La femme invisible, ou l’identité de genre à l’ère du néo-libéralisme
À parcourir les médias libéraux ces derniers mois, on croirait que quiconque a le moindre problème avec la présence d’une personne transgenre dans sa salle de bain est nécessairement un fondamentaliste intolérant issu du Deep South américain. Cette perception résulte non seulement de vastes simplifications excessives, mais c’est une fausse représentation délibérée de faits vérifiables. Si la loi HB2 (adoptée en Caroline du Nord au début de mars) est un instrument haineux et discriminatoire qui sert d’écran de fumée pour effacer d’autres droits économiques, il reste que la position subséquente du ministère américain de la Justice est tout aussi erronée. Si nous ne savions pas déjà que les femmes constituent des citoyens de troisième classe, nous devrions certainement le comprendre maintenant.
Jusqu’à la fin de sa présidence, l’administration Obama n’a pas soufflé mot du renversement progressif du droit à l’avortement, État après État. Pas le moindre mot non plus de la part de Bruce Springsteen ou de PayPal (hérauts de la résistance à HB2) concernant les droits des femmes. Cela n’est vraiment pas étonnant… Pas pour les femmes, du moins. Nous sommes habituées à ce que nos voix soient pratiquement étouffées, même sur des enjeux qui nous affectent directement. Cette attitude est habituelle et bien connue au sein de la gauche masculiniste (brocialism). Il est tout à fait prévisible que la réalité que constitue la violence masculine ne disparaisse pas magiquement en raison du type de politique identitaire qui nous demande de suspendre notre scepticisme et d’embrasser le principe que « l’identité de genre » doit primer l’identité sexuelle. Le problème du discours tenu par le ministère de la Justice sous Obama est qu’il suggère que « l’identité de genre » est le sexe, et que, même si la définition du genre est entièrement laissée à l’impression qu’en a le sujet, toute reconnaissance du sexe biologique est, elle, tenue a priori pour « transphobe ».
Ce discours, où le genre est médicalisé afin de réduire au silence la moitié de la population et où l’on traite maintenant comme des fictions les différences biologiques (et la façon dont ces différences s’inscrivent dans le système patriarcal), est un véritable cadeau pour les militants masculinistes. Le résultat des efforts visant à « élargir la définition de la femme » est qu’aujourd’hui, n’importe qui peut se qualifier de femme, mais les femmes réelles n’ont plus le droit de parler de leur oppression ou de leurs corps.
Les « identitariens » (c.-à-d. ceux qui attellent leur subjectivité à une politique identitaire) ont tenté de remédier à ce qu’ils appellent leur sentiment d’« exclusion » en subvertissant les mouvements politiques des femmes et le langage qui permet à celles-ci de décrire leurs réalités. Une des tentatives récentes de redéfinition de la femme est la plate-forme politique étasunienne de la Grève des femmes, où les transgenres HàF supplantent les femmes de couleur dans sa dénonciation de la violence faite aux femmes. Elle promeut également des droits reproductifs « pour l’ensemble des femmes, cis et trans ». Étant manifestement de sexe masculin, les transgenres HàF n’ont bien sûr aucune inquiétude en matière de droits reproductifs. Cette façon de prioriser des hommes sur des femmes au nom des droits des femmes n’a absolument rien de subversif. C’est plutôt l’écho d’une misogynie de longue date.
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https://tradfem.wordpress.com/2017/03/1 ... beralisme/Le problème qui n’a pas de nom… parce que le mot « femme » est qualifié d’essentialiste
« Y a-t-il une façon plus courte et non essentialiste de parler de « personnes qui ont un utérus et tous ces trucs »? », a demandé sur le réseau Twitter la journaliste Laurie Penny. À plusieurs égards, la quête de Penny pour trouver un terme décrivant les personnes biologiquement femmes sans jamais utiliser le mot femme décrit le principal défi posé au langage féministe actuel. La tension entre les femmes qui reconnaissent et celles qui effacent le rôle que joue la biologie dans l’analyse structurelle de notre oppression s’est transformée en ligne de faille (MacKay, 2015) au sein du mouvement féministe. Des contradictions surviennent lorsque des féministes tentent simultanément de voir comment la biologie des femmes façonne notre oppression en régime patriarcal et de nier que notre oppression possède une base matérielle. Il existe des points où l’analyse structurelle rigoureuse et le principe de l’inclusivité absolue coexistent difficilement.
Au cours de la même semaine, Dame Jeni Murray, qui anime depuis 40 ans l’émission radio de la BBC « Woman’s Hour », a été prise à parti par des trans pour avoir posé la question suivante : « Est-ce que quelqu’un qui a vécu en tant qu’homme, avec tous les privilèges que cela implique, peut réellement revendiquer la condition féminine? » Dans un article rédigé pour le Sunday Times, Murray a réfléchi au rôle de la socialisation genrée reçue au cours des années de formation dans le façonnement des comportements ultérieurs, en contestant l’idée qu’il est possible de divorcer le moi physique du contexte sociopolitique. De façon semblable, la romancière Chimamanda Ngozi Adichie est présentement mise au pilori pour ses propres commentaires sur l’identité de genre.
Lorsqu’on lui a demandé « La façon dont vous en êtes venue à la condition féminine a-t-elle de l’importance? », Adichie a fait ce que peu de féministes sont actuellement disposées à faire en raison du caractère extrême du débat entourant le genre. Elle a répondu sans détour et publiquement :
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« Alors, quand des gens soulèvent la question « est-ce que les transfemmes sont des femmes? », mon sentiment est que les transfemmes sont des transfemmes. Je pense que si vous avez vécu dans le monde en tant qu’homme, avec les privilèges que le monde accorde aux hommes, et que vous changez ensuite de sexe, il est difficile pour moi d’accepter que nous puissions alors comparer vos expériences avec les expériences d’une femme qui a toujours vécu dans le monde en tant que femme, qui ne s’est pas vu accorder ces privilèges dont disposent les hommes. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose d’amalgamer tout cela. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose de parler des enjeux des femmes comme étant exactement identiques aux enjeux des transfemmes. Ce que je dis, c’est que le genre ne relève pas de la biologie, le genre relève de la sociologie. »
Au tribunal de l’opinion queer, le crime d’Adichie a été de différencier, dans sa description de la condition féminine, les personnes qui sont biologiquement des femmes, et élevées en tant que telles, de celles qui passent du statut masculin au statut féminin (et qui étaient, à toutes fins utiles, traitées comme des hommes avant leur transition). Dans le discours queer, les préfixes de « cis » et de « trans » sont conçus pour tracer précisément cette distinction, mais ce n’est que lorsque des femmes féministes précisent et explorent ces différences que leur reconnaissance suscite la colère.
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