Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 28 Fév 2012, 19:47

Affaire de Tarnac : retour sur quatre ans d'enquête et de rebondissements 27.02.12

Le 11 novembre 2008, la police procède à plusieurs arrestations dans le village de Tarnac en Corrèze.

La chronologie des quatres années d'enquête dans l'affaire du "groupe de Tarnac" est complexe, car plusieurs affaires se superposent. Initialement, il s'agit de l'enquête sur le sabotage des lignes SNCF, mais les suspects ont ensuite contesté l'instruction et déposé plusieurs plaintes, notamment pour usage de faux et atteinte à l'intimité de la vie privée. Vendredi 24 février, un homme proche du "groupe de Tarnac" a encore été placé en garde à vue par les policiers de la sous-direction de la lutte antiterroriste (SDAT).
En 2003, Julien Coupat, 28 ans, achète la ferme Le Goutailloux à Tarnac (Corrèze). Une petite communauté s'installe avec lui. En 2005, ils reprennent l'épicerie du village. Depuis 2002, Julien Coupat est fiché par les Renseignements généraux, faisant suite à une occupation sur le campus de Nanterre. En 2005, sa fiche est "mise sous surveillance".

2008

4 avril : Début des écoutes téléphoniques de l'épicerie. Celles-ci sont révélées par un employé de France Télécom. Dès le lendemain, il est convoqué, avec son responsable, à la direction générale à Bordeaux. A sa sortie, il reçoit une lettre de mise à pied à titre conservatoire.

8 novembre : Quatre sabotages sont déplorés par la SNCF dans l'Oise, l'Yonne et en Seine-et-Marne. Julien Coupat et Yldune Lévy justifient leur proximité de l'une des lignes : "On a fait l'amour dans la voiture, comme plein de jeunes."

11 novembre : Interpellation et placement en garde à vue de neuf personnes. Lors de la perquisition, la police saisit des ordinateurs, des coupe-boulons, des cartes SNCF, des documents d'identité découpés et deux gilets pare-balles.

15 novembre : Quatre personnes mises en cause sont remises en liberté sous contrôle judiciaire. Il s'agit de Bertrand Deveaux, Elsa Hauck, Aria Thomas, et Mathieu Burnel. Les autres sont écroués. Tous sont mis en examen pour "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste" et Julien Coupat, pour "direction ou organisation d'un groupement formé en vue de la préparation d'un acte terroriste".

25 novembre : Dans une lettre ouverte, les parents des neuf autonomes demandent la libération de leurs enfants. Ils dénoncent les méthodes utilisées par la police, la complaisance des médias et la présomption de culpabilité qui pèse sur leurs enfants.

2 décembre : Trois nouvelles personnes sont remises en liberté sous contrôle judiciaire. Il s'agit de Gabrielle Hallez, Manon Glibert et Benjamin Rosoux. Yldune Lévy et Julien Coupat restent derrière les barreaux. Le juge des libertés et de la détention estime pourtant que la détention de Julien Coupat n'est pas "indispensable à la manifestation de la vérité", mais la chambre de l'instruction ne le suit pas et se prononce pour son maintien en détention.

2009

16 janvier : Yldune Lévy est libérée. La mobilisation s'organise pour demander la libération de Julien Coupat. Des rassemblements ont lieu dans plusieurs villes. Le Comité de soutien aux inculpés du 11 novembre voit le jour.

13 mars : Troisième rejet de la demande de mise en liberté de Julien Coupat. Jeudi 2 avril, quatre des avocats des personnes mises en examen dénoncent au siège de la Ligue des droits de l'homme les "dérives" d'une procédure "toxique pour les libertés publiques".

28 mai : Remise en liberté de Julien Coupat. Après six mois de détention, il est soumis à un contrôle judiciaire strict. A la suite de sa libération, Jean-Claude Marin, procureur de la République de Paris, déclare : "Si la mise en examen d'une personne ne préjuge en rien de sa culpabilité, sa remise en liberté au cours de l'information judiciaire ne saurait être interprétée comme le signe de l'absence ou l'insuffisance de charges contre elle."

25 novembre : Les avocats de la défense dénoncent des "anomalies" dans l'enquête. Lors d'une conférence de presse, Me Thierry Lévy, William Bourdon et Jérémy Assous relèvent notamment qu'"aucun des fonctionnaires de police chargés de la surveillance continue […] n'a déclaré avoir vu l'un d'entre eux sortir du véhicule ou y entrer, ni avoir vu personne sur la voie ferrée". Ils soutiennent aussi que les traces de pneus relevées à proximité de la voie sabotée ne "sont pas compatibles" avec la voiture de Coupat. Jerémy Assous, l'avocat d'Yldune Lévy, dénonce la fabrication de preuves. Pour lui, les policiers n'ont pas réalisé cette filature. "Ils n'y étaient pas et ils ont inventé."

2010

22 octobre : La cour d'appel de Paris valide l'intégralité de l'enquête. La chambre de l'instruction rejette la demande d'annulation de l'enquête. La défense avait demandé l'annulation de deux pièces du dossier : la surveillance (illégale) du domicile de Julien Coupat à partir du 15 août 2008 et le placement sur écoute sauvage de l'épicerie de Tarnac.

2011

13-14 janvier : Une reconstitution a lieu en Seine-et-Marne. "Ce n'était pas une reconstitution, nous avions demandé une reconstitution qui n'a pas eu lieu", déclare alors Me Thierry Lévy, l'un des avocats de la défense. Selon lui, plusieurs actes demandés au cours de la nuit – notamment la vérification de la capacité des enquêteurs à identifier Julien Coupat au pied des voies – leur ont été refusés.

2 février : Plusieurs plaintes sont déposées par la défense. Une plainte auprès du procureur de Brive-la-Gaillarde pour "interception de correspondances" et "atteinte à l'intimité de la vie privée", une autre "pour subornation de témoins" à Clermont-Ferrand.

2012

3 janvier : Ouverture d'une information judiciaire pour "atteinte au secret des correspondances" et "atteinte à l'intimité de la vie privée" par la juge d'instruction de Brive-la-Gaillarde, Cécile Lasfargues. La justice enquête sur des écoutes illégales menées avant l'affaire du sabotage. C'est une petite victoire pour les mis en examen de Tarnac.

24 février : Un homme proche du "groupe de Tarnac" est placé en garde à vue par les policiers de la sous-direction de la lutte antiterroriste (SDAT). Il est soupçonné d'avoir fabriqué les crochets utilisés lors des dégradations commises sur une ligne TGV en 2008.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 04 Mar 2012, 22:33

Affaire de Tarnac : l'indignation du sculpteur interpellé en Normandie 04 mars 2012 GILLES LAMY

Contre-enquête. Ils étaient soupçonnés de terrorisme. José Torres et son fils racontent l’intervention des policiers.

ROUEN (Seine-Maritime). Ancien militant libertaire, ancien syndicaliste CGT, accusé à tort de trafic d’armes en 1970, ce qui lui a valu huit mois de prison à la Santé… José Torres en a vu d’autres. Mais qu’on le prenne, lui ou son fils, pour l’un des terroristes qui a saboté des lignes de TGV en 2008 (*), il ne le supporte pas. C’est pourtant chez lui, à Roncherolles-sur-le-Vivier, que les policiers de la Sdat (Sous-direction de la lutte anti-terroriste) ont débarqué le jeudi 23 février (Paris-Normandie du 24 février). « Je veux que les choses soient claires. Je n’ai rien à voir avec cette affaire ! », martèle-t-il avant de raconter l’intervention policière.
« Il était 8 h du matin et j’étais au lit, poursuit le sculpteur âgé de 86 ans. J’ai entendu mon chien aboyer. Je suis sorti en pyjama et j’ai vu une vingtaine de policiers accompagnés d’un juge d’instruction. Ils ont demandé après mon fils. Il venait de se lever. Ils l’ont menotté et l’ont emmené ».
José Torres ne comprend pas. « J’ai demandé ce qui se passait. On m’a répondu que c’était pour l’affaire de Tarnac ». Lorsqu’il était étudiant, son fils a été co-locataire de l’un des membres du « groupe de Tarnac », qui sont tous en liberté aujourd’hui. Cette ancienne proximité et le fait qu’il ait une formation de ferronnier auraient amené les policiers à le soupçonner d’avoir fabriqué les crochets utilisés pour le sabotage.
« N’importe quel homme qui sait souder pourrait fabriquer ces crochets », assure le fils, qui a été libéré après 35 h de garde à vue dans les locaux de la Sdat. Son père, qui travaille le métal, a d’ailleurs été interrogé pendant deux heures chez lui. « Parce que ces objets sont fabriqués avec des fers à béton soudés, ils m’ont soupçonné aussi », s’indigne José Torres. Les policiers ont d’ailleurs perquisitionné sa maison et son atelier pendant 7 heures. « Tous les forgerons de France doivent-ils s’attendre à une descente de la cellule anti-terroriste ? », ironise sa femme, qui déplore l’état dans lequel les policiers ont laissé les chambres de ses deux fils.
« Ils connaissaient mon existence depuis longtemps, ajoute le fils. Ils ont justifié leur intervention en prétendant qu’ils avaient eu de nouvelles infos ».
Aujourd’hui, la famille s’étonne surtout que les policiers aient déployé « des moyens aussi importants à partir d’indices aussi légers ».

(*) Les actes de sabotage commis en novembre 2008 avaient affecté les lignes à grande vitesse (LGV) Nord, Est et Sud-Est après que les crochets eurent été percutés par les trains-balais, chargés de vérifier quotidiennement la sécurité des voies avant l’ouverture au trafic commercial. Dans cette affaire, dix personnes ont été mises en examen, notamment pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Les suspects ont contesté l’instruction et déposé plusieurs plaintes. Ils ont tous été libérés, y compris, en mai 2009, Julien Coupat, chef présumé du groupe.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 07 Mar 2012, 23:56

Tarnac, une affaire d’État PAR SIMON GOUIN (7 MARS 2012)

Où s’arrête le terrorisme ? Où commence son instrumentalisation ? Dans son livre, Tarnac, Magasin général, le journaliste David Dufresne tente de comprendre comment l’affaire qui a rendu célèbre un petit bourg de Corrèze et médiatisé une fantasmatique « ultragauche » a pu naître. Trois ans et demi d’enquête, à rencontrer les inculpés, les services de renseignement, les politiques. Et une volonté de décrypter les arrière-pensées et les manipulations, jusqu’au concept orwellien de « préterrorisme ». Entretien.

Basta ! : Vous tentez de comprendre les logiques qui animent les différents protagonistes. Pourquoi avoir laissé de côté la question de la culpabilité des inculpés de Tarnac ?

David Dufresne : La question de savoir, plus de trois ans après les faits, qui a posé les fers à bétons (sur une ligne de TGV, ndlr), reste très secondaire, au regard du reste de l’opération. L’obsession de la justice et de la police dévoile autre chose que ce qui est légitime : rendre justice. C’est ce qui m’intéresse : comment une telle « affaire » peut-elle être orchestrée, créée, exploitée, à d’autres fins que la simple volonté de rendre justice. C’est une « affaire » éminemment politique, bien avant qu’elle n’éclate au grand jour. Avec l’approche de l’élection présidentielle, Tarnac me semble une occasion de réfléchir à ces questions : qu’est-ce que le terrorisme ? Qu’est-ce que l’antiterrorisme, la violence, le militantisme, la police de renseignement ? On pourrait poser ces questions à François Hollande, qui, à titre d’élu corrézien, a défendu les gens de Tarnac tardivement. Ou à Nicolas Sarkozy, qui a publié un communiqué de presse triomphant le matin des arrestations. Toute l’affaire s’est déroulée sous son règne et, en partie, sous l’impulsion de certains de ses proches.

Vous racontez notamment les guerres que se livrent les services de renseignement, les difficultés engendrées par la fusion des services quatre mois avant les sabotages. Et leur fonctionnement : pression, rendement, rémunération des indics…

Cette « affaire » devait servir de prétexte à plusieurs volontés politiques. Elle permet d’abord à Michèle Alliot-Marie de se positionner, en tant que ministre de l’Intérieur, sur un créneau particulier : le terrorisme. Je parle de créneau parce que c’est ainsi que les policiers le nomment. Ils parlent aussi de marché, de parts de marché… Michèle Alliot-Marie va instituer des réunions antiterroristes, tous les jeudis soirs, au sein de son ministère. Réunions ultraconfidentielles, qui réunissent tous les patrons de police et qui n’ont jamais eu lieu avant, ni après elle. « L’affaire Tarnac » devait aussi servir à faire briller la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur), le « FBI à la française » voulu par Sarkozy et créé en juillet 2008, soit quatre mois avant les sabotages. En réalité, les services qui devaient travailler ensemble vont se faire la guerre. Au sein de la DCRI, c’est la guerre de tranchées entre ceux qui viennent de la DST et ceux qui viennent des RG. Puis il y aura la guerre entre la DCRI et les RG parisiens. Ensuite, une autre rivalité cruciale, celle entre les gendarmes, d’un côté, et la DCRI et la Sous-Direction antiterroriste, de l’autre.

Pourquoi certains policiers acceptent-ils de vous rencontrer ?

En partie à cause de la guerre des polices. Mais aussi du fait que je prenais le temps, le temps d’une enquête au long cours. Je m’intéressais à leur travail, à sa banalité, à son quotidien. Tout le monde apprécie que l’on s’intéresse sincèrement à son travail. Arrive un moment où ils voulaient légitimement livrer leur point de vue, raconter les pressions subies, leurs propres doutes, ou leurs convictions. Il y a aussi ceux qui veulent se venger de ne pas avoir reçu la petite enveloppe des 100 ou 150 euros que leurs collègues ont eue, lors d’une réception discrète au ministère de l’Intérieur. Enfin, certains veulent me manipuler. Ils parlent sur ordre – ou non, d’ailleurs.

Certains prennent des risques…

Une des policières de la DCRI m’explique qu’elle pourrait passer au service « compromission », également surnommé en interne « la Stasi ». Le risque ultime ? Se faire virer, après procès. Lors de nos rencontres, certains me demandent d’éteindre mon portable, d’autres de me débarrasser de mon carnet de notes. Je prends ça pour du bluff puis je comprends au fil du temps que c’est sérieux. Très souvent, les rendez-vous sont fixés par des intermédiaires.

Vous décidez de respecter le off des sans-grade, des exécutants, mais pas de Joël Bouchité, l’ex-patron des RG, ni de Bernard Squarcini, le patron de la DCRI. Pourquoi ?

Le choix est simple, même s’il m’a fallu des mois pour m’y résoudre. Tous savaient que j’écrivais un livre. Et le temps que prenait Bernard Squarcini pour me recevoir au 8e étage de la DCRI, par exemple, en disait long sur la coloration politique de cette affaire. Si je le mets sous pseudonyme, si je ne dis pas qui il est, je tombe dans le travers que je reproche, qui est en gros d’être toujours dans le vague : « dans l’entourage de… », « de source proche de l’enquête », « dans le cabinet du ministère ». Par ailleurs, ces gens-là sont des personnages publics, ils doivent leur nomination aux politiques. On sait que Bouchité et Squarcini sont proches de Sarkozy. Ils sont là où ils sont parce qu’ils agissent dans les cercles du pouvoir. Il faut assumer cela et, dès lors, dire les choses telles qu’elles sont, ne pas les camoufler. Ce qui n’est pas le cas de l’enquêteur de base.

Votre livre commence par le procès-verbal qui demande l’ouverture d’une enquête préliminaire, puis par votre rencontre avec l’une des mises en examen, Gabrielle H. Pourquoi débuter ainsi ?

La cote D1, qui marque le début du dossier d’instruction, contient en dix lignes ce que les policiers vont chercher à prouver pendant des années. Ces derniers agissent comme des mathématiciens qui voudraient démontrer coûte que coûte leur hypothèse de départ, et non comme des enquêteurs à charge et à décharge. Avec ce PV, on entre de plain-pied dans la logique policière, avec son jargon, son vocabulaire. Quant à la rencontre à Tarnac avec Gabrielle H., c’est l’occasion d’entrer dans le village, dans l’épicerie, et de confronter cette « affaire » à cette réalité, très éloignée des fantasmes des uns (policiers) et des autres (journalistes, commentateurs). Tout le livre est ainsi construit, dans un va-et-vient.

Tout au long du récit, vous décrivez vos sentiments, vos espoirs, vos désillusions… Pourquoi choisissez-vous cette forme d’écriture ?

Je suis venu à l’écriture par les fanzines et la critique rock, un genre très empreint du « nouveau journalisme », du gonzo journalisme, du « je », de l’expérience, du fait que l’on assume poser un regard sur les événements, et pas uniquement un regard clinique. Ce regard « factuel », « professionnel », est dérisoire. Il constitue parfois un mensonge. Exemple, quand on scrute les procès-verbaux reproduits dans le livre, on mesure combien ils sont parfois complètement orientés. Ce qui est présenté dans la presse comme étant une vision objective des faits, issue de l’instruction, est en réalité tout à fait subjectif.

Face à cette subjectivité qui ne dit pas son nom, je pense qu’il faut porter son propre regard subjectif, en restant le plus honnête intellectuellement. L’objectivité, pour aller très vite, revient à faire un journalisme de statu quo, un journalisme d’administration. Les flics, la justice sont les tenants de la version officielle. L’« objectivité factuelle » revient souvent à placer la version officielle en avant. Personnellement, j’étais dans la mêlée, pas au dessus. Je raconte la mêlée.

Votre livre est entrecoupé de larges extraits de procès-verbaux issus du dossier d’instruction. Que nous apprennent-ils ? Pourquoi avoir choisi de les publier tels quels ?

Pour la forme d’abord : d’une certaine manière, le procès-verbal est un genre littéraire en soi. C’est une grammaire, une syntaxe particulière. Il y a cette sécheresse du mot, parfois un côté désuet, ou roublard, toujours une bataille psychologique entre quelqu’un qui interroge et un interrogé. En l’espèce, il y a de véritables moments de bravoure. Et sur le fond, reproduire ces PV est une façon de s’interroger : à quoi ça rime de publier chaque jour des articles avec trois bouts de PV ? Regardons la question posée avant, celle d’après. Regardons le contexte. Regardons comment cette parole est recueillie. C’est valable pour pratiquement toutes les affaires : la parole est recueillie dans des conditions exécrables, justement pas « objectives » du tout ! Or, la presse, pour des raisons de place, va à l’essentiel, c’est-à-dire à la petite phrase, l’aveu, extorqué ou non, la citation idéale, et écarte tout le reste. J’ai décidé d’en publier suffisamment pour démontrer la logique à l’œuvre.

Au fil des pages, on découvre les méthodes policières de renseignement, l’univers carcéral décrits par les accusés : les conditions d’isolement sensoriel à Levallois-Perret, les prélèvements d’ADN, les nombreux interrogatoires…

Il ne s’agit pas de s’apitoyer mais de raconter la réalité. Rappeler qu’un individu en interrogatoire ne dort pas, et que ces conditions vont forcément le mettre dans une position de faiblesse. Rien de nouveau sous le soleil, certes. Et c’est bien justement le problème ! Plus emblématique encore de cette « affaire » est le travail des renseignements généraux puis de la Direction centrale du renseignement intérieur. Comment on leur apprend à faire des choses à la limite de la légalité, comme poser une balise pendant qu’une voiture est au garage, en réparation. Comment, si elle n’est pas en réparation, il faut se débrouiller pour le faire sur un parking, avec deux équipes, une chargée de surveiller le proprio, pendant que l’autre s’affaire sur le véhicule… Je raconte tout cela, les écoutes, les balises. Je reproduis un manuel de stage de formation du groupe opérationnel des ex-RG.

Joël Bouchité, l’ex-patron des renseignements généraux, vous révèle qu’il y avait bien une balise sous la voiture de Julien Coupat, bien avant les dégradations. Or cela pose problème…

Oui, car dans le dossier d’instruction, il n’y a trace d’aucune balise. C’est toute la question de la « judiciarisation du renseignement » et de la DCRI : elle a à la fois la casquette renseignement et la casquette judiciaire. Ce qui est recueilli dans des zones extrêmement grises par le renseignement (indics, écoutes, balises), sous le sceau désormais du secret défense, peut se retrouver « habillé » pour atterrir dans un dossier judiciaire. La question juridique, et morale, est de savoir comment on passe de l’un à l’autre. En termes de droit, si la balise n’a pas été autorisée, cela veut dire que tout le PV de surveillance de la nuit des sabotages – que la justice prête pour l’un d’eux à Julien Coupat et à Yildune Lévy – peut être annulé. Et s’il n’y a plus de PV de surveillance, l’instruction s’écroule.

Vous analysez aussi le traitement médiatique de l’affaire. Vous parlez des « grandes oubliettes de la petite actualité » et que la presse ne sort pas du dyptique innocent/coupable ou pour/contre.

La question n’est pas dans le noir/blanc. Mathieu Burnel, un des inculpés, l’analyse fort bien. La question est : est-ce que vouloir s’extraire de l’époque, c’est un crime ? Est-ce un crime d’ouvrir une ferme à des activistes, à des militants du monde entier ? C’est à cause de cela qu’on va surveiller ces gens. Cette question est bien plus signifiante. De dire que ce sont uniquement des gentils épiciers, ce n’est pas vrai. Évidemment qu’il y a des rencontres politiques, des discussions radicales qui sont menées. Mais est-ce qu’on est dans le terrorisme ? Est-il légitime d’utiliser contre eux les moyens de l’antiterrorisme – les plus importants d’un point de vue policier ? Est-ce qu’on peut discuter la notion de « préterrorisme » ? Et si oui, ça commence quand ? C’est ce que je demande à Squarcini.

C’est la notion de préterrorisme, que vous interrogez tout au long du livre, et que définit Bernard Squarcini, le patron de la DCRI.

C’est le grand dilemme de l’antiterrorisme. Car c’est une police qui, plus qu’aucune autre, a failli si les gens qu’elle poursuit commettent leurs actes. C’est une police préventive, mais pas au sens prévention de la délinquance : au sens d’essayer d’agir avant que les agissements n’aient lieu. Elle doit pour cela surveiller des gens qu’elle soupçonne capables de commettre des crimes et elle les arrête avant qu’ils ne les commettent. Sauf qu’on n’a absolument pas la certitude que les gens commettraient les crimes dont on les soupçonne.

Prenons Bernard Squarcini. À ses yeux, la « bande de Tarnac » – il l’appelle comme ça –, c’était « un pot au feu qu’il fallait laisser mijoter ». C’est ça, le préterrorisme du point de vue policier. On voit bien dans cette histoire les risques que ce « concept » fait courir aux libertés individuelles et collectives. Le terrorisme est une des clés de voute de la police sécuritaire. Contrairement à l’image qu’elle se donne, cette police n’a rien d’exceptionnel. Elle fait absolument partie du dispositif sécuritaire dans son ensemble. Ça commence par Vigipirate dans les gares à Paris, depuis des années. Ça se poursuit avec les niveaux d’alerte, etc. Cette notion de préterrorisme doit pouvoir être débattue. Tarnac en est l’occasion.

Propos recueillis par Simon Gouin

À lire : David Dufresne, Tarnac, Magasin général, Éditions Calmann-Lévy, mars 2012.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 08 Mar 2012, 22:48

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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 09 Mar 2012, 21:15

"Tarnac, magasin général": affaire personnelle, affaire d’époque 06/03/2012

Après Prison Valley, le journaliste David Dufresne signe un épais témoignage sur l’affaire de Tarnac, tel qu’il l’a vécue depuis son commencement. A base d’interviews, procès-verbaux et impressions.

David Dufresne l’a prise à cœur, cette histoire de Tarnac, depuis plus de trois ans. Comme nous tous, journalistes ayant suivi l’affaire que Dufresne souligne par l’italique, tout au long de son bouquin. Pour y avoir participé puis s’en être éloigné, il sait parler de la course médiatique, de ses règles plus ou moins loyales, un peu à la façon de Laurence Lacour dans Le Bûcher des innocents.

Tarnac l’a empêché de dormir la nuit, Tarnac lui a fait faire des kilomètres, des allers-retours en bagnole et en esprit. Il le raconte, sans s’interdire la première personne. Le genre de dossiers où, dans les films, le pisse-copie solitaire finit par dessiner sur les murs en fumant plein de clopes, une bouteille de whisky demi-bue posée à côté de son chat.

Sauf qu’à Hollywood, le bougre tenace résout toujours l’énigme avant le générique. Là, Dufresne sait dès le départ qu’il ne trouvera pas “la” solution, la clé de l’énigme. Il ne confondra pas le saboteur de caténaires en série, ni ne prouvera la “manipulation politique” dénoncée par les avocats de la défense. Il va juste essayer de comprendre. Il en fait une affaire personnelle, comme, l’explique-t-il, tous les protagonistes du dossier.

Pour achalander son Magasin général, le journaliste a rencontré tous ceux qu’il a pu atteindre. Il raconte leurs anecdotes et leurs points de vue irréconciliables, chacun de son côté de la ligne de front. Juge contre avocats, parents contre accusateurs, police contre mis en examen, police contre police. L’auteur les laisse parler, ne tranche pas, quitte à ressortir avec plus de questions qu’en entrant. Il met un point d'honneur à ne pas faire semblant de savoir.

Affaire personnelle, aussi, pour les mis en examen, qui ont expérimenté chacun à leur manière la prison et/ou le contrôle judiciaire, les questions absurdes des flics qui fouillaient leurs bibliothèques et des journalistes qui fouillaient leurs poubelles. L’exposition de leur personne, subie puis assumée, quitte à essuyer les procès en “peoplisation”.

Affaire personnelle pour le juge d’instruction et les policiers, sans cesse blessés par les piques contre leur enquête, les avocats énervants, les journalistes innocentistes, les interrogés ingouvernables. Alors qu’eux, professionnels, ont le droit et le devoir d’arrêter, de mettre en garde a vue, mais n’y adjoignent pas le privilège de la parole. Dufresne leur donne l’occasion de s’expliquer, sans bien savoir si ces flics viennent se livrer en cachette ou en service commandé.

“Je suis dans une affaire qui me dépasse”, a dit Julien Coupat à sa mère, citée dans le livre. L’affaire d’une époque, ajoute Dufresne. Quelle époque? Celle où, parmi 4000 “actes de malveillance” constatés chaque année sur les voies SNCF, quelques crochets sur des caténaires se transforment en affaire terroriste parce qu’ils seraient animés d’une volonté politique.

Celle où le refus de répondre à la police, le silence face à l’injonction de transparence, est déjà une faute. Où le dossier transforme la discrétion en clandestinité, l’anonymat en dissimulation. En disséminant des extraits de la procédure dans son récit, l’auteur permet par moments de la saisir, l’époque, à travers une question des enquêteurs :

“Vous êtes âgé de 27 ans. Tous les jeunes de votre génération ont été élevés dans un monde où la technologie domine, télévision, informatique, téléphonie mobile. Or vous nous avez déclaré ne pas posséder de téléphone portable. Bien que ce soit évidemment votre droit le plus entier, pourquoi ce choix?”
Procès-verbal D427, extrait de Tarnac, Magasin Général.
Dufresne montre à quel point le pouvoir politique s’est saisi de cette affaire, pour “détecter la menace” avant qu’il ne se passe quoi que ce soit, intervenir pour empêcher. Et communiquer.

Le récit, pour qui s’est penché sur l’affaire, qui a passé du temps à y perdre son temps, se lit d’une traite. Pour Dufresne, au bout de trois ans d’enquête, ce livre a des allures de libération. Il condamne pourtant ses confrères à continuer d’errer dans le dossier. Issus de boutiques concurrentes, nous avons parfois fraternisé dans ce passe-temps commun : Tarnac, question personnelle et question d’époque.

Tarnac, magasin général, David Dufresne, Calmann-Lévy, 7 mars 2012.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 10 Mar 2012, 13:18

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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 12 Mar 2012, 23:37

TARNAC PRODUCTION 12 MARS 2012 GUILLAUME DASQUIÉ

Tarnac dossier judiciaire scandaleux, dérive éloquente de l'antiterrorisme à la française. Certes. Mais aussi et surtout grand cirque de l'information, dans lequel les médias usent de la même indignation affectée pour des thèses opposées. Choses vues et réflexion avec David Dufresne, auteur de "Tarnac, magasin général".

L’affaire de Tarnac, symptôme à un plus d’un titre. Pas seulement d’une nouvelle forme de militantisme dur sur-interprété par des services antiterroristes toujours soucieux de justifier leurs pouvoirs dérogatoires. L’affaire de Tarnac montre aussi des médias qui pendant plusieurs mois ne parviennent pas à reconstituer cette complexité-là sans parti pris. L’information selon laquelle des militants ont bien dégradé des voies ferrées, mais que leurs actes relèvent du vandalisme et non pas du terrorisme, appartient au domaine de l’indicible. Comme si elle ne plaisait à personne.

Comme si, dans les médias, les stratégies de communications des uns et des autres profitaient alternativement d’une chambre d’écho. Celles des services de renseignement, de la police, des avocats, de la ministre de l’intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, et des militants politiques proches du groupe de Tarnac. Ce jeux des médias dans l’affaire de Tarnac apparaît tout au long du livre “Tarnac magasin général”, que vient de publier l’auteur et journaliste David Dufresne aux éditions Calman-Lévy. L’affaire judiciaire y passe au second plan et laisse la place à une comédie politico-médiatique. Piquante. Entretien.

L’affaire de Tarnac présente des médias versatiles, reprenant d’abord sans trop de discernement les affirmations policières, puis, dans un deuxième temps, cherchant à démontrer que les militants de Tarnac n’ont jamais dégradé de voies ferrées, avec le même entrain. Comment analysez-vous ce passage entre deux postures radicales ?
Effectivement, il existe un effet de balancier. Il s’est opéré en trois semaines. Dans un premier temps, le discours de Michèle Alliot-Marie se retrouve partout, comme dans ce journal de 13h de France 2 du 11 nov 2008, jour de l’arrestation, peut-être le plus caricatural. Toute la phraséologie policière transpire dans le commentaire. Le reportage dit « Ils avaient une épicerie tapie dans l’ombre » [une sentence aujourd’hui détournée par des cartes postales, en vente dans l’épicerie de Tarnac, NDLR]. Puis les mis en examen, les proches, et les comités de soutien s’organisent et développent leur discours, que certains ont qualifié d’innocentiste, et qui va supplanter le premier. Une raison à cela: dans les journaux, au Monde, à Libération comme à Mediapart, par exemple, c’est une question d’hommes, de journalistes, de rivalités. Comme ce sont des titres où la contestation interne peut s’exprimer, ça s’exprime aussi dans leurs pages.

Pourquoi de nombreux journalistes ont-ils immédiatement adhéré à la thèse policière ?

Il faut comprendre la propagande de départ. Le cabinet de Michèle Alliot-Marie « travaille » alors les rédactions depuis longtemps pour les convaincre de l’existence d’une résurgence de la violence ayant pour origine une nouvelle extrême gauche, qui prendrait son origine dans les mouvements anti-CPE. Le cabinet de Michèle Alliot-Marie a demandé à la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) puis à la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) de monter des dossiers sur ce thème.

Ceux-ci étaient présentés et débattus lors des fameuses réunions du jeudi soir de la place Beauvau [révélées par le livre de David Dufresne, NDLR], des réunions uniquement consacrées à l’anti terrorisme et réunissant les patrons de la police. Joël Bouchité, de la DCRG et Bernard Squarcini de la Direction de la surveillance du territoire (DST, bientôt transformée en DCRI, NDLR) y participent.

La ministre est présente, prend des notes, elle est très attentive et exigeante. J’ai rencontré un certain nombre de participants à ces réunions. Les chefs de la police étaient impressionnés par MAM. Sur le mode: on ne contredit pas un ministre! En outre, en matière d’antiterrorisme, la DCRI va alors être créée, chacun doit prendre un « créneau », c’est le terme employé par plusieurs policiers, devenir légitime dans une spécialité. Bouchité voudrait prendre l’extrême gauche et la contestation radicale tandis que Squarcini ne prendrait que les islamistes.

Ces enjeux de pouvoir et de légitimité créent des effets de loupe considérables sur les sujets qu’ils abordent. Comme par exemple le rapport de juin 2008 du ministère de l’Intérieur, brandissant quasiment le retour d’Action directe. Tout le scénario de l’affaire de Tarnac est préparé dans ce cadre. Et les contacts du ministère dans les médias font le reste. En entretien, Squarcini m’a confié : « pour nous le groupe de Tarnac c’était un pot de feu qu’on laissait mijoter ». Il y a aussi Alain Bauer, le consultant en sécurité de l’Élysée, qui vient d’acheter « L’insurrection qui vient » [un essai politique attribué au groupe de Tarnac, NDLR]. Il lui accorde beaucoup d’importance. Un tel homme d’influence, qui a l’oreille du président, en parle à des amis journalistes. Il en remet aussi un exemplaire à un Frédéric Pechenard, le directeur de la police nationale.

Au moment de l’interpellation du groupe de Tarnac, largement médiatisée, les esprits ont déjà été préparés, mais comment cette mise en condition s’exerce au moment ultime ?

L’enquête préliminaire est ouverte en avril 2008. Au mois de novembre, elle n’est pas encore bouclée. Mais arrive la nuit du 7 au 8 novembre durant laquelle des voies ferrées font l’objet d’actes de vandalisme. Ça fait l’ouverture dans les journaux de 20 heures. L’Élysée s’informe et appelle le Ministère de l’Intérieur, qui appelle les services de sécurité, comme toujours lorsqu’un sujet sécuritaire occupe l’espace médiatique. Certains, dans ces services, veulent attendre. Mais le pouvoir politique exige une réponse médiatique. La Sous direction antiterroriste chargée de l’enquête de terrain voudrait peaufiner ses investigations en prolongeant la surveillance.

Gérard Gachet, porte-parole du ministère de l’Intérieur évoque des SMS de journalistes: la place Beauvau craint alors les fuites. Le pouvoir exécutif choisit le 11 novembre pour bénéficier d’une caisse de résonance énorme, l’actualité étant essentiellement occupée par les commémorations ce jour-là: c’est une constance, en France, le 11 novembre, depuis 1918, il ne se passe rien! À 6h du matin, 150 policiers investissent Tarnac et débutent les perquisitions dans les différents corps de ferme. À 8h32, les perquisitions sont en cours mais déjà un communiqué du ministère de l’Intérieur annonce triomphalement l’opération. Vers 10h un journaliste de France 3 arrive de Limoges, passe les barrages et réalise des images, très fortes, violentes, avec des policiers en cagoule surarmés, alors que l’opération est toujours en cours.

Une heure plus tard environ, vers la fin de matinée, Michèle Alliot-Marie organise une conférence de presse dans son bureau alors que la perquisition est toujours en cours. Mais à ce moment-là, les policiers savent qu’ils n’ont rien trouvé quant à d’éventuels préparatifs d’actes terroristes. Trop tard, la machine est lancée. MAM construit une image qui est celle de ces conférences de presse des années 80, au moment des affaires Action directe et du terrorisme en relation avec l’extrême gauche. Moins de deux heures plus tard, Claire Chazal invite Guillaume Pépy, le patron de la SNCF [victime des dégradations, NDLR] qui renchérit sur le plateau de TF1. Le point d’orgue, c’est la Une de Libération du lendemain qui annonce « L’ultra gauche déraille ». Alors que tous les experts s’accordent sur le fait que les dégradations des caténaires ne pouvaient pas provoquer le moindre déraillement. Toute cette construction médiatique de la place Beauveau a permis de convaincre de l’existence de cette menace terroriste là. Enfin, le lundi matin, l’Assemblée nationale acclame MAM d’une standing ovation. Le film parfait.

Comment cette croyance est-elle balayée puis remplacée par une autre ?

Les gens de Tarnac se sont mis à parler, ils ont signé des tribunes, produit un discours. Puisqu’ils ont été pointés par les médias, ils répondent par les médias. Dans notre époque, les deux vecteurs d’infamie ce sont le terrorisme et la pédophilie, deux accusations médiatiques a priori indiscutables et dont les personnes visées ne peuvent pas se remettre. C’est pour cette raison, d’ailleurs, précisément, qu’il faut les discuter. Et là, un mouvement de balancier s’opère. Les journalistes qui suivent l’affaire établissent une nouvelle narration: l’histoire devient, grosso modo, la bataille «des méchants flics contre les gentils épiciers». De leur côté, des policiers de base, loin des calculs politiques du début, veulent défendre leur travail. Ils se sentent seuls. Certains sont convaincus de la légitimité de leur travail d’autres doutent – notamment de la qualification de terrorisme des actes délictueux. Et puis une interview de Bernard Squarcini dans Le Point marque un tournant, où le ministère de l’Intérieur tente d’adapter sa narration. Il évoque la notion de « pré-terrorisme », affirme que les services « ne fabriquent pas de dossiers ».

Quelles leçons en tire l’appareil sécuritaire ?

Une gorge profonde m’a décrit avec beaucoup de détails comment fut décidé de lancer des « leurres médiatiques », dès que le vent s’était mis à tourné. Pour elle, ceux qui ont provoqué l’incendie ont subi un retour de flamme. Il fallait éteindre l’incendie en tentant de justifier a posteriori cette dérive. Par exemple en organisant diverses arrestations dans les mois suivant pour entretenir le doute, taire les critiques, alimenter les journalistes amis aussi.

À ce titre, j’ai mieux compris pourquoi Bernard Squarcini m’a longuement reçu pour ce livre. Nos rendez-vous faisaient partie des consignes pour tenter de dégonfler l’affaire. Aujourd’hui, beaucoup de policiers me disent que depuis ils ne veulent plus toucher à l’extrême gauche, car ses membres auraient trop de relais dans la presse. Les flics disent, à la fois tétanisés et rigolards: «les autonomes, c’est fini, on ne peut pas les fliquer tranquille.»
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 14 Mar 2012, 01:32

Affaire de Tarnac : Un policier oublie des documents liés à l'enquête lors d'une perquisition 12/03/2012

Tarnac, petit village de Corrèze, a été le théâtre de l'arrestation du groupe de Julien Coupat, présenté comme un groupe terroriste.

JUSTICE - Des enquêteurs ont dû changer leur numéros de portable après cette «étourderie»...

C’est un policier étourdi qui a participé à une perquisition, le 23 février dernier, près de Rouen dans le cadre de l’affaire Tarnac. Selon Europe 1, un agent de la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire (SDAT) a oublié sur place une série de documents liés à l’enquête.

Rien de très important, a tempéré une source proche de l’enquête, selon laquelle ces documents n’étaient pas judiciaires mais ont simplement servi à préparer l’intervention (comme des photos de repérage, ou des plans). Toujours selon cette source, ces papiers n’ont ainsi «aucun intérêt après la perquisition». Des policiers, dont les coordonnées téléphoniques figuraient sur les documents, ont toutefois dû changer de numéros de portable.

L’enquête piétine

Un homme d’une trentaine d’années avait été interpellé lors de cette perquisition. Il était soupçonné d’avoir fabriqué les crochets utilisés pour saboter des lignes à grande vitesse, en octobre et novembre 2008. Il avait été remis en liberté le lendemain, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.

L’enquête dans cette affaire dite de Tarnac – du nom du village de Corrèze où résidaient une partie des membres du groupe présumé auteur des faits – piétine depuis près de quatre ans. Une dizaine de suspects ont été poursuivis dans cette affaire mais tous – y compris le leader supposé du groupe Julien Coupat – ont été remis en liberté.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Denis » 14 Mar 2012, 20:49

Pendant sept ans et dans toute l’Europe, le policier anglais Mark Kennedy s’est fait passer pour un gauchiste radical. En France, il a fourni à la DCRI des informations sur les mis en examen de Tarnac. Récit d’une infiltration.

http://www.lesinrocks.com/actualite/act ... de-tarnac/
Qu'y'en a pas un sur cent et qu'pourtant ils existent, Et qu'ils se tiennent bien bras dessus bras dessous, Joyeux, et c'est pour ça qu'ils sont toujours debout !

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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Béatrice » 16 Mar 2012, 10:33

Le juge antiterroriste Thierry Fragnoli fait l'objet d'une requête en récusation .


Quand le juge de Tarnac interloque

Selon nos informations, Thierry Fragnoli fait l’objet d’une requête en récusation après un invraisemblable mail à des journalistes.
Par PATRICIA TOURANCHEAU Dessin François Ayrolles

Les frasques du juge antiterroriste Thierry Fragnoli, qui instruit à la hussarde le dossier dit de Tarnac, vont-elles entraîner son dessaisissement ? Libération a appris que les avocats de Julien Coupat, mis en examen pour «organisation d’une association de malfaiteurs terroristes», déposent aujourd’hui une «requête en récusation», auprès du premier président de la cour d’appel de Paris, contre Thierry Fragnoli. Des «propos subjectifs» qu’il a tenus à des journalistes trahiraient un «parti pris...


http://www.liberation.fr/societe/010123 ... interloque
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 17 Mar 2012, 13:27

En France, l'affaire de Tarnac s'enlise de plus en plus

Dans l'affaire de Tarnac, Julien Coupat, avec d'autres membres d'un groupe ultra-gauche, sont mis en cause dans le sabotage d'une ligne TGV en 2008.

Depuis trois ans et demi, la justice française enquête sur les agissements d'un groupe présenté comme appartenant à la mouvance d'ultra-gauche et dont le meneur serait Julien Coupat. Plusieurs membres de ce groupe sont mis en cause dans le sabotage d'une ligne TGV en 2008. Mais, aujourd'hui la défense accuse le juge d'instruction Thierry Fragnoli en charge du dossier de dérapage.

Le 23 février dernier, le juge Fragnoli accompagné de policiers, débarque chez un forgeron normand. Ils le soupçonnent d'avoir confectionné les fers à béton ayant servi à saboter la ligne de TGV. Sur place les policiers oublient une sacoche contenant des photos de suspects et un procès verbal de garde à vue en blanc, non réglementaire.

Lorsque le juge apprend que cet incident va être relaté par le Canard enchaîné, il n'hésite pas à envoyer un mail à certains journalistes, pour les convaincre que ces documents n'ont aucun intérêt. Ces journalistes triés sur le volet, le juge les appelle les amis de la presse libre, précisant entre parenthèse: celle qui n'est pas affiliée à Julien Coupat et Jeremy Assous. Une initiative encore jamais vu dans la magistrature.

Pour Jeremy Assous, avocat de Julien Coupat, c'est bien la preuve d'une instruction à charge : « J’en veux pour preuve qu’il est dans l’incapacité la plus totale de démontrer qu’il a ordonné un acte à décharge. Les policiers et les magistrats ne cessent d’établir des scénarios tous plus grotesques les uns que les autres pour impliquer les mises en cause. Mais, cela fait très longtemps qu’il ne maitrise absolument plus. Il a perdu tout sang froid. Il a perdu toute impartialité dans cette affaire ».

Pour ces faits le juge Fragnoli pourrait être sanctionné par sa hiérarchie et dessaisi du dossier de Tarnac. Mais, pour le moment la chancellerie ne souhaite pas faire de commentaires.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 22 Mar 2012, 00:45

Tarnac : « On a créé un fantasme de terrorisme »

Le journaliste David Dufresne a enquêté pendant trois ans sur les dessous de « l’affaire Tarnac ». Entretien sur un livre choc.

Comment expliquer que, trois ans et demi après le sabotage des lignes SNCF de novembre 2008, « l’affaire Tarnac » connaisse encore des rebondissements ?

David Dufresne : Le scénario écrit ne s’est pas déroulé comme prévu. Cette affaire est représentative des méthodes employées par l’antiterrorisme. Le hic, c’est d’avoir mis des moyens aussi énormes pour surveiller des militants. Des gens radicaux, certes, pas des colleurs d’affiche. Mais, trois ans et demi après, cela paraît totalement déloyal et injustifié.

Pourquoi les « 10 de Tarnac » et leur entourage continuent-ils à être inquiétés ?

Dans de nombreuses affaires, des personnes placées en garde-à-vue sont relâchées… pour voir qui elles vont contacter. C’est souvent après la garde-à-vue que la véritable surveillance commence. Les Tarnac sont toujours surveillés dans l’attente d’un faux-pas, de n’importe quoi qui viendrait justifier les soupçons policiers. Mais juger les gens sur ce qu’ils ont pu devenir quatre ans après les faits, c’est intenable.

D’où le lien que vous faites, en exergue, avec l’auteur de science-fiction Philip K. Dick et sa nouvelle Minority Report ?

Tout le spectre de la société est aujourd’hui sommé de montrer patte blanche, et papiers, avant de mettre le nez dehors. K. Dick a imaginé, en 1956, une police dont l’action se fonde sur des prédictions, la « Précrime ». Aujourd’hui, Bernard Squarcini, patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), parle de « pré-terrorisme ». Dans le cadre du terrorisme, le besoin d’agir en amont n’est pas absurde : si l’attentat a lieu, il est trop tard pour sauver des gens. Mais à propos de Tarnac, c’est absurde. D’autant que, quand je demande à Squarcini quand débute un « commencement », ses réponses restent floues.


En quoi cette affaire est-elle un épisode-clé du quinquennat ?

Elle se fait sous le règne de Nicolas Sarkozy avec, à la manœuvre, la DCRI, son grand enfant, fusion de la Direction de la surveillance (DST) du territoire et des Renseignements généraux (RG). Il la présente comme un « FBI à la française » et place à sa tête un homme à lui, Bernard Squarcini. La première grosse affaire, Tarnac, tourne au fiasco. Elle illustre à quel point la police est transformée en bras armé du politique. Celle-ci agit sur ordre, très vite et de manière spectaculaire : 150 policiers sont envoyés de Paris dans un petit village. On est vraiment dans le marketing de la peur.

Est-ce complètement nouveau ?

Ce n’est pas le travail de Nicolas Sarkozy seul, on hérite aussi de ce qui s’est passé ces quinze dernières années. La gauche a fait « aussi bien » avec les Irlandais de Vincennes ou les écoutes de l’Elysée. Le trait de l’époque, c’est cette imbrication des pouvoirs : politique, judiciaire, policier et médiatique. Alors qu’il devrait y avoir des contre-feux, tout cela marche d’un seul pas pour faire plaisir au prince, qu’il soit président, ministre, ou rédacteur en chef.

Par ailleurs, ce genre d’affaires se déroule dans une relative indifférence. Défendre les libertés est devenu un luxe. Dès qu’on critique le système sécuritaire, on est exclu du débat. C’est pourtant en période de crise qu’il faut être vigilant car c’est là que les lois les plus dures passent. En 2008, on a créé un fantasme de terrorisme. Je dis « fantasme » parce que, jusqu’à présent, il n’y a aucune preuve matérielle de terrorisme. Et si on veut discuter de pré-terrorisme, on n’est pas nombreux...

Vous décrivez un groupe d’action partagé entre une action locale à Tarnac et une action politique plus large contre les politiques migratoires et anti-G8. Que représente ce groupe ?

Le nommer, c’est rentrer dans une logique policière. Je dirais que ce sont des activistes, des radicaux, des penseurs, des militants... Quelque chose qui n’est pas défini et que ce n’est pas à moi de définir. Je les appelle : « les Tarnac ».

Qu’est-ce qui vous a mis la puce à l’oreille : le sentiment d’une injustice ou le soupçon d’une instrumentalisation ?

Les premières rencontres avec les gens de Tarnac, les indiscrétions de flics qui me disaient que l’histoire n’était pas aussi belle que ce qu’on racontait... Surtout, cette arrestation spectaculaire dans le village le 11 novembre 2008. Je me suis dit : « C’est une mise en scène énorme ! » Mais je ne me doutais pas que le problème était si profond.

Comment vous êtes vous positionné en marge de ce « grand magasin de l’antiterrorisme » auquel la presse a participé ? On se souvient de la une de Libé : « L’ultra-gauche déraille »...

Quand j’ai commencé à enquêter, je travaillais pour Mediapart. Puis j’ai souhaité quitter la rédaction pour me consacrer entièrement à cette enquête. Pendant trois ans, j’ai vécu de piges, d’un documentaire, Prison Valley, et de la fabrication de sites internet locaux... Je ne veux pas jouer le donneur de leçons, ni juger les confrères, mais Tarnac aurait été l’occasion d’un examen de conscience de la part de la presse.

À quels obstacles vous êtes-vous heurtés ?

Le plus dur a été d’assumer la solitude, le choix de ne pas partager les informations dont j’étais détenteur. C’était indispensable mais difficilement tenable dans certaines situations. Et désagréable, car tout le monde, légitimement, se méfie de vous.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 22 Mar 2012, 20:17

La lutte antiterroriste a-t-elle déraillée 16/03/2012

L'avocat et les mis en examen de l'affaire de Tarnac sont venus à la rescousse d'un chercheur du Cern soupçonné de liens avec le terrorisme.

Quel rapport entre l'affaire de Tarnac et Adlène Hicheur, physicien au Centre européen de recherche nucléaire (Cern) à Genève, jugé à la fin du mois pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ? Aucun, si ce n'est une dénonciation, par les avocats des deux dossiers, du mode de fonctionnement de la section de l'antiterrorisme, qualifiée de "justice d'exception qui ignore les droits de la défense", à l'occasion d'une conférence de presse organisée jeudi matin au siège de la Ligue des droits de l'homme à Paris.

Si l'affaire de Tarnac, évoquant le sabotage de lignes de TGV en 2008, a été très médiatisée, en revanche, l'histoire de ce physicien d'origine algérienne, soupçonné de préparer un attentat au nom d'al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), est beaucoup moins connue. Arrêté le 8 octobre 2009 chez ses parents, à Vienne (Isère), Adlène Hicheur sera jugé, en deux demi-journées, les 29 et 30 mars prochains, pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste".

Attentat contre des chasseurs alpins

Au moment de son interpellation, Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, affirme que "la France a peut-être évité le pire", tandis qu'un quotidien parle d'un "expert du nucléaire travaillant pour al-Qaida". En fait, Adlène Hicheur, docteur en physique des particules aujourd'hui âgé de 35 ans, est, à cette époque, chercheur au Cern à Genève et enseignant à l'École polytechnique de Lausanne (EPFL). Il est soupçonné de préparer un attentat contre le 27e bataillon de chasseurs alpins, basé à Crans-Gevrier, en Haute-Savoie.

Deux ans et demi plus tard, Adlène Hicheur est toujours incarcéré à Fresnes. Pourtant, les charges retenues contre lui apparaissent assez minces. Pour preuve, le chercheur se retrouve seul sur le banc des accusés. C'est pour le moins curieux quand on évoque une "association de malfaiteurs". En clair, la justice ne peut guère lui reprocher que des échanges d'e-mails en arabe avec un certain Mustapha Debchi, vivant vraisemblablement en Algérie et présenté comme un responsable d'al-Qaida au Maghreb islamique.
Une discussion par Internet

Les propos tenus par Adlène Hicheur dans sa correspondance ne sont, en effet, pas innocents. Le 10 mars 2009, il écrit : "Il s'agit de punir l'État à cause de ses activités militaires au pays des musulmans (Afghanistan) alors, il support (sic) d'être un pur objectif militaire (comme exemple base d'aviation de la commune de Karan Jefrier près de la ville d'Annecy, en France). Cette base entraîne des forces et les envoie en Afghanistan" (traduction littérale d'un e-mail en arabe).

Assis sous le portrait d'Alfred Dreyfus, au siège de la Ligue des droits de l'homme, Patrick Baudouin, avocat d'Adlène Hicheur, souligne qu'il ne s'agit que d'une discussion par Internet. "Il n'y a jamais le moindre début d'intention, de mise en oeuvre d'un projet précis relatif à la préparation d'un acte terroriste concret." Prenant ensuite la parole, Halim Hicheur, frère d'Adlène, rappelle que celui qui a menacé un adversaire politique d'être "pendu à un croc de boucher" n'a pas été inquiété par la justice.
Les jeunes de Tarnac

Étrangement, l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris du juge Christophe Teissier ne mentionne que très anecdotiquement l'interrogatoire de Mustapha Debchi par la justice algérienne, qui remonterait à février 2011. On ignore même si cet homme, présenté comme un responsable de l'Aqmi, est actuellement emprisonné.

"Si l'affaire de Tarnac a déraillé, si les juges et les policiers se sont ridiculisés, c'est parce que ce dossier impliquait de jeunes gens intelligents, diplômés, blancs, issus de la classe moyenne. La population a pu s'identifier à eux, les comprendre. Et ils ont été libérés. Malheureusement, Adlène Hicheur n'a pas bénéficié du même phénomène, car il est d'origine algérienne, il est soupçonné d'être un musulman radical", constate Jérémie Assous, avocat des mis en examen de l'affaire Tarnac.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Denis » 23 Mar 2012, 19:58

Sur le blog de Claude Guillon :

Après Toulouse, une question s’impose :
ET TARNAC DANS TOUT ÇA ?
jeudi 22 mars 2012.


Le hasard a fait que j’ai terminé la lecture du livre de David Dufresne, Tarnac Magasin général (Calmann-Lévy), quelques jours avant l’assassinat de militaires français et l’attentat terroriste contre une école privée juive [1].

À l’écoute des informations peu à peu distillées par la presse sur le passé de Mohamed Merah, notamment le fait qu’il a été pendant un temps surveillé et même interrogé par la DCRI, à l’écoute des critiques - y compris guidées par d’immédiats et transparents intérêts politiciens - adressées à cet organisme, issu en 2008 de la fusion entre les Renseignements généraux et la DST, le rapprochement avec l’affaire dite « de Tarnac » s’impose à l’esprit.

Pas « dangereux », Merah, de retour d’Afghanistan et du Pakistan. Mais signalés « dangereux », Julien Coupat et Yildune Levy pour avoir franchi sans passer par un poste de douane la frontière entre le Canada et les USA.

Pas de « moyens » pour détecter l’achat par Merah d’un arsenal de guerre. Des moyens énormes, en hommes (et en femmes), en matériels, et en temps, pour trouver... rien du tout à la ferme du Goutailloux. Rappelons que l’opération façon western à grand spectacle de Tarnac débouchera sur des gardes à vue, des inculpations et des emprisonnements, le tout sous le régime « antiterroriste ».

Certes, et le livre de Dufresne le rappelle dans le détail, l’affaire judiciaire « de Tarnac » intervient comme apothéose d’une farce bâclée, dans laquelle jouent des rôles non négligeables tel gougnafier, marchand de peur, spécialiste autoproclamé de la terreur, et telle godiche politicarde persuadée de laisser son nom sur le livre d’or de la pensée policière.

Pourtant, rien de semblable n’aurait été possible sans l’existence d’un arsenal législatif dit « antiterroriste » - moyen de ce que j’ai désigné comme système de terrorisation démocratique - patiemment fabriqué depuis 1986 (au moins) et dopé, au niveau européen, par les attentats du 11 septembre 2001 [2].

Or force est de constater que de la farce honteuse de Tarnac et des drames de Toulouse, l’« antiterrorisme » a permis la première et s’est montré incapable de prévenir les seconds.

On ne s’étonnera donc pas que M. Sarkozy ait conclu son communiqué de victoire, après la mort de Mohamed Merah, en annonçant... que l’arsenal législatif « antiterroriste » serait, pour la énième fois depuis vingt-cinq, alourdi et renforcé.

Sur le rapprochement entre Tarnac et le cas d’Adlène Hicheur, détenu, et dont le procès aura lieu le 30 mars 2012, on peut trouver l’écho d’une conférence de presse commune des inculpés de Tarnac et des proches d’Hicheur dans cet article de presse.

J’ajoute ici, pour l’histoire, un grand moment comique de radio (sur RTL), que nous devons au Premier ministre François Fillon : « Aucun élément ne permettait d’appréhender » Merah avant les drames. « On n’a pas le droit dans un pays comme le nôtre de surveiller en permanence sans décision de justice quelqu’un qui n’a pas commis de délit [...] Nous vivons dans un Etat de droit ».

Le livre de Dufresne explique très bien comment des opérations de surveillance, par exemple, sont a posteriori intégrées dans les procédures judiciaires et « habillées » de légalité.

[1] Il n’aura pas échappé à la sagacité de mon lectorat que je n’évoque pas dans les mêmes termes un acte de guerre - tuer des soldats, même de dos et même hors « théâtre d’opération » comme disent les militaires avec tant de poésie - et le fait de mitrailler des gamins à l’entrée d’une école. Cela ne signifie pas pour autant que j’approuve l’acte de guerre, tant je suis persuadé qu’il est préférable - autant que faire se peut - de laisser une chance aux individus. Beaucoup de jeunes soldats français reviennent d’opération plus que dubitatifs sur les justifications et l’efficacité de la politique militaire française. Les descendre comme des pipes à la foire ne fait que renforcer un esprit de corps militaire et nationaliste.

[2] J’ai au moins un reproche à faire à David Dufresne : pourquoi, dans un gros livre de 486 pages, ne pas consacrer dix lignes à la définition légale, précise, actuelle, de ce qui peut être qualifié « terroriste » ? Le lecteur peut (mais doit) la déduire de plusieurs passages du livre. Or tous les débats autour de mon livre m’ont convaincu que la plupart des gens ignorent l’état actuel du droit français (et européen). Ce fut d’ailleurs, pour une bonne part, le ressort de l’indignation suscitée par l’emprisonnement prolongé de Julien Coupat et la qualification des fait qui lui sont reprochés.


http://claudeguillon.internetdown.org/a ... rticle=339
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 24 Mar 2012, 15:44

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