Le suicide révèle la souffrance singulière des jeunes homos

Le suicide révèle la souffrance singulière des jeunes homos

Messagede Roro » 23 Aoû 2009, 17:12

Le suicide révèle la souffrance singulière des jeunes homosexuels‏

Quelques bureaux garnis d'un ordinateur et d'un téléphone, une moquette gris perle, des murs immaculés : rien n'accroche le regard dans la vaste salle d'écoute de Sida-Infoservice, à Paris. Une baie vitrée permet d'apercevoir au loin la frondaison des arbres du cimetière du Père-Lachaise. "Ici, on est tranquille, c'est très silencieux, sourit Annick, une "écoutante" qui passe trente heures par semaine au téléphone. C'est essentiel pour être disponible."
Depuis 1997, la ligne Azur de Sida-Infoservice (08-10-20-30-40) s'adresse à tous ceux qui "réalisent que leur désir les porte vers des personnes du même sexe et qui n'arrivent pas à faire face à cette situation" . "En 1997, nos lignes d'écoute étaient toutes consacrées au sida , raconte Hervé Baudoin, le référent gay de l'association. Mais beaucoup d'"appelants" voulaient également évoquer leurs difficultés face à l'homosexualité, leur isolement, leur souffrance. Nous avons donc créé une nouvelle ligne d'écoute."
Sept ans plus tard, en 2004, la ligne Azur a reçu plus de 7 000 appels, soit une progression de 8,5 % par rapport à 2003. Un tiers des appelants ont moins de 20 ans. "Ils se demandent s'ils sont "normaux", s'il existe d'autres adolescents comme eux, si "ça" va changer un jour , raconte Alain, un "écoutant". Beaucoup ont entendu des insultes homophobes au lycée ou dans la rue et ils sont terrifiés par le regard des autres. Qu'ils soient jeunes ou vieux, certains sont complètement affolés à l'idée d'être "différents" et ils en arrivent à tenir des propos suicidaires."
"STIGMATISATION"
Pour la première fois en France, une étude épidémiologique, menée par l'association Aremedia avec la collaboration de l'Inserm, a mesuré ce mal-être évoqué par les écoutants de la ligne Azur. A la veille de la Journée mondiale de prévention du suicide, samedi 10 septembre, ce travail montre que ce phénomène touche les homosexuels de très près.
Les résultats préliminaires du travail de Marc Shelly, médecin de santé publique et responsable du centre de dépistage anonyme et gratuit de l'hôpital parisien Fernand-Widal, font apparaître que, "toutes choses égales par ailleurs" ­ - âge, lieu de résidence, niveau d'études, catégorie socioprofessionnelle, structure familiale parentale, modes de vie (couple ou célibat) ­-, les jeunes homosexuels ont treize fois plus de risque de faire une tentative de suicide que les jeunes hétérosexuels. Ces résultats confirment les chiffres issus des études américaines, canadiennes et australiennes : elles aboutissent, chez les homosexuels, à des chiffres de "sursuicidalité" variant de six à treize.
Les chiffres français ont été obtenus à partir d'un échantillon de 993 hommes âgés de 16 à 39 ans. Tous ont raconté leur trajectoire "socio-biographique" en remplissant un long questionnaire informatisé installé, de 2000 à 2004, sur trois sites : le festival de lutte contre le sida Solidays, qui a lieu tous les ans en région parisienne, le Centre d'information et de documentation pour la jeunesse (CIDJ), à Paris, et le centre de sélection des appelés du contingent de Blois, dans le Loir-et-Cher.
Dans une étude exploratoire menée en juillet 2002 auprès de 368 personnes et publiée par le British Medical Journal, Marc Shelly avait tenté de comprendre cette forte propension au suicide des homosexuels. En analysant les résultats, il avait ainsi constaté que chez les jeunes gays, les tentatives de suicide étaient fortement associées à une dégradation de l'estime de soi : 80 % de ceux qui avaient attenté à leur vie au moins une fois avaient une opinion négative d'eux-mêmes ou évoquaient un manque de respect envers eux-mêmes ou perçu chez autrui.
Marc Shelly avait alors fait l'hypothèse que cette forte "sursuicidalité" était liée à la "stigmatisation dévalorisante de l'homosexualité perçue au sein du cercle familial ou à l'école, qui produit des effets désastreux sur la construction personnelle".
Pour beaucoup de responsables associatifs du milieu gay, ces résultats ne sont guère surprenants. " Les homosexuels ont le choix entre le secret, qui est psychologiquement épuisant, et le "coming-out", qui entraîne souvent le rejet de la famille, du voisinage ou des collègues de travail, raconte Alain Piriou, le porte-parole de l'Inter-LGBT (lesbienne, gay, bi et trans), qui organise la Marche des fiertés homosexuelles. Se donner la main dans la rue, comme le font tous les hétérosexuels, c'est s'exposer à des regards, des remarques, voire des agressions. Et à l'adolescence, quand on est fragile, on le supporte très mal."
"SOUFFRE-DOULEUR"
Même constat de Yannick Gillant, psychologue, qui a, pendant trois ans, accueilli des jeunes au sein de Debout étudiants gays et lesbiennes (Dégel), une association sur le campus de Jussieu : "C'est difficile, à l'adolescence, de se sentir différent, de ne pas arriver à participer aux discussions, aux flirts et aux blagues que font les copains. L'homophobie n'est pas forcément violente, mais à cet âge-là, il y a des codes à respecter et les jeunes homosexuels en sont exclus. Du coup, ils se taisent et toute leur vie psychique est organisée autour de ce secret. Jusqu'au jour où ils craquent."
Pour éviter les passages à l'acte, le psychologue Eric Verdier, chargé de mission à la Ligue des droits de l'homme et auteur avec Jean-Marie Firdion de Homosexualités et suicide (H & O, 300 p., 17 euros, 2003), a mis en place en 2004 une dizaine de groupes de parole à Paris, Cherbourg, Marseille, Arras ou Nancy. "Au cours de ces réunions, beaucoup évoquent les moqueries et les rires qui visent leur homosexualité réelle ou supposée, affirme-t-il. L'adolescence est l'âge de tous les dangers et le thème de la différence est alors une question-clé. Souvent, ceux qui viennent nous voir ne sont pas conformes aux stéréotypes de la masculinité ou de la féminité et ils se sentent rejetés : ils ont le sentiment d'être des souffre-douleur."
Ces groupes accueillent régulièrement une quarantaine de jeunes. "Selon plusieurs enquêtes, un suicide adolescent sur deux serait lié à l'homosexualité, ajoute-t-il. Beaucoup ont intériorisé l'homophobie à laquelle ils ont été confrontés tout petits à travers les insultes ou les blagues visant les homosexuels. Du coup, ils se sentent dévalorisés et ils sont incapables d'en parler à leurs proches. Notre travail, c'est de leur dire qu'il y a des lieux où cette différence est acceptée et qu'on peut s'approprier une identité."

Anne Chemin

http://www.lemonde.fr/societe/article/2 ... _3224.html
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Re: Le suicide révèle la souffrance singulière des jeunes homos

Messagede RickRoll » 23 Aoû 2009, 17:24

Article vachement intéressant, qui nous permet de dire que l'homophobie ne tue pas seulement directement (meurtres ou agressions homophobes).
C'est même l'homophobie (ou l'hétéroconservatisme) du quotidien qui est la plus importante et la plus insidieuse. Elle entraîne une intériorisation de l'homophobie qui perturbe l'image de soi et conduit au suicide.
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Re: Le suicide révèle la souffrance singulière des jeunes homos

Messagede Seitanarchist » 30 Aoû 2009, 15:55

oui, tout à fait d'accord pour l'intériorisation de l'homophobie.
Je pense que c'est exactement le même schéma que les filles "sexistes" qui vont reprocher à d'autres d'être trop ou pas assez féminines, ou ce genre de choses.
Intériorisation de l'oppression. Le "c'est ma faute".

Le suicide est une question dont on parle peu, mais que je trouve vraiment intéressante.
Les sociétés des pays les plus "développées économiquement" (les "super-puissances") sont généralement celles où il y a le plus de suicides ou de tentatives de suicides :
en général pas seulement parce que l'oppression y est spécialement plus développée, mais aussi parce que la vie y est stressante, dénuée de sentiments, de vécu social, d'intimité réelle etc.

En France, le suicide est malheureusement assez rependu, mais plus encore les tentatives.
On pourrait relier ça aussi au fait que la France est le premier consommateur mondial d'antidépresseurs et qu'en conséquence nous sommes moins portés sur le suicide comme au Japon, où le stress est omniprésent, et où la culture y joue aussi son rôle : valorisation de l'honneur comme rite social (héritage du système féodal) et non (comme ici) de la honte sur le suicide (héritage des valeurs judéo-chrétiennes : "péché mortel").

J'avais déjà lu à plusieurs reprises que le suicide était très fréquent chez les homosexuelLEs et malheureusement ça ne m'étonne pas.
Si vous trouvez de chiffres, vous pourriez les poster ?
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Re: Le suicide révèle la souffrance singulière des jeunes homos

Messagede conan » 30 Aoû 2009, 16:22

A ta dernière remarque sur les sociétés plus "développées économiquement", il me semble que Stirner apporte une autre réponse complémentaire. Ces sociétés sont bien plus marquées par le légalisme, c'est-à-dire un effort immense de légitimisation de l'oppression qu'exerce le pouvoir économique et étatique. Effort entrepris depuis plus de deux siècles par la bourgeoisie.

Cette légitimisation de son oppression est d'autant plus pernicieuse qu'elle a su dépouiller la société des vieilles valeurs, des vieilles légitimités médiévales devenues surannées (l'appartenance à un corps ; l'hommage, comme honneur de servir avec amour et fidélité l'arbitraire d'un maître personnel, en échange de sa protection ; la justification divine de l'ordre établi, etc...). Mais ce, pour construire la légitimité de sa propre domination. Créer l'assentiment autour de nouvelles valeurs, de nouvelles idées aliénantes, assez vagues et diffuses pour paraître émancipatrices ("liberté", "égalité", "fraternité", "rétribution du travail", "l'humain", l'intérêt commun" et même la "laïcité" etc... avec des outils comme l'argent, l'amour hétéronormé, l'instruction et la langue, etc...), mais assez fermement établies et instillées en chacun, de sorte de maintenir chaque individu sous la coupe du pouvoir bourgeois. Pouvoir qui eut l'intelligence, et a toujours l'intelligence, de n'incarner en aucune personne précise le siège ultime de sa force, mais en chacune l'assentiment nécessaire à celle-ci.

Or plus il est exigé de chaque humain d'ingérer très jeune ces dogmes, de les faire siens, de devenir citoyen, plus leur remise en cause est comparable à un blasphème et anti-civique, et plus il y a soumission par assentiment généralisé ; donc plus l'oppression est intégrée.

Lorsque l'individu est malheureux, c'est juste qu'il n'a pas su réussir, dans la grande course de l'égalité généreuse des "chances" et du "choix", à devenir le bon citoyen, à "incarner" ces valeurs. Il n'a dès lors plus qu'à s'en prendre à lui-même, à assumer son a-normalité comme étant sa faute, son péché d'autant plus mortel qu'il est laïque, lui sussurre le système et tous ses relais trépanés. A défaut de se suicider, l'individu meurt à petit feu, de résignation en résignation, abdiquant toute sa dignité individuelle.

Le suicide, au propre comme au figuré, individuel, social et politique, est au coeur de la puissance bourgeoise.
conan
 

Re: Le suicide révèle la souffrance singulière des jeunes homos

Messagede RickRoll » 30 Aoû 2009, 23:50

Je pense différemment de toi Seitanarchist. Le suicide est une expression de la souffrance, et toute expression de la souffrance est culturelle.

Par exemple il y a autant de dépressions en Afrique subsaharienne qu'en Europe (ou sensiblement) mais la dépression ne s'exprime pas par les mêmes symptômes et ne se traduit pas par les mêmes actes. Les zombies vaudous par exemple, sont souvent des personnes qui sont en pleine dépression.

Bref, je pense que la souffrance d'être homosexuel-le est la même partout, car l'homophobie est très répandue dans de nombreuses cultures. Cependant je ne sais pas si dans ces cultures la souffrance va se traduire par un suicide.
RickRoll
 

Re: Le suicide révèle la souffrance singulière des jeunes homos

Messagede Seitanarchist » 07 Sep 2009, 00:50

Bref, je pense que la souffrance d'être homosexuel-le est la même partout, car l'homophobie est très répandue dans de nombreuses cultures. Cependant je ne sais pas si dans ces cultures la souffrance va se traduire par un suicide.


Désolé mais je ne suis pas d'accord dutout. Tout ne se résume pas à la culture (encore heureux) mais aussi une question de vécu et de ressenti (donc de sensibilité) personnelle, qui a sa singularité.
Et chaque histoire est différente.
Je suis d'accord pour dire qu'on souffre de l'homophobie partout lorsqu'on est homosexuel ou simplement pas hétérosexuel, ou hétéronormé : mais celà étant dit les cultures sont différentes et donc on ne souffre pas partout pareil et de la même manière.

ça n'a rien de "raciste" que de le dire, certaines cultures sont plus ouvertement machistes et homophobes. Même si le fond du problème ne change pas ( il s'agit pas de dire qu'on est " plus homophobe dans tel pays qu'en france", vu que ce serait un jugement de valeur ), néanmoins on peut le ressentir d'une manière plus profonde dans certains endroits.
Pour la peine je pense que malgré ce qu'on raconte, la france est un pays extrêmement homophobe (autant institutionellement que dans la culture, les rapports sociaux, la vie quotidienne) parce qu'hétéronormée et machiste, et qu'on y éprouve un certains penchant culturel pour le dénis. " Les français ? homophobes ? Mais pas dutout enfin ! ".

Après il y a des pays où on te jette encore en tôle ou bien même on te pend pour le fait d'être homosexuel.
Donc de base : non c'est pas partout pareil. :confus: (mais j'ai peut être mal compris ce que tu voulais dire).
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