Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 25 Mar 2012, 16:26

Perte de documents, courrier du juge aux journalistes : les bourdes se multiplient. David Le Bailly - Paris Match

Faut-il en rire ? La débandade de cette affaire a atteint, la semaine dernière, un point culminant avec l’e-mail envoyé à des journalistes par le juge antiterroriste Thierry Fragnoli, et qui commence par : « Bonjour amis de la presse libre (je veux dire celle qui n’est pas affiliée à Coupat/Assous). » Par Coupat/Assous, il faut entendre le duo composé de Julien Coupat, présenté comme la tête pensante de la bande de Tarnac, et de son avocat Jérémie Assous. Sans aucune prudence, le juge s’engage à réagir en « off » sur un rebondissement de l’affaire que s’apprête à révéler « Le Canard enchaîné » ! Jérémie Assous et William Bourdon, l’avocat d’Yldune Lévy – l’épouse de Coupat –, n’ont pas manqué de réagir : ils demandent la récusation de Fragnoli, accusé d’instruire à charge contre leurs clients.

Une obsession sécuritaire qui s’est trop souvent assise sur les libertés publiques

Cette bourde du juge n’est que la dernière d’une longue série qui fait de l’affaire de Tarnac un fiasco retentissant et un cas emblématique. Le mois dernier encore, lors d’une perquisition chez un forgeron, les fines gâchettes de la Sdat (sous-direction antiterroriste) ont égaré une mallette contenant adresses et photos des suspects sous surveillance ! Comment en est-on arrivé là, trois ans et demi après l’arrestation spectaculaire des dix de Tarnac, présentés comme des terroristes par Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’Intérieur ? C’est ce qu’a voulu comprendre le journaliste David Dufresne dans un livre très détaillé *. Il ne se prononce pas sur la culpabilité ou l’innocence de Coupat, mais plonge dans un contexte politique, une ambiance paranoïaque, les rivalités entre services ; autant d’ingrédients qui ont rendu possible ce fiasco. L’auteur décrit surtout une obsession sécuritaire qui s’est trop souvent assise sur les libertés publiques.

« Tarnac, magasin général », de David Dufresne, éd. Calmann-Lévy.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 27 Mar 2012, 23:28

Les zones d'ombre de Squarcini, le patron du « FBI à la française » Augustin Scalbert

Deux livres révèlent de nombreux détails sur « le Squale » à la tête de la Direction centrale du renseignement intérieur. Rue89 en publie des extraits.

Bernard Squarcini, dit « le Squale », est un des hommes les plus puissants de France. Il sera aussi le premier, parmi les pontes de « l'Etat UMP » fustigé le 19 février par François Hollande, à tomber en cas de victoire du candidat socialiste, selon ce que confie un de ses très proches conseillers, « off the record ».

Au sein-même de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), sa propre maison, Bernard Squarcini est de plus en plus contesté par ses troupes.

Témoin, cette manifestation de policiers organisée vendredi 16 mars dans le hall de Levallois-Perret, où siège la DCRI. Un événement rarissime, motivé notamment par la personnalité controversée du chef.

Premier patron de la DCRI – structure créée par Nicolas Sarkozy un an après son arrivée à l'Elysée en fusionnant la Direction de la surveillance du territoire (DST) et les Renseignements généraux (RG) –, Squarcini a la particularité d'exercer ses fonctions tout en étant mis en examen dans une affaire éminemment politique, le scandale Woerth-Bettencourt.
Tarnac, un fiasco pour la DCRI

Deux livres sortis dernièrement nous en apprennent de belles sur ce « grand flic » pour le moins décrié.

« Tarnac, magasin général » de David Dufresne

Dans « Tarnac, magasin général », de David Dufresne, Squarcini est un personnage à la fois secondaire et primordial. Ancien de Libération et de Mediapart, Dufresne a rencontré des dizaines de témoins pour bâtir un récit passionnant de l'affaire. Parmi eux : Julien Coupat, soupçonné d'avoir saboté la caténaire d'un TGV ; le procureur Marin ; chacun des « mis en cause » de Tarnac ; sans oublier Thierry Fragnoli, le juge d'instruction, qui leur a fait signer leurs dépositions d'un stylo « J'aime la SNCF ».

Squarcini est un personnage parmi d'autres, mais son rôle est primordial : l'affaire était supposée montrer l'éclatante efficacité de la nouvelle DCRI. C'est un fiasco, que Dufresne résume à merveille dans un récit à la première personne appuyé sur de nombreuses pièces du dossier.
« Il n'est pas corrompu, il est compromis »

« L'Espion du Président » d'Olivia Recasens, Christophe Labbé et Didier Hassoux

Dans le deuxième livre concernant Squarcini, « L'Espion du Président », pas ou peu d'effets de style. Le premier tirage de ce livre, sous-titré « Au cœur de la police politique de Sarkozy », comprenait même de nombreuses coquilles – témoignage de l'urgence et du secret dans lequel il a été composé.

Ses auteurs, trois journalistes (Olivia Recasens et Christophe Labbé du Point et Didier Hassoux du Canard enchaîné) ont enquêté pendant des mois sur Bernard Squarcini, avec un luxe de précautions.

On apprend d'ailleurs en les lisant les moyens d'échapper à la surveillance toujours plus sophistiquée de la DCRI.

Comme Dufresne, les trois investigateurs ont rencontré, en secret, de nombreux subordonnés de Squarcini. Pour protéger ces derniers, eux les désignent par de faux prénoms, lui leur donne des noms de modèles de motos.

Dufresne montre que Squarcini, en tant que patron de la DCRI, a mis en pratique dans l'affaire Tarnac une conception de la police proche de celle de « Précrime » chez Philip K. Dick dans sa nouvelle « Minority Report » : mettre les gens hors d'état de nuire avant même qu'ils ne passent à la délinquance. Le Squale lui confie, à mots couverts, avoir agi ainsi sous pression de Beauvau et de l'Elysée.

Recasens, Hassoux et Labbé explorent les facettes les plus mystérieuses de ce très proche de Nicolas Sarkozy. Dans leur livre, une déclaration d'un subordonné de Squarcini laisse songeur :

« Depuis l'arrivée de Sarkozy, il pense être fort, très fort, trop fort peut-être. Il ne se rend plus compte. Je ne dis absolument pas qu'il est corrompu. Je dis qu'il est compromis. »
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 29 Mar 2012, 20:43

Bernard Squarcini et Tarnac
Extraits de « Tarnac, magasin général », de David Dufresne, éditions Calmann-Lévy.

Le ton badin de Bernard Squarcini était sa marque de fabrique. Squarcini surjouait le flic à l’ancienne, le Corse de grands chemins, le Tonton flingueur remixé, sa corpulence et sa calvitie lui donnant des faux airs de Bernard Blier. Il avait traversé les années, et les tempêtes, et les scandales, en partie grâce à sa verve : un flic qui fait le spectacle, une source surinformée qui garantit le bon mot qui tue, un patron à gouaille, c’est toujours utile.

Squarcini incarnait ces grands flics dont on tire les meilleurs films, de ces personnages troubles dont on ne sait plus bien s’ils sont sortis d’un polar ou si le polar s’est inspiré de la réalité.

« Mais alors, vous travaillez où, maintenant, monsieur Dufresne ? » , demanda-t-il lors de notre premier rendez-vous. « C’est marrant comme vous êtes, les journalistes ! On dirait des abeilles qui butinent. On ne sait jamais qui est où, qui travaille pour qui… Les journalistes changent tout le temps, maintenant ! » [...]

De temps en temps, Squarcini s’assurait que le café convenait et lançait des pistes. Son talent résidait à faire croire que chacune tombait du ciel, qu’il savait tout sur tout, mais par hasard, et que, tiens d’ailleurs, ce qu’on venait de dire lui faisait penser à quelque chose… Comme s’il n’y avait ni fiche, ni rapport, ni réunion, avant nos rendez-vous. Son naturel était renversant. Du genre :

« Ça ne vous rappelle pas le mouvement situationniste Os Cangeiros, tout ça ? »
« Vous devriez aller à Chambéry… »
« Et cette histoire de tract, à Forcalquier, vous en avez entendu parler ? »
« Et les attaques au cocktail Molotov d’ANPE, au début des années 2000, ce serait pas le groupe Coupat ? »
« Et les distributeurs de billets, sabotés à coup de colle, pas lui non plus ? » »

Venir chez Squarce, comme d’autres l’appelaient, c’était comme venir à la boutique. Il y avait toujours quelque chose à en tirer, un nouvel article à prendre et à pondre. Et si on revenait bredouille, on pouvait s’amuser en scrutant dans la presse quel confrère avait fait la razzia avant. Os Cangeiros, Chambéry, Forcalquier, ANPE, ça finissait toujours en devanture, quelque part, à la télé ou en pages intérieures d’un quotidien. [...]

Quand Squarcini n’indiquait pas des filons, il glissait une anecdote sans aucun rapport, comme ça, pour détendre l’atmosphère, partager un souvenir, et mieux botter en touche. Des noms fusaient, Nicolas Sarkozy, dont il était devenu le fidèle lieutenant, Yvan Colonna, dont il avait été l’un des artisans de l’arrestation, Yves Bertrand, l’indéboulonnable patron des RG qu’il avait longtemps servi ; du name-dropping, comme ça, pour épater la galerie.

Ça pouvait passer par un rire, un sous-entendu, un hochement de tête ; c’était parfois grossier, parfois insidieux, toujours parlant, jusqu’à ce que l’évidence éclate. Si Bernard Squarcini avait accepté de me voir, c’était aussi pour une autre raison : exonérer son service. Il le répétait :

« Je vous parle parce que, sur Tarnac, nous n’avons pas été consultés. »

C’était une image. Pas consultés, ça signifiait pas écoutés. Par qui ? Le Squale ne le disait pas, mais c’était simple à saisir : par ceux qui, au ministère, avaient décidé de l’opération. Croire ou non à cette version n’était pas la question.

Comme quand il assurait que Sarkozy était tombé de sa chaise le jour des interpellations à Tarnac, qu’il n’était au courant de rien, en déplacement dans l’Est ou quelque chose comme ça… [...]

Pour démontrer que la DCRI n’était pour rien dans Tarnac, il suffisait de remonter le temps, expliquait Squarcini. Pas besoin d’aller bien loin, proposait-il, juste quelques mois avant la création du service, lors de la fusion de la DST, qu’il dirigeait, avec la direction centrale des Renseignements généraux, dont Joël Bouchité était le patron. C’était en 2007 et, dans les coulisses, c’était les grandes manœuvres.

« Bien sûr, il y avait des petites choses, mais toute cette extrême gauche violente qui revenait, ça n’avait rien à voir avec l’ambiance des années 1970-1980 », lâcha-t-il.

« Seulement, Bouchité, aux RG, il a tout fait pour faire savoir sur quoi ses hommes bossaient. Les RG refusaient la fusion. Selon eux, il fallait garder deux services. La DST et eux. Toute cette agitation autour de l’ultragauche, tous ces rapports RG qui fuitaient dans la presse, c’était leur chant du cygne… »

Invariablement, la sentence Squarcini tombait : cette affaire, la DCRI ne l’avait pas voulue. C’était le fruit d’un héritage RG puis d’un emballement du ministère de l’Intérieur. Cette affaire était au confluent d’intérêts qui dépassaient les principaux intéressés, ceux de Tarnac comme ceux de Levallois. Jolie explication. En contrebas, au pied de l’immeuble de la DCRI, un bar à salades pour bobos complétait le tour de passepasse.

Avec son style champêtre, toit végétal et enseigne verte, La Ferme de Levallois se donnait des allures de Tarnac-sur-Seine.

« Le lendemain des sabotages », reprit-il, « il y a eu une réunion de crise place Beauvau, avec nous, avec la PJ, avec le patron de la SNCF, Guillaume Pépy, avec Michèle Alliot-Marie, et les gendarmes ».

« L’ordre était clair : il fallait sauver le soldat Pépy. Au ministère de l’Intérieur, le patron de la SNCF était là, affolé. Alliot-Marie nous mettait la pression : les syndicats de la SNCF grognaient, les usagers grognaient, ses directeurs grognaient. Il y avait une ambiance de citadelle assiégée là-dedans.

Pour être franc, pour nous, le déclenchement de l’affaire, c’était trop tôt. On a donné ce qu’on avait à l’état de maturité qu’on avait. » [...]

Quelque temps plus tôt, Bernard Squarcini avait indiqué une piste. Elle ouvrait un abîme.

« Comment on traque les terroristes »

Exclusif. Le chef du contre-espionnage dévoile les secrets de sa méthode.

Bernard Squarcini : « La DCRI surveillait ces individus depuis longtemps.
Nous savions ce qu’ils faisaient, avec qui ils étaient en contact – en France et à l’étranger. Assez pour savoir que ce groupe se situait dans les prémices de l’action violente ; le stade où les choses peuvent basculer à tout moment.

Le Point : Autrement dit, vous êtes intervenus préventivement. D’où le reproche qui vous est adressé sur l’absence de preuves…

Bernard Squarcini : J’assume ce qui a été fait. Notre mission consiste à détecter les personnes dont le comportement présente des risques pour
l’Etat et la société, à les surveiller pour anticiper le moment où elles seront tentées de passer à l’acte et à intervenir pour éviter des drames. Que les citoyens soient rassurés : nous ne fabriquons pas de dossiers ! »

Bernard Squarcini, Le Point, 12 mars 2009.

Dans son bureau, le Squale affirmait que cette interview au Point, il avait tout fait pour la retarder. Il avait traîné les pieds, dit « on verra demain », repoussé trois fois, et puis, il avait reçu une consigne. De qui ?

Le policier refusait de le dire ; fallait pas pousser non plus. Deux possibilités s’offraient : Nicolas Sarkozy ou sa ministre de tutelle, Michèle Alliot-Marie ; eux, ou leurs intermédiaires. J’insistais, en pure perte ; mais les hautes sphères, oui, c’était ça.

Pour cet entretien au Point, il était en service commandé, basta. Il fallait sauver la police, monter au créneau, assurer le service après-vente, que les citoyens soient rassurés. Squarcini voulait simplement qu’on sache qu’on lui avait forcé la main. Peut-être voulait-il se désolidariser en catimini de la ligne officielle, celle de Beauvau, et avoir les coudées franches pour charger Alliot-Marie ? Et si c’était ça, le message réel qu’il voulait me faire passer ?

Restait un fait. Cette histoire de citoyens rassurés, c’était là la vraie fabrication. C’était là l’une des clés de l’affaire. On ne montait plus de dossier de toutes pièces, on enduisait le bon peuple de peur et de talc. La fabrication s’était déportée sur le client. Cette interview, supposée siffler la fin de la contestation sur l’enquête, en était une démonstration éclatante.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 30 Mar 2012, 21:59

Bernard Squarcini et Alexandre Djouhri

Extrait de « L’Espion du Président », d’Olivia Recasens, Didier Hassoux et Christophe Labbé, éditions Robert Laffont.

En octobre 1996, Djouhri aurait même sauvé la tête de Squarcini réclamée par le premier ministre Juppé. Une bombinette déposée par des indépendantistes corses avait explosé devant la mairie de Bordeaux. Le Squale, alors numéro 2 des RG et chargé du dossier corse, a été accusé de ne pas avoir vu venir le coup. Djouhri a plaidé la cause de son ami auprès de l’entourage de Dominique de Villepin, alors secrétaire général de l’Élysée. Ce qui a incité Juppé à se méfier encore plus des RG, au point, suprême humiliation pour Squarcini, d’envoyer la DGSE en Corse travailler sur les « natios ».

De là à imaginer l’invraisemblable ? Un pacte secret noué entre Squarcini et Djouhri… Chacun œuvrant pour un camp opposé dans la guerre fratricide que se livrent Sarkozy et Villepin, et les deux promettant d’aider celui qui aurait choisi le mauvais cheval ?

Invraisemblable, vraiment ? Comme ce certificat de moralité décerné à Alexandre Djouhri par Bernard Squarcini, le 19 décembre 2005 ? Le futur patron de la DCRI, alors préfet délégué à la sécurité à Marseille, précise que le casier judiciaire de Djouhri est vide, en soulignant qu’il est même « inconnu au service de traitement des infractions constatées » − comprenez le fameux Stic, ce fichier de police à la mémoire d’éléphant qui recense, pêle-mêle, mis en cause, victimes et témoins. Etrange, puisque, en avril 1986, Djouhri, blessé par balles dans un guet-apens, a été entendu comme victime par la Brigade criminelle. Le Stic aurait-il été nettoyé ?

Coup d’éponge final, Squarcini ajoute dans sa note que « rien de défavorable n’a pu être démontré concernant l’intéressé, et aucun élément lié au terrorisme, grand banditisme ou blanchiment n’a pu être mis en exergue ». Le préfet n’aurait-il pas eu le temps de lire la note du SRPJ de Versailles datée du 26 avril 1990, qui présente Djouhri comme « une figure montante du Milieu parisien » ? N’aurait-il pas vu le dossier « Djouhri » des RG ? Joël Bouchité affirme pourtant l’avoir, lui, consulté lorsqu’il était à la direction des Renseignements généraux.

« C’était un gros dossier. J’avais émis des doutes sur le personnage, il était connu des services de police, mais effectivement il n’y avait aucune condamnation ni poursuite engagée contre lui. Après, tout est dans la façon de présenter les choses… Bernard est fort dans ce genre d’exercice. Le dossier de Djouhri aux RG a comme par hasard disparu. »

En entrant dans le café, Mathieu a vérifié si nos portables étaient bien éteints. Un rituel auquel nous sommes maintenant habitués avec nos interlocuteurs de la DCRI. Cet ancien des RG nous raconte une version différente de celle de Bouchité :

« Djouhri a fait l’objet de demandes croisées de la part de Guéant aux RG et à la ST, sans que les uns sachent que les autres travaillaient dessus. Djouhri était alors une cible pour Sarkozy. »

Le cabinet de Bouchité aurait servi de courroie de transmission. Ils sont plusieurs, rue des Saussaies, à évoquer des commandes passées sur l’homme d’affaires franco-algérien. Certains vont même plus loin :

« On a su par la suite que tout ce qui était sensible était supprimé ou édulcoré. Des phrases telles que “monsieur untel est susceptible d’être rattrapé par son passé commercial” ont été remplacées par “monsieur untel est susceptible d’être victime de rumeurs de malversations”. En 2007, Djouhri est devenu intouchable. »

Dans ce cas, comment, en arrivant à la DST, le Squale aurait-il pu ne pas avoir connaissance des notes internes sur l’homme d’affaires à la mystérieuse fortune ?

De mémoire de policier, c’est la première fois qu’un préfet de la République se fend d’une attestation de bonne conduite, sur papier à en-tête, pour un personnage controversé.

Quoi qu’il en soit, le certificat tombe à pic. Puisque ce même mois de décembre 2005, Monsieur Alexandre est mis en examen pour violences : un an plus tôt, il s’est empoigné avec un concurrent dans une suite du George-V. Cette petite tache sur son curriculum vitae est ainsi oubliée.

Si Bernard Squarcini a blanchi son ami, c’est pour pouvoir le présenter, quatre mois plus tard, à Nicolas Sarkozy. Le dîner de réconciliation a lieu, en avril 2006, dans les salons de l’hôtel Bristol, à deux pas de l’Élysée comme de la place Beauvau. Y assiste Claude Guéant, alors directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur. Squarcini fait le maximum pour détendre l’atmosphère. Sarkozy aurait confié plus tard à ses ministres à propos de Djouhri :

« S’il n’était pas venu à Canossa, il aurait reçu une balle entre les deux yeux. »
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 07 Avr 2012, 10:21

Tarnac: le juge a demandé à être dessaisi Reuters 04/04

Le juge Thierry Fragnoli a demandé à être dessaisi de l'enquête sur le sabotage de lignes TGV en France en 2008, dans laquelle dix membres présentés comme proches de l'ultra gauche ont été mis en examen, a-t-on appris aujuord'hui de source judiciaire. La demande du juge d'instruction, qui était visé par une demande de récusation des avocats de deux des dix personnes mises en examen, est en cours d'examen, a-t-on appris de même source.

Selon Le Monde, Thierry Fragnoli a obtenu d'être dessaisi. "L'impartialité" du magistrat avait été mise en cause en mars par les avocats du chef présumé du "groupe de Tarnac", Julien Coupat, et de sa compagne Yldune Lévy, après la publication dans le Canard enchaîné d'un courriel du juge adressé à des journalistes. Dans ce courriel, le magistrat s'adressait à ses "amis de la presse libre (je veux dire celle qui n'est affilée à Coupat/Assous)", faisant référence à Julien Coupat et à son avocat Jérémie Assous. "Ce serait parfaitement normal qu'il soit dessaisi", a dit à Reuters Jérémie Assous. "On espère avoir enfin un juge d'instruction digne de ce nom. Cette 'instruction' ne consistait qu'à essayer par tous les moyens de conforter la version policière qui était en totale contradiction avec la réalité."

Le dossier ne "tenait que sur l'obstination du juge Fragnoli de tenter de consolider la version policière", a-t-il ajouté.
Trois juges d'instruction antiterroristes ont mené des investigations sur dix personnes soupçonnées d'avoir saboté des caténaires SNCF le 26 octobre 2008, puis dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008 en y plaçant des fers à béton.
L'enquête affirmait que le leader supposé du groupe, Julien Coupat, avait été repéré par la police le 3 novembre 2008 alors qu'il organisait des affrontements avec la police en marge d'une réunion de ministres de l'Intérieur de l'UE à Vichy.
Libérés après le début de l'enquête, les suspects restent mis en examen pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" et pour certains "destructions en réunion", des faits passibles des assises.
Ils nient les accusations et leurs avocats ont toujours mis en cause la police, estimant que des soupçons de falsification pesaient sur certaines pièces importantes du dossier.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 08 Avr 2012, 07:34

Tarnac, l’arnaque 6 avril, Arnaud Viviant

Depuis sa parution, le livre-enquête de David Dufresne fait l’effet d’une bombe à fragmentations

Qu’est-ce qu’un livre ? A quoi ça sert ? Des livres, il y en avait près de 5000 dans « la bibliothèque partisane » que Julien Coupat et ses amis avaient constituée à Tarnac, en Corrèze, parmi lesquels : Technique du chaos de Timothy Leary, Insoumission à l’école obligatoire de Catherine Baker, Le Sabotage d’Emile Pouget, Anarchie au Royaume-Uni de Nick Cohn, et déjà un livre de David Dufresne Maintien de l’ordre où le journaliste avait enquêté sur la gestion par la police des émeutes de 2005. Quant à l’affaire Tarnac, elle-même avait débuté par un livre : L’Insurrection qui vient publié de façon anonyme aux Editions de la Fabrique en 2007. Une première en France : ce petit pamphlet d’obédience situ fut versé au dossier d’instruction. Il devenait dangereux d’écrire dans ce pays.

Alors, il n’est peut-être pas illogique qu’un autre livre mette fin à cette lamentable histoire. Depuis sa parution, Tarnac, Magasin général fait déjà l’effet d’une petite bombe à fragmentation. Ainsi, le juge anti-terroriste Thierry Fragnoli a été dessaisi du dossier à sa demande, l’avocat de Julien Coupat lui ayant reproché de s’être exprimé dans le livre et d’avoir avoué à David Dufresne, naïvement sans doute, sa passion pour le film Kill Bill de Quentin Tarantino, et l’antipathie qu’il éprouvait pour le principal inculpé. Plus sûrement, il a dû lire le livre utile et en ressortir quelque peu dégoûté de son propre dossier. Car il n’est pas le seul, loin de là, à s’être mis à table. Ainsi le criminologue Alain Bauer, proche de Sarko et qui avait acheté à l’époque une quarantaine d’exemplaires de L’Insurrection qui vient pour les distribuer à des journalistes, n’y va pas par quatre chemins et parle de l’affaire comme d’un « fiasco politico-policier ». Ainsi Bernard Squarcini, le grand patron de la DCRI, a-t-il reçu trois fois Dufresne durant l’année 2009. Et pour lui dire quoi ? Selon l’ancien journaliste : « Invariablement, la sentence Squarcini tombait : cette affaire, la DCRI ne l’avait pas voulue. C’était le fruit d’un héritage RG puis d’un emballement du ministère de l’Intérieur. Cette affaire était au confluent d’intérêts qui dépassaient les principaux intéressés, ceux de Tarnac comme ceux de Levallois », le siège de la DCRI. Mais ils sont nombreux, les flics de toutes obédiences et de tous grades à vouloir témoigner, en « off » ou pas, auprès de celui qui, tel un lonesome cowboy revenu de tout, et surtout de la fabrique de l’info, a décidé de mener une enquête sur l’enquête.
Dufresne écrit : « Le lieutenant de gendarmerie souriait maintenant. Parler le soulageait, c’était manifeste. »

Dans des circonstances dignes d’un polar boîteux, on lui donne des rendez-vous tout portable éteint, pour raconter comment on a espionné Coupat et ses amis, et patati la guerre des services, et patata la guerre des polices. Les flics balancent à tout va, comme heureux de se confier, de jeter leur devoir de réserve aux orties, voilà qui est étonnant. Dufresne reçoit même des mails anonymes de gens suffisamment bien renseignés pour être eux-mêmes du renseignement. Pourquoi ? Sans doute pour déminer et évider un dossier en train de virer à l’affaire d’Etat, avec tout ce cirque médiatique que font les avocats et les parents des inculpés, les comités de soutien. Intoxiquer Dufresne ? Lui faire écrire en sous-main la repentance qu’eux-mêmes ont envie de lire ? Un officier de la sous-direction antiterroriste lui dit : « Dans le service, j’en connais qui ne veulent plus bosser sur l’extrême gauche… Trop d’emmerdes, trop de médiatisation, ça démobilise. » Cela paraît presque trop beau pour être vrai. Manipulation donc, peut-être, mais pas seulement. Ecoutez plutôt ce gendarme. Dufresne écrit : « Le lieutenant de gendarmerie souriait maintenant. Parler le soulageait, c’était manifeste. » Et voici ce qu’il dit : « On n’est plus dans la police judiciaire quand on est dans la police antiterroriste (…) Une enquête sur initiative du parquet, comme l’a été cette affaire de Tarnac, c’est politique, c’est dangereux. Le politique s’est créé un outil, hors de contrôle, qui exécute les basses oeuvres. Cette affaire en est un emblème. Elle inaugure une nouvelle ère. » Il faut imaginer des flics républicains. De temps en temps.

Car il y a aussi l’autre moitié du livre, celle tournée vers Tarnac. Avec ses écoutes illégales (dont, possiblement, celle de Dufresne lui-même), ses « barbouzeries », ses témoins sous X qui se révèlent fallacieux, ses micros au domicile de Gérard Coupat, le père de Julien... Il y a ces aveux arrachés, au terme de 4 jours de garde de vue, sans se laver, dans une lumière perpétuellement crue, avant d’être réfutés... Il y a cette conception judiciairement suspecte de « pré-terrorisme » qu’au demeurant l’affaire de Toulouse, autrement plus sérieuse, vient soudain de mettre à mal. Si bien qu’on ne voit pas comment, après ce livre d’aveux tous azimuts consignés par Dufresne, l’affaire de Tarnac ne se conclurait pas par un non-lieu. Mais aussi bien, on ne voit pas comment, aujourd’hui en France, on pourrait vivre autrement que sous un régime policier. Au demeurant, comme un signe, Dufresne s’est extradé au Canada.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Béatrice » 12 Avr 2012, 18:26

Comité de soutien de Tarnac
Nouvelles


Bonjour,

Après de longs mois de veille, le site du comité de soutien de Tarnac (http://soutien11novembre.org) va reprendre une activité régulière. Il y a eu, ces dernières semaines, de nombreux évènements qui auraient nécessité de notre part commentaires ou éclaircissements ; du livre de David Dufresne au procès d’Adlène Hicheur, des dernières rafles anti-terroristes aux mails de mr Fragnoli à la presse, etc.

Nous revenons donc aux affaires et le site sera désormais très régulièrement alimenté. Vous pouvez dès à présent y lire la lettre de notre ami forgeron qui aura précipité la chute du juge Fragnoli (2), ainsi qu’une réaction d’un inculpé quant à ce désaisissement (3).

Nous sommes toujours 10 mis en examens pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et nous comptons toujours user de ce privilège pour pourrir la vie de ceux qui un jour, ont eu la mauvaise idée de nous sortir du lit cagoulés. Nous comptons plus que jamais finir cette histoire en beauté.

Aussi, vous pouvez désormais nous suivre sur twitter : https://twitter.com/#!/soutientarnac

A tout de suite.

(1) http://soutien11novembre.org

(2) http://soutien11novembre.org/spip.p...

(3) http://soutien11novembre.org/spip.p...

« Simple, forte, aimant l'art et l'idéal, brave et libre aussi, la femme de demain ne voudra ni dominer, ni être dominée. »
Louise Michel
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Denis » 12 Avr 2012, 18:45

Une lettre en plus, un juge en moins

Friday 6 April 2012, by soutien11novembre

Lundi 2 avril, Charles Torres envoyait cette lettre au juge Fragnoli. 36h plus tard, et deux heures avant sa diffusion publique, Mr Fragnoli nous quittait.


Monsieur le Juge,

Je vous écris suite à votre visite à mon domicile le jeudi 23 février et à ma mise en garde à vue le même jour dans le cadre de votre instruction dans l’affaire dite « de Tarnac ». Ne connaissant pas l’adresse exacte de votre bureau au TGI, je me permets de vous joindre sur votre adresse mail parue récemment dans le Canard Enchaîné daté du 14 mars 2012. Au cas, où vous en auriez depuis changé, j’essaierai demain de vous l’envoyer en recommandé.

Venons-en à l’objet de cette lettre. J’ai pu comprendre, lors de mes 36h de GAV que vous nous soupçonniez, —moi ou mon père de 86 ans qu’un de vos agents de police a entendu—, d’avoir confectionné les fers à bêtons qui ont été utilisés lors des sabotages des lignes TGV de novembre 2008. Ayant été libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue contre moi, un esprit raisonnable estimerait que vos soupçons sont désormais levés. Cependant, j’ai suivi cette affaire dans la presse comme par le biais de mes amis inculpés, et je crains que malgré aucun élément probant, vous ne mainteniez ces soupçons en l’état dans votre instruction, en tant que pure hypothèse paranoïaque qui pourrait venir étayer l’histoire que vous tentez bon gré malgré de raconter depuis maintenant 3 ans et demi. J’aimerais à ce propos que cette lettre soit jointe à votre dossier d’instruction afin d’être bien certain que mon arrestation ne constitue en rien un élément à charge, même flou ou fantasmé, à l’encontre des inculpés de Tarnac mais bien un élément à décharge en tant qu’il contredit l’hypothèse que Julien Coupat et Yildune Lévy aurait fait une halte chez moi pour récupérer les crochets qui ont servi aux sabotages que vous vous obstinez à leur attribuer. Je m’étonne par ailleurs que les 20 policiers de la SDAT et de la DCRI qui prétendent les avoir suivi ces jours-là n’aient pas témoigné en ma faveur. S’ils étaient suivis par la police, cette dernière a bien dû vous dire qu’ils ne sont absolument pas passés chez mes parents.

Comme vous le savez certainement, je n’ai pas beaucoup parlé lors de ma garde à vue. Ceci pour deux raisons, la première était l’incompétence affichée des policiers en terme de forge et la seconde, qu’il me paraissait beaucoup plus adequat d’attendre de vous rencontrer en chair et en os pour vous démontrer que vous faisiez définitivement fausse route en présumant que, parce que je sais forger, j’aurais pu avoir quoi que ce soit à voir avec les sabotages sur lesquels vous enquêtez.

Quelle ne fut pas ma déception, lorsqu’on me signifia la fin de ma garde à vue, sans même que vous ayez pris le temps de m’entendre. Je trouve ça d’ailleurs pour le moins étrange que vous veniez deranger mon père en pyjama de bon matin pour m’arrêter à l’aide d’une trentaine de policiers pour au final ne pas prendre ne serait-ce que cinq minutes pour m’entendre. Peut-être deviez-vous de toute urgence partir en vacances ?

Bref, quelques soient les raisons de cette négligence ou de cette stratégie, il me paraît tout à fait nécessaire de vous exposer aujourd’hui en quoi il est impossible que j’ai pu faire ces crochets ainsi que de justifier de certains objets incongrues que vous avez trouvé chez moi et mis sous scellés. Cela, je le répète, afin qu’il soit tout à fait impossible de maintenir l’hypothèse de ma participation à ces sabotages, même sous forme de pure hypothèse ou que vous écriviez à des journalistes pour dire que, tout de même, on a trouvé des cagoules dans la chambre de mon frère.

Commençons par la présence des ces cagoules qui semblait rejouir les policiers de la SDAT. J’ai depuis mon arrestation eu le loisir de m’enquérir auprès de mon frère à ce propos : il faut bien le reconnaître, tout le monde ne possède pas deux cagoules trois trous dans son armoire. Le résultat de mes investigations est qu’il y a un an, ce dernier fêtait l’enterrement de vie de garçon de l’un de ses amis. A cette occasion, tout le monde le sait, les blagues les plus potaches viennent célébrer la fin d’une vie de célibataire. Leur humour, très particulier, les amena à simuler la prise en otage du presque-marié, et à le prendre en photo ligoté, au milieu de deux de ses amis cagoulés, le journal « têtu » de la semaine attestant de la date de l’enlèvement. Si vous souhaitez une quelconque confirmation de cela, n’hésitez pas joindre mon frère, il pourra vous donner les coordonnées de ces deux amis professeur agrégé à l’université de science de Rouen et chercheur au CHU de Rouen. Ils étaient respectivement le garçon ligoté et second preneur d’otage aux côtés de mon frère. A priori, la DCRI ne devrait pas les soupçonner d’une quelconque sympathie pro-terroriste.

Concernant la lunette de vision nocture, comme je l’ai déclaré en garde à vue, elle sert à mon frère pour aller observer le brâme des cerfs à l’autonme en forêt de Roumare. Cependant, comme je l’ai dit à vos enquêteurs, étant donné que le contenu de cette instruction est régulièrement ouvert à la presse, il est hors de question que je vous divulge les lieux précis. Comme chacun le sait, les places de brâme c’est comme les coins à champignon, ça ne se donne pas à n’importe qui.

Cependant si les trois magistrats instructeurs estimaient qu’un transport sur place était nécessaire à la manifestation de la vérité, je pourrais essayer de convaincre mon frère de vous y amener à l’autonme prochain à la condition que tout journaliste soit tenu à l’écart par un dispositif adequat.

Entrons dans le vif du sujet, les crochets et mon métier de forgeron. Vous êtes venus chez moi suivant un faisceau d’indices graves et concordants, c’est à dire en l’espèce que d’après vous, le crochet n’est pas l’oeuvre d’un amateur sous-outillé (chalumeau et/ou poste à souder, meleuse éventuellement) ou d’une usine chinoise rationnalisée, mais bien celui d’un artisan forgeron, equipé et formé pour le travail du fer dans la tradition européenne (travail à chaud: découpe, étirage, refoulage; soudure à la forge).

Toute l’ambiguïté de ma garde à vue reposait sur le fait que l’on me demandait d’être à la fois coupable et expert. N’étant a priori pas vraiment coupable, je me permets de vous livrer mon expertise qui, n’en doutons pas vous permettra définitivement d’écarter tout soupçon à mon encontre comme à celle de mon père.

C’est une chance pour la justice que ces techniques laissent des traces particulierement parlantes –traces que j’imagine vous avez déjà relevées tant sur le matériel retrouvé sur les voies sncf que sur mes outils lors de la perquisition chez mes parents; la justice n’a pas l’habitude de déplacer de tels moyens sans qu’ils servent à etablir des preuves solides et indiscutables, -vous n’êtes pas là pour "emmerder le monde" comme on peut parfois l’entendre-. La découpe à chaud, par exemple, qui est l’appanage d’un artisant de ma trempe, se fait à l’aide d’un outil nomé "tranche a chaud" qui agit comme un burin sur le metal ramoli par la temperature. La lame de la tranche laisse dans l’acier découpé des sillons perpendiculaires à celle-ci qui correspondent au profil précis du fil de la tranche (en raison de leur travail, ces profils sont tres specifiques). Ces sillons peuvent donc être étudiés comme les rayures laissées par un canon sur une balle. Sur une section de fer, il y a par définition au moins deux découpes, les faire parler aura été votre préoccupation première j’en suis certain. De même, le marteau, outil qui est l’âme même du travail de forge, rentre dans le fer chaud en laissant l’empreinte de sa table, une table (surface de travail) qui aura dans tous les cas connu suffisament d’accidents pour porter des traces semblables à aucune autre. La comparaison de l’empreinte de l’outil et de l’empreinte retrouvée sur l’objet permettra donc d’exclure toute filliation de l’un à l’autre. Enfin, une derniere annalyse, fondamentale celle-la, est possible. Vous n’ignorez pas que l’acier est élaboré et mis à la nuance dans des "poches" qui peuvent faire de quinze à cinquante tonnes. La nuance suit un cahier des charges: en ce qui concerne le fer à béton, le taux de carbonne, par exemple est généralent tenu autour de 0,1% (comme 99% de l’acier qui nous entoure). De nombreux autres éléments sont aussi limités comme le souffre, le cuivre... Il existe cependant une variabilité possible entre les teneurs acceptées par le cahier des charges (lui même dépendant de chaque client), en prenant en compte une certaine finesse d’analyse, on peut ainsi parvenir à carractériser un profil chimique propre à une coulée précise. Si les éléments majeurs ne suffisent pas, il est possible d’utiliser les éléments traces (présents à moins de 0,01%), matières peu communes, souvent constituées de "terres rares". De plus, après avoir été fondu, l’acier est coulé dans des creusets de plusieurs tonnes où la vitesse du refroidissement donne aux lingots ainsi obtenus une grande complexité. Le laminage étire ces lingots si bien qu’une même barre de 6 mètres va avoir des propriétés physiques et chimiques légérement différentes des autres du même lingot, mais qui lui sont propres. Ainsi les chutes de travail réalisées avec un acier déterminé peuvent être caractérisées trés spécifiquement. Le mieux pour celà est d’utiliser un appareil dont la precision est incontestable. Le spectragraphe est trés utilisé dans l’industrie, quoi que généralement il est incapable de mesurer les éléments les plus légers et donne donc des résultats généraux qui sont une interprétation, une hypothèse. Et ce, sans compter le fait que les décharges qui font naitre les gaz eux-mêmes soumis a l’analyse spectrale ont tendance à se faire de façon sélective dans les échantillons ce qui induit d’insupportables inconnues dans le résultat. Pour des annalyses absolues, peut-être vaudrait-il mieux utiliser un microscope electronique à balayage, mais celui-ci n’est pas capable de discerner les éléments en solution, la microstructure cristalline est loin de pouvoir donner des résultats suffisament fins. La solution parfaite sera sans doute fournie par l’utilisation d’un accélérateur de particules. Ces machines peuvent réaliser des spectrographies de masse qui font généralement autorité dans le domaine de l’analyse de la matière. Le mieux à ce propos serait certainement de faire appel à un spécialiste que vous avez sous la main, j’ai lu dans la presse que vos collègues avaient récemment envoyé un jeune et brillant expert en physique des particules en préventive pour deux ans et demi.

Si vous menez cette expertise, cela vous donnera la preuve irréfutable de mon innocence. Mais là où vous serez doublement gagnant c’est que l’on ne pourra plus, sur ce point au moins, vous soupçonner de faire les choses à l’envers. En l’état, arrêter quelqu’un et saisir des choses chez lui avant même d’avoir mené la moindre expertise vous permettant de le confondre ni même de savoir exactement ce que vous venez chercher

Aussi, par-delà la démonstration de mon extériorité à l’entreprise terroriste que vous poursuivez, au vu des clichés de mauvaise qualité que vos policiers m’ont présenté, il me paraît important de vous faire part de mon expertise quant aux qualifications adéquats à la réalisation des crochets en question. Etre médiatiquement présenté comme un terroriste est une chose, mais être soupçonné d’avoir réalisé un tel travail de cochon est une atteinte profonde à mon honneur. Je n’ai pas étudié la forge depuis plus de dix ans pour que l’on m’accuse d’avoir réalisé un travail qu’un enfant de 10 ans, voir même un agent de la SDAT, pourrait imiter en 10 minutes à la seule condition d’avoir accès à une meleuse et à un poste à souder. Matériel rudimentaire que, selon mes sources, des milions de français cachent dans leur garage.

Aussi, en contrepartie de ce petit coup de main dans votre enquête, j’apprécierais une attention peu coûteuse de votre part. Je me suis étonné que tant de journalistes annoncent mon arrestation dans les médias mais que rien ou presque n’évoque ma sortie de garde à vue sans la moindre charge. C’est un hasard tout à fait facheux qui a beaucoup entâché ma réputation. Aussi, vous serez consterné d’apprendre que le Centre d’Histoire Sociale de Darnétal que vous êtes allé perquisitionner au motif que chaque année à la Saint Eloi j’y présente le travail de la forge à des enfants, a été tout à fait perturbé de votre venue (une distortion cognitive vous a peut-être amené à confondre ce musée avec votre bureau). Etrangement, aucun de mes employeurs n’a renouvelé de contrat pour cet été. De même pour ma boulangère ou les voisins de mes parents qui ne savent désormais plus comment nous regarder. Si vous pouviez donc faire savoir à qui de droit que je n’ai rien à voir avec tout cela et que votre hypothèse quant à ma participation à une association de malfaiteur relative à une entreprise terroriste s’est effondrée, cela m’éviterait de perdre d’avantage de contrats professionels et cela faciliterait le quotidien de mes parents.

Aussi, vous n’êtes pas sans savoir qu’ayant refusé de me soumettre au prélèvement ADN, je passe en procès jeudi 5 avril pour cela. C’est une situation tout à fait ubuesque: 1. On vient m’arrêter à partir de motifs que d’aucuns trouveraient ridicules (mon métier, mes amis). 2. On me demande mon ADN au motif de ces motifs ridicule ce qu’évidemment je ne peux que refuser. 3. On me relâche au bout du premier quart de ma garde à vue, sans même avoir vu le juge à l’origine de ma présence. 4.On m’inculpe pour ce refus de donner mon ADN au moment même où la raison qui justifiait cette demande semble avoir disparu.

Il y a là une logique qui m’échappe complètement sauf à penser que tout cela ne serait qu’un subterfuge pour permettre à la police d’obtenir l’ADN de n’importe qui et donc de procéder à l’identification génétique de personnes au seul motif que certains de leurs amis seraient considérés comme appartenant à une certaine position politique.

Ayant lu dans la presse que vous êtiez républicain et de gauche, j’imagine que vous ne pouvez cautionner de telles pratiques. Ce serait donc vraiment super sympa si vous pouviez envoyer un mail au juge de Nanterre devant qui je vais passer jeudi 5 avril pour lui dire que tout cela n’est qu’un énorme quiproquo, que vous vous êtes gouré et que ce n’est pas grave car c’est en forgeant que l’on devient forgeron.

Charles Torres

PS: A posteriori, mon père de 86 ans vous remercie de la manière odieuse dont vous vous êtes comporté avec lui pendant la perquisition, ça lui a rappelé ces beaux moments de la jeunesse où il était poursuivi par les juges du régime franquiste. Il a, l’espace de quelques heures, grâce à vos hurlements, retrouvé ses vingt ans.
Qu'y'en a pas un sur cent et qu'pourtant ils existent, Et qu'ils se tiennent bien bras dessus bras dessous, Joyeux, et c'est pour ça qu'ils sont toujours debout !

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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Béatrice » 14 Avr 2012, 19:44

Communiqué du comité de soutien de Tarnac aux inculpés du 11 novembre :

FIN DE PARTIE POUR FRAGNOLI

Par Bernard le vendredi, avril 13 2012, 21:20 - Lien permanent

http://www.soutien11novembre.org/spip.php?article572


Fin de partie pour Fragnoli



Ca y est, Thierry Fragnoli s’en est allé. Epuisé, au bout du rouleau, il a quand même eu la délicatesse de nous gratifier d’une ultime fragnolade. A la suite de ses frasques dans le Canard Enchaîné, nos avocats avaient jugé bon de demander son départ en retraite anticipée. Tout le monde s’y accordait, Thierry Fragnoli qui récemment encore imaginait une adaptation cinématographique de l’affaire de Tarnac où Brad Pitt jouerait son rôle, avait définitivement perdu la raison. Sa hiérarchie, mue par on ne sait quel incompréhensible bénévolat, lui proposa de prendre les devants plutôt que de subir une ultime humiliation qui aurait valeur de blâme. Le dos au mur, il a pris cette petite porte, non sans fragnoler haut et fort que la décision émanait de lui.



Avec cet humour malade que ceux qui le côtoient lui connaissent, il alla jusqu’à déclarer qu’il en avait marre des attaques personnelles dans la presse. Les dizaines de journalistes qui ont pu l’entendre déblatérer ses petits ragots et ses petites médisances à propos de la vie personnelle des inculpés ont dû bien rire.



Certes, l’affaire de Tarnac n’était pas de son fait mais il a commis l’erreur de la faire sienne. Nombreuses furent les occasions pour lui de prononcer un non-lieu, d’en sortir la tête haute. Au lieu de cela, il a préféré couvrir les mensonges de la SDAT et se soumettre à la pression de sa hiérarchie. Ne nous méprenons pas, dans l’affaire de Tarnac, Thierry Fragnoli ne fût qu’un pion, méprisé et méprisable. Il se sera contenté de choisir le mauvais parti.



Ses petits arrangements avec Jean Hugues Bourgeois le témoin psychiatrique, ses reconstitutions bidonnées, ces procès verbaux inventés par la SDAT auxquels il feignait de croire, ses refus de laisser un inculpé habiter chez un autre pour que son fils puisse subir une greffe de moelle osseuse, ses arrestations en pleine rue à bout touchant, ses élucubrations infinies sur sa propre page wikipedia, ses milles petites rumeurs nauséabondes qu’il distillait à chaque fois que son instruction allait mal (AZF, la vie personnelle des uns et des autres, ses mythos sur ses stylos SNCF), de tout cela, rien ne nous manquera.



On pourrait s’amuser de l’absurdité de l’homme ou s’indigner de sa mauvaiseté; nous nous contenterons d’attendre la suite, avec tout l’intérêt quelle mérite.



Un inculpé



Post-Scriptum : A la lecture de la dépêche AFP qui annonçait son dessaisissement, nous pouvions comprendre que Thierry Fragnoli craignait une plainte de la part de Charles Torres du fait de la révélation de son nom à "la presse libre". Qu’il se repose en paix, nous ne faisons pas partie de votre famille.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 12 Mai 2012, 21:02

Tarnac, dernière remise avant inventaire

La rocambolesque enquête sur la «cellule invisible» va s'achever. Non sans de nouvelles surprises, pour l'anti-terrorisme et pour les amis de Julien Coupat.

L’instruction judicaire de l’affaire Tarnac, qui est pratiquement bouclée, devrait aboutir à un des grands shows médiatico-judiciaires de la rentrée de septembre.

En effet tous les ingrédients semblent être réunis pour faire, à travers la mise en cause de Julien Coupat et de ses amis, le procès des méthodes de la justice anti terroriste pendant le quinquennat qui vient de s’écouler.

Les deux policiers de la DCRI qui avaient rempli, un peu précipitamment, le PV sur les pérégrinations de Coupat de de son amie durant la fameuse nuit où le TGV avait été stoppé net, viennent d’être entendus par une juge de Nanterre qui instruit la plainte pour faux et usage de faux déposé par leurs avocats.

Il n’est pas sur, pour autant, qu' au vu des derniers éléments de l’enquête, le procès tourne à l’avantage de la défense de rupture adoptée par les accusés.

La dernière Commission Rogatoire, revenue tout juste des Etats-Unis, ne vient pas conforter la position de la bande de Tarnac.

Dans la nuit du 12 au 13 janvier 2008, Julien Coupat et sa compagne ont assisté à une réunion secrète à New York. Hélas pour eux, un agent secret britannique avait infiltré le conclave. Le compte rendu que cette taupe en a fait et qui est joint au dossier montre que ces conspirateurs ont discuté des moyens à mettre en œuvre pour paralyser une ville. Deuxième malchance, Coupat devait, en rentrant de New York via le Canada, être interpellé à la frontière.

La gendarmerie locale canadienne trouvait sur lui une liste étrange où étaient griffonnées quelques notes. Du genre : « colle forte », « gants », « 25000 W ». W, comme Watt, a expliqué la défense de Coupat : notre client, ont-ils affirmé aux juges, envisageait quelques achats pour bricoler dans la coopérative de Tarnac.

Louable initiative, sauf qu’il n’existe pas d’appareils ménagers d’une puissance de 25000 Watt! En revanche, la tension délivrée par les caténaires des rames de TGV est justement de 25000 Volts. De là à penser que Coupat, qui aurait songé déjà au projet dont il est accusé, aie pu confondre le «W» et le «V», les Volts et les Watts, il n’y a qu’un pas que les enquêteurs sont tentés de franchir...

Mais les avocats de Tarnac les attendent de pied ferme, considérant que la participation de l'agent étranger à l'enquête constitue « une violation grave de la notion de procès équitable», selon Me William Bourdon, cité par les Inrocks. L'intervention de la taupe se situe avant même qu'une quelconque procédure a été engagée.

Vandalisme ? Ou terrorisme ? Le débat tout à fait légitime sur la qualification à retenir dans ce dossier a constamment brouillé tout jugement serein sur le fond de cette affaire. La démission récente du principal juge de cette affaire, Thierry «Kill Bill» Fragnoli, a encore un peu plus semé la confusion. Ce magistrat un brin taquin et en tout cas maladroit avait envoyé deux courriels successifs à des « amis de la presse libre », c’est à dire, précisait-il, opposés à Julien Coupat. Mauvaise pioche, révélée par le Canard Enchainé, qui l’a amené à se retirer d’un dossier décidément brulant.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 19 Mai 2012, 09:05

Tarnac sans scoop Entretien avec David Dufresne. Propos recueillis par Raphaël Meltz.

David Dufresne a été journaliste à Libération de 1994 à 2002, itélé de 2002 à 2006, Mediapart de 2008 à 2009. Il est notamment l’auteur d’un livre sur le Maintien de l’ordre (Hachette Littératures, 2007), et d’un webdocumentaire sur les prisons américaines, Prison Valley (2010).

Je l’ai rencontré pour la première fois début 2009, pour parler avec lui de l’affaire dite de Tarnac, sur laquelle Le Tigre avait publié un dossier, fin 2008. Dossier qui revenait sur la construction médiatique autour des évènements ayant suivi d’une part les quelques sabotages de lignes SNCF, et d’autre part les arrestations, gardes à vue, mises en examen et détentions provisoires du « groupe de Tarnac ». Davduf, comme je continue à l’appeler – c’est le nom de son site ou de son compte Twitter – avait déjà pris la décision d’écrire un livre sur ces évènements. Nous avons souvent parlé ensemble de ce livre – tout en développant des relations amicales. En mars 2012, il a publié Tarnac, magasin général (Calmann–Lévy). Un gros livre où l’auteur se met en scène, s’interroge sur le sens du métier de journaliste, et construit son récit autour des dizaines de personnes qu’il rencontre : les mis en examen, les policiers de « base » de la DCRI, les autorités politiques et judiciaires, etc. Un livre qui donne aussi à lire beaucoup de matière brute, que ce soit les textes militants (L’Appel, L’Insurrection qui vient), les rapports de la police, et les procès–verbaux permettant d’assister, de l’intérieur, aux mécanismes de l’enquête judiciaire.
Après trois ans de discussions ensemble sur le sujet, il était temps de dialoguer en public : entretien réalisé dans les bureaux du Tigre, le lundi 5 mars 2012.

Raphaël Meltz – La promo de ton livre a commencé avec la une du Monde des Livres : un article très élogieux, mais où Ariane Chemin écrit que ce livre est ton « testament ». Est–ce ça ne t’a pas fait bizarre ?

David Dufresne – C’est très drôle, parce que c’est une formule que j’utilise dans le manuscrit, et que je retire à la dernière minute, donc qui n’est pas dans le livre. Et Ariane Chemin m’appelle juste avant la parution de son article, pour une vérification, et elle me dit ça : « Je l’ai lu comme un testament. » Et moi : « oui, je pense qu’on peut le lire comme ça »... Et je lui ai demandé si le cercueil serait bien. Ce qu’il y a de sûr, c’est que c’est l’aboutissement de vingt ans d’errances dans le journalisme, et c’est le deuil de certaines pratiques.

R.M. – C’est deux choses très différentes : le testament, ça veut dire que c’est fini, alors que le deuil, c’est le deuil de tes illusions, j’ai vieilli, j’ai mûri...

D.D. – Ou plutôt : je n’ai pas vieilli sur certains trucs. En réalité, je ne sais plus le métier que je fais.

R.M. – Et, la même semaine, il y a un article dans Télérama sur le journalisme d’investigation où tu fais une métaphore sur les cow–boys, et tu dis que tu es « descendu du cheval ».

D.D. – La journaliste de Télérama n’a gardé que la formule que je lui avais sorti sur les cow–boys...

R.M. – Tu découvres que les journalistes déforment les propos !

D.D. – Je ne le découvre pas du tout, parce que, avant de venir au journalisme, mon travail faisait l’objet d’articles, dans le rock, quand je sortais des disques. Donc je sais ce que c’est que la violence d’un article sur son travail, et j’ai toujours ça en tête. Quelle que soit la personne dont je parle, a fortiori quand je fais un bouquin, j’ai toujours ça en tête.

R.M. – Est–ce que tu sens une différence entre ce livre–ci et le précédent (Maintien de l’ordre) ?

D.D. – Ah oui. Dans Maintien de l’ordre, on comprend que Malik Oussékine, j’y étais. On comprend. Ensuite, dans Prison Valley, je dis « nous », parce que je suis avec Philippe Brault. Et maintenant, je dis : « je ». Il m’a fallu trois étapes... Pour retourner à ma source, le fanzinat. Et dire : la respectabilité, l’objectivité, la notabilité du journalisme, fuck.

R.M. – C’est drôle, parce que j’attaque toujours les écoles de journalisme, en disant que c’est elles qui imposent une écriture stéréotypée, mais toi tu n’es pas passé par ce moule, tu es issu du fanzinat et donc de la liberté totale dans l’expression, et finalement, petit à petit tu es rentré dans un moule journalistique...

D.D. – Malgré tout, j’étais toujours sur le bord du moule... Bizarrement, le moment où mon écriture devient de plus en plus conforme, c’est à Mediapart. Où je me mets écrire « comme nous vous le révélions », « comme Mediapart l’avait annoncé »... Des trucs de vente. Parce que, à ce moment–là, c’est un pari fou, personne n’y croit, à part les quinze clampins de la rédaction, qui pensent que le payant sur le net va pouvoir marcher, et il y a cette idée de...

R.M. – De survendre un peu l’information.

D.D. – De survendre, c’est ça. Sur le moment, je n’étais pas malheureux de faire ça, c’est après coup que je me dis : je suis passé par là. Mais avant j’étais chroniqueur judiciaire : ce n’est pas pour rien que ceux qui aiment écrire font des procès... Dans les procès, dans les faits–divers, le point de vue de l’auteur est plus présent, parce que tu es dans un truc de pâte humaine. Ce n’est pas juste : il s’est passé ça. Il s’est passé ça, d’accord, mais c’est le contexte qui compte.

R.M. – Tu faisais des compte–rendus de procès, à Libé, dans les années 1990 ?

D.D. – Oui. Par exemple j’ai suivi le procès de Jean–Claude Romand, tu peux retrouver ça sur mon site. Il y avait Emmanuel Carrère qui était avec nous, et qui ne comprenait pas grand chose à ce qui se passait. Et qui a publié son livre sur l’affaire, L’adversaire, six mois après. Il ne savait pas comment la justice fonctionnait. C’est quoi un procureur, pourquoi on se lève, etc. Les chroniqueurs judiciaires, c’est une petite bande qui finit toujours au resto, il y a des paris : « il est coupable, il va prendre 20 ans »... Il faisait partie de notre bande. Et puis, il sort son bouquin, et, à l’époque, je me dis : « mais c’est n’importe quoi ». Et, en fait, c’est lui qui a raison.

R.M. – Quand le livre sort, tu le lis comme un journaliste ?

D.D. – Voilà. Je me dis : pourquoi plaquer une analyse alors que les faits eux–mêmes sont extraordinaires ? Ils suffisent par eux–mêmes.

R.M. – J’ai lu récemment un texte de Carrère où il parle de De Sang–froid, de Truman Capote, qui est manifestement une influence pour ton livre. Et Carrère explique : dans De Sang–froid, tout subjectif que soit le livre, Capote ne dit jamais « je ». Et après la sortie du livre, Capote a pété les plombs, il est devenu réellement fou – bon, il y a aussi qu’il est tombé amoureux d’un des deux assassins, qu’il a assisté à sa pendaison – et il n’a jamais rien pu faire ensuite. Et Carrère dit : au début, j’ai voulu ne pas mettre de « je », et je me suis rendu compte que j’allais devenir fou comme Truman Capote, à essayer d’être dans cet entre–deux, dans cette fictionnalisation du réel, c’est–à–dire comme un roman, sans intervention de l’auteur, mais ça crame tellement la tête, c’est tellement angoissant de se mettre dans la tête du tueur, que je me suis mis en scène, et finalement ça m’a sauvé.

D.D. – Moi, pour le mien, je pense que ça m’a cramé la tête.

R.M. – Oui, mais toi c’est le contraire. Tu venais de l’école où tu dois ne pas te mettre en scène.

D.D. – Non, parce que dans mes premiers papiers sur le rock, Public Enemy, Nirvana, je me mets en scène, je n’ai aucun souci avec ça. C’est plus les directeurs de rédaction qui ont un souci avec ça. Enfin, à Actuel, évidemment, Bizot n’avait pas de souci avec ça, au contraire, il encourageait. Pareil Michel Butel, à L’Autre journal. Là, l’utilisation du « je » dans le livre, c’est d’abord parce que c’est une affaire personnelle, et c’est aussi une façon de dire à tous mes interlocuteurs, quels qu’ils soient : je vous mets en danger, mais je me mets moi aussi en danger. Je ne suis pas au–dessus de la mêlée. Squarcini, je suis avec toi, dans ton bureau, là, à Levallois ; untel, je suis avec toi à l’épicerie de Tarnac. S’il y a bien quelque chose qui n’a pas posé question, c’est que je savais dès le début qu’il y aurait le « je ».

[D.D. regarde l’enregisteur.]

D.D. – Ça enregistre ?

R.M. – Oui, tu vois le petit voyant rouge.

D.D. – C’est comme la télé, en fait, Le Tigre.

R.M. – Justement, j’avais une question à ce propos. À un moment tu décris comment tu fais pour la prise de notes. Tu racontes qu’une amie journaliste à Libé va aux toilettes, note tout ce qui vient de se dire, puis revient. Et toi, tu utilises un système de mots–clés.

D.D. – Des mots–clés, des phrases–clés, des phrases entières. Et en fait, c’est très éprouvant. Parce qu’en même temps, il faut maintenir la discussion. Je dirais que c’est une influence directe du finder du Macintosh. Cette idée de classement et de multitâches. Mais je ne le fais pas à chaque fois. Je le fais au début, parce qu’au premier entretien je ne peux pas sortir le calepin.

R.M. – La conséquence, c’est que c’est toi qui retranscrits les dialogues, et que quel que soit ton talent, quel que soit le talent de Truman Capote qui disait « je me souviens de 98% de ce qui a été dit », la reconstitution d’un dialogue ce n’est pas du tout la même chose qu’un vrai dialogue.

D.D. – Alors, attention. Je pourrais te montrer mes calepins : je note en dialogue.

R.M. – D’accord. Mais quand tu notes un dialogue, quelle que soit la qualité de ta mémoire, tu ne peux pas garder la syntaxe de quelqu’un, Son obsession sur tel mot, ses répétitions, ses accélérations, ses ralentissements...Prendre en notes quelqu’un, ce n’est pas la même chose qu’avoir sa voix dans l’oreille... Et j’ai trouvé que, dans le livre, il y avait une unification des façons de parler des personnages.

D.D. – Là, tu tombes mal, parce que la plupart, la majorité des dialogues restitués sont enregistrés, en vidéo, ou en audio. Et puis, des gens qui ont une construction verbale, une oralité propre, il n’y a en a pas tant que ça. C’est tout bête : quand tu passes des heures avec des flics, il y a un discours flic, un vocabulaire flic, une syntaxe flic.

R.M. – Mais les Tarnacois...

D.D. – Les Tarnacois ne s’expriment pas de la même manière, dans le livre, que les flics.

R.M. – Je ne l’ai pas assez senti dans le livre...

D.D. – C’est marrant que tu dises ça, parce que j’ai pris la précaution de citer Gabriel Garcia Marquez là–dessus.

« Au temps où il oscillait entre le journalisme et le roman, Marquez avait déclaré possible de mener des interviews de la même manière que l’on écrit un roman ou une poésie. Il ne signifiait pas que le journalisme pouvait être dans la fiction ; ça voulait simplement dire que les ressorts de l’une pouvaient servir à l’autre. Ça signifiait qu’un regard, une tangente, une phrase inachevée, toutes ces choses gommées par l’info rapide, pouvaient être autrement précieuses que les déclarations toutes faites, prémâchées. » [p.326]

D.D. – En gros, parce que j’ai la parole enregistrée, je ne prends plus de notes sur le regard tout à coup de l’interlocuteur, le geste qu’il fait, le silence tu l’as mais tu ne le restitues pas dans l’interview. Or, ça, je trouve que quand tu as le stylo en main, c’est beaucoup plus fort.

R.M. – Mais les deux peuvent aller de pair.

D.D. – Oui... Mais je fais partie d’une génération où on n’enregistrait pas. Les cassettes, c’était pas courant. Quand j’ai commencé, les journalistes prenaient plus de notes qu’ils n’enregistraient.

R.M. – Tu n’es quand même pas vieux au point de ne pas avoir connu les cassettes... Dès les années 1980, il y avait des petits magnétos...

D.D. – C’est vrai, mais quand tu arrivais avec un magnéto, ça faisait de l’effet aux gens : « ah bon, vous enregistrez ? » Parce que la génération d’avant ne le faisait pas. Nous, on est nés avec ça, et ça ne nous dérange pas... Par ailleurs, ça peut être un truc bloquant, le magnéto. Dès lors que tu es avec des gens qui risquent beaucoup, le magnéto, c’est... Devant un flic de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) ou de la SDAT (Sous–direction anti–terroriste), qui risquent vraiment des problèmes à me parler...

R.M. – On est d’accord, parfois tu ne peux techniquement pas...

D.D. – Enfin, « techniquement »... Maintenant on peut faire ce qu’on appelle, je l’ai appris récemment, des « entretiens sonorisés ». Comme les journalistes sont suivis, écoutés, ils se disent : « nous aussi on va sonoriser », enregistrer sans le dire, les rencontres avec des flics... Je trouve ça assez drôle, d’ailleurs. Enfin, je trouve ça drôle comme ça en plaisantant, mais il y a quand même un côté un peu lâche. Personnellement, j’avance toujours à visage découvert.

R.M. – Une des choses les plus intéressantes du livre, c’est que tu dis : il n’y aura aucun scoop, dans ce livre, et en même temps vous allez apprendre mille choses, mais je ne suis pas là pour vous dire si, oui ou non, les gens de Tarnac sont impliqués dans cette histoire, est–ce qu’ils ont posé ces fers à béton ou non, ce n’est pas ça qui est important. Évidemment, pour nous au Tigre, tu prêches des convaincus, puisqu’on a toujours pensé que ce n’était pas le vent de l’actualité qui comptait, mais ce que tu peux raconter par derrière, les arrière–boutiques. Ton livre fonctionne comme ça, tu évacues la question du scoop. Et pourtant, tu navigues entre les extrêmes : d’un côté, ce que tu appelles les invisibles, qui ne sont finalement pas si invisibles que ça, et de l’autre côté, le pouvoir qui est d’ailleurs souvent aussi invisible, et qui t’ouvre les portes. Par exemple, le bureau de Squarcini...

D.D. – Exact.

R.M. – Alors, justement, sur Squarcini : un mois avant ton livre, il y a eu celui sur L’Espion du président [1] : Squarcini, le patron de la DCRI. Apparemment, vous vous êtes échangés des informations. Puisqu’il y a dans leur livre une anecdote qui est aussi dans le tien. Aucun des trois auteurs n’est entré dans le bureau de Squarcini, mais toi oui.

D.D. – Bon... Puisque Le Tigre veut faire de l’information maintenant, voici un scoop. Didier Hassoux, un des trois auteurs du livre sur Squarcini, et qui fait aussi l’objet d’un chapitre dans mon livre, est un ancien de Libération, un ami de longue date. Pendant des mois, on a eu une adresse mail commune, hassduf@gmail.com, comme Hassoux–Dufresne. J’avais expliqué à Didier : on ne s’envoie pas de mails, on n’écrit que des brouillons, et chacun va lire les brouillons de l’autre. L’important, c’est que ça ne transite pas sur ton ordinateur : du coup, c’est difficilement détectable. Ça ne passe pas par les flux : personne ne peut remonter à la boîte avec ton adresse IP. Tous les gauchos savent ça, les flics aussi, bon, pas de souci. Et donc pendant des mois, on s’est échangé des informations. Donc il m’a envoyé son passage sur Tarnac, et moi je lui ai envoyé mon chapitre sur Squarcini. Où je décris le bureau. Donc ils ont utilisé cette description. Et je raconte l’histoire du geste que me fait Squarcini, lors d’un rendez–vous...

R.M. – Où il te met la main sur la nuque, comme un flingue.

D.D. – Voilà, mais un flingue, comme un pistolet à eau, c’est un peu une blague, c’est pour rire, franchement je n’ai pas été menacé de mort. Mais. À la limite, on peut dire que c’est du pré–quelque chose... Puisque lui aime beaucoup les histoires des pré–terrorisme. Bref. Didier a réutilisé ça, c’est même pas donnant–donnant, c’est un truc de potes. À ce moment–là, on est à 6.000 kilomètres de distance [2]...

R.M. – Et évidemment vous ne pouvez pas vous parler par téléphone...

D.D. – Non. Et Didier et ses amis vivent des choses très dures, qu’ils racontent dans leur bouquin, ils ont été siphonnés, les disques durs, on leur pique leur portable en gare de Marseille, etc. Tu ne peux pas être tout seul dans ces cas–là. Si je signe le livre tout seul, en réalité il y a plein de gens qui ont souffert avec moi, dont Didier. Mais il n’y a aucune tractation. Pendant trois ans, quand j’étais normand, et maintenant canadien, à chaque fois que je venais à Paris, j’allais voir Didier, et on parlait énormément. On se confessait mutuellement.

R.M. – Du debrief, comme les agents secrets.

D.D. – C’est ça, exactement !

R.M. – Leur livre est un livre très classique, très journalistique, en revanche, c’est bourré d’informations.

D.D. – Voilà. Il y a plus d’une information par page.

R.M. – C’est l’opposé du tien. On est dans du scoop très inédit, il y a énormément de choses qu’on n’a jamais lu, mais ça rappelle beaucoup le journalisme de flux...

D.D. – C’est deux logiques d’écriture qui n’ont rien à voir... mais ils ont fait un boulot de dingue.

R.M. – Ce qui est amusant, c’est que ce fameux épisode du rendez–vous avec Squarcini est plus dramatique dans leur livre que dans le tien.

[L’espion du président] : « Lorsque le journaliste David Dufresne, qui prépare un livre d’enquête sur les dessous de l’affaire [de Tarnac], le rencontre à Levallois, à la fin de l’entretien, Squarcini le raccompagne et mime le geste de lui appuyer un pistolet sur la nuque – pour rire bien évidemment. »

[Tarnac, magasin général] : « C’était notre troisième et dernier rendez–vous. Cette fois, au moment de se saluer, il y eut un geste de plus, un drôle de geste, un geste de flic, deux doigts s’enfonçant, tel un canon imaginaire, à l’endroit même où on ne sait plus si c’est le dos qui s’arrête ou la nuque qui commence. Un geste pour dire que tout ça, c’était du jeu. Ce geste n’était ni une menace, ni même un avertissement, tout juste, peut–être, un message. C’était du spectacle, un truc entre hommes. De la nébuleuse policière, à prendre avec humour, ou à laisser. » [p.343]

R.M. – Quand je l’ai lu dans leur livre, je me suis dit « trash, les rapports Squarcini–Dufresne », et quand je l’ai lu dans le tien, je me suis dit, non, en fait...

D.D. – Peut–être que c’est Didier qui a raison, peut–être que Squarcini, au rang qui est le sien, ne devrait pas faire ce geste. Moi, je m’en fous complètement. Enfin, si je m’en foutais complètement, je n’en parlerais pas. Je trouve que ça fait partie du personnage, que ça fait partie de la fanfaronnade. Je trouve que c’est beaucoup plus grave ce que ses services ont fait dans cette affaire que ce que lui me fait.

R.M. – J’ai une question sur la notion d’anonymat. Le principe du livre, c’est que chaque personne est nommée, y compris des gens très connus, que ce soit le patron des RG, le patron de la DCRI, tout ça. Là, en l’occurence, c’est quelqu’un de Tarnac, que tu anonymises.

« Assis sur la banquette arrière, son copain restait silencieux [...]. Bien plus tard, je compris que l’inconnu en question était toujours comme ça : une tombe. C’était sa nature, il n’y avait pas à paranoïser. » [pp.77–78]

D.D. – Alors, il faut préciser : c’est donc quelqu’un qui est à l’arrière de la voiture, la première fois que je fais une interview de Benjamin Rosoux. Une personne que je revois très souvent, quand je vais dans le village. Comment dire ? Là, c’est ténu... Il y a un côté littéraire, en fait : la police m’a fait croire que ce type en question faisait partie de l’appareil militaire, que c’était un type mystérieux, qu’il faisait des arts martiaux, lalala. Et je joue avec ce truc–là. Ce mec, c’est un joueur de football ; alors, probablement que c’est un activiste, un radical, il ne s’agit pas de dire que c’est oui–oui–land, mais il n’a pas eu de problèmes avec la justice, je n’ai pas envie de lui en donner. Au bout du compte, c’est ça. Pour chaque protagoniste qui est dans le bouquin, tu n’imagines pas les jours, et les nuits, à me demander : qu’est–ce que j’en fais ? Qu’est–ce que je dis ?

R.M. – Je me souviens très bien que tu m’avais dit, dès le début : tu ne te rends pas compte que, selon ce que je vais écrire, il y a des gens qui peuvent aller en prison. Ça m’avait toujours paru exagéré, et ça me le semble encore plus après lecture du bouquin, où tu démontres combien judiciairement le dossier est fragile.

D.D. – C’est facile pour toi de ne pas avoir peur pour eux. Mais il faut se mettre à leur place. Malgré tout, il y a vingt ans de prison possibles pour Coupat, huit ans pour les autres.

R.M. – Mais est–ce que cette façon de se faire peur ce n’est pas faire le jeu de la police, c’est–à–dire de feindre d’accepter qu’on croit à cette menace–là, alors qu’il est évident que ça ne tiendrait pas au procès, ou, qu’au pire, ça finirait par sauter auprès de la Cour européenne, parce c’est tellement démesuré le fossé entre l’action visée (la pose de quelques fers à béton) et le terrorisme. On n’a pas du tout l’impression que le dossier tienne d’un point de vue de terrorisme. Même le juge Fragnoli, on n’a pas l’impression qu’il y croit vraiment.

D.D. – Ah si, il y croit.

R.M. – Bon, il y croit...

D.D. – Et il faut savoir que, dans cette affaire, il y a un truc qui est assez symptomatique de l’époque, c’est que, dans le dossier d’instruction, tu retrouves beaucoup d’interviews, notamment de Gérard Coupat, le père de Julien Coupat, ou d’Eric Hazan, l’éditeur de L’Insurrection qui vient.

R.M. – Oui, les fameuses interviews où ils disent explicitement que Julien Coupat a écrit L’Insurrection qui vient, avant de se rétracter évidemment, puisque c’est ce que la justice cherche à prouver...

D.D. – Donc, quand tu passes tes journées à lire le dossier d’instruction, tu te dis : « je dois faire très attention ». Il y a tellement de mauvaises interprétations qui ont été faites, que ce n’est pas la peine d’en rajouter. Ce n’est pas la peine de donner des billes. Moi, je ne suis pas auxiliaire de justice.

R.M. – De la même façon, tu t’en prends aux journalistes et aux commentateurs serviles dont le discours est d’une part « facile d’être révolutionnaire quand on est riche », à propos de Julien Coupat, et d’autre part, « ils se disaient révolutionnaires mais finalement ils s’appuient sur les structures traditionnelles de défense ». Et ce discours–là, c’est aussi celui d’autonomes, ou peu importe comment on les appelle, en tout cas de gauchistes qui attaquent le groupe de Tarnac par la gauche. Là, il y a un papier qui vient de sortir sur le web, sur ce thème, à propos de la sortie de ton livre.

D.D. – Oui. « La peoplisation de la subversion ». Confondant de connerie.

[Sur paris.indymedia.org] « Dans toutes les librairies de gauche, le livre de David Dufresne, « TARNAC, MAGASIN GÉNÉRAL ». Exploration journalistique au cœur de la subversion française du XXIème siècle. Pleine de mystère la rencontre n’en est que plus significative : nous conspirons contre l’Empire (et contre le méchant Sarkozy), mais n’en dites rien. Qu’on se le dise, nous prenons des décisions importantes. Clins d’yeux. Amitié. Complicité. Le monde va changer de base... »

R.M. – C’est une thématique qu’on ne peut pas balayer d’un revers de main.

D.D. – Il y a en effet des gens qui sont plus royalistes que le roi, qui attaquent ce qu’on appelle l’innocentisme, en disant : « c’est pas bien de dire «on est innocents» ». C’est des débats que j’ai tellement connus il y a vingt ans ; je trouve ça confondant de bêtise. Ce qui est extraordinaire, c’est que les mecs de la SDAT ont exactement le même discours ! C’est la même façon de rester un peu bas de plafond, d’être dans un monde manichéen. Ce que je trouve intéressant, c’est que cette affaire, elle dure et elle emmerde l’État parce que les gens n’ont pas forcément tenu le rôle qui était prévu. C’est ce que Rosoux m’explique la dernière fois que je le vois.

« [B.Rosoux :] «Tu es sommé d’argumenter contre cette figure qui t’échappe, cette figure de l’ennemi, et que la question se pose de savoir de quelle manière tu t’y colles ou tu t’en détaches. Voilà l’enjeu dans ce dispositif antiterroriste. Soit tu colles et tu dis, effectivement, oui, il y a des méchants, oui, on veut abattre l’État, oui, vous ne nous aurez jamais, le peuple vaincra, tra–la–la, et tu entres dans des formes de radicalisation, radicalisation dans le sens où tu réponds positivement au défi qui t’est lancé, quitte à incarner des formes de martyrologie. Ou alors tu fais tout pour échapper à cette forme d’identification, de répression, qui isole un sujet, en n’acceptant jamais d’être ce sujet.» » [p.390]

R.M. – Tu veux dire que, même sans être dans une logique totalement complotiste, mais au moins dans une logique un peu fantasmée du pouvoir qui se dit « ces mecs sont des gauchistes ultimes, donc on va créer une espèce de tension, et eux vont se draper dans une posture jusqu’au–boutiste », et finalement c’est pas ça qu’ils font. Et du coup le scénario ne se déroule pas comme prévu...

D.D. – Bien sûr ! C’est un des moments où la machine est grippée. Maurice Leblanc, un informateur anonyme qui m’a contacté à la toute fin de l’écriture du livre, c’est en gros ce qu’il me dit : ceux qui ont allumé le feu au sommet de l’État, en fait l’incendie s’est retourné contre eux. Et je trouve que c’est tellement plus intéressant que les discours sur « est–ce qu’il faut parler aux journalistes ou pas »...

R.M. – Mais lorsque tu écris un texte comme L’Appel, qui est un très beau texte, mais très violent...

D.D. – Oui, très beau texte.

R.M. – ...c’est difficile derrière de dire : « bon, Noël Mamère va me rendre visite en prison »...

D.D. – Tu as une vision... Comment dire... Figée... Il faut imaginer déjà une affaire comme ça qui te tombe dessus, la violence de ce truc–là. Très difficile de réagir... Moi je trouve que globalement ils ont bien réagi...

R.M. – C’est une espèce de contrepied assez subtil, ce que tu dis là. Qui consiste à dire : pour des gens qui se réclament de l’invisibilité, la façon de niquer le pouvoir, c’est de dire : je deviens visible ! Alors on peut trouver ça drôle, c’est Guy Debord sortant de sa tombe et disant « on va prendre le pouvoir à contrepied », mais c’est quand même un peu bizarre...

D.D. – Soyons très clairs : je ne suis pas leur porte–parole, et si je m’auto–proclamais tel, je serais massacré dans la minute. Mais... Dans L’Insurrection qui vient, et j’ai essayé d’en parler avec Eric Hazan, un des passages qui me passionnent le plus, c’est ce moment de lucidité où les auteurs disent : à un moment il faudra sortir de l’anonymat.

[L’Insurrection qui vient] « La visibilité est à fuir. Mais une force qui s’agrège dans l’ombre ne peut l’esquiver à jamais. Il s’agit de repousser notre apparition en tant que force jusqu’au moment opportun. Car plus tard la visibilité nous trouve, plus forts elle nous trouve. »

D.D. – Moi je pense que ce moment aurait pu être cette affaire. Ma déception, à la limite, elle est là. Si ce sont les auteurs de L’Insurrection qui vient – moi je n’en sais rien – j’aurais voulu qu’ils sortent là de l’anonymat, parce que c’était l’occasion rêvée. Mais moi j’ai pas envie de donner des leçons. Comme des gens qui s’abritent derrière leur numéro IP, et qui me balancent leur fiel par mail.

R.M. – Dans le livre, tu critiques souvent les journalistes, en expliquant qu’ils veulent une vérité, qu’ils sont pressés, par exemple dans ce passage, à propos d’un journaliste dont tu précises bien qu’il n’a jamais rencontré les intéressés :

« Il parlait comme un flic, et ne s’en rendait pas compte. Je tâchais de lui expliquer que ce métier valait le coup pour son lot de rencontres durables bien plus que par son lot de révélations temporaires, il s’en cognait. [...] Il ne voyait que le devant de la scène ; les coulisses ne lui disaient rien. Je bataillais à lui faire entendre que, sur le théâtre des opérations, pourtant, tout comptait : la scène comme les coulisses, les loges comme la billeterie, le balcon comme les machines, l’escalier comme le rideau, les acteurs comme les fils des marionnettes. Il était pressé. » [p.39]

R.M. – La question centrale, qui est évidemment irrésolvable, mais dont j’aurais aimé que tu l’abordes plus directement, c’est : quelle est ma propre limite dans ce que je vais raconter, qu’est–ce qui détermine que je vais raconter ça plutôt que ça ? Que le réel, c’est ça, plutôt que ça. Que les faits, c’est ça plutôt que ça. Que les gens, c’est untel plutôt qu’untel. Dès lors que tu fais le choix d’écrire le réel, et non pas de la fiction... On en avait parlé, de cette question de la fiction, je t’avais dit que la solution pour ton livre, c’était peut–être d’écrire de la fiction, parce que là tu es dans la liberté absolue. À partir du moment où tu refuses cette facilité, tous les choix que tu vas faire, à chaque moment, il faudrait être capable de les justifier, de les discuter, y compris même dans le livre.

D.D. – Il me semble que j’évoque beaucoup ces questions–là, quand ça me semble important. Pas à chaque paragraphe en effet...

R.M. – Oui, mais j’ai l’impression que tu les évoques du point de vue du curé défroqué. Tu les évoques en regardant les autres journalistes, et en disant les journalistes ils sont comme ça. Comme si, pour la première fois, tu acceptais de critiquer les journalistes.

D.D. – Alors, là, déjà, c’est faux. J’ai passé deux ans à Libération à faire une chronique télé, mon travail était de dégommer la télévision...

R.M. – La télé, oui, mais dans le livre tu parles peu de la télé, c’est plutôt la presse écrite.

D.D. – Je n’ai jamais été corporatiste. Et ça m’a été suffisamment reproché. La seule chose, c’est que le jour où tout le monde est devant la prison de la Santé, pour la libération de Julien Coupat, il se trouve que, moi, je suis à Tarnac...

R.M. – D’accord, mais dans le livre tu racontes cette sortie de prison comme personne ne l’a jamais racontée...

D.D. – C’est–à–dire ?

R.M. – C’est–à–dire que tu dis des trucs que personne n’avait jamais dit.

D.D. – J’espère.

« Depuis le matin, les chaînes d’info en continu étaient en direct, à attendre, à mouliner, à brasser. Les copains de Coupat avaient sorti les grands moyens pour les y aider.[...] Camouflé dans le coffre de la voiture, sous une couverture et quelques livres, Julien Coupat attendait de l’autre côté de la prison. Il avait enfilé foulard et sweat. Le foulard arborait un sourire, le pull était marqué Guerre au spectacle au dos et La lumière du spectacle obscurcit tout devant ; au cas où cette dernière viendrait à se braquer sur lui. » [p.323]

R.M. – À la fois ça t’exaspère de voir tous ces mecs qui attendent en direct, mais, finalement, le récit de la sortie de prison te plaît aussi, et ce récit, il est romanesque. Évidemment qu’eux, les journalistes, ils sont un peu cons, et ils n’ont pas ton recul ; mais tu as, et on a tous, la même attirance... C’est la question du voyeurisme...

[Sonnerie de téléphone.]

D.D. – C’est moi, ça ? Ah, c’est mon éditrice. [au téléphone] Allô ? Oui ? Ah, ici la police, oui ? Fais gaffe, parce qu’au Tigre, ils enregistrent tout, et ils me font boire, putain ! Et je viens de dire « c’est mon éditrice », et tu dis « allô, c’est la police », donc, à mon avis, ça va se retrouver... Donc, elle s’appelle Mireille Paolini, elle est Corse.

R.M. – Comme Squarcini...

D.D. – [au téléphone] Oui, oui... C’est–à–dire que c’est un monologue de la part de l’intervieweur... Donc, je dis oui, ou non, mais c’est tout. Non, non, c’est un plaisir... Oui ? Pour France Info, c’est ça ? Oui... Tu écouteras, j’espère... Non, non, ça n’arrivera pas, t’inquiète... Allez, je t’embrasse, ciao. [Il raccroche.] Attends, il faut que je puisse répondre, à propos du journaliste–flic qui brandis son carnet. Alors je raconte cette scène, mais en fait je la minimise un peu. Je crois que c’est à ce moment–là que je comprends que ça ne va plus du tout. Que je ne suis plus fait pour ce métier. Je ne supporte plus. Alors, curé défroqué, c’est une expression qui est assez redoutable. Je comprends que tu dises ça. Mais... Comment dire... Je crois... Honnêtement, avec ce livre, j’ai plus perdu que je n’ai gagné.

R.M. – Le curé défroqué, ce n’est pas forcément négatif.

D.D. – Le curé, c’est plutôt négatif, pour moi.

R.M. – Mais s’il est défroqué, c’est mieux...

D.D. – La réalité, telle que je l’ai vécue, c’est cette notion de schnorrer.

« Gabrielle évoqua un personnage de la mythologie juive, le schnorrer, mi–mendiant mi–messager qui va de village en village. Le schnorrer apporte les nouvelles et on lui sert la soupe en échange. Elle me voyait comme ça : un schnorrer de l’information judiciaire qui irait d’un mis en examen à l’autre. » [p.41]


D.D. – Il y a des mots qui sont arrivés sur les questions que je me posais depuis vingt ans, tu le sais, on s’est engueulés vingt fois là–dessus. Et cette affaire a résonné en moi... Mais ç’aurait pu être une autre, honnêtement. Ç’aurait pu être une guerre, ç’aurait pu être un truc en banlieue. Mais... Si tu veux, ce qui serait désagréable, ce serait que le fait d’avoir évoqué mes doutes se retourne contre moi. Je ne trouverais pas ça cool !

R.M. – C’est la force et la faiblesse de ce genre de texte : si tu ouvres la porte...

D.D. – ...la critique s’engouffre, c’est normal.

R.M. – Y compris la complexité des choses. Quand je lis L’Espion du président, c’est un bouquin tellement standard qu’il n’y a pas de mécanique derrière, pas de réflexion, donc on n’en a rien à en dire. C’est un livre qui va marcher parce que c’est un document choc, avec des révélations, et basta. C’est évident que toi, ton travail est différent, et il donne envie d’en débattre. Toujours à propos de l’anonymat, il y a ce passage sur une policière de la DCRI, que tu appelles Sportster :

« Décrire Sportster serait la trahir. Ne pas la décrire, c’est buter sur un paradoxe du journalisme : à la fois savoir et savoir qu’on ne peut pas tout dire ; à la fois chercher et feindre qu’on n’a pas trouvé ; ou alors jouer de sous–entendus ou de phrases toutes faites, d’insupportables mots–valises, d’expressions vides, jouer avec les lecteurs sur la base d’un contrat tacite, d’un contrat fait de petites notes en bas de pages, de sources–proches–de–l’enquête, d’entourage ou de premier–cercle ; un contrat mensonger, un contrat cliché. » [p.50]

R.M. – Et finalement, en fait, tu ne la décris pas... Tu es toujours sur cette ligne de crête, qui est vachement intéressante : jusqu’où je peux repousser les limites. Et là tu ne les repousses pas. Tu dis : si elle se fait identifier, bam !

D.D. – Si elle se fait identifier, c’est la fin de sa vie professionnelle. Donc, en gros, c’est une condamnation à mort économique. On parle de ça... Au fond, protéger nos sources, c’est la dernière chose qu’il nous reste.

R.M. – Tu protèges plus les niveaux inférieurs, les flics de base, que les niveaux supérieurs, les patrons.

D.D. – C’est mon côté marxiste. C’est mon côté lutte des classes.

R.M. – Donc ce n’est pas tes sources que tu protèges. C’est les gens dont tu considères qu’ils sont fragiles. Les gens importants, Squarcini, ou Bouchité, le patron des RG à l’époque, ça ne te dérange pas de les griller.

D.D. – Voilà. Enfin, ça me dérange pendant des mois et des mois, et je finis par le faire.

R.M. – Je me suis posé la question. Je me suis dit que c’est parce que tu es un mec gentil. Mais... Est–ce que tu as imaginé faire le bouquin comme un salopard, réellement comme un testament, c’est–à–dire : je grille tout le monde.

D.D. – Non. Jamais. Je n’y ai jamais pensé. En revanche, aujourd’hui encore, je m’interroge sur la figure du salaud, qui est celle de l’écrivain. Je pense que l’écrivain est un salaud. Au sens où il voit une scène, un repas de famille, une scène dans la rue, une interview, et quand il la restitue des mois plus tard, ou des années plus tard, dans quelle position il est ? J’ai buté sur cette question pendant trois ans. J’ai écrit des trucs sur le sujet qui étaient nuls, que je n’ai donc pas mis dans le bouquin. Mais c’est une question centrale. Je ne sais pas si je suis gentil ou pas, mais je n’ai pas envie de faire de peine. Je peux aller au combat, mais je n’ai pas envie de faire de peine. Ça ne m’intéresse pas de vexer pour un bon mot, je ne trouve pas ça intéressant. Cette fliquette, elle m’a fait confiance, je n’ai pas envie de la trahir. Et je ne vais pas la trahir parce qu’elle est fliquette. Autrement dit : se comporter en salaud avec les salauds, je ne suis pas d’accord avec cette histoire–là. À partir du moment où tu te comportes en salaud, tu deviens un salaud. Et puis c’est tout. Alors, le lecteur peut en effet se dire : « il n’a pas vraiment tout dit ! » Je dis 98%, il en manque 2.

R.M. – Il y a ce passage sur la conférence de presse de Jean–Claude Marin :

« Le décor se mettait en place dans une salle anonyme du palais de justice de Paris, trois jours après les arrestations à Tarnac. Les images de la conférence de presse de Jean–Claude Marin relançaient l’attention. Elles étaient parfaites, solennelles, dans le timing comme dans la forme. » [p.57]

R.M. – Là, le procédé est à la fois honnête et malhonnête. Honnête parce que tu cites tes sources à la fin du livre, chapitre par chapitre, comme dans le livre mexicain Des Os dans le désert [3]...

D.D. – Alors, parlons–en avant qu’on oublie. Il faut savoir que j’ai utilisé le logiciel d’aide à l’écriture de scénario que j’avais pour Prison Valley, qui s’appelle Scrivener : ça permet de mettre des notes, de construire énormément, de chapitrer. En fait le bouquin est extrêmement construit, enchevêtré. Parmi les notes que j’avais mises il y avait : « Questions auxquelles je dois répondre ». Et il y a ton mail du mois de juin 2009, avec les points que tu soulignais.

[Extraits du mail de R.M. à D.D., 24 juin 2009, pour un article ou une interview pour Le Tigre.]
« Voici quelques pistes de points qu’il me semblerait bien d’aborder :
– le fait que tu crées des liens de proximité avec certains protagonistes (Benjamin) la façon dont ça change ton rapport au truc
– le fait que tu sois obligé de faire preuve d’une certaine « neutralité » alors que des choses te donneraient envie de réagir en tant que David–Dufresne
– l’excitation du scoop, de l’info que personne n’a sortie (ex. l’ordonnance de Fragnoli sur le terrorisme) et la déception parce que ça fait un peu pschitt, redoublée à cause d’internet où il faut aller vite, très vite, au détriment d’un travail de fond
– le fait de devoir « enfermer » une énorme complexité dans des textes journalistiques, simples, rapides, qui, en plus, ont l’énorme désavantage d’être comparés à la prose brillante des gens dont tu parles
– le fait de voir des « collègues » péter les plombs et ne plus avoir aucun sens des limites de ce qui est permis de faire ou de ne pas faire (l’histoire du mariage). »

D.D. – Et, à peu près chaque semaine, je regardai où j’en étais par rapport à ces questions. Te voilà flatté ! Mais c’est la vérité. Et j’étais bien content l’autre jour quand tu m’as dit « en fait tu as à peu près répondu à tout ». Et c’est pour ça qu’à l’époque je t’avais dit « je ne peux pas répondre maintenant, parce que c’est pour le livre ». Et ça m’a fait chier ! Parce que je me suis dit, putain c’est les bonnes questions ! C’est les vraies questions ! C’est les questions littéraires. En fait il y a quatre personnes importantes pour l’écriture du livre : il y a évidemment l’éditrice, Mireille Paolini, il y a mon vieux pote Yannick Bourg, il y a toi, et il y a ma compagne, Emmanuelle Walter, qui m’a, à un moment donné, passé De beaux lendemains de Russel Banks, et ça a été le détonateur. Donc, pendant deux ans, j’ai ruminé sur ces questions d’écriture. Il y a eu des moments de doute, où j’étais parti pour faire un truc chronologique à la con... Donc, vas–y, Jean–Claude Marin ?

R.M. – Alors, ce dispositif de notes à la fin, est–ce que ça vient de Des os dans le désert ?

D.D. – Oui. J’ai acheté ce livre que tu m’avais conseillé. Et j’ai pris cette idée, qui est de dire tout ce qui pollue la lecture, tout ce qui fait journalisme, je le mets à la fin.

R.M. – Je le mets, mais comme un texte autonome. Et ça marche très bien, là. C’est aussi bien une citation toute bête qu’un éclaircissement. J’ai toujours défendu ce procédé, et je trouve que tu le fais très bien. Mais, dans le chapitre sur Jean–Claude Marin, quelqu’un qui ne lit pas les notes ne sait pas que tu n’assistes pas à cette scène, la conférence de presse. Et même dans les notes, ce n’est pas explicitement dit : je n’y suis pas. Je trouve qu’on est de nouveau dans les habitudes du métier : je vais vous raconter la scène, mais en fait je n’y étais pas.

D.D. – Non. Ton aveuglement anti–journalistique te perd... Je rigole, je rigole, tu mettras smiley, s’il te plaît. Non, je dis clairement « ce chapitre s’inspire de telle vidéo et de telle dépêche ». Je n’y suis pas...

R.M. – Tu pourrais écrire ça : « je n’y étais pas ».

D.D. – Bon, s’il y a une nouvelle édition, je le mettrais...

R.M. – C’est un détail, mais...

D.D. – D’accord, je le note.

R.M. – Ce qui est passionnant dans le livre, et c’est que disait Ariane Chemin dans Le Monde, c’est le truc sur la langue de tous les documents policiers et judiciaires. Quand Mediapart avait sorti le gros rapport de la SDAT, j’avais adoré parce que c’était la première fois qu’on lisait un gros rapport de police in extenso, et je me souviens que pour le dossier du Tigre je l’avais utilisé pour voir quels étaient les journalistes qui avaient eu le texte avant les autres, qui étaient directement informés par les flics.

D.D. – Alors, je m’en souviens, parce que j’ai relu ce dossier du Tigre, et c’était drôle et très malin de ta part de pointer quels journalistes avaient eu accès à l’information avant les autres. Moi, ce qui me gênait avec ce rapport c’est que, pour un Raphaël Meltz, beaucoup s’étaient précipités sur le texte, prenant pour argent comptant la prose policière... Et d’ailleurs, je pense même qu’il y a des proches des gens de Tarnac qui ont été ébranlés : « ah merde, ils ont fait ci, ils ont fait ça... » Et ce que j’essaie de faire dans le livre, c’est de pousser ça à l’absurde : ok, on va produire des pièces de justice, de police, et on va voir...

R.M. – Et c’est tellement n’importe quoi !

D.D. – C’est tellement hors–sol, c’est un prisme... Tantôt ça colle : une fois sur dix. Et neuf fois sur dix c’est n’importe quoi. Quand tu publies un rapport sur le net, et que tu ne vas pas au Goutailloux, à l’épicerie, tu restes sur la version policière. Et c’est ça mon problème. C’est pour ça que je dis, quand le journaliste me dit « les faits sont constitués », je dis « ça ne va pas... »

R.M. – Alors Davduf, il y a un problème, quand même. Ce rapport, il est sorti sur Mediapart, où tu travaillais à l’époque, et dans ton bouquin, tu dis :

« Les flics avaient planqué des mois durant, et photographié tout ce qui bougeait. Puis des journalistes avaient pris le relais en se mettant à fouiller leurs poubelles. Un site Internet d’informations avait omis de biffer leur adresse dans un fac–similé de rapport de police. » [p.259]

R.M. – « Un site internet », sans dire que c’est Mediapart, ça j’ai trouvé ça nul de ta part. Tous les gens qui s’intéressent à l’affaire savent où est sorti ce rapport, on se demande pourquoi tu as voulu protéger Mediapart, j’ai trouvé que c’était indigne de David Dufresne.

D.D. – C’est vraiment un micro–détail...

R.M. – Non, je ne suis pas d’accord. Tu bosses pour un journal qui fait un truc que tu récuses, et dans le livre tu dis : « je trouve ça nul qu’ils l’aient fait », sans dire que c’est les gens pour qui tu bosses. C’est pas un détail !

D.D. – Je pense que tu ne mesures pas, mais c’est normal parce que ce n’est pas le milieu dans lequel tu évolues, la charge... Ils s’en prennent déjà plein la figure, les journalistes d’investigation : quasiment à chaque page il y a une remise en cause. Dans une première version du manuscrit, je dis que c’est Mediapart. Et puis je me rends compte, trois ans après, que ça n’a pas beaucoup d’importance, et qu’heureusement, aujourd’hui, que Mediapart existe... Bon, écoute, tu sais quoi ? Je le remettrai pour la deuxième édition...

R.M. – Mais le diable est dans les détails !

D.D. – Non, justement, en ce qui concerne les dérives de la presse, je pense que ce n’est pas dans les détails que le diable se cache. C’est dans ce mouvement de masse, dans cette bizzarerie qui fait que plus il y a de médias, plus ils parlent de la même chose au même moment. Et ça, ça passe mal dans certaines rédactions. Mais c’est drôle que tu me reproches d’avoir enlevé cette précision, parce que, pour moi, c’est très journalistique.

R.M. – Nombriliste, tu veux dire ?

D.D. – Cette affaire me dépasse de très loin... Pour aller dans une direction vraiment tigresque, pour le coup : essayons de bâtir un propos...

R.M. – Mais, vue l’affaire, tu aurais gagné à être toujours dans une explicitation précise de là où tu en es toi. Je pense que dans cette affaire–là, les histoires très intimes qui t’arrivent ont à voir avec ce que tu as envie de raconter, à savoir l’époque, le journalisme, la visibilité...

D.D. – Il y a un problème, et là je pense que les lecteurs du Tigre auront décroché, auront arrêté de lire l’interview, le problème c’est que toi, tu es un lecteur plus qu’averti donc probablement que tu mets dans ce livre plus de choses qu’un lecteur classique.

R.M. – C’est certain. Mais, tu vois, tu m’avais dit que tu te mettais vachement à nu, j’ai trouvé que tu le faisais, mais de façon toujours un peu métaphorique, un peu générale.

D.D. – C’est ton point de vue. Quand j’écris, je dis de moi ce qui me semble important, mais ce que les lecteurs vont vouloir comprendre, ce sont les mécaniques à l’œuvre. Je ne suis pas un personnage central, je suis un personnage à la frontière, à la lisière, comme tu veux, sur la crête. J’ai déjà un rôle important, parce que je tiens la plume. Il n’y a pas besoin d’en rajouter. Pas besoin de faire du ton sur ton : il y a des moments où le non–dit, l’ellipse, sont beaucoup plus forts, quitte à laisser le lecteur dans la perplexité. Ce n’est pas de la fiction : il y a des ressorts de fiction, les dialogue, la construction, les cliffhangers, mais ce n’est pas de la fiction ! Et c’est pour ça qu’il y a cent pages de sources. Dans une des phrases de ton mail de 2009, probablement la plus cinglante, tu disais : « ça fait quoi d’écrire moins bien que les gens dont tu parles ? » Et, honnêtement, par modestie sincère – alors que par ailleurs je ne pense pas être un mec modeste – je pense que je suis un mec moins intéressant que les gens que je rencontre. Et donc j’ai une réserve : je dis ce qui me semble utile pour le récit. Peut–être que si j’étais romancier, je me mettrais à la place de Dieu. Je ne suis pas Dieu.

R.M. – D’accord.

D.D. – Quoi, « d’accord » ?

R.M. – Hé bien, c’est une réponse qui me convient : « je ne suis pas Dieu »...

[Pause pour aller acheter du vin.]



D.D. – Sur la gentillesse, c’est marrant, parce que je suis plutôt violent, tu le sais, à l’oral, dans les rapports humains, mais, au moment d’écrire, je trouve ça tellement grave... J’ai le souvenir, c’est très vieux, d’une interview de Serge Quadruppani, à l’époque où Daenincks accusait Gilles Perrault... Je me souviens d’une interview très dure, très difficile, avec Quadruppani, qui était accusé par Daenincks, et Quadruppani m’a dit quelque chose qui est ce qui m’a le plus déstabilisé, hormis ce que je raconte dans le livre, il m’a dit : « mais, c’est très désagréable, ce que vous me dites là ». Et ça m’est resté. C’est–à–dire que j’ai une vision romantique du journalisme, comme un contre–pouvoir, on est là pour emmerder, mais en même temps je ne suis pas là pour vexer les gens. En gros, je suis là pour faire ripper les machines, mais pas pour faire chier les individus. Et c’est vrai qu’au moment d’écrire, j’ai un peu cette retenue–là. Mais les choses sont dites.

R.M. – C’est la difficulté du dispositif. Soit tu fais le journaliste comme un crétin, sans aucun sens moral, quand tu harcèles les gens pour qu’ils te parlent, quand tu vas devant chez eux avec tes caméras, soit tu commences à te poser des questions, mais là est–ce que le simple fait de commencer à écrire sur quelqu’un, est–ce que ce n’est pas déjà être désagréable, comme tu le dis ?

D.D. – Si. J’aborde cette question notamment à travers le portrait de Jocelyne Coupat [la mère de Julien Coupat], c’est–à–dire que, à un moment donné, malgré tout ce que je viens de te dire, reste que, quand tu ouvres ton traitement de texte, tu n’écris pas pour les gens dont il est question. Tu écris pour les lecteurs. Et la morale, elle est là. Tu ne dors pas pendant des nuits, tu transpires, tu cauchemardes, ok ; mais le lendemain tu te lèves : il faut écrire ce chapitre. C’est toute l’ambiguïté du chapitre sur Julien Coupat : je me dis, enfin on se dit lui et moi, « ça serait quand même plus simple s’il n’y avait pas ce livre à écrire ». Ce livre empêche une relation qui aurait peut–être... alors je peux me tromper, qui aurait pu être possible. Mais je pense que cette histoire doit être racontée. Et le fait de le raconter, c’est probablement désagréable, pour les protagonistes, quels qu’ils soient.

R.M. – Je me souviens que tu m’avais raconté que...

D.D. – Eh ! Je te présente un disque, et toi tu veux les bonus–tracks !

R.M. – Quand tu étais allé à Tarnac, tu étais revenu en me disant : « quand même, ils sont sympas, mais il n’y a pas de douche, il faut dormir dans une tente, sans se laver », je me souviens très bien, on était dans ta cuisine extrêmement chaleureuse, et tu disais ça, et je me souviens que ça me faisait rire...

D.D. – Je le raconte ! Dans le premier chapitre.

R.M. – Franchement, pas du tout comme ça...

« Au plafond de la cuisine, les ampoules n’avaient pas d’habillage. Rien n’avait d’habillage. Tout était brut, épuré, un peu déglingue, totalement offert. Je me demandais ce que je foutais ici. Tout était en bordel, de la vaisselle partout, du linge dans la machine et personne pour la faire tourner. [...] Ce lieu qui n’avait aucune chance de devenir un modèle duplicable à toute une société, parce que trop dégagé de tout, parce que pas assez enviable. » [pp.34–35]

D.D. – Si un jour il y a une deuxième édition, je rallongerai... Mais, ce que je ressens sur le lieu, c’est ça : c’est pas assez enviable pour être duplicable. C’est mon point de vue.

R.M. – De bourgeois ! De mec devenu bourgeois, malgré lui... La tête que tu fais !

D.D. – Non, je réfléchis... Je me souviens très bien, quand j’avais vingt ans, dans le rock alternatif, on faisait des concerts dans les squats : je n’ai jamais considéré que c’était l’avenir du genre humain, le squat. D’ailleurs, si je lis bien L’Insurrection qui vient, ce n’est pas ce qui est dit non plus. Mais l’objet de mon livre, ce n’est pas de juger, c’est de raconter : de dire que ça ne correspond pas du tout à ce que les flics ont raconté à la presse, et à ce que la presse a raconté pendant des semaines.

R.M. – Alors, tout autre chose. Très souvent dans le livre, tu parles de ce que ça raconte de l’époque, de la « sarkozie ambiante », c’est même l’argu de ton éditeur.

« Ce que l’affaire disait de l’époque, du métier, des fantasmes des uns et des autres, était autrement plus cinglant que ses péripéties judiciaires. » [p.114]

R.M. – J’ai été troublé par ça. Autant dans le livre sur la DCRI, il est clair que la DCRI est la police politique de Sarkozy, autant dans le tien j’ai le sentiment que tu colles cette image du sarkozysme triomphant à quelque chose qui est immémorial, à savoir la presse qui suit le point de vue du pouvoir et le retransmets. La presse a toujours été majoritairement du côté du pouvoir...

D.D. – Je te rappelle que moi je viens à la presse par l’anti–presse, les fanzines, et pendant longtemps je crois que c’est ça la presse. J’ai vu des gens, à Libération, qui étaient très offensifs contre le pouvoir.

R.M. – D’accord, à quelque époque que ce soit, il y a des figures de journalistes qui s’opposent au pouvoir. Mais tu ne peux pas dire que c’est symptomatique de notre époque d’être servile avec le pouvoir !

D.D. – Ce qui est symptomatique de Sarkozy, c’est la DCRI. C’est lui qui décide de créer une police politique. Une police qui ait deux compétences : le renseignement et le judiciaire. Le 8 novembre 2008, le blocage des TGV fait les 20–Heures. Il faut que trois jours après, on puisse faire le contre–feux du 20–Heures, avec des arrestations. Ça, c’est du Sarkozy. Il y a aussi la notion de statistiques : à la DCRI, ils disent : « maintenant, on est notés sur le nombre de notes qu’on fournit ». Ça, c’est Sarkozy qui amène ça. Après, il ne faut pas, comme me le dit Mathieu Burnel, feindre chaque jour que tout est nouveau.

« [M.Burnel] «Ce qui est marrant dans l’esprit des journalistes, et on pourrait dire que c’est le propre de la fonction de journaliste, c’est de faire semblant tous les jours de redécouvrir les horreurs vues la veille, de toujours simuler une espèce d’étonnement.» » [p.113]

D.D. – La peur du rouge, c’est une peur de la vieille droite, et ce n’est pas pour rien que MAM l’incarne. La peur de l’ultra–gauche, etc. On ne pensait même pas que c’était imaginable que ça revienne, tellement c’est artificiel. Sarkozy permet ça : l’anti–terrorisme, ça permet de faire croire ça. Tu as oublié ça, tu ne t’es pas replongé dans les articles du 8, 9, 10 novembre, mais c’est hallucinant.

R.M. – D’accord, les statistiques, la confusion renseignement–judiciaire, tout ça d’accord. Mais il y a eu des barbouzeries à toutes les époques : les Irlandais de Vincennes, c’était le mitterandisme triomphant. Et sous Pompidou, l’assassinat du garde du corps, et ainsi de suite. Pour le coup, est–ce que tu n’es pas en train de survendre ton affaire, qui est très riche, et en effet tu racontes plein de choses sur la DCRI, tu démontes très bien leur façon de travailler, mais j’ai trouvé que tu construisais artificiellement l’idée que l’affaire était symptomatique du sarkozysme. Franchement, le pouvoir a toujours créé des ennemis imaginaires à balancer au 20–Heures.

D.D. – Oui. Sauf que la DCRI, c’est une volonté directe de Nicolas Sarkozy. Il nomme un de ses fidèles, Bernard Squarcini. Et il rapatrie à l’Élysée un autre de ses fidèles, Joël Bouchité, qui a œuvré, aux RG, sur cette affaire. C’est tout ce que je dis. Et aussi, combien la presse a épousé la thèse du pouvoir. Et, je ne te le cache pas, après avoir travaillé dix ou quinze ans à Libé, la une qu’ils font, « L’ultra–gauche déraille », j’y pense tous les jours. Tous les jours ! C’est ça, le symptôme de l’époque : croire que le terrorisme, c’est le danger n°1. Ce n’est pas le danger n°1, c’est ce que tous les flics qui travaillent là–dessus me racontent. Et Sarkozy nous fait croire que c’est un danger ! C’est cette blague que se racontent les mecs de la SDAT : « le terrorisme, il y a plus de gens qui en vivent que de gens qui en meurent ! ». Ou un mec qui me dit : « un week–end de chassés–croisés sur la route tue plus que quinze ans de terrorisme en France ». En attendant, dans les gare, il y a des mecs avec des mitraillettes depuis quinze ans : c’est Vigipirate ! Donc, quand je parle de l’époque, c’est aussi l’emballement : rapidité, précipitation, on balance des photos, on balance des noms. Et ça, malgré tout, pour avoir étudié les questions de police depuis longtemps, le grand communicant, c’est Sarkozy.

R.M. – J’ai noté qu’à un moment, tu cites un texte, un texte militant, et dans les notes tu dis que tu l’as trouvé sur le site ***. Or ce site, mais tu ne le dis pas, est l’émanation de ***, quand même !

D.D. – Monsieur Raphaël Meltz – et j’espère que ça sera retranscrit – il n’y a rien de plus désagréable qu’un magistrat ou un policier qui vous dit : « mais vous devriez travailler à la DCRI ! » Et ce que vous venez de faire, monsieur Meltz, me permet de vous dire cette phrase.

R.M. – Toi, on te l’a dit ?

D.D. – Cent fois ! Comment dire ça sous forme de litote... Je ne suis pas là pour donner à la police, ou à la justice, des armes, ou des arguments. Or ce que tu viens de dire, c’est du travail, qui n’a pas forcément été fait...

R.M. – Ils n’ont pas fait le simple whois pour savoir à qui appartient le site ?

D.D. – Et ce n’est pas à nous de le faire...

R.M. – La différence, c’est que comme tu as lu tout le dossier, tu sais ce qu’ils savent. Moi, je ne sais pas.

D.D. – Exactement. Mais tu vois, un jour, je publie sur Mediapart un article sur ce document tiré du site ***, et c’est un lecteur qui, dans les réactions, dit : « ce nom de domaine appartient à *** ». Mais ce n’est pas à moi de le dire !

R.M. – Donc ça y est, maintenant, ils le savent...

D.D. – Non, je ne suis pas sûr... Donc il ne faut pas le mettre... Mais c’est important d’expliquer ça. Par exemple, je me suis beaucoup interrogé sur le fait de parler de L’Appel, parce que L’Appel n’est quasiment pas dans le dossier d’instruction.

R.M. – Alors ils ne lisent pas Le Tigre, à la DCRI, je suis rassuré...

D.D. – Non, ça ne te rassure pas, ça te déçoit !

R.M. – C’est quoi, finalement, l’information, pour toi ? À la fin, quand tu arrives au portrait de Julien Coupat, tu refuses de le faire.

« Pendant des mois, j’avais accumulé des anecdotes à son sujet, plus ou moins aimables, avec des arrière–pensées plus ou moins avouables, en vue d’en tirer son portrait à mon tour. Mais au moment de le rédiger, je déclarais forfait. Tout cela était précisément le piège, l’abus de position dominante que la police avait offerte à la presse. » [p.363]

R.M. – C’est assez courageux, parce qu’on attend tous ce portrait, et au final tu nous niques tous, c’est assez insolent.

(...)
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Nico37 » 11 Juin 2012, 18:12

Spécial investigation Europe : l'insurrection qui vient ?

11/06/2012 à 22H40 sur C+
Durée : 60min. ( 22H40 - 23H40 ) 2012 Présentation : Stéphane Haumant.

RÉSUMÉ

Ils fabriquent des bombes artisanales, s'arment de bâtons et attaquent les forces de l'ordre. Très secrets, toujours vêtus de noir, sans chef, ni parti organisé, ces militants anticapitalistes mènent une véritable guérilla au sein des états démocratiques accusés d'opprimer le peuple. «L'Ultragauche», nébuleuse politique radicale, a essaimé un peu partout en Europe, depuis une dizaine d'années. Avec la crise, ces «anarcho-autonomes» ont le vent en poupe. En Grèce, leurs manifestations rassemblent des dizaines de milliers de personnes et font trembler le pouvoir en place.
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede ivo » 11 Juin 2012, 18:50

.^o GRAVOS MC ° SC1 ° SC2
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Re: Tarnac : quand la répression s’appelle anti-terrorisme

Messagede Denis » 11 Juin 2012, 20:03

merci Nicolas pour ton labeur !

:v:
Qu'y'en a pas un sur cent et qu'pourtant ils existent, Et qu'ils se tiennent bien bras dessus bras dessous, Joyeux, et c'est pour ça qu'ils sont toujours debout !

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