Chat avec la philosophe Elsa DORLIN, dans Le MONDE d'aujourd'hui (http://www.lemonde.fr/societe/chat/2010 ... -32280229-):
"(...)Kévin : Pourquoi faut-il toujours que seules les femmes représentent le mouvement féministe, ne pourrait-il pas y avoir des hommes, cela ne le rendrait-il pas plus riche et fort ?
Elsa Dorlin : Il y a toujours eu historiquement des hommes qui ont participé activement ou soutenu les mouvements féministes. Historiquement, en France, Condorcet s'est battu pour l'accès à l'éducation et aux droits civils et civiques des femmes. Aux Etats-Unis, Fred Douglas, ancien esclave et figure du mouvement abolitionniste, a beaucoup contribué à l'émancipation des femmes. Citons également les militants gay du FHAR (Front homosexuel d'action révolutionnaire), créé en 1971, un an après le Mouvement de libération des femmes (MLF), et qui a fortement soutenu la cause féministe.
De toute évidence, la lutte pour une société non sexiste concerne les hommes. Toute la question est de savoir pourquoi si peu d'hommes se sont politiquement saisis de ce combat. Souvent, lorsqu'on parle de féminisme, on considère qu'il ne s'agit que d'une question de femmes. C'est toujours et en même temps une question de société qui concerne l'ensemble des individus. Cela étant, il me semble que, comme n'importe quelle minorité, il faut toujours garder en mémoire l'importance de la non-mixité d'un mouvement de lutte. En ce qui concerne les femmes par exemple, la non-mixité a permis une conscientisation collective et la construction d'une identité politique. Ces moments ou ces espaces de non-mixité peuvent très bien s'articuler à des moments de mixité et de solidarité avec des hommes féministes.
Enfin, il est très intéressant de voir qu'en France, la participation des hommes aux mouvements féministes ne semble pas aussi importante que dans d'autres pays. A l'EHESS, Alban Jacquemart est actuellement en train de rédiger une thèse sur cette question.
Camille Potier : Pensez-vous que l'hominisme peut faire avancer les combats du féminisme ?
Elsa Dorlin : C'est probablement aux hommes de répondre à cette question. en règle générale, on me parle plus souvent de masculinisme. Si je comprends bien, c'est quelque peu différent. Le masculinisme constitue majoritairement un courant réactionnaire qui considère que les mouvements féministes sont responsables d'une crise de la masculinité et de la perte par les hommes d'un certain nombre de privilèges. En ce qui concerne l'hominisme, je ne connais pas les bases politiques de ce mouvement, mais je crois qu'il faut se méfier d'une interprétation qui consisterait à réduire le féminisme à un groupe naturel ou biologique : les femmes. Le féminisme renvoie, bien au contraire, à une minorité, à un groupe social discriminé en raison de son sexe (de la même façon que certaines minorités racialisées ont été opprimées en raison de leur prétendue race ou couleur). Le sexe est donc avant tout politique. (...)"