au vécu masculin. Cette analyse peut également transformer la façon de s’inscrire dans la recherche masculine engagée : face aux analyses féministes, les chercheurs-hommes engagés ont souvent l’impression qu’ils doivent choisir entre reprendre de façon mimétique et culpabilisée ces analyses, ou développer un propre ordre du jour indépendant et libératoire (Welzer-Lang, 1996). Poser la question épistémologique du lien entre position sociale masculine et analyse des rapports sociaux de sexe permet, au contraire, de sortir de ce faux choix pour envisager de façon innovante l’inscription dans la recherche masculine engagée.

Si les analyses féministes sont une source de réflexion cruciale sur le poids épistémologique du vécu, la participation au militantisme féministe permet d’enrichir cette réflexion. Il suffit en effet de participer à quelques dynamiques militantes non contrôlées par les hommes pour que le slogan « le privé est politique » prenne tout son sens mais de façon opposée pour les féministes et les hommes engagés. Ainsi, lors d’un camping antipatriarcal organisé il y a quelques années en Ariège, les groupes de parole non mixtes et mixtes ont rapidement fait émerger une asymétrie de vécus entre femmes et hommes, et donc de thématiques envisagées et de manières de les traiter. Très rapidement, des oppositions se sont en effet révélées : les hommes engagés ressortaient joyeux des ateliers non mixtes masculins où ils avaient par exemple abordé les premières expériences sexuelles, les fantasmes, l’expression d’émotions, tandis que les féministes ressortaient graves d’ateliers où elles avaient abordé les violences sexuelles et leurs conséquences sur leur sexualité et leur intégrité. Au cours de ces journées, cette distance a crû jusqu’à provoquer une confrontation : les féministes ont exigé que les hommes engagés prennent conscience de ce décalage, lié à l’oppression vécue par les femmes, et de la hiérarchie des positions genrées. Si elles ont, malgré leur colère et leur douleur, opté pour une approche très pédagogique, les hommes ont, eux, refusé de proposer une réponse collective et d’accepter cette main tendue. De surcroît, elles ont signalé qu’elles avaient été progressivement exclues des interactions mixtes : regards fuyants, disparition d’une convivialité présente auparavant.

Prenons un autre exemple : lors de discussions, de fêtes et de rencontres impulsées par des membres de groupes féministes radicaux lyonnais, certains hommes engagés apprenaient progressivement, à travers un va-et-vient entre pratique et réflexion, que la parole des féministes en matière de rapports sociaux de sexe était plus pertinente que celle des hommes engagés. Ceux-ci n’arrivaient souvent pas à saisir pleinement les thématiques discutées, ni à identifier correctement les tenants et aboutissants d’une question posée, ni à comprendre ce qui faisait de façon évidente sens pour ces féministes radicales. Face à ce décalage genré, la majorité des hommes engagés développait pourtant le jugement suivant : considérer que la parole féministe est plus pertinente que celle des hommes engagés signifie « être culpabilisé, sous la coupe des féministes », voire « castré » ; s’opposer à cette considération signifie « être critique, soutenant les féministes mais vigilant quant à toute soumission ». Ici non plus, la question du lien entre position sociale genrée et analyse des rapports sociaux de sexe n’était pas réellement posée du côté des hommes engagés, et cette résistance bloque toute dynamique constructive entre féministes et hommes engagés.

Le décalage genré apparu lors de ces dynamiques militantes – les conceptualisations opposées des rapports sociaux de sexe comme oppression – n’est pas dû à un manque d’informations du côté des hommes, qui serait à combler pour retrouver une sorte d’équilibre. Les personnes présentes disposaient d’informations relativement proches et variées : hétérosexuel·le·s et homosexuel·le·s, novices et ancien·ne·s, universitaires et non-universitaires…. Si seules les féministes ont développé une analyse axée sur les questions de pouvoir, c’est bel et bien parce que, pour elles et en raison de leur vécu, les informations et les expériences partagées résonnaient ainsi. « Car même lorsque les mots sont communs, les connotations sont radicalement différentes. C’est ainsi que de nombreux mots ont pour l’oppresseur une connotation-jouissance, et pour l’opprimé une connotation-souffrance » (Rochefort in Mathieu, 1991 : 132). Le décalage apparu entre féministes et hommes engagés est donc bien une conséquence persistante de l’oppression : tandis que la position structurelle des féministes dans les rapports sociaux de sexe produit des thématiques politiques communes questionnant la réalité en termes de pouvoir, celle des hommes engagés produit des thématiques également communes au groupe mais qui, au contraire, voilent les rapports d’oppression.

Position sociale, androcentrisme et capacité d’analyse

Si ce décalage genré persistant entre féministes et hommes engagés n’est pas une question d’information mais bien de vécu à partir de positions sociales hiérarchiques, de quelle façon encore plus précise peut-on décrire ce lien genré entre sujet connaissant et objet de connaissance ? L’étude de l’épistémologie féministe du standpoint (Hartsock, 1998) permet de faire émerger deux principales pistes de réflexion. La première tourne autour de la question de l’androcentrisme, défini comme égocentrisme affectif, psychologique et politique masculin, la deuxième concerne la capacité d’analyse, déterminée par une expertise masculine spécifique.

La première piste sur le lien genré entre sujet connaissant et objet de connaissance concerne la motivation respective des féministes et des hommes engagés. Les féministes présentes au camping ont interprété de façon politique leurs expériences parce que seule cette politisation répondait à leur intérêt objectif : pouvoir élaborer des outils conceptuels permettant d’agir efficacement contre une réalité oppressive. Ce qui a motivé ces femmes, c’est précisément le fait que qualifier les hommes d’oppresseurs et leur action d’oppressive correspond à dire ce qu’il en est dans la réalité – et que ceci est source d’émancipation. Au contraire, les hommes engagés n’avaient pas interprété leurs expériences de façon politique car cela les aurait renvoyés à une réalité masculine constituée d’infliction de violences, d’exploitation, d’appropriation et de non-empathie envers les femmes. Or, les hommes, s’ils veulent maintenir leur qualité de vie matérielle, psychologique, sexuelle et mentale, ont intérêt à se cacher à eux-mêmes le caractère oppressif de leurs rapports avec les femmes. Ce qui les motive pour participer à ces dynamiques de groupe, c’est de pouvoir parler d’eux-mêmes, « ce qui [les] préoccupe, c’est l’homme, c’est-à-dire [eux-mêmes], encore et toujours » (Mathieu, 1999 : 308). Ils thématisent alors volontiers le « rôle de sexe » ou « carcan » masculin – c’est-à-dire ce en quoi ils pourraient également se sentir victimes – ou ce qui relève d’autres oppressions, en faisant l’impasse sur leur propre action oppressive. Ainsi, c’est bel et bien l’androcentrisme qui caractérise les dynamiques et analyses masculines engagées. Cet androcentrisme consiste en un égocentrisme affectif et psychologique qui octroie une place démesurée à ses propres sentiments et vécus, et en un égocentrisme politique où le féminisme est un outil pour améliorer son propre sort. Vu de l’intérieur, par un homme engagé ayant participé à des groupes « proféministes » dans différents pays, cet égocentrisme affectif et psychologique s’exprime avant tout par un refus d’empathie envers les femmes. Toute évocation de la violence faite aux femmes par les hommes – lorsque celle-ci n’est déjà pas évacuée de prime abord sous prétexte de ne pas se laisser déterminer par l’ordre du jour féministe – est détournée de multiples façons : soit elle sert à évoquer leurs propres souffrances (« mais moi aussi, je souffre »), soit elle est rejetée sur d’autres hommes ou un quelconque système les dépassant (masculinité hégémonique, patriarcat), soit elle est retournée contre les femmes (« mais elles doivent bien y trouver quelque chose, non »), soit elle est évacuée par une autoculpabilisation permettant de rester centré sur soi-même (« c’est affreux, je souffre d’être dominant »). Il semblerait qu’il soit impossible pour la plupart des hommes « engagés » d’accepter simplement que la (qualité de) vie des femmes est minée, voire annihilée par les actes des hommes. Leur refus d’empathie peut être expliqué en émettant l’hypothèse que tout se passe comme si, pour eux, reconnaître pleinement l’existence des femmes reviendrait à menacer leur propre existence. Mais l’androcentrisme se traduit également par un égocentrisme politique : l’évocation des rapports entre femmes et hommes amène ces hommes à parler de leurs vécus personnels en excluant progressivement le vécu des femmes concrètes dans leurs propres vies. Le féminisme fonctionne alors comme un outil thérapeutique destiné à améliorer la qualité de vie masculine : les hommes utilisent l’analyse féministe pour transformer leur vie dans le sens de plus de bien-être ; si cela ne marche pas, alors ils rejettent le féminisme.

On peut, grâce à cette première piste de réflexion sur le lien genré entre sujet connaissant et objet de connaissance, identifier un obstacle central à la production de savoirs pertinents sur les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale masculine. La défense égoïste de leurs propres intérêts et de ceux de leur groupe social motive les hommes engagés à exclure de leur analyse le vécu opprimé des femmes, et à rester centrés sur eux-mêmes. C’est aussi en refusant d’empathiser avec les femmes que les hommes engagés demeurent liés au groupe social des hommes en général. Seul un travail théorique, politique et personnel sur cet aspect de la subjectivité masculine permettra de briser le lien avec le groupe social des hommes et d’élaborer une conscience antimasculiniste.

Une deuxième piste de réflexion sur le lien genré entre sujet connaissant et objet de connaissance concerne la capacité d’analyse à proprement parler. Il s’agit de considérer comment le fait de vivre dans une position sociale oppressive structure la façon d’être au monde. L’épistémologie féministe du standpoint permet de comprendre que vivre en tant que femme ou homme dans une société hiérarchisée produit des « expertises » asymétriques, formes de conscience prépolitique du fonctionnement des rapports sociaux de sexe. La notion d’expertise met l’accent sur le fait que femmes et hommes sont des sujets connaissants actifs, agissant dans une structure sociale donnée, qui gèrent des informations et analyses permettant de se repérer et de s’orienter. Elle se distingue des concepts de rôles, de dispositions, de socialisations ou de performativités par le fait qu’elle met en exergue la conscience pratique qu’élaborent les actrices sociales et les acteurs sociaux des rapports de force sociaux. Ces expertises sont asymétriques dans la mesure où les femmes accumulent des informations, sentiments, intuitions et analyses qui partent des conséquences violentes de l’oppression qu’elles subissent pour remonter vers la source de celle-ci, élaborant ainsi des connaissances sur les rapports concrets qu’elles vivent. Dans la mesure où le vécu féminin est en permanence marqué par les effets de l’oppression cette expertise prend une place importante, reste souvent consciente et concerne la dynamique oppressive en tant que telle. Au contraire, les hommes accumulent depuis l’enfance des informations, sentiments, intuitions et analyses sur le maintien et l’amélioration de leur qualité de vie puisqu’ils n’ont pas, en tant qu’hommes, à « rendre des services » ni à se soumettre aux femmes. Aussi ce qu’ils apprennent au quotidien dans leurs rapports avec les femmes reste-t-il axé sur eux-mêmes : une plus grande écoute des femmes est susceptible de remettre en cause leurs comportements et donc de leur coûter de l’énergie psychique et affective, voire l’abandon ou la perte d’avantages concrets ; par ailleurs, quand ils dévoilent leur fonctionnement affectif, cela peut offrir des moyens de résistance aux femmes mais cela peut aussi leur rapporter, à eux, soulagement et soutien thérapeutique de la part des femmes ; un bon dosage de froideur et de distance décourage toute initiative de la part des femmes tandis que l’expression d’intérêt et d’attachement permet d’obtenir certains services affectifs et sexuels. Bref, les hommes ont tout un répertoire d’attitudes consciemment destinées à obtenir tel ou tel résultat dans leurs rapports avec les femmes. On peut dire que leur expertise est égocentrée. Elle prend moins de place que l’expertise relationnelle des femmes parce que le fait d’être oppresseur permet justement de s’intéresser à d’autres choses : études, carrière, loisirs, militantisme. Cette expertise masculine est consciente à certains moments, surtout dans l’enfance, mais elle se transforme progressivement en une sorte d’intuition masculiniste. Les hommes construisent ainsi une expertise sur les moyens concrets de l’oppression (Mathieu, 1991) : ils apprennent à tester la fonctionnalité et l’efficacité de certaines attitudes, comportements, paroles, absence de paroles, sentiments, dans leurs rapports avec les femmes.

Et c’est dans cette asymétrie que se trouve le saut qualitatif épistémologique que représente l’expertise à partir du vécu des femmes : elles construisent une expertise importante, consciente et relationnelle, informée par le vécu opprimé permanent, concernant la dynamique de l’oppression, tandis que les hommes construisent une expertise non relationnelle, concernant les moyens de l’oppression, centrée sur eux-mêmes et d’où le vécu des femmes est quasi absent. Cette asymétrie des expertises prépolitiques, éléments constituants de façons d’être au monde genrées, permet de mieux comprendre la persistance du décalage genré entre féministes et hommes engagés et le lien genré entre sujet connaissant et objet de connaissance. Si les féministes conceptualisent les rapports sociaux de sexe comme oppression contrairement aux hommes engagés, c’est qu’il existe une asymétrie des capacités d’analyse concernant les rapports sociaux de sexe. Cette asymétrie doit être pensée, in fine, en termes de privilège épistémologique pour les féministes et de désavantage épistémologique pour les hommes engagés (Hartsock, 1998). Cette condition épistémologique particulière est à considérer puisqu’elle structure le rapport épistémologique des chercheurs-hommes engagés aux rapports sociaux de sexe. Il importera alors de développer des recherches engagées à partir d’une position sociale oppressive qui mobilisent l’expertise spécifique masculine tout en tenant compte de la capacité moindre des chercheurs-hommes engagés à penser la dynamique de l’oppression.

Comme l’égocentrisme masculin, le particularisme épistémologique masculin constitue un obstacle central à la production d’analyses pertinentes sur les rapports sociaux de sexe. Ces derniers structurent la subjectivité masculine commune et conditionnent donc de façon spécifique les rapports à l’objet de recherche. Ces deux obstacles peuvent expliquer pourquoi aussi peu d’hommes s’engagent sur ce terrain, mais également pourquoi leur traitement de la question des rapports sociaux de sexe reste souvent biaisé, malgré une bonne connaissance des analyses féministes. Cette structuration particulière est avant tout un désavantage : étant donné leur appartenance au groupe social oppresseur, quasiment rien ne motive les chercheurs-hommes engagés ni ne leur permet de remettre profondément en cause ce qui fonde leur existence. Il faudrait alors transformer la subjectivité masculine afin qu’elle intègre pleinement l’existence des femmes et leur vécu opprimé, ce qui implique pour les hommes une remise en cause personnelle et une rupture avec leur groupe social et avec la masculinité. Mais ce qui constitue d’abord un désavantage permet néanmoins aux hommes engagés de contribuer à l’analyse de certains aspects des rapports sociaux de sexe, dans la mesure où ils sont encadrés par les théorisations féministes.

Transformation de notre subjectivité : deux temps

Je propose d’identifier des éléments qui permettraient aux chercheurs-hommes engagés de transformer leur subjectivité particulière. Je distingue deux temps, qui ne sont pas nécessairement aussi séparés dans la réalité mais qui permettent de mieux comprendre ce travail de transformation, d’ailleurs permanent. Si le premier temps tourne autour de la compréhension adéquate des théorisations féministes, le second temps concerne la participation à des pratiques militantes féministes permettant de mieux ancrer cette compréhension.

Le premier temps d’une transformation de la subjectivité masculine consiste à lire et analyser de façon approfondie les théorisations féministes. Celles-ci permettent de transformer les grilles de perception et d’analyse des rapports sociaux de sexe, éléments cruciaux de la subjectivité. En cela les travaux fondateurs de Christine Delphy (1998, 2001), Colette Guillaumin (1992), Nicole-Claude Mathieu (1991), Paola Tabet (1998) et Monique Wittig (2001) restent incontournables, car ces théoriciennes posent avec clarté les différentes dynamiques oppressives, les bases méthodologiques et épistémologiques pour un féminisme et lesbianisme radical matérialiste et permettent un investissement intellectuel, affectif, politique et personnel radicalement novateur. La compréhension adéquate de ces thèses représente un enjeu majeur pour pouvoir rompre intellectuellement avec la vision du monde masculiniste. En transformant les grilles de perception et de lecture des rapports sociaux de sexe, les chercheurs-hommes engagés entament une rupture du lien entre eux-mêmes et leur groupe social. Assez logiquement, d’importantes résistances surgissent face à une telle rupture, qui vont donner lieu à différentes façons de s’investir dans la recherche engagée. À l’instar de David Kahane (1998), on peut identifier quatre modes d’engagement. Le poseur veut bien être perçu comme « pro-féministe » mais s’implique de façon superficielle, il refuse d’appliquer ces analyses à ses propres tendances théoriques et pratiques. L’insider s’engage politiquement dans le projet féministe mais, voulant garder une image positive de soi, il ne remet pas en cause son comportement genré et projette le patriarcat sur les autres hommes. L’humaniste perçoit le patriarcat comme source de bénéfices mais aussi de dommages pour les hommes et privilégie un ordre du jour masculin, mettant en avant des malaises et douleurs supposés liés à la masculinité. Finalement, l’autoflagellateur combine une connaissance relativement approfondie des thèses féministes avec une intolérance pour l’ambiguïté : marqué par la culpabilité et l’intransigeance, il se retire à moyen terme dans les idéals-types précédents. Ces quatre modes d’engagement nous rappellent les éléments déjà discutés au sujet des (chercheurs) hommes engagés : le faux choix entre reprise mimétique et culpabilisée des analyses féministes et élaboration d’un propre ordre du jour masculin peut être compris comme opposant l’humaniste et l’autoflagellateur, tandis que l’égocentrisme affectif, psychologique et politique des hommes engagés traverse de façon différente les quatre modes d’engagement. De fait, un centrage psychologique sur soi-même et ses propres résistances psychologiques continue de prédominer puisque ce premier temps est intellectuel et souvent individuel. Cette catégorisation des attitudes pendant le premier temps de compréhension adéquate des théorisations féministes classifie avant tout les différents degrés de deuil auxquels sont parvenus les différents individus quant à l’imaginaire et la vision du monde masculinistes.

Dans la mesure où ce premier temps permet une transformation intellectuelle, limitée, de la subjectivité masculine, un deuxième temps permettant de dépasser les modes d’investissements décrits s’impose. Celui-ci consiste alors à participer à des dynamiques collectives et militantes, contrôlées par les féministes. Si les chercheuses féministes ont souvent mis en avant la nécessité de l’engagement politique, cela me semble encore plus important pour les chercheurs-hommes engagés puisque ces engagements – qu’ils soient informels et dans la vie quotidienne, ou formalisés et organisationnels – permettent de mieux saisir les enjeux des rapports sociaux de sexe. La participation à des dynamiques de groupe telles que le camping antipatriarcal mais surtout à des luttes et du travail de terrain avec des féministes contre différents aspects de l’oppression des femmes permet de transformer plus en avant la subjectivité masculine et de percevoir concrètement les (micro)dynamiques oppressives : la solidarité masculine contre les femmes, les stratégies élaborées ainsi que le caractère général organisé et intentionnel de l’action oppressive des hommes. Pour ancrer de façon ressentie des notions intellectuelles telles que le sexage (Guillaumin, 1992), l’exploitation domestique (Delphy, 1998), le fait de céder et non consentir, l’envahissement mental et l’hétérosocialité (Mathieu, 1991), il faut se laisser la possibilité d’être confronté concrètement aux effets de l’oppression tels que la crainte, la déstructuration psychique, la douleur, les cicatrices, la pauvreté mais également la colère, l’impuissance et les stratégies de résistance. Dans ce second temps, on doit se déprendre de soi assez souvent et assez longtemps pour donner en soi une place affective et psychologique autre qu’annexe et subordonnée au vécu des femmes. Ceci implique une répétition d’abandons momentanés des points de vue oppresseurs afin de faire une place intellectuelle et affective plus importante et plus permanente aux points de vue opprimés. Et c’est précisément ce « décentrement » – le renoncement à l’égocentrisme — qui permet de dépasser les modes d’engagement limités liés à une compréhension purement intellectuelle des théorisations féministes. La reconnaissance à un niveau ressenti du vécu opprimé des femmes, une analyse basée sur l’empathie neutralisent les résistances masculines aux théories féministes et ouvrent la voie à un investissement d’une autre nature, plus engagé, dans l’étude des rapports sociaux de sexe.

Les deux temps de transformation, compréhension intellectuelle des théorisations féministes et participation aux dynamiques militantes féministes, constituent la précondition pour les chercheurs-hommes engagés, de parvenir d’une part à mieux comprendre la dynamique de l’oppression masculine en reliant sentiments, sensations, intuitions et pensées et d’autre part de s’investir de façon moins biaisée dans la recherche. Il ne s’agit pas seulement d’identifier les stratégies et les techniques d’autres hommes mais également d’analyser de quelle façon nous-mêmes continuons de les utiliser, y compris dans un contexte féministe. Il est nécessaire de prendre conscience des conflits inhérents à une telle transformation de la subjectivité masculine pour parvenir à se désolidariser de son groupe social et de ce qui le caractérise, la masculinité et le masculinisme. S’étant ainsi désolidarisé, le chercheur-homme pourra ensuite éventuellement produire des analyses plus pertinentes et moins biaisées, dans la mesure où elles prendront en compte sa condition épistémologique désavantagée.

Perspectives de recherches engagées pertinentes

J’ai essayé de démontrer jusqu’ici à quel point le lien entre sujet connaissant « homme » et objet de recherche « rapports sociaux de sexe » est structuré par la position oppressive et l’appartenance au groupe social hommes. Loin d’être des « sujets connaissants neutres, autonomes et rationnels » tels que le véhicule l’imaginaire masculiniste, les chercheurs-hommes engagés sont confrontés à de nombreux obstacles qui les empêchent de faire une contribution à l’analyse des rapports sociaux de sexe. Les deux temps de transformation de la subjectivité masculine permettent de contenir les effets négatifs de l’égocentrisme affectif, psychologique et politique masculin et de la condition épistémologique désavantagée, ils n’indiquent pourtant pas de quelle façon des recherches engagées peuvent être menées. Dans cette dernière partie, je formule des pistes de réflexion sur la façon dont les chercheurs-hommes engagés peuvent tenir concrètement compte de leur subjectivité particulière dans le choix et l’éclairage de leurs objets de recherche et je concrétise cette réflexion à travers l’exemple de la socialisation masculine.

Assez logiquement, les recherches masculines engagées sur les rapports sociaux de sexe sont marquées par les biais également constatés au sein des dynamiques masculines engagées, qui consistent à : « [éviter] de se confronter au rapport avec l’autre sexe et à la réalité de ce rapport » (Dagenais et Devreux, 1998 : 11). Leurs auteurs effectuent cet évitement en s’intéressant de façon prioritaire au vécu masculin sans le mettre en rapport avec le vécu féminin, en sous-estimant ce rapport, en ignorant volontairement les aspects intentionnels, conscients, organisés et intéressés de l’action oppressive masculine. Ce biais découle, entre autres, de l’idée répandue selon laquelle les chercheurs-hommes engagés contribueraient de façon suffisante à penser les rapports sociaux de sexe à partir de leur position sociale en choisissant comme thématique le vécu masculin, le groupe social hommes et la masculinité. En raison de l’égocentrisme et du désavantage épistémologique masculins, ce choix thématique ne permet pas de faire émerger dans l’analyse l’action oppressive des hommes. Il est nécessaire d’effectuer un long travail de mise à distance de tout ce qui fait sens – intuitions, ressentis, pensées et sensations – car ce sens masculiniste empêche très concrètement de percevoir différemment le vécu masculin. De la même façon que pour transformer la subjectivité masculine, les chercheurs-hommes engagés ont effectué une répétition d’abandons momentanés de leur point de vue au bénéfice du point de vue des femmes, il s’agit de se défamiliariser de façon progressive mais radicale de l’objet de recherche pour pouvoir l’interroger différemment. Or, contrairement aux chercheuses féministes pour lesquelles l’expertise prépolitique concernant la dynamique de l’oppression constitue une ressource importante pour interroger ce sens masculiniste, les chercheurs-hommes engagés ne disposent pas d’un tel atout de départ. La seule démarche qui leur permettra de faire la même rupture épistémologique, c’est de procéder à des va-et-vient réguliers entre l’objet de recherche et le sens féministe. Progressivement ces va-et-vient permettent au sens féministe de devenir la perspective d’interrogation de l’objet de recherche et au chercheur de formuler des questions sur le lien entre la structuration particulière du vécu masculin et l’utilité d’une telle structuration pour améliorer la qualité de vie masculine aux dépens des femmes. En examinant tous les aspects de la façon masculine d’agir, d’être au monde et de voir le monde sous l’angle des bénéfices que les hommes obtiennent dans leurs rapports avec les femmes, les chercheurs-hommes engagés peuvent analyser le pouvoir dans sa dimension genrée. C’est d’ailleurs uniquement après avoir effectué cette rupture qu’ils peuvent également mobiliser leur expertise prépolitique concernant les techniques employées par les hommes pour opprimer les femmes en s’appuyant sur leurs propres expériences, ressentis et perceptions. C’est à ce moment que la réflexion devient réellement antimasculiniste et qu’elle peut fournir des éléments sur la façon dont les hommes instrumentalisent les femmes.

Il me semble qu’en procédant de cette façon, les chercheurs-hommes engagés peuvent contribuer de façon pertinente à l’analyse des rapports sociaux de sexe en axant de façon centrale leur analyse du vécu masculin sur le rapport à l’autre sexe et les différents aspects constituant ce rapport oppressif. Le travail d’analyse du vécu masculin n’est d’ailleurs pas à penser comme revenant ou appartenant aux chercheurs hommes engagés. Ceux-ci voient ce vécu de l’intérieur ; cet angle n’est pas meilleur que celui des femmes qui le voient de l’extérieur mais en ressentent les effets, il est différent. La rencontre entre théorisation féministe par des chercheuses et théorisation antimasculiniste par des chercheurs-hommes sera alors la rencontre entre une théorisation privilégiée épistémologiquement mais dépourvue de regard de l’intérieur et une théorisation désavantagée épistémologiquement mais pourvue de regard de l’intérieur.

Prenons un exemple pour concrétiser cette piste de réflexion, celui de la socialisation masculine. De nombreux chercheurs-hommes engagés l’analysent avant tout comme un lieu de violences pour les hommes, créant différentes formes de masculinité et produisant des « carcans » emprisonnant les hommes, puis ensuite et seulement ensuite comme la source de violences envers les femmes. Ce type d’analyse pense mal, à mon avis, le lien entre cause et effet, exagérant souvent les effets négatifs sur les hommes. Analyser la socialisation masculine avant tout à travers ses effets négatifs sur les hommes (sens masculiniste) empêche en effet de penser que cette socialisation a d’abord pour but et pour effet d’apprendre à une génération d’enfants à devenir des acteurs de l’oppression des femmes (sens féministe). Et si l’apprentissage d’une façon d’être au monde et d’une vision du monde masculinistes peut avoir des coûts secondaires, il permet avant tout de jouir de privilèges structurels incomparables pour le reste de sa vie. La rupture épistémologique rendue possible par le processus de défamiliarisation permet en revanche d’interroger de quelle façon cette socialisation est bénéfique et même cruciale au maintien du pouvoir des hommes sur les femmes. Apprendre, par exemple, à ne pas exprimer d’émotions ou à les exprimer sélectivement et à certains moments précis, renforce les hommes dans leur rapport aux femmes : « Exprimer ses émotions tend fortement à réduire sa position de pouvoir, le pouvoir ayant de forts liens avec la non-expression de vulnérabilité » (Monnet, 1998 : 197). La thématique de certains chercheurs-hommes, de favoriser l’expression d’émotions chez les hommes, apparaît comme l’apprentissage de l’un des moyens de pouvoir. Les chercheurs-hommes engagés doivent au contraire envisager la socialisation masculine comme constituant différentes façons d’apprendre, souvent avec plaisir et jouissance, à se construire une subjectivité, une corporalité, une sexualité qui permettent à la fois de se servir des femmes et à n’en éprouver ni gêne ni remords.

L’enjeu épistémologique de recherches engagées à partir d’une position masculine et cependant cohérentes avec les théorisations féministes est donc de produire, à partir des analyses féministes de la dynamique de l’oppression, des savoirs qui documentent de l’intérieur toutes les dimensions de l’action oppressive masculine. Ce travail n’est réalisable que dans la mesure où les chercheurs-hommes engagés restent vigilants quant à leur propre subjectivité et action oppressives envers les femmes. Il ne peut pas être pensé ni mis en place de façon isolée ou entre oppresseurs, il ne peut pas non plus être fondé uniquement sur « de bonnes intentions ». Il est donc nécessaire pour nous, chercheurs-hommes engagés, d’établir avec des féministes des interactions régulières non contrôlées par le groupe des hommes, afin de vérifier la pertinence théorique et politique de notre travail. Conscients de l’égocentrisme affectif, psychologique et politique masculin et d’une condition épistémologique désavantagée, il est important de rendre des comptes aux principales concernées afin d’éviter les nombreux écueils déjà documentés, dont celui d’une nouvelle exclusion des féministes par les recherches masculines sur les rapports sociaux de sexe. En effet, si les chercheurs-hommes engagés peuvent analyser de l’intérieur les moyens de l’action oppressive masculine, il ne s’agit pas de créer un nouveau bastion masculin où l’appartenance au groupe social oppresseur serait transformée en privilège épistémologique contre les femmes.


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Notes

[1]
Cet article est basé sur mon mémoire de DEA (2001). Je tiens à remercier toutes les personnes m’ayant aidé à mieux développer cette réflexion, en particulier Christine Delphy, Marie-Josèphe Dhavernas-Lévy, Sandrine Durand, Judith Ezekiel, Françoise Guillemaut, Rose Marie Lagrave, Corinne Monnet, Sandrine Pariat, Patricia Roux et Martine Schutz-Samson.

[2]
La notion de masculinisme a été introduite en France par Michèle Le Dœuff : « Ce particularisme, qui non seulement n’envisage que l’histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d’une affirmation (il n’y a qu’eux qui comptent, et leur point de vue) » (1989 : 55). J’entends par « masculinisme » l’idéologie politique gouvernante, structurant la société de telle façon que deux classes sociales sont produites : les hommes et les femmes. La classe sociale des hommes se fonde sur l’oppression des femmes, source d’une qualité de vie améliorée. J’entends par « masculinité » un nombre de pratiques – produisant une façon d’être au monde et une vision du monde – structurées par le masculinisme, fondées sur et rendant possible l’oppression des femmes. J’entends par « hommes » les acteurs sociaux produits par le masculinisme, dont le trait commun est constitué par l’action oppressive envers les femmes.

https://bxl.indymedia.org/spip.php?article14410
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede Lila » 12 Juil 2017, 19:14

En tant qu’homme, je ne suis pas féministe, peut-être pro-féministe

Patrick Jean
Auteur et réalisateur

Une mode est récemment apparue dans la presse française et internationale à propos des hommes
qui se disent "féministes" et dont on présente l'engagement comme "essentiel" pour les droits des
femmes. Il est temps de se demander si cette nouvelle habitude qui se veut bienveillante n'est pas
finalement contre-productive.

Pas une semaine sans qu'un article, une campagne ne nous vante les mérites des hommes "les vrais",
les gentils, ceux qui brillent dans le bon camp et affichent un "féminisme" évident. Cette pratique
part de l'idée que l'égalité est "l'affaire de tous" (et même plus de toutes) et que les hommes
doivent y jouer un rôle central. La volonté de considérer l'égalité comme une valeur universelle fait
oublier que l'individu n'est pas un universel, il appartient à un groupe social.

Comment pourrais-je croire que je mène le même combat qu'une femme e? : En tant qu'homme, je
ne peux qu'observer que, même en dénonçant les inégalités, je reste membre d'une classe dominante qui me confère des privilèges que je ne peux pas toujours remettre en question individuellement. J'ignore en quoi consiste l'expérience du monde en tant que femme. La peur du viol ou du harcèlement sexuel par exemple, le sentiment face aux regards salaces, les sousentendus qui me ramènent à une position infériorisée, le "sexisme bienveillant", mon expérience intime en est vierge et je ne peux comprendre ces concepts que de façon abstraite. Ma connaissance de l'inégalité entre les sexes est donc celle d'un dominant, saupoudrée de connaissances théoriques. Comment pourrais-je croire que je mène le même combat qu'une femme qui vit cela au quotidien? D'autant que rien ne prouve que je ne profite pas impunément de tous les privilèges masculins. Un homme peut être très égalitaire au travail et le pire des machos dans sa vie intime, condamner le harcèlement sexuel et consommer massivement de la pornographie.
On voit d'ailleurs très souvent des hommes "féministes" s'attacher à combattre les attitudes
masculines qui ne les concernent pas. Je sais parfaitement qu'il m'est très facile d'être contre la
prostitution puisqu'elle ne m'a jamais tenté. Etre opposé à la violence physique, au viol, au foulard
islamique, à l'excision ? Quoi de plus facile pour l'homme qui n'a pas à se remettre en question dans
ces domaines ? On assiste d'ailleurs souvent à un glissement des discours masculins de l'égalité à la
condamnation de l'autre, le vrai méchant, toujours le même: le pauvre, le migrant dont la
désignation permet à l'homme "féministe", par prétérition, de se sentir tellement formidable.

Etre un "homme féministe" apporte des bénéfices secondaires : D'autant que se présenter comme
un "homme féministe", participer à des associations mixtes, permet aux hommes de récolter des
bénéfices secondaires importants. Lorsque je parle de la question de l'engagement des hommes en
conférence, généralement devant une salle remplie de femmes, je demande toujours combien cette
position hautement rétribuée symboliquement devrait me coûter de vaisselles lavées. En effet, tout
discours égalitaire dans la bouche d'un homme est immédiatement rétribué d'un salaire symbolique
narcissiquement très nourrissant. De la même manière que notre construction sociale et notre
éducation en tant qu'homme nous poussent à rechercher les applaudissement pour toute tâche
ménagère réalisée, nous trouvons dans la position de l'homme "féministe" de quoi récolter les
suffrages et l'admiration.

L'empowerment des femmes nécessite un disempowerment des hommes : Le politologue québécois
Francis Dupuis-Déri a théorisé l'empowerment des femmes (l'augmentation légitime de leur
pouvoir) comme nécessitant un disempowerment des hommes (la baisse de notre pouvoir masculin).
En effet, tout siège qui est occupé par une femme dans une assemblée d'élu-e-s, nécessite qu'un
homme cède sa place ou qu'un autre mette de côté son ambition de prendre sa succession. Il en va
de même dans tous les domaines de la vie privée et publique. Les tâches ménagères justement
partagées nécessitent que les hommes cèdent une partie de leur temps de loisir. A masse salariale
constante, l'augmentation des salaires des femmes pour tendre vers l'égalité exige au minimum la
stagnation des revenus des hommes. On voit donc bien que si l'égalité est la direction vers laquelle
nous avançons, la marche des hommes et des femmes se réalise dans des sens opposés.

La souffrance masculine ? : De plus, le risque est grand de voir tomber les "hommes féministes"
dans un piège qui fonctionne à plein régime: la souffrance masculine. Cette autre mode postule que
la construction sociale des femmes et des hommes dans des rôles stéréotypés enfermerait
pareillement les deux sexes dans une souffrance de genre. On n'a plus peur d'écrire dans des
textes prônant pourtant l'égalité professionnelle que "les hommes souffrent du fait de l'inégalité
avec les femmes".

Du coup, puisque nous souffrons pareillement, puisque nous luttons de la même manière sous le label
du féminisme, l'inégalité devient un problème commun où chacun doit être traité pareillement. Plus
question de programmes pour soutenir les femmes dans leur carrière, interdiction de parler de
quotas ou de parité, prôner la féminisation des titres devient "anti-universaliste" voire "communautariste". N'imaginez même plus organiser une réunion féministe non mixte car vous aurez à subir la colère de beaucoup d'hommes "féministes" qui se sentiront "exclus".

Voilà comment un positionnement dont le principe est sans doute bienveillant peut se retourner et
devenir un outil pour maintenir le statu quo de l'inégalité entre les femmes et les hommes.
L'homme doit travailler sur lui-même : Le rôle d'un homme persuadé de l'injustice de la hiérarchie
des sexes n'est-il pas d'abord de travailler sur lui-même ? Ce faisant, nous pouvons nourrir une
réflexion mixte en révélant nos réflexes masculins conditionnés, nos stratégies d'évitement voire
de résistances. Partager la part de nous qui résiste et les processus intimes qui protègent notre
pouvoir est sans doute la seule chose que nous pouvons faire en tant qu'homme. L'usage du mot
"pro-féministe" nous force à nous rappeler ce positionnement et à faire preuve de lucidité. Il nous
rappelle notre position dans le système de domination sans nous empêcher de travailler à
l'avènement d'une société plus égalitaire.
Comme chaque homme, j'ai moi-même le sentiment que toutes les femmes sont dominées sauf la
mienne. Le "pro" devant "féminisme" m'oblige à penser que je me trompe et que je dois encore
chercher.


https://marchemondialedesfemmesfrancedo ... 2b0338.pdf
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede Lila » 02 Nov 2017, 22:15

11 façons dont les hommes peuvent répondre de manière productive au mouvement #MoiAussi

Le hashtag #MoiAussi a encouragé certains hommes à faire allusion sur Internet à leurs comportements misogynes, mais ils doivent aller au-delà de confessions sur les médias sociaux.

Plus tôt cette semaine, Meghan Murphy a proposé quelques suggestions sur ce que nous pourrions demander aux hommes, à la lumière du hashtag viral #MoiAussi, qui visait à rappeler aux hommes béatement ignorants (ou obstinés) l’omniprésence de l’agression sexuelle et du harcèlement perpétrés par des hommes contre des femmes partout.

Certains hommes ont répondu en reconnaissant qu’ils participent à la misogynie. Certains hommes ont admis être coupables de harcèlement ou d’agression sexuelle. Certains hommes ont présenté des excuses pour avoir laissé d’autres hommes agir ainsi. Mais, même si ces hommes peuvent être bien intentionnés, ce type de réponses sur les médias sociaux ne constitue pas nécessairement une action productive. C’est pourquoi, l’équipe de Feminist Current a compilé une liste (partielle) de suggestions à l’intention des hommes qui voudraient réagir d’une manière productive face au problème de la violence masculine contre les femmes, au-delà d’un étalage de vertu personnelle (virtue signalling) sur Internet.

1) Prenez conscience du nombre de femmes qui sont dans votre vie et qui ont révélé publiquement cette semaine avoir été agressées ou harcelées sexuellement, et laissez cette conscience vous mettre mal à l’aise. Évitez la réaction défensive du « Pas tous les hommes ». Même si vous n’avez pas personnellement agressé sexuellement une femme, ce comportement fait partie de notre culture ; vous devez donc vous attaquer au fait (pour le changer) qu’à l’échelle internationale, une femme sur trois a été exposée à de la violence physique ou sexuelle et que presque toute cette violence est perpétrée par des hommes.

2) Arrêtez de traiter les femmes et les filles comme avant tout « jolies ». Cela signifie éviter de complimenter d’abord et avant tout les filles et les femmes sur leur apparence. Beaucoup d’entre nous faisons cela sans même réfléchir (nous commençons tôt, aussi, en disant aux fillettes qu’elles sont « jolies » ou en commentant leurs tenues), mais de tels commentaires renforcent l’idée qu’être considérée comme attrayante ou désirable est la chose la plus importante qu’une femme ou une fille peut espérer.

3) De même, commencez à prêter attention à la façon dont vous regardez/considérez les femmes. Si la première chose que vous faites quand vous voyez une femme dans la rue est de la mater de haut en bas pour évaluer si elle est « baisable », arrêtez ça.

4) Arrêtez de traiter toutes les femmes comme d’éventuelles partenaires sexuelles, plutôt que simplement comme des personnes intéressantes ou agréables. Si une femme souhaite être votre amie, c’est une bonne chose, pas un échec. Extirpez le concept de « friendzone » (zone de simple amitié) de votre vocabulaire et remplacez-le simplement par le mot « amie ». Les femmes ne perdent pas leur valeur simplement parce qu’elles ne souhaitent pas avoir de relations sexuelles avec vous.

5) Refusez de consommer de la pornographie ou de payer pour du sexe. L’industrie du sexe dit que les femmes sont des choses à acheter et à vendre, à utiliser et à exploiter par les hommes. La pornographie comme la prostitution renforcent l’idée que les femmes existent pour le bon plaisir des hommes. Ces industries sexualisent le viol, la violence et l’oppression. Peu importe si une femme « choisit » de participer à cette industrie pour survivre, l’effet général du commerce du sexe est de déshumaniser les femmes. Inventez des façons de contester les hommes à ce sujet et de leur en parler.

6) Avez-vous maltraité des femmes lors de rencontres sexuelles ? Reconnaissez-le et présentez vos excuses à la femme ou aux femmes que vous avez blessées. N’attendez pas de réponse. Ne vous attendez pas à être pardonné. N’ayez aucune attente. Ne demandez rien à la ou aux femmes que vous avez violentées ou blessées. Ne vous cherchez pas des excuses. Contentez-vous de reconnaître votre comportement et de vous excuser. Et ne le refaites jamais.

7) Subventionnez discrètement des événements, médias et organisations féministes. Vous pourriez, par exemple, faire don d’une part de votre salaire hebdomadaire représentant l’écart de rémunération entre hommes et femmes (13 pour cent) à une organisation qui soutient directement les femmes victimes de violence masculine. Vous n’avez pas besoin de vous en vanter sur les réseaux sociaux — le but n’est pas que vous soyez récompensé.

8) Portez-vous bénévole dans l’équipe de nettoyage après un événement féministe. Ou pour cuisiner des mets. Ou pour collaborer au service de garde d’enfants. Faites tout acte que des féministes vous demandent de faire pour que leur événement puisse être un succès.

9) Apprenez à écouter. Évitez de dominer dans les conversations. Lorsque vous rencontrez une femme dans un bar, que vous parlez à des amies ou à des collègues, ou lorsque vous parlez à votre partenaire, par exemple, pratiquez une écoute active et soyez conscient d’à quel point vous interrompez/parlez beaucoup/vous imposez dans les conversations. Est-ce que vous posez des questions ? Est-ce que vous écoutez les réponses ? Entendez-vous ce que les femmes disent ? Les hommes passent beaucoup de temps à couper la parole aux femmes et à s’adresser à elles d’un ton péremptoire ; ils doivent passer plus de temps à écouter, car les hommes sont socialisés à ne pas être conscients de l’espace qu’ils occupent dans le monde. Ce n’est qu’un exemple de la façon dont se manifeste le pouvoir masculin. Ce comportement dissuade les hommes d’être en empathie avec les femmes et de travailler à mieux comprendre leurs expériences.

10) Ne neutralisez pas les problèmes qui ne sont pas neutres à l’égard du genre. Il ne sert à rien d’insister sur le fait que la violence masculine à l’encontre des femmes est un « problème humain ». Il est inutile de dire que « la culture du viol n’a pas de sexe ». Il est inutile de dire que vous êtes contre « toute forme de violence ». Oui, des hommes vivent de la violence et des agressions commises par d’autres hommes, mais cela n’annule pas le fait que la violence masculine à l’encontre des femmes est systémique. Répondre de cette manière équivaut essentiellement à banaliser l’expérience des femmes, comme répondre « toutes les vies comptent »[lorsqu’on entend « Black Lives Matter »]. Le mouvement #MoiAussi tient les hommes pour responsables de la violence qu’ils exercent à l’encontre des femmes, et pour remédier efficacement à cette violence, nous devons nommer le problème et le prendre par la racine.

11) Comprenez que, en tant qu’homme, vous ne serez jamais pleinement capable de comprendre ce que les femmes vivent au jour le jour, sous le patriarcat. Il n’y a pas eu un seul jour dans l’histoire du monde où une femme n’a pas été violée ou battue par un homme. Les femmes vivent, chaque jour, dans la peur de la violence masculine. La vie des femmes est façonnée par la culture du viol et par le regard masculin d’une foule de façons – explicites ou subtiles –, de la haine de leur corps au syndrome de stress post-traumatique, en passant par les choix que nous faisons en matière de travail, de voyages, de relations, de vêtements, de relations sociales et plus encore. Croyez-nous quand nous vous parlons de ces expériences. Croyez-nous quand nous vous disons que c’est un problème énorme et urgent. Croyez que nous ne cherchons pas à dramatiser ou à attirer l’attention. Croyez-nous, même si vous ne comprenez pas complètement. Nous ne déversons pas notre traumatisme en ligne pour le plaisir.


https://scenesdelavisquotidien.com/2017 ... /#more-549
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Re: Hommes proféministes ?

Messagede Lila » 04 Fév 2018, 21:14

Robert Jensen: Les hommes sont socialisés à se considérer comme dominants

Une entrevue de Sravasti Datta, publiée dans The Hindu, le 24 janvier 2018

Le professeur Robert Jensen propose une critique féministe radicale de la pornographie, centrée sur la déshumanisation des femmes.

« Je dis souvent qu’il existe trois problèmes dans une société prospère : nous sommes trop médiatisés, nous sommes trop médicamentés et nous sommes sur-commercialisés », dit Jensen.

À une époque où les femmes dénoncent le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles, et où des hashtags sur ces enjeux prolifèrent, il y a des activistes et des chercheur·e·s qui ont consacré des années à des recherches sur le féminisme et son importance pour créer une autre façon de percevoir le monde.

Robert Jensen enseigne le journalisme à l’Université du Texas à Austin et il est l’auteur du livre The End of Patriarchy : Radical Feminism for Men (La fin du patriarcat: le féminisme radical pour les hommes. C’est un militant politique actif dans le domaine du féminisme radical depuis trois décennies. Il était récemment en ville (Chennai, dans le sud de l’Inde) pour donner une conférence à l’invitation de l’Institut indien du journalisme et des nouveaux médias.

à lire : https://tradfem.wordpress.com/2018/01/2 ... dominants/
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